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i

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ARBOR I

Presenîed to the

LIBRARY ofthe

UNIVERSITY OF TORONTO

by

ALEX PATHY

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ŒUVRES

DE MOLIÈRE

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Eugène FASQUELLE, Éditeur, ii, rue de grenelle EXTRAIT DU CATALOGUE

DE LA BIBLIOTHÈQUE-CHARPENTIER

à 3 fr. 50 le volume.

CLASSIQUES FRiVNCÀIS

ÉDITIONS LOUANDRE

BOILEAU-DESPRÉAUX. Œuvres poétiques 1 vol.

BOSSUET Discours surl'Histoire universelle 1 vol.

CORNEILLE (P. & TH.'. . Œuvres 2 vol.

LA BRUYÈRE Los Caractères 1 vol.

LA FONTAINE (J.) .... Fables 1 vol.

MOLIÈRE Œuvres complètes 3 vol.

MONTAIGNE Essais 4 vol.

PASCAL (B.) Pensées 1 vol.

— Les provinciale.s 1 vol.

RACINE (J.) Théâtre complet 1 vol.

VOLTAIRE Siècle de Louis XIV 1 vol.

Paris. — L Maretheu.x, imprimeur, 1, rue Cassette — 57S

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Imp, A, Sa-lmon, Pan

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ŒUVRES

COMPLÈTES

DE MOLIÈRE

ÉDITIO>' A^VBIORUM

PRKCÉDÉE d'un PRÉCIS

DE LIIISTOIRE DU THÉÂTRE EN FRANCE DE LA BIBLIOGRAPHIE DE MOLIÈRE RECTIFIÉE

Accompag-née des Variantes, Pfèbes'ét J'Fà^meiî'fcs^^e Pièces

retrouves éans ce*<lcrni(^"s teflipa ; ' -«, -' . ■..'\

DE NOTICES HISTORIQUES ET LITTRRAIRES SUR CHAQUE COMEDIE -^

OU RÉSUMÉ DES TRAVAUX CRITIQUES PUBLIÉS SUR MOLIÉRè^

par Voltaire, La Harp'e,,CaiIhava, Auger, Bazin, Saiiile-Boiive, ^; Saint-Marc GirarJin, Génin, Aiiné ^lartiu, Nisard, Taschereau,.-iGrrijajffes Petitot, E. Soulié, 'E.'Fottrnier, Betfara, cti7.,€tc: ..-%'■■"

■■>•- ■ ' ■ ,. ■■ ':'.'-$-«'

ET DE NOUVEÏjI^'^NOTKi , •".'.LJ^*'

PAR CHARLES LOUANDRE

Edition ornée du. portrait de Molière d'après l'original de GOYPEL

TOME PREMIER

PARIS BIBLIOTHÈQUE-CHARPENTIER

EUGÈNE FASQUELLE, ÉDITEUR

11, RUE DE GRENELLE, 11

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A\IS SUR CETTE ÉDITION.

Le nom de Molière, les nombreuses éditions qui ont clé faite» des œuvres de cet immortel écrivain, les éludes dont il a été l'objet, nous imposaient, pour celle édition nouvelle, de grandes obligations, et pour les remplir voici ce que nous avons fait :

1" Nous nous sommes dllachc à reproduire, d'après les édi- tions ■princcfs, un texte irréprochable.

2o<;e texte une fois établi, nous avons restitué toutes les va- riantes et tous les jeux de scène qui avaient disparu dans la plupart des éditions modernes.

3» Nous avons ajouté deux pièces jusqu'ici peu connues, It Médecin volant, la Jalousie du Barbouillé, et quelques pages nou- velles de la cérémonie du Malade imaginaire, qui paraissent ici pour la première fois dtas une édition comi>1ètc de noire au- teur.

40 Nous avons placé en tcle de chaque comédie des notices offrant, à côté d'un travail d'appréciation, entièremenl nouveau, la reproduction textuelle ou l'analyse des jugements les plus remarquables, soit dans le blâme, soit dans l'éloge, auxquels la pièce a doimé lieu, soit au point de vue moral, soit au point de vue littéraire. Ces notices contiennent, de plus, dos détails sur les mœurs du dix-septième siècle, dans leurs rapports avec le Théâtre de Molière ; sur les circonstances qui ont donné lieu à la composition des diverses comédies ; les premières représen- talions, les critiques des contemporains, l'accueil du public, les cabales, la mise en scène, etc.

50 Nous avons mis au bas des pages des notes contenant des remarques sur les situations dramatiques, la portée morale de certaines scènes, les caractères de certains personnages, — l'ex- plication des faits ou des allusions historiques, — des observa- tions sur les formes de style particulières à l'auteur, les locu- tions qui lui sont propres, en un mot, ce qu'on appelle la langue de Molière; — des références entre les scènes des diverses pièces qui présentent de l'analogie entre elles; — l'indication des écri vains grecs, latins, italiens, espagnols, français du moyen âge eu de la renaissance, qui ont fourni quelques sujets d'imitations — la traduction des morceaux limousins, provençaux, italiens, tepagnols, etc., mêlés aux intermèdes et aux divertissements.

Nous n'avons admis daos ces notes que les choses précises,

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«1 AVIS SUR CETTE EDITION.

utiles ou allrayanteSj et nous avons écarté ces commentaire» purement admiratifs, ces rapprochements plus ou moins hypo- Hiéliques, ces anecdotes suspectes qui, dans plusieurs édilioiu, tirent sans cesse le l'Cieur aa bas des pages, sans profit pour son instruction ou sa curiosité. Louis XIV, l'empereur Napoléon, madame de Sévigné, Lagrange, Mé.iage, Grimarest, les deux Rousseau, Voltaire, La Harpe, Gailhava, Bret, Riccoboni, Lu- ncau de Bois-Germain, Ghamfort, de Visé, GeolFroy, Petitot, Auger, Aimé Martin, nous ont fourni, les uns des jugements remarquables, les autres les passages les plus marquants de leurs annotations.

A ce précieux commentaire, nous en avons ajouté un autre, entièrement nouveau, plus jeune, plus vivant en quelque sort», et tout empreint de la sagacité critique du dix-neuvième siècle, commentaire dispersé dans les livres, les journaux, les revues, et qui, jusqu'à ce jour, n'était entré dans aucune des échtions de Molière. Ce commentaire est extrait, pour la partie anecdo- tique et biographique, des travaux de MM. BelTara, Aimé Martin, Taschercau et Bazin; pour la philologie, de l'exccllont Lexique de M. Génin; pour la critique littéraire et morale, des belles appréciations de MM. Sainte-Bei;vfi. . S.iint-Marc Girardin et Nisard.

60 En tête du premier volume nous avons donné un Pr^c?s de l'histoire du Théâtre en France depuis l'époque gallo-romaine jusqu'à nos jours. Ce travail, qui embrasse pour la première fois l'histoire de notre littérature dramatique dans son ensemble, offre, sous une forme concise et avec la plus rigoureuse exac- titude, tous les éclaircissements que comporte le sujet, et fait mieux apprécier Molière, en le plaçant au milieu de ceux qui J/ont prccédî et de ceux qui l'ont suivi.

7° Enfin, nous avons recueilli, dans une notice biographique, tous les faits nouveaux, qui ont été mis en lumière, dans le cours de ces dernières années. Nous avons appuyé cette notice de documents autiienliques ; nous l'avons dégagée de tous lei faits apocryphes et rectifiée d'après des témoignages irrécusablei.

L'édition variorum que nous présentons au public, offre donc, par les notices et les éclaircissements qui l'accompagnent, la synthèse de ce qui a été écrit de pius remarquable sur Molière et ses œuvres, pendant sa vie, par ses contemporains, et depuis sa mort, par les historiens littéraires et les commentateurs qui n'ont jamais cessé de lui faire cortège, et qui de ziotre tempi

éme, sont devenus pl'^ eraoressés et plus nombreux.

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PRECIS

DE

L'HISTOIRE DU THEATRE

EN FRANGE.

L'histoire de noire Tliéàlre national peut se diviser en quatre grandes périodes*. La première, que nous appelle- rons la période latine, s'étend depuis la conquête jusqu'au douzième siècle; la seconde est marquée par l'apparition des grands poèmes dramatiques connus sous le nom de mystères et de miracles, et l'emploi dans ces poèmes de la langue vulgaire; la troisième est celle de la renaissance; enfin, la quatrième commence avec Corneille et Molière. Chacune de ces périodes a sou caractère bien tranché. Dans la première, aussi longtemps que persiste la tradition latine, le théâtre, dans l'acception moderne du mot, n'existe point encore. Il y a des représentations scéniques , — nous ne parlons ici que de notre pays; — il n'y a point de littéra- ture dramatique 2. Cette littérature apparaît seulement au

' On conàultera pour l'bisioire du Théâtre : Hisl. du Théâtre français, pu tes tïcres raifajl, Paris, 1745-1749, 15 vol. iii-12. — Bibliothèque du Tliéâtrt rrançais, par le duc de la Vallicre, Dresde, 1768, 3 vol. in-8*. — Les Originel du Théâtre moderne, par M. Cli. Magnin, Paris, 1838, in-8". — Théâtre fran- çais eu moyen âge, publié par Mil. de Hontnerqiié et Francisque Michel, Paris, 18i3, gr. ia-8*. — OEuvres de FoBlenelle (Uist. du Théâtre français], Par"^ 1T67, in-12, t. 111. — Suard, Mélanges de Littérature, Paris, 1804, in 8*, t. 1,

' Le Moise, d'Ézccbiel le irag'que, qui vivait au deuxième siècle i le Christ touffrant, X;i7t6; r.à7'/uv, allribué à saint Grégoire de Naziance ; une $»• fanna, de s« jii Jean Damascène: un Dialogue entri Adam el Eve, at nae C<y>

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tf PRÉCIS DE L'KÎSTOI RE

douzième siècle; elle règne, avec la foi, jusqu'au nimncnt où la renaissance ouvre à l'esprit humain des voies enlièremcnl nouvelles : alors le génie f réco-iomain se réveille , en s'al- lianl au génie dwélicn ei chevaleresque. Les composilions dramatiques sont tout à la fois religieuses, satiriques, cla.- siques, romanesques. Enfin, Corneille et Molière, en élevant d'un seul coup notre Théâtre au plus haut degré de perfeo tioD, marquent l'avènement définitif de l'art niodorne.

Les Bnnuins. dont la passion pour les spectacles étaiS si vive, portèrent jusqu'aux limites les plus reculées de l'Empire les jeux scéniques en faveur à Rome. Ils éta- bliront dans nn grand nombre do villes de la. Gaule des cirques pour les combats d'hommes et d'animaux, et quel- ques théâtres pour les représentations littéraires*; mais les cruauiés et les jeux obscènes qui déshonoraient la scène antique, s'accordaient mal avec la morale austère du chris- tianisme, et la réprobation des conciles éloigna peu à peu la foule de ces amusements réprouvés. Vers 577, Chilpéric fit construire à Paris et à Soissons'^ des cirques où les gladia- teurs et les bètcs féroces furent remplacés par des dan- seuses et des chiens savants , et dans lesquels se donnè- rent encore , par exception , des combats d'ours et de tau- reaux , derniers vestiges des spectacles païens. Maudits par le clergé et désertés par le peuple , les théâtres et les cirques furent convertis en forteresses ou dém.olis pour

te^neitre grecque du lixième siècle, formenl le répertoire de ces temps recules. Coules cej pièces sont étrangères à la Fiance. Nous n'.-.vons pag besoin de dire ^u'il en est de même du Ihcâlre latin de Hrosnillia.

' Lei principaux théâtres ou ainpbitlic'àtres da la Gaule romaine étaient 4 Agcn , à Besançon, il Autun , à Bordeaux, à Augers, à Liinof;es, à Lisieiii,a Nismes, & Orange, i Soissons, a Doué, à Arles, à Narbounc, an Mans, à SauniA', à Bourges. Le lom d'arènes conservé dans un grand nombre de quartiers dei »iîlcs d'origine romaine, eJ les ruines magnifiques de quelques théâtres et or- ques, sont là pour attester que la passion des vainqueurs avait de bonne keart fiSié aux vaincus.

  • Grégoire de Tours, HUt., liv. ?, çb. xvm.

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DU THÉATHE EN FRANCE. f

bâtir des remparts et des églises, et à la fin du sixième siècle les souvenirs do la scène antique avaient à peu près disparu.

Pendant les siècles suivants , on trouve vaguement indi- quées des représentations d'un nouveau genre, les unes no- mades et populaires, les autres religieuses.

Les représentations populaires étaient données par des acteurs ambulants, auxquels on conserva d'abord leur non» romain d'histrions, et qui furent ensuite appelés chanteurs, cjnlores, et plus tard encore jongleurs, joculalores. Ces ac- teurs, qui se montraient principalement dans les foires et jouaient en plein \cnt, se faisaient suivre par des bouffons et des mimes, qui accompagnaient leurs chants avec des gestes et des instruments de musique. Le sujet de ces chants, désignés sous le nomd'«r6ajiœ canlilenœ, était d'or- dinaire cmpriuUé aux légendes des saints sous le patronage desquels étaient placées les foires. Le clergé, comprenant l'intlueuce que pouvaient exercer les jongleurs, se réserva le privilège de composer leurs chants. Dès le neuvième siècle, un chanoine de Rouen, Thiébaut de Vcrnon , avait traduit pour leur usage, en langue vulgaire, la vie de plusieurs saints. Comme il s'agissait de légendes pieuses, les jongleurs, pour mieux entrer dans l'esprit de leur rôle, revêtirent sou- vent le costume ecclésiastique', ce qui ne les empêcha point de se livrer à des désordres tels que Charlemagne, en 789, leur interdit l'exercice de leur profession , et on a lieu de croire qu'ils ne reparurent que sous le règne de Robert.

Les représentations religieuses avaient lieu dans les églises. Ce n'étaient point, comme on l'a dit, des drames hiératiques, mais tout simplement de la liturgie, parce qu'il fallait, pour hstruire le peuple, des signes matériels qui frappassent ses yeux. Le clergé ne cherchait point à faire des pièces de théâtre : il voulait seulement rendre sensibles et vivants les principaux faits de Ihistoire sainte ou de l'histoire hagiogra- phique, soit en les dialoguant, soit en les exprimant par de» actions figurées. Ainsi, le iour de la Purification une jeune

Voir VilleniaiD, Liliérature du )Io<jen Age, Pari», 1830, iD- 8°, l. Il, p. 241. tournai des SavaiUtt iH&, ç, K%^.

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VI PnEClS DE L'HISTOIRE

fille rcprésenlait la Vierge en portant dans ses bras un en- fant de cire. Le jour de Noël ou plaçait dans le sanctuaire une crèche, autour de laquelle venaient se proslerner les rois Mages. Au-dessus de cette crèche brillait l'étoile qui les avait guidés. Le bœuf et l'âne, i'ànesse de Balaam, celle ed Jésus, figuraient à certaines époques dans les cérémonies du culte.

Nous ne parlerons pas des fêtes nommées barbatoires, barbatoriœ, pendant lesquelles les prêtres dansaient, sau- taient, chantaient dans les églises, et quelquefois même con- tinuaient au dehors leurs chants et leurs danses. Nous ne parlerons pas non plus des dialogues funèbres qu'on répétait aux enterrements des grands personnages, parce que nou» ne pouvons voir dans tout cela, quoi qu'on en ait dit, d'une part que des divertissements bizarres, de l'autre que des prières. Que la fête de Tàne, la procession du renard et une foule d'autres cérémonies grotesques soient nées des barba- toires ou des triviales représentations figurées qu'on avait introduites dans le sanctuaire, nous ne le contestons pas; mais nous n'avons non plus rien rencontré qui nous auto- rise à l'affirmer, et nous persistons à ne reconnaître ea France l'existence du Théâtre que du moment où nous trou- vons de véritables pièces dramatiques. Or, pour nous, les premières de ces pièces ne sont point des offices de l'Église, mais uniquement des mystères et des miracles. Ces réserves faites, nous acceptons sur tous les points les éclaircissements qui ont été donnés, de nos jours, sur ces compositions sin- gulières, et nous disons, après bien d'autres, parce qu'ici nous avons rencontré l'évidence historique, que les premiera mystères peuvent quelquefois se confondre avec certains of- fices; que ces mystères ont été d'abord composés par de» prêtres, joués par des prêtres, et joués dans des églises, ce qui justifie celte assertion que l'origin^ du Théâtre français est une origine religieuse.

Il

Quoiqu'il soit difficile, dans le chaos de notre vieille Ulté-

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DU THÉÂTRE EN FRANCE. vu

rature dramatique, d'élablir des divisions nellemcnt Iran- chfes, et de donner des définitions exactes, on peut dire que e mystère est la mise en scène d'un fait historique em- prunté à l'Ancien on au Nouveau Testament, comme le mi- racle est un fait emprunté à la vie d'un saint, et surtout à Bon martyre»; mais comme dans cet art informe il n'y avait encore aucune règle fixe, les deux genres se confondirent souvent. L'histoire profane et la tradition chevaleresque furent même substituées à l'histoire sainte, ainsi qu'on le voit par le myslcre de Grisclidis et le mystère de la deslruc- lion de Troyc.

Exclusivement latin dans l'origine, le mystère donna peu à peu accès à l'idiome vulgaire, et l'on eut de la sorte, sous le nom de farcilures, des pièces moitié latines, moitié fran- çaises, dont on trouve un curieux exemple dans les Vierges sages et les Vierges folles"^. Il n'offrit d'abord qu'un épi- sode de la vie du Christ, tel que la Nalivilè, VAdoralion des Mages, la Rôsurrcclion ; mais à la fin du quatorzième siècle on vit paraître pour la première fois, sous le titre de Passion, un poëme embrassant dans tous ses détails la vie de Illonime-Dieu sur la terre. « A cette époque, dit M. Magnin, on réunit tous les actes de la vie de Jésus' Christ et on en forma une seule et vaste représentation qui ne se joua plus, comme auparavant, le jour de telle ou telle fête, mais qui durait plusieurs jours, souvent plu- sieurs semaines, et pouvait se répéter pendant tous les temps de l'année. » Les premiers auteurs de mystères furent, nous l'avons

' Voir iiir les mystères. Théâtre français eu moyen âje, psr BIM. de Uob» ■crqné et Fr. Mitliel ; — Études sur les Mystères, par Oné>inie Leroy, Pa. rii, 1837, in-8*: — Époques de l'Hist- de France en rapport avec le Théâtre fran» fais, par le même, Paris, 1843, in-S"; — un JUtnoire de l'ablc comledc- Giiasco, dans la collect. Leber, t. XV; — divers articles de M. Jlagnin dans le Journal d«$Savaiits, principalemeol dans les années 1846 el 1847; — Essai sur la mise en icine depuis les Mystères jusqu'au Cid, par Éinile Morice, Paris, 1836, in-12; — le Mercure de France, de 1729; — Itist. littéraire de la France, t. IX, p. 630. — Villemain, Lillérature du Moyen Age, Paris, 1830, in-8*, t. IF, 10* leçon. — Les personnes qui voudraient étudier en détail nos anciennes re- présentations sccniques devront consulter les bistoires particulières des villei fui ont été publiées dans ces dernières années.

' Voir le texte des Vienjes sages et des Vierges folles, dans le Théâtre fran- tau au moyen i^-», p?r 1111. de Monmerqué et tr. Kicbel.

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/m PRECIS DE L'HISTOIRE

déjà dit, des membres du clergé, d'abord parce que le clergé fui longtemps l'unique représentant de la littérature, eu- suite parce qu'il trouvait dans les spectacles de cette espèce un moyen indirect d'instruire le peuple des faits de la reli- gion. Peu à peu cependant les laïques intervinrent, et toutes tes classes de la société fournirent leur contingent d'écrivains dramatiques. Au premier rang de ces écrivains nous men- tionnerons, du douzième au quinzième siècle, Iliiaire, dis- ciple d'Abailard ; Jean Bodel, Simon Gréban, Araoul Gréban, Antoine Chevalet, de Grenoble; Jean d'Abondance, notaire royal du Pont-Saint-Esprit; Jacques Mirlct, étudiant es lois à l'université d'Orléans; le trouvère Rutebeuf, André de la Vigne, historiographe d\Anne de Bretagne; Jean Michel, d'Angers, l'écrivain dramaticiue le plus fécond du quinzième siècle; Louis Choquct, Marguerite de Valois ". Composés à l'origine par des prêtres, comme on l'a vu, les drames sacrés du moyen âge furent aussi représentés par des prêtres. Plus tard, les acteurs se recrutèrent dans toutes les classes, prin- cipalement dans les confréries des corps d'arts et métiers. Les ofQciers des écheviriôgcs, les gens de robe, les nobles eux-mêmes se réunirent aux confréries, et ce n'était pas trop de ce concours pour jouer des pièces où figuraient sou- vent six cents personnages.

Les villes, les corporations, le clergé contribuaient par des largesses, des quêtes ou des aumônes, aux frais considé- rables nécessités par ces jeux, célébrés à l'occasion des grandes fêtes nationales ou religieuses. Le théâtre, établi

' Parmi les principaux miracles el mystères, nom Indiquerons ceux qui ont été retrouvés par l'aLbc Lebcuf dans l'aLbayede Saint-Benoît sur Loire, ei qui onlété publics en 1834 sous le litre de Miracula ad scenam ordinala. — Ludus PaseaU$ de adoentu et interitu Antcchristi. — Les Vierges sages et les Vierges folles. —

Le Mystère de Sainl-Chnslophle Le Mystère de Saint-Crespin et Saint-Crct»

pimen. — Duhex Santex-IVonn, ou Vie de Saiule-Monne, mystère en langue bre- tonne, antérieur au dourième siècle. — Le Miracle de Théophile. — Le Miracle de Ifostre-Dame i'.imis et d^Amille.— Le Mystère de la sainte Hostie. — U Miracle de A'ostre-Dame de Robert le Diable. — Le .Mystère de la Passion (par Jean-Micliel). — La Nativité de Nostre- Seigneur Jésus-Christ. — Le Mystirt àe la Vie et l'Histoire de monseigneur Saint- Martin. — Le Mystère de l Insti- tution des Frères Prêcheurs. — Le Mystère de l'Apocalypse de Satnt-Jean-Zé- hidée. — Le triomphant Mystère des Actis des Apôtres , etc. — Voir pour l'in- dication de ces diverses compositioDS, Biunet, Manutt du Librair», Vatis, IM» iu-8*, t. T, p. 336 et lata .

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DU THÉÂTRE EN FRANGE. ix

primitivement dans les églises, puis sur le parvis, fiit en- suite Iransporlé dans les cimetières, dans les rues, dans les carrefours. La représentation était annoncée à cri public, comme les ordonnances royales ou municipales; et dan§ ce monde féodal où régnait partout Tinégalilé, les distinc- tions sociales étaient sévèrement maintenues parmi les as- sistants. Les nobles, les magistrats, les ofliciers royaux s«  plaçaient sur des estrades; les petits bourgeois et le menu peuple se rangeaient sur le pavé, les hommes à droite, les femmes à gauche, comme à l'église. Le cierge, pour ne point déranger le spectacle, changeait l'heure des offices, et comme les populations tout entières assistaient aux représca- talions, des gardiens en armes veillaient à la sûreté des rues désertes.

La grandeur des Ibéâlres dut nécessairement varier seloa le nombre des acteurs, et lorsqu'on ne jouait encore que des drames épisodiques, ils étaient moins vastes qu'au moment où parurent les grands drames de la Passion et des Actes des Apôlres. D'abord ils se composèrent de deux ou de trois étages superposés, représentant le paradis, la terre, le pur- gatoire; puis ces étages se subdixisèrent en une foule de compartiments qui (j^'uraienl les lieux dans lesquels de- vaier.t se passer les diverses scènes de l'action principale, D'après cela on peut croire que les décorations étaient dt. deux sortes, « les unes peintes, comme aujourd'hui, et for- mant les diverses cloisons des compartiments scéniques ; les autres, véiitables plans en relief représentant le paradis, Tenfer, Jérusalem, llom.e, etc., beaucoup trop petites pour contenir les nombreux personnages qui devaient paraître tour à tour, et placées avec des écriteaux au milieu de ces compartiments mêmes, pour indiquer le lieu de la scène'. » Dans un mystère joué à Metz en ^457, l'enfer fut représenté par la gueule d'un dragon qui avait de gros yeux d'acier, et c'était par cette gueule qu'entraient et sortaient les diables. A Bourges, en \hô(i, il était figuré par un rocher sur lequel

' Voir «iaos le Moyen Age et la Renaissance noire travail sur le tlieâlre. — On trouvera dans l'Histoire du Berry, àe H. Raynal, l. Ill, p. 'ni el ai»., SM tr*t-curieu3e description du mystère joué à Bourges ec I&36.

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I PRÉCIS DE L'HISTOIRE

on avait peinl des serpents et des crapauds, et que surmoi> tait une tour de laquelle s'échappaient des llammes.

Comme la plupart des spectateurs étaient fort ignorants et qu'il leur aurait été très-difficile de se reconnaître au mi- lieu des événements confus qui se passaient sous leurs yeux, les auteurs prenaient soin d'expliquer, dans une espèce de prologue, l'arrangement de la scène. Outre les prologues on trouve, principalement dans les miracles de Noire-Dame, de courts sermons en prose qui étaient prononcés par des prêtres. Quelquefois, avant de commencer, on célébrait la messe, et après la représentation on entonnait quelque chant solennel, tel que le Magnificat.

Tous les acteurs étaient assis sur des gradins, autour du théâtre, et de la sorte, lors même qu'ils étaient supposés partis pour de longs voyages, lors même qu'ils étaient sup- posés morts, ils restaient exposés aux regards du public. Il va sans dire que l'on ne connaissait ni l'unité de temps ni l'unité de lieu. Les personnages vieillissaient de vingt ans en quelques minutes. Ainsi, dans un miracle où la Vierge est en scène, la mère de Dieu est représentée d'abord par une enfant de quatre ans; la sortie de cette enfant, dans le ma- nuscrit du miracle, est indiquée en marge par ces mots : cy fine la petite Marie ; puis parait une Marie nouvelle, dont l'entrée est indiquée par cette phrase : cy commence la grande Marie. Cette dernière, après avoir rempli son rôle, allait s'asseoir à côté de celle qui l'avait piécédée, et ainsi, quand la Vierge mère paraissait à son tour, les speclaleurs avaient sous les yeux trois personnes pour un seul et même personnage. Les bienséances, l'exacliludc historique étaient traitées comme la vraisemblance. Dans le miracle intitulé ; Comment Noire-Dame délivra une abbesse qui fiait grosse de son clerc, et dans le Baplcme de Clovis, on figiuait sur la scène l'accouchement de l'abbesse et de la reine Clolildc. Enfin, dans la Vengeance et destruction de Jérusalem, les soldats romains Rouge-Museau, Esdenlé , Grappart et Tranchart poursuivaient au milieu dos llammes des filles et des femmes juives, comme pourraient le faire des vain- queurs dans une ville prise d'assaut, abandonnée à leur brutalité.

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DU THÉÂTRE EN FRANCE. « 

Tous les personnages de la mythologie, les diables et les anges, les philosophes de l'antiquité, les empereurs romains, les rois d'Egypte , les grands hommes du paganisme et de l'histoire chrétienne figuraient pêle-mêle, sous les noms les plus étranges, dans les costumes les plus bizarres et quelque- ibis aussi les plus brillants. Les païens avaient des habits de fantaisie; les chrétiens, des habits uniformes et pour ainsi dire officiels: les diables étaient noirs, les anges blancs ou rouges; les morts étaient habillés en guise de âmes, c'est-à-dire cou- verts d'un voile blanc pour les élus , rouge ou noir pour les réprouvés. Dans le mystère de Caïn, l'acteur chargé du rôle du sang d'Abel se roulait par ferre dans un drap rouge en criant: Vengeance! Dieu paraissait toujours avec une chape, parce que le costume ecclésiastique était regardé comme le plus respectable, et, par une bizarrerie singulière, ce Dieu tout-puissant ne jouait dans la plupart des pièces qu'ua rôle insignifiant et quelquefois même ridicule.

Soit qu'ils fussent écrits en latin, en langue farcie ou en français, les mystères étaient toujours rhythmiqucs. ï^e la- tin est rimé tant bien que mal, et les rimes sont notées en plain-chant comme les anciennes proses. Les mystères français sont ordinairement en vers de huit syllabes, et quelques-uns n'ont pas moins do soixante-dix à quatre- vingt mille vers. Millin et Monteil ont dit que ces poëmeg dramatiques étaient chantés, du moins dans certaines cir- constances.

Les jugements les plus divers ont été portés sur la va- leur eslhélique des mystères. Des éditeurs , enthousiastes d'une littérature qui fournit de nombreux sujets de pu- blications, ont vanté les drames sacrés du moyeu âge à l'égal des chefs-d'œuvre de la scène française. D'un autre côté, des critiques émineuts n'ont vu dans ces dram.es que des essais informes, intéressant seulement l'histoire de la langue et des mœurs. « Étranger ù toute idée de plan el' de composition, l'auteur, quel qu'il soit, dit M. Sainte- Beuve, suit d'ordinaire son texte, histoire ou légende, livre par livre, chapitre par chapitre, amplifiant outre mesur les plus minces détails et s'abandonnant, chemin faisant- aux distractions les plus puériles... Ce qui caractérise essen-

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M! PHÉCIS DE L'IIlSTOIIlIi

licllemcnl les mystères, c est !a vulgarilé la plus basse, la Irivialilé la plus minutieuse. Un seul soin a préoccupé les auteurs : ils n'ont visé qu'à retracer dans les hommes cl les choses d'autrefois les scènes de la vie commune qu'ils a\ aient sous les yeux. Pour eux tout l'art se réduisait à colle copie, ou plutôt à ce fac-similé fidèle. S'ils nous montreul une populace, on la reconnaît à première vue pour colle des Halles ou de la Cité ; tout tribunal est à l'instar du Cliùlelel ou du Parlement'. »

L'art, dans les mystères, fut, du douzième au seizième siècle, complètement stationnaire. Leur cadre alla sans cesse en s'élargissant; mais pour le fond ils restèrent toujours le» mêmes, présentant constamment la même réalité positive et triviale, les mêmes obscénités, les mêmes profanations naïves. Aussi, quand l'Église fut menacée par la réforme, s'empressa- t-on de les interdire. Cette interdiction fut pro- noncée par arrêt du Parlement, en 1548; car, suivant la juste remarque de M. Sainte-Beuve, les risées dont on ac- cueillit, à celte date, la Nalivilé de la Vierge ou les Actes des Apùlres, pouvaient rejaillir sur les dogmes et les pra- tiques de la religion dominante. Proscrits par le Parlement des théàlces de la capitale, les mystères n'en continuèrent pas moins, pendant quelque temps, d'être fort honorés dans la province; mais au commencement du dix-septième siècle ils furent généralement abandonnés

Malgré leurs défauts nombreux, les mystères présentent cependant çà et là quelques passages dans lesquels éclate la véritable inspiration poétique, et, en se lenant sans cesse dans la réalité ou le décalque fidèle des livres saints, les au- teurs ont rencontré plus d'une fois le naturel et l'émotion. Nous citerons, par exemple, le Sacrifice d'Isaac. Dans ia scène de l'immolation, Isaac s'approche de l'autel et dit à son père :

îlais veuillez moy les yeux cacher, Afin qtie le glaive ne voye QuanJ de moi vouilrez approcher, Pent-esire que je fouyroye.

• Tableau htHorique et criliqu$ d$ la Pjésie fianfatte et du ThiAtr* /.-ô!.. fO** «M stitièm* siècU. Paris. Cbarpeulier, 1843, p. I8i et 184.

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DU THEATRE EN FRANCE. xm

ABRAHAM.

lion aitii, si je le lycya?

Ni,' scroil-il noinl de--lioiincstel

ISAAC.

Hélas! c'csl ainsi que une besle.

L(»rs(|ue Isaac a les yeux bandes, son père, qji s"';ppiôtcà Is frapper, lui dit :

Adieu , muD &li.

ISAAC. Adieu , moa pin Bande suis; de bref je raourrjy. Plus ne vûij la lumière clère,

ABRAHAM.

Adieu , rr.ou tili.

ISAAC. Adieu , mon fin, Hccommandei-raoy à ma mère, ia:nais je ne la rcverray.

AORABAH

AJi u, mon Gis, etc.

Nous iiidiciucious encore uu dialogue entre un démoa t.'l fadas, dialoijue qui coninieucc par ces vers :

LE DÉMO.N. Hcscbanl, que veuli-tu qu'on te fiCtt A quel port Tculx-tu aborder?

«USAS.

Je ne sais; je n'ai œil en faco Qui ose les ciculx regarder

LE DÉUO.f. SI de mon nom veulx demander BriefTement en aras dcmunlranco.

JUDAS. Dont viens-tu?

LE DÉMON.

Du parfont d'enter,

nn>As. Qeel eil ton nom?

LE PÉMOM.

Désesp^rasce !

Nous extrairons aussi le fragment de la scène dea pas- tsurs, dans la Passion, d'Arnoul Grcban :

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IIV PRECIS DE L'HISTOIRE

AL0RI3 [premier pastoureau]. Il fait assez douice saisoa Pour pastoureaui , la Dieu rnercy»

T3AMBERT.

QnaDd les bergers sont de raison. Il fait assex .«uice saison.

PELLION.

Rester ne pourroye en malsoi Et Toire ce jojeux temps cy.

ALORU.

Fy de richesse et de soucy I Il D'est vie si bien nourrie Qui vaille estât de pastourie.

PELI.IO;<. A gens qui s'esbalteul aiasy, Fy de richesse et de soucy! ^FFLABB. Je suis bien des voslres ausiy A toHt (avec) ma barbette fleurie, Quand j'ai de pain mon saoul , je en* l Fy de richesse et de soucj 1

Est-il liesse plus série Qae de regarder les beaux champi, El ce; doux aigneleis paissants, ^aultans à la belle craeric?

U serait facile de trouver bien des morceaux du mênw genre ; mais ce qui pourrait nou3 plaire aujourd'hui était, on doit le croire, indifférent aux gens du moyen âge. Ils ne cherchaient dans les spectacles ni le jeu des acteurs ni l'éclat de la poésie; mais avant tout, le tableau des grandes scènes historiques de leurs croyances. « La foule , nous l'avons dit ailleurs, voyait là, vivant et animé, le monde du passé et le monde de l'avenir ; le paradis des pre- miers âges, où elle retrouvait ses premiers parents, et le paradis où elle devait un jour trouver son Dieu. Ces flûtes, ces harpes, ces luths qui se mêlaient au jeu des acteurs, n'étaient-ce pas ces mêmes instruments qui, dans le séjour des élus, accompagnent le chant éternel des bienheureux? Le peuple apprenait, expliqué par le jeu de la scène, comme il l'entendait chaque jour, expliqué du haut de la chaire par la voix du prêtre , le sombre mystère de la des- tinée humaine, la chute et la rédemption, le châtiment et

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PU TIIEaTRE LiN FRAiNCE. xv

Su récompense. Il regardait avec les yeux de la foi, et c<?lte puissance du drame sacré n'était pas un triomphe de i'art, mais un miracle de la croyance. « 

UI

Les varies composilions dont nous venons de parler for- maient ce qu'on pourrait appeler la grande pièce dans lo Théâtre du moyen âge; mais les genres accessoires étaient très-nombreux, et à partir du douzième siècle nous trou- vons, comme oeuvres dramatiques , spectacles ou jeux scé- niqucs, des tragédies, des comédies, des jeux partis, de» puys, des farces et moralités, des processions et fêles dra- matiques, des soties, des pastorales, des pantomimes.

Les tragédies du moyen âge n'ont guère, avec nos tragé- dies modernes, de commun que le nom , et de plus, elles sont fort rares. Nous citerons, parmi les auteurs tragiques, Arnoul Daniel, Anselme Faidit, Berenger Parasol, qui com- posa cinq tragédies sur la vie de Jeanne de Naples, sa con- temporaine, tragédies dans lesquelles il n'y a aucune divi- sion de scènes ou d'actes, et Guillaume de Blois, auteur d'une tragédie de Flaura et Marco, qui paraît avoir été faite sur une edurtisane célèbre du nom de Flore.

« Les moraines, dit avec raison M. Nisard , gftire inter- médiaire entre les mystères et les soties, contentaient le goût moins franc , mais non moins général auquel s'adresse au- jourd hui le drame. ... Les moralités, dont un grand nombre sont tirées de la vie des saints, participaient des mystères par le mélange de la religion, et des soties par des allusions satiriques '. »

Ou distingue deux genres de moralités, les unes mysti- ques et allégoriques, les autres politiques et satiriques. Dans les premières on voit figurer Dieu, les anges, les diables et une foule de personnifications bizarres, telles que Jeûne, Oraison, Honte de "dire ses péchés. Désespérance de pardon, elgile des morts, Limon de la terre, etc. Dans les secondes,

' Miit. 4c U liltérature fiAnçatse, Parit, 1844, ia-8*, t. U, p. £J1.

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xvî PRECIS DE L'HISIOIRE

les personnages allégoriques disparaissent pour faire place à des personnages réels, tels que le Mauvais riche et le Ladre, l'Enfant prodigue, la pauvre Villageoise, laquelle aima mieux avoir la Icte coupée par $on père que d'clre violée par son seigneur. Quelques-unes de ces pièces sont exclusivement satiriques, telles, par exemple, que celles qui portent pour litre : de l'Evesque que l'Arcediacre murtrit pour eslre evesque; — d'un Pape qui par convoitise vendit le basme dont on servait deux lampes dans la chapelle de S. Pierre, dont S. Pierre s'aparul à lui en lui disant qu'il seroit dampné. — D'autres sont politiques : le Jeu de Pierre de la Broche (Broce), chambellan de Philippe le Hardi, qui fut pendu le 50 juin ^278, lequel dispute à fortune par devant rêson, et la moraUlé à sept personnaiges bien bonne, dont le premier est pouvre peuple. Celte pièce fait allusion aux troubles qui agitèrent la France dans les pre- mières années du règne de Charles Ylll. Les moralités, comme les mystères, sont écrites en vers, et le nombre des acteurs varie de deux à dix.

Les farces , qu'on distinguait en farces joyeuses , récréa- tives, historiques, facétieuses, enfarinées, ne se composaient guère de plus de cinq cents vers. « C'est dans ces petites pièces, dit M. Sainte-Beuve, qu'il faut surtout étudier l'es- prit satirique et railleur de nos pères et leur penchant inné à présenter les ridicules et à fronder le pouvoir. » Par mal- heur, nos aïeux ne se bornèrent poitft à fronder le pouvoir, ils s'attaquèrent souvent aussi aux choses les plus respec- tables, et souillèrent par d'inlolcrables grossièietés des com- positions dans lesquelles brille par éclairs une verve étincc- lante. Les farces furent surtout en vogue à la fin du quin- zième siècle et dans le cours du seizième , et dans les titres seuls il y avait de quoi piquer la curiosité. C'était la farce des hommes qui font saler leurs femmes parce quelles sont trop douces , — la farce nouvelle et récréative du médecin qui guarisl toutes sortes de maladies, aussi fait le nez d'une femme grosse, — la farce nouvelle d'un jeune moine et d'un vieil gendarme devant Cupidon pour une fille, etc.

La plus célèbre de ces pièces est la farce de maislre Pierre Patelin, que M. Sainte-Beuve appelle avec raison « un aJ-

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DU THEATRE EN FRANCE. ivn

niirablo éclair lîc ^m^l^ -^KSîue, présageant à la France & Jeux siiclos dintervalle Tartuffe et la gloire de Molière, »

Les solics étaient des pièces satiriques dirigées contre les grands, nobles ou prêtres. Les rois eux-mêmes n'y étaient pas épargnés. Marmontel, qui admirait beaucoup quelques- unes de ces compositions, cite justement comme un petit chef-d'œuvre celle qui a pour titre : Solie à huit person- nages; c'est à sçavoir : le Monde abuz, Sot dissolu. Sol glorieux. Sot corrompu, Sot trompeur, etc. '. L'auteur de celte solie est Pierre Gringore, qui, joignant le génie du vrai poêle à une critique mordante et à une moralilé sévère, avait pris pour devise : Raison partout, rien que raison. Ou doit encore à Pierre Ci'iugore une pièce allégorique inti- tulée : Le Prince des Sots et la Mère Sotte. Composée à la demande de Louis XII, qui était alors en guerre avec Jules II, et qui voulait ridiculiser son ennemi, celte pièce fut repré- sentée avec un succès inouï à la Ilalle, le mardi gras 13 N. Gringore y joua le rôle de la Mère Sotte dont il conserva le nom. Le jeu du Prince des Sols et de la Mère Solie est divisé en quatre parties; le cri ou l'annonce de la représentation, la r.olie ou le drame proprement dit, la moralilé, la farce. Nous mentionnerons encore dans un genre différent, et à une date beaucoup plus reculée, le Jeu du Mariage d'Adam ou de la Feuillce, par Adam de la Ilalle, dit le Bossu d'Arras, et le Jeu de Robin et Marion, du même auteur 2. Ce jeu, qui peut êlro considéré comme noire premier opéra, était accom- pagné de musicfue composée par Fauteur des paroles; et comme la musique de l'Église exerçait alors une grande in- lueiice sur la composition, Adam s'en inspira.

Los diverses pièces que nous venons de citer ne dépassent guère les proportions de nos pièces modernes. Elles n'étaient pas, comme les mystères, jouées par toutes les classes de la eociélé-, mais chaque genre, suivant les temps et les lieux, avait ses acteurs particuliers, tels que les jongleurs qui étaient tout à la fois poètes, chanteurs et acteurs; les Baso-

' Voir pour l'analyse de celle pièce, Salnle-Bciive , Tableau hiiioriqM et tntique Je ta Pcisie française et du Théâtre, p. 303.

'Toir pour le texte de ces deux piècei et la biugraphie d*Adam de la Salla, TXUtn frtnfais «u Motfen Agt, de Hoamerqué ei Pr. Ulchel, p. 49, ii, tes.

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ivm PRÉCIS DE L'HISTOIRE

chiens, les Enfants sans souci, les Coruards ou Conards, les Enfants de la Mère Sotte.

Les Basoehicns , qui existaient déjà en 1303, étaient h Paris des clercs du Palais, et en province des étudiants de l'Université , dirigés par le roi de la Basoche. Comme il» s'attaquaient aux classes les plus élevées, il leur fut à diffé- rentes reprises ordonné de cesser leurs représentations, et l'on peut dire qu'ils provoquèrent le premier établissen\enl de la censure dramatique.

Les Enfants sans souci, dirigés par le Prince des Sots, •e recrutaient en général ferrai les fils des riches bourgeois. Leur théâlre, sur lequel figura !f»ngtemps Pierre Gringore, était situé dans les Halles de Paris. î^ existait aussi dans quelques villes de province, sous le nom de Coruards, En- fants de la Mère Folle, de l'abbé Maugouverne, etc., des as- sociations burlesques qui donnaient leurs représentations dans les rues , et défrayaient leur répertoire avec des chro- niques scandaleuses'.

Tandis que toutes ces associations égayaient les villes de la province, les Confrères delà Passion, qui s'étaient éta- blis à Paris en 1398, continuaient d'édifier la capitale par la représentation des drames sacrés. Ces confrères, qui sont notre première troupe d'acteurs et les fondateurs de notre premier théâtre, s'élablireht d'abord à Saint-Maur, puis en 1402 à Paris, dans l'hôpital de la Trinité. Leur théâlre était placé sous la sauvegarde royale et la surveiHance de sergents nommés par le prévôt de Paris. Les représenta- tions avaient lieu les dimanches et fêles de midi à cinq heures, et le prix des places était fixé à doux sous. Cet éta- blissement permanent, desservi par des acteurs de profes- sion, est du reste un fait exceptionnel, et en suivant sur le» divers points de la France l'histoire des représentations dramatiques, on reconnaît qu'il est impossible de déterminer

' L'une des tëies les plut bizarrei du moyen Âge, était i Lyon celle du Chevat 1*0. Cl hal)il!iit un homme avec les attributs de la royanlé , depuis la tële JBiqu'^ la ceinliire ; et depuis la ceinture jusqu'aux pieds on le déguisait ei tlieval. Cet homme, entouré de musiciens et de populace, courait la Tille ei faiiant des Tolios. Celle fcte avait été instituée en mémoire de ta itftue d'ai quartier de la ville qui n'avait pia pris part A une sédition peput^irt. (CUrjêai But. de L»/on,\. Ui, p. 43i.)

I

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DU THÉÂTRE EN FRANCE. xix

par des dates précises les époques auxquelles les drames sacrés cessèrenl d'être leprésentcs dans les églises, de même que celles où s'établirent des théâtres fixes. Ces époques ont varié suivant les lieux, et les statuts synodaux d'Orléans, à la date de iS25 et de 1387, constatent encore des représen- tations dramatiques dans les temples chrétiens.

A côté des genres que nous venons d'indiquer , nous mentionnerons divers autres spectacles qui se rattachent plus ou moins directement à notre sujet, mais qui doivent trouver place ici, par cela seul qu'ils ont eu dans le passé une très-grande importance. Ces spectacles sont les jeux muets par personnages, les dialogues, les danses ma- cabres, les allégories, les pantomimes et les jeux sur des chars. Ils avaient lieu principalement à l'entrée des princes dans les villes et à l'occasion des événements importants. Les plus célèbres sont, en t313, la pantomime offerte à Philippe le Bel lors de la promotion de son fils à l'ordre de chevalerie; — en 1424, la danse macabre que les An- glais firent jouer à Paris dans le cimetière des Innocents en réjouissance de leur victoire de Verneuil; — en 1437, le combat des sept Péchés Capitaux contre les Vertus Théolo- gales et les quatre Vertus Cardinales, représenté à renîré«  de Charles VIII à Paris; — en 1468, le Jugement de Pa- ris, dans lequel les trois déesses étaient entièrement nues. En 15o0, à Rouen, lors de la visite que Henri II fit dans celte ville, on offrit a ce prince la mise en scène de toute la chronologie des rois de France , à partir de Pharamond , et le roi entra dans la ville à la suite de ses prédécesseurs.

Les mystères, les farces, les soties, les moralités, les allé- gories, les danses macabres, les jeux sur des chars, les pro- cessions du renard , les fêtes des fous, de l'âne, des Inno- cents, toutes ces scènes bizarres, pieuses, cyniques, qui sont comme autant d'intermèdes dans le drame splendide du moyen âge, s'étaient produites presque simultanément pen- dant quatre siècles. L'art était morcelé comme le sol féodal varié a l'infini comme les coutumes , simple , sauvage et croyant comme les bourgeois des villes municipales; mys- tique dans les mystères, railleur et sceptique dans les soties, et toujours indépendant, parce que la société elle-même n'é-

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SX PHECIS DE L'HISTOIRE

tail encore qu'à l'éfat de chaos, et qu'à pari l'autorité de ta foi, chaque auteur avait sa règle individuelle comme chaque ville avait sa charte. On avait laissé tout dire, mais le mi- ment elait venu où l'unité du pouvoir allait se fonder, où les vieilles croyances étaient forcées de se défendre. L'autoiila civile, jusqu'alors étrangère à la police du théâtre, intervint pour réprimer et poser des limites anx libertés de l'esprit. Des sources nouvelles s'ouvrirent à l'inspiralion, et la renais- sance marqua l'agonie de notre vieille littérature dramatique en même temps que l'avcncmenl de la société moderne '

IV

Les premières tragédies et !es premières comédies d© la renaissance furent des traductions de l'antiquité grecque ou romaine et des imitations de la littérature italienne. Baïf. Thomas Sibilct , Ronsard , essayèrent de reproduire Sophocle, Euripide, Aristophane. Charles Estienne et Jean de la Taille firent passer dans notre langue le JYiégro- mant de l'Arioste, et les Abusés, de l'Académie sien- noise. Après avoir traduit, on imita. Jodelle, qui fit jouer en 4552, pour son début, Clcopàlre captive, est le pre- mier représentant de l'école tragique du seizième siècle. <t Nulle invention dans les caractères, les situations et ta conduite de la pièce ; une reproduction scrupuleuse, une contrefaçon parfaite des formes grecques ; l'action simple, les personnages peu nombreux, des actes fort courts, com- posés d'une ou deux scènes et entremêlés de chœurs; la poésie lyrique de ces chœurs , bien supérieure à celle du dialogue; les unités de temps et de lieu observées moins en vue de l'art que par un effet de l'imitation; un style qui vise à la noblesse et à la gravité , m voilà , d'après M. Sainte-Beuve, ce qui distingue Jodelle, et nous ajou- teions que ces remarques si justes nous paraissent s'appli- quer exactement, non-seulement à Jodelle, mais à ses nom- breux contemporains qui firent aussi des tragédies, tels que Charles Toustain, Jacques Grévin, Jean de la Péruse, Jean ie la Taille, Marc Papillon, Jean Dchais, Théodore de Bcze,

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DU THEATRE EN FRANCE. xxi

Pierre de laudun, Jean de Beaubreuil, Antoine de Mont- chrélien, et Dumonin, auteur d'une tragédie intitulée /a Peste de la pcsle, ou le Jugemcnl divin, dans laquelle figi>» rent Aufan, Uculenanl de la pcsle, vent du midi; Aquilon, venl de sanlc, etc.

Robert Garnier, qui débuta vers lo75, mérite d'être dis- tinguo au milieu de tous ces versificateurs. « Il est le pre- mier, dit avec raison Suard, qui ait su puiser avec quelque goût dans les anciens. H donna en général à la tragédie le langage qui lui convient. Ses ouvrages doivent faire époque dans l'histoire du Théâtre, non par la beauté des plans, il n'en faut cherclier de bons dans aucune des tragédies du seizième siècle, mais les sentiments qu'il exprime sont nobles; son style a souvent de l'élévation sans enCure et beaucoup de sensibilité. »

Les principales tragédies de Garnier sont Hippoîyte, la Troade et les Juives. Racine n'a pas dédaigné de faire à ces pièces quelques emprunts •.

La plupart des écrivains du seizième siècle s'essayèreEÎ dans les genres les pins divers; on imita Plante et Térence comme on avait imité, pour la tragédie, Euripide, Sénèque et Sophocle. On tenta aussi quelques pièces dans le goût plus moderne, des pièces d'intrigue, telles que les Esbahis et la Trcsorière, de Grévin; les Corrivaux, de Jean de la Taille; les Ncapolilains, de François d'Amboise; les Contents, d'Odet Turnèbe; la Rencojitre, de Jodelle ; la Reconnue, de Rcmi Belleau ; le Ramoneur, de Lebrelon ; les Escoliers, de Perria. • Des vieillards imbéciles, dit Suard, des jeunes gens liber- lins, des femmes de toutes les espèces, excepté de l'espèce honnête, deux ou trois déguisements, trois ou quatre sur- prises, et autant de reconnaissances, voilà le fond de toutes les intrigues des comédies de ce temps. Si peu de comique dans la comédie et de grandeur dans la tragédie laissent facilement concevoir qu'on peut se livrer aux deux genres sans posséder beaucoup de génie ou de talent ; aussi, presque

Toir, pour les rapprochements du théâtre de Racine et de celui de Garnier, Soard, MiiamfSa d* Littérature, t. I", HUt. du Théâtre franfan , p. la K «liT.

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PRÉCIS DE L'HISTOIRE

lous les tragiques de ce temps-là furent-ils auteurs d remédies. »

Un seul écrivain, Pierre de Larivey, astrologue et cha- noine de Saint-Étienne de Troyes, qui vivait dans la seconde moitié du seizième siècle, mérite vérilablcnient, à celte époque, le nom d'auteur comique, et ce qui justifie cet éloge, c'est qu'il a été imité par Molière et Regnard. Larivey com- posa douze comédies, dont la plus célèbre est celle dos Es- prils, qu'on peut regarder comme la meilleure de notre vieux répertoire, après la farce de Patelin. On y trouve une grande entente de la scène, beaucoup d'esprit, des situations comiques ; mais, comme la plupart des pièces du seizième siècle, elle est souillée par l'effronterie des mœurs, et Lari- vey sentait si bien combien il était coupable sous ce rapport, que dans l'une de ses préfaces il cherche à s'excuser eu di- sant que « pour bien exprimer les façons et affections du jourd'hui, il faudroit que les ac&s et les paroles fussent la lascivité même. »

L'école classique de Jodclle et de Garnier fit place, sous te règne de Henri IV, à une école nouvelle plus aventureuse, qui donna à la fantaisie une place beaucoup plus grande, et qui eut pour fondateur Alexandre Hardi. « A cette époque, dit Suard, il se forma à Paris deux troupes de comédiens: l'une, en 1598, loua le privilège des confrères de la Passion, et c'est celle-là qui depuis, toujours renouvelée et jamais 'lissoute, s'est perpétuée jusqu'à nos jours sous le nom de Comédie-Française; l'autre, en -1600, s'établit au Marais, à l'hôtel d'Argent, et donna des représentations trois fois par semaine. » C'est pour cette troupe, dont il était l'un des acteurs, qu'Alexandre Hardi composa ses huit cents pièces de théâtre- Quarante et une seulement ont été jouées et sont arrivées jusqu'à nous. Tous les genres, tous les styles, tous les tons se confondent dans le théâtre de Hardi. Il prend ses sujets dans les âges héroïques de l'antiquité, dans les mœurs de la bourgeoisie parisienne, dans les romans espagnols, dans les contes italiens. Il imite, il in- vente ; il est tout à la fois classique et romantique ; il fait ies tragédies morales, des bergeries, des tragi-comédies, des martyres, des journées, etc. La meilleure de ses tragédie»

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DV THÉÂTRE EN FRANCE. xxm

esl inlllulôe Mariamne; la meilleure de ses Iragi-comédiea FcUcemcne, el dans ce dernier genre il se rapproche beau- coup, au comique prés, de la comédie noble, absolument in- connue avant lui. Hardi, qui ne suivait que son caprice, a semé à profusion dans ses œuvres dramatiques les bizarre- ries les plus étranges ei surtout les bizarreries du slyle : sea amants appellent leur maîtresse ma tainle; Mariamne traita Hérode, son mari, de mdlin, et dans Clariclcc on entend un chœur d'Ethiopiens s'écrier :

Sa prière fendroK l'eitomac d'nne rockci

Outre les tragédies empruntées aux traditions grecque, ro- maine ou hébraïque el aux légendes des saints, on trouve encore au seizième siècle et dans les premières années du dix-septième, quelques tragédies nationales, telles que la Coli- gniade, la Guisiade, la Mort de Henri IV, où l'on voit figurer des chœurs de seigneurs, des chœurs du Parlement et des chœurs de garçons et de damoiselles •.

Le vieux genre de la sotie, au milieu de cette rénova- tion universelle, se continuait encore. Des farceurs resté» célèbres jusqu'à nos jours, Turlupin, Bruscambille, Gros- Guillaume, Gaultier Carguillc, obtenaient à Paris, auprès de la foule, un succès de fou rire par les mots de gueule, dont leurs parades étaient remplies , car ces acteurs ne jouaient que des parades qui étaient pour la plupart de» imitations de farces italiennes^. Quant aux genres comique,

• Lei principales tragédies de celle époque sont : Éleetrt, Bécuh», de Batf; Midie, de la Pénise ; Gatjiard de Coligny, Pharaon, de ChaDlelouve ; Datrt, AUxandrt, Saûl, Pirtt tt OBnone, de Jean de la Taille; Dtdon, Adonis (tragé- gie allégorique sur la mort de Charles II), de LcbretoD ; Dtdon, de Guill. d< Lagrange ; Méléagre, de P. de Bousi ; Attilée, de J. de Beaubreuil ; Uolophern», d'Adrien d'AmIioise, Eithtr, Vatthi, de P. Ualhieu ; CUopdtre captive, Didon M taerifiant, de Jodelle ; Hippolyte, la Troade, Antigone, Porcie, Cornilie^ Mare-A'^tome, Bradamante, de Robert Garnier; Octavie, de Gélint ; la lUa- t\abie, de J. de Virey, etc. Noai renvoyons encore à Brunet, u6i suprà, pour Ica dét&ili bibliographiques.

Les farce* sont ires-nombreusci au seizième siècle» Tout ce qu'il j a de pitt iakportact daoi ce geire te trouve dans le Recueil intitulé : Farces, Moraliiit st S*rwtOM joyeua, paMiâ d'après le manuscrit de la Bibliodièqui Nationale, par Leronx de Lincy el Fr. Hicbel, Paris, 1837, 4 vol. in-12. Il faut voir, du reste, foOT toute cette période, le travail de M. Sainte-Beuve; Uitt du Ihéittt frtniai* au seiiième ttècle.

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MIT PRECIS DE L'HISTOIRE

tra[[ique et tragi-comique, constilucs par Haidi et Larivey, ils se conlinucrcnt dans le dix-septième siècl* sans change- ment notable, mais avec des nuances de talent plus ou moins •aillantes, par Théophile, Mayrcl, Bcnserade, Boisrobert, Desmarets, Du Ryer, Scudéri, Rolrou et Corneille lui-même à ses débuts, jusqu'au moment oîi le Cid et le Menteur pa- rurent sur la scène.

De ce Théâtre du seizième siècle et des premières années du dix-septième il n'est rien resté qui puisse aujourd'hui soutenir la représentation. Il y a dans Larivey une force comique par- fois saisissante, beaucoup do verve et d'esprit ; dans Cyrano de Bergerac une vive originalité ; dans Du liyer, dans Rotrou des caractères noblement et fortement tracés, des vers écla- tants, des situations dramalic^ues ; mais l'inspiration ne se soutient jamais, et malgré sa verdeur native, la langue est trop incorrecte, trop abruple encore pour racheter par le charme du slïle le défaut d'intérêt ou l'invraisemblance de l'action.

Le Cid fut pour l'art dramatique le signal d'une révolu- tion radicale et profonde. « Celle pièce immorlclle, dit Suard, fut traduite dans toutes les langues, même en espagnol, el dans quelques-unes des provinces de France son nom était passé en proverbe ; on disait : Beau comme le Cid. L'admi- ration qu'inspiraient ses beautés hors de proportion avec tout c« qu'elles laissaient derrière elles, était d'autant plus vive, l'élonnemenl d'autant plus profond, que les émotions qu'elles excitaient arrivaient à l'âme par des routes encore inconnues. »

La protection que Richelieu, qui lui-même aspirait à la gloire dramatique ', et plus lard Louis XIV accordèrent au théâtre, contribua non-seulement à favoriser le développe- ment du génie des auteurs, mais encore à propager le goût du spectacle dans les classes élevées de la société, qui jus- qu'alors auraient cru déroger en prenant leur part d'un j.Iai-

' Gichelieu inreDtait des lujcts de piècei dont il faisait versiGer chaqce a;(4 par QD auteur différent. Cei producttODs se nommèrent : la l'the des Cinq Àv- ynrt; Corneille était du nombre. La tragi-comédie àt ifirama passe poar i\r% Pœuvre nersoBBelle de Hichelieo. On dépcou plus de deux cent mille écue p«ui te Bor'

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DU THEATRE EN EHANCE. • xxv

»ir dont chacun pnuvan punn-r pour son argcnl. Les femmes qui n'auraient pu sans scandale assister aux l'cprosenlalions,- commencèrent à s'y montrer. Ces représentations avaient lieu dans le jour ; elles commençaient vers deux heures et Cnissaient vers quatre heures et demie. La mise en sccno rtail des plus simples. Le théâtre se composait d'une estiade placée sur des tréteaux. Les décora'.ions consis'.aicnl en quel- ques toiles peintes, et l'édairaffe de la salle en quelques mè- ches rangées près de la rampe et alimentées par du suif. Les lofjes, très-mal disposées, laissaient à peine voir et en- tendre les acteurs, et c'est pour cela que les jeunes jjens nohics, ceux que de notre temps on eut appelés les lions, s'asseyaient autour de la scène pour voir et pour être vus. Cet usage persista jusqu'au milieu du dix-huitième siècle, et ce ne fut qu'en 1739 qu'on supprima les hanqueltes qui in- commodaient les acteurs et détruisaient Tillusion.

Dans la se< unde moitié du dis-seplième siècle, Paris poî>- sédail cinq Vnéàtres; mais par déclaration du 2a août ^G80, Louis XIV les réduisit à trois, et c'est " de cedc époque, dit M. Régnier ', que date véritablement la création de la Co- médie l'iauçaisc. Le roi, en fixant le nombre des acteurs, en partaj^eant les gains suivant les talents, en réglant lui- mcnio l'ordre de la nou^ello société- à laquelle il accordait une pension annuelle de 12,000 li\res, introduisit pour l'ave- nir laclion souveraine du pou\oir dans l'administration du Théâtre-Français. » Sous une telle direction, l'art drama- tique s'éleva à une hauteur qu'il n'a jamais atteinte depuis, et il devint une des gloires les moins contestées de l'esprit français.

Corneille avait mis des héros sur la scCne; Racine y mit des hommes, avec toutes leurs faiblesses, toutes leurs pas- sions. Andromaquc fut une révélation comme le Cid, et par cette pièce une nouvelle école fut fondée. « L'homme dans Corneille, dit avec raison M. Nisard , s'immole à une idée, dans Racine, il s'immole à sa passion même, et c'est cette

' Palria. Iltst. du Théâtre en France, p. 2339. — On trouvera , oan« l'cicel- ■<>si travail de M. Rrgnicr, une chronologie fort exacle de* acteurs qui ont illus- Iré la scène françiise depuis 1530 jusqu'à nos jours.

b

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XXVI PRECIS DE L'HISTOIRE

faiblesse, toujours combattue de remords, qui trouble si profondômont notre cœur, et qui en arrache sous la forme de larmes l'aveu qu'il s'agit bien là de nous, cl que ces per- sonnages qui se débattent en vain contre la f^îlalité des pas- sions, c'est nous-mêmes, ce sont ces éternels combats où nous sommes si souvent vaincus. »

Racine et Corneille, chacun dans son genre et avec des qualités différentes, mais toujours avec les qualités du génie, avaient porté le poëme tragique jusqu'aux dernières limites de l'art, et donné des rivaux à Sophocle, à Eschyle, à Shak- speare, à Lope de Vega. Molière dans la comédie se montra le maître d'Aristophane, de Plautc, de Térence, et de tous ceux qui dans les âges modernes ont traduit sur la scène comique les vices, les passions^ les ridicules des hommes. Comme tous les écrivains de son temps, Molière commença par des imitations du Théâtre Italien ou plutôt des farces italiennes. Mais peu à peu son originalité profonde se déga- gea, et il fit vivre dans ses pièces avec une réalité saisis- sante les hommes du dix-septième siècle et l'homme d«  tous les temps. La comédie de caractère et de mœurs, la haute comédie , c'est-à-dire celle qui réunit à la fois l'ensei- gnement moral, la moquerie, la raison, la vérité, l'intérêt, la poésie ; la farce dans laquelle il épuisa la poétique du rire, le drame romantique, Molière a touché à tout, et dans tout il est resté supérieur à ce qui s'était fait avant lui , à ce qui s'est fait après lui. Ainsi, par Corneille, par Mo- lière, par Racine, l'art au dix-septième siècle épuisa eu. quelque sorte l'idéal de l'héroïsme, l'idéal de la tendresse et de l;i passion , et la peinture du cœur humain dans ce qu'il y a de plus profond et de plus vrai.

Un genre nouveau depuis longtemps populaire en Italie, l'opéra, fut définitivement naturalisé en France «n 4672 par la fondation de l'Académie Royale is Musique, qui devait, suivant les expressions mêmes de Lt.uis XIV, compter parmi les plus beaux ornements de son règne. Mazarin, il est vrai, avait fait jouer en ^647, à Paris, dans le Palais-Royal VOrfeô, de Moaleverde. Quelques anaées plus tard, PerrJn et l'organiste Cambert avaient donjé une Pomone qui obtînt UD grand succès; mais il d'| avait là rien de marquant, et

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DU rUEAlKE EN FRAiNGE. xxvn

il élait réservé à Molière, à Corneille et à Qiiinaull ', d'enri- chir notre littérature d'un poëme dramatique de beaucoup eupérieur à ce qui avajt été fait chez les aulrcs peuples '-

L'opéra français à l'origine fut classique coinine la tragë* âi8, ou plutôt il ne fut qu'une tragédie réduite à de moin- dres proportions , écrite en vers libres , et accompagnée dt musique. Sous le rapport littéraire, il eut au dix-sepiièm«  «iécle une supériorité qu'il a toujours gardée depuis.

D;^ nombreux écrivains dramatiques, Gabriel Gilbert, Pousset de Montauban, Brécourt, La Thuillerie, Dorimond, Ferricr de la Marliuière, Chapuzeau , MontUeury, Donneau de Visé, se produisirent à côté de Racine et de Molière, à côté de Corneille après le Cid et Cinna ; quelques-uns rencon- trèrent d'heureuses inspirations; mais ils étaient trop loin des maîtres pour leur disputer la renommée, et dans le nombre il en est qui ne sont aujourd'hui connus que pour les avoir attaqués. Thomas Corneille et La Fontaine lui-même furent effacés par les grands hommes qui exerçaient sur la scène le triumvirat de leur génie.

Après Molière, ses successeurs, qui ne furent jamais ses ri- Taux, Régnard, Destouches, Lesage, Piron, Gresset, Sedaine, continuent avec talent la comédie de mœurs et decaractorei mais en s'éloignant du maître, les véritables poètes comiques deviennent de plus (^n plus rares. Marivaux gâte la comédie par la recherche, la prétention et rafféterie; La Chaussée,

• Quinault a composé trente-deux pièces, tragédies, tragi-come'die», comédies, •péras. Armide, i|iii fui jouée en 1686, est regardée comme son chef-d'œuvre. Ma comédie iniitiilée : tes Rivales, eut un grand nomlire de repiésentatioas. t Lorsqu'il 6t ses premières pièces, dit Ménage, elles étaient tellemeul goûtées el »i fort applaudies que l'on entendait le lirouhaha à deux rues de l'hôtel de Bour- gogae. C'est à l'occasion des Rivales que fut établi le droit de part <!e9 auteurs lur une portion de la recette des comédiens. Auparavant il était débattu aycc les auteurs et une fois payé. >

' On a de Corneille Andromède, la Toison d'Or, el quebiucs passages magai- iques de Piyché, qui fut faite, on le sait, en collaboration avec Molière, Tctf Hist. de l'Opéra, par Durey de Noiuviile, Paris, I7d?-57, 2 vol. '.a-i'. —De POpéra en France, par Castil-Blaie , 1826, 2 vol. \a-è°.

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ixvîii PRÉCIS DE L'HISTOIRE

par lé palhétique fade; Palissot, par le scandale des pcrson- nalilcs. Avec Lanoue, Laujon, l'abbé de Yoiscnon, Dorât, elle ne s'élève plus au-dessus du badinage. Les (hcâtres de musique font oublier les théâtres lilléraircs. Collé, Panard, Favart, Vadé, Salle, Fagan, Moncrif, Sedaine, à rOpéra-Comique; Fontenelle, Dauchet, Duché, Campistron, Lamotte, Marmon- lel, Bernard, à l'Académie Royale de Musique, donnen^une foule de librcUi, dont les noms sont à peine connus de nos jours, et qui, au moment même de leur apparition, durent leur vogue et leur succès, non aux paroles, mais à la mu- sique qui les accompagnait.

Un genre nouveau, le drame, sous le nom de comédie bourgeoise, fit, avec l'école encyclopédique, son avènement sur notre théâtre. Diderot, qui en traça la poétique, joignit 1 exemple au précepte dans le Père de Famille et le Fils naturel. Il eut entre autres pour imitateurs, d'Arnaud Bacu- lard, madame de Graffigny, Saurin, Mercier, Fc-nouillot de Falbert et Beaumarchais. Né de l'imitation de la littérature anglaise et de la préJication philosophique, le drame, quoi- que fort goûté de la foule, trouva de rudes censeurs dans quelques critiques contemporains. Grimm l'accusa d'être atroce, extravagant, sans originalité, et celte accusation est à noter, parce qu'elle fut, de nos jours, à propos de la révo- lution romantique, renouvelée dans les mêmes termes.

Quoique obstinément attachée à la tradition racinienne, la tragédie devint faussement classique. Lagrange-Chancel , Cainpislron, Lefranc de Pompignan, Longepierre, Lcmierre, Poinsinet de Sivry, sont plutôt des dramaturges que des poètes. Lamotte, en voulant rajeunir la tragédie, ne fait qu'a- baisser son niveau. Debelloy en substituant des Français aux Grecs et aux Romains, ne sort pas du vieux cadre, et n'in- troduit sur la scène que des nouveautés de costume. La- fosse, Guimond de Latouche, Crébillon, trouvent encore des inspirations brillantes; mais il n'y a là que des éclairs, et Crébillon lui-même, dans ses pièces les plus vantées, se rap- proche de Sénèque bien plus que de Sophocle. Le seul poêle dramatique à celte date, le seul novateur, c'est Vollaire. Avec un style tout différent do Cornoille et de Racine, il se montre un admirable écrivain. ^1 rencontre jusque dans ses

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DU THÉÂTRE EN FRANCE. xxix

déclamations des bcaulos de premier ordre, et rendant à la tragédie ce qu'elle semblait avoir perdu sans retour, la vie, l'intérêt, l'action, il donne à la France, qui peut déso»- mais compter avec la Grèce, le troisième de ses grands tra- giques.

La Harpe, qui avait débulé en 1765 par Warwick, et Du- cis qui débuta en 1709 par Hamlet, obtinrent tous deux, il côté des succès éclalanls de Voltaire , un succès d'estime. Quant à la comédie, elle eut, avec CoUin d'llarle\ille et An- drieux, un retour assez marqué vers le naturel et l'obser- vation , et par le Mariage de Figaro, composé en 1780 et joué en t784, elle entra dans une phase entièrement nou- velle. Louis XVI, qui devinait la portée de cette œuvre, œ voulait point la laisser jouer. « Eh bien ! dit Beaumarchais, le roi ne veut point qu'on représente ma pièce, et je jure, moi, qu'elle sera Jojce dans le chœur de Notre-Dame. » C'est qu'en effet Figaro était le véritable prologue de la révolu- lion; cl quand il parut sur la scène, la société qu'il écrasait sous l'insulte se reconnut elle-même, et assista en applaudis- sant au spectacle de sa propre agonie.

La révolution avait trouvé son prophète dans Beaumar- chais ; dans Marie-Joseph Chénier elle trouva son poêle. Charles IX, qui marque l'avénement de la tragédie révolu- tionnaire, fut donné le 4 novembre 1789. Avant le lever du ri- deau un orateur du parterre demanda que tout perturbateur fût livré à la justice du peuple. Mirabeau de sa loge donna le signal des applaudissements, et Danton s'écria aux der- nières scènes : « Si Figaro a tué la noblesse , Charles IX tuera la royauté '. » II fallait , pour réussir, s'adresser aux passions populaires, et les écrivains, avides avant tout du succès, s'empressèrent de sacrifier l'art à la déclamation po- litique. La scène de\int une annexe des clubs, et on peut ju- ger de l'esprit des pièces , tragédies , drames ou comédies , par leurs titres seuls : Mutins Sccvola, les Victimes cloi- trèes, les Rigueurs du Cloître, les Dragons et les BénédiC' Unes, le Tribunal de i Inquisition dévoilé, etc. 2,

• Toyei Ch. LabiUe, Êtudet litUraire$, t. Il, p. 28.

  • Voir : Hist. du Theà"^ -e-waniMij pendant ta révolution, par Blienne el eu»

•taTillc, Paris, 1804, 4 vol. in-lâ-

6.

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XM PRECIS DE L'HISTOIRTÇ

Au milieu de ce dévergondage et des atrocités de la ter- reur, OH vit se produire un phénomène assez étrange : l'en- gouement pour les pièces dirigées conlre la superslition et la tyrannie, marcha de front avec un goût très-vif pour les comédies sentimentales et les fadaises pastorales.

A la chute de Robespierre, la réaction dramatique, dont la belle pièce de Laya, l'Ami des Lois, avait donné le si- gnal, éclata avec une force nouvellei. L'Intérieur de» Comilés révolulionnaires , par Ducancel, joué au moi* d'avril 4793, ût voir combien l'esprit public était changé, et avec quelle énergie la conscience de la nation réprouvait les excès qu'elle avait eu l'inconcevable lâcheté de subir. Au Grand-Opéra, à l'Opéra-Comique, aux Français, on pouvait se croire transporté dans les jour^ les plus paisibles du dix- huitième siècle. « Ou y retrouvait, dit Nodier, les lamen- tables rois des bicoques du Péloponèse, les sémillants mar- quis de lŒil-de-bœuf, et ce fripon de Laflour, comparses éteruels des drames classiques, tant soit peu dépaysés dans une société mutilée et sans formes, où il n'y avait plus de valets, plus de maîtres, plus de marquis et plus de rois. C'étaient toujours Biaise et Colin, chargés de Heurs artifi- cielles et chamarrés de rubans, qui soupiraient mollement les ariettes doucereuses de Dalayrac et les couplets sucrés de Demoustier^. » Ainsi, la révolution qui avait changé tant de choses, fut siérilc pour le théâtre, et l'on peut dire en- core, avec Nodier, qu'il n'existe pas dans Ihistoire de l'art une époque où il soit resté phis inertement staiionnaire, plus éloigné de l'esprit d'innovation, plus fidèle aux règles et aux exemples des classiques.

La génération dramatique qui grandit sous le consulat, et se continua sous l'empire et dans les premières années de la restauration, doit occuper dans notre répertoire du second ordre un rang distingué. Picard, Alexandre Duval, Etienne^ Roger, dans la comédie de mœurs et de caractère; Lemcr-

' Voir sur le l'jmiiUe et les débats Irès-virs auxquels donna lieu la représenta- tion de l'Ami dts Lois, l'articfe Lata, de M. MartiD Doisy, dans la Diographit universelle.

' Kodier, Souienits de la Bévoîation et dt l'Empire. Paris, Cbarp«Bt «r, I8i0^ 1. 1, p. 3S2 et suiv.

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DU THÉÂTRE EN FRANCE. xxu

cier, dans la comédie historique, obtinrent de légitimes suc- cès; Désaugiers , Piis, Radct, Chazct, Desfonlaincs, for- mèrent un groupe de vaudevillistes très-spirituels, et les Jocrisses de Dorvigny peuvent soutenir la comparaison avec ce qui s'est fait de mieux dans le genre de la bêtise amusante.

