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ce roman, elles n’aboutirent pas malgré l’appui de ses amis. Le comité de censure dramatique, tout en déclarant « que la pièce était un chef-d’œuvre, qu’on n’avait rien à y reprendre, qu’elle était de la morale la plus élevée, la plus irréprochable »[1], n’osa pas prendre la responsabilité de la représentation et déclara qu’il « fallait que la pièce allât plus haut », c’est-à-dire chez le ministre des Beaux-Arts et des Cultes. C’était alors Jules Simon. Il n’osa prendre aucune résolution. Interdire cette pièce appartenant à la plume d’un écrivain d’une si grande popularité et tirée d’un de ses romans les plus connus, c’était soulever une tempête d’indignation parmi les Parisiens. L’autoriser c’était « se mettre à dos les cléricaux de la Chambre », c’était à ce moment son portefeuille de ministre menacé. Jules Simon envoya la pièce au gouverneur militaire de Paris, car on était alors en état de siège et toutes les questions étaient soumises au gouverneur, le général Ladmirault, il visait toutes les œuvres dramatiques. Apprenant que le héros de la pièce de George Sand était un prêtre, et que l’action se jouait autour de son amour pour la demoiselle La Quintinie, le général Ladmirault déclara qu’il « ne se gênerait pas pour passer son sabre au travers du corps de Mlle La Quintinie » et qu’il interdirait une pièce à tendances aussi subversives, révoltantes pour tous les bons catholiques. Or, Jules Simon voulut éviter à tout prix ces mesures coercitives.

Charles Edmond que Mme Sand avait pris pour arbitre des changements à faire dans sa pièce et M. Félix Duquesnel, alors directeur de l’Odéon, contèrent plus tard avec beaucoup de verve et d’esprit comment Jules Simon réussit à sortir de cette impasse : ni permettre, ni interdire la pièce, mais… la faire mourir d’inanition. Voici la version de Duquesnel : Le ministre fit venir M. Duquesnel, lui expliqua dans quelle impasse il se trouvait : il aurait bien voulu pouvoir contenter les loups et les brebis à la fois, mais surtout, oh ! surtout ! il protesta de son

  1. Lettre de Charles Edmond (Choïecki) à Mme Sand du 26 novembre 1872 et George Sand le redit presque mot à mot dans sa lettre du 29 novembre à Flaubert {Correspondance, t. VI, p. 260.) À cet épisode se rapportent aussi beaucoup de ses lettres, tant imprimées qu’inédites (du 21 février 1871 à janvier 1873).