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de ses idées et de ses écrits et non les nécessités pratiques du moment. Mme Sand explique les erreurs et les crimes de Rousseau ; elle le disculpe en beaucoup d’occasions ; elle reconnaît avec douleur sa culpabilité en d’autres. Malgré cela ce petit article est un ardent panégyrique de Rousseau, qui fut, selon l’auteur, l’homme le plus avancé de son époque et dont les défauts dépendaient presque entièrement des imperfections, des erreurs de la société contemporaine et des institutions humaines arriérées.

Madame Sand expose là sa remarquable Théorie des grands hommes[1].

… De tout temps, dit-elle, le progrès s’est accompli, n’est-ce pas, par le concours de deux races d’hommes opposées en apparence et même en fait l’une à l’autre, mais destinées à se réunir et à se confondre dans l’œuvre commune aux yeux de la postérité ? La première de ces races se compose des hommes attachés au temps présent. Habiles à gouverner la marche des événements et à en recueillir les avantages, ils sont pleins de passions de leur époque et ils réagissent sur ces passions avec plus ou moins d’éclat. On les appelle communément hommes d’action, et parmi ces hommes-là, ceux qui réussissent à se mettre en évidence sont appelés grands hommes. Je te demanderai la permission, pour te faire mieux entendre ma définition, de les appeler hommes forts. Ceux de la seconde race sont inhabiles à la science des faits présents, incapables de gouverner les hommes d’une façon directe et matérielle, par conséquent de diriger avec éclat et bonheur leur propre destinée et d’élever à leur profit l’édifice de la fortune. Les yeux toujours fixés sur le passé ou sur l’avenir, qu’ils soient conservateurs ou novateurs, ils sont également remplis de la pensée d’un idéal qui les rend impropres au rôle rempli avec succès par les premiers. On les nomme ordinairement hommes de méditation et leurs principaux maîtres, appelés aussi grands hommes dans l’histoire, je les appellerai grands par exclusion, bien que, dans ma pensée, les autres soient aussi revêtus d’une grandeur incontestable, mais parce que le mot de grandeur s’applique mieux, selon moi, à l’homme détaché de toute ambition personnelle et celui de force à l’homme exalté et inspiré par le sentiment de son individualité ! Ainsi donc, deux sortes d’hommes illustres : les forts et les grands. Dans la première, les guerriers, les industriels, les admi-

  1. Nous avons déjà mentionné cette opinion de George Sand en parlant de son article à propos du messianisme de Mickiewicz.