La plupart des autours qui travaillaient pour la comédie et le vaudeville, travaillèrent aussi pour l'Opéra-Comique ei le Grand-Opéra. Dalayraç, Chorubini, Berton, Délia Maria, Nicolo, Spontini, Lesueur, Méhul, jetèrent sur ces théâtres le plus vif éclat. Dans un genre tout différent, Pixérécourt créa par le mélodrame de véritables tragédies populaires; et le mélodrame, il faut le reconnaître, eut, sous la plume de cet habile dramaturge, une influence heureuse, parce qu'il sut toujoiu's le maintenir dans une excellente voie mo- rale. La tragédie classique ne fut pas non plus déshéritée. Esprit souvent bizarre, mais inventif et puissant, Lemercier, dans Afjamcmnon, fit entendre comme un dernier écho du drame antique, et Raynouard, par les Templiers (I80o), se fît une place à part dans l'école cornélienne. Le Marias à Miniurnes, d'ArnauU; Vlleclor, de Luce de Lancival, et V Artaxerce (\e Oeiricu, offrirent aussi dans le classicisme pur des qualités distinguées. Quant aux acteurs, ils se mon- trèrent dignes des grandes traditions de l'école dramatique du dix-huitième siècle. Il suffit de nommer Fleury, Grand- ménil, les deux Baptiste, Michot, mesdemoiselles Duchesnoy, Georges, Leverd, et à leur tcle mademoiselle Mars et Talma. Mais ce n'est pas seulement comme acteur que ce dernier doit occuper une place à part dans l'histoire du Théâtre fran- çais, c'est aussi comuic réformateur du costume et de I?. mise eu scène.

Dans les premières années de la restauration, le Théâtre resta, à peu de chose près, ce qu'il était sous l'enipiie. La tragédie classique se continua par Lebrun, Soumet, Ancelot, d'Avrigny, de Jouy, Arnault fils, jusqu'au moment où Casi- mir Dolavigne vint la rajeunir par un mouvement de scène plus animé et la simplicité d'un style élégant et pur. Nova- teur encore timide, mais toujours applaudi parce qu'il expri- mait de nobles sentiments dans un noble langage » Delà-

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ixxu PRECIS DE L'HISTOIRE

vigne ne larda point à être dépassé par les véritables révolu- tionnaires. La réaction contre les trois unités commença, en 182o, par une comédie-vaudeville, Julien ou Vingt-cinq ans d'cnlr'acte; elle se continua par un mélodrame célèbre, Trente ans ou la Vie d'un Joueur ; enfin, en 1829, M. Hugo, dans la préface de Cromwell, proclama l'avènement d^'ua nouveau poëme dramatique dans lequel le laid et le beau, le [jrotcsvjuc et le sublime, l'observation et la fantaisie, le rire et les larmes devaient se mêler comme ils se mêlent dans ce monde, et donner une exacte représentation de la vie hu- maine, avec tous ses accidents et ses contrastes. Ce fut là le véritable signal de cette guerre des classiques et des ro- mantiques qui rappela, par soa ardeur, la guerre des gluckistcs et des piccinistes, La tragédie classique fut ou- bliée pendant près de dix ans. En ]S2d elle avait encore lonné onze pièces nouvelles ; elle n'en donna que sept en 1859, deux seulement en !832, et en 1853 elle avait dis- paru à peu près complètement^. Lucrèce Borgia, Hernani, Henri ///, la Tour de Nesle, galvanisèrent le public pen- dant quelques années, en le blasant par l'excès même des émotions ; mais on ne tarda point à reconnaître qu'en vou- lani élargir les horizons de l'art, on avait fini par en violer toutes les règles. En effet, on appela l'attention des specta- teurs, dans les vieux temps, sur les classes maudites ou dé- gradées, dans les temps modernes, sur des êtres avilis par le vice ou le crime. A défaut de vrai talent pour émouvoir le public , on le séduisit par des artifices de scène et on l'étouna par un cynisme brutal. La morale, la vérité, le naturel, la noblesse des sentiments, furent mis de côté avec indifférence, on pourrait dire avec mépris. On s'adressa aux plus mauvais instincts; on caressa les passions les plus dau-

' Déjà CD 1831 , notre ancien répertoire e'iait tellement en défaveur auprei di poblic, qu'un spectacle composé du Tartuffe ul du Legs, de Marivaui, fil ea- Irer dans la caisse la somme de 58 francs et quelques centimes.

'Pans dii pièces seulement le drame a mis en scène huit femmes adultères, cinq Biles perdues d'un étage plus ou moins élevé, six Glles séduites, deux jeunei Slles de bonne niaisou qui accoucbeut dans une pièce voisine du théâtre, troii (emmes qui se déshabillent à moitié devant le public, quatre uières épri^^es ds leurs fils, six bâtards qui déclament contre la iocu;të, onze amaDtt od aal» treisos qui coiu'neltenl des assassiaits.

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DU THÉÂTRE EN FRANCE. xxxin

goreust's , pour enlever des succès et faire des recettes. La dramo moderne a été l'une des causes les plus actives éS cette décompositioa morale à laquelle nous assistons depuis vingt ans, et pour la caractériser on ne peut mieux faire que de rappeler le mot lancé par Tertullien dans son élo- Hcnte malédiction contre le théâtre du paganisme : Trage- diœ , scclerum cl libidinum actrices, crAcnlœ et lascivœ*.

Depuis, une réaction très-vive s'est opérée contre ces excès. Fn 1859 on vit reparaître sur les affiches du Théâtrc-FraD«  çais, avec le concours d'une jeune et grande tragédienne, Andromaque, Milhridate, Cinna, Polyeiicte, Phèdre ; et celli renaissance des chefs-d'œuvre classiques entraîna de nouveau sur les pas des maîtres une foule d'imitateurs, parmi lesquels il ne s'est pointencore révélé, jusqu'ici, un seul poëte tragique vraiment digne de ce nom.

Dans la comédie de mœurs et de caractère, les succès vraiment littéraires ont été obtenus, on le sait, par Casimir Dela^igne et par M. Scribe. L'École des Vieillards, la Po- pularité, Bertrand cl Raton, le Verre d'eau, les proverbe» de M. Alfred de Musset, et la comédie de iM. Jules Sandeau : Mademoiselle de la Sciglicre, peintures exactes et vives de» mœurs de notre temps, se placeront, sans aucun doute, à côlé des pièces telles que Turcarel, la Mclromanie , le Mé- chant, qui forment, au-dessous de Molière, l'héritage durable de notre répertoire. Mais, par malheur, les grandes compo- sitions comiques sont devenues de plus eu plus rares, et cela devait arriver, du moment où l'art a été exploité par les écrivains comme une spéculation purement mercantile. On a escompté les succès littéraires contre les succès d'argent , et remplacé les grandes pièces par les pièces de fantaisie, comé- dies-vaudevilles, vaudevilles, revues, pochades, etc., parce que c'était de ce coté qu'il était le plus facile de réaliser des bénéfices. Dans un espace de dix ans, de 1835 à •l8{o, les huit cents auteurs qui alimentent uds théâtres ont donné trois mille vingt-deux pièces nouvelles , dont deux mille quatre-vingt-trois vaudevilles et comédies-va*

Ut iragedies, «iguilîon des criaïi ei des pasiioM, cru.'lSe» et obscèa»

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XXXIV PRÉCIS DE'L'IIISTOIRE

devilles, et ces chiffres parlent assez haut pour n'avoir pas besoin de commentaires. Cette tendance au gaspillage du talent et de l'esprit est d'autant plus regretlablc, qu'on a souvent dépensé en pure perte, dans les pièces les plus lé- gères, véritables improvisations que les auteurs eux-mêmes n'estiment qu'au prorata de ce qu'elles rapportent, plus de verve, d'observation fine, de mordante ironie, qu'il n'en cqt ûillu à des écrivains plus patients et plus soucieux des véri- tables intérêts de l'art pour produire des œuvres durables, et cependant, malgré celte prodigalité folle et ce mercan- tilisme éhonlé, c'est encore notre répertoire comique qui dé- fraye aujourd'hui les théâtres des peuples civilisés. La plu- part de nos vaudevilles et de nos comédies-vaudevilles ont amusé l'Europe après avoir amusé Paris, et ici, comme tou- jours, nous régnons encore par nos futilités.

Dans la route si longue que nous venons de parcourir, l'art dramatique, on le voit, a traversé chez nous des phases bien diverses. A l'origine, il est, comme chez les Grecs, un enseignement religieux, et le drame embrasse la création tout entière. Exclusivement guidé par la foi qui l'inspire, il marche au hasard à travers l'infini. Quand le mysticisme a replié ses ailes, il redescend sur la terre, et semble mèiue se convertir au paganisme. Il demande ses modèle» à l'Italie, et non-seulement à l'Italie de Piaule, de Sénèque et de Térence, mais à l'Italie toujours païenne de Boc- cace, du Pogge, de Machiavel et de Bibbiona. Dans cett«  grande époque du scepticisme et de l'érudition, il est ^rudit et railleur, sans idéal, sans originalité, et toujours ef- facé par ceux qu'il reproduit et qu'il imite. Au dix-sep- tième siècle il imite encore, mais original et créateur à la fois, il s'ouvre à tous les grands sentiments : il est romain, grec, chrétien, profondément vrai, profondément humain, et c'est là ce qui fait sa grandeur. Transforme, au dix- buitième siècle, en organe de prédication philosophique, ii

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DU THÉÂTRE EN FRANCE. six^

Irfivaille à démolir ce vieus "u^onde qui doit s'abîmer bientôt ians un immense naufrage. Ce n'est plus le cœur, la passion qui l'inspirent; c'est l'esprit, et son défaut c'est l'excès même de cet esprit. Dans les jours troublés de la révolution, il est orageux, désordonné comme un club ou comme uoe émeute, déclamatoire comme un discours de la Convention, et presque toujours faux, parce qu'il exagère toujours dans la politique comme dans le sentiment. — Méthodique et ré- gulier sous l'empire, il emprunte ses règles au vieux cla^i- cisme ; enfin, depuis vingt ans il a tenté tous les essais, comme la société elle-même tentait tous les systèmes : nous l'avons vu tout à la fois religieux , chevaleresque , classique , parce qu'une partie de cette société était conservatrice ot s'atta- chait aux traditions; romantique, c'est-à-dire révolutionnaire en littérature, parce qu'une autre partie était profondément révolutionnaire en politique; atroce, parce qu'il s'adressait a un public blasé; obscène, parce qu'il avait besoin, pour réussir, de flatter les instincts dépravés des populations cor- rompues d'une grande vi41e. Il a été fécond plus que dans une aulre époque, parce qu'il était dcNcuu mercantile, et qu'il devait en être ainsi dans un temps qui a fait son dieu de l'argent. Au milieu d'une foule de productions destinées à ne vivre qu'un jour, il a donné des œuvres durables, qui se placeront incontestablement à côté de ce qu'il y a de plus élevé dans notre répertoire du second ordre ; mais dans tous les genres vraiment littéraires il est resté inférieur au Théàlre du grand siècle de toute la distance qui sépare le talent du génie; et par les solennels hommages qu'il a ren- dus à Molière, il a semblé reconnaître que c'était à ua autre temps qu'il devait dcjjuinder sa gloire impérissable.

Charles Louansbs. Mai, issa

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J.-B. POOUELIN DE MOLIÈRE

Dans un excelîcnt morceau de critiqi:c littéraire co»»- sacré au grand écrivain dont nous reproduisons les œu- vres*, on lit celle juste remarque : « Il y a dans l'exis- fence de Molière, qui a beaucoup écrit et que son n^.étier s longtemps tenu en vue, celte double singularité qu'i! n'a pas laissé une seule ligne de sa main, que nul de ses contemporains, de ses amis, n'a rien recueilli, rien communiqué au public de sa personne*, et que le pre- mier ouvrage où l'on prétendait raconter la vie de l'auteur illustre, du comédien populaire, est de 1705, poslérieur de Irenlc-deux ans à sa mort... De là il est résulté que n'ayant pas à s'aider des ressources si pré- cieuses de la correspondance privée, la biographie, qui, de sa nature, n'aime pas à s'avouer ignorante, n'i pu que ramasser, pour guider sa marche, des souvenirs lointains, des traditions incertaines, dont les lacunes encore ont dû être remplies par des fables, »

Les fables, en effet, n'ont pas manqué. La Vie de Gri- Biarest,tantde fois réimprimée, est remplie d'anecdotet suspectes ; et cependant cette Vie a été longtemps la source unique à laquelle ont puisé les biographes. Le dix-huitième siècle s'en était contenté, car il était moins occupé que nous des détails intimes. Mais l'admiration

•Bazin, ^otes hifl/riques sur la vie de Molière, deuxième édi- tion. Paris, 1851. Avant-propos, p. 3.

  • 11 faut excepter l'édilion Lagrange, de 1682, qui donne q^S£^

ques détails biogiaphiques

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ixxna J.-B. POQUELIN DE MOLIÈRE.

loujours croissante qu'inspirait l'auteur du Misait- tlirope, du Tartuffe et de l'Avare, a rendu de plus en plus vive la curiosité pour sa personne; il a grandi de toute la hauteur qui le sépare des écrivains <jui l'ont suivi , ot de même que tout un cycle légend£.ire se for- mait au moyen âge autour des héros chevaleresques, de même il s'est formé de notre temps, autour de la mémoire de Molière, toute une école de scoliastes et de critiques qui n'ont épargné ni le temps ni les recherches pour reconstruire, dans ses aspects les plus divers, l'existence de l'incomparable écrivain. MM. Beffara, Taschoreau, Bazin, Edouard Fournier, E. Soulié, et d'autres chercheurs infatigables ont fouillé les archives publiques, les registres des paroisses, les études des notaires de Paris ; ils ont contrôlé et reetifié, les uns par les autres, tous les témoignages contemporains, et grâce à celte longue et pénétrante enquête, on peut faire aujourd'hui une part beaucoup plus grande à U vérité.

Nous aurions écrit tout un volume, et même plusieurs volumes, si nous avions suivi pas à pas les modernes historiens de Molière dans l'immense détail des faits qu'ils ont accumulés ; car, tout ce qui louche de près ou de loin à ce grand homme, ses ancêtres et ses des- cendants, les derniers héritiers de son nom, sa femme et les acteurs de sa troupe, les plus humbles employés de son théâtre, sa maison, sou fauteuil, sa tombe, ses portraits, les rares documents qui portent quelques lignes tracées de sa main, tout est devenu sujet de bro- ' chures et de dissertations. 11 y avait beaucoup à choisir dans ces nombreux documents, où l'érudition littéraire abuse quelquefois des infiniment petits et donne au public plus qu'il ne lui demande. iNous avons donc choisi avec le plus grand soin, sans négliger aucun lait essentiel ; et c'est en demandant à tous ceux qui nous ont parlé de Molière ce qu'ils savaient d'intéres- sant que nous avons rédigé celle bio^r«"<)hie. Pour

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J.-B. POQUËLIN DE MOLlÊRE. ïixis

la rendre plus rapide et plus claire, nous en avons séparé la partie purement littéraire; d'autres notices, placées dans le courant de l'ouvrage, en tête de chaque pièce, offriront l'historique des divers incidents aux- quels ces pièces ont donné lieu, ainsi que l'analyse ou la reproduction textuelle des jugements les plus remar- quables qui en ont été portés depuis le dix-septième siècle jusqu'à nos jours.

On aura donc ainsi, au début de ce livre, l'histoire de Molière et de sa personne, et dans le courant du livre l'histoire de son œuvre, écrite par ses contemporains et les maîtres les plus autorisés de la critique modcnie.

Le 27 avril 1621, un tapissier de Paris, Jean Poque- lin, épousait dans l'église Saint-Eustache une jeune femme, Marie Cressé, dont les parents exerçaient la même profession. Le mari apportait en dot son fonds de commerce estimé deux mille livres, et produisant deux cents livres de bénéfice ; la femme apportait une somme égale. Le jeune ménage habitait alors une mai- son connue sous le nom de maison des Cygnes^, ainsi nommée d'une ancienne sculpture qui en ornait la fa- çade '.Cette maison était située à l'angle des rues Saint- Honoré et des Vieilles-Etuves, et c'est là que naquit au mois de janvier 1622, l'immortel écrivan; voici son acte de baptême, découvert, en 1821, par Beffara sur les registres de Saint-Eustache :

« Du samedi 15 janvier 1622, fut baptisé Jean, fils

• Il n'est pas besoin de rappeler qu'avant le numérotage, les maisons étaient désignées chacmie par un nom particulier, pro- venant d'une enseigne, d'un réLus ou d'une image sacrée ou pro- fane figurée sur leurs façades.

  • Eud. Soulié, Recherches sur Molière et sa famille. Paris,

1863, in-8, p. 1-2. — Beffara, Dissertation sur Molière, p. 6. —

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IL J.-B. POQUELIN DE MOLIÈRE.

(le Jenn Pouguelin, tapissier, et de Marie Cvessô, sa ("emme, demeurant rue Saint-Honoré; le parrain, Jean Pouguelin, porteur de grains ; la marraine, Denise Les- cacheux, veuve de feu Sébastien Asselin, vivant mar- chand tapissier'. »

Les premières années de Molière, comme celles de la plupart des enfants nés dans un rang obscur et des- tinés à la gloire, ne sont point connues; on sait seule- ment qu'il perdit sa mère en 1632; qu'il avait à cette date u!ie sœur et deux frères, et qu'il eut comme eux pour tuteur son père, et pour subrogé-tuteur son grand père maternel, louis de Cressé*.

« Celui-ci, dit M.- Soulié, avait à Sainl-Ouon, dans la grande rue de ce village, une belle pi oprièlé avec cour, établcs et jardin ; c'est là que le dimanche, dans la belle saison, on devait conduire les enfants pour res- pirer un air plus pur que celui du vieux Pans. Les époux Poauelin y avaient une chambre confortablement

On a dit lonp:tomps que Molière était né en lG20ou lu-21 sous les piliers des Halles. Ce qui a donné lieu h cette tradition, c'e>l que son père avait aclielé une maison dans ce quartitr le 50 septem- bre ÎG53, et qu'en effet Molière y a demeure dans son enfance; la maison où il est né est aujourd'hui connue; mais elle a été en- tièrement reconstruite, et maintenant elle porte le 11° 96 de la rue Sainl-IIonorè. Voir les lleckerckcs de M. Soulié, page 14 et suivantes. — Il est parlé, dans le Musée des monimicnls français, t. 111, p. 27, d'une maison située au coin des rues >aint-llcinoré et des Vieilles-Étuves, Làtie en l'an l^JOO et démolie en 1802. C'est probablement celle de la naissance de Molière.

' Le parrain Jean Poug^uelin était aïeul paternel de Molière. Le véritable nom de cette famille était Po(iuelin; mais les registres de l'état civil, fort mal tenus alors, portent tantôt Pouguelin, et tantôt Pocguclin, Poguelin, Poguelin, Pocquelin, et même Pociin, toclain et Pauquclin.

(Taschereau.)

  • M. Soulié remarque que dans l'acte de mariage du père d«

notre poëie, la particule de figure devant le nom de la mère, nais qu'elle signe Marie Cressé, tandis que leur grand-père signe Louis de Crcssé, et garde la particule dans tous les documents où Il /ii;ure.

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J.-B. POQUELIN DE MOLIÈRE. xu

installée, et l'on n'y avait oublié ni les boules do bois qui servaient aux enfants, ni la paire de verj^es avec lesquelles on les fouettait*. 6

Un inventaire dressé au mois de janvier 1653, huit mois après la mort de Marie Cressé*, nous montre la l.irnille de Molière jouissant d'une grande aisance. Les fjiuilre mille (puiire cents livres qui formaient la dot en 1021 ont rapidement fructifié; la boulique est garnie de bonnes marcbandises; les appartements sont meu- blés avec luxe; les bagues et joyaux de Marie Cressé pourraient faire bonne (Ignre dans l'écrin des plus no- bles dames. L'enfant élevé au militju de ce confortable boLiri,'ecis en conservera le souvenir. Il aimera les in- »t;illalions élégantes; et en écriv;mt IcsFemmes savantes, il se rappellera le gros Plutarque de la maison des Cijfjnes, où son père mettait peut-être ses rabats, et qu'il devait garder toute sa vie, comme tous ceux qui oui le respect des morts gardent les vieux meubles et les vieux livres.

Si l'on en croit quelques Llograpbes, le père de Mo- ]}èro, bomme dur et borné, aurait tout fait pour étouf- fer i intelligence naissante de son fils; il ne lui permet- tait pas de regarder bors de sa boutique, il ne voulait pas qu'il .';pprit autre cbose qu'à lire, écrire et comp- ter. Par bonbeur pour la gloire de la France, l'aïeul paternel Jean Poquelin, qui aimait le tbéâtre, aurait conduit souvent son petit-fils à l'bôtel de Bourgogne. Ce serait là que se serait éveillé son génie. Ce roman de la vocation de notre poète ne manque pas d'inftrêt, mais il ne repose sur aucun document précis, et ce qui concerne l'aïeul paternel est complètement controuvé, attendu que le digne homme était mort en 162G, que Jean-Baptiste alors n'avait que quatre ans, et qu'un en-

  • Recherches, 16, 17.

• Cet inventaire existe à Paris dans l'étude de M* Thomas. E est reproduit pai- M. Sou lié, p. 130 et suIt.

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lui J.-B. POQUELIN DE MOLIÈRE.

fant de cet âge, en supposant qu'on Teùt conduit au théiUre, ne pouvait s'enthousiasmer pour les acteurs Jusqu'à vouloir se faire acteur lui-même. Toutes ces anecdotes doivent donc être écartées comme apocry- phes, et lorsqu'on cherche les faits positifs, les détails suivants sont les seuls auxquels on puisse ajouter foi:

Les premiers biogra].hes de Molière sont tous d'ac- cord sur ce point : qu'il fit ses études à Paris, au col- lège de Clermont, qu'il suivit les écoles de droit, et se fit recevoir avocat. Ce fait est constaté par ses ennemis eux-mêmes, qui en parlent dans un esprit de déni- grement, et voici ce qu'on lit dans un pamphlet du dix-septième siècle :

En qunranle, on fort peu de temps auparavant,

Il sortit du collège âne comme devant;

Mais son père ayant su que moyennant finance.

Dans Orléans un âne o!)tenoit sa licence,

Il y mena le sien, c'est-à-dire ce fieux

Que vous voyez ici, ce rogue audacieux.

lUendoclora donc moyennant sa pécune.

Et croyant qu'au barreau ce fils l'eroit fortune»

Il le fit avoc:it, ainsi qu'il vous a dit,

Et le para d'habits qu'il Ht faire à crédit.

Mais de grâce admirez Tétrange ingratitude,

Au lieu de se donner tout à fait à l'élude

Pour plaire à ce bon père et plaider doctement,

Il ne fut au Palais qu'une fois seulement *,

D'après une tradition fort accréditée, Molière aurait éludié la philosophie sous Gassendi, et il aurait eu pour condisciples Dernier, llesnault, Chapelle, Cyrano de Bergerac et lé prince de Conli, frère du grand Condé, mais, ainsi que le dit M. Soulié, rien ne vient

1 Elomijre Hypocondre ou le$ Médecins vengés. 1670, in-12, p. 75.

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J.-B. POQUELiN DE MOLIÈRE. jlui

confirmer ou démentir ces faits. La seule chose qui reste acquise, c'est qu'il reçut une bonne éducation cla-^sique, ce qui n'empêcha point son père de lui mé- nager la survivance de la charge de tapissier ordinaire du Roi, qu'il avait obtenue, parait-il, quelque temps après son mariage'. Les commentateurs se sont livrés à de nombreuses

• Dans noire première édition, nous avons cité un passage dans lequel M. Bazin dit que l'on s'est étrangement inépiis sur lesens et la portée de ce fait. « On a vouluy voir, dit l'éci'ivain quenous venons de citer, une sorte de contrainte paternelle, qui condam- nait d'avance ce fils à un vil emploi, qui le vouait par anticipation au service domestique, et lui traçait son humble destinée. Il y a tout autre chose, et bien mieux que cela, dans la précaution du père et dans la libéralité du roi Faire pourvoir son fils en survi- Tance de la charge dont il élail devenu titulaire, c'était lui ec transmet're dès lors la propriété, le faire maître d'un patrimoine, empêcher qu'après la mort du père cette charge ne fût un bien perdu pour sa succession, l'héritier préféré s'en trouvant déjà saisi C'était donc avantager celui-ci d'une chose certaine et so- lide; car, la mort du titulaire arrivant, lesurvivancier pouvait, à son choix, exercer la charge ou la vendre, en user ou en pro fiter. » M. Taschereau, n'est point de cet avis.

« Il est impossible, dit-il, d'admettre, avec MM. Bazin et Louan-» dre, que le père de Molière l'ait fait recevoir en 1G")7 survivan.^ cier de la charge de tapissier du rozsans le destiner absolument i ce métier. S'il s'était agi d'une charge de valet de chambre simplement, le dire de M. Bazin pourrait être admissible, car un colonel, un capitaine de vaisseau, un fonctionnaire quelconque pouvait, outre sa fonction, remplir à son tour la charge fort peu spéciale de valet de chambre du roi. Il n'y avait pas là un long apprentissage à faire, un métier à apprendre. Mais les valet» de chambre tapissiers.. c'est V Etat de la France qui nous l'apprend, devaient savoir raccommoder les meubles du roi et étaient app». lés à en faire de neufs. Par conséquent, en même temps que 1% père de Molière faisait recevoir son filssurvivancier, force lui était donc de lui faire faire ou compléter son apprentissage de tapis- sier. Reste-t-i! jour là à des vues ultérieures? »

Nous avons cru devoir placer ces remarques sous les yeux de nos lecteurs, car l'auto; ité de M. Taschereau est d'un trop grand poids pour que nous ne la prenions point en grande consi' déralioo.

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xiiT i.-B. POQUELIN DE MOLIÈRE.

discussions pour savoir si Molière avait réollemenl exercé -la profession à laquelle il était destiné. Quelques-uns l'assurent :

« (juand il eut achevé ses études, dit Grimarest, il fui obligé à cause du grand âge de son père d'exerf.'er sa charge pendant quelque temps, et même il fit le voyage de IS'arbonne à la suite de Louis XllI. » A cette assertion d'un écrivain dont le témoignage est souvent suspect, M. Soulié répond :

« Les découvertes de Beffara ont démontré qu'en 1642, époque de ce voyage, le père de Molière avait au plus quarante-sept ans, et que par conséquent ce n'est pas son grand âge qui put l'empêcher de faire son ser- vice auprès du Roi ; mais il ne serait pas impossible que Molière, âgé de vingt ans, eût été tenté de rempla- cer son père et de profiter de cette occasion pour par- courir une partie de la France... »

« M. Emmanuel Raymond * a trouvé des indications qui lui ont fait supposer que Molière était à la suite du roi les 21 avril et 10 juin lors de son passage à Sigean, et a cru le reconnaître dans un jeune valet de chambre qui figure à Narbonne au procès-verbal de l'arrestation de Cinq-Mars ; mais ces faits sont loin d'être suffisam- ment prouvés. Cependant il n'est pas inutile de faire remarquer qu'en étudiant l'itinéraire de Louis XllI de- puis le 27 janvier 1642, jour de son départ de Saint- Germain, jusqu'au 23 juillet suivant, date de son râ- leur à Fontainebleau, on voit le roi s'arrêter ou séjourner dans des villes telles que Lyon, Vienne, Nîmes, Pézénas, Béziers, Narbonne, où Molière viendra un peu plus tard jouer ses premières comédies. Rappelons-nous aussi que le second trimestre de l'année affecté au service de Jean Poquelin comme tapissier du Roi, se trouve com- pris dans la période de temps que dure l'absence de

  • Histoire des pérégrinations de Molière dans le Languedoc. 1858,

ln-12.

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.-D. POQUELIN DE MOLIËRE. ilt

Louis XIll ;' cette circonstance donne encore à penser que Jean Poquelin se sera fait remplacer, pendant les Diois d'avril, mai et juin 1G42, parson fils aîné quiav^it !a survivance de sa charge*, h

Qy\o\ qu'il en soit, le 6 janvier 1643, Molière recon- naît par ('.ne lettre et par une quittance avoir reçu de son père la somme de six cent trente livres en avance « tant de ce ((ui lui pouvait appartenir de la succession de sa mère qu'en avancement d'hoirie future de sondit père, ([u'il auroil prié et requis de faire pourvoir de ladite charge de tapissier du roi dont il avoit la survi- vance, tel autre de ses enfants qu'il lui plairoit, et se seroil démis de tout droit qu'il y pourrait prétendre, pour en disposer pnr sondit père ainsi qu'il verroitbon êlr.!-. »

Cette fois le îlîtur auteur du Misanthrope a rompu pour toujours avec la profession de sa famille. Il va où son inclination le pousse; et «"nmme le dit un de ses historiens, Donneau de Visé, il se juite dans la comédif

  • ([iioi(ju'il se pût bien passer de cette occupation, et

qu'il eût assez de bien pour vivre honorablement dans le monde. »

Nous laisserons à l'un des écrivains de notre temps qui connaissent le mieux Molière et qui en parlent avec le plus de charme, à M. Edouard Fournier, le soin de raconter les débuts du grand homme dans la carrière dramatique :

« 11 lui fallait un théâtre, et il se chercha des acteurs. Son père mit tout en œuvre pour le détourner de cette résolution. « Il le fit solliciter, dit Perrault, par tout ce « qu'il avoit d'amis, promettant, s'il vouloit revenir chei 4 lui, de lui acheter une charge telle qu'il la souhaite-

' Recherches, p. 24 et 23,

•La lettre et la quittance sont analysées dans l'inventaire aprèj décès de Jean Pocquelin. Elles se trouvaient dans une liasse cctée : Mémoire de ce que j'ai déboursé et payé pour mon fils aîné. Voy. Soulié, Recherches, p. 227.

e.

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XLYî l.-B. POQUELIN DE MOLIERE,

€ roil, pourvu qu'elle n'excédât pas ses forces. » Rien n'y fit. Poquelin n'avait plus d'obéissance que pour sa vocation. L'état qu'elle lui ouvrait lui semblait le seul qu'il fût capable de bien tenir, et il trouvait d'ailleurs que c'était le plus beau, le plus noble du monde.

« Le roi, par une récente ordonnance, enregistrée au parlement le 16 avril 1641, n'avait-il pas relevé le mé- tier de comédien du mépris où le reléguait le commun préjugé, et n'avait-il pas notamment déclaré qu'il ne pouvait plus être « imputé à Ijlâme ? » Je répondrai que cet édit de 1641, la seule chose peut-être qu'il eût hautement appréciée dans l'étude qu'il fit des lois, eut quelque part dans la résolution qu'il prit l'année sui- vante. C'était une arme contre le préjugé dont son père soutenait son mauvais vouloir à l'endroit du théâtre, et vis-à-vis de lui-même il pouvait s'en faire aussi une sorte de justification de sa désobéissance. Il lui était désormais permis, en effet, de déclarer, en vertu d'une ordonnance royale, qu'on ne dérogeait pas en se met- tant au théâtre, et que, pour lui, par exemple, l'emploi de comédien pouvait fort bien se concilier avec la charge de tapissier du roi, dont il avait la survivance.

« L'influence de l'édit de 1641 fut sans doute aussi pour quelque chose dans l'assentiment que donnèrent à ses idées de théâtre « plusieurs enfants de famille, qui, par son exemple, dit le comédien Marcel, son pre- mier biographe, s'engagèrent comme lui dans le parti delà comédie.» Poqueliu eut ainsi une troupe, et comme par la qualité de ceux dont il l'avait formée, elle se distinguait de la plupart des autres, composées de gens d'assez basse espèce, il crut, pour lui conserver son rang par uti titre à l'avenant, pouvoir lui donner celui d'Illustre Théâtre. Le mérite des acteurs ne répondait pas malheureusement à leur qualité. Tant qu'ils jouè- rent gratis, et sans doute aux dépens de la petite for- tune de Poquelin. on les toléra ; mais lorsqu'ils préten- dirent à des receltes, ce fut autre chose. Le petit théâtre

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J.-B, POQUELIN DE MOLIÈRE. iltii

des fossés de Nesle eut alors de fâcheuses journées. On y avait ai'plaudi pour rien, on y siffla pour do l'argent. Après ct'tte épreuve, et sans doute après plusieurs autres non moins douloureuses, car je suppose que si son amour-propre pâtit des déboires du comédien, sa bourse souffrit de même des mésaventures du directeur, et que celte première entreprise n'alla pas pour lui sans de grosses dettes, peut-être même sans quelques pour- suites, Poquelin ne douta plus qu'il n'était pas facile de faire un théâtre avec des gens de distinction, et qu'il fallait toujours, pour avoir « une troupe d'élite, » en revenir aux persounes du métier. C'est alors, environ dans les premiers mois de 1644, que la Béjart et les siens lui arrivèrent heureusement en aide.

« Les deux petites compagnies dramatiques, celle que ramenait la Béjart et celle que Molière avait formée avec tant de peiue et si peu de succès, se mêlèreut et composèreiU ainsi un ensemble assez recommandable pour que Tallemant des Réaux pût dire que Paris avait alors, en outre des comédiens de l'Hôtel et des comé- diens du Marais, un nouveau théâtre, « une troisième troupe. » Le nom d'Illustre Théâtre lui fut conservé. Les Béjart, en effet, se prétendaient d'assez bonne mai- son pour ne pas faire tache parmi les jeunes gens de distinction qui lui avaient fait donner ce titre. N'é- taient-ils pas d'une -famille de robe, et un livre de gé- néalogie ne devait-il pas prouver bientôt qu'ils descen- daient du sergent d'armes de Charles V ? Molière resta chef de la troupe, de moitié avec la Béjart, dont les intérêts ne se séparèrent plus des siens, et afin que leur commune entreprise eût sur un terrain nouveau l'es- poir d'une fortune différente, ils se hâtèrent de changer de quartier. Du jeu de paume des fossés de Nesle,' qui leur avait été si peu favorable, ils émigrérent dans un autre des environs du port Saint-Paul, vers la rue des Jardins, où les Béjart, nés et élevés tous dans ces pa- rages, croyaient pouvoir compter sur des amis. La for-

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XLVîn J.-B. POQUELIN DE MOLIÈRE.

tune pourlant ne semble pas 'eur avoir élé beaucoup plus favorable de ce côté, car, très-peu de temps après, nous ne les y trouvons plus. Lassés de ne jouer que pour les bateliers du port Saint-Paul et les postillons de l'hôtel de Sens, ils sont retournés au faubourg Saint- Germain, et ils y donnent des représentations dans le jeu de paume de la Croix-Blanche, au carrefour Buci. Eurent-ils là des journées moins rudes? trouvèrent-ils des spectateurs plus intelligents et mieux disposés? C'est probable. Leur séjour plus long me fait croire à une fortune meilleure. »

La fortune fut meilleure peut-être, mais il ne paraît pas qu'elle eût été brillante. Malgré le talent des acteurs et la protection de quelques grands personnages, Vlllustre Théâtre ne faisait pas ses frais. Molière, qui en était le directeur, répondait pour ses camarades et garantis- sait, aux dépens de son patrimoine, les frais de l'exploi- tation. Le 51 mars 1645, il signait à Jeanne Lévi, mar- chande publique^ , une obligation de 291 livres tournois, et lui donnait en gage des rubans en broderie d'or et d'argent ; il ne put rembourser à l'échéance, et autorisa sa créancière à se défaire des rubans, mais ils ne cou- vraient pas la dette, et le 20 juin 1645, la marchande obtint une sentence contre son débiteur, qui ne put la rembourser que quatorze ans plus tard. Au mois d'août de la môme année, il était détenu au grand Châlelet, à la requête du fournisseur des chandelles de Vlllustre Théâtre, pour une somme de 142 livres ; d'autres créan- ciers le poursuivaient encore; il fut mis en prison pendant quelques jours, et ne put recouvrer la li- berté qu'en donnant caution. Une partie des acteurs, découragée par le peu de succès de l'entreprise, alla chercher fortune ailleurs; et en 1646, Molière, avec les débris de sa troupe, se rendit en province accompagné de Joseph, de Madeleine et de Geneviève Béjart.

Ce mot correspond à ceux de revendeuse à la toilette et marcMande à levipérament, de iioue modeiiic vocabulaire.

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J.-B. POQUELIN DE MOLIÈRE. xlh

Il est fort difficile de suivre celte troupe et son chef ètraversleursvoyages ; mais à défaut dereiiseignemctKj précis, les commentateurs et les biographes se sont mis en frais d'invention. Eu 1648, ils font jouer MoHère devant « le duc d'Epernon, si fameux sous le règne de Henri 111 et de Henri IV, » lequel duc était mort à quatre- vingt-huit ans, le 15 janvier 1G42. Ils ramènent notre poêle à Paris, en 1650, et le font figurer plusieurs fois dans le cours de cette année devant le prince de Conti, qui le faisait, disent-ils, venir dans son hôtel avec sa troupe, et il se trouve que ce prince, nommé généralis- sime des Parisiens révoltés en 1649, s'occupait alors de tout autre chose que de comédie; qu'il fut arrêté le 17 janvier 1650, conduit à Vincennes, puis à Marcoussis, et de là au Havre, d'où il ne sortit que le 13 février 1651. Dans ce premier itinéraire de notre grand comique, les faits ne manquent pas, on le voit, quand on les accepte sans contrôle, mais quand on vérifie, il reste peu de chose. Tout ce qu'on sait de positif, c'est que, deux ans après son départ de Paris, en 1648, Molière était à Nantes ; qu'on le retrouve ensuite à Bordeaux, où. selon toute apparence, il fit représenter une tragédie de sa composition, la Théhaîde, puis à Vienne, et enfin à Lyon en 1653.

Jusque-là, tout en courant la province, l'auteur des Fewmjessafantesn'avait composé que des canevas dans le goût iiaWenJe Médecinvolant, la Jalousie du Barbouillé, les Docteurs rivaux, le Maillée d'école, le Docteur amou- reux; niaisàLyon il fit jouer sa première grande pièce, l'Etourdi, qui fut très-bien reçue du public. Il se ren- dit de Lyon à Avignon, séjourna ensuite à Pézénas, à NarbonneS et vers la fin de 1654, à Montpellier, sui-

  • Voy. sur le séjour de Molière dans ces différentes villes, Tasche-

reJU, Histoire de la vie et des ouvrages de Molière, 1844, p. 18 et Buiv. — On trouve dans les Mémoires d'un arclievêque d'Aii, Daniel de Cosnac, do curieux détails Inngtemps inconnus, sur cette époque de la vie de Molière. Voici ces détails : a Aussitôt

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i J.-B. POQUELIN DE MOLIÈRE.

vaut les autres, pendant la tenue des états présidés par îe prince de Conli. Ce fut alors que le poète fit jouer le Dépit amoureux. Cette seconde pièce fut accueillie, comme la première, avec faveur. Le prince de Conti

qu'elle (maiame de Calvimont, maîtresse du prince de Conti) fui logée dans la Grange (château et terre du prince de Conti près de Pézénas), elle proposa d'envoyer ciiercher des comédiens. Comme J'avais l'argent des menus plaisirs de ce prince, il me donna ce soin. J'appris que la troupe de Molière et de la Béjart était en Languedoc; je leur mandai qu'ils vinssent à la Grange. Pendant que cette troupe se disposait à venir sur mes ordres, il en arriva une autre à Pézénas. qui était celle de Cormier (directeur d'une troupe comique). L'impatience naturelle de M. le prince de Conti et les présents que fit cette dei^nière'troupe à madame de Calvi- mont engagèrent à la retenir. Lorsque je voulus représenter à M. le prince de Conti que je m'étais enpagé à Molière sur ses or- dres, il me répondit qu'il s'était lui-même engaj^é à la troupe de Cormier, et qu'il était plus juste que je manquasse à ma parole que lui à la sienne. Cependant Molière arriva et, ayant demandé qu'on lui payât au moins les frais qu'il avait fait faire pour ve- nir, je ne pus jamais l'obtenir, quoiqu'il y eût be:iucoup de jus- tice; mais M. le prince de Conti avait trouvé bon de s'opiniâtrer à cette bagn! lie. Ce mauvais procédé me touchant de dépit, je ré- solus de la faire monter sur le théâtre de Pézénas, et de leur don- ner deux mille écus de mon argent, plutôt que de leur manquer de parole. Comme ils étaient prés déjouer à la ville, M. le prince de Conù, un peu piqué d'honneur par ma manière d'agir et pressé par Sarrasin favori du prince de Conti et son secrétaire des com- mandements) que j'avais intéressé à me servir, accorda qu'ils tiendraient jouer une fois sur le théâtre de la Grange. Cette troupe ne réussit pas-dans sa première représentation au gré de madame de Calvimont, ni par conséquent au gré de M. le prince de Conti, quoique, au jugement de tout le reste des auditeurs, elle surpassât infiniment la troupe de Cormier, soit par la bonté des acteurs, soit pa^' la magnificence des habits. Peu de jours après, ils représentèrent encore, et Sarrasin, à force de prôner leurs louanges, fit avouer à M. le prince de Conti qu'il fallait retenir la troupe de Molière à l'exclusion de celle de Cormier II les avait suivis et soutenus dans le commencement à cause de moi : mqu «lors, étant devenu amoureux de la du Parc, il songea à se servir lui-même. 11 gagna madame de Calvimont, et non-seulement il fi* congédier la troupe de Cormier, mais il fit donner pension à celle de Molière. On ne songeait alors qu'à ce divertisseiïjent, auquel moi seul je prenais peu de oai't. >

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J.-B. POQUELiN DE MOLIÈRE. u

©ffrit, dit-on, à l'auteur de l'attacher à sa personne en qualité de secrétaire. Cette offre ne fut point acceptée, et Molière conliiiua de courir la province. Il resta en Lan- guedoc en 1G56 et 4057, passa le carnaval de 1658 à Grenoble, vint ensuite s'établir à Rouen, et ce fut pen- dant son séjour dans cette ville qu'il obtint par la pro- tection du prince de Conti, et plus probablement en- core par celle du duc d'Orléans, l'autorisation de venir jouer à Paris devant la cour.

Molière avait alors trente-sis ans. Sa vie jusque-là s'était partagée tout entière enire l'art et l'amonr. En entrant, en 1645, dans la troupe de VlUudre Théâtre, il s'était lié avec une actrice fille d'un procuieur au Chàtelet, Madeleine Déjarl, née en IG20' environ, f.ette actrice, qui jouait avec un giand succès les rôles de soubrette, exerça une sorte de fascination sur le poète, dont les passions étaient vives et profondes, mais qui, au milieu de sa vie nomade, gardait encore dans son cœur place pour d'autres amours. Sans |)arler d'une aventure arrivée à Pézénas, et dans larjuclle Molière au- rait été obligé de sauter par une fenêtre pour échap- per à la colère d'un mari, on assure qu'il chercha des distractions auprès de mademoiselle du Parc, et que, repoussé par celte dernière, il se consola de son échec en aimant, sans rotnpre toutefois avec Madeleine Bé- jart, Catherine Leclerc, fennne d'EdmeWilquin, connue au théâtre sous le nom de mademoiselle de Brie, ac- trice consommée, belle de taille et de figure, et qui, à l'âge de soixante-cinq ans, jouait encore le rôle d'Agnès avec toutes les apparences de la jeunesse et de l'ingé- nuité, ce qui donna lieu aux vers que voici ;

Il fanl qi'elle ait été charmante, Puisque aujourd'hui, malgré ses ans, A peine des attraits naissants Égalent sa beauté mourante.

Madeleine Béjart mourut en février 1672, un un avant Moîièlt

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Lîi J.-B POQUELIN DE MOLIÈRE.

Ces trois femmes, Madeleine Béjart, mademoiselle du Fàrc, et mademoiselle de Hrie, qui toutes les trois fai- saient partie de la troupe nomade, arrivèrent avec elle à l'iiris, et le 2i octobre 1658, celte troupe joua Nico- mède devant le roi, dans la salle des Gardes, au vieux Louvre. Molière, après la représentation, adressa ua conipliincnt à Louis XIV, en priaiit Sa Majesté d'avoif pour agréable « qu'il lui donnât un de ces petits diver- tissements qui lui avaient acquis quelque réputation, et dont il régalait les provinces. » Ce divertissement, c'é- t.iit le Docteur amoureux. Le roi fut content et autorisa la troupe à liiendre le titre de Troupe de Monsieur et à jouer, allernalivement avec les comédiens italiens, sur le théâtre du Pelit-Bouibon.

Dés ce moment, la destinée de Molière fut fixée. Il eut une troupe permanentes un théâtre ; pour spectateurs la cour et Paris; pour protecteur, le roi.

II

Cette position nouveTTe, qui offrait tout à la Pois au poète du profit, de la fixité et des encouragements, sti- mula son génie. Après avoir longtemps cherché sa voie, il la trouva enfin par les Précieuses, et, se dégageanl des traditions latines et italiennes, il cessa, comme il le (lisait, à' éplucher des fragments de Ménandre, et, pour peindre les hommes, il étudia ceux qui vivaient sous ses yeux. Le^ Preciewses marquèrent, suivant la juste remarque deM. Sainte-Beuve, son entrée dans lagrande carrière, et de 1659 à 1665, il donna Sganarelle, Don Garde, l'Ecole des maris, les Fâcheux^ l'Ecole des femmes, la Critique de l'Ecole des femmes, l'Impromptu de Versailles, le Mariage forcé, la Princesse dElide, et les trois premiers actes de Tartuffe.

  • Voy. plus loin à l'appendice la note intitulée : la Troup* de

Molière

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J.-B. POQUELIN DE MOLIÈRE, un

Les premières pièces composées à Paris chtiiirenl \u) giand succès; Sganarelle h\l donné quarante fisis de ëuile. En IGGO, le 20 octobre, Molière et ses coméil-eus jouèrent au Louvre devant le roioldevanlMazarin^ alors malade, dans la chambre même du cardinal. Lesaclenrs reçurent en présent une somme de mille écus ; et, (]uand le lliL'âlre du Petiî-Dourbon fut démoli, au moment l'ù coiiiniencèrent les travaux de la colonnade du l.oHvre, ils obtinrent de passer au théâtre du Palais- l;oyal.

La mort de Mazarin, arrivée le 9 mars 1661, avait renn's anx mains de Louis XIV la royauté absolue. « Ce fut, dit M, Bazin, dans les premiers temps qui suivirent cette prise de possession que se manifesta, de la part du prince pour le poète, quelijue chose de plus qu'une protection dédaigneuse et frivole, un certain mouve- ment d'affection intelligente, prompt comme la sympa- thie et durable autant que l'égoïsme.Du moment ow^es deux hommes, placés à de telles distances dans l'ordre social, l'un roi hors de tutelle, l'autre bouffon émérite et moraliste encore bien timide, se furent regardés et compris, il s'établit entre eux une sorte d'association tacite, qui permettait à celui-ci de tout oser, qui lui promettait assurance et garantie, sous la seule condi- tion de respecter et d'amuser toujours celui-là. Nous devons ajouter que jamais traité public, où la foi du monarque aurait été solennellement engagée, ne fut exécuté plus sincèrement; qu'en aucun temps, d.ins aucune circonstance, la sauvegarde donnée à l'écrivain contre tous les ressentiments qu'il pourrait provoquer ne parut se retirer de lui. C'est se moquer de nous, comme les historiens le font trop souvent, que de met-

-^ Mazarin a toujours été favorable à fart dramatique. ï» plupart des liisloriens modernes se sont montrés fort satisfaits de ce protectorat, mais ils auraient dû se souvenir que le cardinal, en encourageant le théâtre, avait surtout en vue de distraire les Parisiens dts lourds inpô»s eui'il lear faisait payer.

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UT J.-B. POQUELIN DE MOLIÈRE.

tre Molière au nombre des penseurs qui souCfrirent en leur temps la persécution. Jamais homme, au contraire, et ceci est à sa louange, n'alla plus droit son chemin, et ne se sentit, dans toute sa course, moins ébranlé... 11 y a de Louis XIV, ajoute M. Bazin, deux créations du même temps et du même genre, Colberl et Molière. Colbert, en effet, fut l'âme de toutes les grandes réfor- mes, de toutes les grandes entreprises de Louis, et Mo Hère, l'âme de toutes les fêtes. »

A la fin de 1C61, le poète, quoique son père vécût encore, prit le titre de « valet de chambre du roi, » sans y ajouter néanmoins celui de « tapissier. » Son frère Jean était mort le 6 avril 1660, et c'était sans doute par suite de ce décès que Molière, après douze ans d'absence, se retrouvait en possession d'une charire dontriiérèdité avait été assurée aux membres de sa fa- mille. « Il paraît, dit M. Bazin, qu'alors il réclama son droit... qu'on lui permit de reprendre l'expectative dont il avait autrefois été nanti... et que la bonté du roi rendit celle seconde substitution facile... LEtat de la France, publié en 1665, nous montre, au nombre des huit tapissiers valets de cliambre, pour le trimestre de janvier, M. Poquelin, et son fils à sur vivance. »

Le 20 février 1662, Molière, âgé de quarante ans, épousa Armande-Grésinde Béjart. Voici l'acte de ce ma- riage, relevé par M. Beffara sur les registres de Saint- GerVnain l'Âuxerrois :

« Jean-Baptiste Poquelin, fils de sieur Jean Poquelin et de feu Marie Grosse, d'une part, et Armande-Grésinde Béjart, fille de feu Joseph Béjart, et de Marie Hervé, d'autre part, tous deux de cette paroisse, vis-à-vis le Palais-lloynl, fiancés et mariés, tous ensemble, par per- mission de M. de Comtes, doyen de Notre-Dame et grand vicaire de monseigneur le cardinal de Belz, archevêque de Paris, en présence dudit Jean Poquelin, père du marié, et de André Boudet, beau-frère du marié ; de la-

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J.-B. POQUELIN DE MOLIÈRE. i»

dite Marie Hervé, mère de la mariée, Louis Béjart et Madeleine Béjart, frère et sœur de ladite mariée^ »

Ici se place dans la biographie de Molière un fait qui a donné lieu à bien des discussions. Madeleine Béjart, avons nous dit plus haut, avait été la maîtresse de Mo- lière. Les ennemis de l'auteur du Tartuffe prétendirent qu'Armande était née de cette liaison, et le comédien Monlfleury, en présentant dans une requête au roi celte calomnie comme un fait avéré, a fait peser sur sa mé- moire l'opprobre d'un mariage incestueux *. Louis XIV, il est vrai, avait répondu à cette inculpation en tenant sur les fonts de baptême, le 19 janvier 1664, le premier enfant de Molière, comme le prouve l'acte suivant :

« Du jeudi 28 février 1664, fut baptisé Louis, fds de M. Jean-Baptiste Molière, valet de chambre du roi, et de damoiselle Armande-Grésinde Béjart, sa femme, vis- à-\is le Palais-Royal. Le parrain, haut et puissant sei- gneur messire Charles, duc de Créqui, premier gentil- homme de la chambre du roi, ambassadeur à Rome, tenant pour Louis quatorzième, roi de France et de Na- varre : la marraine, dame Colombe le Charron, épouse de messire César de Choiseul, maréchal du Plessy, te- nante pour madame Henriette d'Angleterre, duchesse d'Orléans. L'enfant est né le Î9 janvier audit an. Signé Colombet. »

Malgré cette réparation, le fait de l'inceste mis en avant par Montfleury n'en trouva pas moins créance au- près de quelques contemporains ; il était môme resté des doutes jusqu'à nos jours. D'après l'acte de mariage de Mohère, ci-dessus reproduit, ces doutes seraient dis- sipés puisqu'Armande y est désignée comme étant sœur de Madeleine : le reproche d'inceste se trouverait ainsi complètement écarté; mais l'acte est-il authentique?

  • Signé : Î.-B. Poquelin (c'est Molière) ; J. Poquelin (c'est son

père) ; Boudet (son beau-frère) ; Marie Hervé ; Armande-Gré- linde Béjar'; Louis Béjait, et Béjart (Madeleine), sœur de ia mariée.

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t?i J.-B. POQUELIN DE MOLIÈRE.

Telle est la question qu'a soulevée M. Ed. Fournier; il se prononce contre raulhenlicité, tout en écartant l'accusation, et il cherche à prouver, ou plutôt il dé- montre qu'Armande n'était point la sœur de Madeleine, comme le porte l'acte du 28 février 166i, mais hien sa fille, sans qu'elle eût été pour cela la fille de Molière. Ce fait a trop d'importance pour que nous n'y insistions pas ici, et nous ne pouvons mieux faire que de donner encore une fois la parole à M. Fournier :

« Un jour, dont la date certaine n'est pas connue, dans un lieu qu'on ne connaît pas davantage, et dont on ne p.nt même dire si c'était une ville ou un village, en Guyenne, en Languedoc ou eif Provence, une fille fut présentée à baptiser sous les noms d'Armande-Gre- sinde-Claire-Élisabeth. Elle était née dans la famille Béjart. Qui en était la mère? Vous ne doutez pas que c'est Madeleine, Ce que l'on sait de sa vie passée , de ses galanteries présentes, permet à ce sujet la certi- tude presque complète , d'autant que Geneviève , sa jeune sœur, qui n'est pas encore mariée, ne fait guère parler d'elle, et que leur mère à toutes deux, dont le huitième et dernier enfant est né quatorze ans aupara- vant, n'est plus en âge d'en avoir d'autre.

< C'est pourtant sous le nom de cette bonne femme que la nouvelle petite fille est déclarée. On lui doime pour mère celle qui, tout l'atteste, ne pput être vrai- semblablement que son aïeule. De par.-illos substitu- tions n'étaient pas difficiles alors. Les re^'istres des paroisses qui servaient pour l'état civil étaient partout fort négligemment tenus, surtout dans ces villages du Midi, dont l'un, comme je crois, dut voir naître Armande. Il fallait toutefois, pour de telles superche- ries, un motif grave, et celui des Béjart l'était. Quand tout cela se passe-t-il, en effet? Dans les premiers mois de 1644 environ.

« Richelieu est mort, Louis Xllî l'a suivi, un nouveau règne commence et les persécutés du précèdent seronJ

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J.-B. POQUELIN DE MOLIËRE. lvii

les puissants de celui-ci. Ils reviennent donc. M. de Modène (l'amant de Madeleine Béjard), qui est à Bruxelles, rompt son ban d'exil en 1643. Parti avec M. de Guise, il revient avec lui.

La Béjart le laissera-t-elle à Paris, sans y retourner elle-même? Mais^, d'un autre côté, étant sur le point de devenir mère, s'exposera-t-elle aux reproches que lui mériteraient ces nouvelles galanteries, cette infidélité coupable dont sa grossesse est l'indiscrétion, et hasar- dera-t-elle ainsi ce qui lui reste d'espoir pour épouser le père de sa première fille, et devenir baronne de Modène? Ce serait insensé. Le retour à Paris est donc retardé jusqu'à ce que la faute commise puisse être dissimulée. 11 y a là pour la famille entière, dont celle alliance avec les Modène a dû être le rêve, un inléièt de la plus haute importance. On s'y prête donc d'un commun accord. La mère Bèjarl, à la naissance de la première fille, voyant quel gage ce pouvait être pour le mariage espéré , n'a pas fait la sévère et la prude , loin de là, en grand'mère complaisante, elle a été la marraine de l'enfant comme s'il eût été légitime *. Elle n'aura pas celte fois moins de complaisance, mais ce sera d'une façon différente. En 1658, elle aidait à la publicité, à la consécration d'une naissance utile; en 1644, elle aidera bien mieux encore à dissiuuiler une naissance dangereuse. C'est elle qui sera déclarée mère dans l'acte du baptême; Armande sera sa fille, et Madeleine, à qui il impoite tant, lorsqu'elle reverra M. de Modène, de n'avoir à lui présenter qu'une enfant, leur petite Françoise, Madeleine n'aura qu'une sœur de plus. Ce n'est pas encore assez de cette combinaison. L'on peut flairer l'invraisemblance sous cette comédie de comédiens; la vue de la petite fille peut faire nailre

• Voy. l'acte de naissance de Françoise, flile de Madeleine Céjart et du baron de Modène, dans les lettres de M. de Fortia, sur U (onime de Molière. 18-25 ; in-8% p. 85.

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t7ii! J.-B. POQUELIN UE MULIERE.

dos soupçons, et détruire ce qu'on a si bien imaginé. On la tiendra donc à l'écart, de telle sorte qu'on ne sache pas même qu'elle existe, et que la Béjart, malgré les précaulions prises, ne soit pas soupçonnée d'être sa mère.

« Quand, tout étant disposé, la troupe, que le retour de M. de Modène rappelait à Paris, put elle-même se mettre en route, la petite fille ne fut pas du voyage. On la laissa prudemment dans le pays où elle était née, en des mains d'ailleurs bien choisies. La Béjart , nous en aurons d'autres preuves, n'était pas mauvaise mère. « Armande, dit l'auteur de la Fameuse comédienne, a passé sa plus tendre jeunesscen Languedoc, chez une dame d'un rang distingué dans la province. »

A la fin de 1644, la Béjart est à Paris, tâchant de reprendre sur M. de Modène un empire un peu affaibli par l'absence. En attendant, il faut vivre. Que fait-elle? Nous l'avons dit, elle joint sa troupe à celle de Molière qui déjà, sans doute, l'avait connue et aimée avant qu'elle partit de Paris, vers 1G41. »

Ces explications nous paraissent jeter beaucoup de lumière sur la controverse; et ce qui en résulte, en définitive, c'est que Molière, après avoir été l'amant de la mère, devint le mari de la fille^ mais que celte fille n'était pas à lui.

Molière, on l'a vu, au moment de son mariage, avait quarante ans, et sa femme dix-sept. « Cette femme, dit M. Génin, était charmante, remphe de grâce et de talents, chantait à merveille le français et l'italien; excellente actrice et sachant animer la scène lors môme qu'elle ne faisait qu'écouter, mais d'une coquetterie indomptable, qui fit le désespoir et le malheur de .Molière, car il en fut, jusqu'à la fin de sa vie, éperdu- ment amoureux. Madame, ou plutôt mademoiselle Mo- lière, comme on disait alors, n'était pas cependant une beauté accomplie : maaemoiselle Poisson nous la repré- sente petite, avec une très-grande bouche et de très-

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J.-B POQUELIN DE MOLIÈRE. lix

ptXits yeux. » De plus, elle était très-maigre , mais sa voix avait un charme sans égal.

(( Si la Molière, dit un écrivain contemporain, l'au-

pur des Entretiens galints^, retouche quelquefois à ses

dieveux, si elle raccommode ses nœuds et ses pierre-

âes, ces petites façons cachent une critique judicieuse

H naturelle. Elle entre par là dans le ridicule des

femmes qu'elle veut jouer. Mais enfin , avec tous ces

avantages, elle ne plairait pas tant si sa voix était moins

touchante. Elle en est si persuadée elle-même que l'on

voit hien qu'elle prend autant de divers tons qu elle a

de rôles différents. » Molière avait été séduit, couane

le public, par l'habile comédienne ; il ne se dissimulait

pas ses imperfections physiques, mais à toute chose il

trouvait une excuse, et c'était lui-même qu'il faisait

parler par la bouche de Cléonte, dans celte scène du

Bourgeois (jeyitilhomme*^ :

« — Elle a les yeux petits, dit Covielle.

« — Cela est vrai , répond Cléonte , elle a les yeux petits, mais les a plein,s de feu, les plus brillants, les plus perçants du monde, les plus touchants qu'on puisse voir.

« — Elle a la bouche grande, ajoute Covielle.

« — Oui; mais on y voit des grâces qu'on ne voit point aux autres bouches, et cette bouche, en la voyant, inspire des désirs, est la plus attrayante, la plus amou- reuse du monde.

n — Pour la taille, elle n'est pas grande.

« — Non, mais elle est aisée et bien prise...

• — Pour de l'esprit...

«f — Elle en a, Covielle, du plus fin, du pluj éélicat...

« — Elle est toujours sérieuse.

« — Yeux-tu de ces enjouements é^Danouis. de ces

  • Acte III, se Ot

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LX f.-B. POQUELIN DE MOLIÈRE.

joies toujours ouvertes? etvois-lu rien de plus imper- tinent que les femmes qui rient à tout propos?

« — Mais enfin , elle est capricieuse autant que per- sonne du monde.

« — Oui, elle est capricieuse, j'en demeure d'accord; mais tout sied bien aux belles, on souffre tout des belles... »

Malgré sa tendresse pour sa fennne et malgré son génie, Molière n'écbappa point au malheur dont il avait donné de si folâtres peintures. « Don Garcie était moins jaloux que Molière; Geoi'geDandin etSganarclle étaient moins trompés. A partir de la Princesse tVÉlide, où l'inlidélité d(î sa femme comiiTença de lui apparaître, sa vie domestique ne fut plus qu'un long tourment. Averti des succès qu'on attribuait à M. de Lauzun auprès d'elle, il en vint à une explication. Mademoi- selle Molière, dans cette situation difficile, lui donna le change sur Lauzun en avouant une inclinai ion pour M. de Guiche , et s'en tira, dit la chronique, par des évanouissements et par des laimes. Tout meurlri de sa disgrâce, notre poète se remit à aimer mademoiselle de Brie, ou plutôt il venait s'entretenir auprès d'elle des injures de l'autre amour. Alceste est ramené à Élianle par les rebuts de Célimène. Lorsqu'il donna le Misan- thrope, Molière, brouillé avec sa femme, ne la voyait plus qu'au théâtre , et il est difficile qu'entre elle qui jouait, en effet, Célimène et lui qui représentait Alcesle, quelque allusion à leurs sentiments et à ieur situation réelle ne se retrouve pas: ajoutez, pour compliqiicr les ennuis de Molière, la présence de l'ancienne Béjai t, femme impérieuse, peu débonnaire à ce qu'il semble. Le grand homme cheminait entre ces trois femmes, aussi embarrassé parfois, comme le lui disait agiéable- ment Chapelle, que Jupiter au siège d'Ilion entre les trois déesses^. » Molière, du reste, ne s'abusait pas sur

Sainte-Deuve, Portraits littéraires, — Molière.— PaiiSj 1844.

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J.-D. POQUELIN DE MOLIÈRE. ixi

sa propre faiblesse, et l'on a cité souvent, coniine uni louchante confession de son cœur, une conversation qu'il eut avec Chapelle en se promenant dans son jardin d'Auteuil. Sceptique en amour comme en toutes choses, Chapelle marquait son étonnemeiil de ce qu'un penseur aussi profond que son ami se fût laissé charmer par une co{(uette jusqu'à se rendre malheureux par elle. « Pour vous répondre, dit Molière, sur la connaissance parfaite que vous dites que j'ai du cœur de l'honmie, par les portraits que j'en expose tous les jours, je demeurerai d'accord que je me suis étudié autant que j'ai pu à connaîlie leur faible; mais si ma science m'a appris qu'on pouvait fuir le péril, mon expérience ne m'a que trop fait voir qu'il est impossible de l'éviter; j'en juge tous les jours par moi-même. Je suis né avec les dernières dispositions à la tendresse; et, connue j'ai cru que mes effoits pourraient lui inspirer, par l'habi- tude, des sentini;'nis que le temps ne pourrait détruire, je n'ai rien oublié pour y parvenir. Cou. me elle était encore fort jeune quand je l'épousai, je ne m'aperçus pas de ses méchantes inclinations, et je me crus un peu moins malheureux que la plupart de ceux qui prennent de pareils engagements : aussi le mariage ne ralentit point mes empressements; mais je lui trouvai tant d'indilférence , que je commençai à m'apercevoir que toute ma précaution avait été inutile, et que ce qu'elle sentait pour moi était bien éloigné de ce que 'j'aurais souhaité pour être heureux. Je me fis à moi- même ce reproche sur une délicatesse qui me semblait ridicule dans un mari , et j'attribuai à son humeur ce qui était un effet de son peu de tendresse pour moi; mais je n'eus que trop de moyens de m'apercevoir de mon erreur, et la folle passion qu'elle eut peu de

  • îfmps après pour le comte de Guiehe fit troc de bruit

/. I, p. 40. — Aux trois déesses qui se sont partagé les tendresses ie Molière, il faut ajouter mademoiselle Meiiou, qui taisait partia ie la Uoupe eu 1058. Voir le Homan de Molière, p. 64, 65.

cl

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uii J.-B. POQUELIN DE MOLIÈRE.

pour me laisser dans cette tranquillilé apparente. Je n'épargnai rien, à la première connaissance que j'en eus, pour me vaincre moi-même , dans l'impossibilité que je trouvai à la changer; je me servis pour cela de toutes les forces de mon esprit ; j'appelai à mon secours tout ce qui pouvait contribuer à ma consolation. Je la considérai comme une personne de qui tout le mérite est dans l'innocence, et qui, par celte raison, n'en conservait plus depuis son infidélité. Je pris dès lors la résolution de vivre avec elle comme un honnête homme quia une femme coquette, et qui est bien persuadé, quoi qu'on puisse dire, que sa réputation ne dépend point de la méchante conduite de son épouse; mais j'eus le chagrin devoir qu'une personne sans beauté, qui doit le peu d'esprit qu'on lui trouve à l'éducation que je lui ai donnée, détruisait en un moment toute ma philosopliie. Sa présence me fit oublier mes résolu- tions, et les premières paroles qu'elle me dit pour sa défense me laissèrent si convaincu que mes soupçons étaient mal fondés, que je lui demandai pardon d'avoir été si crédule. Cependant mes bontés ne l'ont point changée. Je me suis donc déterminé à vivre avec elle conmie si elle n'était pas ma femme; mais si vous saviez ce que je souffre, vous auriez pitié de moi. Ma passion est venue à tel point, qu'elle va jusqu'à entrer avec compassion dans ses intérêts; et quand je considère combien il m'est impossible de vaincre ce que je sens pour elle, je me dis en même temps qu'elle a peut-être une même difficulté à détruire le penchant qu'elle a d'être coquette, et je me trouve plus dans la disposi- tion de la plaindre que de la blâmer. Vous me direz, sans doute, qu'il faut être fou pour aimer de cette manière; mais, pour moi, je crois qu'il n'y a qu'une sorte d'amour, et que les gens qui n'ont point senti de semblable délicatesse n'ont jamais aimé véritablement. Toutes les choses du monde ont du rapport avec elle dans mon cœur : mon idée- en est si fort occupée que

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J.-B. POQUELIN DE MOLIÈRE. uni

je ne fais rien en son absence qui m'en puisse divertir.

Quand je la vois, une émotion et des transports qu'on peut sentir, mais qu'on ne saurait exprimer, m'ùtent l'usage de la réflexion; je n'ai plus d'yeux pour ses défauts, il m'en reste seultMTient pour tout ce qu'elle a d'aimable : n'est-ce pas là le dernier point de la fi)lie? et n'admirez-vous pas que tout ce que j'ai de raison ne sert qu'à me faire connaître ma faiblesse sans en pouvoir triompher? — Je vous avoue à mon tour, lui dit son ami, que vous êtes plus à plaindre que je ne pensais; mais il faut tout espérer du temps. Continuez cependant à faire vos efforts , ils feront leur effet lors- -que vous y penserez le moins. Pour moi, je vais faire des vœux aiin que vous soyez bientôt content. » Là- dessus il se relira, et laissa Molière, qui rêva encore longtemps aux moyens d'ai^user sa douleur.

Piion ne pouvait distraire le poète de cet ennui pro- fond, ni les amitiés illustres, ni les sympathies sincères et vives de Boileau, de la Fontaine, de Chapelle, du physicien Rohault, du peintre Mignard, ni la constante bienveillance du roi, qui lui donnait sans cesse des preuves de son affection, d'abord en lui accordant une pension de mille livres après la représentalion de lÉcole des femmes, comme pour répondre aux détrac- teurs de ce chef-d'œuvre, ensuite en fixant, au mois d'août 1665, sa troupe à son service, avec une subven- tion de sept mille livres et le titre de Troupe du liai.

Dans les fêtes splendides célébrées à Versailles en 1664, Molière, qui avait contribué à l'éclat de ces fêtes, donna pour la première fois, le 12 mai, les trois premiers actes de Tartuffe. La pièce fut bien accueillie de la cour ; mais bienlôt il y eut dans le public, auquel du reste elle n'était connue que par ouï-dire, un tel scandale, que le roi , qui lui-même avait applaudi comme les autres, se trouva fort embarrassé; et, tout en reconnaissant les bonnes intentions de l'auteur, il défendit pour le public la comédie de Tartuffe. Trois

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un J.-B. POQUELIN DE MOLIÈRE.

mois après, le 50 juillet i66i, Molière, qui se trouvait à rim'oinebloau à roccasion des fêles offertes au car- dinal-légat, fit une lecture de sa pièce devant l'envoyé du saiiit-siégp, et obtint son approbation. Le 25 sep- tembre, Tartuffe fut joué pour la seconde fois à Villers- Cotlerets, chez Monsieur, et, pour la troi.-iéme fois, chez le prince de Condé, au Raincy* ; mais ce fut seu* lenient le 5 août 1G67, pendant que le roi était eu Flandre, que Molière donna au public la comédie que depuis trois ans il lui était défendu de jouer, en la déguisant faiblement sous le tilre de l'Imposleiir. Le leiidemain, le premier président du parlemeul d(ini;a ordie de cesser la représentatron. Molière répondit en Viii)i qu'il était autorisé; il fallut obéir, mais tout en obéissant, il écrivit un plocet que deux de ses compa- gnons allèrent porter au roi devant Lille. « Il y rappe- lait avec chaleur et dignité, nous apprend M. Bazin, la permission qu'il disait avoir reçue du roi ; il le sommait respeclneiisement de faire observer sa parole par ceux qui tenaient de lui leur autorité; il semblait même vouloir linquiéler pour ses divertissements à venir.» «Il est très-assuré, disait-il, qu'il ne faut plus que je songe à faire des comédies, si les Tartuffes ont l'avantage. » Pendant que ce message faisait sa route, une autre autorité venait de se prononcer. L'ancien précepteur du roi , l'archevêque de Paris , pubbait (1 1 août) un man- dement qui défendait « à toutes personnes de voir représenter, lire ou entendre réciter la comédie nouvel- lement nommée timposteur, soit publiquement, soit en particulier, sous peine d'exconmiunic.ition. » Celle interdiction allait, comme on voit , beaucoup plus loin que celle dont le parlement voulait maintenir l'effet. Elle atteignit tous ceux qui s'étaient mis jusque-là hors du public, le roi compris. Cependant les comédiens députés furent gracieusement reçus au camp devant

• ?oy. la notice an tête de Tartuffe,

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.-B. l'OQUELIN DE MOLIÈRE. m

Lilîo; ils en rappoitèrent cette réponse: « Qu'après son rclour, le roi ferait de nouveau examiner la pièce, et qu'ils la joueraient. » Lille se rendit le 27 août, le roi élait de retour à Saint-Germain le 7 septembre; maiï. l'on ne vit pas-jouer le Tartuffe. M. Bazin ajoute avec raison que ce qui se passa depuis, au sujet de cette comédie célèbre, entre l'auteur et le roi, esta peu piès inconnu, et que les suppositions qui ont été faites à ce propos ne reposent sur aucun fait précis. Ce qu'il y a de certain, c'est que Molière ne cessa de soilic ter l'autorisation de reprendre la pièce en public ; que celte autorisation lui fut enfin accordée par le roi, et que Tartuffe fut représenté de nouveau le 5 février 1669.

fi Personne encore n ayant pn's soin de chercher et de nous dire ce qui avait pu déterminer cette tolérance tardive et subite pour l'œuvre longtemps prohibée, dit M. Bazin, qu'il faut souvent citer pour les détails précis et les explications ingénieuses, il nous a fallu jeter un regard dans les faits de l'histoire, et ^ous y avons trouvé une explication fort plausible. Le long débat qui avait divisé l'Église de France et mis aux prises une partie du clergé avec l'autorité pontificale venait d'être enfin terminé par un accommodement que l'on voulait croire durable. Le bref préliminaire à celte fin était parti de Rome le 29 septembre 1668; l'arrêt du conseil qui en était la suite avait été rendu le 26 octo- bre; le docteur Arnault avait fait sa soumission le 4 décembre, et le bref définitif de réconciliation , dat* du 19 janvier 1669, était arrivé vers la Cm du mois. Dans les premiers jours de février, tout était joie, espé- rance, bonne amitié, concorde, oubli des injures» réparation des torts; il ne restait plus qu'à réinlégrer les religieuses de Port-Royal, ce qui eut lieu le 17. Molière profita du moment où tout le monde s'embras- sait pour mettre aussi son Tartuffe en lii.ierté, comme tacitement compris dans la paix de Clémont IX. »

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ixn J.-B. POQUELIN DE MOLIÈRE.

De l'année d664 juGqu'à l'époque à laquelle nc«8 sommes' parvenus, 1669, Molière avait donné successi- vement Don Juan, l'Amour médecin, le Misanthrope , le Médecin malgré lui, Melicerte, la Pastorale comique^ Amphitryon, George Dandin, l Avare. Les prudes, les médecins, les pédants, les marquis, les auteurs jaloux et les auteurs siffles, les jésuites et les jansénistes, les hypocrites et les hommes sincèrement dévols s'étaient tour à tour ou tous ensemble, à l'occasion de ces diverses pièces, ameutés contre le grand écrivain, et lui, dit M. Sainte-Beuve, « troublé avec tout cela de passions et de fracas domestiques, directeur de troupe et comédien infatigable , bien qu'au régime et au lait, durant quinze ans, il suffît à tous les emplois; à cha- que nécessité survenante, son génie est présent, gar- dant de plus en plus les heures d'inspiration propre et d'initiative. » Molière, en effet, n'est pas seulement un comique incomparable, c'est aussi un improvisateur sans rival. Les Fâcheux furent composés et joués en quinze jours ; l'Amour médecin, en cinq jours : ce qui n'a pos empêché Grimarest de dire que Molière travail- lait difficilement. La Princesse d'Elide n'a que le pre- mier acte en vers, le reste suit en prose, et, comme le dit spirituellement M. Sainte-Beuve, « la comédie n'a eu le temps cette fois que de chausser ses brodequins, mais elle paraît à l'heure sonnante, quoique l'autre brodequin ne soit pas lacé... et ces diversions ne Tem- pêchaient pas tout aussitôt de songer à Boileau, aux juges difficiles, à lui-même et au genre humain, par le Misanthrope, par le Tartuffe et les Femmes savantes. »

Molière voulut s'acquitter envers le roi, par de nou- veaux efforts, de la bienveillance que le monarque lui avait accordée au milieu des nombreux combats qu'il eut à soutenir, tantôt pour des questions d'art et de goût, tantôt pour des questions de morale et de reli- gion. Le 6 octobre, il donnait M. de Pourceaugnac , à Chambord: l'année suivante (1670), il traitait sur les

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J.-B. POQUELIN DE MOLIÈRE. lxtu

indications mêmes du roi , le sujet des Amants magni- fiques; le 14 octobre de la même année, il joiiail à Clianibord le Bourgeois gentUltomme , et au carnaval suivant, il inaugurait par une pièce à grand sp.ectacle, Psyché, écrite en collaboration avec Corneille et Qui- nault, la salle des niacliines que Louis XIV avait fait construire aux Tuileiies^ Ce piince étant parti peu de temps après pour visiter les places du Rhin, le poète, dit M. Bazin, n'eut à servir que le public, et le 24 mai 4671, il donna les Fourberies de Sciipin. A la fin de la même année, il écrit encore pour les fêtes de la cour la Comtesse d Escarbagnas ; enfin, le 11 mars 1672, il livra par les Femmes savaiites le suprême et dernier combat de cette guerre qu'il avait, depuis longtemps, déjà déclarée à l'exagération du langage et des senti- ments, et qui s'était ouverte par la brillante escarmou- che des Précieuses.

