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en serait d’autant plus ombrageux à l’avenir et, tout en gagnant cette victoire, il en serait désespéré, car il ne sait ni ce qu’il veut, ni ce qu’il ne veut pas.


À mademoiselle de Rosières.
Nohant, 29 août 1841.

Merci, chère bonne, de toutes les peines que vous avez prises pour m’expédier ma fille. Elle m’est arrivée fraîche comme une rose et enchantée, comme vous pouvez croire. Depuis ces trois jours elle est charmante. Il est vrai qu’elle n’a pas grand’peine : elle est toujours en course et en promenades et en embrassades. Elle a été voir aujourd’hui son père qui est venu passer quelques jours chez mon frère et qui l’a trouvée superbe. Hier nous avions été voir des amis assez loin de chez nous. De sorte que nous n’avons encore parlé ni de piano, ni d’aucun autre sujet sérieux. Je vous remercie de regretter un peu de n’être pas venue. Moi je n’ai pas besoin de vous dire que j’ai une bonne blessure dans le cœur à propos de vous et non par votre faute certainement, vous en chercheriez vainement la cause, puisque vous n’avez jamais été que parfaite pour nous tous et que vous avez été longtemps appréciée : jusqu’à un certain moment inexplicable où par suite d’un cancan mystérieux, ou d’un caprice d’esprit plus mystérieux encore, vous êtes devenue un sujet de discussion assez amère de part et d’autre, car je n’aime ni les préjugés, ni les injustices. Cela m’étonne d’autant plus que la santé est infiniment améliorée et l’humeur, par conséquent, plus égale et plus enjouée. Il est si aimable quand il veut, qu’il s’est fait chérir de la plupart de mes amis. Mais il y en a encore deux ou trois contre lesquels il nourrit des préventions très mal fondées. Cela passera-t-il avec le temps ? Je l’espère toujours, parce que le fond de son cœur donne un continuel démenti aux souffrances un peu folles de son caractère. Ne revenons plus sur ce sujet maintenant, je craindrais qu’en trouvant une de vos lettres, il ne me fît un grand tort de vous avoir dit tout cela et que les choses ne vinssent à s’envenimer au lieu de se calmer, comme elles doivent le faire avec le temps et le silence. Pourquoi l’absence de W… doit-elle être si longue ? cela m’afflige et m’effraye pour vous. Je ne doute pas de sa bonté et de son affection réelle pour vous ; mais je crains sa nonchalance et sa faiblesse. Je crois qu’avec l’énergie et la décision de votre caractère vous aurez à souffrir de cette amitié, mais si vous ne souffriez pas de cela, il vous faudrait souffrir d’autre chose. Toute affection est une source de douleurs. Et il faut se consoler en se disant que si la vie du cœur est très amère, la vie de ceux qui n’aiment rien est horrible-