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avec patience. Je rêve tantôt de la maison, tantôt de Rome, tantôt du bonheur, tantôt du malheur, et je suis devenu si condescendant que j’aurais même pu entendre un oratorio de Sowinski et n’en point mourir ! Je me souviens de Norblin, le peintre, qui disait qu’un certain artiste, à Rome, vit l’œuvre d’un autre artiste et cela lui fut si désagréable qu’il… mourut.

Ce qui me reste, c’est un grand nez et le quatrième doigt mal exercé. Tu seras un vaurien si tu ne réponds pas, ne fût-ce que par un mot, à la présente missive. Tu as choisi une mauvaise saison pour ton voyage. Néanmoins que le Dieu des ancêtres te conduise ! Sois heureux, je crois que tu fais bien de t’installer à New-York, et non à la Havane. Si tu vois Emmerson, notre célèbre philosophe, rappelle-moi à son souvenir. Embrasse Herbet et donne-toi un baiser à toi-même sans faire la grimace.

Ton vieux Chopin.

Quatorze mois plus tard, le 17 octobre 1849, Chopin mourut.

On m’a dit qu’il m’avait appelée, regrettée, aimée finalement jusqu’à la fin, écrit George Sand dans son Histoire. On a cru devoir me le cacher jusque-là. On a cru devoir lui cacher aussi que j’étais prête à courir vers lui. On a bien fait, si cette émotion de me revoir eût dû abréger sa vie d’un jour ou seulement d’une heure. Je ne suis pas de ceux qui croient que les choses se résolvent en ce monde. Elles ne font peut-être qu’y commencer, et, à coup sûr, elles n’y finissent point. Cette vie d’ici-bas est un voile que la souffrance et la maladie rendent plus épais à certaines âmes, qui ne se soulève que par moments, pour les organisations les plus solides et que la mort déchire pour tous.

Franchomme assure dans ses Souvenirs que Chopin lui avait dit deux jours avant sa mort : « Mais elle avait donc dit que je ne mourrais que dans ses bras ! » Pierre Leroux écrit à Mme Sand elle-même dans une lettre non datée, mais qui doit avoir été écrite en 1850 :

… Je pense à cette parole qui a été dite par un moribond : Si je ne m’étais pas éloigné d’elle (c’était de vous) je ne commencerais pas mon agonie

Il est difficile de dire si tout cela est digne de foi. On a jusqu’ici tant raconté, publié et dessiné de légendes sur les derniers jours, les dernières heures, les dernières paroles de