Molière en était là de ses triomphes, et l'Académie lui offrait la première place vacante, sous la réserve toutefois qu'il renoncerait à monter sur les planches, lorsqu'il sentit augmenter la toux convulsive qui ne l'avait jamais quitté, a On veut, dit M. Bazin, que dans ces derniers temps une réconciliation avec sa femme ait aggravé ses soulfiances, et il est certain qu'il lui naquit, le 15 septembre 1672, un fil? qui mourut pres- que aussitôt. Dans cette condition, il ne vit rien de plus plaisant à peindre que la folie d'un homme en bonne santé qui se croirait malade et soumettrait son corps bien portant à toutes les prescriptions de la médecine, c'est-à-dire la contre-partie exacte de son propre fait... Il s'enivra, on peut le dn^e, de celle idée, au point d'en faire tout le sujet d'une comédie bouffonne qui devait, le carnaval prochain , délasser le roi de ses nobles tra- vaux ; car on était au retour de la première et glorieuse campagne en Hollande. Personne ne nous apprend

  • Voy. Castil-Blaze, Molière musicien. Paris, 1852, in-8».

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txviii J.-B. POQUELIN DE MOLIÈRE.

pourquoi le Malade imaginaire , avec son proloçrue et ses inlermèdes tout préparés, ne fut pas représenté devant le roi. Peut-être, et ce serait assez notre goût malgré la prodigieuse verve de gaieté qui règne dans tout l'ouvrage, trouva-t-on peu d'agrément à cette chambre de malade, à ces médicaments, à ces coliques, à celte mort feinte, dont Molièie avait crn tirer un si joyeux parti. Ce qui est sûr, c'est que le régal destiné à la cour fut servi au public, le 10 février 1673, le vendredi avant le dimanche gras. »

Le jour de la quatrième représentation du Malade imaginaire, Molière se senlaij, plus mal que de cou- tume. Ses amis le pressaient de ne point paraître dans Celte pièce où il remplissait le lôle d'Argan. « Gomment voulez-vous que je fasse? répondit-il. Il y a cinquante pauvres ouvriers qui n'ont que leur journée pour vivre: nve feront-ils, si je ne joue pas ! .le me reprocherais d'avoir négligé de leur donner du pain un seul jour, le pouvant faire absolument. » Le grand poète, qui se montrait en celle circonstance, comme toujours, un homme de bien, se rendit au théâtre , et joua avec de grands efforts et de vives douleurs. En prononçant le mot j'wro*, dans la cérémonie, il fut saisi d'une crise qu'il eut encore la force de déguiser; mais il était épuisé : on le reporta chez lui, rue Richi-lieu, dans la maison qui porte aujourd'hui le n".54, et qui se trouve en lace du monument consacré à sa mémoire. Là , il fut pris d'un accès de toux convulsive. Se sentant mor- tellement frappé, il demanda les secours de la religion, et envoya quérir successivemi'ut deux prêtres de la

  • Le fauteuil qui sert, encore aujourd'liui à la Comédie-Fran-

çaise pour les représentations du Malade imaginaire , et auquel on a donné le nom de fauteuil de Molière, est , selon une tradi-» tion conservée dans la famille qui, depuis ce grand homme jusqu'à nos jours, a fourni sans interruption des concierges au tliéâlre,

elui-là même dans lequel il s'est assis le jour de sa mort, ea

remplissant le rôle d'Argan,

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J.-B. POQUELIN DE MOLIÉKË. un

piiroisse Samt-Eustache qui refusèrent de se rendre juipros de lui. Un troisième ecclésiastique arriva, mais Iroj) tard. Le malade s'était rompu un Yaisso;m dons la poitrine, et il était mort, suffoqué par le sansf, à dix heures du soir, le i7 février 1075 , jour anniversaire de la mort de Madeleine Béjart*. Deux sœurs de Cha- rité, qui venaient tous les ans quêter à Paris , et qui recevaient l'hospitalité dans sa maison, reçurent ses derniers soupirs.

LecurédeSaint-Eustache, on le sait, refusa la sépul- ture au poète. Pour faire cesser cette sévère consigne de l'Église , la veuve adressa à l'archevêque de Paris,

• Voici la version de Grimarest : « Quand la pièce fut unie , U prit sa robe de chambre et fut dans la logo de Baron, et lui demanda ce qu'on disait de sa pièce. M. Daron lui répondit que ses ouvrages avaient toujours une lieureuse réussite à les exami- ner de pi es, et que plus on les représentait, plus on les goûtait. 8 Mais, ajoula-t-il, vous me paraissez plus mal que tantôt. — Cela est vrai, lui répondit Molière; j'ai un froid qui me tue. » liaron, après lui avoir touché les mains, qu'il trouva glacées, les lui mit dans un manchon [lour les réchaulter; il envoya chercher ses porteurs pour le porter promptement chez lui, et il ne quitta point sa cliaise, de peur qu'il ne lui arrivât quelque accident du Palaifi-RoVal dans la rue Richelieu où il logeait. Quand il fut dans sa chambre. Baron voulut lui faire prendre du bouillon dont la Molière avait toujours provision pour elle; car on ne pouvait avoir plus de soin de sa personne qu'elle en avait. « Eh, non ! dit-il , les bouillons de ma femme sont de vr;iie eau-forte pour moi : vous savez tous les ingrédient^ qu'elle y fait mettre ; donnez-moi plutôt un petit morceau de fromage de Parmesan. > Laforest lui en apporta; il en mangea avec un peu de pain, et il se fit mettre au lit. Il n'y eut pas été un moment qu'il envoya demander à sa femme un oreiller rempli dune drogue qu'elle

  • ui avait promise pour dormir. « Tout ce qui n'entre point dans

le corps, dit-il, je l'éprouve volontiers; mais les remèdes qu'il faut prendre me font peur; il ne faut rien pour me faire perdre ce qui me reste de vie. » Un instant après , il lui prit une toux extrêmement forte, et après avoir craché, il demanda de la lumière : « Voilà, dit-il, du changement. » Baron, ayant vu le sang qu'il venait de rendre, s'écria avec frayeur. « Ne voua épouvantez pas, lui dit Molière; vous m'er f vez vu rendre bien

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Lxx J.-B. POQUELIN DE MOLIÈRE.

Harîay de Chanvalon, une requêle datée dud7 février, dans laquelle elle rappelait que son mari avait demandé les sacrements avant de mourir, et qu'aux précédentes fêles de Pâques. M. Bernard , prêtre habitué de l'église Saint-Germain, lui avait donné la communion. Déplus, elle alla se jeter, à Versailles, aux pieds du roi, qui la reçut assez durement, mais qui n'en fil pas moins donner avis au prélat que la sépulture fût accordée. L'archevêque fit faire une enquête par Tofficial , pour s'assurer que Molière était mort, comme le disait sa veuve, « dans les sentiments d'un bon chrétien. » L'en- quête fut favorable, et Harlay de Chanvalon rendit la décision suivante :

« Veu, etc., ayant aucunement esgard aux preuves résultantes de l'enqueste faicte par mon ordonnance, nous avons permis au sieur curé dé Sainct-Eustache de donner la sépulture ecclésiastique au corps de défunct Molière dans le cimetière de la paroisse , à condition néanmoins que ce sera sans aucune pompe, et avec deux prestres seulement, et hors des heures du jour, et qu'il ne se fera aucun service solennel pour luy, ny dans la dicte paroisse Sainct-Eustache ny ailleurs, mesmes dans aucune église des réguliers, et que nostre présente permission sera sans préjudice aux règles du rituel de nostre église, que nous voulons eslre obser- vées selon leur forme et teneur. Donné à Paris ce

davantage. Cependant, ajouta-t-il, allez dire à ma femme qu'elle monte. » Il resta assisté de deux sœurs religieuses, de celles qui viennent ordinairement à Paris quêter pendant le carême, et auxquelles il donnait l'hospitalité. Elles lui prodiguèrent, à ce dernier moment de sa vie, tout le secours édifiant que l'on pou- vait attendre de leur charité, et il leur lit paraître tous les senti- ments d'un bon chrétien et toute la résignation qu'il devait à ia volonté du Seigneur. Enfin il l'endit l'esprit entre les bras de c^ deux bonnes sœurs; le sang qui sortait en abondance par sa bouche 1 étoulla. Ainsi, quand sa femme et Baion montèreut, lia le trouvèrent mort. 9

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J-B. POQUELIN DE MOLIÈRE. txir

vingtiesme frbuiier mil six cent soixante-treize. Ainsj signé,

f ARCHEVÊQUE DE PARIS*, %

La cérémonie funèbre eut lieu conformément aux ordres de l'archevêque. Le jour où l'on porta le poète à sa dernière demeure, « il s'amassa, dit GrimaresL bien reriseigné sur ce point , une foule incroyable de peuple devant sa porte. La Molière en fut épouvantée, Elle ne pouvait pénétrer l'intention de cette populace. On lui conseilla de répandre une centaine de pistoles

• Nous plaçons ici, en regard de la décision de l'archevêque, la requête de la veuve.

A monseigneur l'illustrissime et révérendissime archevêque de Paris.

Du 17 febvrier 1673.

Supplie humblement Élisabeth-CIaire-Grésinde Béjart, veufve de feu .'ean-Baptiste Poquelin de Molière, vivant valet de ch.am- bre et tapissier du Roy, et l'un des comédiens de sa trouppe, et en son absence Jean Aubry, son beau-l'rère, disant que veiidredy dernier, dix-septième du présent mois de lebvrier, mil six cent soixante-treize, sur les neuf heures du soir, ledict feu sieur de Molière s'estant trouvé mal de la maladie dont il décéda environ une heure après, il voulut dans le moment tesmoigner des marques de ses fautes, et mourir en bon chrestien, à l'effect de quoy avec instances il' demanda un prestre pour recevoir les sacrements, et envoya par plusieurs fois son valet et servante a Saint-Eustache , sa paroisse, lesquels s'adressèrent à messirea lenfant et Lechat , deux prestres habituez en ladicte paroisse qui refusèrent plusieurs fois de venir ; ce qui obligea le sieur Jean Aubry d'y aller lui mesme pour en faire venir, et de faict fist lever le nommé Paysant, aussi prestre habitué audict lieu; et comme toutes ces allées et venues tardèrent plus d'une heure el demye, pendant lequel lemps ledict feu Molière décéda, et iedici sieur Paysant arriva comme il venoit d'expirer ; et comme ledict feu Molière est décédé sans avoir receu le sacrement de confes- sion dans un temps où il venoit de représenter la comédie, monsieur le curé de Saint-Eustache lui refusa la sépulture, ce qui oblige la suppliante à vous présenter requeste, pom* luy estre sur ce pourvu.

Ce considéré , Monseigneur, et attendu ce que dessus, et qu«  ledict défunct a demandé auparavant nue de mo-orir un prestre,

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J.-B, POQUELIN DE MOLIËHE.

par les fenêtres. Elle n'hésita point; elle les jeta à cf peuple amassé, en le priant, avec des termes si tou- chants, de donner des prières à son mari, qu'il n'y eut personne de ces gens-là qui ne priât Dieu de tout soa cœnr. »

Le convoi se fit le mardi 21 février. Deux prêtres marchaient entête sans chanter, et tous les amis sui- vaient dans un grand recueillement, portant chacun un flambeau à la main'. L'illustre mort fut inimmé dans le cimi tière qui existait alors derrière la chapelle Saint- Joseph, rue Montmartre'.

pnur eslre confessé , qu'il est mcrt dans le scntinnent d'un bon chreslien, ainsi qu'il l'a tcsmoigné en présence des deux dames religieuses, demeurant en la même maison, d'un gentilhomme nommé M. Couton, entre les bras de qui il est mort, et de plu- sieurs autres personnes, et que M. Beinard, preslre habitué en l'église de Soinct-Germain, lui a administré les sacrements à Pasque dernier, il vous plaise de grâce spécialle, accorder à ladicle suppliante que sondict feu mary soit inhumé et enterré dans ladicte église de Saincl Eustache, sa paroisse, dans les voyes ordinaires et accoutumées, et ladicte suppliante continuera les prières à Dieu pour voslres prospérité et santé, et ont signé. Ainsy signé,

Le Vassedr et AcniiT.

• On lit ce qui suit dans une relation contemporaine faite par M. Boyvin, prêtre, docteur en théologie à Saint-Joscjili:

« Quatre jours après la mort de Molière, le mardi 'Jl lévrier 1673, l'on fit sur les neuf heures du soir « le convoi de Jean- Bapliste Poquelin Molière, tapissier valet de chambre, ibustre comédien, sans autre pompe, sinon de trois ecclésiastiques: quatre prêtres ont porté le corps dans une bière de bois, couverte du poêle des tapissiers, six enfants bleus portant six cierges dans six chandeliers d'argent, plusieurs laquais portant des» Uambeaux de cire blanche allumés, le corps pris rue de Riche- lieu devant l'hôtel de Crussol. a été porté au cimetière de Saint- Joseph, et enterré au pied de la croix. 11 y avoit grande foule de peuple et l'on a fait distribution de nulle à douze cents livrea eux pauvres qui s'y sont trouvés, à chacun cinq sols. »

  • Le cimetière de Saint Josepli, dit aussi du Petit Saint-

Eustache, était consacré à la sépulture des suici'Jét et dea enfants morts sans baptême. La Fontaine y fut aussi enterré. Il devint le siège d'une des sections de la Commune de Pari.-.

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J.-B. rOQ'JELIN DE MOLIERE. Lxxni

La conscience publique s'élail révoltée c>^nlre l'inlo- lérance de l'archevêque. Malgré l'interdaiion, ou ordonna, dit un contemporain, quantité de messes pour

défunt, et ses amis firent frapper en son honneur une médaille de bronze représentant d'un côté son buste avec cette légende : J.-B. Po. de Moiière, et de l'autre un tombeau sur lequel on lit : Poëte et comic- DiEN, M. en 1675. Prés du tombeau est une Renomniée tenant d'une main une trompette et s'appuyant de l'autre sur un globe terrestre '.

Molière avaii eu trois enfants : Louis, filleul du roi , né en 1664; Esprit-Marie-Madeleine, née le 4 août 1065, et Jean-Baptiste Armand, né en septembre 1672. Ses deux fils moururent en bas âge; sa fille é/^ousa M. de Moiitalaiit, mais n'eut point do postérité. Sa veuve, Armande" Béjart, se remaria avec Guéiin d'Esliiclio ; elle resta au théâtre jusqu'en 1694, et mourut à Paris, le 25 novembre 1700, dans la rue de Touraiue.

la section de Molière. Les administrateurs décidèrent que ces hommes illustres seraient exhumés et que leurs restes seraient déposés dans des monuments dignes de leur renommée.

1 Le 6 juillet, dit M. Tascliereau, on procéda aux fouilles; mais il est à peu près certain que ce ne furent pas les ossements de la Fontaine qu'on relira; il est douteux qu'on ait été plus heu- reux pour .Molière. Quoi qu'il en soit, les dépouilles lunébres qu'on recueillit comme étant celles des deu.x illustres amis ne reçurent pas les honneurs pour lesquels on avait troublé leur repos. Pendant sept ans, ces mânes précieux furent transportés successivement dans plusieurs lieux, où ils demeurèrent dans un profond abandon. Enfin, M. Alexandre Lenoir, conservateur des monuments français, rougissant pour notre patrie de sa coupabi* indifférence, obtint, par ses instantes démarches, la translation des deux cercueils aux l'etits-Augustins ; elle eut lieu sans aucune pompe, le 7 mai 1799.

c Le îlusée des monuments français ayant été supprimé le 6 mars 1^17, les restes présumés de Molière et de la Fontaine, après avoir été présentés et reçus à l'église paroissiale de Saint- Germain des l'rés, furent transportés au cimetière du Père- ia-Clia:.~>e. »

1 Sur celte médaille. Moniteur de 1844, p. 1,013, l,5o8, et le Roman de Molière, p. 171.

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ixm J.-B. POQUELIN DE MOLIERE.

Quant aux liôri tiers du nom patronymique des Po«  quclin, aux dormVrs descendants de cotte famille, ilg s'éteigniri'nt t-n 1772, dans la personne de M. Poqiielin, conseilliT rappnrieur en la chancellerie du Palais

Trois semaines environ après la mort de Molière, deux notaires et un huissier prisenr procédaient à l'inventaire dans la maison de la rue Richelieu et dans Tappartement que le poète occupait à Auteuil'. Le mobilier était élégant et riche. Il représentait, d'après l'estimation de M. Soulié*, en meubles, linge, habits, deniers comptants, une somme d'environ 18,000 livres, dans laquelle l'argenterie, pesant 240 marcs , entrait pour 6.2 iO livres ; il était dû a la succession 25,000 li- vres. Les dettes s'élevaient à 3.000 livres. L'actif était donc de 40,000 livres, ce qui équivaut à un peu plus de 200,000 francs d'aujourd'hui : c'était là au dix- septième siècle une belle fortune, et comme ifolière dans sa pre i ièré jeunesse avait fort amomdri son pa- trimoine, elle était presque tout entière le fruit de son travail. Voici l'indication des sommes qu'il relira de quelques-uns de ses ouvrages, à titre de droits d'au- teur :

Les Précieuses ; . . 1,000 liv.

Sganarelle 1,500 —

V École des maris 2,929 — 4 S.

L'École des femmes 6,511 —

Les Fâcheux 2,417 —

Le Msanlhrope . 1,405 — 14 s.

Les Femmes savantes 2,029 — 12 s.

V Avare 1,124 —

Tartuffe 6,871 —

M. Ed. Founiierafait le c<unptede tous les bénéficei de Molière, en y comprenant ce qu'il touchait sur(t

• Voy. plus loin à l'Appendice un extrait de cet inventaire. ^ liecherchet, p. 97.

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J.-B. rOQUELIN DE MOLIÈRE. lxxt

pension faite par le roi à sa troupe, et ce qu'il tou* hait encore comme acloiir; le chiffre toial pour tieize années sélèv»' à 16U,0'2I livres 19 sous'.

La bibiiitlhèque de Molière fut dispersée à sa mort, et de tous h'S livres qui oiil été en sa possession on n'en connaît aujourd'hui que deux, dont l'un de Impe- rio Mayni Monyolis, porte sa signature au bas du litre.

Nous souunes plus heureux pour son portrait. Il en existe deux: l'un de Goypel, qui nous fait connaitre Molière à l'âge de trente ans environ, c'est celui dont la gravure se trouve en tête de notre édilinn; l'autre quia été point par Mignard quelques années plus tard Il y a de ce dernier plusieurs reproductions, mais l'original est assurément la toile que la Comédie Fran- çaise a acquise en 1808 des li.ritiers Vidal '. Le pemlre qui a si Lien rendu la beauté du regard, le feu des yeux et l'accent de [ihy^ionomie du Contenifilaleur, de- vait assurément être l'ami intime de Molière, comme l'était Mignard. On retrouve aussi dans ce f)ortrait la couleur éclatante et un peu crue de cet artiste et le mouvement de sa touche. Ces deux portraiis, celui de Goypel et celui de Mignard, reprodui.senl les mêmes traits de Molière, avec les dilférinces d'âge, accusent la même physionomie, la même expression, et prouvent ainsi, l'un par l'autre, leur parfaite ressemblance au modèle, l'arcela même, ils enlèvent toute vaLur aux autres portraits de Molière, qu'on a placés légèrement en tête des nombreuses éditions de ses œuvres.

III

Une femme de beaucoup d'esprit, une actrice de la troupe de Molière, mademoiselle Poisson, nous a laissé

  • Le Roman de Molière, p. 121.

• Violoniste distingué, arri^e-petit-fils par sa mère du peintre Rigaud.

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uxvra J.-B. POQUELIN DE MOLIÈRE.

< sont pas des plus souples avec vous, sentiront niieins ( voire supériiirité. — Ahl monsieur, répondit Mulièie « que me dites-vous là? Il y a un honneur pour moi à f ne point quitter. »

A part quelques pamphlets obscurs, inspirés par, l'envie et justement flétris par le mépris public, tout ce qui se rapporte au caractère du poêle i hom^re elle fait aimer. « Il posséilait, dit Perranll, les qualités qui font i'honnéte liomiiie; il était généreux et bon ami, civil et h'moi abie en t^' «»es ses actions, modeste à recevoir les éloges qu'on lui uonnail, savant sans le vouloir paraître, et d une conveisaiion si douce^et si aisée, (jue les pre- miers de la cour et de la ville étaient ravis de l'entre- tenir. » Griniarest vante, comme Perrault, l'inviolable droiture de son cœur, sa fidéjité en amitié, son obli- geance inépuisable. « Plus leslempss'éloigneront, dit-il après les plus pompeux éloges, pluson lrav;iiliera, plus aussi on reconnaîtra que j'ai ai teint la vérité, et qu'il ne m'a man(|ué que de l'habileté pour la rendre. » Ceci était écrit en 1705, et tout ce que nous avons appris depuis cent cinijuante ans a confirmé ce témoignage.

Deux acteurs de la troupe de Molière, la Tborilliére et Lagraiige, ont tenu registre des faits qui pouvaient intéresser leur association. Ces registres sont an ivés jusqu'à nous, et l'on y trouve à tout instant le témoi- gnage de rmèpuisable bienfaisance et de la charité vraiment chrétienne du gr;ind honnne auquel un pré- lat, dé>honorô par le scandale de ses mœurs, accor- dait à regret un coin de terre dans le champ de repos des suicniés. Quelques lignes de ces gf^ns de théâtre 9n disent plus pour Thoiineur de sa mémoire que les phrases >pleiidides de Dossuet pour l'honneur des moi ts officiels qu'il célébrait devant le roi. Le Contemplateur ouvre son cœur et sa bourse à toutes les misères qu'il rencontre sur son chemin, et sa générosité s'exerce toul ù la fois sur sa famille, ses camarades et ceux qui lui iout le plus étrangers. En 1 G68, son père n'était pas riche.

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J.-B. i^uQUELiN DE MOLIÈRE. ixiix

• Ses affaires, longtemps florissantes, dit M. Edouard Fournier, avaient cessé de l'être. Il s'était retiré chez son gendre, André Boiidel, dans sa maison des Pelils- Pilitrs, en face du pilori, et il y combattait de son mieux la mauvaise fortune.

« Molière, pour lui venir en aide, lui avait donné k pratique du théâtre et lui payait grassement ses mé- moires. Ceii'élait f)as assez, il vit bien sans qu'on le lui dît que l'arj^ent manquait dans la maison des Petits- Piliers. En oflrira-t-il à son père? ce serait pour être refusé, car M. Poquelin a jadis trop maudit le théâtre pour vouloir d'un argent dont ce serait la source. iMo- lièie fait fnieux. Il envoie chez son père un de ses meil- leurs amis, Rohault, le savant, que M. Poquelin et Dondet son gendre connaissaient sans doute. Rohault, à qui il a fait la leçon, deninnde si Ton ne pourrait pas lui enseigner quelque bonne hypothèque pour une somme de dix mille livres qu'il voudrait placer. Le père Poquelin offre sa maison eixore franche d'hypothèque, Uoliault accepte et le service < si rendu. »

Deux ans après, il prêle 4,000 livres à LtiUi ; il prête avecla certitude de n'être point payé 800 fr. à la Cal- prenède, qui mourait de faim; il donne 100 livres au curé de sa paroisse pour les pauvres, il donne aux petits employés du théâtre en même temps qu'aux capucins. Le bruit de ses largesses s'était répandu parmi les ordres mendiants, et les cordeliers, qui ne le traitaient pas comme kur archevêque enexcouiumnié, lui adressè- rent ainsi qu'à ses acteurs l'humble sui>plique que voici :

« Chers frères , les pères cordeliers vous supplient très-humblement d'avoir la bonté de les mettre au nombre des pauvres religieux à qui vous faites la cha- rité. Il n'y a point de couMuunaulé à Paris (|ui en ait un plus grand besoin, eu égard à leur nombieetà l'ex- trême pauvreté de leur maison. L'honneur qu'ils ont d'êlre voisins leur fait espérer que vous leur accorderei

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J.-B. POQUELIN DE MOLIÈRE.

effet de leurs prières, qu'ils redoubleront pour la pro- spérité de voire chère compagnie. »

On ne sait, dit M, Ed. Fournier, quel fut le résultat de celte requête; mais ce qui est certain, c'est que les capucins continuèrent de prélever leur dîme sur les re- celtes, et que peu à peu l'aumône bénévole finit par deve- nir obligatoire. Il n'y manqua plus qu'une ordonnance du roi. Elle fut rendue le 25 février 1699, et le droit des pauvres, né d'une charitable pensée de Molière, fut aiiK^i (léfinitivemenl créé.

Molière, dans liniérieur de sa maison, maintenait l'ordre le plus sévère: il aimait le faste, la représenta- tion, mais sans prodigalité. Autant dans ses rôles il était d'une gaieté saisissante et communicative, autant dans ses babitude^ ordinaires il était grave et pensif. Boileau l'avait surnominé le Contemplateur; en effet, il méditait et observait sans cesse, s'inslruisant aux secrets les plus profonds de l'art par l'étude constante de la réalité, et s'adressanl, pour s'éclairer dans ses travaux, moins au goût des gens de lettres qu'au bon sens et aux impres- siont naïves de sa vieille bonne Laforest *. Adoré de ses camarades, parce qu'il était entièrement dévoué à leurs intérêts, et qu'il se regardait comme leur père, Molière n'était pas moins aimé des grands, qui respectaient en lui l'honnête homme, en même temps qu'ils admiraient l'homme de génie. Le maréchal de Vivonne, si connu par son esprit, dit Voltaire, allait souvent le visiter, et vivtiit avec lui comme Lelius avec Térence. Louis XIV, qui le premier parmi les rois de sa race, créa, au-des- sus de toutes les classes qui partageaient la nation,

  • Cette estimable servante n'était pas seulement utile à son

maître par les soins qu'elle lui prodiguait, elle lui rendait encore plus d'un service par ses avis sur les productions qui étaient de Ja compétence de son bon sens naturel. « Molière, dit Doileau, lui lisait queltjuefois ses comédies; et il m'assurait que lorsque des endroits de plaisanterie ne l'avaient point frappée, il les corri- geait, parce qu'il avait plusieurs fois éprouvé, sur son théâtre, que ces endroits n'y réussissaient point. »

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J.-B. POQUELIN DE MOLIERE. lxxx.

l'aristocratie la plus haute et la plus populaire à la fois, celle de l'intelligence, du courage et du talent , reçut Molière dans son intimité.

Pour répondre aux calomniateurs du poète qui l'ac- ciisaieiit d'avoir épousé sa propre fille, le roi, noua l'avons vu, tenait sur les fonts de baptême son premiei enfant. Pour répondre aux dédains de la noblesse qui prenait parti dans la querelle des marquis, le roi lui donnait les petites entrées, le faisait asseoir à sa table, et disait aux courtisans devenus jaloux de l'homme qu'ils venaient de mépriser : « Vous me voyez occupé de faire manger Molière, que mes officiers ne trouvent pas d'assez bonne compagnie pour eux. » « Aujourd'hui, dit avec raison M. Nisard *, nous trouvons cela tout natu- rel, tant le génie de Molière nous paraît au-dessus de cet honneur. Mais à cette époque, la faveur en était si extraordinaire et si inouïe, que pour faire asseoir à seî côtés son valet de chambre, un comédien, et faire cette violence à l'opinion, non des sots, mais des personnes judicieuses de la cour, il fallait que Louis XIV eût de Molière l'idée que nous en avons, et qu'il eût deviné par instinct une grandeur dont on ne lui avait point parlé dans un temps où l'on ne reconnaissait que celle de Dieu et celle du roi. » On a dit, il est vrai, que Louis XIV n'aimait Mohère que par égoïsme et pour le plaisir d'en être flatté. « Mais, répond justement M. Génin, si la vanité du monarque eût seule inspiré son affection, on l'eût vu en montrer une pareille à Lulli, à Racine, à tant d'autres, plus empressés courtisans que Molière; et il est certain que de tous les grands hommes de ce régne, aucun ne posséda au même degré que Molière l'amitié de Louis XIV. Ne cherchons pas à rabaisser, par une interprétation malveillante, le prix d'un noble sen- timent : Louis XIV aimait Molière en vertu de cette sympathie qui rapproche invinciblement les grandes

  • Histoire de la littérature française, t. II, p. 429.

e.

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pTxii J..B. POQUELIN DE MOLIÈRE.

ânes. Le roi s'est honoré en protégeant le poêle; au- /ourd'hui qu'ils sont entrés l'un et l'autre dans la pos- térité, les rôles sont inlervestis, et c'est la niémoire du grand poète qui protège à son tour la mémoire du grand roi. »

Après avoir reproché au prince de s'êlre montré bienveilliint p;ir calcul, on reproche à l'écrivain de s'être montié courtisan à l'excès; mais n'oublions pas que si Tartuffe a vu le jour, nous le devons uiii(|uement à Louis XIV; que ce prince a soutenu Molière contre la fa- culté, les cabales des ruelles, la colère des marquis, les anallièmes des jansénisies et des jésuites, car le poète, en ouvrant sa main pleine de vérités, avait ameuté contre lui la susceptibilité de quelques consciences sévères, l'hypocrisie (le toutes les consciences tarées, la sottise de tous les pédants, la rancune de toutes les prudes ; et certes, si l'on veut faire un crime au grand comique d'avoir payé de quelques compliments, d'ailleurs mé- rités, la coiislanle protection du maître et sa bienveil- lance inaltérable, aulant vaut lui reprocha r de s'être montré reconnaissant envers son soutien le plus fidèle, on pourrait même dire le pins dévoué, et déclarer sans délouis que l'ingratitude envers les princes doit être compiéeau nombre des vertus civiques.

IV

Comme Shakespeare et Cervantes, Molière appartient â celle race de penseurs et de poètes qui créent dans le domaine de la fantaisie un monde réel, qui font des types vivants avec les personnages qu'ils inventent, des types qui ne meurent jamais, et qui sont connus de tous les peuples, qu'ils s'appellent Fal^taff, don Qui- chotte, Sa ncho. Tartuffe, Alc^ste, ou Harpagon. Connnç ces sorciers du moyen âge qui faisaient apparaître dans un miroir magique l'image de la création, Molière a évoqué riiomme du dix-septième sièile et les hommes

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J.-B. POfjUELlN DE M0L1ÈR;i. uxx:a

'i-j loiisîes siècles, les faiblesses elles vices qui snrvivenl 8 toiilts les tninsfornialions sociales, et les ridicules qui cliaiigenl cornine les modts. La vérilé, dans ses œu- vres, est si profonde, si humaine, qu'elle s'et-t, comme sa gloire elle-inôme, raieuiiie en vieillissant. Lorsqu'il disait : « Je prends mon bien partout où je le trouve, » il avait droit de parler ainsi, paice qu'il cherchait dans les livres, non des traits d e^y)rii ou des mots heurenv, pour se les apfiroprier, mais l'expérience et l'observation du passé, pour la reclitieret l'agrandir par l'expéiience du présent et l'observation de la vie. Il empruntait du cuivre pour en faire de l'or. Comédies sérieuses ou larces, ses pièces olTient toutes une étude psycliologicpie rigoureuse ctcomplele; et quand on analyse l'un ;ipiès l'autre tous ses personnages, on trouve, en addil onnani les diffé- rents caractères, la somme totale de nos pat.sions, de nos vices, de nos senlimenls, et le type des diverses classes de la société. Harpagon, c'est l'avarice sordide ; son fils Cléante, le désordre et la prodigalité ; Tailuffe, l'hypo- crisie dans la scélératesse; don Juan, l'enVonteiie dans le vice; Argan, l'égoïsme et la pusillanimiié ; M. Jour- dain, la vanilè dans la sottise et l'igiiofance ; Vadjus et Trissotin, la sottise et la vanité dans le sa\oir; Céli- mène, l'esprit avec la sécheresse du cœur ; Agnès, la rouerie dans l'ingénuilé; Alceste, la susceptibilité dou. loureuse de la tendresse et de l'honneur; dona Eh ire, c'est la résignation de l'amour indignement trompé; Mathurine, la co(iuetterie primitive et sauvage ; George Dandin, la faiblesse et rirrésolulion; Angéhqne, l'impu- donce de la fennne sans cœur ; Sganarelle, la jalousie sotte et giossiére; Aiiste et Philinte, le bon sens calmo et ramal)iliié; Aglanre, la jalou^ie féminine; enfin, M. Dimanche, c'est le marchand qui vent faire foriune; M. Jourdam, le maicliand qui l'a laite; Dorante, l'escroc, le grec du beau inonde; M. de Solenville, le hobereau de campagne. Les caractères de femmes surtout olfreut, depuis les nuances les plus Irancliées jusqu'aux nuances

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txxxiT J.-B. POQUELIN DE MOLIÈRE.

les plus délicates, l'image vivante de la réalité. En tra- çant des portraits pour ses contemporains, le grand poète écrivait en même temps des signalements pour l'avenir. Nous connaissons tous M. Jourdain. Dorante nous a trichés à l'écarté, et nous avons rencontré Vadius faisant des visites pour se faire nommer de lln- stitut. Armande et BélJ'^e, au dix-huitième siècle, ont été courtisées par des athées. En d793, elles se sont appelées les tricoteuses, plus tard, les bas bleus, les femmes libres, les femmes incomprises; en 1868, elles pérorent dans les réunions publiques et font des con- férences; mais sous leurs noms nouveaux et leurs toilettes nouvelles, nous les avons toujours reconnues. Cœur droit, esprit ferme et sain, franc comme son style, trop grand par la pensée pour n'être point supé- rieur aux misères de la vanité littéraire, Molière dé- fendit surtout la cause du bon sens et de la vérilé. 11 fut tout à la fois un grand peintre, un grand satirique, un grand moraliste. Il poursuivit, par Tartuffe, l'hypocrisie de la piété ; par les Précieuses, l'hypocrisie du langage; par les Femmes savantes, l'hypocrisie des sentiments ; par Pancrace et Marphurius, l'hypociisie du savoir. Comme Colbert, il combattit pour les grandes réformes : il lutta à côté de Descaries contre la barbarie scolasti- que; à côté de Bacon, contre la science qui se payait de mots, et en raillant la faculté, il lui indiquait qu'elle devait à son tour, comme la philosophie, chercher le Novum Organum. Chaque fois qu'il aborde la défense de ses propres ouvrages, Molière se montre le plus grand des critiques. Il n'excelle pas seulement dans la peinture des vices et des ridicules, il excelle aussi à tracer les règles de la vie, et, si personne n'a mieux connu toute l'immensité de la sottise humaine, personne non plus n'a parlé avec la même hauteur et la même simplicité le langage de la raison. Philinte est le maître absolu de la morale sociale, et Chrysale le maître souverain de h morale domestique.

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J.-B. POQUELIN DE MOLIÈRE. lxm»

Dans Pourceaugnac, Molière a donné la plus ébourif- fante des farces ; dans le Misanthrope, la plus profonde des comédies ; dans Don Juan, le plus beau de nos drames romantiques. Il a de la sorte parcouru tous les degrés de l'ai t, et il est resté partout sans rival.

Louis XIV demandait un jour à Boileau quel était le plus grand des écrivains qui bonoraient son règne. Boileau répondit : « Sire, c'est MoUère^ » et ces simples mots étaient l'arrêt de la postérité. Bussy-Rabulin, comme Boileau, devinait l'avenir, lorsqu'il écrivait peu de jours après la perte du grand poète : « Voilà Mo- lière mort en un moment; j'en suis fâché : de nos jours nous ne verrons personne prendre sa place, et peut- être le siècle suivant n'en verra-t-il pas un de sa façon. >» Deux siècles sont passés, dit avec raison M. Bazin, et nous attendons encore.

Charles Lodandre.

  • Le grand satirique ne se contentait pas de louer Molière

devant le roi; il s'honorait aussi en le louant dgvant le public. En 1664, il lui adressait l'une de ses plus ingénieuses satires, la deuxième :

Rare et fameux esprit, dont la facile veine Ignore, en écrivant, le travail et la peine, Pour qui tient Apollon tous ses trésors ouverts. Et qui sait à quel coin se marquent les 1 ons vers, Dans les combats d'esprit savant maître d'escrime. Enseigne-moi, Molière, où tu trouves la rime. On dirait, quand tu veux, qu'elle te vient chercher; Jamais au bout du vers on ne te voit broncher ; Et , sans qu'un long détour t'arrête ou t'emb£rrasse A peine as-tu parlé, qu'elle-même s'y place.

L'opinion de Boileau lut, sauf de très- rares et insigniflantM neeptioDS, celle de ses contemporains.

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APPENDICE

LA TROUPE DE MOLIÈRE

Béjakt î'alné. Cet acteur, qui était bègue et qui fit partie de 17fc lustre Théâtre, mourut le 21 mai 1659. — RÉrART cailet, frère du précédent remplissait, dans le comique, les pères et les seconds Wlets. Il se retira en 1670, avec une pension de mille livres qm la troupe lui fil, et mourut en 1678; c'était un homme très-ser. Tiable, qui rendit de grands services à ses amis, il fut blessé en Toulant séparer deux amis qui se battaient à l'éiiée sur la place du Palais-Hoyal.et il resla toute sa vie boiteux des suites de cette blessure. — Guillaume Maucouread, sieur de Bhécoiirt, excellent acteur comique et tragiciue, mais auteur médiocre, mourut en février 1685 du mal qu'il se donna en jouant le pi incipal rôle de sa comé<lie de Timon. — F. Doirov, dit Baron, di'buta en 1670, par le rôle d'Anliochus, dans la Bérénice, de Cormille. Ce fut l'é- lève de Molière. Voltaire dit que, par la supériorité de ses talents et les dons singuliers qu'il avait reçus de la nature, il mérile d'être connu de la postérité. l'aron, que ses aventures galantes, autant i|ue son talent, avaient rendu célèbre, et dont il est parlé dans une foule d'ouvrages, mourut le 2'2 décembre 1729. — Jeah PiTEL, sieur de Deaival, mort le 29 décembre 1709. C'était, disent les frères Parfait, un fort honnête homme, d'un petit génie, mais bon mari, i)on père et vivant avec ses camarules dans une grande union II jouait les rôles de niais, et se di>tingna dans le rôle de Diaforus.el dans celui de Bobinet, de la Comtesse (V l'.scarbagnas. — Edme WiLQuiN, dit DE Beie, s'engagea avec sa lemme dans U troupe de Mo iére et le suivit à Pans. Il niourut en 1676. —Do Parc, dit Ghos-I!enk, fui l'un des (ils de famille (]ui foi-mèrent en 1645 l'Illustre Théâtre ; i\ suivii Molière dans la province, et resta dans sa troupe jusqu'à l'année 1(505, époque de sa nioi-t. Sa femme, mademoiselle du Parc, passa à l'iiôlel de Bourgogne en 1C67, et mourut l'année suivante. — De Crolst ;Pliililierl Gassaud, sieur), genlillionrime de (a Beauce, était à la tête d une troupe ambulante, lorsqu'il rencontra Molière, auquel il s'attacha et (ju'il suivit à Paris. Du Croisy, qui s'acquitta avec succès de quelques grands rfttes, tels que celui de Tartuffe, quitta le tlié.itreen 1()89, et mou- rut en 1695, à l'âge de soixante-six ans environ. U passa tranquil-

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APi'h.NUICK. Lxxivn

lement les dernières années desa vie à Conllans-SaintG-flonorine, près Paris, estimé de tous les hahitaiits, et surtout du curé, qui le regardait coaune un de ses meilleurs parois-iens. Ce hrave curé lut si touché de sa perte, que. n'ayant pas le couioge de l'enter- rer, il pria un de ses amis de lui rendre les derniers devoirs — Geoffiun, dit l'Espï, tit partie de la troupe de Molière de 1059 à lti03. On ne sait rien de sa vie. — Lagkangf (Cliarli s Yarlet, sieur de), né à .\iniens, courut la province et débuia ensuite à Paris avec Molière, en IC58. C'était un fort honnête homme, très-estimé de tous ceux qui le connaissaient, et qui mourut, en I6'i2, dn chagrin d'avoir marié sa fille unique à un homme qui la renJaiî malheureuse. C'est à l.agi-ange et à Vinot, ami de Molière, qu'on doit la première édition des œuvres de ce poëte. Pans, Thierry, 1682. — lluBEUT. Un sait peu de chose de la vie de cet acteur, qui mourut en 1700 — Lenoir, sieur de laTuorillière, quitta l'armée, où il commandait une compagnie de cavalerie pour se consacrer au théâtre C'était un homme de bonne mine, qui rempiit avec distinction plusieurs rôles importants. — Madeleine Béj*rt. sœur des deux Céjart dont nous avons parlé plus haut, née vers 16i0, courut la province de \6')1 à IC45, et s'engagea à cette époque dans la société de l' Illustre Thédlre. Elle mourut en iG72, un (D avant Molière, et se signala dans les rôles de soubrette. — GENEvrÈvE Uervé-Iîéjart, sœur de la précédente, lemine en premières noces du sieur de Villaubrun, el en secondes noces. dAubry, auteur de Drmctrius, UiOrte eu 1075 Le rôle de Bélise, des Femmes savantes, lut à peu près le seul dans leiiuel cette actrice se disiingua. — AB>lA^•DE-Gl',É^l^■DE Béjabt, excellente actrice, femme de Molière, doit surtout sa réputation au nonr quelle portaet auxch;igrinstiue ses dé-o dres cau-èientàl'homme illusti'e qui l'avait malheureusement choisie pour épouse. Mariée en secondes noces, comme nous le disons dans la ^otice. à Gué- rin d'Estriché, elle obtint les plus grands surcés au théâtre, quitta la scène en IGOi, avec une pension de nulle livres ei mou- rut à Paris, en HtiO, après avoir expié par une conduite sé- vère les torts de sa jeunesse. On a publié sur elle un puiuphlet fort conim sous ce litre: la Faneuxe comédienne, ou l'Uistoire. de la Giiérin, aii/iaravaitt femme de Molière. — MadeuiDiselle CE.1UVAI, (Jeanne- Olivier l]ouiguij,non) naquit en Hollande; ab;:n- donnée et exposée par ses p;irents, ellelut recueillie par une hlan- «hisseu^e, qui la donnaà une t:oupe d'acteurs anibubin s. lesquels la conduisirent en France, où ils lui firent jouer quel()ues petits rôles. Elles s'en ; cquitta fort lien. Monsiiige, ([ui la vit à Lyon, l'engagea dans sa truupe et l'adopta pour sa liUe. Ce lut là qu'elle épousa Beauval, qui remplissait au théâtre l'emploi de moucheur de chandelles La réputation de mademuiselle Beauval étant arri- vée jusqu'à Paris, Molière oi'liiit un ordre du roi pour La tair« 

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Lxxxviii J.-B. POQUEtlN DE MOLIÈRE.

passer dans sa troupe. Elle débuta avec un grand succès dans la capitale, en 1670, remplit avec éclat les grands rôles comiques, et mourut en 11 20, âgée de soixante-treize ans environ, après avoir eu vingt-quatre enfants. — Mademoiselle Marotte Beadpr< était, si l'on s'en rapporte à Robinet, extrêmement jolie et sage au par-dessus. Elle entra en 1669 dans la troupe de Molière, et se retira en i672. Mademoiselle Beaupré, ayant eu une querelle avec une autre actrice, nommée Catherine Désurils, les deux femmes mirent l'épée à la main, et se battirent en duel. Sauvai, qui vit le combat, en parle dans ses Antiquités de Paris. — Mademoiselle du Croist, femme de l'acteur de ce nom, resta peu de temps dans la troupe de Molière, où elle n'obtint aucun succès, et s'en retira avant 1673. — Mademoiselle du Croisy, fille de la précédente, rem- plit le rôle d'une des Grâces dans Psyclié ; mais il parait qu'elle ne fut reçue dans la troupe qu'après la mort de Molière. — Ma- demoiselle Do Parc, femme de bu Tare dit Gros-René, s'engagea avec son mari dans la troupe de Molière, dès le début de l'Illustre Théâtre. Elle était à la fois tragédienne, comédteime et dan- •euse. On lit dans le Mercure de France, de 1740, qu'elle faisait certaines cabrioles remarquables pour le temps ; qu'on voyait ses jambes au moyen d'une jupe qui était ouverte des deux côtés, avec des bas de soie, attachés au haut d'une petite culotte, ce qui était alors une nouveauté. Mademoiselle Du Parc joua avec succès dans quelques-unes des tragédies de Racine. — Mademoiselle La- «BANGE (Matie Ragueneau), femme du comédien Lagrange, mou- rut en 1727. — Caiherine I.eclerc, femme d'Edme VYilquin, connue sous le nom de mademoiselle de Brie,1 une des meilleuret actrices de son temps, était une très-belle personne. Elle inspira un atta- chement très-vif à Molière, et le traita touiours irès-favorablf^ ment.

Nous devons ajouter que cette troupe formée par Molière éleva pour la première fois le jeu de la scène à la hauteur d'un art vé- ritable, et qu'elle se montra digne de ce nom à^ Comédie Fran- çaise qu'elle prit plus tard.

INVENTAIRE DE MOLIÈRE

Ensuivent les habits de théâtre.

Item. Une manne dans laquelle il y a un habit pour la repré- lentation du Bourgeois gentilhomme, consistant en une robe de chambre rayée, doublée de taffetas aurore et vert, un haut-de- ehausses de panne rouge, une camisole de panne bleue, un bonnet de nuit et une coiffe, de» chausses et une écharpe de toile peinte

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APPENDICE. Lxixn

k l'Indienne, une veste à la Turque et un tui-Dan, un snl.re, de? chausses de brocart aussi garnies de rubans vert el aurore, et deux points de Sedan. Le pourpoint de laft'etas garni de dentelle d'argent (aux. Le ceinluron, des bas de soie verts el des tuants, »vec un chapeau garni de plumes aurore et vert; prisé en.-einble «oixanle-iiix livres, ci lxx'« 

llem. Une boîte dans laquelle est un habit pour la représen- tation de Pourceaugiiac, consistant en un haut-de-cbau.-;ses de damas rouge garni de dentelle, un jusie-au-corps de velours bleu garni d'or faux, un ceinluron à frange, des jarrelières vertes, un cliapcau gris garni d'une plume verte, l'écharpe de taffetas vert, une paire de gants, une jupe de talfelas verl garni de den- telle et un manteau de taffetas noir, une paire de souliers; prisé tiente livres, ci,. ... xxx".

Item. Une autre boite où est l'habit de la représentation de Amphilryon, contenant un tonnelet de taffetas vert avec une petite dentelle d'argtnt fin, une chemiseite de même lafletas, deux cuissards de satin rouge, une paire de souliers a\ec les lassures garnies d'un galon d'argent, avec un bas de soie céladon, les festons, la ceinture et un jupon, et un bonnet brodé or el •rgcnt fin, prisé soixante livres, ci Ix".

Item. Une autre boite où est l'habit de la représenlation du Tartuffe, consistant en pourpoint, chausse et manteau de véni- tienne noire, le manteau doublé de tabis et garni de dentelle d'Angleterre, les jarre: ières et ronds de souliers el souliers, pa- reillemeni garnis ; piisé soixante livres, ci Ix".

Item. Une boîte dans lai|uolle sont les habits de la représen- tation de George Dandin, consistant en haut-de-chausses et man- teau de talTelas musc, le col de même; le lout garni He dentelle et boutons d'argent, la ceinture pareille; le peut pourpouil de satin cramoisi; autre pourpoint de dessus, de brocari de diffé- renlcs couleurs et denielles li'argent, la fiaise et souliers. Ltans la même boîte est aussi l'habit du Mariage forcé, qui est haut-do» chausses et manleiui de couleur d'olive, douhlé de vert, garni de boutons violet et argent faux, et un jupon de satin à fleurs aurore, garni de pareils boulons faux, et la ceiniu' e ; prisé soixante Uvres, ci. . Ix".

Item. Une autre boîte où sont les habits de la représentation du Misant/irope, consistant en haut-de-chausses etjusle-au-corps de brocart rayé or et soie gris, doublé de tabis, garni de luban vert ; la veste de brocart d'or, les bas de soie et jarretièie> ; prisé trente livres, ci. . xxx"

Item. Une boîte des habits de la représentation des Mé'Iecins, oui.sistant en un (lourpoint de petit sa' m découpé sur roc'? d'or, ie manteau et chausses de velours à fond d'or, garni de gance et JC-utôQs; pi isé quinze livres, ci. rv

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ïc J.-B. POQUELIN DE MOLIÈRE.

ilein. Une autre boîte [des habits] de la représentation de t Avare, consistant en un manteau, chausses et pourpoint de satin noir, frarni de dentelle ronde de soie noire, chuiieau, perruque, louliers; prisé vingt livres, ci ^x".

llem. In habit du niartiuis des Fâcheux, consistant en unrhin- grave de petite étoffe de soie rayée bleue et aurore, avec une amjile garniture d'incarnat et jaune, de Colbertine, un pourpoint de toile Colbertine, garni de rubans ponceau, bas de soie et jarre- tières. L'habit de Caritidès de la même pièce, manteau et chausses de drap, garni de découpures et un pourpoint tailladé. Le juste- au-corps de chasse, sabre et la sanple, ledit juste-au -corps garni de galons d'argent fin, une paire de gants de cerf, une paire de bas à botter de toile jaune; prisés cinquante livres, ci. . . 1".

Dam une manne

Item. [Un habit] servant à la représentation des Femme» ta- vante*, composé de juste-au-corps et haut-de-chausses de velours noir et ramaye à fond aurore, la veste de gaze violette et or, garnie de boutons, un cordon d'or, jarretières, aiguillettes et gants; prisé vingt livres, ci xx".

llem Un habit de Glitidas, consistant en en tonnelet, chamisette, un jupon, 'in caleçon et cuissards, ledit tonnelet de moire verte, garni de deuX dentelles or et argent; la che'uisettc de velours à fond d'or; les souliers, jarretières, bas, festons, fraises et man- chettes, le tout gai-ni d'argent fin ; prisé soixante livres, ci. Ix".

Item. Un habit d'Espagnol, chausses, manteau de drap et le pourpoint de satin, le tout garni de broderies de soie ; prisé quinze livres, ci xv".

Item. Un habit du Sicilien, les chausses et manteau de satin violet, ;ivec une broderie or et argent, doublé de tabis vert, et lé jupon de moire d'or, à manches de toiles d'argent, garni de broderie et d argent, et un bonnet de nuit, une perruque et une épée; prisé soixante-quinze livres, ci Ixxv'*.

Item. Un jupon d'étolfe rayée violet, le bonnet, manchon et cui>sards, une paire de souliers, un bonnet de même étoffe que le jupon, une toque de brocart d'or, une ceintnre; le haut-de- ch.iusses de salin à bande de moire verte; prisé vingi-cinq li- vres, ci sxv'S

llem. Dn jupon de satin aurore, une camisole de toile à pare* ivieiils d or, un pourpoint de satin à fleurs du Feslin de Piem. Deux panttières, une fine, l'autre fausse ; une écuarpe de taffetas; une petite chemisette à manches de taffetas couleur de rose et argent fin. lieux manches de tafletas couleur de feu et moire ■ïwte, fîimies de dentelles d'argent; une chetrJsettC' do taffetas

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APPENDICE. ICI

fouge, deux cuissards de moire d'argent vert; prisé ensemble Tingt livres, ci sx".

Ue7n. Une chemisette et un haut-de-chausses à la Turque, larni (le dentelle d'arj;enl fia; prisé de dix livres, ci. ... x"

liem. Un paquet, consistant en quatre manches, deux cnisrards l'or, des décDupiires, une panetière, des Las, une bourse et une teinture, une paire de gants, un ceinturon et porte-épée, et un haut-de-cbausses, un bonnet; le tout prisé ensemble huit livres, ti [viii"],

Item.\]n haut-de-chausses de satin noir, prisé trois livres, ci. iii".

Ce fait, l'assignation continuée à demain huit heures du malin, et ont signé.

iiUIAnDE CrESINDE CLilBE EsLISABET BsiART. A. BotlDET.

Du mercredi avant midi, quinzième jour dudit mois de mars et •n mil six cent soixante-treize, à la requête et présence que dessus, a été inventorié ce qui ensuit :

Ilem. Un colire de bahut rond, dans lequel sesonl trouvés les babils pour la représentation du ilédecin malgré lui, consistant en pourpoint, hant-de-chausses, col, ceinture, iraise et bas de laine et escarcelle, le tout de ser^e jaune garnie rie radon vert; une robe de satin avec un haut-de-chausses de velours ras ci- selé. Un autre habit pour l École de» mari», consistant en haut- de-chausses, pourpoint, manleau, col, escarcelle et ceinture, le tout de satm couleur musc. Un autre habit pour i Etourdi, consis- tant en pourpoint, haut de-chausses, manteau de salin Et encore un autre habit pour le Cocu imaginaire, haut-de-chausses, pour- point et manteau, col et souliers, le tout de satin muge cramoisi. Une petite loLe de chambre et bonnet de popehue, prisés en- semble vingt-cmq livres, ci xxv".

Ensuivent les habits de ville à usage dudit défunt

Item. Un juste-à-corps, un haut-de-chausses de petite étofié dTec une veste de satin doublée de ouate et un bas de soie, prisé quinze livres, ci xv".

Item. Un juste-au-corps et chausses de drap d'Hollande noir, une paire de bas de soie; prisé dix livres, ci x'*.

Item. Un juste-à- corps et chausses de droguel brun, ledîl juste-au-corps («ici doublé de taffetas noir, une paire de bas de laine et une destame; prisé quinze livres, ci. . . ... xv".

Item. Un juste-à-corps de rhingrave, de drap d'Hollande musc, ivec une veste de satin de la Chine blanc, les jarretières et bas de

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Rii J.-B. POQUELIN DE MOLIÈRE.

«oie. avec une garniture de saiin ; prisé vinpt-cinq livres, ci. xx»*» Hem. Une robe de ciiambre de brocart rayé, doublé de laffeta;

bleu, prisée vingt-cinq livres, ci xxv".

Les livres, ne formant point dans l'inventaire un article spécial, ils y viennent au hasard de la rencontre en suivant les apparte- ments où ils se trouvent. On en compte huit cents à Paris et une quarantaine à Auteuil ; tous ne sont pas relevés bibliogra- hiquement, et il est probable qu'un certain nombre de volumes, onsidérés comme de peu de valeur, ont été omis; en voici le ca- alogue d'après M. Soulie :

La sainte Bible. — Plutarque. — Hérodote. — Diodore de Si- cile. — Dioscoride. — Lucien. — Héliodore — Térence. — César. — Virgile. — Horace. — Sénèque. '— Tive Live. — Ovide.

— Juvénal. — Valère le Grand. — Cassiodore. — Montaigne. — Bahac. Les Œuvres. — La Mothe le Vatjcr. — Georges de Scu- déry. Alaric ou Rome vaincue. — fierre Corneille. — RohauU Traité de physique. — Comédies françaises, italiennes cl espa- gnoles. Deux cent quarante volume». — Poésies. Quelques vol.

— Dictionnaire et traités de philosophie. Environ vingt volumes.

— Histoires d'Espagne, de France et d' Angleterre. Quelques vo- lumes. — Valdor. Les Triomphes de Louis XIII. — Voyage du Levant. Un vol. in-4«, à Auteuil. — Voyages. Environ huit vol. in-4°, à Paris. — Calepin. Dictionnaire des langues latine, ita- lienne, etc. Deux volumes in-folio, à Paris. — Claude Paradin.

liances généalogiques. Un volume in-lolio, è Paris. — Anti niiét romaines. Un volume in-folio, à Paris. — Un litre itaUm folio, à Paris.

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LA JALOUSIE DU BARBOUILLÉ,

COMÉDIE. NOTICE.

La Jalousie du Barbouillé comme le Èfiiecin volant, est une de ces farces dans le genre italien, qui lOrmaieut le répertoire de la troupe ambulante de Molière. Ces deux petites pièces, re- trouvées et publiées en même temps, sont, parmi les essais de Molière, les seules dont l'authenticité soit prouvée, et par cela même les seules que nous ayons admises dans cette édition.

Le Docteur amoureux, joué il y a peu d'années sur le théâtre de l'Odéon, a soulevé une polémique très-vive; mais de cette polé- mique il nous parait résulter que cette pièce n'était en définitive qu'un pastiche assez habile. Tout ce que Ton sait de positif au- jourd'hui sur cette facétie, c'est qu'elle fut jouée if 24 octobre 1658, dans la salle des Gardes du vieux Louvre, devant Mon- sieur, frère unique du roi, et qu'elle excita dans rassemblée une hilarité générale, ce qui valut à la troupe de Molière, qui venait de la représenter, l'honneur de s'appeler désormais la Troupe de Monsieur.

Les manuscrits du Médecin volant et de la Jalomie du Barbouillé étant tombés entre les mains de Jean-Baptiste Rousseau, il les envoya à M. de Chauvelin, pour l'édition de 1734, sans qu'ils eus- fent reçu cependant à cette époque aucune publicité

Quoique indigne du talent que Molière déploya plus tard, la Jalousie du Barbouillé a cependant le droit d'intéresser, comme essai d'un homme de génie, et aussi parce qu'on y retrouve, ainsi que dans le Médecin volant, quelques points de ressemblance avec le Médecin malgré lui et Georges Dandin.

Outre le Docteur amoureux, on connaît encore parmi les farces de Molière qui ne sont point arrivées jusqu'à nous, les trois DoC' leurs rivaux et le Maître d'éco/e. De plus,onlui attribue aussi, d'a- près les registres de sa troupe, sept autres facéties : voici, suivant M. Taschereau, les titres et les dates des représentations de ces pièces :

Le 18 mai 1659, Gros-René écolier.

Le 18 juin 1660, le Docteur pédant ;

Le 31 janvier 1661, Gorgibm dans le »ac Le 14 septembre i661, le Fagotier ;

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2 LA JALOUSIE DU BARBOUIl.Li:.

e ih avril 1663, la Jalousie de Gros-René;

e 17 janvier 1664, le Grand Benêt de filsaussi sot que sonfèn; Le 25 mai 1664, la Casaque.

« Il est évident, dit M. Taschereau, que le Fagotier, que les re- gistres intitulent quelquefois aussi le Fagoteux et le Médecin par farce, est une farce qui a servi de prélude au Mùdecin malgré lui ; Molière donnait souvent lui-même à cette dernière pièce le titre du Fagoteux; que Gorgibus dans le sac est l'ilée d'une des scènei des Fourberies de Scaptn, et que le Grand Benêt de fils a pu serrir 'esquisse au portrait comique de Thomas Diafoirus. »

PERSONNAGES.

LE BARBOUILLÉ, mari d'Angélique. LE DOCTBUH.

ANGÉLIQUE. Bile de Gorgibas. VALÈRE, amant d'Angélique. CATHAU , suivante d'Angéliqae» GORGIBUS , père d'Angélique. T1LLEBREQUIN. LA VALLÉE.

SCÈNE L - LE BARBOUILLE, «em

H faut avouer que je suis le plus malheureux de tous les hommes! J'ai une femme qui me fait enrager : au lieu de me donner du soulagement, et de faire les choses à mon sou- hait, elle me fail donner au diable vingt fois le jour; au lieu de se tenir a la maison, elle aime la promenade, la bonne chère, et fréquente je ne sais quelle sorte de gens. Ahl pauvre Barbouillé, que tu es misérable! 11 faut pourtant la punir. Si tu la tuois... Tintention ne vaut rien, car tu serois pendu. Si lu la faisois meltre en prison... la carogne en sorliroit avec sou passe-partout. Que diable faire donc? Mais voilà mon- sieur le docteur qui passe par ici, il faut que je lui demande un bon conseil sur ce que je dois faire.

SCÈNE II. — LE DOCTEUR, LE BARBOUILLÉ.

LE BARBOUILLÉ.

Je m'en allois vous chercher pour vous faire une prière sur une chose qui m'est d'importance.

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SCËNE 1!. 3

LE DOCTEUR.

Il faut que tu sois bien mal appris, bien lourdaud, el bien mal morigéné, mon ami, puisque lu m'aboidossans ôler Ion chapeau, sans observer rationem loci, tempùrix el personœ. Quoi ! débuter par un discours mal digéré, au lieu de dire : Salve, vel salvus sis, doclor doctorum erudilissime. Hé f pour qui me prends-tu, mon ami?

LE BARBOUILLÉ.

Ma foi, excusez-moi, c'est que j'avois l'esprit en écbarpe, et je ne songeois pas à ce que je faisois; mais je sais biec que vous êtes galant homme.

LE DOCTEUR.

Sais-tu bien d'où vient le mot galant homme?

LE BARBOUILLÉ.

Qu'il vienne de Villejuif ou d'Aubervilliers, je ne m'en soucie guère.

LE DOCTEUR.

Sache que le mot galant homme vient d'élégant; prenant le g et l'a de la dernière syllabe , cela fait ga, et puis pre- nant l, ajoutant un a et les deux dernières lettres, cela fait galant, et puis ajoutant homme, cela fait galant homme. Mais, encore, pour qui me prends-tu?

LE BARBOUILLÉ.

Je VOUS prends pour un docteur. Or çà, parlons un peu de l'affaire que je vous veux proposer; il faut que vous sachiez..

LE DOCTEUR.

Sache auparavant que je ne suis pas seulement une fois docteur, mais que je suis une, deux, tiois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf et dix fois- docteur, i" Paiceque, comme l'unité est la base, le fondement, et le premier de tous les nombres; aussi, moi, je suis le premier de tous les docteurs, le docte des doctes. 2" Parcequ'il y a deux facultés néces- saires pour la parfaite connoissance de toutes choses, le sens et l'entendement; et, comme je suis tout sens et tout euten- demeot, je suis d^ux fois docteur.

LE BARBOUILLÉ.

D'accord. C'est que...

LE DOCTEUR.

5° Parceque le nombre de trois est celui de la perfection, selon Aristote; et, comme je suis parfait, et que toutes mes productions le sout aussi, je suis trois fois docteur.

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4 LA JALOUSIE DU BARBOUILLÉ.

LE BARBOUILLÉ.

Hé bien, monsieur le docleur...

LE DOCTEUR.

4° Parceque la philosophie a quatre parties, la logique, la morale, la physique, et la métaphysique ; et comme je les possède toutes quatre, et que je suis parfaitement versé en icelles, je suis quatre fois docteur.

LE BARBOUILLÉ.

Que diable, je n'en doute pas. Écoutez-moi donc.

LE DOCTEUR.

5° Parcequ'jl y a cinq universaux, le genre, l'espèce, la différence, le propre et l'accident, sans la connoissance des- quels il est impossible de faire aucjjn bon raisonnement; et, comme-je m'en sers avec avantage, et que j'en connois l'uti- lité, je suis cinq fois docteur.

LE BARBOUILLÉ.

Il faut que j'aie bonne patience.

LE DOCTEUR.

6° Parceque le nombre de six est le nombre du travail; et, comme je travaille incessamment pour ma gloire, je suis six fois docleur.

LE BARBOUILLÉ.

Hol parie tant que tu voudras.

LE DOCTEUR.

7" Parceque le nombre de sept est le nombre de la féli- cité; et, comme je possède une parfaite connoissance de tout ce qui peut rendre heureux, et que je le suis en effet par mes talents, je me sens obligé de dire de moi-même : ter quaterque beatum! 8° Parce que le nombre de huit est le nombre de la justice à cause de l'égalilé qui se rencontre en lui, et que la justice et la prudence avec lesquelles je mesure et pèse toutes mes actions me rendent huit fois docleur. 9* Parccqu'il y a neuf Muses, et que je suis également chéri d'elles. i{)° Parceque, comme on ne peut passer le nombre de dix saus faire une répétition des autres nombres, et qu'il est le nombre universel ; aussi, quand on m'a trouvé, on a trouvé le docteur universel; je contiens en moi tous les au- tres docteurs. Amsi, tu vois par des raisons plausibles, vraies, démonstratives et convaincantes, que je suis une, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix fois docleur.

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SCENE II, 5

LE MRnOUlLLÉ.

Que diable est ceci? je croyois trouver un homme bien savant, qui me doiuH-ioiluQ bon conseil, et je tiouve un ra- moneur de cheminées, qui, au lieu de me parler, s'amuse à jouer à la mourie. Un, deux, trois, qualie; ha, ha, ha ! Oh bien! ce n'est pas cela; c'est que je vous prie tie m'éoouler, et croyez que je ne suis pas un homme à vous faire perdre vos peines, et que, si vous me satisfaites sur ce que je veux de vous, je vous donnerai ce que vous voudrez; de l'argent, 81 VOUS en voulez.

LE DOCTEUR.

Hé! de l'argent?

LE BARBOUILLÉ.

Oui, de l'argent, et toute autre chose que vous pourriez demander.

LE DOCTEUR, troussant sa robe derrière ion cul.

Tu me prends donc pour un homme à qui l'argent fait tout faire, pour un homme allaché à rinléièl, pour une âme mercenaire? Saille, mon ami, que, qiiniul lu me dounorois une bourse pleine de pislolcs, et que celle bourse seioit dans une riche boîle, celle boite dans un étui précieux, cet étui dans un coffre admiiable, ce coffre dans un cabinet curieux, ce cabiuet dans une chambre magnifique, celte chambre dans un appartement agréable, cet a|iparleiiient dans un châ- teau pompeux, ce château dans une citadelle incomparable, cette ciladclie dans une ville célèbre, celle ville dans une île fertile, celle île dans une province opulente, cette province dans une monarchie llorissante, cette monarchie dans tout le monde; et que tout le monde où seroit celle monarchie florissante, où seroit celle province opulente, où seroit cette île fertile, où seroitcelte ville célèbre, où seroit celte citadelle incomparable, où seroit ce château pompeux, où seroit cet appartement agréable, où seroit ce cabmet curieux, où seroit ce colfre adimrable, où seroit cet étui précieux, où seroitcelte riche boîte dans laquelle seroit enfermée la bourse pleine de pistoles, que je me soucierois aussi peu de tou argeul et de toi que de cela.

( Il s'en va. ) LE BARBOUILLÉ.

Ma foi, je m'y suis mépris : à cause qu'il est velu comme un méd^ciu^ j'ai cru qu'il lui falloit parler d'argent; mais

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6 LA JALOUSIE DU BARBOUILLE

puisqu'il n'en veut point, il n'y a rien de plus aisé que de le contenter : je m'en vais courir après lui.

( Il sort.)

SCÈNE III. — ANGÉLIQUE , VALÈRE, CATHAU.

ANGÉLIQUE.

Mousieur, je vous assure que vous m'obligerez beaucoup de me tenir quelquefois compagnie; mon mari est si mal bâti, si débauché, si ivrogne, que ce m'est un sup'plice d'être avec lui, et je vous laisse à penser quelle satisfaction on pe'it avoir d'un rustre comme lui.

VALÈRE.

Mademoiselle, vous me faites trop d'honneur de me vouloir souffrir. Je vous promets de contribuer de tout mon pouvoir à votre divertissement; et, puisque vous témoignez que ma compagnie ne vous est point désagréable, je vous ferai con- noître par mes empressements combien j'ai de joie de la bonne nouvelle que vous m'apprenez.

CATIIAU.

Ah I changez de discours, voyez porte-guignon qui arrive.

SCÈNE IV. — LE BARBOUILLÉ, VALÈÏIE , ANGÉLIQUE,

r.ATHAU.

VALÈRE.

Mademoiselle, je suis au désespoir de vous apporter de si méchantes nouvelles; mais aussi bien les auriez-vous ap- prises de quelque autre; et, puisque votre frère est fort ma- lade...

ANGÉLIQUE.

Monsieur, ne m'en dites pas davantage; je suis votre ser- vante, et vous rends grâce de la peine que vous avez prise.

LE BAUBOLILLÉ.

Ma foi, sans aller chez le notaire, voilà le certiÇcat de mon cocuage. Ha! ha! madame la carogne, je vou-; trouve avec un homme, après toutes les défenses que je vous ai faites, et vous me voulez envoyer de Gemini en Capricorne !

ANGÉUQCE.

Hé bien ! faut -il gronder pour cela? Ce monsieur vient de m'apprendre que mon fière est bien malade : où est le sujet de querelle?

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SCÈNE VI 7

CATHAl).

j»D I le voilà venu; je m'étonnois bien si nous aurions long- temps du repos.

LE BARBOUILLÉ.

Vous vous gâtez, par ma foi, toutes deus, mesdames les carognes; toi, Calhau, lu corromps ma femme; depuis que tu la sers, elle ne vaut pas la moilié do ce quelle valoit.

CATIIAU.

Vraiment oui, vous nous la baillez bonne.

ANGÉLIQUE.

Laisse là cet ivrogne; ne vois-tu pas qu'il est si soûl qu'il ne sait ce qu'il dit?

SCÈNE V. — GORGIBUS, VILLEBREOriN, ANGÉLIQUE, CATUAU, LE BARBOjJlLLÉ.

GORGIBUS.

Ne voilà pas encore mon maudit gendre qui querelle ma fille I

VILLKBREQUIN.

Il faut Siiypir ce que c'est.

GORGIBUS.

Hé quoi! toujours se quereller! vous n'aurez pas la paix dans votre ménage?

LE BARBOUILLÉ.

Cette coquine-ià m'appelle ivrogne. (A Angélique.) Tiens, je suis bien tenté de te bailler une quinte major, en présence de tes parents.

60RGIBUS.

Au diable Fescarcelle, si vous l'aviez fait.

ANGÉLIQUE.

Alais aussi e'est lui qui commence toujours à...

CATHAO.

Que maudite soit l'heure où vous avez choisi ce grigou!

VILLEBREQUIN.

Allons, taisez-vous; la paix.

SCÈNE VI. — GORGIBUS, VILLEBREQUIN. ANGÉLIQUE CATHAU, LE BARBOUILLÉ, LE DOCTEUR.

LE DOCTEUR.

Qu'est ceci? quel désordre! quelle querelle! quel gra- buge! quel vacarme I quel bruit! quel différeud! quelle com-

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8 LA JALOUSIE DU BARBOUILLÉ.

^if'jon! Qu'y a-t-il? messieurs, qu'y a-l-il? qu'y a-t-il? Çà, çè. voyons s'il n'y a pas moyen de vous inellre d'accord; que je sois votre pacificateur, que j'apporte l'union chez vous.

GORGIBUS.

C'est mon gendre et ma fille qui ont eu bruit ensemble.

LE DOCTEUR.

Et qu'est-ce que c'est? voyons, dites moi un peu la cauâ«  de leur différend.

GORGIBCS.

Monsieur...

LE DOCTEUR.

Mais en peu de paroles.

GORGIBUS.

Oui-dà : mettez donc votre bonneU

■ LE DOCTEUR.

Savez-vous d'où vient le mot bonnet?

GORGIBUS

Nenni.

LE DOCTEUR.

Cela vient de bonum est, bon est, voila q\ji est bon, faiTcqu'il garantit des catarrhes et fiuxions.

GORGIBUS.

i^a foi, je ne savois pas cela.

LE DOCTECB.

Dites donc vite cette querelle.

GORGIBUS.

Voici ce qui est arrivé.

LE DOCTEUR.

Je ne crois pas que vous soyez homme à me tenir long- temps, puisque je vous en prie. J'ai quelques affaires pres- santes qui m'appellent à la ville; mais, pour remettre h paix dans votre famille, je veux bien m'arréter un momeot

GORGIBUS.

J'aurai fait en un moment.

LE DOCTEUK.

Soyez donc bref.

GORGIBUS.

Voilà qui est fait incontinent.

LE DOCTEUR.

Il faut avouer, monsieur Gorgibus, que c'est une belle qualité que de dire les choses en peu de paroles, et que le»

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SCÈNE VI. 9

grands parleurs, au lieu de se faire écouler, se rendent le plus souvent si importuns, qu'on ne les eulend point; vir- liitem primam esse piila compescere linguam. Oui, la plus belle qualité d'uu honnête homme, c'est de pailer peu.

GORCIBCS.

Vous saurez donc...

IB DOCTEUR.

Soorate recommandoil Irois choses fort soigneusement à ses disciples : la relenue dans les actions, la sobriété dans le manger, et de dire les choses en peu de pcroles. Gommencei donc, monsieur Gorgibus.

GORGIBUS.

C'est ce que je veux faire.

LE DOCTEOR.

En peu de mois, sans façon, sans vous amuser à beau- coup de discours, tranchez-moi d'un apophthegnie, vite, vite, monsieur Gorgibus, dépéchons, évitez la prolixité.

fiORGIBCS.

Laissez-moi donc parler.

LE DOCTEUR.

Monsieur Gorgibus, touchez là, vous parlez trop; il faut q'ae quelque autre me dise la cause de leur querelle.

YILLEBREQUm.

Monsieur le docteur, vous saurez que...

LE DOCTEUR.

Vous èteà un ignorant, un indocte, un homme ignare de toutes les bonnes disciplines, un âne en bon françois. Hé quoi! vous commencez la narration sans avoir fait un niot d'exordel 11 faut que quelque autre me conte le désordre. Mademoiselle, conlcz-moi un peu le délail de ce vacarme.

ANCl'LIQUli.

Voyez-vous bieu là nion gros coquin, mou sac à vin de mari?

LE DOCTEUR.

