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Chopin ses agissements, de justifier ses cachotteries lors des fiançailles de Solange :

Au comte Albert Grzymala.
12 mai 1847[1].

Merci, cher ami, pour tes bonnes lettres. Je savais d’une manière incertaine et vague qu’il était malade, vingt-quatre heures avant la lettre de la bonne princesse. Remercie aussi pour moi cet ange. Ce que j’ai souffert durant ces vingt-quatre heures est impossible à te dire et quelque chose qu’il arrivât j’étais dans ces circonstances à ne pouvoir bouger.

Enfin, pour cette fois encore, il est sauvé, mais que l’avenir est sombre pour moi de ce côté !

Je ne sais pas encore si ma fille se marie ici dans huit jours ou à Paris dans quinze. Dans tous les cas, je serai à Paris pour quelques jours à la fin du mois, et si Chopin est transportable, je le ramènerai ici. Mon ami, je suis aussi contente que possible du mariage de ma fille, puisqu’elle est transportée d’amour et de joie et que Clésinger me paraît le mériter, l’aimer passionnément et lui créer l’existence qu’elle désire. Mais c’est égal, on souffre bien en prenant une pareille décision[2].

Je crois que Chopin a dû souffrir aussi dans son coin de ne pas savoir, de ne pas connaître et de ne pouvoir rien conseiller. Mais son conseil dans les affaires réelles de la vie est impossible à prendre en considération. Il n’a jamais vu juste les faits, ni compris la nature humaine sur aucun point ; son âme est toute poésie et toute musique et il ne peut souffrir ce qui est autrement que lui[3]. D’ailleurs son influence dans les choses de ma famille serait pour moi la perte de toute dignité et de tout amour vis-à-vis et de la part de mes enfants.

Cause avec lui et tâche de lui faire comprendre d’une manière générale qu’il doit s’abstenir de se préoccuper d’eux. Si je lui dis que Clésinger (qu’il n’aime pas) mérite notre affection, il ne le haïra que da-

  1. Nous imprimons cette lettre intégralement d’après une copie communiquée par M. de Spœlberch. Des extraits en furent publiés par M. Rocheblave. Nous entourons de crochets les passages inédits et nous soulignons la date précise de cette lettre qui manquait à la copie de Mme Maurice Sand.
  2. C’est nous qui soulignons. Il est clair que Mme Sand fait allusion à sa décision de cacher à Chopin le vrai état des choses, les causes du mariage précipité de Solange avec Clésinger, en général désapprouvé par Chopin, ce qui devait infailliblement l’amener à se sentir pour ainsi dire mis en dehors de la famille et provoquer une rupture morale définitive.
  3. Cf. avec ce que l’auteur de Lucrezia Floriani dit de V exclusivisme du prince Karol. (V. plus haut, p. 522-523.)