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riquement parlant, invraisemblable, par rapport à la France de 1840, il ajoute que ce type ne paraît possible, de nos jours, que grâce « au roman russe, qui nous a montré une Iseult nihiliste[1] ».

Mais en étudiant ce roman, les circonstances de son éclosion et les personnes qui entouraient George Sand, nous devons reconnaître que si utopique que l’idée principale puisse paraître, il contient une quantité de détails absolument réalistes, pris sur nature, une foule de choses que l’auteur a vues ou notées d’après les récits de Perdiguier. Pour nous le roman, très vieilli et très naïf dans ses lignes principales, nous intéresse justement par la réalité de ses détails de mœurs. Donc, toutes les pages consacrées aux luttes et aux rixes entre devoirs (George Sand avait elle-même été témoin, dans sa jeunesse, d’une rixe pareille)[2], aux causeries et aux discussions chez la « mère Savinienne », au mode d’existence de Huguenin et de son camarade le Corinthien ami des arts (NB !) sont remplies d’intérêt et respirent la vie, de nos jours, comme jadis. Mais la fable du roman, qui se réduit aux deux histoires d’amour parallèles des deux « fins menuisiers du devoir des Gavots », arrivés au château de Villepreux pour y restaurer les antiques boiseries de la chapelle, et tombant amoureux, l’un de la rêveuse châtelaine, imbue des idées humanitaires et libératrices, et l’autre d’une coquette petite veuve bien délurée, cette fable manque absolument d’intérêt.

L’adorateur de la veuve, l’ardent, faible et vaniteux Corinthien, une nature tout artiste (et peinte, ajoutons-le, avec beaucoup de verve, de précision et d’éclat), devient bientôt son amant, subjugué autant par ses charmes que par l’idée vaniteuse de la difficulté de triompher de cette beauté aristocratique quasi inaccessible. Pierre Huguenin, sombre et rêveur, rigide dans

  1. V. Ed. Caro, George Sand, dans la série des Grands écrivains français. Paris, Hachette, 1887, p. 49.
  2. V. les feuilletons de M. Plauchut parus dans le Temps en 1891, sous le titre de Autour de Nohant. Ils furent réimprimés en volume sous le même titre, où ils parurent un peu modifiés et augmentés de plusieurs nouveaux chapitres.