Doucement, s'il vous plaît : parlez avec respect de votre époux, quand vous êtes devant la moustache d'un docteur comme moi.

ANGÉLIQUE.

Ah vraiment oui, docteur! Je me moque bien de vous et de votre doctrine, et [e suis docteur quand je veux

1.

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10 LA JALOUSIE DU BARBOUILLE.

LE DOCTEUa.

Tu C3 docteur quand tu veux? Ouais! Je pense que tu ei en plaisant docteur. Tu as la mine de suivie furt ton ca- price : des parties d'oraison, tu n'aimes que la conjonction ; des genres, que le masculin; des déclinaisons, le génitif; «e la syntaxe, mobile cum pxo; et enfin de la quantité, tu n'aimes que le dactyle, quia constat ex una longa et duahui b'-evibus. Venez çà, \ous, dites-moi un peu quelle est la cause, le sujet de votre combustion.

LE DAIiDOUILLÉ.

Monsieur le docteur...

LE DOCTEOR.

Voilà qui est bien commencé;' monsieur le docteur, ce mot a quelque chose de doux à l'oreille, quelque chose plein dVmphase ; monsieur le docteur !

LE BARBOUILLÉ.

A la mienne volonté...

LE DOCTEIU.

Voilà qui est bien... à la mienne volonté! La volonté pré- suppose le souhait, le souhait présuppose des moyens pour arriver à ses fins, et la fin présuppose un objet; \oilà qui est bien... à 1^ mienne volonté!

LE BARBOUILLÉ.

J'enrage.

LE DOCTEUR.

Oiez-moi ce mot, j'enrage; voilà un terme bas et popu- laire.

LE BARBOUILLÉ.

Hé! G'.onsieur le docteur, écoutez-moi, de grâce.

LE DOCTEUR.

Audi, quœso, auroit dit Cicéron.

LA BARBOUILLÉ.

Oh ! ma foi, si se rompt, si se casse, ou si se brise, je ne m'en mets guère en peme; mais tu mécouteras, ou je te vais casser ton museau doctoral ; et que diable donc est ceci?

tB BARBOUILLÉ, ANGÉLIQUE, GORGIBUS, CATHAU , VILLEBREQUXN Toulaot dire la cause de la niiiTelle, et LF, DOCTEl'R «lisant que la paix est une belle chose, parlent tons à la lois. Au milieu de tout ce Ui uit, le Bai bouille attache le Ducteur par le pied, et le fait tomber i le Docteur se doit laisser

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'

SCÈNE X.

somSer sur le dos : le Baihotiillé l'entraîne par la corde qu'il lui a attachée a«  i.ieJ,et, pendant qu'il lentraiiie, 1p Docteur doi» toujours parler, et complet par «>9 doigts toutes ses raisons, comme s'il n'étoit point à terre.

[Le Barbouillé et le Docteur disparoisseot.) CORCIBUS.

Allons, ma fille, retirez-vous chez vous, et vivez bien ave«  votre mari.

VILLEBREQUIN.

Adieu, serviteur et bonsoir.

(Villebrequin, Gorgibus et Angélique s'en vont.)

SCÈNE VII. — VALÈRE , LA VALLÉE.

VALÈBE.

Monsieur, je vous suis obligé du soin que vous avez pris, et je vous promets de me rendre dans une heure à l'assi- gnatioD que vous me donnez.

LA VALLÉE.

Cela ne peut se différer; et si vous tardez d'un quart d'heure, le bal sera Qui dans un moment : vous n'aurez pas le bien d'y voir celle que vous aimez, si vous n'y venez tout présenlenient.

VALÈRE.

Allons donc ensemble de ce pas.

(Ils s'en vont.)

SCÈNE VIII - ANGÉLIQUE, seule.

Cependant que mon mari n'y est pas, je vais faire un tour ft un bal que donne une de mes voisines. Je serai revenue auparavant lui, car il est quelque part au cabaret; il ne s'a- percevra pas que je suis sortie. Ce maroullc-là me laisse toute seule à la maison, comme si j'étois son chien.

(Elle s'eoTa.)

SCÈNE IX. — LE BARBOUILLÉ , seul.

Je savois bien que j'aurois raison de ce diable de docteur et de sa fichue doctrine. Au diable l'ignorant! j'ai bien en- voyé toute sa science par terre. Il faut pourlant que j'aille un peu voir si notre bonne ménagère m'aura fait à souper.

[U ton.)

SCÈNE X. — ANGÉLIQUE , seule. Que je suis malheureuse I j'ai rosté trop tard, l'assemblé*

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^% LA JALOUSIE DU BARBOUILLE.

est finie : je suis arrivée justement comme tout le monde' sortoit; mais il n'importe, ce sera pour une aulre fois. Je m'en vais cependant au logis comme si de rien n'étoit. OuaisI la porte est fermée; Cathau, Cathau!

SCENE XI. — LE BARBOUILLÉ à la fenêtre, ANGÉLIQUE.

LE BARBOUILLÉ.

Calliau, Cathau! Eh bien! qu'a-t-el!e fait, Cathau? et d'où venez-vous, madame la carogne, à l'heure qu'il est, et par le temps qu'il fait?

ANGÉLIQUE.

D'où je viens? ouvre-moi seulement, et je te le dirai après.

EE BARBOUIJxé.

Oui, ahl ma foi, tu peux aller coucher là d'où tu viens, ou, si tu l'aimes mieux, dans la rue; je n'ouvre point à une coureuse comme toi. Comment, diable! être toute seule à l'heure qu'il est! Je ne sais si c'est imagination, mais mon front m'en paroît plus rude de moitié.

ANGÉLIQUE.

Hé bien! pour être toute seule, qu'en veux-tu dire? Tu me querelles quand je suis en compagnie : comment donc faut-il faire?

LE BARBOUILLÉ.

Il faut être retirée à la maison, donner ordre au souper, avoir soin du ménage, des enfants; mais, sans tant de dis- cours inutiles, adieu, bonsoir, va-t'en au diable, et me laisse en repos.

ANGÉLIQUE,

Tu ne veux pas m'ouvrir?

LE BARBOUILLÉ.

Non, je n'ouvrirai pas.

ANGÉLIQUE.

Hé! mon pauvre petit mari, je t'en prie, ouvre-moi, mon cher petit cœur.

LE BARBOUILLÉ.

Ah ! crocodile I ah I serpent dangereux I tu me caresse» pour me trahir.

ANGÉLIQUE.

Ouvre, ouvre donc.

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SCENE XI. 4S

LE BARBOUILLÉ.

Adieu, vade rétro. Salarias!

ANGÉLIQUE.

Quoi! tu ne m'ouvriras pas?

LE BARBOUILLÉ.

Non.

ANGÉLIQUE.

Et tu n'as point de pitié de ta femme qui t'aime tant?

LE BARBOUILLÉ.

Non, je suis inflexible ; tu m'as offensé, je suis vindicatif comme tous les diables, c'est-à-dire bien fort, je suis inexo- rable.

ANGELIQUE.

Sais-tu bien que si tu me pousses à bout, et que tu me mettes en colère, je ferai quelque chose dont tu te repentiras?

LE BARBOUILLE.

Et que feras-tu, bonne chienne?

ANGÉLIQUE.

Tiens, si tu ne m'ouvres, je m'en vais me tuer devant la pftrle; mes parents, qui sans doute viendront ici auparavant de se coucher, pour savoir si nous sommes bien ensemble, me trouveront morte, et tu seras pendu.

LE BARBOUILLÉ.

Ah, ah, ah, ah, la bonne bétel et qui y perdra le plus de nous deux? Va, va, tu n'es pas si sotie que de faire ce coup-là.

ANGÉLIQUE.

Tu ne le crois donc pas? Tiens, tiens, voilà mou couteau tout prêt; si tu ne m'ouvres, je m'en vais tout à cette heure m'en donner dans le cœur.

LE BARBOUILLÉ.

Prends garde, voilà qui est bien pointu.

ANGÉLIQUE.

Tu ne veux donc pas m'ouvrir?

LE BARBOUILLÉ.

Je t'ai déjà dit vingt fois que je n'ouvrirai point; lue-toi, crève, va-t'en au diable, je ne m'en soucie pas. ANGÉLIQUE, faisant semblant de «e frapper.

Adieu donc... AvI je suis morte.

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14 1.A JALOUSIE DU BAKBOUILLÉ.

LE BARBOUILLÉ.

Sîioit-elle bien assez sotte pour avoir fait ce coup-là V il faut que je descende avec la chandelle pour aller voir.

AKCÉLTQL'E.

Il faut que je t'attrape. Si je peux entrer dans la maison subtilement cependant que tu me chercheras, chacun aura bien son tour.

LE BARBODILLÉ.

Hé bien! ne savois-je pas bien qu'elle n'ëtoit pas si sotte? Elle est morte, et si elle court comme le cheval de Pacolet. Ma foi, elle m'avoit fait peur tout de bon. Elle a bien fait de gagner au pied ; car si je l'eusse trouvée en rie, après m'avoir fait celle frayeur-là, je lui aurois apostrophé cinq ou six clyslères de coups de pied dans le cul, pour liii ap- prendre à faire la hèle. Je m'en vais me coucher cependant. Oh 1 oh I je pense que le vent a fermé la porte. Hél Cathau, Cathau, ouvre-moi.

ANGÉLIQOE.

Cathau, Cathau! Hé bien! qu'a-t-elle fait, Cathau? et d'où venez-vous, monsieur l'ivrogne? Ah! vraiment, va, mes parents, qui vont venir dans un moment, sauront tes vé- rités. Sac à vin, infâme, tu ne bouges du cabaret, et tu laisses une pauvre femme avec des potils enfants, sans savoir s'ils ont besoin de quelque chose, à croquer le marmot tout le long du jour.

LE BARBOUILLÉ.

Ouvre vite , diablesse que tu es, ou je te casserai la tête.

SCÈNE XH. — GORGIBUS. VILLEBREQUIN, ANGÉLIQUE, LE BARBOUILLÉ.

GORGIBUS.

Qu'est ceci ? toujours de la dispute, de la querelle, et de la dissension I

VILLEBREQUIN,

Hé quoi I vous ne serez jamais d'accord?

ANGÉLIQUE.

Mais voyez un peu, le voilà qui est soûl, et revient, à l'heure qu'il est, faire un vacarme horrible; il me menace,

GORGIBUS

Mais aussi ce n'est pas là l'heure de revenir. Ne detrief-

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SCÈNE XIll. i5

vous pas, comme un bon père de famille, vous retirer de boooe heure, el bien \i\re avec voire teinme?

LE BARBOUILLÉ.

'e me donne au diable si j'ai soili de la maison : deman- dez plutôt à ces messieurs qui soûl là-bas dans le parterre; j'est elle qui ne fait que de reveuir. Ah I que l'iunoceuce est •opprimée I

VILLCrREQUlK.

Ça, çà; allons, accordez-vous, demandez-lui pardon.

LE BAUBOUILLÉ.

Moi, pardon I j'aimerois mieux que le diable l'eût em- portée. Je suis dans une colère que je ne me sens pas.

GORGIBUS.

AUoDS, ma fille, embrassez votre mari, et soyez bons amis.

SCÈNE XIII. — LE DOCTEUR a la fenotr». Pn bonne» de nuit et

encamitoie; LE BARBOUILLÉ, VlLLEBKEyUliN, (iORGlBUS,

a^;géliqle.

LE DOCTEUU.

Hé quoi! toujours du bruit, du ilésoidre, de la dissension, des querelles, des débats, des différends, des combustions, des aliénations éleinelles? Qu'est-ce? qu'y a-t-il donc? On ne sauroit avoir du repos.

VILLEBREQUIN.

Ce n'est rien, monsieur le docteur ; tout le inonde est d accord.

LE docti;l"r. a propos d'accord, voulez-vous que je vous lise un chapitre d'Arislole, où il prouve que toutes les parties de l'univers ne subsistent que par l'accord qui est entre elles?

VILLEBREQUIN.

Cela est-il bien long ?

LE DOCTEUR.

Non, cela n'est pas long; cela contient environ soixante ou juatre-vingts pages,

VILLEBREQUIN.

Adieu, bonsoir, nous vous lemercions.

GORGIBCS.

Il n'en est pas de besoin.

LE DOCTEDR.

Vous ne le voulei pas ?

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(8 LA JALOUSIE DU BARUOUiLLE.

GORGIBUS.

Non.

LE IK)CTEUR.

Afiiou donc, puisque ainsi est ; bonsoir: latine^ bona nox-

VILLEBREQUIN.

%Uons-nou8-en souper ensemble, nous autres.

Biv n tk ;alou5ii se tkiMovxiut

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LE MEDECm VOLANT,

COMÉDIE.

NOTICE.

Les pièces italiennes dont le goût s'était propagé en France dans la seconde moitié du seizième siècle, servirent longtemps, âTec les pièces du théâtre latin, de modèles aux écrivains drama- tiques français. La comédie des Abusés, de l'Académie siennoise, traduite par Cliarles Estienne, fut représentée à Blois, devant Henri 11 avec un grand succès ; Pierre de Mesmes et Jean de la Taille traduisirent lut Sup]^osés et le Ncgromant de l'Arioste. Le Champenois Pierre de Larivcy, «'inspira égalem'»nt de l'Italie; et dans le siècle suivant, lorsque Molière débuta dans la carrière dramatique, il fît comme ses devanciers, il imita les compatriotes de l'Arioste, de Machiavel et de Bibbiena. Le MfMcin volant, l'une des premières pièces qu'il ait composées, n'est que l'imitation d'un canevas italien, il Medico volante, dont il s'inspira plusieurs fois, même dans ses ouvrages les plus sérieux. I^ Médecin volant, dont l'authenticité est incontestablCj a été retrouvé en 1819, et publié par M. de Soer.

PERSONNAGES.

GOReiBTJS , père de Lucile. IL'CILE. lillo de Gorgibu». VALÈRE, amant de Lucile. SABINE, c.iHsine de Lucile. SGANARELLE, valet de Valèrp. GROS-RENÉ, valet de Gorgibus. UN AVOlUT.

SCÈNE I. - VALÈRE . SABINE.

VALÈRE.

•lé bleu I Sabine, quel conseil me donnes-tu?

SABINE.

Vraiment, il y a bien des nouvelles. Mon oncle veut reso*

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{8 LE MÉDECIN VOLANT.

lumeut que ma cousine épouse Viltebrequin, et les affaire! sonl tellcinenl avancées, que je crois qu'ils eussent été ma- riés dès aiijouidhui, si vous n'étiez aimé; mais, comme ma cousine m'a confié le secret de l'amour quelle vous porte, et que nous nous sommes vues à l'extrémilé par l'avarice de mon vilain oncle, nous nous sommes avisées d'une bonne invention pour différer le mariage. C'est que ma cousine, dès rtieure que je vous parle, contrefait la malade; et le bon vieillard, qui est assez crédule, m'en^oie quérir un mé- decin. Si vous en pouviez envoyer quelqu'un qui fût de vos bons amis, et qui fût de notre intelligence, il conseilleroit 4 la malade de prendre l'air à la campagne. Le bon homme, ne manquera pas de faire loger ma cousine à ce pavillon qui est au bout de notre jardin , el7 par ce moyen, vous pour- riez l'entretenir à l'insu de notre vieillard, l'épouser, et le laisser pester tout son soûl avec Villebrec in.

VALÈRE.

Mais le moyen de trouver si tôt un médecin à ma poste, et qui voulût tant hasarder pour mon service I Je te le dis franchement, je n'en connois pas un.

SABINE.

Je songe à une chose; si vous faisiez habiller votre valet en médecin : il n'y a rien de si facile à duper que le bon homme.

VALÈBE.

C'est un lourdaud qui gâtera tout; mais il faut s'en ser-' ?ir, faute d'autre. Adieu, je le vais chercher. Où diable trouver ee marouUe à présent? mais le voici tout à propos.

SCÈNE IL — VALÈRE , SGANARELLE.

VALÈIŒ.

Ahl mon pauvre Sganarclle, que j'ai de joie de te voir! Fai besoin de toi dans une affaire de conséquence; mais, comme je ne sais pas ce que tu sais faire...

SGANARELLE.

Ce que je sais faire, monsieur? employez-moi seulement en vos affaires de conséquence, ou pour quelque chose d'im- portance : par exemple, envoyez-moi voir quelle heure il est à une horloge, fôir combien le beurre vaut au marché.

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SCÈNE lï. 49

abreuver un cheval, c'est alors que vous connoitrez ce que je sais faire.

VALERE.

Ce n'est pas cela; c'est qu'il faut que tu contrefasses le médecin.

SGANAT.ELLF..

Moi, médecin, mousieurl ië suis prêt à faire tout ce qu'il vous plaira; mais, pour t.^^re le médecin, je suis assez votre serviteur pour n'en rien \:v:i-e du tout; et par quel bout m'y prendre, bon Dieu? Ma foi. monsieur, vous vous moquez de moi.

VALÈRE.

Si tu veux entreprendre cela, va, je te donnerai dix pis- toles.

SGANARELLE.

Ahl pour dix pistoles, je ne dis pas que je ne sois méde- cin; car, voyez-vous bien, monsieur, je n'ai pas l'esprit tant, tant subtil , pour vous dire la vérité Mais, quand je serai médecin, où irai-je'

VALÈRE.

Chez le bon homme Gorgibus, voir sa fille qui est ma- lade; mais tu es un lourdaud qui, au lieu de bien faire, pourrois bien...

SGANARELLE.

Hél mon Dieu, monsieur, ne soyez point en peine; je vous réponds que je ferai aussi bien mourir une personne qu'aucun médecin qui soit dans la ville. Ou dit un proverbe, d'ordinaire : après la mort le médecin; mais vous verrez que, si je m'en mtle, ou dira : apiès le médecin gare la mort! Mais, néanmoins, quand je sonjje, cela est bien dif- ficile de faire le médecin; et si je ne fais rien qui vaille?

VALÈRE.

Il n'y a rien de si facile en celte rencontre; (îorgibus est un homme simple, grossier, qui se laissera étourdir de ton discours, pourvu que tu parles d'Hippocrate et de Galien, cl que tu sois un peu effronté.

SGANARELLE.

C'est-à-dire qu'il lui faudra parler philosophie, mathéma- tique. Laissez-moi faire, s'il est un homme facile, comme vous le dites, je "ous réponds de tout; venez seulement me

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20 LE MÉDECIN VOLANT.

faire avoir un habit de médecin, et m'instruire de ce qu'il me faut faire, et me donner mes .licences, qui sont les dix pisloies promises.

( Valère et Sganarelle s'en todU)

SCÈNE III. — GORGIBUS, GROS-RENÉ.

COBGIBUS.

Allez vilement chercher un médecin, car ma fille est bien malade, et dépêchez-vous.

GROS-RENÉ,

Que diable aussi! pourquoi vouloir donner votre fille à un vieillard? Croyez-vous que ce ne soit pas le désir qu'elle a d'avoir un jeune homme qui la travaille? Voyez-vous la connexité qu'il y a, etc. {galimalias.)

GORGIBUS.

Va-l'en vite; je vois bien que cette maladie-là reculera' bien les noces.

GROS-REXE.

Et c'est ce qui me fait enrager; je croyois refaire mon venlre d'une bonne carrelure, et m'en voilà sevré. Je m'en vais chercher un médecin pour moi, aussi bien que pour votre nile; je suis désespéré.

( Il sort.)

SCÈNE IV. — SABINE, GORGIBUS, SGANARELLE.

SABINE.

Je vous Irouve à propos, mon oncle, pour vous apprendre une bonne nouvelle. Je vous amène le plus habile médecin du monde, un homme qui vient des pays étrangers, qui sait les plus beaux secrets, et qui sans doute guérira ma cousine. On me l'a indiqué par bonheur, et je vous l'amené. Il est si savant, que je voudrois de bon cœur cire malade, afin qu'il me guérît.

GORGIBUS.

Où est-il donc?

SABINE.

Le voilà qui me suit; tenez, le voilà.

GORGIBUS.

Très humble serviteur à monsieur le médecin. Je vous envoie quérir pour voir ma fille qui est malade; je mets toute mon espérance en vous.

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SCENE III. 2>

SGANAIIELLE.

Hippocrate dit, et Galien, par vives raisons, persuade qu'une 'versonne ne se porte pas bien quand elle est malade. Vous avez raison de mettre votre espérance en moi ; car je p«is le plus grand, le plus habile, le plus docte médecin qui soit dans la Faculté végetable, sensitive et minérale.

GORGIBUS.

J'en suis fort ravi.

SGANARELLE.

Ne VOUS imaginez pa» que je sois un médecin ordinaire, 'in médecin du commun. Tous les autres médecins ne sont, à mon égard, que des avortons de médecins. J'ai des talents particuliers, j'ai des secrets. Salamalec, salamalec. Rodrigue, as-tu du cœur? tignor, si; signor, no. Per omnia sœcula $<BCulorum. Mais encore voyons un peu.

SABINE.

Eh! ce n'est pat lui qui est malade, c'est ^a Bile.

SGANARELLE.

11 n'importe ; le sang du père et de la fille ne sont qu'une même chose; et par l'allération de celui du père, je puis connoître la maladie de la fille. Monsieur Gorgibus, y auroit- il moyen de voir de l'urine de l'égrotante?

GORGIBUS.

Oni-dà; Sabine, vite allez quérir de l'urine de ma fille. ( Sabine «ort. » Monsieur le médecin, j'ai grand'peur qu'elle ne meure.

SGANARELLE.

Ah I qu'elle s'en garde bien 1 il ne faut pas qu'elle s'amuse à se laisser mourir sans l'ordonnance de la médecine. (Sabine rentre.) Voili de l'urine qui marque grande chaleur, grande inflammation dans les intestins ; elle n'est pas tant mauvaise pourtant.

GORGIBUS.

Eh quoi I monsieur, vous l'avalez?

SGANARELLE.

Ne vous étonnez pas de cela : les médecins, d'ordinaire, se contentent de la regarder; mais moi, qui suis un médecin hors du commun, je l'avale, parcequ'avec le goût (e discerne bien mieus la cause et les suites de la maladie; mais, à vous dire la vérité, il y en avoit trop peu pour avoir un i)on ju- gement : qu'on la fasse encore pisser.

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»i2 LL MEDECllN VOLANT.

SABINE sort et revient.

J'ai bien eu de la peine à la faire pisser.

SGANARELLE.

Que cela 1 voilà bien de quoi I Faites-la pisser copieusement copieusemenl. Si tous les malades pissent de la sorte, je veui être médecin toute ma vie.

SABINE sort et revient.

Voilà tout ce qu'on peut avoir; elle ne peut pas pisser davantage.

SGANARELLE.

Quoil monsieur Gorgibus, votre fille ne pisse que des gouttes? voilà une pauvre pisseuse que votre fille; je vois bien qu'il faudra que je lui ordonne une potion pissatrice. N'y auroil-il pas moyen de voir la iwalade?

SABINE.

Elle est levée ; si vous voulez, je la ferai venir. SCÈNE V. — SABINE. GORGIBUS, SGANARELLE, LUCILE

SGANARELLE.

Hé bieni mademoiselle, vous êtes malade?

LBCILE.

Oui, monsieur.

SGANARELLE.

Tant pis, c'est une marque que vous ne vous portes pas bien. Sentez-vous de grandes douleurs à la tète, aux reins? [lucile. Oui, monsieur.

SGANARELLE.

C'est fort bien fait. Oui, ce grand médecin, au chapitre qu'il a fait de la nature des animaux, dit... cent belles cho- ses; et, comme les humeurs qui ont de la connexité ont beaucoup de rapport; car, par exemple, comme la mélan- colie est ennemie de la joie, et que la bile qui se répand par le corps nous fait devenir jaunes, et qu'i. n'est rien plus con- traire à la santé que la maladie, nous pouvons dire, avec ce grand homme, que votre fille est fort malade, il faut que je vous fasse une ordonnance.

GORCIBCS.

Vile une table, du papier, de l'encre.

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tCÈNEVIII. 25

S6ANARELLE.

Y a-t-il quelqu'un qui sache écrire?

GOrtGIDUS.

Est-ce que vous ne le sa\cz point?

SGANAUKLLE,

Ah I je ne m'en souvenois pns ; j'ai tant d'affaires dans la tête, que j'oublie la moitié... Je crois qu'il seioil nécessaire que votre tille prit un peu l'air, qu'elle se divertit à la cam- pagne.

60RGIGUS.

Nous avons un fort beau jardin, et quelques chambres qui y répondent; si vous le trouvez à propos, je l'y feiai loger.

SGANARELLE.

Allons visiter les lieux,

( III Mirteot toai, )

SCÈNE VI. — L'AVOCAT, wui

J'ai ouï dire que la fille de monsieur Gurgihus étoit ma- lade; il faut que je m'informe de sa sanlé, et que je lui offre mes services comme ami de toute sa famille. Holà, holàl monsieur Gorgibus y est-ii?

SCÈNE VII. — GORGIBUS, L'AVOCAT.

l'avocat. Ayant appris la maladie de mademoiselle votre fîlle, je TOUS suis venu témoigner la part que j'y prends, et vous faire offre de tout ce qui dépend de moi.

GORGIBUS.

J'étois là dedans avec le pins savant homme*

l'avocat. N'y auroit-il pas moyen de l'entretenir un moment?

SCÈNE Vm. — GORGIBUS, L'AVOCAT, SGANARELLE.

GORGIBOS.

llonsieur, voilà un fort habile homme de mes amis, qus flouhaiteroit 3e vous parler, et vous entretenir.

SGANARELLE.

Je n'ai pas le loisir, monsieur Gorgibus; il faut aller à mes naïades Je ne prendrai pas la droite avec vous, moasiçur.

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24 LE MÉDECIN VOLANT.

l'avocat. Monsieur, après ce que m'a dit.monsieur Gorgibus de votre mérite et de votre savoir, j'ai eu la plus grande passion du monde d'avoir l'honneur de votre connoissance, et j'ai pris la liberté de vous saluer à ce dessein ; je crois que vous ne le trouverez pas mauvais. 11 faut avouer que reux qui excellent en quelque science sont dignes de grande louange, et parti- culièrement ceux qui font profession de la médecine, tant h cause de son utilité, que parcequ'elle contient en elle plu- sieurs autres sciences; ce qui rend sa parfaite connoissance fort difficile : et c'est fort à propos qu'Hippocrate dit dans son premier aphorisme : Vita brevis, ars verb longa, occasio aulem prœceps, experimenlum, judicium periculosum, dif- ficile.

SCANARELLE, à Gorgibu».

Ficile tanlinapota baril cambuslibus. l'avocat.

Vous n'êtes pas de ces médecins qui ne s'appliquent qu'à la médecine qu'on appelle rationale ou dogmatique, et je crois que vous l'exercez tous les jours avec beaucoup de suc- cès, experienlia magislra rerum. Les premiers hommes qui firent profession de la médecine furent tellement estimés d'avoir cette belle science, qu'on les mit au nombre des dieux pour les belles cures qu'ils faisoient tous les jours. Ce n'est pas qu'on doive mépriser un médecin qui n'auroil pas rendu la santé à son malade, puisau'elle ne dépend pas absolument de ses remèdes, ni de son savoir; interdum doclà plus valet arte tnalum. Monsieur, j'ai peur de vous être importun : je prends congé de vous, dans l'espérance que j'ai qu'à la première vue j'aurai l'honneur de converser avec vous avec plus de loisir. Vos heures vous sont précieuses, etc.

(L'avocat loit.) GORGIBCS.

Que VOUS semble de cet homme-là ?

SCANARELLE.

Il sait quelque petite chose. S'il fût demeuré rant soit peu davantage, je l'allois mettre sur une matière sublime et re- levée. Cependant je prends congé de vous. (Gor^ibut lui doco* da l'argeit.) Hé I que voulez-vous faire?

GORGIBCS.

Je sais bien ce que je vous dois.

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SCÈNE XI. 25

SCANARELLE.

Vous moquez-vous, monsieur Goi gibus? Je n'en prendrai pas, je ne suis pas un homme mercenaire. ( ii prend largent.) Votre très humble serviteur,

(Sgauarelle sort, et Gorgibns rentre dam sa maisoi.)

SCÈNE IX. — VALÈRE, seul.

Je ne sais ce qu'aura fait SganareUe : je n'ai point eu de ses nouvelles, et je suis fort en peine où je le pourrois ren- contrer. (Sganarellc revient en habit de valet.) Mais bon, le VOici. lié bien! SganareUe, qu'as-tu fait depuis que je ne t'ai pas vu'

SCÈNE X. - VALÈRE, SGANARELLE.

SGAÎJARELLU.

Merveille sur merveille; j'ai si bien fait, que Gorgibus me prend pour un habile médecin. Je me suis introduit chez lui; je lui ai conseillé de faire prendre l'air à sa fille, laquelle est à présent dans un appartement qui est au bout de leur jar- din, tellement qu'elle est fort éloignée du vieillard, et que vous pourrez l'aller voir commodément.

VALÈRE.

Ah ! que tu me donnes de joie I Sans perdre de temps, je la vais trouver de ce pas.

(Il sort.) SGANARELLE.

11 faut avouer que ce bon homme de Gorgibus est un vrai lourdaud de se laisser tromper de la sorte. (ApprceVant a<jrgibn«.J Ah! ma foi, tout est perdu ; c'est à ce coup que voilà la mé- decine renversée; mais il faut que je le trompe.

SCÈNE M. — SGANARELLE, GORGIBUS.

GORGIBUS.

Bonjour, monsieur.

SGANARELLE.

Monsieur, votre serviteur; vous voyez un pauvre garçon atî lîosespoir : ne connoissez-vous pas un médecin qui est ar- me .lepuis peu en cette ville, qui fait des cures admirables?

GORGTBIS.

0:ii, je le connois; il vient de sortir de chez moi.

SGANARELLE.

h suis son frère, mnnsieiT : nous sommes jumeaux; et,

L 2

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26 LE MEDECIN VOLAIST.

comme nous nous ressemblons fort, on nous prend quelque- fois l'un pour l'autre.

GORGIBDS.

Je me donne au diable si je n'y ai été trompé. Et com- ment vous nommez-vous?

SGANARELLE.

Narcisse, monsieur, pour vous rendre service. II faut que vous sachiez qu'étant dans son cabinet j'ai répandu deux fioles d'essence qui étoieiit sur le bord de sa table ; aussitôt il s'est mis dans une colère si étrange contre moi, qu'il m'a mis hors du logis; il ne me veut plus jamais voir, tellement que je suis un pauvre garçon à présent, sans appui, sans support, sans aucune connoissance.

GORGIBUS.

Allez, je ferai votre paix; je suis de ses amis, et je vous promets de vous remettre avec lui; je lui parlerai d'abord que je le verrai.

SGAiNAKELLE.

Je vous serai bien obligé, monsieur Gorgibus.

(Sganarelle sort et rcolre aussitôt avec sa robe de médeciB4

SCÈNE XII. — SGANARELLE, GORGIBUS.

SGANARELLE,

Il faut avouer que quand ces malades ne veulent pas suivre l'avis du médecin, et qu'ils s'abandonnent à la débauche...

GORGIBUS.

Mô:tsieur le médecin, très humble serviteur. Je vous de- mande u:>e grâce.

SGANARELLE.

Qu'y a-t-ii, monsieur? est-il question de vous rendre ser- vice?

GORGIBDS.

Monsieur, je viens de rencontrer monsieur votre frère qui •st tout à fait fâché de...

SGANARELLE.

C'est un coquin, monsieur Gorgibus.

GORGIBDS.

Je vous réponds qu'il est tellement contrit de vous avoir mis en colère...

SCANARl^LLE.

C'est un ivrogne, monsieur Gorgibus.

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SCENE XIV, 27

fiORGIBUS.

Eh! monsieur, voulez-vous désespérer ce pauvre garçon?

SGANARELLE.

^ju'on ne m'en parle plus; mais voyez l'impudence de c«  eoquin-là, de vous aller Irouver pour faire son accord; je TOUS prie de ne m'en pas parler.

GOUGIBUS.

Au nom de Dieu, monsieur le médecin, faites cela pour l'amour de moi. Si je suis capable de vous obliger en autre chose, je le ferai de bon cœur. Je m'y suis engagé, et...

SGANARELLE.

Vous m'en priez avec tant d'instance Quoique j'eusse

fait serment de ne lui pardonner jamais; allez, touchez là, je lui pardonne. Je vous assure que je me lais grande vio- lence, et qu'il faut que j'aie bien de la complaisance pour vous. Adieu, monsieur Gorgibiis.

( Gorgibus rentre dans sa maison et Sganarelle s'en va.)

SCÈNE XIII. — VALÈRE. SGANARELLE.

VALÈRE.

Il faut que j'avoue que je n'eusse jamais cru que Sgana- relle se fût si bien acquitté de son devoir. (Sganarelle rentre avec

ses habits de valet.) Ah I mon pauvre garçon, que je t'ai d'obli- gation I que j'ai de joiel et que...

SGANARELLE.

Ma foi, vous parlez fort à votre aise. Gorgibus m'a ren- contré; et, sans une invention que j'ai trouvée, toute la mèche était découverte. (Apercevant Corgibas.) Mais fuyez-vous-en, le voici.

(Valère sort.)

SCÈNE XIV. — GORGIBUS, SGANARELLE.

GORGIBUS.

Je vous cherchois partout pour vous dire que j'ai parlé h votre frère : il ma assuré qu'il vous paidoiiiioil; mais, pour en être plus assuré, je veux qu'il vous embrasse en ma pré- ■ence ; entrez dans mou logis, et je Tirai cheicber.

SGANARELLE.

Eh ! monsieur Gorgibus, je ne crois pas que vous le trou- viez à présent; et puis je ne resterai pas chez vous ; je crains trop de sa colère.

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28 LE MÉDECIN VOLANT.

OORGIBUS.

Ah 1 vous y demeurerez, car je vous enfermerai. Je m'en vais à présent chercher votre frère; ne craignez rien, je vous réponds qu'il n'est plus fâché.

(Gorgibai lort. SGANARELLE, de la fenêtre.

Ma foi, me voilà allrapé ce coup-là; il n'y a plus moyen de m'en échapper. Le nuage est fort épais, et j'ai bien peur que, s'il vient à crever, il ne grêle sur mon dos force coups de bâton, ou que par quelque ordonnance plus forte que toutes celles des médecins, on ne m'applique tout au moins un cau- tère royal sur les épaules. Mes affaires vont mal : mais pour- quoi se désespérer? puisque j'ai tant fait, poussons la fourbe jusqu'au bout. Oui, oui, il en faut encore sortir, et faire voir que Sganarelle est le roi des fourbes,

(Sganareile saute par la fenêtre et s'eo Ta.)

SCÈNE XV. — GROS-REXÉ, GORGIBUS, SGANARELLE.

GROS-RENÉ.

Ah! ma foi, voilà qui est drôle! comme diable on saute ici par les fenêtres! Il faut que je demeure ici, et que je voie à quoi tout cela aboutira.

GOBGIBUS.

Je ne saurois trouver ce médecin; je ne sais où diable il

s'est caché. (Apercevant Sganarelle qui revient en habit de médecin.) Mais

le voici. Monsieur, ce n'est pas assez d'a\oir pardonné à votre frère; je vous prie, pour ma satisfaction, de l'embrasser: il est chez moi, et je vous cherchois partout pour vous prier de faire cet accord en ma présence.

SGAÎJAREI.LE.

Vous vous moquez, monsieur Gorgibus ; n'est-ce pas asseï que je lui pardonne? je ne le veux jamais voir.

GORGIBIS.

Mais, monsieur, pour l'amour de moi.

SGANARELLE.

Je ne vous saurois rien refuser : dites-lui qu'il descende.

(Pendant que Gorgibus entre dans la maison par la porte, Sganarelle y rentt^ par la fenêtre.)

GORGIBUS, à la fenêtre.

Voilà votre frère qui vous attend là-bas : il m'a promis qu'il fera tout ce aue vous voudi'ez.

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SCÈNE XV. ■ 29

SGANARELLE, à la fenêtre.

iMonsiour Gorgibus, je vous prie de le faire venir ici; je vous conjure que ce soit en particulier que je lui demande pardon, parceque sans doute il me feioit cent hontes, cent upprobrcs devant tout le monde,

(Gorgibiis sort de sa maison par la porte, et Sgaiiarelle par la fenêtre.) GORGIBLS.

Oui-dà, je m'en vais lui dite... Monsieur, il dit qu'il est honloux, et qu'il vous prie d'entrer, afin qu'il vous demande pardon en particulier. Voilà la clef, vous pouvez entrer; je vous supplie de ne me pas refuser, et de me donner ce eon- tenlcincnt.

SGANARELLE.

il n'y a rien que je ne fasse pour votre satisfaction : vous allez entendre de quelle manière je levais traiter, (a i» fenêtre.) Ah! lo \oilà, coquin. — Monsieur mon frère, je vous demande paidoii, je vous promets qu'il n'y a pas de i^ia faute. — • Pilier do débauche, coquin, va, je t'apprendrai à venir avoir la hardiesse d'importuner monsieur Gorgibus, de lui rompre la télé de tes sottises. — Monsieur mon frère... — Tais-toi, te dis-je. — Je ne vous désoblig... — Tais-toi, coquin.

GROS-RENÉ.

Qui diable pensez-vous qui soit chez vous à présent?

GORGIBUS.

C'est le médecin et Narcisse son frère; ils avoicnt quelque différend, et ils font leur accord.

GROS-RENÉ.

Le diable emporte 1 ils ne sont qu'un.

SGANARELLE , à la fenêtre.

Ivrogne que tu es, je t'apprendrai à vivre. Coir.me il baisse la vue I il voit bien qu'il a failli, le pendard. Ah ! l'hypo- crite, comme il fait le bon apôtre !

GROS-RENÉ.

Monsieur, dites-lui un peu par plaisir qu'il fasse mettre son frère à la fenêtre.

GORGIBUS.

Oui-dà... Monsieur le médecin, je vous prie de faire pa- roitre votre (rere à la fenêtre.

SGANARELLE, de la fenêtre.

U est indigne de la vue des gens d'hoRtieur, et puis je ne le saurois souffrir auprès de moi.

2.

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30 LE MÉDECIN VOLANT.

GOr.GIDlS.

Monsieur, ne me refusez pas celte grâce, après toutes ceilles ue vous m'avez faites.

SGANAREIXE, de la fenêtre.

En vérité, monsieur Gor^ibus, \oiis avez un tel pouvoir sur moi, que je ne vous puis rien lefuser. Montre-toi, co-

(]uin. (Après avcnr disparu un moment, il se remontre en habit de valet.)

Monsieur Goigibus, je suis volie obligé, (n disparou encore, et re-

paroît aussitôt en robe de médecin.) Hé bien I aveZ-VOUS VU Cette

image de là débauche?

GROS-RENÉ.

Ma foi, ils ne sont qu'un; et, pour vous le prouver, dites* lui un peu que vous les voulez voir ensemble.

CORGIBIS.'

Mais faites-moi la grâce de le faire paroitre avec vous, et de l'embrasser devant moi à la fenéire.

SGANARELLE, de la fenétro.

C'est une chose que je reiuserois à tout autre qu'à vous; mais, pour vous montrer que je veux tout faire pour l'a- mour de vous, je m'y résous, quoiq-i avec peine, et veux auparavant qu'il vous demande paid i de toutes les peines qu'il vous a données. — Oui, mon'u • ir Gorgibus, je vous demande pardon de vous avoir lanl m (lortuné, et vous pro- mets, mon frère, en présence de monsieur Gorgibus que voilà, de faire si bien désormais, que vous n'aurez plus lieu de vous plaindre, vous priant de ne plus songer à ce qui s'est passé.

(Il embrasse son chapeau M aa fraise, qu'il a mis au bout de son coude.) CORGIBIS.

Hé bienl ne les voilà pas lous deux?

GROS-RENÉ,

Ah [ par ma foi, il est sorcier.

SGANARELLE, sortant de la maison, en médeciD 1

Monsieur, voilà la clef de votre maison que je vous retids;

je n'ai pas voulu que ce coquin soit descendu avec moi, par-

cequ'il me fait honte; je ne voudrois pas qu'on le vît en ma

compagnie, dans la ville où je suis eu quelque réputation.

Vous irez le faire sortir quand bon vous semblera. Je vous

donne le bonjour, et suis votre serviteur, etc.

(U feint de s'en aller, et, aj res avoir mis ba« ^a robe, rentre daas la maison par U fenêtre.]

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SCÈNE XV!. 54

GOBGiniS.

H faut que j'aille délivrer ce pauvre garçon; en vérité, s'il lui a pardonné, ce n'a pas été sans le bien maltrailer.

(Il entre dans sa maison, 'et en sort avec Sganarelle ea habit de valet.) SGANARELLE.

Monsieur, je vous remercie de la peine que vous aveï prise, et de la bonfé que vous avez eue, je vous en serai obligé toute ma vie.

GROS-RENÉ.

Où pensez-vous que soit à présent le médecin?

GORGIBLS.

H s'en est allé.

GROS-RENÉ, qui a ramassé la robe de SgaDarelle.

Je le tiens sous mon bras. Voilà le coquin qui faisoit !e médecin, et qui vous trompe. Cependant qu'il vous trompe et joue la farce chez vous, Valère et votre ûlle soûl ensem- ble, qui s'en vont à tous les diablos.

GORGIBLS.

Oh ! que je suis malheureiix ! mais tu seras pendu, fourbe, - coquin!

SGANARELLE.

Monsieur, qu'allez-vous faire de me pendre? Écoutez un mof, s'il vous plaît; il est vrai que c'est par mon invention que mon mnîlre est avec votre fille; mais, en le servant, je ne vous ai point désobligé : c'est un parti sortable pour elle, tant pour la naissance que pour les biens. Croyez-moi, ne faites point un vacarme qui tourneroit à votre confusion, et envoyez à tous les diables ce coquin-là avec Villebrequin. \fais voici nos amants.

SCÈNE XVI. — VALÈRK, LUCILE , GORGIBUS, SGANARELLE.

VALÈRE.

Nous nous jetons à vos pieds.

GORGIBrS.

Je vous pardonne, et suis hemeusement trompé par Sga- jarelle, ayant un si brave geiidio. Allons tous faire noces, et boire à la sauté de toute la compagnie.

nu DU StEDECIV TOliNT.

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L'ÉTOURDI,

ou

LES CONTRE-TEMPS,

COMÉDIE EN CINQ ACTES ,

REPRÉSENTÉE A LYON EN 1055, ET A t-AUlS EN 1658.

NOTICE.

Molière avait trente et un ans révolus, lorsque, après sept années d'une vie nomade, il vint à Lyon en 1053. et ce fut là qu'il donna au public sa première comédie, celle de l'Étourdi. — «Pour ceux qui voudront étudier les développements du génie de Molière, dit avec raison M. Bazin, il faudra se rappeler que cet ouvrag" n'est point le début hàtif d'un jeune cerveau, mais l'essai ré- fléchi d'un talent qui a hésité longtemps à se produire. Du reste, il est impossible d'y non déco!ivrir qui ait trait aux mœurs du temps, aux événements historiques, à la physionomie particulière d'une époque. La seule moquerie épisodiqne qu'on en puisse tirer ne s'adresse pas plus loin qu aux officiers subalternes de justice, avrr qui les comédiens de campagne avaient souvent à faire.»

La marche de l Étourdi a été blâmée par les commentateurs et les critiques, conmie n'élint p is suffisamment régulière. C'est, a l-on dit, une espèce de comédie épisodique, composée de plu- sieurs petites intrigues détachées,

El chaipie actp en sa pièce est une pièce entière.

De plus, on a reproché h Molière l'insignifiance de ses deux rôles de femmes, les longiioiirs de son dénoùment obscur et roma- nesque, et surtout d'avoir en quelque sorte efîacé le personnage de l'Etourdi, qui devrait tenir le premier rang, devant le per- sonnage du valet .Masrarille. Voltaire, tout en sous-entendant ce* reproches, leur repond en ces mots :

« Celte pièce est la première comédie que Molière ait donnée à Pans; elle est composée de plusieurs petites intrigues asseï indépendantes les unes des autres : c'élail le iront du théâtre ita- lien et espagnol qui s'était introduit à Pans, Les comédies n'éttiient alors que des tissus d'aventures singulières, où l'on n'avait guère songé à peindre les mœurs ; le théitre n'était poiot^

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NOTICE. 53

comme il doit l'être, la représentation de la vie hiiniuine ; on u'y voyait que de vils bouffons, qui étaient les modèles de nos jodelets, et on ne représentait que le ridicule de ces raisé- bles, au lieu de jouer celui de leurs maîties. La bonne co- médie ne pouvait être connue en France, puisque la société et la galanterie, seules sources du bon comique, ne faisaient que d'y naitre... Aussi ce ne fut qu'après avoir bien vu la cour el Paris, et bien connu les hommes, que Molière les représenta avec des couleurs si durables. »

Quoi qu'il en soit de ces critiques, lorsque l'Étourdi fut joué à Paris sur le théâtre du Petit-Bourbon, en 1658, il reçut du public l'accueil le plus favorable. « Il eut, dit Voltaire, plus de succès que l'Avare, le MUanthrope, les Femmes savantes n'en eurent de- puis; c'est qu'avant l'Etourdi on ne connaissait pas mieux, et que la réputation de Molière ne faisait point encore d'ombrage. Il n'y avait alors de bonne comédie au Tliéàtre français que le MenteuT. » — M. Nisard, en comparant la pièce de Molière à celle de Corneille, n'hésite point à donner la ,jréférence à la pre- mière. « Quoique cette création, dit M. Nisard, du même ordre que le Menteur, no soit pas de force à porte: ont le développe- ment d'une comédie et à être un centre d'action, elle est plus vraie que celle du Menteur. Il y a plus d'étourdis qui ne sont qu'étourdis, que de menteurs de profession. )i

L'Inavvertito du comédien Nicolo Barbieri a îourni à Molière l'idée première de cette pièce. Mais suivant M. Aimé Martin, « il faut chercher les principaux emprunts et la donnée de l'intrigue dans VEmilia, comedia nova di Luigi Groto Cieco di Hadrta. qui est elle-même une imitation des Adelphes de Térence. Les principaux personnages sont les mêmes dans les deux pièces, excepté celui de l'Étourdi, q,ui appartient à Vlnavvertito, et qui est à peine in- diqué dans VÉmilie. Un esclave intrigant, copié sur les Daves de l'ancienne comédie, est le véritable modèle de Mascarille; cet esclave, ainsi que le valet de Lélie, tient le fil de l'intrigue, et fait mouvoir toute la pièce : il escroque de l'argent au père pour servir les amours du fils. {Emilie, act. I, se. ix.) La scène char- mante où Mascardle persuade à Pandolfe qu'il doit acheter la bulle esclave est encore imitée de la pièce italienne. Les scènes i et II de l'acte II d'Emilie, ont égale^ep' fourni à Molière la gcène ife de son acte IV. »

Comn*e il importe au début même de cette carrière que notre auteur devait parcourir avec tant de gloire, de remonter à toutes les origines de ses inspirations, nous ajouterons que le théâtre espagnol n'a pas moins servi Molière que le théâtre italien. Voici ce qu'on lit à ce sujet dans les Études sur l'histoire des institutions et de la Littérature en Espagne, de M. Viardot (Paris, 1835, in-8». peg. 366)

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54 L'ÉTOURDI,

M Le Menteur de Coineiilo, dit Voltaire, n'est qu'une traduc- tion ; mais c'est probablement à cette traduction que nous de- \ons Molière. Il est impossible en effet que l'inimitable Molière ait vu cette pièce sans voir tout d'un coup la prodigieuse supé- riorité que ce genre a sur les autres, et sans s'y livrer entière- ment. » L'illustre commentateur donne, en parlant ainsi, le plus éclatant témoignage de son exquise sagacité 5 car ce qui n'était Jans sa pensée qu'une conjecture, une vraisemblance, se trouve Hre un fait positif. La preuve en est fournie par Alolière lui- «lême. Voici comment il s'exprime dans une lettre à Boileau iitée par Martinez de la Rosa, et que Voltaire ne connaissait point: «Je dois beaucoup au Menteur; quand on le représenta, j'avois déjà le désir d'écrire, mais j'étois en doute sur ce que j'écrirois. Mes idées étoient encore confuses, et cet ouvrage les fixa... Enfin, sans le Menteur, j'aiirois composé sans doute dea comédies d'intrigue, l'Étourdi, le Défit amoureux, mais peut-être n'aurois-je pas fait le Misanthrope. »

Ce ne fut pas seulement pir l'intermédiaire du grand Cor- neille que Molière reçut l'influence du théâtre espagnol ; il lui Ht, surtout dans ses ouvrages de second ordre, plusieurs t;n- primts directs. — M. Viardot ajoute que l'épisode d'Andrcs, dans l'Étourdi, est imité de la nouvelle de Cervantes, la Gitanilla dé Madrid, mise en comédie i)ar Solis.

PERSONNAGES.

LÉLIE, 61sdePaDdolfe«. CÉLlE, esclaîs de Triiraldin '. MASCARILLE, valet de J.élie ' HIPPOLTTB. fille dAiiselme*. ANSELME, père d'Hippulyte ». TBI'FALDIN, vieillard. PANUOI.FF, père deLcIie*. LÉANDRE, lils de famille. ANDRÈS, cru Égyptien. ER6ASTE. ami de Hascani;».

UNXOURRIES.

DEUX TROUPES SE MASQUES.

La scène est à Messine.

SCÈNE I. — LÉLIE, seui.

Hé bien! Léandre, hé bien! i! faudra contester; Nous verrons «le nous deux qui pourra remporter;

  • Acteurs de la troupe de Molière ; La Grange. — ' Mademoiselle de Bric

— • BoUEIE. — * Mademoiselle du Parc. — ' Louis Béjart ' BÊJ à«T aioi.

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ACTE I, SCENE II.

Qui, dans nos soins communs pour ce jeune mira<îl8ç Aux vœux de son rival portera plus d'nbstacle : Préparez vos efforts, et vous défendez bien, Sûr que de mon côté Je n'épargnerai rien.

SCÈNE II. — LÉLIE, MASCARILLE.

LÉUE.

Ahl Hascarillel

MASCARILLE.

Quoi?

LÉLIE.

Voici bien des affaires; J'ai dans ma passion toutes choses contraires : Léandre aime Céiie, et, par un trait fatal, Malgré mon changement, est encor mon rival ^.

MASCARILLE.

Léandre aime Célie!

LÉLIE.

Il l'adore, le dis-je.

MASCARILLE.

Tant pis

LÉLIE.

Hé, oui, tant pis ; c'est là oe qui m'afQi^ Toutefois j'aurois tort de me désespérer; Puisque j'ai ton secours, je puis me rassurer; Je sais que ton esprit, en intrigues fertile, N'a jamais rien trouvé qui lui fût difficile; Qu'on te peut appeler le roi des serviteurs, Et qu'en toute la terre...

MASCARILLE.

Hé! trêve de douceurs. Quand nous faisons besoin, nous autres misérablM, Nous sommes les chéris et les incomparables ; Yl dans un autre temps, dès le moindre courront, iious sommes les coquins qu'il faut rouer de coups.

LÉLIE.

Ua foi ! tu me fais tort avec cette invective. Mais enfin discourons un peu de ma captive : L^is si les plus cruels et plus durs sentiments

' ^4R. Maigre mon cDaDgeraeot est (ou/oMrt bob riv«S

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.5» L'ETOURDI.

Ont ri^n d'impénétrable à des traits si charmanif^. Pour moi, dans ses discours, comme dans son visage. Je vois pour sa naissance un noble (omoignage ; Et je crois que le ciel dedans un rang si bas Cache son origine, et ne Ten tire pas.

MASCARJLLE.

Vous êtes romanesque avecque vos chimères. Mais que fera Pan<lolfe t.- toutes ces affaires? C'est, monsieur, ^olre père, au moins à ce qu'il ihî. Vous savez que sa bile assez souvent s'aigrit, Qu'il peste contre vous d'une belle manière, Quand vos déporicmeuts lui blessent la visière. Il est avec Anselme en parole pour vous Que de son Hippolyte on vous fera l'époux, S'imaginanI que c'est dans le seul mariage Qu'il pourra rencontrer de quoi vous faire sagft; Et s'il vient à sa\oir que, rebutant son chon,. D'un objet inconnu vous recevez les lois, Que de ce fol amour la fatale puissance Vous soustrait au devoir de votre obéissance, Dieu sait quelle tempête alors éclatera, Et de quels beaux sermons on vous régalera,

LÉUE.

Ah I tre-.'e, je vous prie, à votre rhétorique I

MASCARILLE.

Mais vous, trêve plutôt à voire politique!

Elle n'est pas fort bonne, et vous devriez tà<her.,.

LÉUE.

Sais-tu qu'on n'acquiert rien de bon à me fâcher. Que chez moi les avis ont de tristes salaires, Qu'un valet conseiller y fait mal ses affaires?

MASCARILLE. ( à pari.) (»iaul.)

  • \ se met en courroux. Tout ce que j'en ai dit

i^'étoit rien que pour rire et vous sonder l'esprit. D'un censeur de plaisirs ai-je fort l'encolure? Et Mascarille est-il ennerr.' de nature? Vous savez le contraire el qu'il est très certain Qu'on ne peut me taxer que d'être trop humain. Moqnez-\ous des sermons d'un vieux barbon de père; Toussez voire bidet, vous dis-je, et laissez faire.

1

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ACTE I, SCENE II.

Ha foi! j'en suis d'avis, que ces penards chagrius Nous viennent ctouidir de leurs contes badins. Et, vertueux par force, espèrent par envi'» Oler aux jeunes gens les plaisirs de la vie. Vous savez mon talent, je m'offre à vous servir.

LÉLIE.

Ah ! c'est par ces discours que lu peux me ravir. Au reste, mon amour, quand je l'ai fait paroître, N'a point été mal vu des yeux qui l'ont fait naître Mais Léaudre, à l'instant, vient de me déclarer Qu'à me ravir Célie il se va préparer ; C'est pourquoi dépêchons, et cherche dans ta tète Les moyens les plus prompts d'en faire ma conquéfc , Trouve ruses, détours, fourbes, inventions, Pour frustrer mon rival de ses prétentions •.

MASCARILLE.

Laissez-moi quelque temps rêver à celtfi affaire.

(à part.)

Que pourrois-je inventer pour ce coup nécessaire?

LÛLIE.

Eh bien l le stratagème ?

MASCARILLE.

Ah ! comme vous courez ! Ma cervelle toujours marche à pas mesurés. J'ai trouvé votre fait : il faut... Non, je m'abuse. Mais si vous alliez...

LÉLIE.

Où?

MASCARILLE.

C'est une foible ruse. Feu soDgeois une...

LÉLIE.

Et quelle?

MASCARILLE.

Elle n'iroil pas bien. Mais ne pourriez-vous pas... ?

LÉLIE.

Quoi?

MASCARILLE.

Vous ne pourriez rie».

» Ta». Pour frustrer un rlv»l de ses préleniions.

I. 8

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58 L'ÉTOURDI.

Parlez avec Anselme.

LÉLIE.

Et que lui pnis-je direT

MASCARILLE.

I! est vrai, c'est tomber d'un mal dedans un pire. Il faut pourtant l'avoir. Allez chez Trufaldia

LÉLIE.

Que faire? ^

MASCARILLE.

Je ne sàîs.

LÉLIE.

C'en est trop à la fin , Et tu me mets à bout pap ces coules frivoles.

MASCARILLE.

Monsieur, si vous aviez en main force pistoles,

Nous n'aurions pas besoin maintenant de rêver

A chercher les biais que nous devons trouver,

Et pourrions, par un prompt achat de celte esclave.

Empêcher qu'un rival vous prévienne et vous brave.

De ces Égyptiens qui la mirent ici,

Trufaldin, qui la garde, est en quelque souci ;

Et, trouvant son argent, qu'ils lui font trop attendre,

Je sais bien qu'il seroit très ravi de la vendre ;

Car enfin en vrai ladre il a toujours vécu ;

I! se feroit fesser pour moins d'un quart d'écu,

Et l'argent est le dieu q^ue surtout il révère ;

Mais le mal, c'est...

ÉLIE.

Quoi? c'est...

MASCARILLE.

Que monsieur votre pèrej Est un «utre vilain qui ne vous laisse pas, Comme vous voudriez bien, manier ses ducats ; Qu'il n'est point de ressort qui, pour votre ressource, Pût faire maintenant ouvrir la moindre bourse, liais tâchons de parler à Célie un moment. Pour savoir là-dessus quel est son sentiment ; La fenêtre est ici.

LELIE.

Mais Trufaldin, pour eila-

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ACTE 1, SCENE IV. 39

Fail do nuil el de jour exacte sentinelle. Prends garde.

MASCARILLE.

Pans ce coin demeurons en repos. bonheur 1 la voilà qui sort tout à propos >.

SCÈNE III. - CÉLIE, LÉLIE, MASCARILLE.

LÉLIE.

Ah ! que le ciel m'oblige, en offrant à ma vue Les célestes atlrails dont vous êtes pourvue! Et, quelque mal cuisant que m'aient causé vos yeux, Que je prends de plaisir à les voir en ces lieux I

CÉLIE.

Bien cœur, qu'avec raison votre discours étonne, N'entend pas que mes yeux fassent mal à personne; El, si dans quelque chose ils vous ont outragé, Je puis vous assurer que c'est sans mon congé.

LÉLIE.

Ah ! leurs coups sont trop beaux pour me faire une injure I

Je mets toute ma gloire à chérir leur blessure ^,

Et...

MASCARILLE.

Vous le prenez là d'un ton un peu trop haut; Ce style maintenant n'est pas ce qu'il nous faut. Proûlons mieux du temps, et sachons vite d'elle Ce que...

TRUFALlilN, dans sa maison

Céiie !

MASr.AlULLE, à Lélie.

Eh bien I

LÉLIE.

reiuoiilre cruelle I Ce malheureux vieillard devoil-il nous troubler?

SIASCAIilLLE.

Allez, i*êtirez-vou8 ; je saurai lui parler.

SCÈNE IV. — TRUFALDIN, CÉLIE, LÉLIE, retiré dao» ..ncoi.,- MASCARILLE.

TRUFALDIN, à Célie.

Que faites-vous dehors ? et quel soin vous talonne,

' Var. bonheur ! la voïè qui parott à propos

  • Va», Ma blessure.

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40 L'ETOURDI.

Vous a qui je défends de parler à personne ?

CÉLIE

Autrefois j'ai connu cet honnête garçon ;

Et vous n'avez pas lieu d'en prendre aucun soupç«a.

MASCARIiLE.

Est-ce là le seigneur Trufaldin?

CÉLIE.

Oui, lui-même.

MASCARIU.E.

Monsieur, je suis tout vôtre, et ma joie est extrême

De pouvoir saluer en toute humilité

Un homme dont le nom est partout si vanté

TRUFALDIN.

Très humble serviteur.

MASQARILLE.

J'incommode peut-être; Mais je l'ai vue ailleurs, oîi m'ayant fai! connoîti* Les grands talents qu'elle a pour savoir l'avenir, Je voulois sur un point un peu l'entretenir.

TRUFALDIN.

Quoi ! te mélerois-tu d'un peu de diablerie?

OÉLIE.

Non, tout ce que je sais n'est que blanche magie.

MASCARILLE.

Voici donc ce que c'est. Le maître que je sers

Languit pour un objet qui le tient dans ses fers;

Il auroit bien voulu du feu qui le dévore

Pouvoir enlrelenir la beauté qu'il adore :

Mais un dragon, veillant sur ce rare trésor,

N'a pu, quoi qu'il ait fait, le lui permettre encor;

Et ce qui plus le gêne et le rend misérable,

Il vient de découvrir un rival redoutable ;

Si bien que, pour savoir si ses soins amoureux

Ont sujet d'espérer quelque succès heureux.

Je viens vous consulter, sûr que de votre bouche

Je puis apprendre au vrai le secret qui nous louche^

CÛLIE.

Sous quel astre ton maître a-t-il reçu le jour?

MASCARILLE.

Sous UD astre à jamais ne changer son amour.

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ACTE I, SCÈNE IV. 4i

CELIE.

ôaas me nommer Vobjet pour qui son cœur soupire,

La science que j'ai m'en peut assez instruire.

Cette fille a du cœur, et, dans l'adversité.

Elle sait conserver une noble fierté;

Elle n'est pas d'humeur à trop faire connoître

Les secrets sentiments qu'en son cœur on fait naître:

Mais je les sais comme elle, et, d'un esprit plus doui,

Je vais en peu de mots te les découvrir tous '.

MASCARILLE.

merveilleux pouvoir de la vertu magique I

CÉLIE.

Si ton maître en ce point de constance se pique, Et que la vertu seule anime son dessein, Qu'il n'appréhende plus de soupirer en vain 2; D a lieu d'espérer, et le fort qu'il veut prendre N'est pas sourd aux traités, et voudra bien se rendre.

MASCARILLE.

C'est beaucoup ; mais ce fort dépend d'un gouverneur Difficile à gagner.

CÉLIE.

C'est là tout le malheur ^.

MASCARILLE, à part, regardant Lelie,

Au diable le fâcheux qui toujours nous éclaire * 1

CÉLIE.

Je vais vous enseigner ce que vous devez faire.

LÉLIE, en les joignant

Cessez, ô Trufaldin, de vous inquiéter;

C'est par mon ordre seul qu'il vous vient visiter,

Et je vous Tcnvoyols, ce serviteur fidèle.

Vous offrir mon service, et vous patkr pour elle,

Dont je vous veux dans peu payer la liberté,

Pourvu qu'entre nous' deux le prix soit arrêté.

' Var. Je vais en peu de mots vous les découvrir tous

  • Var. Qu'il n'appréhende ;)os de soupirer en vain.
  • CUte situation, dans laquelle des intérêts de cœur se traitent en présence j'u

nval, d'un père ou d'un tuteur, à la faveur d'une Gclion qui l'em^pcclie d'y rien comprendre, est toujours d'un grand elTet au théâtre, quand la fiction est ingé- nieuse et vraisemblal'le. Molière l'a employée encore dans la xiv" scfne du n* acte de l'École des Maris, la xr scène du 111° acte de l'Avare, et la vi" scène dn II' acte du Malade tmarjinaire. (Auger.) Éclairer, dans le sens d'espionner

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 "42 L'ÉTOURDI. 

SIÀSCARH.LE.

La pcsle soil la béte !

TRLFALDIN.

Ho ! ho ! qui des deux croireP Ce discours au premier esl fort cont radie loi re.

MASCARILLE.

Monsieur, ce galant homme a le cerseau blessé: Ne le savez-vous pas?

TRDFALDIN.

Je sais ce que je sai. J'ai crainte ici dessous de quelque manigance.

(à Cciie)

Rentrez, et ne prenez jamais celte licence. Et vous, filoux fieffés, ou je me trpmpe fort, Mettez, pour me jouer, vos flûtes mieux d'accord.

SCÈNE V. — LÉLIE. MASCARILLE.

MASCARILLE.

C'est bien fait. Je voudrois qu'encor, sans llalterie^ II nous eût d'un bâton chargés de compagnie. A quoi bon se montrer, et, connue un étourdi, Me venir démentir de tout ce que je di?

LÉLIE.

Je pensois faire bien.

MASCARILLE.

Oui, c'éloil fort l'entendre. Mais quoi ! cette action ne me doit point surprendre: Vous êtes si fertile en pareils contre-temps, \

^ue vos écarts d'esprit n'étonnent plus les gens. ^

LÉLIE. I

Ah! mon Dieu! pour un rien me voilà bien coupable! |

Le mal est-il si grand qu'il soit irréparable? |

Enfin, si tu ne mets Célie entre mes mains, |

Songe au moins de Léandre à rompre les desseins; f

Qu'il ne puisse acheter avant moi cette belle. t

De peur que ma présence encor soit criminelle, \ Je te laisse.

MASCARILLE, seul.

Fort bien. A dire vrai, l'argent Seroit dans notre affaire un sûr et fort agent; Mais ce ressort manuuant, il faut user d'un autre.

il

i

i

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ACTE I, SCÈNE VI. 43

SCÈNE VI. — ANSELME, MASCARILLE.

ANSELME.

Par mon chef, c'est un siècle étrange que le nôtre I J'en suis confus. Jamais lant d'amour pour le bien, Et jamais tant de peine à retirer le sien I Les dettes aujourd'hui, quelque soin qu'on emploie. Sont comme les enfants, que l'on conçoit en joie, Et dont avecque peine on fait l'accouchement. L'argent dans une bourse entre agréablement : Mais, le terme venu que nous devons le rendre, C'est lors que les douleurs commencent à nous prendre. Basle I ce n'est pas peu que deux mille francs, dus Depuis deux ans entiers, me soient enfin rendus ; Encore est-ce un bonheur.

MASCARILLE, à part les quatre premiers vers.

Dieu ! la belle proie A tirer en volant! Chut, il faut que je voie Si je pourrois un peu de près le caresser. Je sais bien les discours dont il le faut bercer... Je viens de voir, Anselme...

ANSELME.

Et qui? MASCARILLE.

Votre Nprjne

ANSELME.

Que dit-elle de moi cette gente assassine ?

MASCARILLE.

Pour vous elle est de flamme.

ANSELME.

Elle?

MASCARILLE.

Et vous aime tantj Que c'est grande pitié.

ANSELME.

Que tu me rends content !

MASCARILLE.

Peu s'en faut que d'amour la pauvrette ne meure. Anselme, mon mignon, crie-t-elle à toute heure, Quand est-ce que Ihymen unira nos deux cœurs, Et que lu daigneras éteindre mesardeurs?

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44 L'ÉTODRDI.

ANSELME.

Mais pourquoi jusqu'ici me les avoir celées? Les filles, par ma foi, sont bien dissimulées! Mascarille, en effet, qu'en dis-lu? quoique vieux, J"ai de la mine encore assez pour plaire aux yeui.

MASCARILLE.

Oui, vraiment, ce visage est encor fort mettable; S'il n'est pas des plus beaux, il est des-agréable.

ANSELME.

Si bien donc... ?

MASCARILLE veut prendre la boune.

Si bien donc qu'elle est sotte de vous, Ne vous regarde plus...

ANSELMr.

Quoi?

MASCARILLE.

Que comme un époui; Et TOUS veut...

ANSELME.

Et me veut... ?

MASCARILLE.

El >ous veut, quoi qu'il tienne, Prendre la bourse...

ANSELME. 4

i.

La...?

MASCARILLE prend la bourse, et ta laisse tomber.

La bouche avec la sienne.

ANSELME.

Ah I je l'entends. Viens çà : lorsque tu la verras, Vante-lui mon mérite autant que tu pourras.

MASCARILLE.

Laissez-moi faire.

ANSELME.

Adieu.

MASCARILLE.

Que le ciel vous conduise)

ANSELME, revenant.

Ah 1 vraiment, je faisois une étrange soltise, Et tu pouvois pour loi m'accuser de fioideur, Je t'engage à servir mon amoureuse ardeur, Je reçois par ta bouche une bonne nouvelle,

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ACTE I, SCÈNE VIL 45

Sans du moindre présent récompenser ton zèlef Tiens, tu te souviendras...

MASCARILLE.

Ah ! non pas, s'il vous plaît.

ANSELME.

Laisse-moi,.

MASCAUILLE.

Point du tout. J'agis sans intérêt.

ANSELME.

Je le sais; mais pourtant...

MASCARILtE.

Non , Anselme, vous dis-je; Je suis homme d'honneur, cela me désoblige,

ANSELME.

Adieu donc, Mascarille.

MASCARILLE, à part.

long discours !

ANSELME, revenant.

Je veux Kégaler par tes mains cet objet de mes vœux; Et je vais fe donner de quoi faire pour elle L'achat de quelque bague, ou telle bagatelle Que tu trouveras bon.

MASCARILLE.

Non, laissez votre argent: Sans vous mettre en souci, je ferai le présent; Et Ton m'a mis en main une bague à la mode. Qu'après vous payerez, si cela l'accommode.

ANSELME.

Soit; donne-la pour moi : mais surtout fais si bien Qu'elle garde toujours l'ardeur de me voir sien.

SCÈNE VII. — LÉLIE, ANSELME, MASCARILLE.

LELIE , ramassact la bourse

 qui la bourse?

ANSELME.

Ah 1 dieux ! elle m'éloit tombée, Et j'aurois, après, cru qu'on me l'eût dérobée ! Je vous suis bien tenu de ce soin obligeant, Qui m'épargne un grand trouble et me rend mon argent Je vais m'en décharger au logis tout à l'heure,

3.

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43 L'ÉTOURDI.

SCENE VllI. — LELIE, MASCARILLE.

MASCAR1LLE.

C'est élre officieux, et très foi t, ou je meure.

LÉLIE.

Ma foi 1 sans moi, l'argent étoit perdu pour lui.

MASCARILLE.

Certes, vous faites rage, et payez aujourd'hui D"ua jugement très rare et d'un bonheur extrême; Nous avancerons fort, continuez de même.

LÉLIE.

Qu'est-ce donc? Qu'ai-je fait?

MASCARILLE.

L"? sot, en bon françois, Puisque je puis le dire, et qu'enfin je le dois. II sait bien l'impuissance oîi son père le laisse; Qu'un rival qu'il doit craindre étrangement nous presse; ^ Cependant, quand je tente un coap pour l'obliger. Dont je cours moi tout seul la honte et le danger...

LÉLIE.

Quoi! c'étoit...?

MASCARILLE.

Oui, bourreau, c'étoit pour la captive Que j'altrapois l'argent dont votre soin nous prive.

LÉLIE.

S'il est ainsi, j'ai tort; mais qui l'eût deviné?

MASCARILLE.

Il falloit, eu effet, être bien raffiné I

LLLIE.

Tu me devois par signe avertir de l'affaire.

MASCARILLE.

Oui, je devois au dos avoir mon luminaire.

Au nom de Jupiter, laissez-nous en repos,

Et ne nous chantez plus d'impertinents propos.

L'n autre, après cela, quitferoil tout peut-être;

iMais javois médité tantôt un coup de maître, *"

Dont tout présentement je veux voir les effets;

A la charge que si...

LÉLIE.

Non, je te le promets, De ne me mêler plus de rien dire ou rien faire.

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ACTE 1, SCENE iX. 47

MASCARILI.E

Allez donc; voUe vue exciîe ma colère.

LÛLIE.

Mais suiiout hâle-toi, de peur qu'en ce dessein...

MASCARILLE.

Allez, encore un coup; j'y vais metlre la main.

(Lélie sort.)

Menons bien ce projet; la fourbe sera fine, S'il faut qu'elle succède ' ainsi que j'imagine. Allons voir... Bon, voici mon homme justement,

SCÈNE IX. — PANDOLFE, MASCARILLE,

PANDOLFE. UASCARILI.E.

Ilascarille.

Monsieur

PANl OLFE.

A parler franchement, Je suis mal satisfait de mon (ils.

MASCARILLE.

De mon maître? Vous n'êtes pas le seul qui se plaigne de l'élre ; Sa mauvaise conduite, insupportable en tout. Met à chaque moment ma patience à bout.

PANDOLFE.

Je vous croyois pourtant assez d'intelligence Elnsemble.

MASCARILLE.

Moi? Monsieur, perdez celte croyauc*; Toujours de son devoir je tâche à l'avertir, Et l'on nous voit sans cesse a\oir maille à partir. A l'heure même encor nous avons eu querelle Sur l'hymen d'Hippolyte, où je le vois rebelle, Où, par l'indignité d'un refus criminel. Je le vois offenser le respect paternel.

PANDOLIE.

Querelle?

MASCARILLE.

Oui, querelle, et bien avant poussée

' Succéder, pour réustir.

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48 L'ÉTOURDI.

PANDOLFE.

Je mo Irompois donc bien ; car j'avois la pensée Qu'à tout ce qu'il faisoil tu donnois de l'appui.

MASCARILLE.

Moi ? Voyez ce que c'est que du monde aujoui d'hui. Et comme l'innocence est toujours opprimée! Si mon intégrité vous étoit confirmée, Je suis auprès de lui gagé pour serviteur, Vous me voudriez encor payer pour précepteur : Oui, vous ne pourriez pas lui dire davantage Que ce que je lui dis pour le faire être sage. Monsieur, au nom de Dieu, lui fais-je assez souvent, Cessez de vous laisser conduire au premier vent; Réglez- vous; regardez l'honnête homme de père Que vous avez du ciel, comme on le considère; Cessez de lui vouloir donner la mort au coeur, Et, comme lui, vivez en personne d'honneur.

PANDOLFE.

C'est parler comme il faut. Et que peut-il répondre?

MASCARILLE.

Répondre? Des chansons, dont il me vient confondre. Ce n'est pas qu'en effet, dans le fond de son cœur, Il ne tienne de vous des semences d'honneur; Mais sa raison n'est pas maintenant la maîtresse. Si je pouvois parler avecque hardiesse, Vous le Terriez dans peu soumis sans nul effort.

PANDOLFE.

Parle.

MASCARILLE.

C'est un secret qui m'importeroit fort» S'il étoit découvert; mais à votie prudence Je le puis confier avec toute assurance.

PANDOLFE.

Tu dis bien.

iMASCARILLE.

Sachez donc que vos vœux sont trahis Par l'amour qu'une esclave imprime à votre QIs.

PANDOLFE,

On m'en avoit parlé; mais l'action me touche

'Ctla m'importtroit, dans le sius de cela serait /icheux pturmtt*

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ACTE I, SCENE X. 49

De voir que je l'apprenne encore par ta bouche.

MASCARILLE.

Vous voyez si je suis le secret confident...

PANDOLFE.

Vraiment je suis ravi de cela.

MASCARILLE.

Cependant, A son devoir, sans bruit, desirez-vous le rendre? 11 faut... J'ai toujours peur qu'on nous vienne surprendre; Ce seroil fait de moi, s'il savoit ce discours. II faut, dis-je, pour rompre à toute chose cours, Acheter sourdement l'esclave idolâtrée, El la faire passer en une autre contrée. Anselme a grand accès auprès de Trufaldin ; Qu'il aille racheter pour vous dès ce matin : Après, si vous voulez en mes mains la remettre. Je connois des marchands, et puis bien vous promettre D'en retirer l'argent qu'elle pourra coûter, Et, malgré votre fils, de la faire écarter; Car enfin, si l'on veut qu'à l'hymen il se range, A cet amour naissant il faut donner le change; Et de plus, quand bien même il seroit résolu. Qu'il auroil pris le joug que vous avez voulu, Cet autre objet, pouvant réveiller son caprice. Au mariage encor peut porter préjudice.

