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voyant cela, eussent pu perdre le respect auquel mon âge et ma conduite depuis dix ans me donnent droit, je ne pouvais plus l’endurer…

Voici maintenant comment ces mêmes accès de jalousie à propos de n’importe qui et de n’importe quoi sont décrits dans le roman. Karol en était arrivé à faire des scènes tantôt à propos d’un commis voyageur manquant un peu de savoir-vivre et qui avait vendu à Lucrezia un fusil de chasse pour l’anniversaire de Celio et tantôt à propos de la visite de Lucrezia à un vieillard mourant qui, une vingtaine d’années auparavant, l’avait demandée en mariage.

Un autre jour Karol fut jaloux du curé qui venait faire une quête. Un autre jour il fut jaloux d’un mendiant qu’il prit pour un galant déguisé. Un autre jour il fut jaloux d’un domestique qui, étant fort gâté, comme tous les serviteurs de la maison, répondit avec une hardiesse qui ne lui sembla pas naturelle. Et puis, ce fut un colporteur, et puis un médecin, et puis un grand benêt de cousin, demi-bourgeois, demi-manant, qui vint apporter du gibier à la Lucrezia, et que bien naturellement elle traita en bonne parente, au lieu de l’envoyer à l’office. Les choses en arrivèrent à ce point qu’il n’était plus permis à la malheureuse de remarquer la figure d’un passant, l’adresse d’un braconnier, l’encolure d’un cheval, Karol était même jaloux des enfants. Que dis-je même ? il faudrait dire surtout. C’était bien là, en effet, les seuls rivaux qu’il eût, les seuls êtres auxquels Lucrezia pensât autant qu’à lui… il prit bientôt les enfants en grippe, pour ne pas dire en exécration. Il remarqua enfin qu’ils étaient gâtés, bruyants, entiers, fantasques, et il s’imagina que tous les enfants n’étaient pas de même. Il s’ennuya de les voir presque toujours entre leur mère et lui. Il trouvait qu’elle leur cédait trop, qu’elle se faisait leur esclave. En d’autres moments aussi il se scandalisa quand elle les mettait en pénitence…

L’excès de familiarité de Lucrezia envers les enfants, les bruyantes réprimandes qui suivaient parfois des caresses non moins bruyantes, le laisser aller des enfants, leurs manières trop libres, le manque de système dans leurs études et aussi leur manque de tenue exaspéraient le prince tout comme ils exaspéraient Chopin : cette espèce d’éducation à l’avenant, appliquée à la petite Aurore Dupin avait jadis horripilé sa grand’-