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teur du beau ; et non seulement il la lira, mais il en gardera pour toujours le souvenir, comme de l’une des plus poétiques inspirations de George Sand.

En commençant la Mare au Diable, par l’indication que ce petit roman devait fane partie de la série des Veillées du chanvreur, George Sand revient dans cet épilogue à la personne de ce narrateur rustique qui joue, — avec le fossoyeur, cet esprit fort du village, — le rôle principal dans toutes les cérémonies matrimoniales et dans toutes les réjouissances champêtres. Involontairement, l’auteur se sent transporté au temps de son enfance, lorsque la petite Aurore Dupin écoutait durant les longues soirées d’automne les récits du vieil Étienne Depardieu[1]. Et voici que de la plume de George Sand s’échappe ^adorable digression que voici :

… C’est particulièrement la nuit que tous, fossoyeurs, chanvreurs et revenants, exercent leur industrie. C’est aussi la nuit que le chanvreur raconte ses lamentables légendes. Qu’on me permette une digression. Quand le chanvre est arrivé à point, c’est-à-dire suffisamment trempé dans les eaux courantes et à demi séché à la rive, on le rapporte dans la cour des habitations ; on le place debout par petites gerbes qui, avec leurs tiges écartées du bas et leurs têtes liées en boule, ressemblent déjà passablement le soir à une longue procession de petits fantômes blancs, plantés sur leurs jambes grêles et marchant sans bruit le long des murs. C’est à la fin de septembre, quand les nuits sont encore tièdes, qu’à la pâle clarté de la lune on commence à broyer. Dans la journée, le chanvre a été chauffé au four ; on l’en retire, le soir, pour le broyer chaud. On se sert pour cela d’une sorte de chevalet surmonté d’un levier en bois, qui, retombant sur des rainures, hache la plante sans la couper. C’est alors qu’on entend la nuit, dans les campagnes, ce bruit sec et saccadé de trois coups frappés rapidement. Puis un silence se fait ; c’est le mouvement du bras qui retire la poignée de chanvre pour la broyer sur une autre partie de sa longueur. Et les trois coups recommencent : c’est l’autre bras qui agit sur le levier : et toujours ainsi, jusqu’à ce que la lune soit voilée par les premières lueurs de l’aube. Comme ce travail ne dure que quelques jours dans l’année, les chiens ne s’y habituent pas et poussent des hurlements plaintifs sur tous les points de l’horizon.

  1. Voir notre premier volume, chap. iii, p. 137.