PANDOLFE.

C'est très bien raisonner; ce conseil me plaît fort... Je vois Anselme; va, je m'en vais faire effort Pour avoir promplement celte esclave funeste. Et la mettre en tes mains pour achever le reste

MASCARILLE, seul.

Bon; allons avertir mon maître de ceci. Vive la fourberie, et les fourbes aussi *.

SCÈiNE X - HIPPOLYTE, MASCARILLE.

niPPOLYTE.

Oui, traître, c'est ainsi que tu me rends service!

'Dans Plante, Tesclave qui a donné son nom à la pièce inlilulée l'Épidiqu», |ouc un rôle tout à Tail semblable à celui de Mascarille. La comédie iUlieae« i» tlnavvertito oiïre aussi l'exemple d'une ruse pareille

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50 L'ÉTOURDI.

Je viens de (ont entendre, et voir ton artifice. A moins que de cela, l'eussé-je soupçonné? Tu couches d'imposture*, et tu m'en as donné. Tu m'avois promis, lâche, et j'avois lieu d"al(endr6 Qu'on le verroit servir mes ardeurs pour 1 é:uidre; Que du chois de Lélie, où Ton veut m'obliger, Ton adresse et tes soins sauroient me dégnger; Que tu m'affranchirois du projet de mon père; Et cependant ici lu fais tout le contraire! Mais tu t'abuseras ; je sais un sûr moj'en pour rompre cet achat où tu pousses si bien; Et je vais de ce pas...

MASCARILIE.

Ah ! que v«us êtes prompte! La mouche tout d'un coup à la tèle vous monte *, Et, sans considérer s'il a raison ou non, Votre esprit contre moi fait le petit démon. J'ai tort, et je devrois, sans finir mon ouvrage. Vous faire dire vrai, puisque ainsi l'on m'outrage.

niPPOLïTE.

Par quelle illusion penses-tu m'éblouir? Traître, peux-tu nier ce que je viens d'ouïr?

MASCAUILLE.

Non. Mais il faut savoir que tout cet artifice Ne va diieclcment qu'à vous rendre seivice; Que ce conseil adroit, qui semble être sans fard, Jelle dans le panneau l'un et l'autre vieillard; Que mon soin par leurs mains ne veut avoir Célie, Qu'à dessein de la mettre au pouvoir de Lélie; Et faire que , l'effet de cette invention Dans le dernier excès portant sa passion, Anselme, rebuté de son prétendu gendre. Puisse tourner son choix du côté de Léandre.

HIPPOLYTE.

Quoi ! tout ce grand projet, qui m'a mise en courroux, Tu l'as formé pour moi, Mascariile?

' Coucher d'imposture, pour payer de ruse, de mensonge. Cette manière de s'exprimer n'est plus admise; elle vient du jeu. On disoit Couché de vingt pis- tôles, de trente pisioles, couché belle (Voltaire.)

  • ImiUlioD du proverbe italiea : Salir U mosche al nato.

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ACTE 1, SCÈNE X. Si

MASCAUfLLE.

Oui, pour VOUS. Mais, puisquoi reconnoîl si mal mes bons offices, Qu'il me faut de la sorte essuyer vos caprices, El que, pour recompense, on s'en vient, de hauteur, Me traiter de faquin, de iàthe, d'imposteur, Je m'en vais réparer l'erreur que j'ai commise, Et, dès ce même pas, rompre mon entreprise.

HIPPOLYTE, l'arrêlant.

Hé! ne me traite pas si rigoureusement,

Et pardonne aux transports d'un premier mouvement.

MASCAUILLE.

Non, non, laissez-moi faire; il est en ma puissance De détourner le coup qui si fort vous offense. Vous ne vous plaindrez point de mes soins désormais; Oui, vous aurez mon maître, et je vous le promets.

niPPOlA'TE.

Hél mon pauvre garçon, que ta colère cesse. J'ai mal jugé de toi, j'ai tort, je le confesse.

[Tiraut sa bourse.)

Mais je veux réparer ma faute avec ceci. Pourrois-tu te résoudre à me quitter ainsi?

MASCAP.'LLE.

Non, je ne le saurois, quelque effort que je fasse; Mais votre promptitude est de mauvaise grâce. Apprenez qu'il n'est rien qui blesse un noble cœur Comme quand il peut voir qu'on le touche en l'honneur.

niPl'OLVTE.

Il est vrai, je t'ai dit de trop grosses injures : Mais que ces deux louis guérissent tes blessures.

MASCAUILLE.

Hé! tout cela n'est rien; je suis tendre à ces coups. Mais déjà je commence à perdre mon courroux. Il faut (le ses amis endurer quelque chose.

HIPPOLYTE.

Pourras-tu mettre à fin ce que je me propose? Et crois-tu que l'effet de tes desseins hardis Produise à mon amour le succès que tu dis?

MASCAUILLE.

N'ayez point pour ce fait l'esprit sur des épines. J'ai des ressorts tout prêts pour diverses machines;

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52 L'ÉTOURDI.

El, quand ce stialagème à nos vœux manqueroit^ Ce qu'il ue feroil pas, un autre le foroil.

HIPPOLYTE.

Crois qu Hippolyle au moins ne sera pas ingrate.

MASCAr.ILLE.

L'espérance du gain n'est pas ce qui me flatte.

HIPPOLYTE.

Ton maître te fait signe, et veut parler à toi : Je te quitte; mais songe à bien agir pour moi.

SCÈNE XL — LÉLIE, MASCARILLE.

LÉLIE.

Que diable fais-tu là? tu me promets merveille; Mais ta lenteur d'agir est pour moi sans pareille. Sans que mon bon génie au-devant m'a poussé, Déjà tout mon bonheur eût été renversé; C'étoit fait de mon bien, c'étoit fait de ma joie, D'un regret éternel je devenois la proie : Bref, si je ne me fusse en ces lieux rencontré, Anselme avoit l'esclave, et j'en étois frustré; 11 l'emmenoit chez lui. Mais j'ai paré l'alleinte, J'ai détourné le coup, cl tant fait que, par craint», Le pauvre Trufaldin l'a retenue.

MASCARILIj;.

El trois : Quand nous serons à dix nous ferons une croix C'étoit par mon adresse, ô cervelle incurable! Qu'Anselme entreprenoit cet achat favorable; Entre mes propres mains on la devoil livrer, Et vos soins endiablés nous en viennent sevrer. Et puis pour votre amour je m'emploierois encore! J'aimerois mieux cent fois être grosse pécore, Devenir cruche, chou, lanlerne, loup-garou. Et que monsieur Satan vous vînt tordre le cou.

LÉLIE, seul.

11 nous le faut mener en quelque hôtellerie, Et faire sur les pots décharger sa furie.

FIN su PREMIER ACTk

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ACTE II. SCÈNE I.. 55

ACTE SECOND.

SCÈNE I. — LÉLIE, MASCARILLE.

MASCARILLE.

A VOS désirs enfin il a fallu se rendre :

Maigre lous mes serments, je n'ai pu m'en défendre.

Et pour vos intérêts, que je voulois laisser.

En de nouveaux périls viens de m'embarrasser.

Je suis ainsi facile; et si de Mascarille

Madame la nature avoit fait une fille,

Je vous laisse à penser ce que ç auroit été.

Toutefois n'allez pas, sur celte sûreté,

Donner de vos revers au projet que je tente,

Me faire une bévue, et rompre mon attente.

Auprès d'Anselme encor nous vous excuserons,

Pour en pouvoir tirer ce que nous desirons;

Mais si dorénavant votre imprudence éclate,

Adieu, vous dis, mes soins pour l'objet qui vous flatt*.

LÉLIE.

Non, je serai prudent, te dis-je; ne crains rien : Tu verras seulement...

MASCARILLE.

Souvenez-vous-en bien ; J'ai commencé pour vous un bardi stratagème. Votre père fait voir une paresse extrême A rendre par sa mort fous vos désirs contents; Je viens de le tuer (de parole, j'entends) : Je fais courir le bruit que d'une apoplexie Le bon homme surpris a quitté cette vie. Mais avant, pour pouvoir mieux feindre ce trépas. J'ai fait que vers sa grange il a porté ses pas; On est venu lui dire, et par mon artifice. Que les ouvriers qui sont après son édifice, Parmi les fondenients qu'ils en jettent encor, Avoient fait par hasard rencontre d'un trésor. Il a \olé d'abord ; et comme à la campagne Tout SOQ monde à présent, hors nous deux, l'accompagne,

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54 L'ETOURDI.

Dans l'esprit d'un cbaîun je le tue aujourd'hui, Et produis un fantôme enseveli pour lui. Enfin je vous ai dit à quoi je vous engage : Jouez bien votre rôle; et, pour mon personnage, Si vous apeivevez que j'y manque d'un mot, Dites absolument que je ne suis qu'un sot*.

SCÈNE IL — LÉLIE, seul.

Son esprit, il est vrai, trouve une étrange voie Pour adresser mes vœux au comble de kur joie; Mais quand d'un bel objet on est bien amoureux. Que ne feroit-on pas pour devenir tieureux ? Si l'amour est au crime une assez^belle excuse , Il en peut bien servir à la petite ruse Que sa flamme aujourd'hui me force d'approuver, Par la douceur du bien qui m'en doit arriver. Juste ciel! qu'ils sont prompts! Je les vois en parole. Allons nous préparer à jouer notre rôle

SCENE III. — ANSELME, MASCARILLB.

UASCABILLE.

La nouvelle a sujet de vous surprendre fort.

ANSELME.

Être mort de la sorte !

MASCARILLE.

lia, certes, grand tort: Je lui sais mauvais gré d'une telle incartade.

/ ANSELME.

N'avoir pas seulement le temps d'élre malade'

MASCARILLE.

Non, jamais homme n'eut si hâte de mourir.

ANSELME.

EtLélie?

MASCARILLE.

Il se bat, et ne peut rien souffrir ; Il s'est fait en maints lieux conlusion et bosse, El veut accompagner son papa dans la fosse :

' C'e>t un coDte d'Eiitrapel qui a fourni à Molière l'idée de cette scène et (lA

luivaiiles.

Être en patoU, dans le sens de causer ensemble.

i

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ACTE II, SLENE IV. 5.S

Enfin, pour achever, l'excès de son transport M'a fait en grande hâte ensevelir le mort, De peur que cet objet, qui le rend hypocondre, A faire un vilain coup no me l'allàt semondre'.

ANSF.LME.

N'importe, tu devois atlei<.J;e jjisqu'aa soif ; Outre qu'encore un coup j'aurois voulu le voir, Qui tôt ensevelit, bien souvent assassine; Et tel est cru défunt, qui n'en a que la miae,

MASCARILLE.

Je vous le garantis trépassé comme il faut.

Au reste, pour venir au discours de tantôt,

Lélie (et l'action lui sera salutaire)

D'un bel enterrement veut régaler son père,

Et consoler un peu ce défunt de son sort,

Par le plaisir de voir faire honneur à sa mort.

Il hérite beaucoup; mais, comme en ces affaires

Il se trouve assez neuf élue voit encor guères,

Que son bien la plupart n'est point en ces quartier».

Ou que ce qu'il y lient consiste en des papiers,

Il voudroit vous prier, ensuile de l'instance

D'excuser de tantôt son trop de violence.

De lui prêter au moins pour ce dernier devoir...

nNSLLME.

Tu me l'as déjà dit, et je m'en vais le voir.

MASCARILLE, seul.

Jusques ici du moins tout va le mieux du monde. Tâchons à ce progrès que le reste réponde ; Et, de peur de trouver dans le port un écueil. Conduisons le vaisseau de la nmin et de l'œil.

SCÈNE IV. — ANSELME, LELIE, MASCARILLE.

4NSELME.

Sortons; je ne saurois qu'avec douleur très forte Le voir empaqueté de celte étrange sorte. Las! en si peu de temps! il vivoit ce matin I

MASCARILLE.

En peu de temps parfois on fait bien du chemia.

' Semondrv, pour inviter, exkorttr.

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oQ L'ÉTOURDI.

LELIE; pleurant.

Ah!

AWSELME.

Mais quoi, cher Lélie! enfin il éloit homme. On n'a point pour la mort de dispense de Rome.

LÉilE.

Ah!

ANSELME.

Sans leur dire gare, elle abal les humains Et contre eux de tout temps a de mauvais desseins.

LÉLIE .

Ahi

ANSELME.

Ce fier animal, pour toutes les-prlères, Ne perdroit pas un coup de ses dénis meurtrières» Tout le monde y passe.

LÉLIE.

Ah!

MASCARILLE.

Vous avez beau prêcher^ Ce deuil enraciné ne se peut arracher.

ANSELME.

Si, malgré ces raisons, votre ennui persévère. Mon cher Lélie, au moins, faites qu'il se moSère.

LÉLIE.

Âbl

MASCARILLE.

Il n'en fera rien, je connois son humeur.

ANSELME.

Au reste, sur l'avis de votre serviteur, J'apporte ici l'argent qui vous est nécessaire Pour faire célébrer les obsèques d'un père.

LÉLIE.

Ah 1 ah [

MASCARILLE.

Comme à ce mot s'augmente sa douleur? Il ne peut, sans mourir, songer à ce malheur.

ANSELME.

Je sais que vous verrez aux papiers du bon homme Que je suis débiteur d'une plus grande somme; Mais, quand par ces raisons Je ne vous devrois rien

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ACTE II, SCENE V.

Vous pourriez librement disposer de mon bien. Tenez, je suis tout vôtre, et le ferai paroître.

LÉLIE, >'en allant.

Âh!

MASCARILLE.

Le grand déplaisir que sent monsieur mon maître!

ANSELME.

Mascarille, je crois qu'il seroit à propos

Qu'il me fil de sa main un reçu de deux mots.

MASCARILLE.

Ah!

AVSELME.

Des événements rinccilitude est grande.

MASCARILLE.

Ahl

ANSELME.

Faisons-lui signer le mot que je demande.

MASCARILLE.

Las! en l'état qu'il est, comment vous contenter?

Donnez-lui le loisir de se désattrister;

Et, quand ses déplaisirs prendront quelque allégeance,

J'aurai soin d'eu tirer d'abord votre assurance.

Adieu. Je sens mon cœur qui se gonlle d'ennui,

Et m'en vais tout mon soûl pleurer avecque lui.

Ahl

ANSELME, seul.

Le monde est rempli de beaucoup de traverses; Chaque homme tous les jours en ressent de diverses; Et jamais ici-bas...

SCÈNE V. — PANDOLFE , ANSELME.

ANSELME.

Ah! bon Dieu! je frémi I Pandolfe qui revient! Fût-il bien endormi»! Comme depuis sa mort sa face est amaigrie! Las! ne m'approchez pas de plus près, je vous priel J'ai trop de répugnance à coudoyer un mort.

'Anselme veut dire : Plût à Dieu qu'il dormit en paii, que rien ne troU' blât te repos de ton ame! car il ne doute pas un inslant que son ami ne soit morls comme le prouve le vers suivaut. (Aimé Uartin.)

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58 L'ÉTOURDI.

PANDOLFE.

D'où peut donc provenir ce bizarre transport?

ANSELME.

Diles-nioi de bien loin quel sujet vous amène? Si pour me dire adieu vous prenez tant de peine, C'est trop de courtoisie, el véritablement Je me serois passé de votre compliment. 31 votre ame est en peine et cherche des prières, LasI je vous en promets, et ne m'effrayez guèresl Foi d'homme épouvanté, je vais faire à l'inslant Prier tant Dieu pour vous que vous serez content.

Disparoissez donc, je vous prie,

El que le ciel, par sa bonle.

Comble de joie el de santé

Votre défunte seigneurie!

PANDOLFE, rianU

Malgré tout mon dépit, il m'y faut prendre part.

ANSELME.

LasI pour un trépassé vous êtes bien gaillard I

PANDOLFE.

Est-ce jeu, dites-nous, ou bien si c'est folie, Qui traite de défunt une personne en vie?

ANSELME.

Hélas! vous êtes mort, et je viens de vous voir.

PANDOLFE.

Quoi! j'aurois trépassé sans m'en apercevoir?

ANSELME.

Sitôt que Mascarille en a dit la nouvelle, J'en ai senti dans l'ame une douleur mortelle.

PANDOLFE.

Mais enfin, dormez-vous? éles-vous éveillé? Me conuoissez-vous pas?

ANSELME.

Vous êtes habillé D'un corps aérien qui contrefait le vôtre. Mais qui dans un moment peut devenir tout autre. Je crains fort de vous voir comme un géant grandir^ Et tout votre visage affreusement laidir. Pour Dieu! ne prenez point de vilaine figure; J'ai prou ' de ma frayeur en celte conjoncture.

'froM, vieux mot qni signifie as$eS) (eaucoup.

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ACTE II, SCÈNE V 5

PANDOLFE.

En une autre saison, celte naïveté Dont vous accoiiipngiioz voire crédulilé, Anselme, me seroit un cliarmanl badinag% El j'en prolongerois le plaisir davantage : Mais, avec celle mort, un trésor supposé, Dont parmi les chemins on m'a désabusé, Fomentent dans mon ame un soupçon légitime. Mascarille est un fourbe, et fourbe fourbissime, Sur qui ne peuvent rien la crainte et le remords, Et qui pour ses desseins a d'étranges ressorts.

ANSELME.

M'auroil-on joué pièce et fait supercherie? Ahl vraiment, ma raison, vous seriez forl jolie! Touchons un peu pour voir : en effet, c'est, bien lui. Malepeste du sol que je suis aujourd'hui! De grâce, n'allez pas divulguer un tel conte; On en feroit jouer quelque farce à ma honte : Mais, Paudolfe, aidez-moi vous-même à retirer L'argent que j'ai donné pour vous faire enteircr.

PANDOLFE.

De l'argent, dites-vous? Ah! voilà l'enconure*!

C'est là le nœud secret de toute l'aventure.

A votre dam 2. Pour moi, sans m'en mettre en souci,

Je vais faire infoimer de cette affaire-ci

Contre ce Mascarille; et si l'on peut le prendre,

Quoi qu'il puisse coûter, je le veux faire pendre.

ANSELBIE, »eul.

Et moi, la bonne dupe à trop croire un vaurien, II faut donc qu'aujourd'hui je perde et sens et bien ! Il me sied bien, ma foi, de porter tête grise. Et d'être encor si prompt à faire une sollise; D'examiner si peu sur un premier rapport... Mais je vois...

' Vai. De l'argent, diles-vou»? Ah! c'en donc Tenclouare ! Voilà le nœud secret de toute Paventure!

L'enelouure d'un cheval, au propre, est la blessure que lui fait le marécbil le ferrant; c'est la piqûre d'un clou.

  • il Mire dam, à votre préjudice, da latio datnnum.

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60 L'ETOURDI.

SCENE Vi. — LEUE, ANSELME.

LELIE, sans voir Anselme.

Maintenant, avec ce passe-port, Je puis à Triîfaldin rendre aisément visite.

ANSELME.

A ce que je puis voir, votre douleur vous quitte?

LEUE.

Que dites-vous? Jamais elle ne quittera

Un cœur qui chèrement toujours la gardera*.

ANSl LME.

Je reviens sur mes pas vous dire avec franchise

Que tantôt avec vous j'ai fait une méprise;

Que parmi ces louis, quoiqu'ils semblent très beaux,.

J'en ai, sans y penser, mêlé que je tiens faux ;

Et j'apporte sur moi de quoi mettre en leur place.

De nos faux monnoyeurs l'insupportable audace

Pullule en cet État d'une telle façon.

Qu'on ne reçoit plus rien qui soit hors de soupçon.

Mon Dieu, qu'on feroit bien de les faire tous pendre f

LÉLIE.

Vous me faites plaisir de les vouloir reprendre; Mais je n'en ai point vu de faux, comme je croi.

ANSELME.

Je les connoîtrai bien, montrez, montrez-les-moi. Est-ce tout?

LÉLIF

Oui.

ANSELME.

Tant mieux. Enfin je vous raccroche, Mon argent bien-aimé; rentrez dedans ma poche. Et vous, mon brave escroc, vous ne tenez plus rien. Vous tuez donc des gens qui se portent fort bien? El qu'au riez-vous donc fait sur moi, chétif b,eau-père? Ma foi ! je m'engcndrois d'une belle manière ', Et j'allols prendre en vous un beau fils fort discret l Allez, allez mourir de honte et de regret.

LÉLIF, seul.

il faut dire : 3'en tiens. Quelle surprise extrême! D où peut-il avoir su si tôt le slraîagème ?

' Tàt. IJn cœur qui chèrement toujours la nowrrire. • S'engendrer, pour se donner un gendre.

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ACTE II, SCKNE VII. Cl

SCÈNE VII. — LÉLIE, MASCARILLE.

MASCARII.LE.

Quoi ! VOUS éficz sorti? Je vous cherchois partout. Hé bien! en sommes-nous enfin venus à bout? Je le donne en six coups nu fourbe le plus brave. Çà, donnez-moi, que j'aille acheter notre esclave; Votre rival après sera bien étauné.

LÉUE.

Ah! Mioi) pauNie gai(;on, la chance a bien lournél Pourrois-lu de mon sort deviner l'injustice?

MASCARILl.r.

Quoi ! que seroil-ce?

LÉLIE.

Anselme, instruit de l'artifice, Ma repris maintenant tout ce qu'il nous prétoit, Sous couleur de changer de l'or que l'on doutoii.

MASCARILLE.

Vous vous moquez peut-être?

LÉLIE.

Il est trop vérîtablo.

MASCARILLE.

Toiil de bon?

LÉLIE.

Tout de bon; j'en suis inconsolable. Tu te vas emporter d'un courroux sans égal.

MASCARILLE.

Moi, monsieur! Quelque sot * : la colère fait mal, Et je veux me choyer, quoi qu'enfin il arrive. Que Célie, après tout, soit ou libre ou captive, Que Léandre l'achète, ou qu'elle reste là. Pour moi, je m'en soucie autant que de cela.

LÉLIE.

Ahl n'aye point pour moi si grande indifférence, Et sois plus indulgent à ce peu d'imprudence! Sans ce dernier malheur, ne m'avoueras- lu pas Que j'avois fait merveille, et qu'en ce feint trépas

' n faul suppléer le feroil ; mais Je ne le ftrai potM,

t. 4

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es i;etûuudi,

J'éîudois un chacun d'un deuiî si vraiseiriMnhle^ Que les plus clairvoyanls l'auroieiil cru véiiluble?

MASCARILLE.

Vous avez en effet sujet de vous louer.

LÉLIE.

Hé bienl je suis coupable, ef je veux l'avouerj Mais si jamais mon bien te fut considérable*, iîtpare ce malheur, et me sois secourabie.

MASCAUILLE.

Je vous baise les mains; je n'ai pas le loisir.

LÉLIE.

Mascarille, mon fils.

MASCARIfcLE.

Point.

LÉLIE.

Fais-moi ce plaisir.

MASCAUILLF.

Non, je n'en ferai rien.

LÉLIE.

Si tu m'es inflexible, Je m'en vais me tuer.

MASCARILLE.

Soit; il VOUS est loisibk^

LÉLIE.

Je ne puis te fiéchir?

MASCARILLE.

Non.

LÉLIE.

Vois-tu le fer prêt?

MASCARILLE.

Oui.

LÉLIE.

Je vais le pousser.

MASCARILLE.

Faites ce qu'il vous plaît.

' Téludots, dans le sens de;> mejouoU (Tun chacun.

• Si jamais mon bien te fut considérable, c'ett-à-dire sijamaitmon bi«n fut de quelque prix à tes yeux. (Auger.) '^

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ACTE II, SCÈNE VIII. «S

LELIE.

Tu n'auras pas regret de rn'aii acher la vieT

MASCÂRILLE.

Non.

Adieu, Mascarille.

LELIE.

MASCAIUIXE.

Adieu, monsieur Lél«p,

LÉLIE.

Quoil

nIASCARILLE.

Tuez-vous dont^ vite. Ahl que de longs devis \

LÉLIE.

Tu voudrois bien, ma foi, pour avoir mes habits, Que je fisse le sot, et que je me tuasse.

MASCARILLE.

Savois-je pas qu'enfin ce u'étoit que grimace;

Et, quoi que ces esprits jurent d'effectuer,

Qu'on n'est point aujourd'hui si prompt à se tuer

SCÈNE VIII. — TRUFALDIN, LÉANDRE, LÉLIE, MASCAl\iLLE.

[Truraldin parle bas à Léaiulre dans le fond du théâtr*.

LELIE.

Que vois-je? mon rival et Trufaldin ensemble I II achète Célie; ah! do frayeur je tremble!

MASCARILLE.

Il ne faut point douter qu'il fera ce qu'il peut. Et, s'il a de l'argent, qu'il pouira ce qu'il veul. Pour moi, j'en suis ravi. Voilà la récompense De vos brusques erreurs, de votre impatience.

LÉLIE.

Que dois-je faire? dis; \euillc me conseiller.

MASCAIULLE.

Je ne sais.

LÉLIE.

Laisse-moi, je vais le quereller*.

MASCARILLE.

Qu'en arrivera-l-il?

' Qtttreller, dans le sens de vexer, protsansr.

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64 L'ETOURDI.

LÉLIE.

Que veux-tu que je fae^ Pour empêclier ce coup?

MASCARILLE.

Allez, je vous fais gracej Je jelle encore un œil pitoyable sur vous. Laissez-moi l'observer; par des moyens plus doux Je vais, conune je crois, savoir ce qu'il projette.

[Lélie aort.) TRUFALDIN, à Lëandre.

Quand on viendra lanlôtj c'est une affaire faite.

(Trufaldin sort.) MASCARILLE, à part, en s'en allant.

Il faut que je l'attrape, et que de' ses desseins Je sois le confident, pour mieux les rendre vains.

LÉANDRE, seul.

Grâces au ciel, voilà mon bonheur hors d'atteinte; J'ai su me l'assurer, et je n'ai plus de crainte. Quoi que désormais puisse entreprendre un rival, Il n'est plus en pouvoir de me faire du mal.

SCÈNE IX. — LÉANDRE, MASCARILLE.

MASCARII.LE dit ces deux vers dans la maison, et entre sur le théâtre.

Ahil ahil à l'aide! au meurtre! au secours! on m'assommel Ah! ah I ah I ah! ah! ahl traître! ô bourreau d'hommel

LÉANDRE.

D'où procède cela? Qu'est-ce? que te fait-on?

MASCARILLE. '%

On vient de me donner deux cents coups de bâton. m

LÉANDRE.

Qui?

MASCARILLE.

Lélie.

LEANDRE.

Et pourquoi ?

MASCARILLE. i

Pour une bagalell» h

Il me chasse, et me bat d'une façon cruelle. f

LÉANDRE. T

Àh I vraiment il a tort. 3

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ACTE II, SCÈNE IX.

MASCARIIXE.

Mais, ou je ne pourrai. Ou je jure bien fort que je m'en vengerai. Oui, je te ferai voir, bafleur que Dieu confonde, Que ce n'est pas pour rien qu'il faut rouer le niond®, Que je suis un valet, mais fort homme d'iionneur, Et qu'après m'avoir eu quatre ans pour serviteur, Il ne me falloit pas payer en coups de gaules, Et me faire un affront si sensible aux épaules ; Je te le dis encor, je saurai m'en venger; Une esclave le plaît, tu voulois m'engager A la nietlre en tes mains; et je veux faire en sorte Qu'un autre te l'enlève, ou le diable m'emporte.

LÉANDRE.

Écoute, Mascarille, et quille ce transport.

Tu m'as plu de tout temps, et je suubaitois fort

Qu'un garçon comme loi, plein d'esprit ol fidèle,

A mon service un jour put allacher son zèle :

Enfin, si le parti te semble bon pour toi,

Si tu veux me servir, je farrèlc avec moi.

MASCAUILLE.

Oui, monsieur, d'autant mieux que le destin piopice M'offre à me bien venger, en vous renilanl service; El que, dans mes efforts pour vos conlcnlcmciils. Je puis à mon brutal trouver des châtimonis : De Célie, en un mot, par mon adresse extrême...

LÉANDRU.

Mon amour s'est rendu cet office lui-même. Enflammé d'un objet qui n'a point de défaut, Je viens de l'acheter moins encor qu'il ne vaut.

MASCAUILLE.

Quoi I Célie est à vous ?

LÉANDRE.

Tu la verrols paroître, Si de mes actions j'élois tout à fait maître; Mais quoil mon père l'est : comme il a volonté. Ainsi que je l'apprends d'un paquet apporté, De me déterminer à l'hjmen d'Hippolyle, J'empêche qu'un rapport de lout ceci l'irrite. Donc avec Trufaldin (car je sors de chez lui) J'ai voulu lout exprès agir au nom d'aulrui,

4.

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 "

66 L'ETOUKDl.

Et l'achat fait, ma bague est la marque choisf* Sur laquelle au premier il doit livrer Célie. le soQge auparavant à chercher les moyens D'ôter aux yeux de tous ce qui charme les mieas; A trouver promptemeut un endroit favoiable Où puisse être en secret cette captive aimable.

MASCARILLE.

Hors de la ville un peu, je puis avec raison WT

D'un vieux parent que j'ai vous offrir la maison; Là, vous pourrez la mettre avec toute assurance, Et de cette action nul n'aura connoissance.

LÉANDRF.

Oui, ma foi, tu me fais un plaisir souhaité. Tiens donc, et va pour moi prendre cetle beauté. Dès que par TruHddin ma bague sera vue, Aussitôt en tes mains elle sera rendue, El dans cetle maison tu me la conduiras. Quand.... Mais chullllippolyte est ici sur nos pas.

SCÈNE X. — HIPPOLYTE, LÉANDRE, MASCARIILB.

IIIPrOLYTE.

Je dois vous annoncer, Léandre, une nouvelle ; Mais la trouverez-vous agréable ou cruelle?

LÉANDRE.

Pour en pouvoir juger et répondre soudain, U faudroit la savoir.

niPPOLYTE.

Donnez-moi donc la main Jusqu'au temple; en marchant je pourrai vous l'apprendre.

LÉANDRE, à Mascarille.

Va, va-t'en me servir, sans davantage attendre. M

m

SCÈNE XI. — MASCARILLE, moK

Oui, je te vais servir d'un plat de ma façon. Fut-il jamais au monde un plus heureux garçon? bh ! que dans un moment Lélie aura de joie ! Sa maîtresse en nos mains tomber par cette voie! Recevoir tout son bien d'où l'on attend son mal*,

  • Tar. Recevoir tout son bien d'où I'od attend U taii

t

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ACTl- H, SCEiNE Xlll. «T

Et devenir heureux par la main d'un rival! Après ce rare exploit, je veux que Ton s'apprête A me peindre en héros, un laurier sur la léle. Et qu'au bas du portrait on mette en lettres d'or: Vivat Mascarillii/t, fourbâm impcralor !

SCÈNE XII. - TRLIFALDIN, MASCARILLE.

MASCARILLE.

Ilolà!

TKUKAI.DIN.

Que voulez-vous?

MASC.ARILL'.

Cette bague connue Vous dira le sujet qui cause ma venue.

TUUFALDIN.

Oui, je reconnois bien la bague que voilà. Je vais quérir l'esclave; arrêtez un peu là.

SCÈNE XIII. — TRUFALDIN, UN COURRIER, MASCARILLE

LE COURRIER, à Trufaldin.

Seigneur, obligez-moi de menseigner un homme...

TRUFALDIN.

Et qui?

LE COURRIER.

Je crois que c'est Trufaldin qu'il se nomme

TRUFALDIN.

Et que lui voulez-vous? Vous le voyez ici.

LE courrier! Lui rendre seulement la lettre que voici.

TRUFALDIN lit.

« Le ciel, dont la bonté prend souci de ma vie, » Vient de me faire ouïr, par un bruit assez doux, » Que ma lille, à quatie ans par des voleurs ravie, » Sous le nom de Celie est esclave chez vous. » Si vous sûtes jamais ce que c'est qu'être père, » Et vous trouvez sensible aux tendresses du sang,

■ Conservez-moi chez vous celte fille si chère, • Comme si de la \ôtie elle tenoit le rang.

■ Pour l'aller relirer je pars d'ici moi-même,

» Et vous vais i^i vos soins récompenser si bie%

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8S L'ÉTOURDI.

» Que par voire bonheur, que je veux rendre extrême, » Vous bénirez lo jour où vous causez le mien.

> De Madrid.

> DON PEDHO DE GUSMAH,

» MARQIJI3 DE M0>;TALCANE.>

(Il continue.) Quoiqu'à leur nation Lien peu de foi soit due S ils me l'avoient bien dit, ceux qui me l'ont vendue, Que je verrois dans peu quelqu'un la retirer, El que je n'aurois pas sujet d'en murmurer; Et cependant j'allois, par mon impalience, Perdre aujourdhui les fruits d'une haute espérance.

(Au Courrier.)

Un seul moment plus tard tous vos pas étoicnt vains, J'allois meltre à l'inslant celle fille en ses mains. Mais suffit; j'en aurai tout le soin qu'on désire.

(Le Courrier softj (A Hascarille.)

Vous-même vous voyez ce que je viens de lire. Vous direz à celui qui vous a fait venir, Que je ne lui saurois ma parole tenir; Qu'il vienne retirer son argent.

MASCARIIXE.

Mais l'outrage Que vous lui faîtes...

TRCFALDIN.

Va, sans causer davantage.

MASCARILLE, seul.

Ahl le fâcheux paquet que nous venons d'avoir l Le sort a bien donné la baie^ à mon espoir; il bien à la malheure est-il venu d'Espagne Ce courrier, que la foudre ou la grêle accompagne!

  • Ce premier vers :

Quoique à leur nation bien peu de foi soit due,

•emble d'abord se rapporter aux Espagnols; il faut que le vers suivant Doni «p. prenne qu'il i'agit des Égyptiens. (Aimé Martin.}

' L'expression, payer (Tune baie, nous reporte à la farce de Pathelin, dont It première édition est de 1490. Le prodigieux succès de ce Pathelin 6t passer et proverbe plusieurs mots de cette pièce ; nous disons encore : revenir à lei mou- ton». Payer d'une baie est une allusion à cette aatre scène excellente ,où le ber-

^

I

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ACTE II, SCENE XIV. 69

Jamais, certes, jamais plus beau commencement N'eul en si peu de temps plus triste événement.

SCÈNE XIV. — LÉLIR. riani; MASCARILLE.

MASCARILLE.

Quel beau transport de joie à prosent vous inspire J*

LÉLIE.

Laisse-m'en rîre encore avant que te le dire.

MASCARILLE.

Çà, rions donc bien fort, nous en avons sujet.

LÉLIE.

Ahl je ne serai plus de tes plaintes l'objet. Tu ne me diras plus, toi qui toujours me cries', Que je gale en brouillon toutes tes fourberies. J'ai bien joué moi-même un tour des plus adroit». 11 est vrai, je suis prompt, et m'empoi le parfois : Mais pourtant, quand je veux, j'ai l'imaginative Aussi bonne, en effet, que personne qui vive, El toi-même avoueras que ce que j'ai fait part D'une pointe d'esprit où peu de monde a part.

MASCARILLE.

Sachons donc ce qu'a fait cette imaginative.

LÉLIE.

Tantôt, l'esprit ému d'une frayeur bien vive D'avoir vu Trufaldin avocque mon rival, Je songeois à trouver un reinùde à ce mal. Lorsque me ramassant tout entier en moi-même, J'aiconçu, digéré, produit un stratagème Devant qui tous les tiens, dont tu fais tant de cas, Doivent, sans contredit, mettre pavillon bas.

MASCARILLE.

liais qu'est-ce?

gN. 31'quilté du meurlre des moutons, paye son avocat en lui disant Bée, comme lia Ud au juge ; et la fourberie retombe sur son auteur, Messire jeiian. < El comme quoi?

(■ATUELIN.

» Pour ce qu'en bée

>Ilme paya subtilement. » [le Testament de PatheltA i

[t. GcniD.) Put le wns de m» grondu

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70 L'ÉTOURDI.

lélil:. Ahl s'il te plaît, donne-toi patience- J'ai donc feint une lettre avecque diligence, Comme d'un grand seigneur écrite à Trufaldin, Qui mande qu'ayant su, par un heureux destin, Qu'une esclave qu'il lient sous le nom de Celle Est sa fille, autrefois par des voleurs ravie, Il veut la venir prendre, et le conjure au moins De la garder toujours, de lui rendre ses soins; Qu'à ce sujet il part d'Espagne, et doit pour elle Par de si grands présents leconnoîlre son zèle, Qu'il n'aura point regret de causer son bonheur -

MASCARTLLE.

Fort bien.

LELIE.

Écoute donc, voici bien le meilleur. La lettre que je dis a donc été remise; liais sais-tu bien comment? en saison si bien prisa Que le porteur m'a dit que, sans ce trait fallol', Un homme l'emmenoit, qui s'est trouvé fort sot.

MASCAKILLE.

Vous avez fait ce coup sans vous donner au diable?

LÉUE.

\ii. D'un tour si subtil m'aurois-lu cru capable ? Loue au moins mon adresse, et la dextérité Dont je romps d'un rival le dessein concerté.

MASCARILLE.

A vous pouvoir louer selon votre mérite,

Je manque d'éloquence, et ma fon;e est petite.

Oui, pour bien étaler cet effort relevé,

Ce bel exploit de guerre à nos yeux achevé,

Ce grand et rare effet d^une Imaginative

Qui ne cède en vigueur à personne qui vive,

Ma langue est impuissante, et je voudrois avoir

Celles de tous les gens du plus exquis savoir,

Pour vous dire en beaux vers, ou bien en docte prose.

Que vous serez toujours, quoi que l'on se propose,

Tout ce que vous avez été durant vos jours;

C'est-à-dire un esprit chaussé tout à rebours.

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ACTE m, SCÈNE T. 71

Une raison malade et toujours en débauche, Un envers du bon sens, un jngement à gauche, Un brouillon, une bêle, un brusque, un élourdi, Que sais-je? un... cent fois plus cncor que je ne dû C'est faire en abrégé \ohc panégyrique.

LÉLIE.

Apprends-moi le sujet qui contre moi te pique; Ai-je fait quelque chose? Eclaircis-moi ce point.

MASr.ARILLE.

Non, vous n'avez rien fait; mais ne me suivez poiot*

LÉLIi:.

Je te suivrai partout, pour savoir ce mystère.

MASCAUILLE.

Oui? Sus donc, préparez vos jambe? à bien faire; Car je vais vous fournir de quoi les exercer.

LKLIE, seul.

I! m'échappe. malheur qui ne se peut forcer*,! Au discours qu'il m'a fait que saurois-je coinpicutirc? Et quel mauvais office aurois-;e pu me rendre?

FIN DU SECOND ACTÏ

ACTE TROISIEME.

SCÈNE I. — MASCARILLE, «a».

Tai«ef-vous, ma bonté, cessez votre entretien, Vous êtes une sotte, et je n'en ferai rien. Oui, V us avez raison, mon courroux, je l'avoue; Relier tant de fois ce qu'un brouillon dénoue, C'est trop de patience; et je dois en sortir, Après de si beaux coups qu'il a su divertir'^. Mais aussi raisonnons un peu sans violence.

' malheur qui ne $e peut forcer, pour qui ne se psut éviter. ' Dit-ertir, dans le sens de divertere, détourner. M.ilière l'emploie ians cette acception Od le trouve aussi daDs Pascal.

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1^ ivETOOîîîJL

Si je suis maintonanl ma juste impatience,

On dira que je (xde à la difficulté;

Que je me trouve à bout de ma subtilité :

Et que deviendra lors celte publique estime,

Qui te vanle partout pour un fourbe sublime,

Et que tu t'es acquise en tant d'occasions,

A ne t'étre jamais vu court d'inventions?

L'honneur, ô Mascarille, est une belle chose.

A tes nobles travaux ne fais aucune pause;

Et, quoi qu'un maître ait fait pour te faire enrager,

Achève pour ta gloire, et non pour l'obliger.

Mais quoi! que feras-tu, que de l'eau toute claire?

Traversé sans repos par ce démon contraire.

Tu vois qu'à chaque instant il te fait déchanter.

Et que c'est battre l'eau de prétendre arrêter

Ce torrent çff rené, qui de tes artifices

Renverse en un moment les plus beaux édifices.

Hé bien! pour toute grâce, encore un coup du moins

Au [hasard du succès, sacrifions des soins;

VJi ', il poursuit encore à rompre notre chance,

J'y consens, ôtons-lui toute notre assistance.

Cependant notre affaire encor n'iroit pas maî.

Si par là nous pouvions perdre noire rival,

Et que Léandre enfin, lassé de sa poursuite,

Kous laissât jour es. lier pour ce que je médite.

Oui, je roule en tua tète un trait ingénieux,

Dont je piomcllrois bien un succès glorieux,

Si je puis n'avoir plus cet obstacle à couibatlre.

Bon, voyons si son feu se reisl opiniâtre.

SCÈNE II. — LÉANDRE, MASCARILLE

MASCARILLE.

Monsieur, j'ai perdu temps, votre lionune se dédit

LÉANDRE.

De la chose lui-même il m'a fait le rccit'; Mais c'est bien plus; j'ai su que tout ce beau mysièrej. D'un rapt d'Égyptiens, d'un grand seigneur pour pèra, Qui doit partir d'Espagne, et venir en ces lieux,

  • Ta*. Oe la chose lui-même il m'a fait un refit

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ACTE III, SCÈNE 11,

N'esl qu'un pur shalagème, un Irait facétieui, Une hisloire à plaisir, un eonfe dont Lélie A voulu délourner noire achat de Célic.

MASCÂRILLE.

Voyez un peu la fourbe I

LÉANDRE.

Et pourtant Trufaldia Est si bien imprimé' de ce conte badin, Mord si bien à l'nppâl de celle foible ruse, Qu'il ne veut point souffrir que Ton le désabusa.

MASCARILLE.

C'est pourquoi désormais il la gardera bien, Et je ne vois pas lieu d'y prétendre plus rien.

LÉANDRE.

Si d'abord à mes yeux elle parut aimable, Je viens de la trouver tout à fait adorable; Et je suis en suspens si, pour me l'acquérir. Aux extrêmes moyens je ne dois point courir, Par le don de ma foi rompre oa destinée, El changer ses liens en ceux de l'hyménée.

MASCARILLE.

Vous pourriez l'épouser?

LÉANDRS.

Je ne sais : mais enfin, Si quelque obscurité se trouve en son destin, Sa grâce et sa vertu sont de douces amorces. Qui, pour tirer les cœurs, ont d'incroyables forces,

MASCARILLE.

Sa vertu, dites-vous?

LÉANDRE.

Quoi? que murmurcs-lu? Achève, explique-toi sur ce mot de verlu.

MASCARILLE.

Monsieur, votre visage en un moiTîent s'allère, Et je ferai bien mieux peut-être de me taire.

JL£AiNDRE.

Non, non, parle.

MASCARILLE.

Hé bien donc, très charilablemcnl

  • Imprimé, dani le uni tonl moderne d'impreitiwfMi.

U

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74

L'ETOURDI.

Je vous veux retirer de voîre aveuglement Celte fille...

LÉANDRE.

Poursuis.

MASCARILLE.

N'est rien moins qu'inhumaine; Dans le particulier elle oblige sans peine, Et son cœur, croyez-moi, n'est point roche, après tout, A quicx)nque la sait prendre par le bon bout; Elle fait la sucrée, et veut passer pour prude. Mais je puis en pailer avccque certitude : Vous savez que je suis quelque peu d'un métier A me deveir connoître en un pareirgibier.

LÉANDRB»

Célie...

5IASCAUILLE.

Oui, sa pudeur n'est que franche grimace, Qu'une ombre de vertu qui garde mal la place*, Et qui s'évanouit, comme l'on peut savoir, Aux rayons du soleil qu'une bourse fait voir'.

LÉANDUE.

Las! que dis-tu? Croirai-je un discours de la sorte?

MASCARILLE.

Monsieur, les volontés sont libres; que m'importe? Non, ne me croyee pas, suivez votre dessein. Prenez cette matoise, et lui donnez la main; 'Toute la ville en corps reconnoîtra ce zèle, Et vous épouserez le bien public en elle 3.

LÉANDRE.

Quelle surprise éFrange!

MASCARILLE, à part.

Il a pris l'hameçon. Courage 1 s'il se peut enferrer tout de bon*. Nous nous ôtons du pied une fâcheuse épine.

LÉANDRE.

Oui, d'un coup étonnant ce discours m'assassine

■ Tar. Qu'une ombre de vertu qui garde mal ta place.

  • Ce vers fait allusioo au soleil représeaté sur tes louis d'or du temp; <»

Lonif XIV. Charles IX est le premier de nos rois qui ail fait Trapper dvu irnft* taies d'or avec l'effigie du soleil, Louis XIV est le dernier. (Aimé Martin.)

' L'Idée de cette scène se retrouve dans Pourctaugnac, acte U, scèoe I?^ Tab. Courage I s'il s'y peut enfercer tout de bon.

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ACTE III, SCÈNE III.

MASCARILLE.

Quoi I vous pourriez...

LÉANDUE.

Va-l'en jusqu'à la poste, el voi Je ne sais quel paquet qui doit venir pour moi.

(Seul, après avoir rêvé.)

Qui ue s'y fùl trompé? jamais l'air d'un visage, Si ce qu'il dit est vrai, n'imposa davantage.

SCÈNE III. — LÉLIE. LÉANDRE.

LÉLIE.

Du chagrin qui vous tient quel peut être l'objet?

LÉANDRE.

Moi?

LÉLIE.

Vous-même.

LÉANDRE.

Pourtant je n'en ai point sujet.

LÉLIE.

Je vois bien ce que c'est, Célie en est la cause.

LÉANDRE.

Mon esprit ne court pas après si peu de chose.

LELIE.

Pour elle vous aviez pourtant de grands desseins; Mais il faut dire ainsi, lorsqu'ils se trouvent vains

LÉANDRE.

Si j'étois assez sot pour chérir ses caresses, Je me moquerois bien de toutes vos finesses.

LÉLIE.

Quelles finesses donc ?

LÉANDRE.

Mon Dicul nous savons tout

LÉLIE.

Quoi?

LÉANDRE.

Votre procédé de l'un à l'autre bout.

LÉLIE.

Cest de l'hébreu pour moi, je n'y puis rien comprendra

LÉANDRE.

Feignez, si vous voulez, de ne me pas entendre; Mais, croyez-moi, cessez de craindre pour un bien

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76 L'ÉTOURDI.

Où je serois fâché de vous disputer rien. J'aime fort la beauté qui n'est point profanée, Et ne veux point brûler pour une abandonnée.

LÉLIE.

Tout beau, tout beau, Léandre!

LÉANDRE.

Ah! que vous êtes boot Allez, vous dis-je encor, servez-la sans soupçon; Vous pourrez vous nommer homme à bonnes fortunes. Il est vrai, sa beauté n'est pas des plus communes; Mais en revanche aussi le reste est fort commun.

LÉLIE.

Léandre, arrêtons là ce discours importun.

Contre moi tant d'efforts qu'il vous plaira pour elle;

Mais, surtout, retenez cette atteinte mortelle.

Sachez que je m'impute à trop de lâcheté

D'entendre mal parler de ma divinité;

Et que j'aurai toujours bien moins de répugnance

A souffrir votre amour, qu'un discours qui l'offense.

LÉANDBE.

Ce que j'avance ici me vient de bonne part.

LÉLIE.

Quiconque vous l'a dit est un lâche, un pendard On ne peut imposer de tache à cette fille, Je connois bien son cœur.

LÉANDBE.

Mais, enfin, Mascarille D'un semblable procès est juge compétent; C'est lui qui la condamne.

LÉLIE.

Oui!

LÉANDBE.

Lui-même.

LÉLIE.

tl prétend D une fille d'honneur insolemment médire, Et que peut-être encor je n'en ferai que rire! Gage qu'il se dédit.

LÉANDRE.

Et moi, gage que non.

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ACTE III, SCENE IV. 77

lÉLIE.

Parbkdl je Te TBrois mourir sous le bâlon, S'il m'avoit soutenu des faussetés pareilles.

LÉANDBE.

Moi, je lui couperois sur-le-champ les oreilles, S'il n'éloit pas garant de tout ce qu'il m'a dit.

SCÈNE IV. — LÉLIE, LÉANDRE, MASCARILLl.

LÉLIE.

Ahl bon, bon, le voilà. Venez çà, chien maudit.

MÂSCARILLE.

Quoi?

LELre.

Langue de serpent, fertile en impostures, Vous osez sur Célie attacher vos morsures. Et lui calomnier la plus rare vertu Qui puisse faire éclat sous un sort abattu?

MASCARILLE, bas, & Lélie.

Doucement, ce discours est de mon industrie.

LÉLIE.

Non, non, point de clin d'œil et point de raillerie; Je suis aveugle à tout, sourd â quoi que ce soit; Fût-ce mon propre frère, il me la payeroit; Et sur ce que j'adore oser porter le blâme. C'est me faire une plaie au plus tendre de l'ame. Tous ces signes sont vains. Quels discours as-tu faitaf

MASCARILLE.

Mon Dien! ne cherchons point querelle, ou je m'en Tiis.

LÉLIE.

Tu n'échapperas pas.

MASCARILLE

Ahi!

LÉUE.

Parle donc, confesse.

MASCARILLE , bas, à Lélie.

Laissez-moi, je vous dis que c'est un tour d'adresse.

LÉLIE.

Dépêche; qu'as-lu dit? Vide entre nous ce point.

MASCARILLE, bas, i Lélie.

J'ai dit ce que j'ai dit : ne vous emportez point.

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78 L'ËTOURDI,

LELIE , mettant l'épée à la main.

Ah! je VOUS ferai bien parler d'une autre sorte!

LÉANDRE, rarrêtant.

IlaUe un peu, retenez l'ardeur qui vous emporte.

MASCARILLE, à part.

Fut-il jamais au monde un esprit moins sensé?

LÉLIE.

Laissez-moi contenter mon courage offensé.

LÉANDRE.

C'est trop que de vouloir le battre en ma présence

LÉLIE.

Quoi! châtier mes gens n'est pas en ma puissance?

LÉANDRE.

Comment, vos gens?

MASCARILLE, à part.

Encore! Il va tout découvrir.

LLLIE.

Quand j'aurois volonté de le battre à mourir, Hé bien! c'est mon valet.

LÉANDRE.

C'est maintenant le nôtre

LÉLIE.

Le trait est admirable! Et comment donc le vôtre? Sans doute...

MASCARILLE, bas, à lélie.

Doucement.

LÉLIE.

Hem! que veux-tu conter?

MASCARILLE, à part.

Ahl le double bourreau, qui me va tout gâter,

Et qui ne comprend rien, quelque signe qu'on donnsî

LÉLIE.

Vous rêvez bien, Léandre, et me la baillez bonne. Il n'est pas mon valet?

LÉANDRE.

Pour quelque mal commis, Hors de votre service il n'a pas été mis?

LÉLIE.

Je ne s«(S ce que c'est.

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ACTE III, SCÈNE IV. T»

LÉANDRE.

Et, plein de violence, Vous n'avez pas chargé son dos avec outrance?

LÉLIE.

Point du tout. Moi, l'avoir chassé, roué de coups! Vous vous moquez de moi, Léandre, ou lui de vou».

MASCARILLE, à paît.

Pousse, pousse, bourreau ; lu fais bien tes affaires.

LÉANDRE, à Mascarille.

Donc les coups de bâton ne sont qu'imaginaires?

MASCARILLE.

Il ne sait ce qu'il dit; sa mémoire...

LÉANDRE.

Non, non. Tous ces signes pour toi ne disent rien de bon. Oui, d'un tour délicat mon esprit te soupçonne; Mais pour linvention, va, je te la pardonne. C'est bien assez pour moi qu'il m'ait désabusé*, De voir par quels motifs lu m'avois imposé. Et que m'élaul commis à ton zèle hypocrite, A si bon oîmi.i»- encor je m'en sois trouvé quitte. Ceci doit 8'<if«pefer un avis au lecteur. Adieu, LéliCj adieu t très humble serviteur.

SCÈNE V. - LÉLIE, MASCARILLE.

MASCARILLE.

Courage, mon garçon! tout heur nous accompagne : Mettons llamlierge au veut, et bravoure en campagne; Faisons VOlibrius, ioccisciir d'innocents"^.

LÉLIE.

11 favoit accusé de discours médisants Contre...

MASCARILLE.

Et vous ne pouviez souffrir mon artifice, Lui laisser son erreur, qui vous rendoit service,

' Ta». Mais pour l'invention, va, je te /«pardonne. C'est bien a-scz pour moi qu'il m'a désabusé.

' Olibrius, d'aprps une légende populaire au moyen âge, était un gouverneur des Gaules qui lit mourir sainle Reine, dout il était amoureux, et qui repoussa' , ■es avance*

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80 L'ÉTOUHD .

Et par qui son amour s'en éloit presque allé? Non, il a l'esprit franc, et point dissimulé. Enfin chez son rival je m'ancrc avec adresse, Cette fourbe en mes mains va mettre sa mai liesse, 11 me la fait manquer avec de faux rapports. Je veux de son rival alentir les transports, Mon brave incontinent vient qui le désabuse; J'ai beau lui faire signe, et montrer que c'est ruse: Point d'affaire; il poursuit sa pointe jusqu'au bout, Et n'est point satisfait qu'il n'ait découvert tout. Grand et sublime effort d'une imaginjitive Qui ne le cède point à personne qui vive! C'est une rare pièce, et digne, sur ma foi, Qu'on en fasse présent au cabinet d'un roi.

LÉLIE.

Je ne m'étonne pas si je romps tes attentes;

A moins d'être informé des choses que tu tentes,

J'en ferois encor cent de la sorte.

MASCAUILLE.

Tant pis.

I.ËUC-

Au moins pour t'emporter à de justes dépits. Fais-moi dans tes desseins entrer de quelque chose. Mais que de leurs ressorts ' la porte me soit close, C'est ce qui fait toujours que je suis pris sans vert*.

MASCARILLE.

Ah ! voilà tout le mal : c'est cela qui nous perd. Ma foi, mon cher patron, je vous le dis encore, Vous ne serez jamais qu'une pauvre pécore ^.

LÉLIE.

Puisque la chose est faite, il n'y faut plus penser. Mon rival, en tout cas, ne peut me traverser; Et pourvu que tes soins, en qui je me repose...

' Od concevrait les ressorti de la porte, mais la porte des ressorts est nnk image absolument impossible : les ressorts n'ont point de porte. (P. Géoin.i

' C'est-à-dire ye suis en défaut. C'est une allusion à un usage fort ancien. L«  premier jour de mai, hommes ou femmes, cliacun portait à la main une braucbt de verdure; ceux qui manquaient à cet usage, c'csi-à-dire qui étaient prit lani tert, payaient une ameode dont le produit était dépensé dans im repas. • Var. Je crois que vous seriez un maître d'arme expert; Vous savez à merveille, en toutes aventures, Prendre les contre- temps et rompre les mesure*.

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ACTE III, SCENE V. 8*

MA5CARILLE.

Laissons là ce discours, et parlons d'aulre chose. Je ne m'apaise pas, non, si facilement; Je suis trop en colère. Il faut premièrement Me rendre un bon office, et nous verrons ensuite Si je dois de vos feux reprendie la conduite.

LÉLIE.

S'il ne tient qu'à cela, je n'y résiste pas.

As-tu besoin, dis-moi, de mon sang, de mon bra»*? .

MASCARILLF..

De quelle vision sa cervelle est frappée I Vous êtes de l'humeur de ces amis dépée^ Que l'on trouve toujours plus j)roiiipts à dégainer Qu'à tirer un lésion^, s'il falloit le donner.

hiUE.

Que puis-je donc pour toi ?

MASCARILLC.

C'est que de votre père Il faut absolument apaiser !a colère.

LÉLIE.

Nous avons fait la paix.

MASCARILLE.

Oui; mais non pas pour nous. Je l'ai fait, ce malin, mort pour l'amour de vous; La vision le choque, et de pareilles feintes Aux vieillards comme lui sont de dures atteintes, Qui, sur l'étal prochain de leur condition. Leur font faire à regret triste réflexion. Le bon homme, tout vieux*, chérit fort la lumière, Et ne veut point de jeu dessus celte matière; Il craint le pronostic, et, contre moi fâché. On m'a dit qu'en justice il m'avoit recherché. J'ai peur, si le logis du roi fait ma demeure, De m'y trouver si bien dès le premier quai l d'heure, Que j'aie peine aussi d'en sortir par après. Contre moi dès longtemps l'on a force décrets

'Tai. As-lii besolD, dis-moi, île mon sang, de mes bras?

  • C'est-à-dire les seconds dans les duels.
  • Monnaie du temps de Louis Ml, \alaiit dix sous tournoii, ainsi nommée parc»

fu'elle portail l'cfligie, la leste, de ce pi inre

  • Bous-entcndii, qu'il est.

Ô*

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82 L'ÉTOUKDI.

Car enfin la \etlti ncsl jamais sans envie,

Et dans ce ninudil siècle est toujours poursuivie.

Allez donc le fléchir.

LÉLIE.

Oui, nous le fléchirons : Mais aussi tu promets...

MASCARILLE.

Ahl mon Dieu, nous verrons.

(Lrlie sort.)

Ma foi, prenons haleine après tant de faliguos. Cessons pour quelque temps le cours de nos intrigues. Et de nous tourmenter de même qu'un lutin. Léandre, pour nous nuire, est hors de garde enfin, Et Célie arrêtée avecque Tartifice...

SCÈNE VI. — ERGASTE, MASCARILLE.

ERCASTE.

Je te chcrt,nois partout pour te rendre un service, Pour te donner avis d'un secret important.

MASCARILLE.

Quoi doiio?

ERGASTE.

N'avons-nous point ici quelque écoutant?

MASCARILLE.

Non.

ERGASTE.

Nouj sommes amis autant qu'on le peut être : Je sais tous tes desseins et l'amour de ton maître •; Songez à vous tanlôl. l.éanJié fait parti Pour enlever Ctlie; et j'en suis averti Qu'il a mis ordre à tonl, et qu'il se persuade D'entrer chez Trufaldin par une mascarade, Ayant su nn'on ce temps, assez souvent le son*, Des ienicnes du quartier en masque l'alloient voir»

MASCAnn.LE.

Oui! Suffit; il n'est pas au comble de sa joie, Je pourrai bien tantôt lui souffler celle proie; Et contre cet assaut je sais un coup fourré Par qui je veux qu'il soit de lui-même enferré.

' Tar. le sait 6>en tet desseios et l'amour de ton maître.

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ACTE III, SCEiNt: VllI. 83

Il ne sait pas les dons donl mon anic «st pourvue. Adieu; nous boirons pinte à la première vue.

SCÈNE VU. — MASCARILLE, seul

n faut, il faut tirer à nous ce que d'heureux

Pourroit avoir en soi ce projet amoureux,

Et, par une surprise adioite et non commui*

Sans courir le danger, en tenter la fortune.

Si je vais me masquer pour devancer ses pas,

Léandre assurément ne nous bravera pas.

Et là, premier que lui, si nous faisons la prise,

Il aura fait pour nous les frais de ï entreprise,

Puisque par son dessein déjà presque éventé

Le soupçon tombera toujours de son oôté.

Et que nous, à couvert de toutes ses poursuites,

De ce coup hasardeux ne craindrons point de suites.

C'est ne se point commettre à faire de l'éclat,

Et tirer les marrons de la patte du chat.

Allons donc nous masquer avec quelques bons frère»;

Pour prévenir nos gens, il ne faut larder guères.

Je sais où git le lièvre, et me puis, sans travail.

Fournir en un moment d'hommes et d'attirail.

Croyez que je mets bien mon adresse en usage :

Si j'ai reçu du ciel les fourbes en partage,

Je ne suis point au rang de ces esprits mal nés

Qui cachent les talents que Dieu leur a donnés.

SCÈNE VIII. — LÉLIE, ERGASTE.

LÉLIE.

Il prétend l'enlever avec sa mascarade?

ERGASTE.

n n'est rien plus certain. Quelqu'un de sa brigade M'ayant de ce dessein instruit, sans m'arrêter, A Mascarille alors j'ai couru tout conter», Qui s'en va, m'a-t-il dit, rompre celte partie Pdp une invention dessus le champ bâtie; Et, comme je vous ai rencoairé par hasard. J'ai cru que je devois de tout vous fair<4 part

' Tas. a Hascarille tors j'ai couru tout ecater.

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85 L'ÉTOURDI.

LÉUE.

Tu m'ohligcs par trop avec celte nouvelle : Va, je reconnoîlrai ce ser\ice fidèle.

SCÈNE IX. — LÉLIE, seul.

Mon drôle assuiémenl leur jouera quelque trait; Mais je veux Je ma part seconder son projet. Il ne sera pas dit qu'en un fait qui me touche Jie ne me sois non plus remué qu'une souche. Voici l'heure, ils seront surpris à mon aspect. Fnin! Que n'ai-jc avec moi pris mon porle-respectt Mais v.enne qui voudra contre noire personne, J'ai deux bous pistolets, et mon épée est bonne. Holàl quelqu'un, un mot.

SCÈNE X. — TRUFALDIN * « f«être; LÉLIE. <

i

TRUFALDIN.

Qu'est-ce? qui me vient voir?

LÉLIE.

Fermez soigneusement votre porte ce soir.

TnOFALDIN.

Pourquoi?

li'lie. Certaines gens font une mascarade Pour vous venir donner une fâcheuse aubade; Us veulent enlever votre Célie.

TRLFALDIN.

dieux!

LÉLIE.

Et sans doute bienlôt ils viennent en ces lieux. Demeurez; vous pourrez voir tout de la fcnèlre Hé bien! qu'avois-je dit? Les voyez-vous paroîlre? Chut! je veux à vos yeux leur en faire l'affront. Nous allons voir beau jeu, si la corde ne rompt

SCÈNE XL — LÉLIE, TRUFALDIN, MASCARILLE et s. nu»

masqués. TRUFALDIN.

Oh! les plaisants robins', qui pensent me surprendre!

' Bobin, homme de robe, suivant les uos, niait, tôt, tuivaat les lutrt*. Ob •

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ACTE III, SCENE XII. 85

LEME.

Masques, où courez-vous? Le pourroit-on apprendre? Trufaldin, ouvrez-leur pour jouer un niomon.

(A Mascarille, déguisé en femoie.)

Bon Dieu, qu'elle est jolie, et qu'elle a l'air nii;;non!

Eh quoi! vous murmurez? mais, sans vous faire outrage,

Peul-on lever le masque, et voir votre visage?

TRilFALDIN.

Allez, fourbes méchants, retirez-vous d'ici, Canaille-, et vous, seigneur, honsoir et grand merci.

SCÈNE XII. — LÉLIE, MASCARILLE.

LELIE, après avoir démasgué Uascarille.

Mascarille, est-ce toi?

MASCARILLE.

Ncnni dà , c'est quelque autre.

LÉLIE.

Hélas I quelle surprise! et quel sort est le nôtre!

L'aurois-je deviné, n'étant point avei li

Des secrètes raisons qui t'avoient travesti'?

Malheureux que je suis d'avoir, dessous ce masque,

Été, sans y penser, te faire cette frasque!

Il me prendroit envie, en mon juste courroux^,

De me battre moi-même, et me donner cent coups.

MASCARILLE.

Adieu, sublime esprit, rare Imaginative.

LÉLIE.

Las! si de ton secours la colère me prive, A quel saint me vouerai-je?

MASCARILLE.

Au grand diable d'enfer.

LÉLIE.

Ah! si ton cœur pour moi n'csl de bronze ou de fer, Qu'encore un coup du moins mon imprudence ait gracel S'il faut pour l'obtenir aue tes genoux j'embrasse. Vois-moi...

robin mouton, parceque cet animal a' comme une robe de laine, et par extensiao on a appelé robins les gens simples d'esprit, parceque le moiilou est peu istct figent.

' Var. Des secrèlcs raisons qui favoient travesti ?

• Va». U me prendroit envie, en ce juste courroux.

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86 '/ETOURDI.

MASCARILLE,

Tarare» I Allons, camarades, allons: J'enlcnds venir des gens qui sont sur nos talons.

SCÈNE XIII. — LÉANDREel sa suite, masqués; TRUFALDIN , i sa fenêtre.

Méandre; Sans bruit; ne faisons rien que de la bonne sorte.

TRCFALDIN.

Quoi! masques toute nuit* assiégeront ma portai Messieurs, ne gagnez point de rhumes à plaisir; Tout cerveau qui le fait est certes de loisir. Il est un peu trop tard pour enlever Celle; Dispensez-l'en ce soir, elle vous en supplie; La belle est dans le lit, et ne peut vous parler; J'en suis fâché pour vous. Mais, pour vous régaler Du souci qui pour elle ici vous inquiète, Elle vous fait présent de cette cassolette.

LÉANDRE.

Fi! cela sent mauvais, et je suis tout gâté, Nous sommes découverts, tirons de ce côté.

FIN DU TROISIÈME ACTE.

ACTE QUATRIÈME.

SCENE I. — LELIE, déguisé e» Arménien; MASCARILIE. MASCARILLE.

Vous voilà fagoté d'une plaisante sorte.

•L'emploi de ce mot paraît'remoDter très-haut dans les origines de notre langue. Tarare serait une traduction de JaraMro, parole dépoiirxue de sens, espèce d'o- nomatopée pour exprimer le son émis d'une bouihe qui ne peut articuler. « La peste lui avait ôlé la parole; au lieu de parler i! «ilfliit, et, voulant crier, n«  faisait entendre quetaratara» (on tarare). 'Vie de saint Augustin. Du CaD^Of m Taratara.] (ïl GéniD.)

  • Toute nuit, au lieu de toute la nutt-

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ACTE IV, SCENE I. 87

LÉUE.

Tu ranimes par là mon espérance inorle.

MASCARILLE.

Toujours de ma colère on me voit revenir; J'ai beau jurer, pester, je ne m'en puis tenir.

LÉUE.

Aussi crois, si jamais je suis dans !a puissance,

Que tu seras content de ma rcconnoissance,

Et que, quand je u'aurois qu'un seul morceau de pain...

MASCARIU.E.

Basle; songez à vous dans ce nouveau dessein. Au moins, si l'on vous voit conmiellre une sollisp^ Vous n'imputerez plus l'erreur à la surprise ; Voire rôle en ce jeu par cœur doit être su.

LÉUE.

Mais comment Trufaldin chez lui l'a-l-il reçu?

MASCARILLE.

D'un zèle simulé j'ai bridé le bon sire;

Avec empressement je suis venu lui dire,

S'il ne songeoit à lui que l'on le suiprondroit;

Que l'on couchoit en joue, et de plus dun endroit,

Celle dont il a vu qu'une lettre en avance

Avoil si faussement divulgué la naissance;

Qu'on avoit bien voulu m'y mêler quelque peu ;

Mais que j'avois tiré mon épingle du jeu,

Et que, touché d'ardeur pour ce qui le regarde,

Je venois l'avertir de se donner de garde.

De là, moralisant, j'ai fait de grands discours

Sur les fourbes qu'on voit ici-bas tous les jours;

Que, pour moi, las du monde et de sa vie iufame,

le voulois travailler au salut de mon ame,

k m'éloigner du trouble, et pouvoir longuement

Près de quelque honnête liomme être paisiblement :

Que, s'il le trouvoit bon, je n'aurois d'autre envie

Que de passer chez lui le reste de ma vie ;

El que même à tel point il m'avoit su ravir,

Que, sans lui demander gages pour le servir,

Je meltrois en ses mains, que je teuois certaines,

Quelque bien de mon père, et le fruit de mes peioes,

Dont, avenant' que Dieu de ce inonde m'ôtàl,

  • Parlicipe abso.ii, signiGant : dant le cai où... {¥. Qéaia.)

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88 L'ËTOURDI.

J'enlondois touf de bon que lui seul liéritët. C'éfoil le vrai moyen d'acquérir sa tendresse. El comme, pour résoudre avec voire maîtresse Des biais qu'on doit prendre à terminer vos vœui, Je voulois en secret vous aboucher tous deux, Lui-même a su m'ouvrir une voie assez belle De pouvoir hautement vous loger avec elle, Venant m'enlrelcnir d'un fils privé du jour, Dont, cette nuit, en songe il a vu le retour. A ce propos voici l'histoire qu'il m'a dite, El sur qui j'ai tantôt notre fourbe construite.

LÉLIE.

C'est assez, je sais tout :, tu me l'as <1U deux fois.

MASCAniLLE.

Oui, oui ; mais quand j'aurois passé jusques à troii, Peut-être encor qu'avec toute sa suffisance, Voire esprit manquera dans quelque circonstance.

LÉLIE.

Mais à tant différer je me fais de l'effort.

MASCARILLE.

Ah! de peur de tomnef, ne courons pas si fort! Voyez- vous? Vous avez la caboche un peu dure. Rendez-vous affermi dessus cette aventure. Autrefois Trufaldin de Naples est sorti, Et s'appeloit alors Zanobio Ruberti; Un parti qui causa quelque émeute civile, Dont il fut seulement soupçonné dans sa ville (De fait il n'est pas homme à troubler un État), L'obligea d'en sortir une nuit sans éclat. Une fille fort jeune et sa femme laissées, A quelques pas de là se trouvant trépassées, Il en eut la nouvelle, et, dans ce grand ennui, Voulant dans quelque ville emmener avec lui, Outre ses biens, l'espoir qui resloit de sa race, Un sien fils, écolier, qui se nommoit Horace, Il écrit à Bologne, où, pour mieux être instruit, Un certain mailre Albert, jeune, l'avoit conduit; Mais, pour se joindre tous, le rendez-vous qu'il donn* Durant deux ans entiers ne lui fil voir personne : Si bien que, les jugeant morts après ce lonips-là, U vint en celle ville, et prit le nom qu'il a,

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ACTE IV, SCÈNE 1. 89

Sans que de ccl Albert, ni de ce fils Horace,

Douze ans aient découvert jamais la moindre trace.

Voilà riiisloire en gros, redite seulement

Afin de vous servir ici de fondement.

Maintenant vous serez un marchand d'Arménie,

Qui les aurez vus sains l'un et l'autre en Turquie.

Si j'ai, plus tôt qu'aucun, un tel moyen trouvé,

Pour les ressusciter sur ce qu'il a rêvé,

C'est qu'en fait d'aventure il est très ordinaire

De voir gens pris sur mer par quelque Turc corsaire,

Puis être à leur famille à point nommé rendus,

Après quinze ou vingt ans qu'on les a crus perdus.

Pour moi, j'ai vu déjà cent contes de la sorte.

Sans nous alambiquer, servons-nous-en; qu'importe?

Vous leur aurez oui leur disgrâce conter.

Et leur aurez fourni de quoi se racheter;

Mais que, parti plus tôt pour chose nécessaire,

Horace vous chargea de voir ici son père

Dont il a su le sort, et chez qui vous devez

Attendre quelques jours qu'ils y soient arrivés*.

Je vous ai fait tantôt des leçons étendues.

LÉLIE.

Ces répétitions ne sont que superflues :

Dès l'abord mon esprit a compris tout le fait.

MASCARILLE.

Je m'en vais là dedans donner le premier trait.

LÉLIE.

Écoute, Mascarille, un seul point me chagrine. S'il alloit de son fils me demander la mine?

MASCARILLE.

Belle difficulté! Devez-vous pas savoir Qu'il éloit fort petit alors qu'il l'a pu voir? Et puis, outre cela, le temps et l'esclavage Pourroient-ils pas avoir changé tout son visage?

LÉLIE.

Il est vrai. Mais dis-moi, s'il connoît qu'il m'a vu, Que faire?

MASCARILLE.

De mémoire êtes-vous dépourvu?

'Ta». AUoudre quelques jours au'iU ««roient ai flvi*.

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•0 L'ÉTOURDI.

Nous avons dit tanlôt qu'outre que votre image N'avoil dans son esprit pu faire qu'un passagf^^ Pour ne vous avoir vu que durant un momeuit Et le poil et l'habit dcguisoient grandement.

LÉLIE.

Fort bien. Mais à propos, cet endroit de Turquie... f

MASCARILLE.

Tout, vous dis-je, est égal, Turquie ou Barbarie

LÉME.

Mais le nom de la ville où j'aurai pu les voir?

MASCARILLE.

Tunis. Il me tiendra, je crois, jusques au soir.

La répétition, dit-il, est inutile,

Et j'ai déjà nommé douze fois celte ville,

LÉLIE.

Va, va-t'en commencer; il ne me faut plus rieo.

MASCARILLE.

Au moins soyez prudent, et vous conduisez bien; Ne donnez point ici de l'imaginalive.

LÉLIE.

Laisse-moi gouverner. Que ton ame est craintive'

MASCARILLE.

Horace dans Bologne écolier, Trufaldin

Zanobio Ruberli dans Naples citadin,

Le précepteur Albert... |

LÉLIE.

Ah I c'est me faire honte Que de me tant prêcher I Suis-je un sot, à ton compte?

MASCARILLE.

Non, pas du tout; mais bien quelque chose approchant'

SCÈNE II. — LÉLIE , ienl.

Quand il m'est inutile, il fait le chien couchant;

Mais, parcequ'il sent bien le secours qu'il me donne,

Sa familiarité jusque-là s'abandonne.

Je vais être de près éclairé des beaux yeux

Dont la force m'impose un joug si précieux;

Je m'en vais sans obstacle, avec des traits de flaiiune,

' Celte scène est imitée des scènes I et n de l'acte II de TEmilia, eonu^ iMM dl Luigi Groto Cieco di Uadria.

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ACTE IV, SCÈNE III. 94

Peindre à ceik beauté les tourments de mon ame : Je saurai quel arrêt je dois... Mais les voici.

SCÈNE III - THUFALDIN, LÉLIK, MASCARILI.E,

TRUFALDIN.

Sois béni, juste cîel, de mon sort adoucit

MASCARILLE.

'-'est à vous de rêver et de faire des songes, Puisqu'en vous il est faux que songes sont mensongee

TRUFALDIN, à Lélie.

Quelle grâce, quels l):ens vous rendrai-je, ^eigneu^, Vous, que je dois nommer l'ange de mon bonheur?

LELIE.

Ce sont soins superflus, et je vous en dispense

TRUFALDIN, à Mascarille.

J'ai, je ne sais pas où, vu quelque ressemblance De cet Arménien.

MASCARILLE.

C'est ce que je disois; Mais on voit des rapports admirables parfois.

TRUFALDIN.

Vous avez vu ce fîls où mon espoir se fonde ?

