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jusqu’à la ceinture. La Providence permettait à la bonne nature de faire pour lui de ces prodiges ; c’était bien assez d’un malade. Mais l’autre, loin de prospérer avec l’air humide et les privations, dépérissait d’une manière effrayante. Quoiqu’il fût condamné par toute la faculté de Palma, il n’avait aucune affection chronique ; mais l’absence de régime fortifiant l’avait jeté, à la suite d’un catarrhe, dans un état de langueur dont il ne pouvait se relever. Il se résignait, comme on sait se résigner pour soi-même ; nous, nous ne pouvions pas nous résigner pour lui ; et je connus pour la première fois de grands chagrins pour de petites contrariétés, la colère pour un bouillon manqué ou chipé par les servantes, l’anxiété pour un pain frais qui n’arrivait pas, ou qui s’était changé en éponge en traversant le torrent sur les flancs d’un mulet. Je ne me souviens certainement pas de ce que j’ai mangé à Pise ou à Trieste ; mais je vivrais cent ans, que je n’oublierais pas l’arrivée du panier aux provisions à la chartreuse. Que n’eussé-je pas donné pour avoir un consommé et un verre de bordeaux à offrir tous les jours à notre malade ?

Il fallut surtout se nourrir de fruits, en les arrosant d’une excellente eau de source ou de vin musqué ; puis de pain, de légumes, parfois d’un peu de poisson ou de viandes maigres rôties sans aucun beurre.

… Si les conditions de cette vie frugale n’eussent été, je le répète, contraires et même funestes à l’un de nous, les autres l’eussent trouvée fort acceptable en elle-même[1].

Mais justement la santé de Chopin était aussi mauvaise que possible. Il toussait, avait la fièvre, crachait le sang, bref, malgré toutes les assertions ultérieures des médecins français, c’est à ce moment que se manifestèrent chez lui les premiers indices de cette phtisie qui le mina plus tard et l’emporta. Remarquons à ce propos — les ennemis de George Sand attribuent cette phtisie de Chopin à sa rupture avec George Sand — que sa sœur Émilie succomba aussi à la tuberculose pulmonaire. Donc, d’une part, l’organisme du grand musicien portait en lui, dès l’origine, les germes de ce mal, et, d’autre part, les médecins majorquins avaient bien raison de traiter la maladie du jeune voyageur, comme portant atteinte ou préjudice à la santé publique. Mais les médecins majorquins faillirent combattre cette maladie par des mesures si draco-

  1. Un hiver à Majorque, p. 152.