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À monsieur Alexandre Dumas fils.
Nohant, 26 août 1861.

Tant mieux et vive le fer, si vous vous en trouvez bien : moi, j’y crois, ayant vu de vrais miracles sortir de l’officine de mon vieux ami[1]. On vous embrasse et on vous aime. Continuez à faucher. Voilà un remède qui seconde diablement l’effet du fer ! Les bains d’arrosoir, c’est bon aussi. Le travail aussi, la campagne aussi. Tout est bon quand le jugement est sain et le cœur honnête. Avec ça et de la jeunesse, et du talent vrai, on surmonte tout. Je suis bien curieuse de ce qui va sortir de Villemer. Ça m’amuse un peu de penser que la moelle va se détacher sans que j’aie la peine de découper le morceau et qu’à mon réveil un de ces matins, je verrai se produire un nanan auquel je n’aurai pas mis la main.

Vous savez nos conventions auxquelles il ne faut pas revenir dire non. Nous partageons les profits, s’il y en a, et je crois qu’il y en aura. Je crois aussi que la chose faite et lancée, il faudra que je vous donne un petit écrit, parce que je suis vieille, et que je peux mourir, et que plus tard, ça fait des si et des mais ennuyeux. Ne riez pas de ma régularité, c’est une habitude que j’ai, surtout depuis ma maladie si subite et si bête, de tenir mes affaires en ordre comme si je devais partir le lendemain. Ne me répondez pas à ce projet-là. Comme Manceau naturellement dévore vos lettres avec moi et que mes idées de mort l’attristent toujours, il ne faut pas les lui remettre sous les yeux. Pour moi ce ne sont pas des idées tristes. J’ai, sur la mort, des croyances très douces et très riantes, et je m’imagine n’avoir mérité qu’un sort très gentil dans l’autre vie. Je ne demande pas à être dans le septième ciel avec les séraphins et à contempler à toute heure la face du Très-Haut D’abord je ne crois pas qu’il y ait ni face ni profil, et puis si c’est une grande jouissance d’être aux premières places, ce n’est pas pour moi une nécessité. Il y a tant de jolis petits mondes à habiter ! fût-ce même un autre coin de celui-ci, sous une autre forme ! que de bonheurs cachés peut-être dans l’inconnu des autres existences ! Et qui nous dit que la nôtre soit la meilleure ?

J’ai passé bien des heures de ma vie à regarder pousser l’herbe, ou à contempler la sérénité des grosses pierres au clair de lune. Je vous ai dit ça, je crois. Je m’identifiais tellement au mode d’existence de ces choses tranquilles, prétendues inertes, que j’arrivais à participer à leur calme béatitude. Et de cet hébétement sortait tout à coup de mon

  1. Le docteur Vergne (de Beauregard.)