LÉLIE.

Oui, seigneur Trufaldin, le plus gaillard du monde.

TRUFALDIN.

Il vous a dit sa vie, et parlé fort de moi?

LÉLIE.

Plus de dix mille fois.

MASCARILLE.

Quelque peu moins, je croi

LÉLIE.

11 vous a dépeint tel que je vous vois paroître, Le visage, le port...

TRUFALDIN.

Cela pourroit-il être, Sij lorsqu'il m'a pu voir, il n'avoit que sept ans, Et si son précepleur même, depuis ce temps, Auroit peine à pouvoir connoître mon visage?

MASCARILLE.

Le sang, bien autrement, conserve cette image;

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92 L'ETOURDI.

Par des traits si profonds ce portrait est traeé, Que mon père...

TP.arALDIN.

Suffit. Où l'avez-vous laissé?

LÉUE.

£a Turquie, à Turin.

TRUFALDIN.

Turin? Mais celte ville Est, je pense, en Piémont.

MASCARILLE, à part.

cerveau malhabile!

(A Trufaldin.)

Vous ne l'entendez pas, i\ veut dire Tunis, Et c'est en effet là qu'il laissa votre fils; Mais les Arméniens ont tous, par habitude , Certain vice de langue à nous autres fort rude : C'est que dans tous les mots ils changent nis en rin. Et pour dire Tunis, ils prononcent Turin.

TRCFALDIN.

11 falloit, pour l'entendre, avoir celte lumière. Quel moyen vous dit-il de rencontrer son père?

MASCARILLE. (A pari.) (A Trufaldin, après s'êlre escrime.)

Voyez s'il répondra. Je repassois un peu Quelque leçon d'escrime : autrefois en ce jeu Il n'étoit point d'adresse à mon adresse égale, Et j'ai battu le fer en mainte et mainte salle.

TRUFALDIN, à Mascarille.

Ce n'est pas maintenant ce que je veux savoir.

(A Lélie.)

Quçl autre nom dit-il que je devois avoir?

MASCARILLE.

Ah I seigneur Zanobio Ruberji, quelle joie Est celle maintenant que le ciel vous envoie!

LÉLIE.

C'est là votre vrai nom, et l'autre est emprunté-

TRUFALDIN.

Mais où vous a-t-il dit qu'il recul la clarté

MASCARILLE.

Naples est un séjour qui paroi l agréable;

' TiR. Mais les ArminieDS ont tous une hablladd.

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ACTE 111, SCÈNE IV. 93

Uais pour tous ce doit être un lieu fort haïssable.

TRUFALDIN.

Ne peui-tu, sans parler, souffrir notre discours?

LÉLIE.

Dans Naples son destin a commencé son cours.

TRUFALDIN.

Où l'envoyai-je jeune, et sous quelle conduite?

MASCARILLE.

Ce pauvre maître Albert a beaucoup de mérite D'avoir depuis Bologne accompagné ce fils. Qu'à sa discrétion vos soins a voient commis!

TRUFALDIN.

Ahl

MASCARILLE, ii part.

Noos sommes perdus si cet entretien dure.

TRUFALDIN.

Je voudrois bien savoir de vous leur aventure, Sur quel vaisseau le sort, qui m'a su travailler...

MASCARILLE.

Je ne sais ce que c'est, je ne fais que bâiller; Mais, seigneur Trufaldio, songez-vous que peut-étra Ce monsieur l'étranger a besoin de repaître, Fi qu'il est tard aussi?

LÉLIE.

Pour moi, point de repas.

MASCARILLE.

Ah I voa» avez plus faim que vous ne pensez pas.

TRUFALDIN.

Entrez donc.

LÉUE.

Après vous.

MASCARILLE, à Trufaldio.

Monsieur, en Arménie Les maîtres du logis sont sans cérémonie.

(A Lélie. après que Tnifaldin esl entré dans la maiion.)

Pauvre esprit! Pas deux mots!

LÉLIE.

D'abord il tn'a surpris ; Mais n'appréhende plus, je reprends mes esprits, Et m'en vais débiter avecque hardiesse...

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94 L'ÉTOURDI.

MASCARILLE.

Voici notre rival, qui ne sait pas la pièce.

(Ils entrent dans la maison de Trufaldli.)

SCÈNE IV. — ANSELME, LÉANDRE

ansi:lme. 4rrêtez-vous, Léandre, et souffrez un discours Qui cherche le repos et l'honneur de vos jours. Je ne vous parle point en père de ma fille, En homme intéressé pour ma propre famille, Mais comme votre père ému poutvvotre bien, Sans vouloir vous llaller et vous déguiser rien ; Bref, comme je voudrois, d'une ame franche et pure, Que l'on fit à mon sang en pareille aventure. Savez-vous de quel œil chacun voit cet amour, Qui dedans une nuit vient d'éclater au jour? A combien de discours et de (rails de risée Votre entreprise d'hier est partout exposée? Quel jugement on fait du choix capricieux Qui pour femme, dit-on, vous désigne en ces lieux Un rebul do l'Égypic, une fuie coureuse, De qui le noble emploi n'est qu'un métier de gueuse? J'en ai rougi pour vous encor plus que pour moi, Qui me trouve compris dans l'éclat que je voi : Moi, dis-je, dont la fille, à vos ardeurs promise. Ne peut, sans quelque affront, souffrir qu'on la méprise. Ah ! Léandre, sortez de cet abaissement ! Ouvrez un peu les yeux sur votre aveuglement. Si notre esprit n'est pas sage à toutes les heures, Les plus courtes erreurs sont toujours les meilleures. Quand on ne prend en dot que la seule beauté, Le remords est bien près de la solennité, Et la plus belle femme a très peu de défense Contre cette tiédeur qui suit la jouissance. Je vous le dis encor, ces bouillanfs mouvements, Ces ardeurs de jeunesse et ces emportements Nous font trouver d'abord quelques nuils agréables; Mais ces félicites ne sonl guère durables. Et notre passion alcntissaiU son cours, Après ces bonnes nuits doime de mauvais jours :

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ACTE IV, SCÈNE V. 93

De là viennent les soins, les soucis, les misères, Les fils déshérilés par le courroux des pères.

LÉANDRE.

Dans tout votre discours je n'ai rien écoulé Que mon esprit déjà ne m'ait représenté. Je sais combien je dois à cet honneur insigne Que vous me voulez faire, et dont je suis indigne; Et vois, malgré l'effort dont je suis combattu, Ce que vaut votre fille et quelle est sa vertu : Aussi veux-je lâcher...

ANSELME.

On ouvre celle porte : Retirons-nous plus loin, de crainte qu'il n'en sort* Quelque secret poison dont vous seriez surpris.

SCÈNE V. — LÉLIE, MASCARILLE.

MASCARILLE.

Bientôt de notre fourbe on verra le débris, Si vous contiouez des sottises si grandes.

LKLIE.

Dois-je éternellement ouïr les réprimandes? De quoi te peux-tu plaindre? Ai-je pas réussi En tout ce que j'ai dit depuis ?

MASCARILLE.

Couci-couci. Témoin les Turcs par vous appelés hérétiques, Et que vous assurez, par serments authentiques, Adorer pour leurs dieux la lune et le soleil. Passe. Ce qui me donne un dépit nonpareil, C'est qu'ici votre amour étrangement s'oublie; Près de Célie, il est ainsi que la bouilUe, Qui par un trop grand feu s'enfle, croît jusqu'aux bordt, Et de tous les côtés se répand au dehors •.

LÉLIE.

Pourroit-on se forcer à plus de retenue? Je ne l'ai presque point encore entretenue.

' Celle comparaison el an* partie de la «cène aonl imilées d une pièce italieci», fÀngelica de Fabritio dt Pornarit. — L'auteur italien t'exprime ainsi : « L« 

> lens de Fulvio est comme on pot qni.bout ; Angélique est auprès qui attise le fen,

> et rétame ne lardera pu à te répandre par-des«u» le* bord*. > (Cailhava.)

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96 L'ÉTOUHDI.

MASCARILLE.

Oui, mais ce n'est pas toul que de ne parler pas; Par vos gestes, durant un moment de repas, Vous avez aux soupçons donné plus de matière Que d'autres ne feroient dans une année entière.

LÉLIE.

Et comment donc?

MASCARILLE.

Comment? Chacun a pu le voir. A table, où Trufaldin l'oblige de se seoir, Vous n'avez toujours fait qu'avoir les yeux sur elle. Rouge, toul interdit, jouant de la prunelle. Sans prendre jamais garde à ce qu'on vous servoit, Vous n'aviez point de soif qu'alors qu'elle buvoil; Et dans ses propres mains vous saisissant du verre, Sans le vouloir rincer, sans rien jeter à terre. Vous buviez sur sou reste, et montriez d'affecter Le côté qu'à sa bouche elle avoit su porter. Sur les morceaux touchés de sa main délicate. Ou mordus de ses dents, vous étendiez la patte Plus brusquement qu'un chat dessus une souris. Et les avaliez tout ainsi que des pois gris. Puis, outre tout cela, vous faisiez sous la table Un bruit, un triquetrac de pieds insupportable, Dont Trufaldiiî, heurté de- deux coups trop pressant», A puni par deux fois deux chiens très innocents, Qui, s'ils eussent osé, vous eussent fai't querelle. Et puis après cela votre conduite est belle? Pour moi, j'en ai souffert la gêne sur mon corps. Malgré le froid, je sue encor de mes efforts. Attaché dessus vous comme un joueur de boule Après le mouvement de la sienne qui roule. Je pensois retenir toutes vos actions, En faisant de mou corps mille contorsions.

LÉLIE.

  1. ion Dieu 1 qu'il t'est aisé de condamner des chosea

Dont tu ne ressens point les agréables causes! Je veux bien néanmoins, pour te plaire une fois, Faire force à l'amour qui m'impose des lois. Désormais...

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AClt IV, sLtNE VII. 97

SCÈNE VI. — TRUFALDIN, LÉLIE, MASGARILLE,

MASCARILI.E

Nous parlions des fortunes d'Horace.

TRUFALDIN.

(à Lélie.)

C'est bien fait. Cependant me feriez-vous la grâce Que je puisse lui dire un seul mot en secret?

LÉLIE.

Il faudroit autrement être fort indiscret,

(Lélie entre dans la maison de Irufaldis.)

SCÈNE VII. — TRUFALDIN, MASCARILLE,

TRLFALDIN.

Ecoute : sais-tu bien ce que je viens de faire?

MASCARILLE.

Non ; mais si vous voulez, je ne larderai guère, Sans doute, à le savoir.

TRUFALDIN.

D'un chêne grand et fort, Dont près de deux cents ans ont fait déjà le sort, Je viens de détacher une branche admirable, Choisie expressément de grosseur raisonnable, Dont j'ai fait sur-le-champ, avec beaucoup d'ardeur,

(Il montre son bras.)

Un bâton à peu près... oui, de celte grandeur,

Moins gros par l'un des bouts, mais, plus que trente gaules,

Propre, comme je pense, à rosser les épaules;

Car il est bien en main, vert, noueux, et massif.

MASCARILLE.

Mais pour qui, je vous prie, un tel prépara tif?

TRUFALDIN.

Pour toi, premièrement; puis pour ce bon apôtre Qui veut m'en donner d'une, et m'en jouer d'une autre, Pour cet Arménien, ce marchand déguisé, Introduit sous l'appât d'un conte supposé.

MASCARILLE.

Quoil vous ne croyez pas...

TRUFALDIN.

Ne cherche point d'excuse : Lui-même heureusement a découvert sa ruse ;

• 6

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98 L'ÉTOURDI.

Et disant à Ctlie, en lui serrant la main, Que pour elle il venoit sous ce piélexte \ain, Il n'a pas aperçu Jeannelle, ma fillole', Laquelle a tout ouï, parole pour parole; El je ne doute point, quoiqu'il n'en ait rien dit, Que lu ne sois de tout le complice maudit.

MASCARILLE.

Ah ! vous me faites tort. S'il faut qu'on vous affronte, Croyez qu'il m'a trompé le premier à ce conte.

TRUFALDIN.

Veux-tu me faire voir que tu dis vérité? Qu'à le cliasser mon bras soit du tien assisté; Donnons-en à ce fourbe et du long et'du large, Et de tout crime après mon esprit te décharge.

MASCARILLE.

Oui-dà, très volontiers, je l'cpousterai bien,

Et par là vous verrez que je n'y trempe en rien.

(A pan.) Ah ! vous serez rossé, monsieur de l'Arménie, Qui toujours gâtez tout!

SCÈNE VIII. - LÉLIE, TRUFALDIN, MASCARILLE.

TRUFALDIN , à Lélie, après avoir heurlé à sa porte.

Un mot, je vous supplie. Donc, monsieur l'imposteur, vous osez aujourd'hui Duper un honnête homme, et vous jouer de lui ?

MASCARILLE.

Feindre avoir vu son fils en une au're contrée. Pour vous donner chez lui plus aisément entrée I

TRUFALDIN bal Lélie.

Vidons, vidons sur l'heure.

LÉLIE, à Mascarille, qui le bat aussi.

Ah, coquin !

MASCARILLE.

C'est ainsi Que les fourbes...

LÉUE.

Bourreau !

'On prononce fillol à la ville, dit Vaiigelas, et fiUeul à ta cour; cl il ajoaM: L'usage de la cour doit prévaloir sur l'usage de la ville.

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ACTE IV. SCENE VIII. 99

MASCARILLE.

Sont ajustés ici. Gardez-moi bien cela.

L^lIE.

Quoi donc! je serois homme..,

MASTARILLE, le baUaiit toujours en le chassant.

Tirez, tirez*, vous dis-je, ou bien je vous assoumie.

Tl'.UFALDlN.

Voilà qui nie plaît fort; lenire, je suis content.

(ilascarille suit Trufaldiu, qui rentre dik's sa maiaoB.) LÉLIE, revenant.

A moi, par un valot, cet affront éclatant! L'auroit-on pu prévoir raclion de ce traîli'e, Qui vient insoleinnient de maltraiter son maître?

MASCAUILLE, à la fenêtre de Tnifaldin.

Peut-on vous demander comme va volie dos?

LÉLIE.

Quoi! tu m'oses encor tenir un tel propos?

MASCARILLE.

Voilà, voilà que c'est de ne voir pas Jeannette, Et d'avoir en. tout temps une langue indiscrète. Mais, pour lelle fois-ci, je n'ai point de courroui. Je cesse d'éclater, de pester contre vous; Quoique de l'action l'imprudence soit haute, Ma main sur votre échine a lavé votre faute.

LÉLIE.

Ahl je me vengerai de ce trait déloyal!

MASCARILLE.

Vous vous êtes causé vous-même tout le mal.

LLLIL.

Moi?

MASCARILLE.

Si vous n'étiez pas une cervelle folle, Quand vous avez parlé na^uèie à votre idole, Vous auriez aperçu Jcaïuiclle sur vos pas, Dont l'oreille subtile a découvert le cas.

LÉLIE.

On auroit pu surprendre un mol dit à CcIil ?

MASCARIl i.c. Et d'où doncques viendroit celte inomple sortie?

' Tireif tiret, dans le sens de fuyei, éloiynit-voMS.

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100 L'ÉTOURDI.

Oui, vous n'êtes dehors que par votre caquet Je ne sais si souvent vous jouez au piquet : Mais au moins faites-vous des écarts admirable»

LÉLIE.

le plus malheureux de tous les misérables 1 Mais encore, pourquoi me voir chassé par toi?

JIASCARILLE.

Je ne fis jamais mieux que d'en prendre l'emploi j Par là, j'empêche au moins que de cet artifice Je ne sois soupçonné d'être auteur ou complice.

LÉLIE. '

Tu devois donc, pour toi, frapper plus doucement.

MASCARILLE.

Quelque sot. Trufaldiu lorgnoit exactement: Et puis, je vous dirai, sous ce prétexte utile Je n'étois point fâché d'évaporer ma bile. Enfin la chose est faite; et si j'ai votre foi Qu'on ne vous verra point vouloir venger sur moi. Soit ou directement, ou par quelque autre voie. Les coups sur votre râble assénés avec joie, Je vous promets, aidé par le poste où je suis, De contenter vos vœux avant qu'il soit deux nuits.

LÉLIE.

Quoique ton traitement ait eu trop de rudesse. Qu'est-ce que dessus moi ne peut cette promesse?

MASCARILLE.

Vous le promettez donc ?

LÉLIB.

Oui, je te le promets.

MASCARILLE.

Ce n'est pas encor tout. Promettez que jamais Vous ne vous mêlerez dans quoi que j'entreprenne-

LÉLIE.

Soit.

MASCARILLE.

Si vous y manquez, votre fièvre quartainel

LÉLIE.

Mais tiens-moi donc parole, et songe à mon repos

MASCARILLE.

Allez quitter l'habit^ et graisser votre dos.

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ACTE IV, SCÈNE IX. *W

LÉLIE, seul.

^aut-il que le malheur qui me suit à la trace Me fasse voir toujours disgrâce sur disgrâce!

MASCARILLE, sortant de chez Trufaldin.

Quoi, VOUS n'êtes pas loin ? Sortez vite d'ici ; Mais surtout gardez-vous de prendre aucun souci: Puisque je fais pour vous, que cela vous suffise; N'aidez point mon projet de la moindre entreprise} Demeurez en repos.

LÉLIE, en sortant.

Oui, va, je m'y tiendrai.

»IA«C'.R1LLE, senl.

Il faut voir maintenant quel biais je prendrai.

SCÈNE IX. — ERGASTE, JIASCARILLB. '

ERGASTE.

Mascarille, je ^ lens te dire une nouvrtie

Qui donne à tes desseins une atteinte cruelle.

A l'heure que je parle, un jeune Égyptien,

Qui n'est pas noir pourtant et sent assez son bien,

Arrive, accompagné d'une vieille fort hâve,

Et vient chez Trufaldin racheter cette esclave

Que vous vouliez; pour elle il paroît fort zélé.

MASCARILLE.

Sans doute c'est l'amant dont Célie a parlé.

Fut-il jamais destin plus brouillé que le nôtre!

Sortant d'un embarras, nous entrons dans un autre. •

En vain nous apprenons que Léandre est au point

De quitter la partie, et ne nous troubler point;

Que son père, arrivé contre toute espérance,

Du côté dHippolyte emporte la balance,

Qu'il a tout fait changer par son autorité,

Et la dès aujourd'hui conclure le traité;

Lorsqu'un rival s'éloigne, un autre plus funeste

S'en vient nous enlever tout l'espoir qui nous reste.

Toutefois, par un trait merveilleux de mon art.

Je crois que je pourrai retarder leur départ.

Et me donner le temps qui sera nécessaire

Pour tâcher de finir cette fameuse affaire.

Il f'est fait un grand vol; par qui? l'on n'en sait riea.

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W!2 L'ÉTOURDI.

Eux autres raremenl passent pour gens de bien; Je veux adroitement, sur un soupçon frivole, Faire pour quelques jours emprisonner ce drùb. Je sais des ol'ficiers, de justice altérés, Qui sont pour de tels coups de vrais délibérés- Dessus l'avide espoir de quelque paraguante*, Il n'est rien que leur art aveuglément ne tents; Et du plus innocent, toujours à leur profit La bourse est crinâuelle, et paye son délit.

FIN DU QUATRIÈME ACTE.

ACTE Cl^OlilÈME.

SCÈNE L — MASCARILLE, ERGASTE.

MASf.Alill.LE.

Ah! chien! ah! double chien ! inàline de cervelle I Ta persécution sera-t-elle éternelle?

EUCASTE.

Par les soins vigilants de l'exempt Balafré,

Ton affaire alloit bien, le drôle éloit coffré,

Si ton maître au moment ne fût venu hii-mêntje,

En vrai désespéré, rompre ton stratagème :

Je ne saurois souffrir, a-l-il dit hautement,

Qu'un honnête homme soit traîné honleusement;

J'en réponds sur sa mine, et je le cautionne.

Et, comme on résisloit à lâcher sa personne,

D'abord il a chargé si bien sur les reeors.

Qui sont gens d'ordinaire à craindre pour leur corp»,

Qu'à l'heure que je parle ils sont encore en fuite,

El pensent tous avoir un Lélie à leur suite.

' On donne ce nom au présent qn'on fail à une personne dont on a reçi qael» ques bons oHices. — Le mot est d origine espagnale. Dar para guanus, Je^ à-dire donner pour les ganti. (Mena; e.)

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ACTE V, SCENE 111. 105

MASCAniLLE.

Le traître ne sait pas que col Egyptien Est déjà là-dedans pour lui ravir son bieo.

ERCASTE.

Adieu. Certaine affaire à te quitter m'oblige.

SCÈNE II. — MASCARILLE, soui

Oui, je suis stupéfait de ce dernier prodige.

On diroit (et pour moi j'en suis persuadé)

Que ce démon brouillon dont il est possédé

Se plaise à me braver, et me raille conduire

Partout où sa présence est capable de nuire.

Pourtant je veux poursuivre, et, malgré tous ces coups^

Voir qui l'emportera de ce diable ou de nous.

Célieest quelque peu de notre inlolligence,

Et ne voit son départ qu'avecque répugnance.

Je tâcbe à profiler de cette occasion.

Mais ils viennent, songeons à l'exécution.

Celte maison meublée est en ma bienséance,

Je puis en disposer avec grande licence :

Si le sort nous en dit, tout sera bien réglé;

Nul que moi ne s'y tient, et j'en garde la clé.

Dieu ! qu'on peu de temps on a vu d'aventures,

Et qu'un fourbe est coulraint de orondre de figures)

SCÈNE III. — CÉLIE, ANDRÈS.

ANDUÈS.

Vous le savez, Célie, il n'est rien que mon cœur ^'ail fait pour vous prou^er restés de son ardeur. ♦ hez les Vénitiens, dès un assez jcuiie âge, •a guerre en quelque estime a\oit mis mon courage, Lt j'y pouvois un jour, sans trop croire de moi, Prétendre, en les servant, un honorable emploi* Lorsqu'on me vit pour vous oublier toute chose, Et que le prompt effet d'une métamorphose, Qui suivit de mon cœur le soudain changement. Parmi vos compagnons sut ranger votre amant, Sans que mille accidents, ni votre indifférence, Aient pu me détacher de ma persévérance. Depuis, par un hasard, d'avec vous séparé

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i04 L'ÉTOURDI.

Pour beaucoup plus de temps que je n'eusse auguré. Je n'ai, pour vous rejoindre, épargné temps ni peine; Enfin, ayant trouvé la vieille Égyptienne, Et plein d'impatience apprenant votre sert, Que pour certain argent qui leur importoit fort, Et qui de tous vos gens détourna le naufrage, Vous aviez en ces lieux été mise en otage, J'accours vite y briser ces chaînes d'intérêt, Et recevoir de vous les ordres qu'il vous plaît : Cependant on vous voit une morne tristesse. Alors que dans vos yeux doit briller l'allégresse. Si pour vous la retraite avoit quclqu'cs appas, Venise, du butin fait parmi les combats, Me garde [/our tous deux de quoi pouvoir y vivre; Que si, comme devant, il vous fautoncor suivre, J'y consens, et mon cœur n'ambitionnera Que d'être auprès de vous tout ce qu'il vous plaira.

CÉLIE.

Votre zèle pour mol visTlilement éclate :

Pour en paroître triste, il faudroit être ingrate;

Et mon visage aussi, par son émotion.

N'explique point mon cœur en cette occasion.

Une douleur de tète y peint sa violence ;

Et, si j'avcès sur vous quelque peu de puissance,

Notre voyage, au moins pour trois ou quatre jours,

Attendroit que ce mal eût pris un auire cours.

ANDRÈS.

Autant que vous voudrez, faites qu'il se diffère. Toutes mes volontés ne buttent qu'à vous plaire. Cherchons une maison à vous mettre en repos. L'écriteau que voici s'offre tout à propos.

SCÈNE IV. — CÉLIE, ANDRÈS; MASCARILLE, déguiié et

AXDRÈS.

Seigoeur Suisse, êtes-vous de ce logis le maître?

MASCARILLE.

Moi pour serûr à fous.

ANDRÈS.

Pourrons-nous y bien êlre }

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ACTE V, SCENE IV. 105

MASCARILLE.

Oui ; moi pour d'élrancher chappon champre garni*. Mais che non point tocher te gents te méchant vi.

ANDRÈS.

Je crois votre maison franche de tout ombrage.

MASCARILLE.

Fous nouvieau dans sti fil, moi foir à la fissago.

ANDRÈS.

Oui.

MASCARILLE.

La matame est-il mariage al monsieur?

ANDRÈS.

Quoi?

MASCARILLE.

S'il être son famé, ou s'il être son soeur f

ANDRÈS.

Non.

MASCARILLE.

Mon foi, pien cTion; fenir pour marciiantisse, Ou pien pour temanter à la palais chousliœ? La procès il faut rien; il couler tant farchantt La procurair larron, l'afocat pien méchant.

ANDRÈS.

Ce n'est pas pour cela.

MASCARILLE.

Fous tonc mener sti tile Pour fenir pourmener et recarier la file?

ANDRÈS. (A Célie.)

Il n'importe. Je suis à vous dans un moment Je vais faire venir la vieille promptement, Conlremander aussi notre voiture prêêe.

MASCARILLE.

Li ne porte pas pien.

ANDRÈS.

Elle a mal à la tête.

•Ta* Oui ; moi pour d'élrarcher chafons champre carni, Ua rhe non peint iocùfr c^ '■.ham de uiécbaDt vl.

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L'ÉTOUUDl

MASCAnil.l.E.

Moi cliafoir fe bon fin, cl te fioinar;e pon. Entre tous, entre fous tans mon pclil inaisson.

(Cclie, Andrès et Mascarille entrent >1ans la rabiMb}

SCÈNE V. — LÉLIE, seul.

Quel que soit le transport d'une ame impatiente, Ma parole m'engage à rester en attente, A laisser faire un autre, et voir, sans rien oser, Comme de mes destins le ciel veut disposer.

SCÈNE VI. — ANDRÈS, LÉLIE.

LÉLIE, à Andrès qui sort de la maison.

Demandiez-vous quelqu'un dedans cette demeure?

ANDRÈS.

C'est un logis garni que j'ai pfis tout à l'heure.

LIÎLIE.

A mon père pourtant la maison appartient, Et mon valet la nuit pour la garder s'y tient.

ANDRrS.

Je ne sais; l'écriteau martjuc au moins qu'on la loi^^ Lisez.

LÉLIE.

Certes, ceci me surprend, je l'avoue. Qui diantre l'auroil mis? et par quel intérêt...? Ah! ma foi, je devine à peu près ce que c'est I Cela ne peut venir que de ce que j'augure.

ANDRÈS.

Peut-on vous demander quelle est celle aventure?

LÉLIE.

Je voudrois à tout autre en faire un grand secret; Mais pour vous il n'importe, et vous serez discret. Sans doute l'écriteau que vous voyez paroîlre, Comme je conjecture au moins, ne sauroil être Que quelque invention du valet que je di, Que quelque nœud subtil qu'il doit avoir ourdi Pour mettre en mon pouvoii- ceilaine Égyptienne, Dont j'ai l'ame piquée, et qu'il faut que joblienne^ Je l'ai déjà manquée, et même plusieurs coups.

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ACTE V. SCÈNE VU. l<>7

ANDRÈS.

Vous l'appelez...?

LÉLIE.

Celle.

ANDRÈS.

Hc! que ne disiez- vous? Vous n'aviez qu'à parler, je vous aurois sans doute tj)ar{jné lous les soins que ce projet vous coule.

LÉLIB

Quoi ! vous la connoissez?

ANDRÈS.

C'est moi qui mainleDaBt Viens de la raclieter.

LÉLIE.

discours surprenant!

ANDRÈS.

Sa santé de partir ne nous pouvant permettre, Au logis que voilà je vcnois de la mettre; Et je suis très ravi, dans cette occasion, Que vous m'ayez instruit de votre intention.

LÈLIE.

Quoil j'obliendrois de vous le bonheur que j'espère? Vous pouiriez,..?

ANDRES, allant frapper à la porte.

Tout à l'heure on va vous satisftiire,

LÉLIE.

Que pourrois-je vous dire? El quel remercîment...?

ANDRÈS.

Non, ne m'en faites point, je n'en veux nullement. SCÈNE VII. — LÉLIE, ANDRÈS, MASCARILLE.

MASCARILLE, à part.

Hé bien! ne voilà pas mon enragé de maître! Il nous va faire encor quelque nouveau bissëtre*.

' Malheur qui arrive fatalement. — Le mot primitif estbisseire. Du Cange, au mot Bissextus, l'explique infortunium, malum superviniens. La mauvaise influenct de l'an et du jour bissextile étoit proverbiale au moyen âge i « Cette année-là étoit bissextile, et le bisfexte tomba de fait sr.r les traistreg. »

(Ordertc Vilal, lib. XHI.) c Celte tumultueuse aanée fut bissextile... et le bissexte tomba sur le roi et MU > ton peuple, tant en Angleterre qu'en Normandie. > (IJ. lib. XIU )

(F. Geaio.)

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i08 L'ETOURÙI.

LCLIC.

Sous ce grotesque habil qui l'auroit reconnu? Approche, Mascarille, et sois le bienvenu.

MASCARILLE.

Moi souis ein chant t'honneur, moi non point Maquerile^. Chai point fentre chaniais le iame ni le file.

LÉLIE.

Le plaisant baragouin! il est bon. sur ma foi!

BlASUAniLLE.

Allez fous pourmener, sans toi rire te moi.

LÉLIE.

Va, va, lève le masque, et reconpois ton maître.

MASCARILLE.

Partie, tiable, mon foi, chaniais toi chai connoîtr«.

LÉLIE.

Tout est accommodé, ne te déguise point.

MASCARILLE.

Si tri point t'en aller, che paille ein coup te poing;.

LÉLIE.

fou jargon allemand est surpcrflu, te dis-je;

■ .RI nous sommes d'accord, el sa bonté m'oblige. J'ai tout ce que mes vœux lui peuvent demander «  Et tu n'as pas sujet de rien appréhender.

MASCARILLE.

Si ?ou9 êtes d'accord par un bonheur extrême, Je me dessuisse donc, et redeviens moi-même.

ANDRÈS.

Ce valet vous servoit avec beaucoup de feu : Mais je reviens à vous, demeurez quelque peu.

SCÈNE VIII. — LÉLIE , MASCAUILUL

LÉLIE.

Hé bien 1 que diras-tu ?

MASCARILLE.

Que j'ai l'ame ravie Do voir d'un beau succès notre peine suivie.

LÉLIE.

Tu feignois à sortir de ton déguisement. Et ne pouvois me croire en cet événemeni,

  • Tab. Tai toat ce que mes voeux lu- poueoient demander

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ACTE V, SCÈNE X. 109

MASCAniLLE.

Comme je vous connois, j'ctoisdans l'épouvisnte, Et trouve ravenlure aussi fort surpirnaiite.

LÉLIE.

Mais confesse qu'enfin c'est avoir lail bcaiiroup. Au moins j'ai réparé mes faules à te loup^ Et j'aurai cet honneur d'avoir fini l'ouvrage

MASCAIULLE.

Soit; vous aurez été bien plus heureux que sage. SCÈNE IX. - CÉLIE, ANDRÈ8, LÉLIE, MASCARILLS.

AiNDRÈS.

N'est-ce pas là l'objet dont vous m'avez parlé?

LÉLIE.

kh\ quel bonheur au mien pourroit être égalé!

ANDRÈS.

11 est vrai, d'un bienfait je vous suis redevable; Si je ne l'avouois, je serois condamnable : .Miiis enfin ce bienfait auroit trop de rigueur, Si! lalioit le payer aux dépens de mon cœur. Jugtz, dans le transport où sa beauté me jette, Si je (lois, à ce prix, vous acquitter ma dette; Vous ëles généreux, vous ne le voudriez pas : Adieu. Pour quelques jours retournons sur nos pas.

SCÈNE X. — LÉLIE, MASC.ARILLE.

MASCARILLE, après avoir tliai.té.

Je ciianle, et toutefois je n'en ai guère envie*, Vous voilà bien d'accord, il vojw douue Céhe; Hem, vous m'entendez bien,

LÉLIE.

C'est trop; je ne veux plu» Te demander pour moi de secours superllus. 'e suis un chien, un traître, un bourreau délcslable, ndigne d'aucun soin, de rien faire incapable. Va, cesse tes efforts pour un malencontreux

ni ne sauroit souffrir que l'on le rende heureui. Après tant do malheurs, après mon imprudence, Le trépas me doit seul prêter son assistance.

■Vas. *e I h, el toutefois io B'ea ai Kuèra^DTie.

7

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110 L'ÉTOUKDi.

SCÈNE XI. — MASCARILLE, scui

Voilà le vrai moyen d'achever son destin;

Il ne lui manque plus que de mourir enfin

l'our le couronnement de toutes ses sottises.

iMais en vain son dépit pour ses fautes commises

Lui fait licencier mes soins et mon appui,

Je veux, quoi qu'il en soit, le servu' malgré lui,

Et dessus son lutin obtenir la victoire.

Plus l'obstacle est puissant, plus on reçoit de gloire

Et les difficullés dont on est combattu

Sont les dames d'atour qui parent 4a vertu.

SCÈNE XII. — CÉLIE, MASCARILLE.

CÉLIE, à Hascarille, qui lui a parlé bas.

Quoi que lu veuilles dire, et que l'on se piopose. De ce retardement j'attends fort peu de chose. Ce qu'on voit de succès peut bien persuader Qu'ils ue sont pas encor fort près de s'accorder. Et je t'ai déjà dit qu'un cœur comme le nôtre Ne voudroit pas pour l'un faire injustice à l'autre; Et que très fortement, par de différents nœuds, Je me trouve attachée au parti de tous deux. Si Lélic a peur lui l'amour et sa puissance, Andrès pour son partage a la rcconnoissance, Qui ne souffrira point que mes pensers secrets Consultent jamais rien contre ses intérêts.. Oui, s'il ne peut avoir plus de place eu mon ame Si le don de mon cœur ne couronne sa flamme. Au moins dois-je ce prix à ce qu'il fait pour moi, De n'en choisir point d'autre^ au mépris de sa foi. Et de faire à mes vœux autant de violence Que j'en fais aux désirs qu'il met en évidence. Sur ces dilficultés qu'oppose mon devoir, Juge ce que tu peux te permettre d'espoir.

MASCARILLE.

Ce sont, à dire vrai, de très fâcheux obstacles; Et je ne sais point l'art de faire des iniracles; Mais je vais employer mes efforts plus puissants, llemuer terre et ciel, m'y prendre de tout sens

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ACTE V, SCÈNE XIII. ^l\

Pour t.uher de trouver uu biais salutaire Et vous (lirai bientôt ce qui se pourra faire.

SCÈNE XIII. - HIPPOLYTE, CÉUE.

HIPPOLYTE.

Depuis votre séjour, les dames de ces lieux Se plaiijaeut justement des larcins de vos yeux. Si vous leur dérobez leurs conquêtes plus belles, Cl de tous leurs amants faites des infidèles : Il n'est guère de cœurs qui puissent échapper \ux traits dont à l'abord vous savez les frapper; Ll mille libertés, à vos chaînes offertes, ien)blont vous emiihir chaque jour de nos perles. Quant à moi, toutefois, je ne me plaindrois pas Du pouvoir absolu de vos rares appas, Si, lorsque mes amants sont devenus les vôtres, Un seul m'eût consolé de la perte des autres. Mais qu'inhumainement vous me les ôtiez tous, C'est un dur procédé dont je me plains à vous.

CÉLIE.

Voilà d'un air galant faire une raillerie; Mais épargnez un peu celle qui vous en prie. Vos yeux, vos propres yeux se connoissent trop bien Pour pouvoir de ma part redouter jamais rien; Ils sont fort assurés du pouvoir de leurs charmes, Et ne prendront jamais de pareilles alarmes.

HIPPOLVTE.

Pourtant en ce discours je n'ai rien avancé Qui dans tous les esprits ne soit déjà passé; Et, sans parler du reste, on sait bien que Célie A causé dos désirs à Léandre et Lélie.

CÉUE.

Je crois qu'étant tonibés dans cet aveuglement. Vous vous consoleriez de leur perte aisément, l'^t trouveriez pour vous l'amant peu souhaitable (lui dun si mauvais choix se trouveroit capable.

HIPPOLYTE.

Au contraire, j'agis d'un air tout différent, tl trouve en vos beautés uu mérite si grand, J'v vois tant de raisons capables de défendre

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n2 1/ ET OURDI.

l/iiicoiislance de ceux qui s'en laissent siirpi en<lre, Que je ne puis blâmer la nouveauté des lo'.ix Uonl envers moi Léandre a parjuré ses vœux, El le vais voir lanlôt, sans haine et sans colère, Ramené sous mes lois par le pouvoir d'un pc-re.

SCÈNE XIV. — CÉLIE, HIPPOLYTE, JIASCARIL

MASCARILLE.

Grande, grande nouvelle, et succès surprenant, Que ma bouche vous vient annoncer maintenant I

CÉLIE.

Qu'esl-ce donc? "

MASCARILLE.

Écoulez, voici sans llallerie...

CÉLIE.

Quoi?

MASCARILLE.

Ea fin d'une vraie cl pure comédie, A vieille Egyptienne à l'heure incine...

Ctl.lE.

lié bien?

MASCAUILLE.

Passoit dedans la place, cl ne souîjcoil à rien,

Alors qu'une autre \ieille, assez dcfiijurce,

L'ayant de près au nez longtemps considérée,

Par un bruit euroué de mois injuiicux,

A donné le signal d'un comlial luricux.

Qui pour armes pourtant, mousquets, dagues ou flèches,

Ne faisoit voir en l'air que quatre giiffes sèches.

Dont ces deux combatlaiits s'effort^oient d'arracher

Ce peu que sur leurs os les ans laissent de chair.

On n'entend que ces mots, chienne, louve, bagasse.

D'abord leurs escoffions ' ont volé par la [ilace.

Et, laissant voir à nu deux tètes sans clie\eux.

Ont rendu le combat risiblemenl affreux.

Andrès et ïrufaldin, à l'éclat du murmure,

Ainsi que force monde, accourus d'aventure,

Ont à les décharpir eu de la peine assez^,

' Escof/i(^, bonnet de femme, corneUc, cuffia dans le latin du moyev .^Je tcuffia. en italien. ' Véchaypir, séparer avec eflortdes penon&es qui s'éeharpent.

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ACTE V, SCÈNE XIV. 11 5

Tant leurs esprits éloient par la fureur poussés! Cepondaiil que chacune, après celle teinpclo, Soiiyc à cacher aux yeux la honte de sa léle. Et que l'on veut savoir qui causoil cette huiiiciir, Celle qui la première avoit fait la rumeur, Mal^jré la passion dont elle élcil émue, Ayant sur ïrufaidin tenu longlemps la vue : C'est \ous, si quelque erreur n'abuse ici mes yeux. Qu'on m'a dit qui viviez inconnu dans ces lieux, A-t-<lle dit tint haut; ô rencontre opportune! Oui, seigneur Zanobio Huberli, la fortune Me fail vous recounoilre, et dans le même instant Que pour votre iulérèl je me lourmenlois tant, l-oisque Naples vous vit quillor voire famille, J'avois, vous le savez, en mes mains votre (ille, Dont j'clevois l'enfance, et qui, par mille (rails, Taisoit voir dès quatre ans sa giace et ses a lirait». Celle que vous voyez, celte infâme sorcière, Pcdauâ notre maison se rendant familière, Me vola ce trésor. Hélas 1 de ce malheur Volrc femme, je crois, conçut taol de douleur Que cela servit fort pour avancer sa vie. Si bien qu'entre mes mains cette fille ravia Me faisant redouter un reproche fâcheux. Je vous fis annoncer la mort de toutes deua; Mais il faut maintenant, puisque je l'ai connue, Qu'elle fasse savoir ce qu'elle est devenue. Au nom de Zanobio Ruberti, que sa voix. Pendant tout ce rccil, répéloil plusieurs fois, Andrès, ayant changé quelque temps de visage, A Trufaldin surpris a tenu ce langage : Quoi donc! le ciel me fait trouver heureusement Celui que jusqu'ici j'ai cherché vainement. Et que j'avois pu voir, sans pourtant reconnoitrc La source de mon sang et l'auteur de mon étr; ! Oui, mon père, je suis Horace volrc fils. D'Albert, qui me gardoit, les jours étant finis. Me sentant naître au cœur d'autres inquiétudes, Je sortis de Bologne, et, quidant mes études, Portai durant six ans mes pas en divers lieus, Selon que me ponssoil un désir curieui :

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m L'ETOURDI.

Pourtant, après ce temps, une secrète envie Me picssa de revoir les miens et ma patrie; Mais dans Noples, liclasl je ne vous trouvai plu», El n'y sus voire sort que par. des bruits confus : Si bien qu'à votre quête ayant perdu mes peines, Venise pour un temps borna mes courses vaines; El j'ai vécu depuis, sans que de ma maison J'eusse d'autres clartés que d'en savoir le nom. Je vous laisse à juger si, pendant ces affiiires, Trufaldin ressentoit des transports ordinaires. Enfin, pour retrancher ce que plus à loisir Vous aurez le moyen de vous faire éclaircir Par la confession de votre Égyptienne, Trufaldin maintenant vous reconnoît pour sienne; Andrès est votre frère; et comme de sa sœur Il ne peut plus songer à se voir possesseur, Une obligation qu'il prétend reconnoître A fait qu'il vous obtient pour épouse à mon maître, Dont le père, témoin de tout l'événement. Donne à cet byménée un plein consentement, Et, pour mellre une joie entière en sa famille, Pour le nouvel Horace a proposé sa fille. Voyez que d'incidents à la fois enfantés •!

C.ÉLIE.

Je demeure immobile à tant de nouveautés.

MASCAniLLE.

Tous viennent sur mes pas, hors les deux championne^,

Qui du combat encor rcmeltcnl leurs personnes.

Eéandre est de la troupe, et votre père aussi.

Moi, je vais avertir mon maître de ceci,

Et que, lorsqu'à ses vœux on croit le plus d'nbslacle,

Le ciel en sa faveur produit comme un miracle.

(Mascarille sort.)

niproiYT!:. Un tel ravissement rend mes esprits confus,

' Mascarille a raison, voilà beaucoup d'iiicii/i'iiti eii/an/i:s l' fnis. TniTaldin reconnoU pour ses piifanls Andrès et Célic, qm le recniinoisseiH pour leur père, et par conscqiienl se rccminnisseiU entre eux pour freie et siriir. Tniilos ces rtcon- noissancps en action anroieiil occupé Ijcaucoiip île plaie et anmsé incdiccremcnlle spectateur. Le rccil, qui les cfpnrpreiid loiiles, est d'iiue extrc'me longueur; mais il est rapide, varié, plein de fou, de vivacilêet de nion\euieiil ; il est propre à faire valoit le talent d'un acteur habile à diversilier son débit et ion geste. (Auçer.)

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ACTE V, SCÈNE XV. 415

Que pour mon propre sort je n'en aurois pas plus, Mais les voici venir.

SCÈNE XV. — TRUKALDIN. ANSELME, PANDOLFB, CÉLIE, IlIPPOl.ni', LKANDRE, ANDRÈS.

Tni FALDIN.

Abl ma Hllel cr.Lic.

\h\ mon père!

TRUrALDlX.

Sais-tu déjà coramenl le ciel nous esl prospère?

cÉui;. Je viens d'enlendre ici ce succès merveilleux.

IIIPPOLYTE, à Léandre.

En vain vous parleriez pour excuser vos feux, Si j'ai devant les yeux ce que vous pouvez dire.

LÉANDHE.

Ud généreux pardon est ce que je désire : Mais j'atteste les cieux qu'en ce retour soudain Mon père fait bien moins que mon propre dessein.

ANOnàs, à Célie.

Qui l'auroit jamais cru, que celte ardeur si pure Pût être condamnée un jour par la naturel Toutefois tant d'honneur la sut toujours régir, Qu'en y changeant fort peu je puis la retenir.

CÉLIE.

Pour moi, je me blémois, et croyois faire faulo, Quand je n'avois pour vous qu'une estime très haute Je ne pou vois savoir quel obstacle puissant M'arrêloit sur un pas si doux et si glissant. Et délournoit mon cœur de l'aveu d'une flamme Que mes sens s'cfforçoient d'introduire en mon am«.

TRUFALDIN, à Célie.

Mais en te recouvrant, que diras-tu de moi,

Si je songe aussitôt à me priver de loi,

Et t'engage à son fils sous les lois d'hymcnée?

CÉLIE.

Que de vous maintenant dépend ma destinée.

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446 L'ÉTOURDI

SCENE XYI. — TRUFALDIX, ANSELME, PANDOLFE, lÉLlE, HIPPOLYTE, LÉLIE . LÉA.NDHE, ANDRÈS , MASCARILLE.

MASCARH.I.F., à Leiie.

Voyons si \otre diable aura bion le pouvoir

[>c dôliuire à ce coup un si solide espoir;

F.l si, contre rcxcès du bien qui nous arrive,

Vous armerez encor votre imaginalivc.

Par un coup imprévu dos destins les plus douK,

Vos vœux sont couronnés, el Célio e?l à vous.

LÉLIE.

Croirai-je que du ciel la puissance absolue...

TRLFALDIN.

Dui, mon gendre, il est vrai.

PANDOLFE.

La chose est résolue.

ANDRCS, à Lélie.

Je m'acquitte par là de ce que je vous dois.

LÉLIE, à Mascarille.

Il faut que je t'embrasse et mille et mille fois, Dans cette joie...

MASCAniLLE.

Ahi! abi! doucement, je vous prie. Il m'a presque étouffé. Je crains fort pour Célie, Si vous la caressez avec tant de transport. De vos embrassements on se passeroit fort.

TROFALDIN, à Lélie.

Vous savez le bonheur que le ciel me renvoie; Mais puisqu'un môme jour nous met tous dans la joie, Ne nous séparons point qu'il ne soit terminé; Et que son père aussi nous soit vite amené

MASCARILLE.

Vous foilà tous pourvus. N'est-i! point quoique fille Qui pût accommoder le pauvre Ma?catilîe?

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ACTE V, SCENE XVI - Hî

A voir cliaçun se joindre à sa chacune ici, J"ai dos démangeaisons de mariage aussi.

ANSELME.

/'ai Ion fail.

MASCAIIILLE.

Allons donc; cl que les cionx prospères ^ious doaiienl des eiifaals doul nous soyoas les pores.

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LE DÉPIT AMOUREUX,

COMÉDIE EN CINQ ACTES,

REPnÉSENTÈE A BÉZIERS EN 1656, ET A PARIS EN 1638.

NOTICE:.

Les trois années qui s'écoulèrent entre la représentation de l'Etourdi et celle du Bpit amoureux, montrent combien Molière à ses débuts se défiait de lui-même, et combien il était lent et timide à produire. Cela tient peut-être à ce qu'il n'avait point encore reçu pour la première de ces pièces les encouragements de la capitale, encouragements nécessaires, quoi qu'on en ait dit, à toutes les époqies de notre histoire au développement des grands talents. Comme l'Étourdi, le Dépit amoureux fut joué dans la province, à Réziers, non pas en 1G54, comme on l'a écrit souvent, mais en 1056, lors delà tenue des états du Languedoc, avec tm succès complet. Quand Molière, deux ans plus tard, représenta cette seconde pièce sur le tbé.'ilre du Petit-Bourbon, les applaudissements des Parisiens ratifièrent pleinement le ju- gement qu'en avait porté la province. Les deux comédies valu* rent à cbacun des acteurs soixante-dix pistoles, tous frais dé- duits, et comme ces acteurs étaient au nombre de dix, on voit que les recettes, eu égard à la modicité du prix des places, ne laissaient pas que d'être assez rondes.

On a dit avec raison que le Dépit amoureux manquait souvent de clarté; que les récits, qui n'avaient d'antre but que d'expli- quer le sujet, récits qui se trouvent Jusque dans le cinquième acte , ne prouvaient que trop que l'auteur sentait lui-même combien ce sujet était mal cxDosé : enfin, que plusieurs scènes étaient faibles et traînante?. Ces remarques sont justes, mais une fois ces réserves faites, il faut reconnaitre que les beautés com- pensent largement les défauts. La scène des deux vieillards, celle où Lucile est accusée en présence de son père, celle encore oii Lucile et Éraste ne se fàcbent que pour se réconcilier, sont dignes des plus beaux jours et des plus belles œuvres de Mo-

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NOTICE. i\9

lié/e ; et 9l. Aiiger a dit justement qu'on applaudissait toujours atec Ira sport « cette admirable scène de brouillerie et de rac commorf ciment, délicieuse image d'une nature charmante, que Molière a reproduite plusieurs fois sans la surpasser, et qu'on a mille fois répétée d'après lui sans l'égaler jamais. » — Nous ajouterons que le Dépit amoureux est l'une des pièces de noire ancien répertoire qui ont gardé à la scène le plus de fraîcheur et de jeunesse.

« Pans cette pièce, dit M. Bazin, on ne saurait encore si- gnaler aucune intention de satire contemporaine, si ce n'est peut-être le passage où un bretleur, du nom de la Rapière, vient offrir ses services à Éraste, qui les refuse avec mépris. Un des meilleurs services qu'avait rendus le prince de Gonti aux états de Montpellier, moins de deux ans avant l'époque où nous sommes, était d'avoir obligé, non sans peine, la noblesse de Languedoc à souscrire la promesse d'observer les édits du roi contre les duels. Cette disposition pacifique contrariait singuliè- rement (comme le remarque Loret, lettre du 6 février 1655) les gentilshommes à maigre pitance qui se faisaient un revenu de leur assistance dans les rencontres meurtrières, et la scène m de l'acte V pourrait bien regarder ces spadassins récalcitrants. »

Le sujet du Bqiîî ùmoureux est emprunté à /'//Ucre^se de Nicolô Sccchi. Mais si l'auteur italien a donné l'idée première et quel- ques-uns des ressorts romanesques de la pièce, la disposition générale, le dialogue, les détails apparliLuncnt entièrement à l'auteur français, qui reste dans les meilleures scènes complé- '.cment original. M. Viardot indique encore comme ayant fourni quelques traits à Molière, le Chien du jardinier, el Pcrro del IJortelano, de Lopc de Vcga ; enfin, d'après Riccoboni et Cail- liava, la célèbre scène des deux amants serait prise dans un caneva italien : gli Sikgni Amorosi, les Dépits amoureux. Cailliava cite cette scène dans son traité de l'Art de la comédie; mais, eclon M. Aimé Martin, la situation y est à peine indiquée^ e( ce n'est pas là que .N'olicre a pu trouver des inspirations. Lp véritahle modèle de ce tableau charmantest, comuiei'a remarqué Voltaire, l'ode d'Horace, Domc gratus eram tibi, etc.

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LE DÉPIT AMOUREUX.

PERSONNAGES.

ÉBASTE, amant de Liicile '.

ALBERT, prie de Lucile et d'AscagM^.

GROS-REM';*, valet d'Éraste '.

VALÈRE, fils de Polidorc '.

LUCILE, fille dAllierl K

MARINETTE, suivante de Liicile *,

POLIDORE, père de Valére.

FROSIXE, cnnndoiito dAscagne.

ASCAGNE, fille d'Allicrl, déguisée en hotta»

MASCARTLLE, valet de Valeie.

MÉTAPHRASTE", pcdanl'.

LA KAPIÈHE, bretteui '.

ACTE PREMIER.

SCÈNE I. — ÉRASTE, GROS-RENÉ,

KRASTE.

Veox-tu que je te die? une altoinlc secrète

Ne laisse point mon aine en une bonne assiette.

Oui, quoi qu'à mon amour tu puisses repartir,

Il rraint d'être la dupe, à ne te point mentir;

Qu'en faveur d'un rival la foi ne se corrompe,

Ou du moins qu'avec moi toi-niètne on ne le trompe,

GROS-RENÉ.

Pour moi, me soupçonner de quelque mauvais tour, Je dir&i, n'en déplaise à monsieur votre amour, Que c'est injustement blesser ma prud liomie,

Acteari de la tronpe de Molière ; ' Beja«t aîné. — ' MoLiÈRf:. — ' Do Pabc. — * It£JART jeune. — » Mademoiselle be BaiE. — • Madeleine Bêjart. — ' Db Ckoist. — • De Brie.

  • Gros-Resé, nom de théâtre de du Parc. II paroit que Molière vou'oil donner

ic nom de Grns-René aui rôles qu'il faisoil pour cet acteur, comme Joiielet avoi| lionne le sien aux rôles que Scarron avoil faits pour lui. (Aimé Martin.)

'* Mol grec il signifie, qui traduit d'une langue dam une autre. Ce nom exr ^ime parfail'inent la manie de Mélaphr'ult.

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A/ 'E I, SCÈNE I. 421

Et se connoître mal en physionomie.

Les gens de mon iiunois ne sont point accusés

D'être, giaces à Dieu, ni fourbes, ni rusés.

Cet honneur qu'on nous fait, je ne le démens guères,

Et suis liomme fort rond de toutes les manières*.

Pour que l'on me trompât, cela se pourroit bien,

Le doute est mieux foadc; pourtant je n'en crois rien.

Je ne vois point encore, ou je suis une béte,

Sur quoi vous avez pu prendre mar til en tête,

Lucile, à mon avis, vous mon Ire assez d'amour;

Elle vous voit, vous parle à toute heure du jour;

Et Valère, après tout, qui cause votre crainte,

Semble n'être à présent souffert que par contrainte.

ÉRASTE.

Souvent d'un faux espoir un amant est nourri :

Le mieux reçu loujouis n'cbH pas le plus chéri ;

Et tout ce que d'ardeur font paroîlre les femmes,

Parfois n'est qu'un beau voile à couvrir d'auties flammes.

Valère enfin, pour être un amant rebuté,

Montre depuis un temps trop de tranquillité;

Et ce qu'à ces faveurs, dont (u crois l'apparence,

il témoi[;ne de joie ou bien d'indifférence.

M'empoisonne à tous coups leurs plus charmants appas,

Me donne ce chagrin que tu ne comprends pas,

Tient mon bonheur en doute, et me rend difficile

Une entière croyance aux propos de Lucile.

Je voudrois, pour trouver un tel destin bien doux',

Y voir entrer un peu i^<' son transport jaloux.

Et, sur ses déplaisirs et son impatience,

Mon ame prendroit lors une pleine assurance.

Toi-même penses-tu qu'on puisse, comme il fait,

Voir chérir un rival d'un esprit satisfait?

Et, si tu n'en crois rien, dis-moi, je l'en conjure,

Si j'ai lieu de rêver dessus cette aventure.

CROS-RENÉ.

Peut-être que son cœur a changé de désirs, Connoissant qu'il poussoit d'inutiles soupirs.

' Ce ven fait allusion A rembonpoiot de du Parc et à sa bonhomie. Moli^rr ee dplaignoil pas ce moyen d'ajouter à la vérité de ses personnages. \\ donnoil a sca acteurs des rôles toujours en harmonie avec leur caraclère. (Aime MartiLj

  • Tab. le vonJroia, pour trouver un tel destin plus doux.

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122 LE DEPIT AiMOU ^:UX.

ÉRASTE.

Lorsque par les rebuts une ame est détachée,

Elle veut fuir l'objet dont elle fut touchée,

Et ne rompt point sa chaîne avec si peu d'éclat

Qu'elle puisse resler en un paisible état.

De ce qu'on a chéri la fatale présence

Ne nous laisse jamais dedans l'indifférence;

Et, si de celte vue on n'accroît son dédain,

Notre amour est bien près de nous rentrer au sein :

Enfin, crois-moi, si bien qu'on éteigne une flamme,

Un peu de jalousie occupe encore june ame;

Et l'on ne sauroit voir, sans en cire piqué,

Posséder par un autre un cœur qu'on a manqué.

CROS-UENÉ.

Pour moi, je ne sais point tant de philosophie :

Ce que voyent mes yeux, franchomenJ je m'y fiej

Et ne suis point de moi si moricl ennemi,

Que je m'aille affliger sans sujet ni demi*.

Pourquoi subtiliser, et faire le capable

A chercher des raisons pour èlre misérable?

Sur des soupçons en l'aii- je m'irois alarmer!

Laissons venir la fête avant que la chômer.

Le chagrin me paioît une incommoder chose;

Je n'en prends point pour moi sans bonne et juste causeï

Et mêmes à mes yeux cent sujets d en avoir

S'offrent le plus souvent que je ne veux pas voir.

Avec vous en amour je cours même fortune;

Celle que vous aurez me doit être commuue;

La maîtresse ne peut abuser votre foi,

A moins que la suivante en fasse autant pour moi :

Mais j'en fuis la pensée avec un soin extrême.

Je veux croire les gens, quand on me dit : Je l'ainiej

El ne vais point chercher, pour m'eslimer Iieureui,

Si Mas<'arille ou non s'arrache les cheveux.

Que tantôt Maiinclle endure qu'à son aise

Jodelet par plaisir la caresse et la baise.

Et que ce beau rival en rie ainsi qu'un fou;

A son (îxemple aussi j'en rirai tout mou soûl,

Et l'on verra qui rit avec meilleure grâce.

'C'est-à-dire sans sujet ni demi-sujip

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ACTE I, SCÈNE IL <23

ÉUASTE.

Voilà de les discours.

GROS-RENÉ.

Mais je la vois qui passe. SCÈNE II. — ÉRÀSTE, MARINETTE, GROS-RENÉ.

GEOS-RENÉ.

St, Marineltel

MARINETTE.

Ho! ho! Que fais-lu le?

GROS-RENÉ.

Ma foi, Oemaude; nous étions tout à l'iieure sur toi.

MARINETTE.

Vous êtes aussi là, monsieur! Depuis une heure Vous m'avez fait trotter comme un Basque, je meure.

ÉRASTE.

Comment?

MARINETTE.

Pour vous chercher j'ai fait dix mille pas, Et vous promets, ma foi...

ERASTE.

Quoi?

MAKJNETTE.

Que vous n'êtes pas Au temple', au cours, chez vous, m d*"s la grande place.

GROS-RENÉ.

Il en falloit jurer.

ÉRASTE.

Apprends-moi donc, de grâce, Qui te fait me chercher?

MARINETTE.

Quoiqu'un, en vérité, Qui pour vous n'a pas trop mauvaise volonté; Ma maîtresse, en un mot.

• Quelqnei commentateurs ont dit que du temps de Molière on se scrvoil indi^ féremincnt du mot temple ov éylise. Celte remarque manque d'exactitude. On m lervoil sur les théâtres du mot leinplo exclusivement, parce qu'il eût elé incoave- nant, el peut-être même dangereux, d'\ prouo» i- v le mot éylise. Ce mol De M trouve que daui les comédies italiennes.

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124 LE DÉPIT AMOUREUX.

ÉRASTE.

Ah! chcie Marinelle, Ton discours de son cœur osl-il bien rinlerpièle? Ne nie déguise point un myslère fatal; Je ne t'en voudrai pas pour cela plus de mal : Au nom des dieux, dis-moi si la belle maîtresse N'abuse point mes vœux d'une fausse tendresse.

MARFM-TTE.

lié! lié! d'où vous vient donc ce plaisant mouvement? Elle ne fait pas voir assez son sentiment? Quel garniil csl-ce cncor que voire amour demande? Que lui faut-il?

GROS-Rr.NÉ.

A moins que Valcre se pende, Bagatelle! son cœur ne s'assurera point.

MARIN ETTE.

Comment?

GROS-REKÉ.

Il est jaloux jusqucs en un tel point.

MARINETTTE.

De Valère? Ab ! vraiment la pensée est bien belle Elle peut seulement naître en votre cervelle? le TOUS croyois du sens, et jusqu'à ce moment Pavois de votre esprit quelque bon sentiment; Mais, à ce que je vois, je m'étois fort trompée. Ta tête de ce mal est-elle aussi frappée?

GROS-RENÉ.

Moi, jaloux? Dieu m'en garde, et d'être assez badin* Pour m'aller emmaigrir avec un tel chagrin ! Outre que de Ion cœur ta foi me cautionne, L'opinion que j'ai de moi-même est trop bonne Pour croire auprès de moi que quelque autre te plût. Où diantre pourrois-tu trouver qui me valût?

SIARINETTE.

Eln effet, tu dis bien; voilà comn\c il faut être ? Jamais de ces soupçons qu'un jaloux fait paroîlre. Tout le fruit qu'on en cueille est de se mettre mal,

' Le mot badin slpninnit autrerois oon-seulemeot /iaMtre, qui aime à rire, miiii MOor« niait; celle dernière acception, qui est celle du vert àe Uolière, te trouv* ianf le Dicttonnatra dt l'Audéftut de 1694.

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ACTE I, SCÈNE IK <25

Et d'avancer par là les desseins d'un rival. Au mérite souvent de qui l'éclat vous blesse Vos chagrins font ouvrir les yeux d'une maîtresse; El j'en sais tel, qui doit son destin le plus doux Aux soins trop inquiets de son rival jaloux. Enfin, quoi qu'il en soit, témoiguer de lonibrage, C'est jouer en amour un mauvais personnage, Et se rendre, après tout, misérable à ciédit. Cela, seigneur Éraste, en passant vous soit dit'.

ÉRASTE.

lie bien! n'en parlons plus. Que venois-lu m'apprcndre?

MARIKETTE.

Vous mériteriez bien que l'on vous fît attendre, Qu'afin do vous punir je vous tinsse caché Le grand secret pourquoi je vous ai tant cherché. Tenez, voyez ce mol, et sortez hors de doute; Lisez-le donc tout haut, personne ici n'écoule.

ÉRASTE lit.

« Vous m'avez dit que votre amour » Étoit capable de tout faire;

• Il se couronnera lui-même dans ce jour,

1) S'il peut avoir l'aveu d'un père.

• Faites parler les droits qu'on a dessus mon cœur,

» Je vous en donne la licence; 1) El, si c'est en votre faveur, • Je vous réponds de mon obéissance. ■>

Ah ! quel bonheur ! toi qui me l'as apporté. Je te dois regarder comme une déilé!

GROS-RENE.

Je vous le disois bien : contre votre croyance,

Je ne me trompe guère aux choses que je pense.

ÉRASTE relit.

• Faites parler les droits qu'on a dessus mon coeur,

■ Je vous en donne la licence; » El, si c'est en votre faveur, t Je vous réponds de mon obéissance. »

MARINETTE.

Si je lui rapportois vos foiblesses d'esprit, Elle désavoueroit bientôt un tel écrit.

( C«Ue tirade est imitée de {'/nMrwM.

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126 LE DEPIT AMOUREUX.

ÉRASTE,

Ah ! cache-lui, de grâce, une peur passagère, Où mon ame a cru voir quoique peu de lumière; Ou, si lu la lui dis, ajoute que ma mort Est pièle d'expier l'erreur de ce transport Que je vais à ses pieds, si j'ai pu lui dép' r.r», Sacrifier ma vie à sa juste colère.

MARINETTE.

Ne parlons point de mort, ce n'en e^ v^ le temps.

ÉRASTC.

Au reste, je te dois beaucoup, et je prétends Reconnoître dans peu, de la bonne manière, Les soins d'une si noble cl si belle courrière.

MARINETTE.

A propos, savez-vous où je vous ai cherché Tantôt encore?

ÉRASTE.

Hé bien ?

MARINETTE.

Tout proche du marché, Où vous savez.

ÉRASTE.

Où donc?

MARINETTE.

Là... dans cette boutiqua Où, dès le mois passé, votre cœur magnifique Me promit, de sa grâce, une bague.

ÉRASTE.

Ah ! j'entends.

CROS-RENÉ.

La ma toise I •

ÉRASTE.

Il est vrai, j'ai tardé trop longtemps A m'acquitler vers toi d'une telle promesse. Mais...

MARINETTE.

Ce que j'en ai dit, n'est pas que je vous presi

GROS-RENÉ.

Ho 1 que non 1

ÉRASTE lui donne sa bague.

Celle-ci peut-être aura de quoi

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ACTE I, SCEMi il. *27

Te plaire; accepte-la pour celle que je doi.

MARINETTE.

Monsieur, vous vous moquez, j'aurois honte à la prendre.

GROS-RENÉ.

Pauvre honteuse, prends sans davantage attendre; Refuser ce qu'on donne est bon à faire aux fous.

MARINETTE.

Ce sera pour garder quelque chose de vous.

ÉRASTE.

Quand puis-je rendre grâce à cet ange adorable ?

MARINETTE.

Travaillez à vous rendre un père favorable.

ÉRASTE.

MaiSj s'il me rebutoil, dois-je...?

MARINETTE.

Alors comme alors; Pour vous on emploiera toutes sortes d'efforts. D'une façon ou d'autre il faut qu'elle soit vôtre : Faites votre pouvoir et nous ferons le nôtre.

ÉRASTE.

Adieu, nous en saurons le succès dans ce jour,

(Hraste relit la lettre tout bu.) MARINETTE, à Gros-Heoé.

El nous, que dirons-nous aussi de noire amour? Tu ne m'en parles point.

GROS-RENÉ.

Un hymen qu'on souhaite^ Entre gens comme nous est chose bientôt faite. Je le veux; me veux-tu de même?

MARINETTE.

Avec plaisir.

GROS-RENÉ.

Touche, il suffit.

MARIMTTE.

Adieu, Gros-René, mon désir.

GROS-RENÉ.

Adieu, mon astre.

MARINETTE.

Adieu, beau tison de ma flammeo

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128 LE DÉPIT AMOUREUX.

GROS-BENÉ.

Adieu, clicre comèle, arc-cn-cicl de mon ame.

(Marinelte tort)

Le bon Dieu soil loué, nos affaires vont bien; Albert nesl pas un homme à vous refuser rien.

ÉRASTF-

Valère vient à nous.

GROS-RENÉ.

Je plains le pauvre hère, Sachant ce qui se passe.

SCÈNE III. — VALÈRE, ÉRA-STE, GROS-RENI

ÉRASTE.

Hé bien ! seigneur Valère?

VALÈRE.

Hé bien! seigneur Érasle?

ÉRASTE.

tn quel étal l'amour?

VALÈRE.

En quel état vos feux?

ÉRASTE.

Plus forts de jour en jour.

VALÈRE.

El mon amour plus forL

ÉRASTE.

Pour Lucile?

VALÈRE.

Pour elle.

ÉRASTE.

Certes, je l'avouerai, vous êtes le modèle D'une rare constance.

VALÈRE.

Et votre fermeté Doit être un rare exemple à la postérité.

ÉRASTE.

Pour moi, je suis peu fait à cet amour austère Qui, dans les seuls regards, trouve à se satisfaire; Et je ne forme point d'assez beaux sentiments Pour souffrir constamment les mauvais traitements : EnCn, quand j'aime bien, j'aime tort que l'on m'aime.

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ACTE I, SCÈNE III. <29

VALÈUE.

Il est très naturel, et j'en suis bien de même. Le plus parfait objet dont je serois charmé N'auroit pas mes tributs, n'en étant point aimé.

ÉRASTE.

Lucile cependant...

VALÈUE.

Lucile, dans son ame. Rend tout ce que je veux qu'elle rende à ma flamme,

ÉRASTE.

Vous êtes donc facile à contenter?

VALÈRE.

Pas tant

Que vous pourriez penser.

ÉRASTE.

Je puis croire pourtant, Sans trop de vanité, que je suis en sa grâce.

VALÈRE.

Moi, je sais que j'y tiens une assez bonne place.

ÉRASTE.

Ne vous abusez point, croyez-moi.

VALÈRE.

Croyez-moi, Nf laissez point duper vos yeux à trop de foi.

ÉRASTE.

Si j'osois vous montrer une preuve assurée

Que son cœur... Non, votre ame en sero.t altérée.

VALÈRE.

Si je vous osois, moi, découvrir en secret... Mais je vous fâcherois, et veux être discret.

ÉRASTE.

Vraiment, vous me poussez, et, contre mon envie,

Votre présomption veut que je l'humilie.

Lises.

VALr.RE, après avoir u.

Ces mots sont doux.

ÉRASTE.

Vous connoissez la main?

VALÈRE.

Oui, de Lucile.

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<30 LE DÉPIT AMOUREUX.

ÉRASTE.

Hé bien! cet espoir si certain...?

VALÈRE, riant et s'en allant.

Adieu, seigneur Érasle.

GROS-RENÉ.

Il est fou, le bon sire. Où vient-il donc pour lui d'avoir le mot pour rire'? •

ÉRASTE.

Certes il me surprend, et j'ignore, entre nous, Quel diable de mystère est caché là-dessous.

GROS-RENÉ.

Son valet vient, je pense.

ÉRASTE.

Oui, je le vois paroîfre. Feignons, pour le jeter sur l'amour de son maître.

SCÈNE IV. ~ ÉRASTE, MASGARILLE, GROS-RENÉ.

MASCARILLE , à part.

Non, je ne trouve point d'état plus malheureux Que d'avoir un patron jeune et fort amoureux.

GROS-RENÉ.

Bonjour.

MASCARILLE.

Bonjour.

GROS-RENÉ.

OÙ tend Mascarille à cette heure'? Que fait-il? revient-il? va-t-il?ou s'il demeure?

MASCARILLE.

Non, je ne reviens pas, car je n'ai pas été ; Je ne vais pas aussi, car je suis arrêté; Et ne deuieure point, car, tout de ce pas même, Je prétends m'en aller 3.

ÉRASTE.

La rigueur est extrême : Doucement, Mascarille.

' Vàh. Où vient-il donc pour lui de voir le mot pour rire.'

  • Pour : à quoi songe Mascarille ?
  • Ces réponses de Mascarille ont quelque rapport avec celles que, dans le Pédant

joKi, de Cyrano de Bergerac, le paysan Gareau fait au capitan, nommé Cbàteau> fort. € Où vas-tu ? — Tout devant moi. — Je te demande où va le chemin que

> ts suis. — l\ ne va pas, il ne bouge. — Je te demande si tu a« encore bien de

> themio à faire aujourd'hui. — Nanain dà, je le trouverai tout fait. > (Auger.)

I

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ACTE I, SCÈNE IV.

MASCARlLLr.

Ah ! monsieur, serviteur.

ÉRASTE.

Vous nous fuyez bien vite! lie quoi ! vous fals-je peurf

MASCARILLE.

Je ne crois pas cela de votre courtoisie.

ÉRASTE.

Touche; nous n'avons plus sujet de jalousie, Nous devenons amis, et mes feux, que j'éteins. Laissent la place hbre à vos heureux desseins.

MASCARILLE.

Plût à Dieu !

ÉRASTE.

Gros-René sait qu'ailleurs je me jette.

GROS-RrNÉ.

Sans tloute; et je te cède aussi la Marinette.

MASCARILLE.

Passons sur ce point-là; notre rivalité N'est pas pour en venir à grande extrémité : Mais est-ce un coup bien sur que Votre Seigneurie Soit déscnamoui'ée, ou si c'est raillerie?

ÉRASTE.

J'ai su qu'en ses amours ton maître étoit trop bien; Et je serois un fou de prétendre plus rien Aux secrètes faveurs que lui fait cette belle'.

MASCARILLE.

Certes, vous me plaisez avec cette nouvelle.

Outre qu'en nos projets je vous craignois un peu,

Vous tirez sagement votre épingle du jeu.

Oui, vous avez bien fait de quitter une place

Où l'on vous caressoit pour la seule grimace.

Et mille fois, sachant tout ce qui se passoit,

J"ai plaint le faux espoir dont on vous repaissoit :

On offense un brave homme alors que l'on l'abuse.

Mais d'oii diantre, après tout, avez-vous su la ruse?

Car cet engagement mutuel de leur foi

N'eut pour témoins, la nuit, que deux autres et moi;

Et l'on croit jusqu'ici la chaîne fort secrète.

Qui rend de nos amants la Oamme satisfaite.

' Vai. Aux étroites faveurs qu'il a de ceUe belle.

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\S2 LE DÉPIT AMOUREUX.

ÉRASTE.

Hél que diS' lu?

MASCAIULLE.

Je dis que je suis iiilerdil, El ne sais pas, monsieur, qui peut vous avoir dit Que sous ce faux semblant, qui trompe tout le monde En vous trompant aussi, leur ardeur sans seconde D'un secret mariage a serré le lien.

ÉRASTE.

Vous en avez menti.

MASCARILLE.

Monsieur, je le teux bien.

ÉRASTE.

Vous êtes un coquin.

MASCARILLE.

D'accord.

ÉRASTE.

El celte audace Mériteroit cent coups de bâton sur la place.

MASCARILLE.

Vous avez tout pouvoir.

ÉnASTE.

Ah! Gros-René I

GROS-RENÉ.

Monsieur.

ÉRASTE.

le démens un discours dont je n'ai que trop peur. Tu penses fuir.

MASCARILLE.

Nenni.

ÉRASTE.

Quoi ! Lucile est la femme... f

MASCARILLE.

Non, monsieur, je raillois.

ÉRASTE.

Ah! vous railliez, infâme!

BIAS(ARlLLt:.

Non, je ne raillois point.

ÉRASTE.

Il est donc vrai?

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AGIT 1, SCKiNE !V.

MASCARILLK.

Non pas Je no dis pas cela.

ÉRASTK.

Que diy-lu donc?

MASCAIULLI .

Hélas le oe dis rien, do peur de mal parler.

ÉUASTE.

Assure Ou si c'est chose vraie, ou si c'est inipostuie.

MASCARILLE.

C'esl ce qu'il vous plaira : je ne suis pas ici Pour vous rien contester.

ÉUASTE , liront son cpêe.

Veux-tu dire? Voici, Sans marchander, de quoi te délier la langue.

MASCAlULL!i.

Elle ira faire encor quelque sotte harangue, lié! (Je grâce, plutôt, si \ous le trouvez bon Donnez-moi vilement quchiues coups de bàt(.L\ lit me laissez tirer mes chausses sans nmrmure.

ÉRASTE.

Tu mourras, ou je veux que la vérité pure S'exprime par ta bouche.

MASCAUIi.l.C.

Hélas ! je la «lirai : Mais peut-être, monsieur, que je vous fâcherai.

ÉRASTE.

P;ii!c : mais prends bien garde à ce que lu vas faira. A ma juste fureur rien ne te peut soustraire, Si lu mens d'un seul mot en ce que lu diras.

MASCAlilLI.E.

J'y consens, rompez-moi les jambes et les bras, Faites-moi pis encor, lucz-moi, si j'impose. En loul ce que j'ai dit ici, la moindre chose.

ÉRASTE.

