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… Chopin a pris ouvertement parti pour elle, contre moi, et sans rien savoir de la vérité, ce qui prouve envers moi un grand besoin d’ingratitude et envers elle un engouement bizarre. (Faites comme si-vous n’en saviez rien.) Je présume que pour le retourner ainsi, elle aura exploité son caractère jaloux et soupçonneux et que c’est d’elle et de son mari qu’est venue cette absurde calomnie d’un amour de ma part ou d’une amitié exclusive pour le jeune homme dont on vous parle. Je ne puis m’expliquer autrement une histoire si ridicule et à laquelle personne au monde n’aurait jamais pu songer. Je n’ai pas voulu savoir le fond de cette petite turpitude. C’est une entre mille, et cette défection de Chopin n’est qu’un accessoire dans le malheur de la situation. Je vous avoue que je ne suis pas fâchée qu’il m’ait retiré le gouvernement de sa vie, dont ses amis et lui voulaient me rendre responsable d’une manière beaucoup trop absolue. Son caractère s’aigrissait de jour en jour ; il en était venu à me faire des algarades de dépit, d’humeur et de jalousie, en présence de tous mes amis et de mes enfants. Solange s’en est servie avec l’astuce qui lui est propre ; Maurice commençait à s’en indigner contre lui. Connaissant et voyant la chasteté de nos rapports, il voyait aussi que ce pauvre esprit malade se posait, sans le vouloir et sans pouvoir s’en empêcher peut-être, en amant, en mari, en propriétaire de mes pensées et de mes actions. Il était sur le point d’éclater et de lui dire en face qu’il me faisait jouer, à quarante-trois ans, un rôle ridicule, et qu’il abusait de ma bonté, de ma patience, et de ma pitié pour son état nerveux et maladif. Quelques mois, quelques jours peut-être de plus dans cette’ situation et une lutte impossible, affreuse, éclatait entre eux. Voyant venir l’orage, j’ai saisi l’occasion des préférences de Chopin pour Solange et je l’ai laissé bouder sans rien faire pour le ramener. Il y a trois mois que nous ne nous sommes pas écrit un mot, je ne sais pas quelle sera l’issue de ce refroidissement. Je ne ferai rien ni pour l’empirer ni pour le faire cesser, car je n’ai aucun tort, et ceux qu’on a ne m’inspirent aucun ressentiment, mais je ne puis plus, je ne dois, ni ne veux retomber sous cette tyrannie occulte, qui voulait par des coups d’épingles continuels et souvent très profonds m’ôter jusqu’au droit de respirer. Je pouvais faire tous les sacrifices imaginables jusqu’à celui de ma dignité exclusivement. Mais le pauvre enfant ne savait plus même garder ce décorum extérieur dont il était pourtant l’esclave dans ses principes et dans ses habitudes. Hommes, femmes, vieillards, enfants, tout lui était un objet d’horreur et de jalousie

    lomnie vidée, elle ne dédaignait point de l’orner encore de quelque petite médisance secondaire. C’est ainsi qu’elle calomnia Arago auprès de sa mère.