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par douze chapelles, et du quatrième par une jolie petite église aux parois garnies de boiseries sculptées et pavée d’élégantes faïences hispano-arabes. Les chapelles étaient aussi pavées de faïences arabes, chacune possédait une fontaine en marbre ; elles produisaient toutes une impression de fraîcheur, quoique les boiseries, les dorures et les statues peinturlurées fussent grossières et banales. Le seul objet d’art de ce nouveau cloître était une statue de saint Bruno en bois peint, placée dans l’église.

… Le dessin et la couleur en étaient remarquables ; les mains, admirablement étudiées, avaient un mouvement d’invocation pieuse et déchirante ; l’expression de la tête était vraiment sublime de foi et de douleur. Et pourtant c’était l’œuvre d’un ignorant ; car la statue placée en regard et exécutée par le même manœuvre était pitoyable sous tous les rapports ; mais il avait eu, en créant saint Bruno, un éclair d’inspiration, un élan d’exaltation religieuse peut-être, qui l’avait élevé au-dessus de lui-même. Je doute que jamais le saint fanatique de Grenoble ait été compris et rendu avec un sentiment aussi profond et aussi ardent. C’était la personnification de l’ascétisme chrétien[1]. Mme Sand occupa avec sa famille l’une des cellules du nouveau cloître.

… Les trois pièces qui la composaient étaient spacieuses, voûtées avec élégance et aérées au fond par des rosaces à jour, toutes diverses et d’un très joli dessin. Ces trois pièces étaient séparées du cloître par un corridor sombre et fermé d’un fort battant de chêne. Le mur avait trois pieds d’épaisseur. La pièce du milieu était destinée à la lecture, à la prière, à la méditation, elle avait pour tout meuble un large siège à prie-Dieu et à dossier de six ou huit pieds de haut, enfoncé et fixé dans la muraille. La pièce à droite de celle-ci était la chambre à coucher du chartreux ; au fond était située l’alcôve, très basse et dallée en dessus comme un sépulcre. La pièce de gauche était l’atelier de travail, le réfectoire, le magasin du solitaire. Au midi, les trois pièces s’ouvraient sur un parterre dont l’étendue répétait exactement celle de la totalité de la cellule, qui était séparée des jardins voisins par des murailles de dix pieds, et s’appuyait sur une terrasse forte

  1. Un hiver à Majorque, p. 115. Cette description évoque le souvenir d’un autre chef-d’œuvre de la sculpture espagnole du moyen âge, la Mater Dolorosa du Musée de Berlin, en bois peint, admirable de beauté spiritualiste et de force d’expression.