Ce mariage est vrai?

MASCARII.LE.

Ma langue, en cel endroii^ A fail un pas de clerc dont elle s'aperçoit.

I 8

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454 LE DÉPIT AMOUREUX.

Mais enfin cette affaire est comme vous la dites,

Et c'est après cinq jours de nocturnes visites,

Tandis que vous serviez à mieux couvrir leur jeu,

Que depuis avant-hier ils sont joints de ce nœud;

Et Lucile depuis fait encor moins paroître

La violente amour qu'elle porte à mon maître,

Et veut absolument que tout ce qu'il verra,

Et qu'en votre faveur son cœur témoignera,

Il l'impute à l'effet d'une haute prudence,

Qui veut de leurs secrets ôter la connoissance.

Si, malgré mes serments, vous doutez de ma foi,

Gros-René peut venir une nuit avec- moi.

Et je lui ferai voir, étant en sentinelle,

Que nous avons dans l'ombre un libre accès chez ell6^

ÉRASTE.

Ote-toi de mes yeux, maraud I

MASCARII-I-E.

Et de grand cœur. C'est ce que je demande.

SCÈNE V. — ÉRASTE, GROS-RENÉ.

ÉRASTE.

Hé bien!

GROS-RENÉ.

Hé bien! monsieur, Nous en tenons tous deux, si l'aulre est véritable.

ÉRASTE.

Las, il ne l'est que trop, le bourreau détestable I Je vois trop d'apparence à tout ce qu'il a dit; Et ce qu'a fait Valèrc, en voyant cet écrit. Marque bien leur concert, et que c'est une baie* Vjui sert, sans doute, aux feux dont l'ingrate le paie.

SCÈNE VI. — ÉRASTE, MARINETTE, GROS-RENÉ.

MARINETTE.

Je Viens vous avertir que tantôt, sur le soir, Ma maîtresse au jardin vous permet de la voir.

Sur ce mot, voyei la note de l'Étourdi, acte II, scène UU.

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ACTE II, SCENE L «55^

ÉRASTE.

Oses-lu me parler? ame double cl traîlresse! Va, sors de ma présence; el dis à la maîtresse Qu'avecque ses écrits elle me laisse en paix, Et que voilà Tétat, infâme I que j'en fais.

(U dccbire la lettre et iort.) MARmETTE.

Gros-René, dis-moi donc quelle mouche le pique?

GROS-RENÉ.

M'oses-tu bien encor parler? femelle inique. Crocodile trompeur, de qui le cœur félon Est pire qu'un satrape, ou bien qu'un Leslrigon* I Va, va rendre réponse à ta bonne maîtresse; Et dis-lui bien el beau que, malgré sa souplesse, Nous ne sommes plus sots, ni mon maître ni moi, Et désormais qu'elle aille au diable avccque toi.

MARINTTTE, seule.

Ma pauvre Marinctte, es-tu bien éveillée? De quel démon est donc leur ame travaillée? Quoi ! faire un tel accueil à nos soins obligeants? Oh! que ceci chez nous va surprendre les gensl

Tït> DU PREMIER ACTE.

ACTE SECOND.

SCÈNE 1. — ASCAGNE, FROSINE.^

FROSINE.

Ascagne, je suis fille à secret, Dieu merci.

ASCAGNE.

Mais, pour un tel discours, sommes-nous bien ici?

' T.ettrigon:, peuple de la Campanie, dont lea poètes ont fait dfi antbropv» phases.

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136 LE DÉPIT AMOURELX.

Prenons garde qu'aucun ne nous vienne surprendre, Ou que de quelque endroil on ne nous puisse entendre.

FROSINE.

Nous serions au logis beaucoup moins sùrenienl :

Ici de lous côlcs on découvre aisément;

El nous pouvons parler avec toute assurance.

ASCACNE.

Ilélas ! que j'ai de peine h rompre mon silence 1

rnosiNE, Ouais I ceci doit doue être un important secret?

ASCAGNE.

Trop, puisque je le dis à vous-même à regret, El que, si je pouvois le cacher davanta|;e, Vous ne le sauriez point.

rnosiNE.

Ah ! c'est me faire outrage I Feindre à s'ouvrir à moi, dont vous avez connu Dans tous vos intérêts l'esprit si retenu ! Jloi, nourrie avec vous, et qui tiens sous silence Des clioses qui vous sont de si gramle importance! Qui sais...

ASCACNE.

Oui, vous savez la seciète raison Qui cache aux yeux de lous mon sexe et ma maison; Vous savez que dans celle où passa mon bas âge Je suis pour y pouvoir retenir l'héritage Que relàchoit ailleurs le jeune Ascas^ue mort. Dont mon déguisement fait revivre le sort; El c'est aussi pourquoi ma bouclie se dispense A vous ouvrir mon cœur avec plus d'asuirance. Mais avant que passer, Frosine, à ce discours, Éclaircissez un doute où je tombe toujours. Se pourroit-il qu'Albert ne sût rien du mystère Qui masque ainsi mon s.^xe, et l'a rendu mon pèreî

FP.OSINE.

En bonne foi, ce point sur quoi vous me pressez Est une affaire aussi qui m'embarrasse assez : Le fond de cette intrigue esl pour moi leliie close; Et ma mère ne put m'éclaireic mieux la cliose.

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ACTE II, SCÈNE I. l-^"

Quand il mourut ce fils, l'objel de tant d'amour,

Au deslin de qui, même avant qu'il vint au jour.

Le Icslamenl d'un oncle abondant en richesses

D'un soin particulier avoil fait des largesses;

Et que sa mère fil un secret de sa mort,

De son époux absent redoutant le transport,

S'il voyoit chez un autre aller tout l'héiilage

Dont sa maison tiroit un si grand avantage;

Quand, dis-je, pour cacher un tel événement,

La supposition fut de son sentiment,

Et qu'on vous prit chez nous, où vous étiez nourrie

(Votre mère d'accorj de cette tromperie

Qui remplaçoit ce fils à sa garde commis).

En faveur des présents le secret fut promis.

Albert ne l'a point su de nous; et pour sa femme,

L'ayant plus de douze ans conservé dans son ame,

Comme le mal fut prompt dont on la vil mourir.

Son trépas imprévu ne put rien découvrir,

Mais cependanl je vois qu'il garde intelligence

Avec celle de qui vous tenez la naissance.

J'ai su qu'en secret même il lui faisoit du bien,

Et peut-être cela ne se fait pas pour rien.

D'autre part, il vous veut porter au mariage;

Et, comme il le prélend, c'est un mauvais langage.

Je ne sais s'il sauroit la supposition

Sans le déguisement. Mais la digression

Tout insensiblement pourroit trop loin s'étendre; \

Revenons au secret aue je brûle d'apprendre.

ASCAGNE.

Sachez donc que l'Amour ne sait point s'abuser, Que mon sexe à ses yeux n'a pu se déguiser, El que ses traits subtils, sous l'habit que je porte. Ont su trouver le cœur d'une fille peu forte. J'aime enfin.

FROSINE.

Vous aimez !

ASCAGNE.

Frosinc, doucement. N'entrez pas tout à fait dedans l'élonnement;

8.

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<3S LE DEPIT AMOUREUX.

Il n'csl pas temps encore ; cl ce cœar qui soupire

A bien, pour vous surprendre, aulre chose à vous dire.

rnosiNE. Et quoi?

ASCACNE

J'aime Yalète.

FBOSINE.

Ah! vous avez raison. L'objet de voire amour, hii, dont à la maison Votre imposture enlève un puissant hérilaf^c, Et qui, de votre sexe ayant le moindre ombrage, Verroit incontinent ce bien lui retourner 1 C'est encore un plus grand sujet de s'étonner.

ASCACNE.

J'ai de quoi toutefois surprendre plus votre ame : Je suis sa femme.

FROSINE.

dieux I sa femme!

ASCACNE.

Oui, sa femmei

FnOSINE.

Ah ! certes celui-là l'emporte, et vient à bout De toute ma raison I

ASCAGNE.

Ce n'est pas encor tout.

FROSIiNE.

Encore?

ASCACNE.

Je la suis, dis-je, sans qu'il le pense, Ki qu'il ait de mon sort la moindre connoissance.

FROSINE.

Ho! poussez; je le quitte, et ne raisonne plus, Tant mes sens coup sur coup se trouvent confoadti&r A ces énigmes-là je ne puis rien comprendre.

ASCACNE.

Je vais vous l'expliquer, si vous voulez m'entendre.

Valère, dans les fers de ma sœur arrêté,

Me sembloil un amant digne d'être écouté,

Je ne pouvois souffrir qu'on rebutât sa flamme',

' Tak. Et je ne pouvotf voir qu'on rebutât sa flamme.

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ACTE II, SCÈNE I. 439

Sans qu'un peu d'inlérêt touchât pour lui mon ame; Je voulois que Lucile aimât son entretien; Je blâmois ses rigueurs, et les blâmai si bien, l}ue moi-même j'entrai, sans pouvoir m'en défendre, Dans tous les sentiments qu'elle ne pouvoit prendre. C'étoit, en lui parlant, moi qu'il persuadoil; Je me laissois gagner aux soupirs qu'il perdoit; Et ses vœux, rejetés de l'objet qui l'enllamme, Étoient, comme vainqueurs, reçus dedans mon ame. Ainsi mon cœur, Frosine, un peu trop foible, hélasl Se rendit à des soins qu'on ne lui rendoit pas, Par un coup réfléchi reçut une blessure, Et paya pour un autre avec beaucoup d'usure. Eufin, ma chère, enfin, l'amour que j'eus pour lui Se voulut expliquer, mais sous le nom d'autrui. Dans ma bouche', une nuit, cet amant trop aimable Crut rencontrer Lucile à ses vœux favorable; Et je sus ménager si bien cet entrelien. Que du déguisement il ne reconnut rien. Sous ce voile trompeur, qui flaltoil sa pensée. Je lui dis que pour lui mon ame étoil blessée, Mais que, voyant mon père en d'autres sentiments, Je devois une feinte à ses commandements; Qu'ainsi de notre amour nous ferions un mystère Dont la nuit seulement seroit dépositaire; El qu'entre nous, de jour, de peur de rien gâter. Tout entrelien seciet se devoit éviter, Qu'il me verioil alors la même indifférence Qu'avant que nous eussions aucune intelligence; Et que de son coté, de même que du mien.

  • Dans ma bouche, dans leurs boucha, c'ett-i-dirc d'après mes parole*, i 1«

eotrodre :

Dam ma bouche, une ouit, cet amant trop aimable Crut rencontrer Lucile à ses vœus favorable.

11 n'y a pas moyen d'approuver cette façon de parler.

Ascagne veut dire qu'elle se lit passer pour Lucile, parla comme si elle eût été Lucile. Cette expressioi :tiange i-aroil tenir à l'inexpérience de Molière quand il Gt le Dépit; mais on es surpris de la retrouver, mieux construite, il est vrai, dant la préface du Tartufe. 11 s'agit des lijpocriles :

Le Tartufe, dans leur bouche, est une pièce qui ollense la piéié.

(r. GéDin]

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440 LE DEPIT AMOUREUX.

Geste, pa.ole, écrit, ne m'en dît jamais riea. Enfin, sans m'arrêtcr sur foule l'industrie Dont j'ai conduit le fil de celte Iromporie, J'ai pousse jusqu'au bout un projet si hardi, Et me suis assuré l'époux que je vous di.

FROSINE.

Peste! les grands talents que votre esprit possède! Diroit-on qu'elle y touche avec sa mine froide? Cependant vous avez été bien vite ici; Car je veux que la chose ait d'abord réussi, Ne jugez-vous pas bien, à regarder Tissue, Qu'elle ne peut longtemps éviter d'élrc sue?

ASCAGNE.

Quand l'amour est bien fort, rien ne peut l'arrêter; Ses projets scuKment vont à se contenter; Et, pourvu qu'il arrive au but qu'il se propose, Il cioil que tout le reste après est peu de chose. Mais enfin aujourd'hui je me découvre à vous, Afin que vos conseils... Mais voici cet époux.

SCÈNE II. - VALÈRE, ASCAGNE, FROSlNEc

VALÈRE.

Si vous êtes tous deux en quelque conférence Où je Aotis fasse tort de mêler ma présence, Je me retirerai.

ASCAGNE.

Non, non, vousj)ouvez bien, Puisque vous le faisiez, rompre notre entretien.

VALÈRE.

Moil

ASCAGNE.

Vous-même.

VALÈRE.

El comment ?

ASCAGNE.

Je disois que Va!ér«  Auroit, si j'étols fille, un peu trop su me plaire ;

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ACTK n, SCENE i!. 141

El que, si je faisois lous les vœux de son cœur,

Je ne lardorois guère à faire son bonheur.

VAir.RE.

Ces ptoloslations ne content pas [îrand'cliose; Alors qu'à leur effet un pareil si s'oppose; Mais vous seriez bien pris, si quoique événement Alloil mettre à l'épreuve un si doux compliment

ASCAGNE.

Point du tout, je vous dis que, régnant dans \o(re ame, Je voudrois do ban cœur couronner votre tiamme.

VALÈRE.

Et si c'éloit quelqu'une où, par votre secours, Vous pussiez être utile au bonheur de mes jours?

ASCACNE.

Je pourrois assez mal répondre à votre attente.

VALÈUE.

Celte confession n'est pas fort obligeante.

ASCACNE.

lié quoi I vous voudriez, Valcre, injuslemenl, Qu'élaut fille, cl mon cœur vous aimant lendrementj^ Je m'allasse engager avec une promesse De servir vos ardeurs pour quelque autre maîtresse î Un si pénible effort pour moi m'est interdit.

VALÈRE.

Mais cela n'étant pas?

ASCAGNE.

Ce que je vous ai dit, Je l'ai dit comme fil!e, et vous le devez prendre Tout de même.

VALÈRE.

Ainsi donc il ne faut rien prétendre, Ascagne, à des bontés que vous auriez pour nous, A moins que le ciel fasse un grand miracle en vou^ Bref, si vous n'êtes fille, adieu votre tendresse. Il ne vous reste rien qui pour nous s'intéresse.

ASCACNE.

Tai l'esprit délicat plus qu'on ne peut penser, Et le moindre scruji'iln a de quoi m'offenser Quand il s'agit d'aimer. Enfin je suis sincère; Je ne m'engage point à vous servir, Valère, Si vous ne m'assurez, au moins absolument,

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ii2 L£ DÉPIT AMOUREUX.

Que vous avez» pour moi le même sentiment; Que pareille chaleur d'amitié vous transporte, Et que, si j'étois fille, une flamme plus forte N'outrageroit point celle oîi je vivois pour vous.

VALÈRE.

Je n'avois jamais vu ce scrupule jaloux!

Mais, tout nouveau qu'il est, ce mouvement m'obligei

Et je vous fais ici tout l'aveu qu'il exige.

ASCACNE,

Mais sans fard?

VALÈRE.

Oui, sans fard.

ASCACNE

S'il est vrai, désormais Vos intérêts seront les miens, je vous promets.

VALÈRE.

J'ai bientôt à vous dire un important mystère Où l'effet de ces mots me sera nécessaire.

ASCAGNE.

Et j'ai quelque secret de même à vous ouvrir, Où votre cœur pour moi se pourra découvrir.

VALÈRE.

Hél de quelle façon cela pourroit-il être?

ASCAGNE.

C'est que j'ai de l'amour qui n'oseroit paroîlre; Et vous pourriez avoir sur l'objet de mes vœux Un empire à pouvoir rendre mon sort heureux.

VALÈRE.

Expliquez-vous, Ascagne; et croyez, par avance, Que votre heur est certain, s'il est en ma puissancd,

ASCAGNE.

Vous promettez ici plus que vous ne croyez.

VALÈRE.

Non, non ; dites l'objet pour qui vous m'employei.

ASCAGNE.

Il n'est pas cncor temps; mais c'est une personne Qui vous touohe de près.

  • Tau. Que vous gardex ponr moi le m^me aentimenk

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4CTE II, SCENE 111.

VALtRE.

Voire discours m'étonne, Plût à Dieu que ma sœur...I

ASCAGNE.

Ce n'est pas la saison De m'espliquer, vous dis-je.

valère. Et pourquoi?

ASCAGNE.

Pour ralsoo. Vous saurez mon secret quand je saurai le vôtre.

VALÈRE.

J'ai besoin pour cela de l'aveu de quelque autre.

ASCAGNE.

Ayez-le donc; et lors, nous expliquant nos vœux, Nous verrons qui tiendra mieux parole des deux.

VALÈRE.

Adieu, j'en suis content.

ASCAGNE.

Et moi content, Valère,

(Talére tort.) FROSINE.

11 croit trouver en vous l'assistance d'un frère.

SCÈNE III. — LUCILE, ASCAGNE, FROSINE, MARINETTE.

LCCILE, i Mannette, lei trois premiers vers.

C'en est fait; c'est ainsi que je me puis venger;

Et si celle action a de quoi l'afiliger,

C'est toute la douceur que mon cœur s'y propose.

Mon frère, vous voyez une métamorphose.

Je veux chérir Valère après tant de fierté.

Et mes vœux maintenant tournent de son côté.

ASCAGNE.

Que dites-vous, ma sœur? Comment! courir au cbanfel Cette inégalité me semble Irop étrange.

Ll'CILE.

La vôtre me surprend avec plus de sujet. De vos soins autrefois Valère étoit l'objet; Je vous ai vu pour lui m'accuser de capricej D'aveugle cruauM, d'orgueil et d'injustice;

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\U LE DEPIT AMOUKEIX.

£it, quand je veux l'aimer, mon dessein vous déplaît Et je vous vois parler contre son inlcrèll

ASCAG.NE.

Je le quille, ma sœur, pour embrasser le vôtre. Je sais qu'il est rangé dessous le"§ lois d'une autre; Et ce seroit un trait houleux à vos appas, Si vous le rappeliez et qu il ne revînt pas.

lucile; Si ce n'est que cela, j'aurai soin de ma gloire. Et je sais, pour son cœur, tout ce que jeu dois croirej 11 s'explique à mes yeux inlelligiblcmrnl; Ainsi découvrez-lui sans peur mofi senlinienl; Ou, si vous refusez de le faire, ma bouche Lui va faire savoir que son ardeur me louche. Quoi! mon frère, à ces mots vous restez interdit?

ASCAGNE.

Ah! ma sœurl si sur vous je puis avoir crédit, Si vous êtes sensible aux prières dun frère, Quittez un tel dessein, et n'ôlez point Valère Aux vœux d'un jeune objel dont l'inlérèt m'est ch^|^ Et qui, sur ma parole, a dioit de vous loucher. La pauvre infortunée aime avec violence; A moi seul de ses feux elle fait confidence. Et je vois dans son cœur de tendres mouvements A dompter la fierté des plus durs senlimenls. Oui, vous auriez pilié de l'état de son ame, Connoissanl de quel coup vous menacez sa fijinimO; Et je ressens si bien la douleur qu'elle aura. Que je suis assuré, ma sœur, quelle en mourra^ Si vous lui dérobez l'amant qui peut lui plaire. Érasle est un parli qui doit vous satisfaire; Et des feux mutuels...

LUCItE-

Mon frère, c'esl assex Je ne sais point pour qui vous vous intéressez; Mais, de grâce, cessons ce discours, je vous pris, Et me laissez un peu dans quelque rè\erie.

ASCAGNE.

Allez, cruelle sœur, vous me désespérez, Si vous effectuez vos desseins déclarés.

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ACTE II, SCÈNE IV. 445

SCÈNE IV. — LUCILE, M4RINETTE.

MAUINETTE.

La résolution, madame, est assez prompte.

LUriLE. Un cœur ne peso rien alors que l'on l'affronte; Il court à sa vengeance, et saisit promplement Tout ce qu'il croit servir à son ressentiment. Le traître! faire voir cette insolence extrême!

MARINETTE.

Vous m'en voyez encor toute hors de moi-même; Et quoique là-dessus je rumine sans fin, L'aventure me passe, et j'y perds mon latin. Car enfin, aux transports d'une bonne nouvelle Jamais cœur ne s'ouvrit d'une façon plus belle; De l'écrit obligeant le sien tout transporté Ne me donnoit pas moins que de la déité; Et cependant jamais, à cet autre message. Fille ne fut traitée avecque tant d'outrage. Je ne sais, pour causer de si grands changements, Ce qui s'est ^u passer entre ces courts moments.

IL'CILE.

Rien ne s'est pu passer dont il faille être en peine, Puisque rien ne le doit défendre de ma haine. Quoi I tu voudrois chercher hors de sa lâcheté La secrète raison de cette indignité? Cet écrit malheureux, dont mon ame s'accuse. Peut-il à son transport souffrir la moindre excuse?

MARINETTE.

En effet, je comprends que vous avez raison.

Et que cette querelle est pure trahison.

Nous en tenons, madame : et puis, prêtons l'oreille

Aux bons chiens de pendards qui nous chantent merveille.

Qui, pour nous accrocher, feignent tant de langueur;

Laissons à leurs beaux mots fondre notre rigueur';

Rendons-nous à leurs vœux, trop foibles que nous son mies I

Foin de notre sottise, et peste soit des hommes'

LUCILE.

lié bien ! bien ! qu'il s'en vante et rie à nos dépens, I! n'aura pas sujet d'en triompher longtemps; Et je lui ferai voir qu'en une ame bien faite

I. 9

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  • I6 LE DËPIT AMOUREUX.

Le mopris suit de près la faveur qu'oQ rejette.

MARI>ETTE.

Au moins, en pareil cas, est-ce un bonheur bien doux, Quand on sait qu'on n'a point d'avantage sur vous. Marinette eut bon nez, quoi qu'on en puisse dire, De ne permettre rien un soir qu'on vouloit rire. Quelque autre, sous l'espoir de malrimonion^, Auroit ouvert l'oreille à la tentatioDj Mais moi, nescio vos.

LUCILE.

Que tu dis de folies, Et choisis mal ton temps pour dételles saillies! Enfin je suis touchée au cœur sensiblement; Et si jamais celui de ce perfide amant, Par un coup de bonheur, dont j'aurois tort, je pense, De vouloir à présent concevoir l'espérance (Car le ciel a trop pris plaisir à m'afîlij^er, Pour me donner celui de me pouvoir venger); Quand, dis-je, par un sort à mes désirs propice, 11 re\iendroit m'offrir sa vie en sacrifice, Détester à mes pieds l'action d'aujourd'hui. Je le défends, surtout, de me parler pour lui. Au contraire, je veux que ton zèle s'exprime A me bien mettre aux j'eux la grandeur de son crime; Et même si mon cœur étoit pour lui tenté De descendre jamais à quelque l;ich*>ié. Que ton affection me soif alors sévère. Et tienne comme il faut la main à ma colère.

MARINETTE.

Vraiment n'ayez point peur, et laissez faire à nous; J'ai pour le moins autant de colère que vous; Et je serois pkitôt fille toute ma vie. Que mon gros failre aussi me redonnât envie. S'il vient...

SCÈNE V. — ALBERT, LUCILE, iMARINETTB.

ALBERT.

Rentrez, Lucile, et m^ faites venir Le précepteur; je veux un peu l'entretenir,

  • Tai. Quelque antre, fOU* e$poir du m^trimoDion.

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ACTE II, SCÈNE VII. 147

Et m'informcr de lui, qui nie gouverue Ascagne, S'il sait point quel ennui depuis peu l'accompagne.

SCÈ.NE VI. — ALBERT, seul.

En quel gouffre de soins et de perplexité Nous jette une action faite sans équité I D'un enfant supposé par mon trop d'avarice Mon cœur depuis longtemps souffie bien le supplice; Et quand je vois les maux où je me suis plongé. Je voudrois a ce bien n'avoir jamais songé. Tantôt je crains de voir, par la fourbe éventée, Ma famille en opprobre et misère jetée ; Tantôt pour ce fils-là, qu'il me faut conserver, Je crains cent accidents qui peuvent arriver. S'il advient que dehors quelque affaire m'appelle, J'appréhende au retour cette triste nouvelle : Las! vous ne savez pas? Vous l'a-t-on annoncé? Votre fils a la fièvre, ou jambe, ou bras cassé'; Enfin, à tous moments, sur quoi que je m'arrête, Cent sortes de chaaiins me roulent par la tête. Ah!...

SCÈNE VII. - ALBERT, MÉTAPHRASTE».

MÉTAPHRASTE.

Mandalum luum euro diligenler.

ALBERT.

Maître, j'ai voulu...

MÉTArnRASTE.

Maître est dit a magis ter : C'est comme qui diroit trois fois plus grand 9.

ALBERT.

Je meure,

Si je savois cela. Mais, soit, à la bonne heure. Maître, donc...

MÉTAPHHASTE.

Poursuivez.

■' Ce passage est imité de la première scène des Adelphes, de Térence. • Celle scène est imitée du Déniaisé \\e La Tessonnière. ' Celle élymologic esl emprjnlée à uue o:médie italienne de Bruno Noiano, la. illulée : /e PtJant.

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148 LE DÉPIT AMOUREUX.

ALBERT.

Je peux pouisiiivic aussi : Mais ne poursuive* ^int, vous, d'iulcnri.ipre ainsi. Donc, encore une fois, maîlre, c'est la (loisièino, Mon iils me rend chagrin : vous savesr ipic je l'aiiae^ f:.t que soigneusement je l'ai toujours nourri.

MÉTAPHRASTE.

Il est vrai : Filio non iiolcsl prœfcrri Ni si ftlius*.

Maître, en discourant ensemble, Ce jargon n'est pas fort nécessaire, fiie semble; Je vous crois grand latin, et grand docteur juré, Je m'en rapporte à ceux qui m'en ont assuré : Mais, dans un entrelien qu'avec vous je destine. N'allez point déplojer toule votre doctrine, Faire le pédagogue, et cent mots me cracher, Comme si vous étiez en chaire pour prêcher. Mon père, quoiqu'il eût la léle des meilleures. Ne m'a jamais rien fait apprendre que mes Heure», Qui, depuis cinquante ans, dites journellement, Ne sont encor pour moi que du haut allemand. Laissez donc en repos votre science auguste, Et que votre langage à mon foible s'ajuste.

MÉTAPHRASTE.

Soit.

ALBERT.

A mon fils, l'hymen semble lui faire, peur, Et sur quelque parti que je sonde son cœur, Pour un pareil lien il est froid, et recule.

MÉTAPnRASTE.

Peut-être a-t-il l'humeur ('«i frère de Marc-Tulle,

Dont avec Atticus le même fait sermon;

Et comme aussi les Grecs disent, Alanalon^,..

ALBERT.

Mon Dieu ! maîlre éternel, laissez là, je vous prie, Les Grecs, les Albanois, avec l'Esclavonie, Et tous ces autres gens dont vous voulez parler; Eux et mon fils n'ont rien ensemble à démêler.

' A un fils OD De sauroit préférer qu'un fils, • Sans doule pour or/iana/cn, immortel.

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ACTE II, SCÈNE VII 149

MÉTAPHRASTE.

Hé bieu donc, votre Gis...?

ALBERT.

Je ne sais si dans l'ame Il ne sentiroit point une secrète flamtne : Quelque chose le trouble, ou je suis fort déçu; Et je l'aperçus hier, sans en être aperçu, Dans un recoin du bois où nul ne se retire.

MÉTAPHRASTE.

Dans un lieu reculé du bois, voulez-vous dire, Un endroit écarté, lalinè, secessus ; Virgile l'a dit : Est in secessu... locus...

ALBERT.

Comment auroit-il pu l'avoir dit, ce Virgile, Puisque je suis certain que, dans ce lieu tianquilie, Ame du monde enfin n'étoit lors que nous deux?

MÉTAPHRASTE.

Virgile est nommé là comme un auteur fameux D'un terme plus choisi que le mot que vous dites. Et non comme témoin de ce qu'hier vous vîtes

ALBERT.

Et moi, je vous dis, moi, que je n'ai pas besoia De terme plus choisi, d'auteur ni de témoin, Et qu'il suffit ici de mon seul témoignage.

MÉTAPHRASTE.

Il faut choisir pourtant les mots mis en usage Par les meilleurs auteurs. Tu vivendo bonos, Comme on dit, scribendo sequare perilos*.

ALBERT.

Homme ou démon, veux-tu m'en tendre sans conteste?

MÉTAPHRASTE.

Quintilien en fait le précepte.

ALBERT.

La peste Soit du causeur !

MÉTAPHRASTE.

Et dit là-dessus doctement

' Cest un vêts de Despautère : € Dans ta manière de vivre, imite le > bien ; dans tes acrits, let gens de goût. >

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(30 LE DÉPIT AMOUREUX.

Un mol que vous serez bien aise assurément D'entendre.

AlBEBT.

Je serai le diable qui t'emporte, Chien d'homme! Ohl que je suis tenté d'étrange sorte De faire sur ce mufl* une application !

- MÉTAPIIRASTE.

Mais qui cause, seigneur, votre inflammation? Que voulez-vous de moi?

ALBERT.

Je veux que l'on m'écoute, Vdus ai-je dit vingt fois, quand je parle.

MÉTAPHBASTE.

Ah! sans doute; Vous serez satisfait s'il ne tient qu'à cela; Je me tais.

ALBERT.

Vous ferez sagement.

MÉTAPIIRASTE.

Me voilà Tout prêt de vous ouïr.

ALBERT.

Tant mieux.

MÉTAPIIRASTE.

Que je trépasse. Si je dis plus mol.

ALBERT.

■'*^ VOUS en fasse la grâce I

MÉTAPIIRASTE.

Vous n'accuserez point mon caquet désormais.

ALBERT. ♦

Ainsi soit-il I

MÉTAPIIRASTE.

Parlez quand vous voudrea.

ALBERT.

J'y vais.

MÉTArUBASTB.

£t n'appréhendez plus rintci ruptiou nôtre.

ALBERT*

C'est assez dit.

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ACTE II, SCENE VII 451

MÉTAPHRASTE.

Je suis muet plus qu'aucun autre. alb;rt. Je le crois

MÛTAPHRASTE.

J'ai pn mis que je ne dirai rien.

ALBERT.

Suffit.

MÉTAPHRASTE.

Dès à présent je suis muet.

ALBERT.

Fort bien.

MÛTAPHRASTE.

Parlez; courage; au moins je vous donne audience. Vous ne vous plaindrez pas de mon peu de silence : Je ne desserre pas la bouche seulement.

ALBERT, à part.

Le traître!

MÉTAPHRASTE.

Mais, de grâce, achevez vilement : Depuis longtemps j'écoute; il est bien raisonnable Que je parle à mon tour.

ALBERT.

Donc, bourreau détestable...

MÉTAPHRASTE.

Hé! bon Dieu! voulez-vous que j'écoute à jamais? Partageons le parler au moins, ou je m'en vais.

ALBERT.

Ma patience est bien...

MÉTAPHRASTE.

Quoi! voulez-vous poursuivre? Ce n'est pas encor fait? Per Jovem! je suis ivrel

ALB1£RT.

Je n'ai pas dit...

MÉTAPHRASTE.

Encor? Bon Dieu! que de discourt] Rien n'est-il suffisant d'en arrêter le cours?

ALBERT.

J'enrage.

MÉTAPHRASTE.

Dereîhef! l'étrange torture 1

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452 LE DÉPIT AMOUREUX.

Hé I laissez-moi parler un peu, je vous conjura. Un sot qui ne dit mot ne se distingue pas D'un savant qui se lait.

ALBERT.

Parbleu! tu te tairas.

SCENE VIII. — MÉTAPHRASTE, seul.

D'où vient fort à propos cette sentence expresse D'un philosophe : Parle, atîn qu'on te connoisse? Doncques, si de parler le pouvoir m'est ôté, Pour moi, j'aime autant perdre aussi l'humanité, Et changer mon essence en celle d'une béte. Me voilà pour huit jours avec un mal de tète. Oh! que les grands parleurs sont par moi détestés! Mais quûi ! si les savants ne sont point écoutés, Si l'on veut que toujours ils aient la bouche close, Il faut donc renverser l'ordre de chaque chose, Que les poules dans peu dévorent les renards; Que les jeunes enfants remontrent aux vieillaiJs; Qu'à poursuivre les loups les agnelets s'obalfenl; Qu'un fou fasse les lois ; que les femmes combattent; Que par les criminels les juges soient jugés. Et par les écoliers les maîtres fustigés; Que le malade au sain présente le remède; Que le lièvre craintif...

SCÈNE IX. — ALBERT, MÉTAPHRASTE.

(Albert ainne aux oreillee de Vëtaphraste une cloche de mulet ' qui le fait (uir.|

MÉTAPHRASTE, fuyant.

Miséricorde! à l'aide!

' < Oq ne souffriroit pas aujourd'hui, dit quelque pail Diderot, qu'un p«re rint, » avec uue cloche de mulet, mettre en fuite un pédjni. > Diderot a raison ; (D'ail il ne devoil pas ajouter : « Ni qu'un mari se cacliftl sous une lalile pour s'as^uraf > des discours qu'on lient à sa femme. » (Brel.)

riN no SECOND acte»

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ACTE III, SCÈNE II. «53

ACTE TROISIEME.

SCÈNE 1. — MASCARILLE, •«•».

Le ciel parfois seconde un dessein téméraire,

Et l'on sort comme on peut d'une méehante affaire.

Pour moi, qu'une imprudence a trop fait discourir,

Le remède plus prompt où j'ai su recourir.

C'est de pousser ma pointe, et dire en diligence

A notre vieux pation toute la manigance.

Son fils, qui m'embarrasse, est un évaporé :

i/autrc, diable! disant ce que j'ai déclaré,

Caie une irruption sur notre friperie!

Au moins, a\ant qu'on puisse échauffer sa furie,

Quelque chose de bon nous pouira succéder,

ni les vieillards entre eux se pourront accorder.

C'est ce qu'on va tenter; el, de la part du nôtre,

Sans perdre un seul moment, je m'en vais trouver Tautrt.

(Il frappe à la porte d'Albert.)

SCÈNE II. — ALBERT, MASCARILLE.

ALBERT. MASCARILLE.

Qui frappe?

Amis.

ALBERT.

Oh! oh I qui te peut amener, Mascarille ?

MASCARILLE.

Je viens, monsieur, pour vous donner Le bonjour.

ALBERT.

Ah! vraiment, tu prends beaucoup de peine i De tout mon cœur, bonjour.

(Il s'en va.) MASCARILLE.

La réplique est soudaine. Quel homme brusque I

(Il heurte.) 9.

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«54 LE DÉPIT AMOUREUX.

ALBERT.

Encor ?

MASCARILLE.

Vous n'avez pas oui, Monsieur. ,

ALBERT.

Ne m'as-tu pas donné le bonjour?

MASCARILLE.

Oui.

ALBERT.

Hé bien I bonjour, le dis-je.

(Il s'en va, Hascarille l'airête.) MASCARILLE.

Oui ; mais je viens encor® Vous saluer au nom du seigneur l^olidore.

ALirCUT.

Ah I c'est un autre fait. Ton maître l'a cliargé De me saluer?

MASCARILLE.

Oui.

ALBERT.

Je lui suis obligé. Va*, que je lui souliaitc une joie infinie.

(Il s'en it.) MASCARILLE.

Cet homme est ennemi de la cérémonie,

(Il heurte )

Je n'ai pas achevé, monsieur, son compliment: Il voudroit vous prier d'une chose instamment.

ALBERT.

Hé bien! quand il voudra, je suis à son service.

MASCARILLE, rariêUul.

Attendez, el souffrez qu'en deux mots je fluiss-a» Il souhaite un moment pour vous entretenir D'une affaire hnporlanle, et doil ici venir,

ALBERT.

Eh! quelle est-elle encor l'affaire qui l'oblige A me vouloir parler?

'Sojs-entciidii, dis-lui que, etc.

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ACTE III, SCÈNE IV. 155

MASCARILLE.

Un grand secret, vous dis-je, Qu'il vient do découvrir en ce même moment. Et qui, sans doute, importe à tous deux grandement. Voilà mon ambassade.

SCÈNE III. — ALBERT, seul.

juste ciel ! je tremble : Car enfin nous avons peu de commerce ensemble. Quelque tempête va renverser mes desseins, Et ce secret, sans doute, est celui que je crains. L'espoir de rinlcrèt m'a fait quelque infidèle, Et voilà sur ma vie une tache éternelle. Ma fourbe est découverte. Oh ! que la vérité Se peut cacher longtemps avec difficulté ! Et qu'il eût mieux valu pour moi, pour mon estime*, Suivre les mouvements d'une peur légitime, Par qui je me suis vu tenté plus de vingt fois De rendre à Polidore un bien que je lui dois, De prévenir l'éclat où ce coup-ci m'expose. Et faire qu'en douceur passât toute la chose! Mais, hélas! c'en est fait, il n'est plus de saison; Et ce bien, par la fraude entré dans ma maison, N'en sera point tiré, que dans celle sortie II n'entraîne du mien La meilleure partie,

SCÈNE IV. — ALBERT, POLIDORE.

POLIDORE, les qaatre premiers vers sans voir Albert.

S'être ainsi marié sans qu'on en ait su rien!

Puisse celte action se Icrjniner à bien!

Je ne sais qu'en attendre; et je crains fort du père

Et la grande richesse, et la juste colère.

Mais je l'aperçois seul.

ALBERT.

Ciel ! Polidore vient I

POLIDORE.

Je tremble à l'aborder.*

ALBERT.

La crainte me retient.

' Bttime, dans le seni de réputation.

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456 LE DÉPIT AMOUREUX.

POLIDORE.

Par où lui débuter?

ALBERT.

Quel sera mon langage?

POLIDORE

Son ame est tout émue.

ALBERT.

Il change de visage.

POLIDORE.

Je vois, seigneur Albert, au trouble de vos yeux, Que VOUS savez déjà qui m'amène en ces lieux.

AIJICUT.

Hélas! oui.

POLIDORE.

La nouvelle a droit de vous surprendra, Et je n'eusse pas cru ce que je viens d'apprendre.

ALBERT.

J'en dois rougir de honte et de confusion.

POLIDORE.

Je trouve condamnable une telle action, Et je ne prétends point excuser le coupable.

ALBERT.

Dieu fait miséricorde au pécheur misérable.

POLIDORE.

C'est ce qui doit par vous être considéré.

ALBERT.

U faut être chrétiei»

POLIDORE.

Il est très assuré.

ALBERT.

Grâce, au nom de Dieul grâce, ô seigneur PoIidore{

POLIDORE.

Hé! c'est moi qui de vous présentement Timplore.

ALBERT.

ÂGn de l'obtenir je me jette à genoux.

POLIDORE.

Je dois en cet état être plutôt que vous.

ALBERT. '

Prenez quelque pitié de ma triste aventure.

POLIDORE.

Je suis le suppliant dans une telle iniure.

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ACTE III, SCLNE IV. «57

ALBERT.

Vous me fendez le cœur avec celle bon lé.

rOUDORE.

Vous me rendez confus de tant d'humilité.

ALBERT.

Pardon, encore un coup 1

POLIDORE.

Hélas! pardon vous-même 1

ALBERT.

J'ai de celte action une douleur extrême.

POLIDORE.

Et moi, j'en suis louché de même au dernier point.

ALBERT.

J'ose vous conjurer qu'elle n'éclate point*.

POLIDORE.

Hélas I seigneur Albert, je ne veux autre chose

ALBEUX.

Conservons mon honneur.

ronnoRE. lié! oui, je m'y dispose.

ALBERT.

Quant au bien qu'il faudra, vous-même en résoudrai.

POLIDORE.

Je ne veux de vos biens que ce que vous voudrez; De tous ces intérêts je vous ferai le mailre; Et je suis trop content si vous le pouvez être.

ALBERT.

Ah! quel homme de Dieu! Quel excès de douceuri

POLIDORE.

Quelle douceur, vous-même, après un tel malheur!

ALBERT.

Que puissiez-vous avoir tcules choses prospères!

POLIDORE.

Le bon Dieu vous maintienne!

ALBERT.

Embrassons-nous en frère».

POLIDORE.

J'y consens de grand cœur, et me réjouis fort Que tout soit terminé par un heureux accord.

' Ta». J'ose vous convitr qu'elle n'eclale point.

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IS8 LE DÉPIT AMOUREUX.

ALBERT.

J'en rends gi aces au ciel.

POLIDORE.

Il ne vous faut rien feindre, Votre ressentiment me donnoit lieQ de craindre ; Et Lucile tombée en faute avec mon fils, Comme on vous voit puissant et de biens et d'amis...

ALBERT.

Hé! que parlez-vous là de faute et de Lucile I

POLIDOUE.

Soit, ne commençons point uu discours inutile. Je veux bien que mon fils y trempe grandement : Même, si cela fait à votre allégement, J'avouerai qu'à lui seul en est toute la faute; Que votre fille avoit une vertu tiop haute Pour avoir jamais fait ce pas conlie l'honneur, Sans l'incitation d'un méchant suborneur; Que le traître a séduit sa pudeur innocente, Et de votre conduite ainsi détruit l'atlcnte. Puisque la chose est faite, et que, selon mes vœux, Un esprit de douceur nous met d'accord tous deux, Ne ramentevons rien, et réparons l'offense Par la solennité d'une heureuse alliance.

ALBERT, à part.

Dieu! quelle méprise! et qu'est-ce qu'il m'apprend? Je rentre ici d'un trouble en un autre aussi grand. Dans ces divers transports je ne sais que répondre , Et, si je dis un mot, j'ai peur de me confondre.

POLIDORE.

A quoi pensez-vous là, seigneur Albert?

ALBERT.

A rien. Remettons, je vous prie, à tantôt l'entretien. Un mal subit me prend, qui veut que je vous laisse^.

SCÈNE V. — POLIDORE, loul.

Je lis dedans son ame, et vois ce qui le presse. A quoi que sa raison l'eût déjà disposé,

' Le fond de ceUe scène appart)»!^! à t Interesse; mais l'idée de faire Taire dei < excuses aux deux vieillards, et de les mettre aux Keuoux l'im de l'autre, est lU l'iOTeotioD de Uolière. (Aimé Hartin«)

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ACTE III, SCÈNE VI. lof)

Son déplaisir n'est pas encor tout apaisé.

L'image de l'affionl lui revient, et sa fuite

Tâche à me déguiser le trouble qui l'agile.

Je prends part à sa honte, et son deuil m'attendrit.

Il faut qu'un peu de temps remette son esprit :

La douleur trop contrainte aisément se redouble.

Voici mon jeune fou d'où nous vient tout ce trouble.

SCÈNE VI. — POLIDORE, VALÈRE

POLIDORE.

Enfin, le beau mignon, vos beaux déportcmonts' Troubleront les vieux jours d'un pore à tous moments; Tous les jours vous ferez de nouvelles merveilles, Et nous n'aurons jamais autre chose aux oreilles.

VALÈRE.

Que fais-je tous les jours qui soit si criminel? En quoi mériter lan[ le courroux paternel?

POLIDORE.

Je suis un étrange homme, et d'une humeur terrible,

D'accuser un enfant si sage et si paisible!

Las! il vit comme un saint; et dedans la maison

Du malin jusqu'au soir il est en oiaisoni

Dire qu'il pervertit l'ordre de la nature,

Et fait du jour la nuit : ô la grande imposture!

Qu'il n'a considéré père, ni parenté.

En vingt occasions : horrible fausseté!

Que de fraîche mémoire un furtif hyménée

A la fille d'Albert a joint sa destinée.

Sans craindre de la suite un désordre puissant :

On le prend pour un autre; et le pauvre innocent

Ne sait pas seulement ce que je veux lui dire.

Ah! chien, que j'ai reçu du ciel pour mon martyre J

Te croiras-tu toujours? et ne pourrai-je pas

Te voir être une fois sage avant mon trépas?

VALÈRE, seul, et rêvant. ^

D'où peut venir ce coup? mon ame embarrassée Ne voit que Mascarille où jeter sa pensée.

Tab. EdGo, le beau mignuo, vos bon» déporteœentt.

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160 LE DÉPIT AMOUREUX.

H ne sera pas homme à m'en faire un aveu. Il faut user d'adresse et me contraindre un peu Dans ce juste courroux.

SCÈNE VII. — VALÈRE, MASCARILLE.

VALÈRE.

Mascarille, mon père, Que je viens de trouver, sait toute notre affaire

MASCARILLE.

Il la sait?

VALERE. -

Oui.

nASCAAILLE.

D'où diantre a-l-il pu la savoir?

VALÈRE.

Je ne sais point sur qui ma conjecture asseoir; Mais enfin d'un succès cette affaire est suivie, Dont j'ai tous les sujets d'avoir l'amc ravie. Il ne m'en a pas dit un mot qui fût fâcheux; Il excuse ma îaute, il approuve mes feux : Et je voudrois savoir qui peut être capable D'avoir pu rendre ainsi son esprit si trailablfi. Je ne puis l'exprimer l'aise que j'en reçoi.

MASCARILLE.

El que me diriez-vous, monsieur, si c'éloit moi Qui vous eût procuré cette heureuse fortune?

VALÈRE.

Bon I bon I tu voudrois bien ici m'en donner d'une.

MASCARILLE.

C'est moi, vous dis-je, moi, dont le patron le sait, Et qui vous ai produit ce favorable effet.

VALÈRE.

Mais, là, sans te railler?

MASCARILLE.

Que le diable m'emporte Si je fais raillerie, et s'il n'est de la sorte !

VALKRE, metlant l'épée à la main.

Et qu'il m'entraîne, moi, si tout présentement Tu n'en vas recevoir le juste payement!

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ACTE III, SCENE VIII.

MASCARILLE.

Ail I monsieur, qu'est-ce ci ? Je défends la surprise

VALtRE.

C'est la fidélité que tu m'avois promise? Sans ma feinte, jamais tu n'eusses avoué Le trait que j'ai bien cru que tu m'avois joué. Traître, de qui la langue à causer trop habile D'un père sontre moi vient d'échauffer la bile, Qui me perds tout à fait, il faut, sans discourir, Que tu meures.

MASCARILLE.

Tout beau. Mon ame, pour mourir. N'est pas en bon état. Daignez, je vous conjure, Attendre le succès qu'aura cette aventure. J'ai de fortes raisons qui m'ont fait révéler Un hymen que vous-même aviez peine à celer : C'étoit un coup d'État, et vous verrez l'issue Condamner la fureur que vous avez conçue. De quoi vous fâchez-vous, pourvu que vos souhaitf Se trouvent par mes soins pleinement satisfaits. Et voyent mettre à fin la contrainte où vous êtes?

VALÈRE.

Et si tous ces discours ne sont que des sornettes?

MASCARILLE.

Toujours serez-vous lors à temps pour me tuer. Mais enfin mes projets pourront s'effectuer. Dieu fera pour les siens, et, content dans la suite, Vous me remercierez de ma rare conduite.

VALÈRE.

Nous verrons. Mais Lucile...

H.4SCARILLE.

Al te ; son père sort. SCÈNE VIII. — ALBERT, VALÈRE, MASCARlLLh,

ALBERT, les cinq premiers vers sans voir Valère.

Plus je reviens du trouble où j'ai donné d'abord, Plus je me sens piqué de ce discours étrange, Sur qui ma peur prenoit un si dangereux change : Car Lucile soutient que c'est une chanson, Et m'a parié d'un air à m'ôler tout soupçon. Ahl monsieur, est-ce vous de qui l'audace insigne

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162 LE DEPIT AMOUREUX.

Met en jeu mon honneur, el fait ce conte indigne?

MASCARILLE.

Seigneur Albert, prenez un ton un peu pks doux, El contre votre gendre ayez moins de courroux.

ALBERT.

Comment, gendre? coquin I tu portes bien la min«  De pousser les ressorts d'une telle machine, Et d'en avoir été le premier inventeur.

MASCARILLE.

Je ne vols ici rien à vous mettre en fureur.

ALRERT.

Trouves-tu beau, dis-moi, de diffamer ma fille, Et faire un tel scandale à toute une famille?

MASCARILLE.

Le voilà prêt de faire en tout vos volontés.

ALBERT.

Que voudrois-je, sinon qu'il dît des vérités? Si quelque inlention le pressoit pour Lucile, La recherche en pouvoit être honnête et civile^ Il falloil l'attaquer du côté du devoir. Il falloit de son père implorer le pomoir, Et non pas recourir à cette lâche feinte. Qui porte à la pudeur une sensible a (teinte.

MASCARILLE.

Quoil Lucile n'est pas, sous des liens secrets, A mou maître?

ALBERT.

Non, traître, et n'y sera jamais.

MASCARILLE.

Tout doux : et s'il est vrai que ce soit chose fait©, Voulez-vous l'approuver cette chaîne secrète ?

ALBERT.

Et s'il est constant, toi, que cela ne soit pas, Veux-tu le voir casser les jambes el les bras?

VAI.ÈRE,

Monsieur, il est aisé de vous faire paroîtr© Qu'il dit vrai.

ALBERT.

Bon ! voilà l'autre encor, digne maître D'un semblable valet! les menteurs hardis 1

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ACTE III, SCENE IX. <65

MASCARILLE.

D'homme d'honneur, i! est ainsi que je le dis.

VALÉHE.

Quel seroit noire bul de vous en faire accroire?

ALBERT, à part.

Ils s'entendent tous deux comme larrons en foire.

MASCARILLE.

Mais venons à la preuve; et, sans nous quereller, Faites sortir Lucile, et la laissez parler.

ALBERT.

Et si le démenti par elle vous en reste?

MASCARILLE.

Elle n'en fera rien, monsieur, je vous proteste. Promettez à l.'urs vœux votre consentement. Et je veux m'exposer au plus dur châtiment, Si de sa propre bouche elle ne vous confesse Et la foi qui l'engage, et l'ardeur qui la presse.

ALBERT.

n faut voir celle affaire.

(Il va frapper à sa porte.) MASCARILLE, à Valère.

Allez, tout ira bien.

ALBERT.

Holà! Lucile, un mot.

VALÈRE, à KsKarMIe. Je crains...

MASCARILLE.

Ne craignez rien. SCÈNE IX. — LUCILE, ALBERT, VALÈRE, MASCARILLB

MASCARILLE.

Seigneur Albert, silence au inoins. Enfin, madame, Toute chose conspire au bonheur de voire ame; El monsieur votre père, averti de vos feux, Vous laisse votre époux, et confirme vos vœux, Pourvu que, banni-^sant toutes craintes frivoles. Deux mots de votre aveu confirment nos paroles.

LUCILE.

Que me vient donc conter ce coquin assuré?

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464 LE DÉPIT AMOUREUX.

MASCARTLLE.

Boni me voiHa déjà d'un beau lilre honoré.

LCCILE.

Sachons un peu, monsieur, quelle belle saillie Fait ce conte galant qu'aujourd'hui Ton publie.

VALÈRE.

Pardon, charmant objet : un valet a parlé, Et j'ai vu, malgré moi, notre hymen révélé

LUr.ILE.

Notre hymen ?

VALERE.

On sait tout, adorable Lucile; Et vouloir déguiser est un soin inutile.

LUCILE.

Quoi! l'ardeur de mes feux vous a fait mon époux?

VALÈRE,

C'est un bien qui me doit faire mille jaloux :

Mais j'impute bien moins ce bonheur de ma flamme

A l'ardeur de vos feux qu'aux bontés de voire ame.

Je sais que vous avez sujet de vous fâcher,

Que c'étoit un secret que vous vouliez cacher j

Et j'ai de mes transports forcé la violence

A ne point violer votre expresse défense :

Uais...

MASCARILLE.

Hé Wenî ont, e^st moi; le grand mal que voilil

LDCILE.

Est-il une imposture égale à celle-là?

Vous l'osez soutenir en ma présence même,

Et pensez m'obtenir par ce beau stratagème?

G le plaisant amant, dont la galante ardeur

Veut blesser mon honneur au défaut de mon cœuTi

Et que mon père, ému de l'éclat d'un sot conlo,

Paye avec mon hymen qui me couvre de honte!

Quand tout conlribueroit à votre passion,

Mon père, les destins, mon inclination,

On me verroit combattre, en ma juste colèrej,

Mon inclination, les deslins, et mon père.

Perdre même le jour, avant que de m'unir

A qui par ce moyen auroit cru m'obtonir.

Allez; et si mon sese, avecque bieuséauce,

I

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ACTE III, SCÈNE IX. 463

Se pouvoit emporter à quelque violence,

Je vous apprendrois bien à nie traiter ainsi.

VAI.ÈRE, à Mascarille.

C'en est fait, son courroux ne peut être adouci

MASCARILLE.

Laissez-moi lui parler. Eh ! madame, de grâce,

A quoi bon maintenant toute cette grimace?

Quelle est votre pensée , et quel bourru transport

Contre vos propres vœux vous fait roidir si fort?

Si monsieur votre père étoit homme farouche,

Passe; mais il permet que la raison le touche;

Et lui-même m'a dit qu'une confession

Vous va tout obtenir de son affection.

Vous sentez, je crois bien, quelque petite honte

A faire un libre aveu de l'amour qui vous dompte;

Mais, s'il vous a fait prendre un peu de liberté,

Par un bon mariage on voit tout rajusté ;

Et, quoi que l'on reproche au feu qui vous consomme*,

Le mal n'est pas si grand que de tuer un homme.

On sait que la chair est fragile quelquefois.

Et qu'une fille, enfin, n'est ni caillou, ni bois.

Vous n'avez pas été sans doute la première,

Et vous ne serez pas, que je crois, la dernière.

LDCILE.

Quoi ! vous pouvez ouïr ces discours effrontés, Et vous ne dites mot à ces indignités?

ALBERT.

Que veux-tu que je die? Une telle aventure Me met tout hors de moi.

MASCARILLE.

Madame, je vous jure Que déjà tous devriez avoir tout confessé.

LCCILE.

Et quoi don: confesser?

MASCARILLE.

Quoi? ce qui s'est passé Entre mon maître et vous. La belle raillerie 1

' La distinction entre les verbes consommer et consumtr i été faite poai la frtnière Ta par Vaugelas.

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166 LE DÈPli A510UUEUX.

LUCILE.

Et que s'esl-il passé, monstre d'effronterie, Entre ton maître et moi?

MASCARILLE.

Vous devez, que je croi, En savoir un peu plus de nouvelles que moi ; Et pour vous celte nuit fut trop douce pour croire Que vous puissiez si vite en perdre la ménioire.

LUCILE.

C'est trop souffrir, mon père, un impudent valet.

[Elle lui donne un soufflet |

SCÈNE X. — ALBERT, VALÈRE, MASCARILLR.

MASCARILLE.

Je crois qu'elle me vient de donner un soufflet.

ALBERT.

Va, coquin, scélérat, sa main vient sur ta joue De faire une action dont son père la loue.

MASCARILLE.

Et nonobstant cela, qu'un diable en cet instant M'emporte, si j'ai dit rien que de très constant!

ALBERT. "

El nonobstant cela, qu'on me coupe une oreille, Si tu portes fort loin une audace pareille I

MASCARILLE.

Voulez-vous deux témoins qui me justifieront?

ALBERT.

Veux-iu deux de mes gens qui te bétonneront?

MASCARILLE.

Leur rapport doit au mien donner toute créance.

ALBERT.

Leurs bras peuvent du mien réparer l'impuissano*.

MASCARILLE.

Je vous dis que Lucile agit par honle ainsi.

ALBERT.

Je te dis que j'aurai raison de tout ceci.

MASCARILLE.

Connoissez-vous Ormin, ce gros notaire habile?

ALBERT.

Counois-tu bien Grimpant, le bourreau de la vilief

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ACTE lii, Scène xï.

MASCARILLE.

Et Simon le tailleur, jadis si recherché?

ALBERT.

Et la potence mise au milieu du marché?

MASCARILLF.

Vous verrez confirmer par eux cet hyménée.

ALBERT.

Tu verras achever par eux ta destinée.

MASCARILLE.

Ce sont eux qu'ils ont pris pour témoins de leur foi.

ALBERT.

Ce sont eux qui dans peu me vengeront de toi.

MASCARILLE.

Et ces yeux les ont vus senlre-donner parole.

ALBERT.

Et ces yeux te verront faire la capriole*.

MASCARILLE.

Et, pour signe, Lucile avoit un voile noir.

ALBERT.

Et, pour signe, ton front nous le fait assez voir,

MASCARILLE.

l'obstiné vieillard!

ALBERT.

le fourbe damnablc ! Va, rends grâce à mes ans, qui me font incapable De punir sur-le-champ l'affront que tu me fais; Tu n'en perds que l'attente, et je te le promets,

SCÈNE XI. ~ VALÈRE, MASCARILLE,

VALÈRE.

Hé bien I ce beau succès que tu devois produire.. .

MASCAllILLE.

J'entends à demi-mot ce que vous voulez dire : Tout s'arme contre moi ; pour moi de tous côtes Je vois coups d? bâton et gibets apprêtés. Aussi, pour être en paix dans ce désordre extrême, Je me vais d'un rocher précipiter moi-même. Si, dans le désespoir dont mon cœur est outré,

  • An]Ourd'bui, cabriole { eu lUlica, capriola, du Ulin capra, chi^tt.

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468 LE DÉPIT AMOUREUX.

Je puis en rencontrer d'assez haut à mon gré. Adieu, monsieur.

VALÈRE.

Non, non, ta fuite est superflue; Si fa meurs, je prétends que ce soit à ma vue.

MASCARILLE.

Je ne'saurois mourir quand je suis regardé, Et mon trépas ainsi se verroit relardé.

VALÈRE.

Suis-moi, traître, suis-moi ; mon amour en furie Te fera voir si c'est matière à raillerie.

MASCARILLE, seul.

Malheureux Mascarilie, à quels maux aujourd'hui Te vois-tu condamner pour le péché d'auhui!

FM DU TROISIÈME ACTE.

ACTE QUATRIÈJJE.

SCÈNE I. - ASCAGNE, FROSINE.

FROSINE.

L'aventure est fâcheuse.

ASCACNE.

Ah ! ma clière Frosine, Le sort absolument a conclu ma ruine. Cette affaire, venue au point ou la voilà, N'est pas assurément pour en demeurer là ; 11 faut qu'elle passe outre : et Lucile et Valcre, Surpris des nouveautés d'un semblable mystère, Voudront chercher un jour dans ces obscurités Par qui tous mes projets se verront avortés. Car enfin, soit qu'Albert ait part au stratagème, Ou qu'avec tout le monde on l'ait trompé lui-même^ S il arrive une fois que mon sort éclairci Mette ailleurs tout le bien dont le sien a grossi,

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ACTE IV, SCÈNE I. 469

Jugez s'il aura lieu de souffrir ma présence : Son iutérél détruit me laisse a ma naissance; C'est fait de sa tendresse. Et quelque sentiment Où pour ma fourbe alors pût êtie mon amant, Voudra-t-il avouer pour épouse une fille Qu'il verra sans appui de biens et de famille?

FROSINE.

Je trouve que c'est là raisonner comme il faut;

Mais ces rétlexions *levoient venir plus tôt.

Qui vous a jusqu'ici caché cette lumière?

n ne falioit pas être une grande sorcière

Pour voir, dès le moment de vos desseins pour lui,

Tout ce que voire esprit ne voit que d'aujourd'hui :

L'action le disoit; et, dès que je lai sue,

Je n'en ai prévu guère une meilleure issue.

ASCAGNE.

Que dois-je faire enfin ? Mon trouble est sans pareil : Mettez-vous en ma place, et me donnez conseil.

FROSINE.

Ce doit être à vous-même, en prenant votre place, A me donner conseil dessus cette disgrâce : Car je suis maintenant vous, et vous êtes moi : Conseillez-moi, Frosine; au point où je me vol, Quel remède trouver? Dites, je vous en prie.

ASCAGNE.

Hélas! ne traitez point ceci de raillerie;

C'est prendre peu de part à mes cuisants ennuis

Que de rire, et de voir les termes où j'en suis.

FROSINE.

Ascagne, tout de bon votre ennui m'est sensible*, Et pour vous en tirer je ferois mon possible. Mais que puis-je, après tout? Je vois fort peu de joMP A tourner cette affaire au gré de votre amour.

ASCAGNE.

Si rien ne peut m'aider, il faut donc que je meure.

FROSINE.

Ah! pour cela toujours il est assez bonne heure ; La mort est un remède à trouver quand on veut; El l'on s'en doit servir le plus tard que l'on peut.

  • Vab. \on, vraiment, tout de bon votre eanui m'est sensible.

I. 10

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470 LE DÉPIT AMOUREUX.

ASCAGWE.

Non, non, Frosine, non; si vos conseils propices Ne conduisent mon sort parmi ces précipices, Je m'abandonne toute aux traits du désespoir.

FROSINE.

Savez-vous ma pensée? Il faut que j'aille voir La... Mais Éraste vient, qui pourroit nous distraire. Nous pourrons, en marchant, parler de celle affaire. Allons, retirons-nous.

SCÈNE II. — ÉRASTE, GROS-RENÉ.

ÉRASTE.

Encore rebuté?

GROS-RLNÉ.

Jamais ambassadeur ne fut moins écouté.

A peine ai-je voulu lui porter la nouvelle

Du moment d'entretien que vous souhaitiez d'elle,

Qu'elle m'a répondu, tenant son quant-à-moi;

Va, va, je fais état de lui comme de loi;

Dis-lui qu'il se promène ; et, sur ce beau langage,

Pour suivre son chemin, m'a tourné le visage.

El Marinetle aussi, d'un dédaigneux museau

Lâchant un, Laisse-nous, beau valet de carreau,

M'a planté là comme elle; et mon sort et le vôtre

N'ont rien à se pouvoir reprocher l'un à l'autre.

ÉRASTE.

L'ingrate ! recevoir avec tant de fierté

Le prompt retour d'un cœur justement emporlé I

Quoi I le premier transport d'un amour quon abuse

Sous tant de vraisemblance est indigne d'excuse?

Et ma plus vive ardeur, en ce moment fatal,

Devoit être insensible au bonheur d'un rival?

Tout autre n'eût pas fait même chose en ma place,

Et se fût moins laissé surprendre à tant d'audace?

De mes justes soupçons suis-je sorti trop lard?

Je n'ai point attendu de serments de sa part;

Et, lorsque tout le monde encor ne sait qu'en croire.

Ce cœur impatient lui rend toute sa gloire.

Il cherche à s'excuser; et le sien voit si peu

Dans ce profond respect la grandeur de mon feu I

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ACTE IV, SCÈNE II. «»

Loin d'assurer une ame, et lui fournir des armes Contre ce qu'on rival lui veut donner d'alarmes, L'ingrate m'abandonne à mon jaloux transport, Et rejette de moi message, écrit, abord I Ah I sans doute un amour a peu de violence, Qu'est capable d'éteindre une si foibîe offense; Et ce dépit si pronipt à s'armer de rigueur Découvre assez pour moi tout le fond de son cœur, Et de quel prix doit être à présent à mon ame Tout ce dont son caprice a pu flatter ma flamme. Non, je ne prétends plus demeurer engagé Pour un cœur où je vois le peu de paît que j'ai; Et, puisque l'on témoigne une froideur extrême A conserver les gens, je veux faire de même.

GROS-RENÉ.

Et moi de même aussi. Soyons tous deux fâchés. Et mettons notre amour au rang des vieux péchés. Il faut apprendre à vivre à ce sexe volage, Et lui faire sentir que l'on a du courage. Qui souffre ses mépris les veut bien recevoir. Si nous avions l'esprit de nous faire valoir. Les femmes n'auroient pas la parole si haute. Oh! qu'elles nous sont bien fîères par notre faute! Je veux être pendu, Si nous ne les verrions Sauter à notre cou plus que nous ne voudrions, Sans tous ces vils devoirs dont la plupart des hommes Les gâtent tous les jours dans le siècle où nous sonmies.

ÉRASTE.

Pour moi, sur toute chose, un mépris me surprend; Et, pour punir le sien par un autre aussi grand*, Je veux mettre en mon cœur une nouvelle flamme.

GROS-RENÉ. '

Et moi, je ne veux plus m'embarrasser de femme,

A toutes je renonce, et crois, en bonne foi,

Que vous feriez fort bien de faire comme moi.

Car, voyez-vous, la femme est, comme on dii, inen maître,

Un certain animal difficile à coniioître.

Et de qui la nature est fort encline au mal :

Et comme un animal est toujours animal,

' Vab. Et, pour punir le sien par iin autre $i grand.

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«72 LE DÉPIT AMOUREUX.

Et ne sera jamais qu'animât, qiian(T sa vie

Dureroit cent mille ans; aussi, sans repartie,

La femme est toujouis femme, et jamais ne sert

Que femme, tant qu'entier le monde durera :

D'où vient qu'un certain Grec dit que sa tète passe

Pour un sable mouvant. Car, goûtez bien, de grâce,

Ce raisonnement-ci, lequel est des plus foi Is :

Ainsi que la tète est comme le chef du corps,

Et que le corps sans chef est pire qu'une bête;

Si le chef n'est pas bien d'accord avec la (ète,

Que tout ne soit pas bien réglé par le compas,

Nous voyons arriver de certains embarras ;

La partie brutale alors veut prendre empire

Dessus la sensilive, et l'on voit que l'un (ire

A dia, l'autre à hurhaut; l'un demande du mou.

L'autre du dur; enfin tout va sans savoir où:

Pour montrer qu'ici-bas, ainsi qu'on l'interprète,

La tête d'une femme est comme la girouette

Au haut d'une maison, qui tourne au premier vent :

C'est pourquoi le cousin Aristote souvent

La compare à la mer; d'où vient qu'on dit qu'au monde

On ne peut rien trouver de si stable que l'onde.

Or, par comparaison (car la comparaison

Nous fait distinctement comprendre une raison,

El nous aimons bien mieux, nous autres gens d'étude.

Une comparaison qu'une similitude),

Par comparaison donc, mon maître, s'il vous plaît,

Comme on voit que la mer, quand l'orage s'accroît.

Vient à se courroucer, le vent souffle et ravage,

Les flots contre les flots font un remue-mcnage*

Horrible; et le vaisseau, malgré le nautonier,

Va tantôt à la cave et tantôt au grenier :

Ainsi, quand une femme a sa tète fantasque,

On voit une tempête en forme de bourrasque,

Qui veut compétiler par de certains... propos;

Et lors un... certain vent, qui par... de cei tains flots,

De... certaine façon, ainsi qu'un banc de sable...

Quand... Les femmes enfin ne valent pas le diable.

' Les dililiniis modernes porlcnl remù-ménage. Nous suivons ici l'cdilion faite MUS les yeux de Molière. On a d'ailleurs de nnnbrcux exemples de l'E muet, € îlouïé 7our la mesure, > coinnie le dit M. Gêniik

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ACTE IV, SCÈINE III. 175

ÉRASTE.

C'est fort bien raisonner.

GROS-RENÉ.

Assez bien, Dieu merci. Mais je les vois, monsieur, qui passent par ici. Tenez-vous ferme, au moins.

ÉRASTE.

Ne te mets pas en peine.

GROS-RENÉ.

J'ai bien peur que ses yeux resserrent votre chaîne. SCÈNE III. — LUCILE, ÉRASTE, MARINETTE, GROS-BENé.

MARINETTE.

Je l'aperçois encor, mais ne vous rendez point.

LnCILE.

Ne me soupçonne pas d'être foible à ce point.

MARINETTE.

Il vient à nous.

ÉRASTE.

Non, non, ne croyez pas, madame, Que je revienne encor vous parler de ma flamme. C'en est fait ; je me veux guérir, et connois bien Ce que de votre cœur a possédé le mien. Un courroux si constant pour l'ombre d'une offense M'a trop bien éclairci de votre indifférence*, Et je dois vous montrer que les traits du mépris Sont sensibles surtout aux généreux esprits. Je l'avouei Qi, mes yeux observoient dans les vôtre Des charmes qu'ils n'ont point trouvés dans tous les autret. Et le ravissement où j'étois de mes fers Les auroit préférés à des sceptres offerts. Oui, mon amour pour vous, sans doute, étoit extrême; Je vivois tout en vous ; et, je l'avouerai même. Peut-être qu'après tout j'aurai, quoique outragé, Assez de peine encore à m'en voir dégagé : Possible que, malgré la cure qu'elle essaie, Mon ame saignera longtemps de cette plaie, Et qu'affranchi d'un joug qui faisoit tout mon bien, II faudra me'* résoudre à n'aimer jamais rien.

•TAm. M'a trop bien éclairé de votre indiffërence. '▼ab. Il faudra M résoudre à n'aimer jamais rien.

10.

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^74 LE DÉPIT AMOUREUX.

Mais eiifin il n'importe; et puisque votre haine Chasse un cœur tant de fois que l'amour \ous ramène, C'est la dernière ici des importunilés Que vous aurez jamais de mes vœux rebutés.

LOCILE.

Vous pouvez faire aux miens la grâce tout entière, Monsieur, et m'épargner encor cette dernière.

ÉRASTE.

Hé bieni madame, hé bien! ils seront satisfaits. Je romps avecque vous, et j'y romps pour jamais, Puisque vous le voulez. Que je perde la vie Lorsque de vous parler je reprendrai l'envie !

LUCILE.

Tant mieux : c'est m'obliger.

ÉRASTE.

Non, non, n'ayez pas peur Que je fausse parole; eussé-]8 un foible cœur Jusques à n'en pouvoir effacer votre image. Croyez que vous n'aurez jamais cet avantage De me voir revenir.

LDCILE.

Ce seroit bien en vain.

ÉRASTE.

Moi-même de cent coups je percerois mon sein, Si j'avois jamais fait cette bassesse insigne. De vous revoir après ce traitement indigne.

LUCILE.

Soit ; n'en parlons donc plus.

ÉRASTE.

Oui, ouij n'en parlons plus; Et, pour trancher ici tous propos supeillus. Et vous donner, higrate, une preuve certaine Que je veux, sans retour, sortir de voire chaîne, Je ne veux rien garder qui puisse retracer Ce que de mon esprit il me faut effacer. Voici votre portrait : il présente à la vue Cent charmes éclatants dont vous êtes pourvue'; Mais il cache sous eux cent défauts aussi grands, Et c'est un imposteur enfin que je vous rends.

'TàI. Cent charmes merveilleux dont vous êtes poorTcs.

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ACTE IV, SCÈKE III. 475

GROS-RENÉ.

Bon.

LDCILE.

El moi, pour vous suivre au dessein de tout rendre. Voilà le dianiaut que vous m'aviez fait prendre.

■MARINETTE.

Fort bien.

ÉRASTE.

Il est à vous encor, ce bracelet.

LU CI LE.

Et celte agate à vous, qu'on fil mettre en cachet

LRASTE lit.

« Vous m'aimez d'une amour extrême, 1) Érasle, et de mon cœur voulez être éclairci :

» Si je n'aime Érasle de même, » Au moins aimé-je fort qu'Erasle m'aime ainsi.

» LUCILE. »

Vous m'assuriez par là d'agréer mon ser\ ice ; C'est une fausseté digue de ce supplice.

(Il déchire laleUK.) U'CRE lit.

« J'ignore le destin de mou amour ardente, » El JBsqu'a quand je souffrirai; 1) Mais je sais, ô beauté charmanlel 1) Que toujours je vous aimerai.

M ÉRASTE. •

Voilà qui m'assuroit à jamais de vos feux ; Et la main et la lettie ont menti toutes deux.

(Elle déchire la lettre.) • GROS-RENÉ.

Poussez.

ÉRASTE.

Elle est de vous. Suffi!, même forlune.

MARINETTE, à Lucile.

Ferme.

LUCILE.

J'aurois regret d'en épargner aucune.

GROS-RENÉ, à Éraste.

N'ayez pas le dernier.

MAI INETTE, à Lncile.

Teuez bon jusqu'au boot.

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476 LE DÉPIT AMOUREUX,

LCCILE.

EoGn voilà le reste.

ÉRASTE.

Et, grâce au ciel, c'est tout. Que sois-je exterminé, si je ne tiens parole I

LDCILE.

Me confonde le ciel, si la mienne est frivole I

ÉRASTE.

Adieu donc.

LtICILE.

Adieu donc.

MARINETTE,'à Laclla.

Voilà qui va des mien^

CROS-RENÉ, à Ératle.

Vous triomphez.

MARINETTE, a Lucile.

Allons, ôtez-vous de ses yeux.

GROS-RENÉ, à Éraite.

Retirez-vous après cet effort de courage-

MARINETTE, à Locil*.

Qu'attendez-vous encor?

GBOS-RENÉ, à ÉraiW.

Que faul-il davantage?

ÉRASTE.

Ah 1 Lucile, Lucile, un c^ur comme le mien Se fera regretter; et je le sais fort bien.

LCCILE.

Éraste, Éraste, un cœur fait comme est fait le vôtra Se peut facilement réparer par un autre.

ÉRASTE.

Non, non; cherchez partout, vous n'en aurez jamais

De si passionné pour vous, je vous promets.

Je ne dis pas cela pour vous rendre attendrie;

faurois tort d'en former encore quelque envie.

Mes plus ardents respects n'ont pu vous obliger;

Vous avez voulu rompre; il n'y faut plus songer:

Mais personne, après moi, quoi qu'on vous fasse entendre,

N'aura jamais pour vous de passion si tendre.

LUCILE.

Quand on aime les gens, on les traite autrement; Op Cait de leur p9 *^onQe un meilleur jugement.

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ACTE IV, SCÈNE III. 4ÏI

ÉUASTr.

Quand on aimo les gens, on peiil, Je jalousie, Sur beaucoup d'apparence, avoir l'anie saisie; Mais alors qu'on ['? aime, on ne peut en effet Se résoud à les perdre; et vous, vous l'avez fait.

LUCILE.

La pure jalousie est plus respectueuse.

ÉRASTE.

On voit d'un oeil plus doux une offense amoureuse.

LUCILE.

Non; votre cœur, Éraste, étoit mal enflammé.

ÉRASTE.

Non, Lucile, jamais vous ne m'avez aimé.

LUCILE.

Hé! je crois que cela foiblenienl vous soucie'. Peut-éhe en seroi(-il beaucoup mieux pour ma vie, Si je... Mais laissons là ces discours superflus: Je ne dis point quels sont mes pensers là-dessus.

ÎÏRASTE.

Pourquoi?

LU Cl LE-

Par la raison que nous rompons ensemble, Et que cela n'est plus de saison, ce me semble.

ÉRASTE.

Nous rompons?

LUCILE.

Oui, vraiment: quoi! n'en est-ce pas fait?

ÉRASTE.

Et vous voyez cela d'un esprit satisfait?

LUCILE.

Comme vous.

ÉRASTE.

Comme moi?

LUCILE.

