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compte, il était moins coûteux de vivre à Paris, où tout son petit ménage était facile à surveiller et où il n’y avait pas d’obligations imposées par la large hospitalité campagnarde. Voilà ce qu’elle dit à ce propos dans deux lettres à ce même Chatiron dont l’une est inédite, l’autre, imprimée avec force coupures dans la Correspondance, doit être postérieure, mais nous trouvons utile de la donner ici, car elle nous peint la position matérielle de Mme Sand qui l’obligeait de rester à Paris en 1840.

Cher vieux… si tu me réponds de me faire passer l’été à Nohant moyennant quatre mille francs, j’irai. Mais je n’y ai jamais été sans dépenser quinze cents francs par mois, et comme ici je n’en dépense pas la moitié, ce n’est ni l’amour du travail, ni celui de la dépense, ni celui de la gloire qui me fait rester. J’ignore si j’ai été pillée, mais je ne sais guère le moyen de ne pas l’être avec mon caractère et ma nonchalance, dans une maison aussi vaste et avec un genre de vie aussi large que celui de Nohant. Ici, je puis voir clair, tout se passe sous mes yeux, comme je l’entends et comme je le veux. À Nohant, entre nous soit dit, tu sais qu’avant que je sois levée, il y a souvent douze personnes installées à la maison. Que puis-je faire ? Me poser en économe, on m’accusera de crasse ; laisser les choses aller, je n’y puis suffire. Vois si tu trouves à cela un remède. À Paris, il y a une indépendance admirable, on invite qui l’on veut, et quand on ne veut pas recevoir, on fait dire par son portier qu’on est sorti. Pourtant, je déteste Paris sous tous les autres rapports, j’y engraisse de corps et j’y maigris d’esprit. Toi qui sais comme je vis tranquille et retirée, je ne comprends pas que tu me dises, comme tous nos provinciaux, que j’y suis pour la gloire. Je n’ai point de gloire, je n’en ai jamais cherché, et je m’en soucie comme d’une cigarette. Je voudrais humer l’air et vivre en repos. J’y parviens, mais tu vois et tu sais à quelle condition…

Et dans la lettre inédite, datée du 1er juillet 1840, Mme Sand lui disait déjà :

… Je suis toujours enchaînée ici par mon travail. J’ai entrepris une affaire qu’on m’a conseillée qui est de faire traduire un roman en anglais à mesure que je le compose. En faisant paraître en Angleterre quinze jours avant Paris, je peux gagner à Londres autant qu’à Paris, c’est-à-dire mille francs par volume. Je ne suis pas sûre que cela réussisse aussi bien qu’on me le fait espérer. Mais enfin c’est une affaire importante à tenter et qui, en doublant le prix de mon travail, diminuerait de moitié la quantité de travail que je suis obligée de