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savons que George Sand elle-même était ce jour-là à Paris. Cette lettre est extrêmement importante ; c’est en somme une sorte de résumé de l’historique des relations de Mme Sand avec l’Élysée, en février, en même temps qu’une appréciation de la personne du prince, de sa situation ; appréciation si frappante de précision, de perspicacité et d’observation que ni George Sand elle-même — lorsqu’elle prononça vingt ans plus tard son jugement définitif sur l’empereur, — ni quelque critique tout avisé qu’il fût, n’auraient rien eu à y changer, à y ajouter. Enfin cette lettre nous montre de quelle manière vraiment révoltante les gens de ce même parti pour lequel George Sand n’épargnait aucune démarche la traitaient, elle.


Paris, 20 février 1852.
Mon ami,

J’aime autant vous savoir là-bas qu’ici, malgré les embarras, si peu faits pour mon cerveau et ma santé, où votre absence peut me laisser. Ici rien ne tient à rien. Les grâces ou justices qu’on obtient sont, pour la plupart du temps, non avenues, grâce à la résistance d’une réaction plus forte que le président, et aussi grâce à un désordre dont il n’est plus possible de sortir vite, si jamais on en sort. La moitié de la France dénonce l’autre. Une haine aveugle et le zèle atroce d’une police furieuse se sont assouvis…

En arrivant ici, j’ai cru qu’il fallait subir temporairement, avec le plus de calme et de foi possible en la Providence, une dictature imposée par nos fautes mêmes.

J’ai espéré que, puisqu’il y avait un homme tout-puissant, on pouvait approcher de son oreille pour lui demander la vie et la liberté de plusieurs milliers de victimes (innocentes à ses yeux mêmes, pour la plupart). Cet homme a été accessible et humain en m’écoutant. Il m’a offert toutes les grâces particulières que je voudrais lui demander, en me promettant une amnistie générale pour bientôt. J’ai refusé les grâces particulières, je me suis retirée en espérant pour tous. L’homme ne posait pas, il était sincère, et il semblait qu’il fût de son propre intérêt de l’être. J’y suis retournée une seconde et dernière fois, il y a quinze ou vingt jours, pour sauver un ami personnel de la déportation et du désespoir (car il était au désespoir). J’ai dit en propres termes (et j’avais écrit en propres termes pour demander l’audience) que cet ami ne se repentirait pas de son passé, et ne s’engagerait à rien pour son avenir ; que je restais en France, moi, comme une sorte de bouc émissaire qu’on pourrait frapper quand on voudrait. Pour obtenir