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étoiles ou tout ce qui est[1]. Il faut en déduire sans aucun doute d’abord qu’il ne faut demander à personne, et moins qu’à qui ce soit, au poète, l’homme porté à vivre sous l’empire de son imagination et chez qui la rêverie prédomine sui* les pensées et les actions, de toujours pouvoir gouverner ces pensées.

Il est trop naturel que le poète, fort souvent, ne fasse que s’abreuver inconsciemment d’impressions, il s’en pénètre, il vit en dehors de son moi, il ne peut concentrer toutes les forces de son être moral, et ceci lui est tout aussi nécessaire, lui est aussi adhérent que la capacité, le savoir et la nécessité de concentrer, de spécialiser le cours de ses pensées sont le trait adhérent de l’homme voué à quelque autre spécialité, la science, les arts plastiques, la technique.

Puis, il faut en déduire que moins un homme est conscient, moins il est développé, plus il est dominé par ses instincts et moins il est libre par rapport à l’action du monde extérieur sur lui, moins est libre sa volonté et, partant, sa responsabilité devant Dieu, les hommes et le jugement des hommes.

Il faut donc que notre jugement soit développé par l’éducation, afin que nous échappions à cette sorte de fatalité qui pèse sur la vie de l’ignorant ; mais il ne faudrait pas que cette éducation trop stoïque ou trop idéaliste nous conduisît à vouloir rompre absolument avec l’influence de ce qui n’est pas nous-mêmes. Ce serait un essai insensé qui nous conduirait à la folie, au fanatisme ou l’athéisme, à la haine de Dieu ou de nos semblables, à l’orgueil démesuré qui n’est autre chose qu’une privation de nos rapports avec la vie universelle, par conséquent une étroitesse de conception. Il n’y a rien de ce qui paraît être en dehors de nous, qui ne soit nous. Le non-moi n’existe pas d’une manière absolue, par conséquent le moi absolu est une notion fausse. Toute la terre et tout le ciel agissent sur nous à toute heure, et, à toute heure, nous réagissons sur toute la terre et sur tout le ciel sans nous en apercevoir. Tout ce qui est, est réceptacle ou effusion, élément ou aliment de vie. Il faut la respiration de tous les êtres pour que chacun de nous ait sa dose d’air respirable. Les nuages sont la sueur de la

  1. Cf. avec ce que nous avions dit plus haut en analysant Ce que dit le ruisseau, écrit, notons-le en passant, en cette même année 1863 que les deux dialogues avec Manceau formant les numéros 1 et 3 des Impressions et souvenirs.