Sans doute. C'est foiblesse De faire voir aux gens que leur perle nous blesse.

ÉRASTE.

Mais, cruelle, c'est vous qui ra\ez bien voulu.

LUGILE.

Moi? point du toul. C'est vous qui l'a^ îz résolu.

  • Soucier dans le $8ds à'inquiéter.

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<T8 LE DÉPIT AMOUREUX.

ÉRASTE.

Moi? je vous ai cm là faire un plaisir exlrcme.

LCCILE.

Point; vous avez voulu vous confenler vous-même.

ÉnASTE.

Mais si mon cœur encor revouloit sa prison; 5i, tout fâché qu'il est, il demandoit pardon...?

LUCII.E.

Non, non, n'en faites rien; ma foibîesse est trop grande; J'aurois peur d'accorder trop tôt votre demande.

ÉRASTE.

Ah ! vous ne pouvez pas trop tôt me l'accorder, Ni moi sur celle peur trop loi le demander: Consentez-y, madame; une llamme si belle ^oit, pour votre intérêt, demeurer immortelle. Je le demande enfin, me l'accordercz-vous, Ce pardon obligeant?

LtICILE.

Remenez-moi chez nous. SCÈNE IV. — MARINETTE, GROS-RENÉ

MABINETTE.

la lâche personne !

OROS-UF.NÉ.

Ah! le foihle courage!

MARINETTE.

J'en rougis de dépit.

GROS-RENÉ.

J'en suis gonflé de rage. Ne t'imagine pas que je me rende ainsi.

MARINETTE.

Et ne pense pas, toi, trouver ta dupe aussi.

GROS-RENE.

Viens, viens frotter ton nez auprès de ma colère.

MARINETTE.

Tu nous prends pour une autre, et tu n'as pas affaire A ma sotte maîtresse. Ardez le beau museau*, Pour nous donner envie encore de sa peau !

'Ardcz, u\ C'\iM\ n Ac regardez. — Corneille a emploie ce raotJans h< CaferM iu.Palais, actu IV, scoiic XUI.

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ACTE IV, SCÈNE IV 479

Moi, j'aiirois de l'amour pour ta chienne de face? Moi, je le chercherois? Ma foi! Ton t'en fricasse Des tilles comme nous.

GROS-RENÉ.

Oui! tu le prends par là? Tiens, tiens, sans y chercher tant de façon, voilà Ton beau gaiand' de neige, avec la nonpareille; 11 n'aura plus l'honneur d'èlre sur mon oreille.

MARINETTE.

Et toi, pour te montrer que (u m'es à mépris, Voilà ton demi-cent d aiguilles^ de Paris, Que tu me donnas hier avec tant de tiàufare.

CROS-UENÉ.

Tiens encor ton couteau. La pièce est riche et rare; Il te coûta six blancs lorsque tu m'en fis don.

MARINETTE.

Tiens tes ciseaux avec ta chaîne de laiton.

GROS-RENÉ.

J'oubliois d'avant-hier ton morceau de fiomage, Tiens. Je voudrois pouvoir rejeter le potage . Que tu me fis manger, pour n'avoir rien de loi'.

MARINETTE.

Je n'ai point maintenant de tes lettres sur moi; "Mais j'en ferai du feu jusques à la dernière.

GROS-RENÉ.

Et des tiennes tu sais ce que j'en saurai faire,

MARINETTE.

Prends garde à ne venir jamais me reprier.

GROS-RENÉ.

Pour couper tout chemin à nous rapatrier, 11 faut rompre la paille. Une paille rompue Rend, entre gens d'honneur, une affaire conclue. Ne fais point les doux yeux ; je veux être fâché.

MARINETTE.

Ne me lorgne point, toi, j'ai l'esprit trop touché.

' Suivant Guyet, cité par Ménage, galand dérive de gala « crEameal* ete portar le donne sul petto. » Cette mode passa avec le root de l'Italie en France, ât du temps de Molière on disoil un galand, pour un nosud de ruban,

(Aimé lîartio )

' Var. Voilà ton demi-cent a épingles de Paris.

' Vab. Que tu me fis manger, pour n'avoir rien à toi

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«80 LE DÉPIT AMOUHEUJL

GROS-RENÉ.

Romps : voilà le moyen de ne s'en plus dédire Romps. Tu ris, bonne bête !

MARINETTE.

Oui, car lu me fais rire

GROS-RENÉ.

La peste soit Ion ris! Voilà lout mon courroux Déjà dulcifié. Qu'en dis-tu? romprons-nous, Ou ne romprons-nous pas ?

aiARINETTE.

Vois.

GUOS-RENÉT

Vois, loi.

MARINETTE.

Vois-(oi-niùni

GROS-UENÉ.

Est-ce que tu consens que jamais je ne t'aime?

MARINETTE.

Moi ? ce que tu voudras.

GROS-RENÉ.

Ce que tu voudras, toi. Dis.

MARINETTE.

Je ne dirai rien.

GROS-RCNÉ.

Ni moi non plus.

MARINETTE.

Ni moi.

GROS-RENÉ.

Ma foi, nous ferons mieux de quitter la grimace. Touche, je te pardonne.

MARINETTE.

Et moi, je te fais grâce,

GROS-RENÉ.

Mon Dieu! qu'à les appris je suis acoquiné!

MARINETTE.

Que Maiiaetle est rAle après son Çros-Reiwt

FIN DU QUÂiaiEUE ACTE.

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ACTE V, SCÈNE I. 481

ACTE CINQUIÈME.

SCÈNE I. — MASCARILLE, •«■L

• Dés que l'obscurilé régnera dans la ville,

» Je me veux introduire au logis de Lucile;

» Va vite de ce pas préparer pour tantôt,

R Et la lanterne sourde et les armes qu'il faut. »

Quand il m'a dit ces mots, il m'a semblé d'entendrel

Va vilement chercher un licou pour te pendre'.

Venez çà, mon patron; car, dans l'étonnement

Où m'a jeté d'abord un tel commandement.

Je n'ai pas eu le temps de vous pouvoir répondre;

Mais je vous veux ici parler, et vous confondre :

Défendez-vous donc bien, et raisonnons saris bruit.

Vous voulez, dites-vous, aller voir celte nuit

Lucile? « Oui, Mascarille. » Et que pensez-vous faire?

a Une action d'amant qui se veut satisfaire. »

Une action d'un homme à fort petit cerveau,

Que d'aller sans besoin risquer ainsi sa peau.

« Mais tu sais quel motif à ce dessein m'appelle,

» Lucile est irritée. » Eh bien! tant pis pour elle.

Il Mais l'amour veut que j'aille apaiser son esprit. •

Mais l'amour est un sot qui ne sait ce qu'il dit.

Nous garantira-t-il, cet amour, je vous prie.

D'un rival, ou d'un père, ou d'un frère en furie?

« Penses-lu qu'aucun d'eux songe à nous faire mal? •

Oui, vraiment, je le pense; et surtout ce rival.

« Mascarille, en tout cas, l'espoir où je me fonde,

» Nous irons bien armés; et si quelqu'un nous, gronde,

» Nous nous chamaillerons. » Oui? voilà justement

Ce que votre valet ne prétend nullement.

Moi, chamailler, bon Dieu ! Suis-je un Roland, mon maître,

  • Imitation du passage luiTaot de la «cène v de l'acte I" de l'Andrienne de Té

rence:

  • Mihi ipud fornm : Uxor libl dacenda est, Pamptiile, hodie, inquit : para ,

> Ahi domani. Id mibi vifQt est dicere, ibi cito, et suspende le. >

U II

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iA-i LE DEPIT AMOUREUX.

Ou quelque Ferragus? C'est fort mal me connoîlre.

Quand je viens à sonpîer, moi, qui me suis si cher,

Qu'il ne faut que deux doigts d'un misérable fer

Dans le corps, pour vous melire un humain dans la bière,

Je suis scandalisé d'une étrange manière.

« Mais tu seras armé de pied en cap. » Tant pis,

J'en serai moins léger à gagner le taillis* ;

Et de plus, il n'est point d'armure si bien jointe

Où ne puisse glisser une vilaine pointe.

« Oh! tu seras ainsi tenu pour un poltron! »

Soit, pourvu que toujours je branle le menton '^.

A table comptez-moi, si vous voulez^ pour quatre;

Mais comptez-moi pour rien s'il s'agit de se battre.

EnBn, si l'autre monde a des charmes pour vous,

Pour moi, je trouve l'air de celui-ci fort doux.

Je n'ai pas grande faim de mort ni de blessure,

Et vous ferez le sot tout seul, je vous assure 3.

SCÈNE II. — VALÈRE, MASCARILIE.

VALÈRE.

Je n'ai jamais trouvé de jour plus ennuyeux. Le soleil semble s'être oublié dans les cieux; Et jusqu'au lit qui doit recevoir sa lumière Je vois rester encore une telle carrière. Que je crois que jamais il ne l'achèvera, Et que de sa lenteur mon ame enragera.

MASCAUILLE.

Et cet empressement pour s'en aller dans l'ombre Pêcher vile à tâtons quelque sinistre encombre... Vous voyez que Lucile, entière en ses rebuts...

VALÈRE.

Ke me fais point ici de contes superflus. Quand j'y devrois trouver cent embûches mortelle», Je sens de son courroux des gènes trop cruelles; Et je veux l'adoucir, ou terminer mon sort. C'est UD point résolu.

• C'est-à-dire, gagner un boi$ pour échapper à un danger. •Dans le sens de manger.

  • Ce moDolcgue esi une imiiation de l'Intéresse; comparer à c«lui in Coeti ima

çmaire, où les niêiiies idées soat reproduites. (Aimé Mania.*

I

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ACTE V, SCÈNE III.' i84

MASCARILLE.

J'approuve ce transport; Mais le mal e8t, monsieur, qu'il faudra s'iatroduiro En cachette.

VALÈRE.

Fort bien.

MASCARILLE.

Et j'ai peur de vous nuire.

VALÈRE.

Et comment?

MASCARILLE.

Une toux me tournii-nte à mourir, Dont le bruit importun vous fera découvrir;

(Il tousse.)

De moment en moment... Vous voyez le supplice.

VALÈRE.

Ce mal te passera, prends du jus de réglisse.

MASCARILLE.

Je ne crois pas, monsieur, qu'il se veuille passer. Je serois ravi, moi, de ne vous point laisser; Mais j'aurois un regret mortel, si j'ctois cause Qu'il fût à mon cher maître arrivé quîlque chose.

SCÈNE m. — VALÈRE, LA RAPIÈRE, MASCARILLE,

LA RAPIÈRE.

Monsieur, de bonne part, je viens d'être informé Qu'Éraste est contre vous fortement animé. Et qu'Albert parle aussi de faire pour sa fille Rouer jambes et bras à votre Mascarille.

MASCARILLE.

Moi l je ne suis pour rien dans tout cet embarras.

Qu'ai-je fait pour me voir rouer jcmbes et bras?

Suis-je donc gardien, pour employer ce style,

De la virginité des filles de la ville?

Sur la tentation ai-je quelque crédit?

Et puis-je mais, chétif, si le cœur leur en dit?

VALÈRE.

Oh/ qu'ils ne seront pas si méchants qu'ils le disent I Et, quelque belle ardeur que ses feux lui produisent, Ëlraste n'aura pas si bon marché de nous.

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<84 LE DÉPIT AMOUREUX.

LA RAPIÈRE.

S'il VOUS faisoit besoin, mou bras est tout à vous. Vous savez de tout temps que je suis un bon fière,

VALÈRE.

Je vous suis obligé, monsieur de La Rapière.

LA RAPIÈRE.

J'ai deux amis encor que je vous puis donner*,

Qui contre tous venants sont gens à dégainer,

El sur qui vous pourrez prendre toute assurance'.

MÂSCARILLE.

Acceptez-les, monsieur.

VALÈRE. '

C'est trop de complaisance.

LA RAPIÈRE.

Le petit Gille encore eût pu nous assister,

Sans le triste accident qui vient de nous l'ôter.

Monsieur, le grand donmiage ! et l'homme de servlce\

Vous avez su le tour que lui fit la juslice;

11 mourut en César, et, lui cassant les os.

Le bourreau ne lui put faire lâcher deux mots,

VALÈr.E.

Monsieur de La Rapière, un homme de la sorte Doit être regretté; mais, quant à votre escorte, Je vous rends grâces.

lA RAPIURE.

Soit; mais soyez averti Qu'il vous cherche, et vous peut faire un mauvais partL

VALÈRE.

Et moi, pour vous montrer combien je l'appréhende, Je lui veux, s'il me cherche, offrir ce qu'il demande, Et par toute la ville aller présentement, Sans être accompagné que de lui seulement.

SCÈNE IV. - VALÈRE, MASCARILLE.

MASCARILLE.

Quoi! monsieur, vous voulez tenter Dieu? Quelle audace!

' Tai. Tal deux anii> lussi que je vous puis donner.

•A celte époque, un jeune homme <|ui avoii dllenu un rendez-vous de sa msi- tresse n'y alloil qu'accompogné de gens armes, espèces de spadassins qu'il payoit pour sa défense. Les mémoire» du leinps, el priocipalemeDl ceu^ du cardinal d«  Reli el de Cussy, fon mmiion de «et usage. (reiitol.)

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ACTE V, SCÈNE V.

Las! vous voyez tous deux comme Ton nous menace; Combien de tous côtés...

VALÈRE.

Que regardes-tu là?

MASCARILLE.

C'est qu'il sent le bâton du côté que voilà. Enfin, si maintenant ma prudence en est crue, Ne nous obstinons point à rester dans la rue; Allons nous renfermer.

VALÈRE.

Nous renfermer, faquin! Tu m'oses proposer un acte de coquLii ? Sus, sans plus de discours, résous-loi de me suivre.

MASCARILLE.

Hél monsieur mon cher maître, il est si doux de vivre! On ne meurt qu'une fois, et c'est pour si longtemps!...

VALÈRE.

Je m'en vais t'assommer de coups, si je t'entends. Ascagne vient ici, laissons-le; il faut attendre Quel parti de lui-même il résoudra de prendre. Cependant avec moi viens prendre à la maison Pour nous frotter»...

MASCARILLE.

Je n'ai nulle démangeaisoo. Que maudit soit l'amour, et les filles maudites Qui veulent en tâler, puis font les chattemites*!

SCÈNE V. — ASCAGNE, FROSINE.

ASCAGNE.

Est-il bien vrai, Frosine, et ne rêvé-je point? De grâce, contez-moi bien tout de point en point.

FROSINE.

Vous en saurez assez le détail, laissez faire. Ces sortes d'incidents ne sont, pour l'ordinaire, Que redits trop de fois de moment en moment. Suffit que vous sachiez qu'après ce testament Qui vouloit un garçon pour tenir sa promesse,

' Pour nous battrt.

'Deeara, chatte, et de mitii, doux. Alluston i la mine hypocritement caie» uote du chat.

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«86 LE DÉPIT AMOUREUX.

De la femme d'Albert la dernière grossesse

N'accoucha que de vous, et que lui, dessous maia,

Ayant depuis longtemps concerté son dessein,

Fit son fils de celui d'Ignès la bouquetière,

Qui vous donna pour sienne à nourrir à ma mers.

La mort ayant ravi ce petit innocent

Quelque dix mois après, Albert étant absent,

La crainte d'un époux et l'amour maternelle

Firent l'événement d'une ruse nouvelle.

Sa femme en secret lors se rendit son vrai sang;

Vous devîntes celui qui tenoil voire r^ng;

Et la mort de ce fils, mis dans votre famille,

Se couvrit pour Albert de celle de sa fille.

Voilà de votre sort un mystère éclairci,

Que votre feinte mère a caché jusqu'ici;

Elle en dit des raisons, et peut en avoir d'autre».

Par qui ses intérêts n'étoient pas, tous les vôtres.

Enfin cette visite, où j'espérois si peu,

Plus qu'on ne pouvoit croire a servi votre feu.

Cette Ignés vous relâche, et, par votre autre afraiï%

L'éclat de son secret devenu nécessaire,

Nous en avons nous deux votre père informé.

Un billet de sa femme a le tout confirmé :

Et, poussant plus avant encore notre pointe,

Quelque peu de fortune à notre adresse jointe.

Aux intérêts d'Albert, de Polidore, après,

Nous avons ajusté si bien les intérêts.

Si doucement à lui déplié ces mystères.

Pour n'effaroucher pas d'abord trop les affaires;

Enfin, pour dire tout, mené si prudemment

Son esprit pas à pas à l'acconuTiodcment,

Qu'autant que votre père il montre de tendresse

A confirmer les nœuds qui font votre allégresse.

ASCAGNE.

Ahl Frosine, la joie où vous m'acheminez... Eh! que ne dois-je point à vos soins fortunés!

FROSINE.

Au reste, le bon homme est en humeur de rire, Et pour son fils encor nous défend de rien dire.

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ACTE V, SCENE Vîl 487

SCÈNE VI. — POLIDORE, ASCAGNE, FROSINE.

polidoue. àpprocliez-vons, ma fille : un (cl nom m'est permis, Kl j'ai su le secret que cachoienl ces habits. Vous avez fait un trait qui, dans sa hardiesse. Fait briller tant d'esprit et tant de gentillesse, Que je vous en excuse, et tiens mon (ils heureux Quand il saura l'objet de ses soins amonrcux. Vous valez tout un monde, et c'est moi qui l'assure- Mais le voici ; prenons plaisir de l'aventure. Allez faire venir tous vos gens promptement.

ASCAGNE.

Vous obéir sera mon premier compliment.

SCÈNE VII. - POLIDORE, VALÈRE, MASCARILLE.

BIASCARILI.E, à Valère.

Les disgrâces souvent sont du ciel révélées.

J'ai songé celle nuit de perles défilées

Et d'œufs cassés; monsieur, un tel songe m'abat.

V ALI RE.

Chien de poltron I

POLIDORE.

Valère, il s'apprête un combat Où toute ta valeur te sera nécessaire. ïu vas avoir en têle un puissant adversaire.

MASCARILLE.

Et personne, monsieur, qui se veuille bouger Pour retenir des gens qui so vont égorger! Pour moi, je le veux bien, niais au moins s'il arriv* Qu'un funeste accident de votre fils vous prive, Ne m'<în accusez point.

roLinoR:^. Non, non ; en col endroit, Je le pousse moi-même à faire ce qu'il doit.

MASCARILLE.

Père dénaturé!

VALr.RE.

Ce senlimcnt, mon père. Est d'un homme de cœur, et je vou» '^n révère.

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«88 LE DÉPIT AMOUREUX.

Tai dû vous offenser, et je suis criminel

D'avoir fait tout ceci sans l'aveu paternel;

Mais, à quelque dépit que ma faute vous porte,

La nalure toujours se montre la plus forte,

Et votre honneur fait bien, quand il ne veut pas voir

Que le transport d'Érasle ait de quoi in'émouvoir.

POLIDORE.

On me faisoit tantôt redouter sa menace; Hais les choses depuis ont bien changé de face; Et, sans le pouvoir fuir, d'un ennemi plus fort Tu vas être attaqué.

5IASCARILLE.

Point de moyen d'accord?

VALÈRE.

Moi, le fuiri Dieu m'en garde! Et qui donc pourroit-ce être?

POLIDORE.

àscagne.

VALERE.

Ascagne?

POLIDORE.

Oui, tu le vas voir paroître.

VALÈRE.

Lui, qui de me servir m'avoit donné sa foi I

POLIDORE.

Oui, c'est lui qui prétend avoir affaire à toi.

Et qui veut, dans le champ où l'honneur vous appelle.

Qu'un combat seul à seul vide votre querelle.

MASCARILLE.

C'est un brave homme; il sait que les cœurs généreux Ne mettent point les gens en compromis pour eux.

POLIDORE.

EnOo, d'une imposture ils te rendent coupable,

Dont le ressentiment m'a paru raisonnable;

Si bien qu'Albert et moi sommes tombés d'accord

Que tu satisferois Ascagne sur ce tort,

Mais aux yeux d'un chacun, et sans nulles remises.

Dans les formalités en pareil cas requises.

VALIRE.

Et Lucile, mon père, a, d'un cœur endurci...

POLIDORE.

Lucile épouse Éraste, et te condamne aussi :

I

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ACTE V. SCÈNE IX. ^89

Et, pour convaincre mieux (es discours d'înjuslice, Veut qu'à tes propres yeux cet liymen s'accomplisse.

VALÈRE.

Ah I c'est une impudence à me melire en fureur. Elle a donc perdu sens, foi, conscience, honneur I

SCÈNE VIII. — ALBERT, POLIDORE, LUCILE, ÉRASTE, VALÈRE, MASCARILLE.

ALBERT.

Hé bien! les combattants! On amène le nôtre. Avez-vous disposé le courage du vôtre?

VALi:RE.

Oui, oui, me voilà prêt, puisqu'on m'y veut forcer;

Et, si j'ai pu trouver sujet de balancer,

Un reste de respect en pouvoit être cause,

Et non pas la valeur du bras que l'on m'oppose.

Mais c'est trop me pousser, ce respect est à bout,

A toute extrémilé mon esprit se résout,

Et l'on fait voir un trait de perfidie étrange,

Dont il faut haulcnienl que mon amour se venge.

(A lucilo.)

Non pas que cet amour préfende encore à vous : Tout son feu se résout en ardeur de courrcux; Et, quand j'aurai rendu votre honte publique. Votre coupable bymen n'aura rien qui me pique. Allez, ce procédé, Lucile, est odieux : A peine en puis-je croire au rapport de mes yeui; C'est de toute pudeur se montrer ennemie. Et vous devriez mourir d'une telle infamie.

LCCILE.

Un semblable discours me pourroit aflligcr. Si je n'avois en main qui m'en saura venger. Voici venir Ascagne : il aura l'avantage De vous faire changer bien vite de langage, Et sans beaucoup d'effort.

SCÈNE IX. — ALBERT, POLIDORE, ASCAGNE. LUCILE, ÉRASTE, VALÈRE, FROSINE, iMARINETTE, GROS-RENÉ MASCARILLE.

VALi;RE.

11 ne le fera pas.

11.

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400 LE DÉPIT AMOUREUX.

Quand il joiiidroit au sien encor vingt autres bra». Je le plains de défendre une sœur criminelle; Mais, puisque son erreur me veut faire querelle^ Nous le satisferons, et vous, mon brave, aussi.

ÉRASTE.

Je pronois intérêt tantôt à tout ceci;

Mais entin, comme Ascagne a pris sur lui l'affaire,

Je ne m'en mêle plus, et je le laisse faire*.

VALÈRE.

C'est bien fait; la prudence est toujours de saison. Mais...

ÉRASTE.

Il saura pour tous vous mettre à la raison.

VALÈRE.

Lui?

POLIDORE.

Ne t'y trompe pas, tu ne sais pas encore Quel étrange garçon est Ascagne.

ALBERT.

11 l'ignore; Mais il pourra dans peu le lui faire savoir.

VALLP.E.

Sus donc, que maintenant il me le fasse voir.

MAUINLTTE.

Aux yeux de tous?

Cr.OS-REMÎ.

Cela ne scroil pas honnête. val" RE. Se moque-t-on do moi? Je cnsserai la tète A quelqu'un des rieurs. Enfin, voyons l'effet.

ascagne. Non, non, je ne suis pas si méchant qu'on me faiî Et, dans cette avontuie où chacun m'intéresse, Vous allez voir plutôt éclater ma foiblesse, Connoilre que le ciel, qui dispose de nous. Ne me fit pas un cœur pour tenir contre voua, El qu'il vous réservoit, pour victoire facile, l)c finir le destin du frèic de Lucile. Oui, bien loin de vanter le pouvoir de mon bras,

• Tar. le ne i'eui plus en prendre, cl je le laisse laire.

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ACTE V, SCÈNE IX. 491

Ascafjne va par vous recevoir le trépas* : Mais il veut bien mourir, si sa mort nécessaire Peut avoir maintenant de quoi vous satisfaire, ïln vous donnant pour femme, en présence de tous, Celle qui justement ne peut être qu'à vous.

VALÈnE.

Non, quand toute la terre, après sa perfidie Et les traits effrontés...

ASCAGNE.

Ah ! souffrez que je die, Valère, que le cœur qui vous est engagé D'aucun crime envers vous ne peut être chargé J Sa flamme est toujours pure et sa constance extrémi^ Et j'en prends à témoin voire père lui-même.

POLIDORE.

Oui, mon fils, c'est assez rire de la fureur. Et je vois quil est temps de te tirer d'erreur. Celle à qui par serment ton ame est allachée, Sous l'habit que tu vois à tes yeux est cachée; Un intérêt de bien, des ses plus jeunes ans, Fit ce déguisement qui trompe tant de gens; Et, depuis peu, l'amour en a su faire un autre, Qui t'abusa, joignant leur famille à la nôtre. Ne va point regarder à tout le monde aux yeux; Je te fais maintenant un discours sérieux. Oui, c'est elle, en un mol, dont l'adresse subtile, La nuit, reçut ta foi sous le nom de Lucile, Et qui, par ce ressort qu'on ne compronoit pas, A semé parmi vous un si grand embarras. Mais, puisque Ascagne ici fait place à Dorothée, Il faut voir de vos feux toute imposture ôlée, Et qu'un nœud plus sacré donne force au premier.

ALIÎERT.

Et c'est là justement ce combat singulier Qui devoit envers nous réparer votre offense, Et pour qui les édits n'ont point fait de défense.

POLIDORE.

Un tel événement rend tes esprits confus: Mais en vain tu voudrois balancer là-dessu».

• Tar. Ascagne « pour vous recevoir le trépai.

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«02 LE DÉPIT AMOUREUX.

VAtÊRC.

Non, non, je ne veux pas songer à m'en défendre, Et si celte aventure a lieu de me surprendre, La surprise me llatle, et je me sens saisir De merveille* à la fois, d'amour et de plaisir. Se peut-il que ces yeux...'

ALBERT.

Cet habit, cher Valére, Souffre mal les discours que vous lui pourriez faire. Allons lui faire en prendre un autre, et cependaat Vous saurez le détail de tout cet incident.

VALCRE.

Vous, Lucile, pardon, si mon ame abusée...

LLCILE.

L'oubli de celte injure est une chose aisée.

ALBERT.

Allons, ce compliment se fera bien chez nous. Et nous aurons loisir de nous en faire tous.

ÉBASTE.

Mais vous ne songez pas, en tenant ce langage, Qu'il reste encore ici des sujets de carnage. Voilà bien à tous deux notre amour couronné; Mais de son Mascarille et de mon Gros-René, Par qui doit Marinelte être ici possédée? Il faut que par le sang l'affaire soit vidée.

MASCARILLE.

Nenni, nenni, mon sang dans mou corps sied trop bieas Qu'il l'épouse en repos, cela ne me fait rien. De rbumeur que je sais la chère Marinelte, L'hyiuen ne ferme pas la porte à la Oeurelte.

MÀRINETTE.

Et tu crois que de toi je ferois mon galant? Un mari, passe encor; tel qu'il est, on le prend; On n'y va pas chercher tant de cérémonie : Mais il faut qu'un galant soit fait à faire envie.

GROS-RENÉ.

Ëcoute : quand l'hymen aura jomt uos deux peaux, le prétends qu'on soit sourde à tous les damoiseaoi*

  • jr«reet<(e dans le sens d'admtratton, itonntment.

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ACTE V, SCENE IX. 493

MASCAniLLE.

Tu crois te marier pour toi tout seul, compère?

GROS-UENÉ.

Bien entendu : je veux une femme sévère. Ou je ferai beau bruit.

MASCAUILLE.

llci mon Dieul tu feras Comme les autres font, et tu t'adouciras. Ces gens, avant l'hymen, si fâcheux et critiques, Dégénèrent souvent en maris pacifiques.

MAUINETTE.

Va, va, petit mari, ne crains rien de ma foi ; Les douceurs ne feront que blanchir contre moi; Et je te dirai tout.

MASCARILLE.

la fine pratique! Un mari confidenll

MARIN ETTE.

Taisez-vous, as de pique *.

ALBERT.

Pour la troisième fois, allons-nous-en chez nous Poursuivre en liberté des entretiens si doux.

' iliuvaite langue, ^ngue piquante, ieu de mots sur le sens (ignrc âa ver^ f*iinr, [F. ËéuiB.)

nu DC vtvvt Atioimcui

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LES PRÉCIEUSES RIDICULES,

COMÉDIE EN UN ACTE.

NOTICE.

On sait que dans les premières années du règne de Louis XIII, une femme aimable et spirituelle, Catherine de Vivonne, épouse du marquis de Rambouillet, ouvrit dans son hôtel, à Paris, un cercle qui fut assidûment fréquenté par les femmes de la no- blesse, les gens de cour et les gens de lettres. Ce cercle, semi- mondain, semi-littéraire, qui devait exercer sur la société et le langage du dix-septième siècle une si grande influence, compta successivement ou tour à tour parmi ses hôtes les plus assidus. Voiture, Balzac, Segrais, la Rochefoucauld, Condé, Corneille, Pascal, Bossuet, Cotin et Chapelain, c'est-à-dire des hommes d'esprit, des hommes de génie, de beaux esprits et quelques sots. Par mallieur, encouragés par la réserve de ceux qui leur étaient supérieurs, les beaux esprits prirent le haut pas, don- nèrent le ton, et exercèrent autour d'eux la dictature du pédan- tisme. Les femmes, toujours trop promptes à se laisser séduire par l'afféterie, rivalisèrent avec les hommes ; et de ridicule en ridicule, tous, hommes ou femmes, en arrivèrent bientôt à vou- loir réformer, en les rsrfiunnt, les seutimcuts et le langage.

« Ils laissoient au vulgaire, an ta nruyère, l'art de parler » d'une manière intelligible. Une chose dite entre eux peu clai- » rement en entr.iînoit une autre encore plus obscure, sur la- D quelle on cnchérissoit par de vraies énigmes, lo:ijours suivies » de longs applaudissements. Par tout ce qu'ils appeloicnl déli- » Catesse, sentiments, et finesse d'expression, ils cloient enfin » parvenus à n'être plus enteadus, et à ne seiiU'^dre pas eux- » mêmes. 11 ne falloit, pour servir à ces entreluiis, ni bon » sens, ni mémoire, ni la moindre capacité; il falloit de l'espi-it, » non pas du meilleur, mais de celui qui est faux, et où liind- » ginalion a trop de part. »

Les femmes qui brillaient dans cette société si bien définie par la Bruyère, et qu'on désigna sous le nom de précieuses, dou- licreiit le ton à la cour, à la haute société parisienne, et à U

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NOTICE. 495

province elle-même. Irréprochables sous le rapport des mœurs, les ■prccitiLses acquirent une très-grande considération ; elles de- vinrent les arbitres suprêmes du bon ton et du bon langage; et l'une des plus célèbres d'entre elles, madame de Rambouillet, reçut du haut de la chaire catholique un solennel hommage. «Souvenez-vous, dit Fléchier, dans l'oraison funèbre de l'abbesse d'Hyères ; souvenez-vous , mes frères, de ces cabinets que l'on regarde encore avec tant de vénération, où l'esprit se purifioit, où la vertu étoit révérée sous le nom de Vincomimable Arthé- nice (madame de Rambouillet), où se rcndoient tant de person- nages de qualité et de mérite qui composoient une cour choisie, nombreuse sans confusion , modeste sans contrainte, savante sans orgueil, polie sans alTectation. »

Attaquer la sentimentalité romanesque des précieuses, ridicu- liser leur afféterie et celle des gens de lettres qui s'étaient faiis leurs courtisarts, c'était donc, de la part de Molière, non-seule- ment un acte de haute raison et de bon goût, mais encore un acte de courage, puisqu'il s'en prenait d'une part à des écri- va>!is qui jouissaient d'une grande faveur, et de l'autre à des femmes à qui leur position sociale assurait un grand crédit. Aussi, pour atténuer ce qu'il y avait de téméraire dans sa cri- tique, Molière eut-il soin, dans le titre de sa pièce, d'ajouter au mot précieuses l'épithète ridicules, domiant de la sorte à entendre qu'il faisait deux catégories; qu'il acceptait, avec le public de son temps, le nom de prcieuse, comme honorable pour une femme, lorsqu'il impliquait, suivant la remarque de Geoffroy, l'idée d'une noble fierté, la délicatesse du sentiment, la finesse de l'esprtt, et l'instruction : mais qu'il le vouait a l'ironie et aux sarcasmes de la foule, lorsqu'il ne représentait que l'exagé- ration de la pruderie, l'hypocrisie de la délicatesse, et la vanité du bel esprit. Cette habile distinction, qui meltail pour ainsi dire l'auteur à couvert vis-à-vis de la bonne compagnie, n'ad'ai- blissait en rien la portée satirique de la pièce ; car en exagérant chez de simples bourgeoises rentètcment des prétentions litté- raires, les visions romanesques et la fatuité du langage, il frap- pait à la fois, dans ce qu'ils avaient d'affecté, les hôtels de Bouillon, de Lougueville et de Rambouillet, qui avaient donné le ton, et la bourgeoisie, qui exagérait comme toujours, en les copiant, les ridicules de la haute société.

Ou peut penser que Molière, en composant cette pièce, n'eut pas seulement en vue de coniger un travers de mœurs, mais aussi de protester contr^ les tentatives faiics de toutes parts au- tour de lui pour éuervei et affadir la langue, sous .prétexte de la rendre plus correcte et plus polie. Écrivain de grand style, aux formes simples, aux mots à la fois justes et pittoresques, admirateur de Montaigne et de Rabelais, Molière sentait que la

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496 NOTICE.

langue frimesautière du seizième siècle était menacée dans son originalité et sa verdeur, par cette pruderie pliilologique qui se détournait sans cesse de la pensée pour se perdre dans les détours sans fin de la métaphore. Esprit positif, il voulait qu'on appelât chaque chose par son nom ; il n'admettait pas dans la même langue deux langages diiïérents, l'un à l'usage des gens d'esprit ou de science, l'autre à l'usage de tout le monde , et comme il pensait toujours en écrivant, il voulait que la phrase fût toujours aussi l'expression exacte de la pensée. On peut donc, en se plaçant à ce point de vue que nous croyons vrai, considérer les Précieuses, non-seulement comme une excellente comédie, mais, qu'on nous passe le mot, comme un excellent cours de grammaire. Entre Molière et-les précieuses, la véritable guerre était surtout une guerre philologique. « Somaize, dit » M. Aimé Martin, raconte que plusieurs précieuses,s'étant réunies » chez Claristène (M. Le Clerc), résolurent de réformer l'orlho- » graphe, afin que les femmes fussent écrire aussi correctement que » les hommes. Pour exécuter cette entreprise . Roxalie (madame » Le Roi) dit qu'il falloit faire en sorte que l'on pût écrire de » même que l'on parloit. Il fut donc décidé qu'on diminueroit » tous les mots, et qu'on en ôtcroit toutes les lettres super- » flues. — Somaize donne ensuite plusieurs exemples de la nou- » velle orthographe, oii les mots sont pour la plupart écrits tels » qu'on les écrit aujourd'hui, d'après le système de Voltaire. »

Plusieurs commentateurs ont dit que la critique de Molière avait porté à l'affectation et au mauvais goût un coup mortel, et que le langage précieux ne survécut point à la représentation des Précieuses ; c'est là une erreur contre laquelle il importe de protester. Si grandes qu'aient été la verve et l'ironie de notre auteur, elles ne purent triompher complètement du néologisme métaphorique mis à la mode par l'Utel de Rambouillet. Quelques- unes des phrases inventées par les Arthénice et les Claristène du dix -septième siècle sont restées dans notre vocabulaire; et, comme preuve, il suffit de citer les expressions suivantes, con- signées par Saumaize dans le Dictionnaire des précieuses : cheveux d'un blond hardi ; bureau d'esprit ; humeur communicative ; compré- hension dure; front chargé de nuages; esprit bien meublé; intelligena épaisse, etc. Voltaire retrouvait encore dans plusieurs de ses contemporains le véritable style de Cathos et de Madelon, et il en notait soigneusement quelques nuances dans ce passage :

« L'un (Toureil), en traitant sérieusement de nos lois, ap- » pelle un exploit un compliment timbré. L'antre (Fontenelle), écri- » vant à une maîtresse en l'air, lui dit : — Votre nom est écrit en » grosses lettres sur mon cœur... je veux vous faire peindre en » Iroquoise, mangeant une demi- douzaine de cœurs, par amu- » scment— Un troisième (La Motte), appelle un cadran au so-

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NOTICE. m

B leil nn greffier solaire, une grosse rave, un yhcnomfneipotager. Ce » style a reparu sur le tliéàtre même où Molière l'avait si bien B tourné en ridicule. » Voltaire pouvait ajouter, sans exagération, qu'il s'était aussi toujours maintenu dans notre littérature; en effet, en suivant depuis l'origine jusqu'à notre époque, à tra- vers les modes changeantes de notre esprit national, les tradi- tions de l'hôtel de Rambouillet, on voit ces traditions passer de Marivaux à Dorât, de Dorât à Delille, qui par son horreur du mot simple et vrai, ncst souvent qu'un •précieux descriptif, et de Delille aux romantiques, dont la plupart n'ont été, à proprement parler, que des prccieux werthérisés.

Quelque justes qu'aient été les critiques de Molière, elles ont cependant trouvé, de notre temps même, et parmi des hommes de goîjt et de talent, de très-ardents contradicteurs.

« M. Rœdercr, dans son Histoire de la société polie, a beaucoup » insisté, dit M. Génin, sur l'injustice prétendue de Molière, et » sur les éminents services rendus au langage par la coterie de » madame de Rambouillet. Cette thèse a fait fortune, par un air » piquant et paradoxal. Que l'hôtel de Rambouillet ait exercé une » grande influence sur la langue française, je ne prétends pas le D nier ; mais que cette influence ait été salutaire, c'est ce qui est » très-contestable. Pour moi, je suis d'un avis opposé. Ce n'est » pas ici le lieu de discuter ce point : je me contenterai de dire » en bref que les précieuses ont réformé ce que, les trois quarts D du temps, elles ne comprenaient pas; et qu'à la franche allure, D à l'ampleur native de notre langue, elles ont substitué un es- » prit de circonspection étroite, des habitudes guindées, manié- » rées, en un mot, une préciosité qui est devenue son caractère B essentiel, et dont il esta craindre qu'elle ne puisse jamais se

• débarrasser. C'est payer bien chf^r une douzaine de mots dont » les précieuses ont enrichi le dictionnaire. Molière en écrivant

■ s'est constamment affranchi de leur joug ; autant en a fait la » Fontaine : mais qui oser.îit aujourd'hui écrire la langue de » la Fontaine et de Molière ? Celle de Rabelais ou de Montai- B gne, il n'en faut point parler : ce sont trésors à jamais fermés

• nous sommes condamnés à les admirer de loin sans en pou » YOir approcher, condamnés à écrire et à parler précieux. Mo

■ lière, dans son instinct de vieux Gaulois , avait parfaite- » ment senti la portée de cette société polie et de son œuvre. Il » l'attaqua dès son premier pas dans la lice ; et lorsque la mort » vint le surprendre, elle le trouva encore occupé à combattre » les précieuses ou les femmes savantes. » — Nous nous ran- geons complètement pour notre part à l'avis de M. Génin, et si nous avons cru devoir insister sur ces détails, c'est non-seule* ment à cause de l'extrême importance des Précieuses, commf morceau de critique littéraire, mais aussi parce qu'il nous semble

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«98 NOTICE.

que Molière n'a point été suffisnmmcnt apprécié, nous ne dirons pas comme le rérormateur de la langue, m^is comme le dcfenseuf de sa clarté, de sa force, de sa logique et de sa justesse. Et s'il est convenu d'après l'autorité de Boileau, que Malherbes eutîâ premier la gloire d'enseigner le pouvoir d'un mot mis à sa place, Molière ne doit pas avoir une gloire moins grande pour avoir enseigné le premier le ridicule d'un mot mal placé.

Quelques historiens littéraires. Voltaire entre autres, ont dit que les Frccieuses avaient été jouées pour la première fois en pro- vince. C'est une erreur; cet ouvrage, suivant la remarque de Geoffroy, ne pouvait avoir de sel et de succès que dans la capi- tale, qui était le siège du mal. C'est là en effet qu'il fut donné, le 18 novembre 1659. Le succès fut immense ; tout l'hôtel de Rambouillet assista à la première représentation, et dès le len- demain, les acteurs doublèrent le prix des places, et donnèrent deux représentations par jour. Cette vogue se soutint pendant quatre mois. La pièce fut envoyée au roi, qui se trouvait alors au pied des Pyrénées, et la cour ratifia pleinement le jugement de la ville. Il en fallait beaucoup moins pour exciter la colère et l'envie; aussi 1 auteur fut-il accusé, par les uns, d'avoir tiré le canevas de sa pièce des Mémoires de Guillot Gorju, mémoires qu'il avait achetés, disait-on, de la veuve de ce célèbre joueur de far- ces ; par les autres, d'avoir tout simplement copié l'abbé de Pure. « Déjà — nous citons M. Bazin — les comédiens italiens avaient » représenté sur leur théâtre une pièce écrite en leur langue par » l'abbé de Pure, et ayant pour titre les Fausses Précieuses. Que » Molière n'ait pas eu besoin de copier l'abbé de Pure, comme » ses ennemis le dirent, c'est ce dont nous sommes pleinement » certain ; mais toujours est-il que, sur cette partie des mœurs » de son temps, la première qu'il ait osé aborder, une autre mo- » querie avait précédé, avait encouragé la sienne. »

Deux anecdotes relatives à la première représentation des Précieuses, ont été rapportées dans la plupart des éditions de Mo- lière. L'une est relative à un vieillard, qui se serait écrié du mi- lieu du parterre : « Courage, Molière, voilà la bonne comédie ! » — L'autre est relative à Ménage, qui en sortant du théâtre, au- rait dit à Chapelain : « Monsieur, nous approuvions, vous et moi, » toutes les sottises qui viennent d'être critiquées si finement et » avec tant de bon sens ; mais, pour me servir de ce que saint » Rémi dit à Clovis, il nous faudra brûler ce que nous avons w adoré, et adorer ce que nous avons brûlé. »

L'authenticité de ces deux faits a été révoquée en doute ; et comme ils n'ont en définitive que très-peu d'importance, nous les meniioiuions seulement pour mémoire, sans les" discuter. Ce qui paraît plus certain, c'est qiw. Molière, éclairé par le grand •uccès q^u'U venait d'obtenir- aui lit dit : «Je u'ai plus que faire

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PRÉFACE DE L'AUTEUU. 499

d'étudier Plaute et Térence, ni d'cpluclier des fragments de Mé- nandre. Je n'ai qu'à étudier le monde. » Le secret de la glou-e et du génie de ce grand homme était tout entier dans ces der» niers mots.

PRÉFACE DE L'AUTEUR.

C'est une ciiose étrange qu'on imprime les gens malgré eux. Je ne vois rien de si injuste, et je pardonnerois toute autre vio- lence plutôt que celle-là.

Ce n'est pas que je veuille faire ici l'auteur modeste, et mé- priser, par honneur, nu. comédie, J'olTeuscrois mal à propos tout Paris, si je l'accusois d'avoir pu applaudir à une sottise : comme le public est le juge absolu de ces sortes d'ouvrages, il y auroit de l'impertinence à moi de le démentir; e*, quand j'au- rois eu la plus mauvaise opinion du monde de mes Frécieuses ridicules avant leur représentation, je dois croire maintenant qu'elles valent quelque chose, puisque tant de gens ensemble en ont dit du bien. Mais, comme une grande partie des grâces qu'on y a trouvées dépendent de l'action et du ton de voix , il m'im- portoit qu'on ne les dépouillât pas de ces ornements; et je trouvois que le succès qu'elles avoient eu dans la représentation étoit assez beau pour en demeurer là. J'avois résolu, dis-je, de ne les faire voir qu'à la cliandelle, pour ne point donner lieu à quelqu'un de dire le proverbe ' ; et je ne voulois pas qu'elles sau- tassent du théâtre de Bourbon dans la galerie du Palais". Cepen- dant je n'ai pu l'éviter, et je suis tombé dans la disgrâce de voir une copie dérobée de ma pièce entre les mains des libraires, accompagnée d'un privilège obtenu par surprise. J'ai eu beau crier : temps! ô mœurs ! on m'a fait voir une nécessité pour moi d'être imprimé, ou d'avoir un procès ; et le dernier mal est encore pire que le premier. Il faut donc se laisser aller à la des- tinée, et consentir à une chose qu'on ne laisseroit pas de faire tans moi.

Mon Dieu! l'étrange embarras qu'un livre à mettre au jour^

• llolièr» fait allusion a ce provei be ; < Elle est belle à la chandelle ; mais le giand jour gale tout. > (Aimé Maitiû.)

  • C'est là, cliez Baibi.i, chez de Luyncs, ou chez Trabouillet, que se vendoienk

<M pièces nouvelles. (Aimé Uartia.J

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200 PRÉFACE DE L'AUTEUR.

et qu'un auteur est neuf la première fois qu'on l'imprime ! En- core si l'on m'avoit donné du temps, j'aurois pu mieux songer à moi, et j'aurois pris toutes les précautions que messieurs les au- teurs, à présent mes confrères, ont coutume de prendre en sem- blables occasions. Outre quelque grand seigneur que j'aurois été prendre malgré lui pour protecteur de mon ouvrage, et dont j'au- rais tenté la libéralité par une épître dédicatoire bien fleurie, j'aurois tâché de faire une belle et docte préface ; et je ne manque point de livres qui m'auroient fourni tout ce qu'on peut dire de savant sur la tragédie et la comédie, l'étymologie de toutes deux, leur origine, leur définition, et le reste.

J'aurois parlé aussi à mes amis, qui, pour la recommandation de ma pièce, ne m'auroient pas refuse, ou des vers françois, ou des vers latins. J'en ai même qui m'auroient loué en grec; et l'on n'ignore pas qu'une louange en grec est d'une merveilleuse efficace à la tête d'un livre. Mais on me met au jour sans me donner le loisir de me reconnoître ; et je ne puis même obtenir la liberté de dire deux mots pour justifier mes intentions sur le sujet de cette comédie. J'aurois voulu faire voir qu'elle se lient partout dans les bornes de îa satire honnête et permise; que les plus excellentes choses sont sujettes à être copiées par de mau- vais singes qui méritent d'être bernés ' ; que ces vicieuses imi- tations de ce qu'il y a de plus parfait ont été de tout temps la matière de la comédie ; et que, par la même raison, les véritables savants et les vrais braves ne se sont point encore avisés de s'offenser du Docteur de la comédie, et du Capitan; non plus que les juges, les princes, et les rois, de voir Trivelin% ou quelque autre, sur le théâtre, faire ridiculement le juge, le prince ou le roi : aussi les véritables précieuses auroient tort de se piquer, lorsqu'on joue les ridicules qui les imitent mal. Mais enfin, comme j'ai dit, on ne me laisse pas le temps de respirer, et M de Luynes veut m'allcr relier de ce pas : à la bonne heure, puisque Dieu l'a voulu.

' Ce passage est d'autant pins adroit que Molière attaquoit une cotcne fort puis. ■acte. Les deux provinciales miritent d'être bernées, mai» elles ont copié d'excel- kntes choses. Il est clair cependant que ces excellentes choses sont prccisémeDi celles que Molière va couvrir de ridicule. [Aimé Martin.)

' Le Docteur, le Capitan, et Trivelin, étoicnt trois personnages ou caractércf •pparleoMt à la farce itaIieDD«- (Aimé Martin.j

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SCENE I. aoi

PERSONNAGES.

LAGRaNGE ', ) rebiitig.

DO CROISY ', I *'"^°" '^^'^"**-

GOUGIBUS, bon bourgeois'.

MAUELON, lillede Coieibus», > .. .., .

CATHOS , mece de Gorgibus ,1

MAROTTE, servante des précieuses ridicules'.

ALMANZOR, laquais des précieuses ridicules'.

Le marquis de MASCARILLE, valet de La Grange*.

Le vicomte de JODELET , valet de du Croisy •.

Deux porteurs de cbaise.

Voisines.

Violons. *

SCENE I. — LA GRANGE, DU CROIST

DU CROISY.

Seigneur La Grange.

LA GRANGE.

Quoi?

DU CUOISY.

Regardez-moi un peu sans rire.

LA GRANGE.

Hé bien?

DU CROISY.

Que dites-vous de notre visite? Eu êtes-voa« fort satisfait?

LA GRANGE.

A votre avis, avons-nous sujet de l'être tous deux?

DU CROISY.

Pas tout à fait, à dire vrai.

LA GRANGE.

Pour moi, je vous avoue que j'en suis tout scandalise. A-t-on jamais vu, dites-moi, deux pecques provinciales faire plus les renchéries que celles-là, et deux hommes traités avec plus de mépris que nous? A peine ont-elles pu se résoudre à nous faire donner des sièges. Je n'ai jamais vu tant parler

Acteurs de la troupe de Molière : ' La Grange. — ' Du Croisy. — • L'Espt — * Mademoiselle de Brie. — • Hademoiselle du Parc. — ' Madeleine Bêjabt. -- ' De Rrie. — • Molière. — • BRÉcon».!.

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202 LES PRÉCIEUSES RIDICULES.

à l'oreille quelles ont fait enlre elles, tant bâiller, tant se frotter les yeux, et demander tant de fois: Quelle heure est-il? Ont-elles répondu que oui et non à tout ce que nous avons pu leur dire? et ne m'avouerez-vous pas enfin que, quand nous aurions élé les dernières personnes du monde, on ne pouvoit nous faire pis qu'elles ont fait?

DU CROIS?. -

11 me semble que vous prenez la chose fort à cœur.

LA CnANCE.

Sans doule, je l'y prends, et de telle façon que je me veux venger de celte impertinence. Je connois ce qui nous a fait mépriser. L'air précieux n'a pas seulement infecté Paris, il s'est aussi répandu dans 1^ provinces, et nos donzelles ridi- cules en ont humé leur bonne part. En un mot, c'est un am- bigu de précieuse et de coquette que leur personne. Je vois ce qu'il faut être pour en être bien reçu ; et, si vous m'en croyez , nous leur jouerons tous deux une pièce qui leur fera voir leur sottise, et pourra leur apprendre à connoîlre un peu mieux leur monde.

DU CROISY.

Et comment, encore?

LA GRANGE.

J'ai un certain valet, nommé Jhscarille, qui passe, au sen- timent de beaucoup de gens, pour une manière de bel esprit; car il n'y a rien à meilleur marché que le bel esprit mainte- nant. C'est un extravagant qui s'est mis dans la lèle de vou- loir faire l'homme de condilion. II se pique ordinairement de galanterie et de ver», et dédaigne les autres valets, jusqu'à les appeler brutaux.

DO CROISY.

Hé bien ! qu'en prétendez-vous faire?

LA GRANGE.

Ce que j'en prétends faire? Il faut... Mais sortons d'ici auparavant.

SCÈNE II. — GORGICUS». DU CROISY, LA GR.VXGE.

GORGIBDS.

Hé bien! vous avez vu ma nièce et ma fille? Les affaire» iront-elles bien? Quel est le résultat de celte visite?

' Gorgibus élail le nom d'un emploi de Tancieone comédie, comme les Pa»- fuÎDS, les Xurliipins, les Jodt

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SCÈNE V. 203

LA GRANGE.

C'est une diose que vous pourriez mieux apprendre d'elles que de nous. Toul ce que nous pouvons vous dire, c'est que nous vous rendons grâce de la faveur que vous nous avea faite, et demeurons vos très humbles serviteurs. DU cr.oiSY.

Vos très humbles serviteurs.

conciBUs, senl.

Ouais! il semble qu'ils sortent mal satisfaits d'ici. D'où pourroit venir lour mécontentement? Il faut savoir un peu ce que c'est. Holà !

SCÈNE lil. — GORGIBUS, MAROTTE

MAROTTE.

Que desirez-vous, mousirur?

COUGIBUS.

Où sont vos mnîlresses?

MAROTTE. Dans leur cabinet.

CORGICDS.

Que font-elles?

MAROTTE.

De la pommade pour les lèvres.

CORCIBCS.

C'est trop pommadé : dilcs-leur qu'elles descendent.

SCÈNE IV. — GORGIBUS, e*uI.

Ces pcndardes-Ià, avec leur pommade, ont, je pense, en-» fie de me ruiner. Je ne vois partout que blancs d'œufs, lai! virginal, et mille autres brimborions que je ne connois point. Elles ont usé, depuis que nous sommes ici, le lard d'une douzaine de cochons, pour le moins; et quatre valets vivroient tous les jours des pieds de moutons qu'elles emploient.

SCÈNE V. - MADELON, CATHOS, GORGIBUS.

GORCIBCS.

1] est bien nécessaire vraiment de faire tant de dépensa pour vous graisser le museau! Dilcs-moi uo peu ce que vous avez fait à ces messieurs, que je les vois sortir avec tant de

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204 LES PRÉCIEUSES RIDICULES.

froideur? Vous avois-je pas commandé de les recevoir comm* des personnes que je voulois vous donner pour maris ?

MADELON.

El quelle estime, mon père, voulez-vous que nous fassions du procédé irrégulier de ces gens-là?

CATHOS.

Le moyen, mon oncle, qu'une fille un peu raisonnable sa pût accommoder de leur personne?

CORCIBDS.

Et qu'y trouvez- vous à redire ?

MADELON.

La belle galanterie que la leur 1, Quoi I débuter d'abord par le mariage?

COP.GIBCS.

Et par où veux-tu donc qu'ils débutent? par le concubi- nage? N'est-ce pas un procédé dont vous avez sujet de vous louer toutes deux aussi bien que moi? Est-il rien de plus obligeant que cela? Et ce lien sacré où ils aspirent n'est-il pas un témoignage de l'honnêteté de leurs intentions?

MADELON.

Ah I mon père, ce que vous dites là est du dernier bour- geois. Cela me fait honte de vous ouïr parler de la sorte, et vous devriez un peu vous faire apprendre le bjel air des choses.

CORCIBDS.

Je n'ai que faire ni d'air ni de chanson. Je te dis que le mariage est une chose sainte et sacrée, et que c'est faire en honnêtes gens que de débuter par là.

MADELON.

Mon Dieul que si tout le monde vous ressembloit, un ro- man seroit bientôt fini! La belle chose que ce seroit, si d'abord Cyrus épousoit Mandane, et qu'Aronce de plain-pied fût marié àClélieM

GORGIBDS.

Que me vient conter celle-ci?

MADELON.

Mon père, voilà ma cousine qui vous dira aussi bien que moi que le miriage ne doit jamais arriver qu'après les autres aventures. Il faut qu'un amant, pour être agréable, sache

' Cyrus et Mandane, Clélie et Aronce, sont les principaux peisosuages d'Aria- mine et de CUlie, roniASt de mademoiselle de Scaderj.

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SCÈNE V. 205

débiter les beaux sentiments, pousser le doux», le tendre et le passionné, et que sa recherche soit dans les formes. Pre- mièrement, il doit voir au temple, ou à la promenade, ou dans quelque cérémonie publique, la personne dont il devient amoureux; ou bien être conduit fatalement chez elle par un parent ou un ami,elsorlir de là tout rêveur et mélancolique. Il cache un temps sa passion à l'objet aimé, et cependant lui rend plusieurs visites, où Ton ne manque jamais de mettre sur le tapis une question galante qui exerce les esprits de l'assemblée. Le jour de la déclaration arrive, qui se doit faire ordinairement dans une allée de quelque jardin, tandis que la compagnie s'est un peu éloignée : et celte déclaration est suivie d'un prompt courroux, qui paroît à notre rougeur, et qui, pour un temps, bannit l'amant de noire présence. En- suite il trouve moyen de nous apaiser, de nous accoutumer insensiblement au discours de sa passion, et de tirer de nous cet aveu qui fait tant de penie. Après cela viennent les aven- tures, les rivaux qui se jettent à la tiaverse d'une inclination établie, les persécutions des pères, les jalousies conçues sur de fausses apparences, les plaintes, les désespoirs, les enlève- ments, et ce qui s'ensuit. Voilà comme les choses se traitent dans les belles manières; et ce sont des règles dont, en bonne galanterie, on ne sauroit se dispenser 2. Mais en venir de but en blanc à l'union conjugale, ne faire l'amour qu'en faisant le contrat du mariage, et prendre justement le ro- man par la queue; encore un coup, mon père, il ne se peut rien de plus marchand que ce procédé; et j'ai mal au cœur de la seule vision que cela me fait.

GOnCIBUS.

Quel diable de jargon entends-je ici? Voici bien du haut style.

CÀTHOS.

En effet, mon oncle, ma cousine donne dans le vrai de la chose. Le moyen de bien recevoir des gens qui sont tout k

' Holière a dit eocore dans Y École des Mam : Héroïnes du temps, mesdames les savantei , Pousseuses de tendresse et de beaux sentiments. ' Ici Kolière ne fait pas seulement de la comédie, mais de l'bistoirc. la célèorv )alie d'Angennes eut les mêmes répugnances que Calhos pour un mariage préci» pilé, quoiqu'il lui convint parraitemeol, puisque c'éloit Montausier qui la recher- eboit; elle éprouva pendant quinze ans la lidéiité de cet amant, lui Et soulTrir tons les tourments, et ne l'épousa qu'au montent où elle ccmmcnçnil à n'èlre plk (eune. (PetitotJ

I. 13

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206 LES PRÉCIEUSES RIDICULES.

fait incongrus en galanterie! Je m'en vais gager qu'ils n'ont jamais vu la caite de Tendre, et que Billets-doux, Petits- soins, Billets-galants, et Jolis-vers, sont des terres inconnues pour eux*. Ne voyez-vous pas que toute leur personne marque cela, et qu'ils n'ont point cet air qui donne d'abord bonne opinion des gens? Venir en visite amoureuse avec une jambe tout unie, un chapeau désarmé de plumes, une tète irrégu- liére en cheveux , et un habit qui souffre une indigence de rubans; mon Dieu! quels amants sont-ce là! Quelle fruga- lité d'ajustement, et quelle sécheresse de conversation! On n'y dure point, on n'y tient pas. J'ai remarqué encore que leurs rabats ne sont pas de la bonne faiseuse, et qu'il s'en faut plus d'un grand demi-pied que leurs hauts-de-chausses ne soient assez larges.

CORGIBIS.

Je pense qu'elles sont folles toutes deux, et je ne puis rien comprendre à ce baragouin. Calhos, et vous, Madelou...

MADELON.

Hé! de grâce, mon père, défaites-vous de ces noms étranges, et nous appelez autrement.

GORGIBLS.

Comment, ces noms étranges? Ne sont-ce pas vos noms de baptême?

MADELON.

Mon Dieul que vous êtes vulgaire! Pour moi, un de mes étonnements, c'est que vous ayez pu faire une fille si spiri- tuelle que moi. A-t-on jamais parlé dans le beau style de Cathos ni de Madelon, et ne m'avouerez- vous pas que ce se- roit assez d'un de ces noms pour décrier le plus beau roman du monde ?

CATHOS.

n est vrai, mon oncle, qu'une oreille un peu délicate pâtit furieusement à entendre prononcer ces mots-là ; et le nom de Polixène que nia cousine a choisi, et celui d'Aminte que

' La carte de Fendre est une 6clion alle'gorique du roman de Clétiê. On voit sut cette carte un fleuve d'Inclination, une mer d'Inimitié, on lac à' Indifférente, Pour parvenir à la ville de Tendre, il falloit assiéger le village de Billets-galants, forcer le hanioau de Billets-doux, et l'emparer ensuite du château de Petits' soins. L'idée de celle carte parut si ingéuieuse, que tous les auteurs s'empressèrent ie l'imiter. On vit alors paroitre la Carte du royaume d'Amour; la Description i% ceyaume de Coq: etierie} et même une Carte du Jansénisme, sur le modèle de !• une de Tendre. (Aimé Martin.)

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SCENE VI 207

suis donné, ont une grâce dont il faut que vous de- ez d'accord',

GORGIBUS.

Écoutez : il n'y a qu'un mot qui serve. Je n'entends point que vous ayez d'autres noms que ceux qui vous ont été don- nés par vos parrains et marraines; et pour ces messieurs dont il est question, je connois leurs familles et leurs biens, et je veux résolument que vous vous disposiez à les recevoir pour maris. Je me lasse de vous avoir sur les bras, et la garde de deux filles est une charge un peu trop pesante pour un homme de mon âge.

CATHOS.

Pour moi, mon oncle, tout ce que je puis vous dire, c'est que je trouve le maringc une chose tout à fait choquante. Comment est-ce qu'on peut souffrir la pensée de coucher contre un homme vraiment nu?

MABELON.

Souffrez que nous prenions un peu haleine parmi le beau monde de Paris, où nous ne faisons que d'arriver. Laissez- nous faire à loisir le tissu de notre roman , et n'en pressez point tant la conclusion.

GOnciCUS, à part.

Il n'en faut point douter, elles sont achevées. (Haut.) Encore uu coup, je n'entends rien à toutes ces ba'iverncs : je veux être maître absolu; et, pour trancher toutes sortes de dis- cours, ou vous serez mariées toutes deux avant qu'il soit peu, ou, ma foi, vous serez religieuses; j'en fais un bon serment*

SCÈNE VI. — CATHOS, MADELON.

CATHOS

Mon Dieu I ma chère , que ton père a la forme enfoncée dans la matière! que son intelligence est épaisse, et qu'il fait sombie dans son aine!

MADELON.

Que veux-tu, ma chère? j'en suis en confusion pour lui.

' C'est ainsi que Catherine de Vivonne, marquise de Rambouillet, ne trouvant pas son nom assez noble, avoit balancé longtemps entre Carinthe'e, Éracinihe, et Arthénice, anagrammes de Calheiine, et qu'elle prit cnlin le dernier, qui fut pro- noncé en cbaiie parFléchier dans l'oraison funèbre de l'abbesse d'Hjères, l'année mtme ou ron joua les Femmes savantes. (Pelilot.)

' Tous les commentaleurs ont sl|,'nalé celte scène corrime oiTrant l'idée première it la fameuse scène des Ftmmt» sortante*- L analogie est incontestable en effet.

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208 LES PRECIEUSES RIDICULES.

J'ai peine à me persuader que je puisse être véritablement sa fille, et je crois que quelque aventure un jour me vien- dra développer une naissance plus illustre.

CATHOS. ,

Je le croirois bien; oui, il y a toutes les apparences du monde; et, pour moi, quand je me regarde aussi ..

SCÈNE VII. - CATIIOS, MADELON, MAROTTE.

MAROTTE.

Voilà un laquais qui demande si vous êtes au logis, el dit que son maître vous veut venir voir.

MADELON.

Apprenez, sotte, à vous énoncer moins vulgairement. Dites : Voilà un nécessaire qui demande si vous êtes en com- modité d'être visibles.

MAROTTE.

Damel je n'entends point le latin; et je n'ai pas appris, comme vous, la filofie dans le grand Cyre.

MADELON.

L'impertinente! le moyen de souffrir cela! Et qui est-fl le maitre de ce laquais?

MAROTTE.

Il me l'a nommé le marquis de Mascarille.

MADELON.

Ah ! ma chère, un marquis! un marquis! Oui, allez dire qu'on nous peut voir. C'est sans doute un bel esprit qui a ouï parler de nous.

CATHOS.

Assurément, ma chère.

MADELON.

Il faut le recevoir dans cette salle basse, plutôt qu'en notre chambre. Ajustons un peu nos cheveux au moins, et soute- nons notre réputation. Vite, venez nous tendre ici dedans le conseiller des grâces.

MAROTTr.

Par ma foi, je ne sais point quelle bêle c'est là; il faut parler chrétien, si vous voulez que je vous entende.

CATHOS.

Apportez-nous le miroir, ignorante que vous êtes, et gar-

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SCÈNE VIII. 209

dc2-vous biea d'en salir la glace par la coiï*niuDicati(»i de votre image.

(Ellea MTtent.) SCÈNE VIII. — MASCARILLE, DEUX PORTEURS.

MASCARILLE.

nolà ? porteurs, holàl Là, là, là, là, là, là. Je pense que «es marauds-là ont dessein de me briser à force de heurter contre les murailles et les pavés*.

PREMTEU PORTEUR.

Dame! c'est que la porte est étroite. Vous avez voulu aussi que nous soyons entrés jusqu'ici.

MASCARILLE.

Je le crois bien. Voudriez-vous , faquins , que j'exposasse l'embonpoint de mes plumes aux inclémences de la saison pluvieuse, et que j'allasse imprimer mes souliers en boue? Allez, ôtez votre chaise d'ici.

DEUXIÈME PORTEUR.

Payez-nous donc, s'il vous plaît, monsieur.

MASCARILLE.

Hein?

DEDXli^ME PORTEUR.

Je dis , monsieur , que vous nous donniez de l'argent , s'il vous plaît.

MASCARILLE, lui donnant un soufflet.

Comment , coquin I demander de l'argent à une personne de ma qualité I

■ Ce fut Molière lui-même qui joua le personnage de UaMarille. M. Aime Martin

• trouvé dans une brochure du temps la description du costume qu'il portait dans ce rôle. La voici : < Le marquis entra dans un équipage si plaisant, que j'ai cra » ne vous pas déplaire en vous en faisant la description. Imaginez-vous donc qn ' » sa perruque étoit si grande qu'elle balayoit la place à chaque fois qu'il faisoit

> la révérence, et son chapeau si petit qu'il étoit aisé de juger que le marquis

• le portoit bien plus souvent dans la main que sur la tête ; son rabat se pou- » voit appeler un honnête peignoir, et ses canons sembloient n'être faits que pour

> servir de cache aux enfants qui jouent à la cligne-musette. Un brandon de t glands lui sortoit de sa poche comme d'une corne d'abondance, et ses soi.l>ers » étoient si couverts de rubans, qu'il ne m'est pas possible de vous dire s'il»

> étoient de roussi de vache d'Angleterre, ou de maroquin. Du moins sais-je

> bien qu'ils avoient un demi-pied de haut, et que j'étois fort en peine de savo.'

> comment des talons si hauts et si délicats pouvoient porter le corps du maïq'.is,

> ses rubans, ses canons et sa poudre. Jugei de l'imporlince du personnog', sur

> cette figure. > [Résit enprote tt*nvert de la farce det Précieuses, Paris. 166O.]

12.

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2i0 LES PRECIEUSES RIDICULES.

DEUXIÈME PORTEUR.

Esl-ce ainsi qu'on paie les pauvres gens? et votre qualité nous donne-t-elle à diner?

MASCAFILte.

Ah! ah! ah I je vous apprendrai à vous connoître! Ces ca- nailles-là s'osent jouer à moi!

PREMIER PORTEUR , prenant un des bâton» de sa chaise.

Çà, payez- nous vitemeut.

MASCARILLE.

Quoi?

PREMIER PORTEUR.

Je dis que je veux avoir de Targenti-out à l'heure.

MASCARILLE.

Il est raisonnable celui-là.

PREMIER PORTEUR.

Vite donc?

MASCARILLE.

Oui-dà! tu parles comme il faut, toi; mais l'autre est un coquin qui ne sait ce qu'il dit. Tiens, es-tu coulent?

PREMIER PORTEUR.

Non, je ne suis pas content ; vous avez donné un soufflet à mon camarade, et... ( levant son bâton. )

MASCARILLE.

Doucement; tiens, voilà pour le soufflet. On obtient tout de moi quand on s'y prend de la bonne façon Allez, vcnei me reprendre tantôt pour aller au Louvre, au petit coucher.

SCÈNE IX. — MAROTTE, MASCARILLE.

MAROTTE.

Monsieur, voilà mes maîtresses qui vont venir tout i l'heure.

MASCARILLE.

Qu'elles ne se pressent point; je suis ici posté commodé- ment pour attendre.

MAROTTE,

Les voici.

SCÈNE X. — MADELON, CATHOS, MASCARILLE, ALMANZOR.

MASCARILLE, après avoir salué.

UesdameS; vous serez surprises sans doute de l'audace de

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SCENE X.

ma visite; mais votre réputation vous attire celte méchante affaire, et le mérite a pour moi des charmes si puissants, que je cours partout après lui.

MADELON.

Si vous poursuive» le mérite, ce n'est pas sur nos terres que vous devez chasser.

CATHOS.

Pour voir chez nous le mérite, il a falia que tous Fy ayei amené.

MASCARILLE.

Ahl je m'inscris en faux contre vos paroles. La renommée accuse juste en contant ce que vous valez; et vous allez faire pic, repic et capot tout ce qu'il y a de galant dans Paris.

MADELON.

Votre complaisance pousse un peu trop avant la libéralité de ses louanges ; et nous n'avons garde, ma cousine et moi, de donner de notre sérieux daus le doux de votre flallerie.

CATIIOS.

Ma chère, il faudroit faire donner des sièges.

MADELON.

Holà I Âlmanzor.

ALMANZOR.

Madame. *

MADELON.

Vile, voiturez-nous ici les commodités de la conversation.

MASCARILLE.

Mais, au moins, y a-t-il sûreté ici pour moi?

(Almanzor sort.) CATHOS.

Que craignez-vous?

MASCARILLE.

Quelque vol de mon cœur, quelque assassinat de ma fran- chise*. Je vois ici dcux^ yeul qui ont la mine d'être de fort mauvais garçons, de faire insulte aux (iberlés, et de traiter une ame de Turc à More. Comment, oieble! D'abord qu'on les approche, ils se mettent sur leur garde meurtrière. Ah! par ma foi , je m'en défie ! et je m'en vais gagner au pied, '

' Dans le sens d'indépendance.

  • Tab. Je vois ici det jeu».

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212 LES PRÉCIEUSES RIDICULES.

ou je veux caution bourgeoise • qu'ils ne me feront point de mal.

MADELON.

Ma chère, c'est le caractère enjoué.

CATHOS.

Je vois bien que c'est un Amilcar^

MADELON.

Ne craignez rien : nos yeux n'ont point de mauvais des- seins, et votre cœur peut dormir en assurance sur leur pru- d'homie.

CATHOS.

Mais, de grâce, monsieur, ne soyez pas inexorable à ce fauteuil qui vous tend les bras il y a un quart d'heure; con- tentez un peu l'envie qu'il a de vous embrasser.

MASCARILLE, après s'être peigné et aroir ajusté se» canoDi.

Hé bien, mesdames, que dites- vous de Paris?

MADELON.

Hélas! qu'en pourrions-nous dire? 11 faudroit être l'anti- pode de la raison, pour ne pas confesser que Paris est le grand bureau des iiiei veilles, le centre du bon goût, du bel esprit, et de la galanterie.

MASCARILLE.

Pour moi, je tiens que hors de Paris il n'y a point de salut pour les honnêtes gens.

CATHOS.

C'est une vérité incontestable.

MASCARILLE.

Il y fait un peu crotté; mais nous avons la chaise'.

MADELON.

n est vrai que la chaise est un retranchement merveilleui contre les insultes de la boue et du mauvais temps.

' Caution bourgeoise, garantie sufGsante, allusion à l'ancienne contame d«  Bvrer en otage an vainqueur un certain nombre des principaux bourgeois. Bus» tache de Saint-Pierre faisoit partie de la caution bonrgeoise fournie par la ville de Calais. (F. Génin.)

' Personnage du roman de Clélie. — Dans le langage des précieuses, on disolt ttre un Amilear, pour être enjoué. (Voyez le Grand Dictionnaire des pré- tieuses, ou la clef de la langue des ruelles. Paris, 1660, page 21.)

• La chaise à porteurs dont la mode avoit e'té apportée d'Angleterre io«s U ligne de Louii XIII, ptr le marquis de Uoull^rxui.

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SCÈNE X.

MASCARILLE.

Vous recevez Deaucoup de visites? Quel bel esprit est des vôtres ?

MADELON.

Hélas 1 nous ne sommes pas encore connues; mais nous sommes en passe de l'être; et nous avons une amie particu- lière qui nous a promis d'amener ici tous ces messieurs du Recueil des pièces choisies.

CATHOS.

Et certains autres qu'on nous a nommés aussi pour être les arbitres souverains des belles choses.

MASCARILLE.

C'est moi qui-ferai votre affaire mieux que personne; ils me rendent tous visile ; et je puis dire que je ne me lève ja- mais sans une demi-douzaine de beaux esprits.

MADELON.

Hé ! mon Dieu 1 nous vous serons obligées de la dernière obhgation, si vous nous faites celte amitié; car enfin il faut avoir la connoissance de tous ces messieurs-là, si l'on veut être du beau monde. Ce sont eux qui donnent le branle à la réputation dans Paris; et vous savez qu'il y en a tel dont il ne faut que la seule fréquentation pour vous donner bruit de connoisseuse, quand il u'y auroit rien autre chose' que cela. Mais, pour moi, ce que je considère particulièrement, c'est que, par le moyen de ces visites spirituelles, on est instruit de cent choses qu'il faut savoir de nécessité, et qui sont de l'essence du bel esprit^. On apprend par là chaque jour les petites nouvelles galantes, les jolis commerces de prose ou de vers. On sait à point nommé : un tel a composé la plus jolie pièce du monde sur un tel sujet; une tede a fait des paroles sur un tel air : celui-ci a fait un madrigal sur une jouissance ; celui-là a composé des stances sur une infidélité: monsieur un tel écrivit hier au soir un sixain à mademoi- selle une telle, dont elle lui a envoyé la réponse ce matin sur les huit heures ; un tel auteur a fait un tel dessein : celui-là, est à la troisième partie de son roman ; cet autre met ses ouvrages sous la presse. C'est là ce qui vous fait valoir dani les compagnies; et si l'on ignore ces choses, je ne donnerois pas im clou de tout l'esprit qu'on peut avoir.

' Var. Quand il n'y anroit rien aue,e que ceia. ' ' Vab. El qui sont de l'euËucË ^un bel escrit.

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214 LES PRECIEUSES RIDICULES.

CATIIOS.

En effet, je trouve que c'est renchérir sur le ridicule, qu'une personne se pique d'esprit, et ne sache pas jusqu'au moindre peht quatrain qui se fait chaque jiur; et, pour moi , j'aurois toutes les hontes du monde s'il falloit qu'on vînt à me demander si j'aurois vu quelque chose de nouveau que je n'aurois pas vu.

MASCARILLF..

H est vrai qu'il est honteux de n'avoir pas des premiers tout ce qui se fait; mais ne vous mettez pas en peine; je veux établir chez vous une académie-de beaux esprits, et je vous promets qu'il ne se fera pas un bout de vers dans Paris, que vous ne sachiez par cœur avant tous les autres. Pour moi, tel que vous me voyez, je m'en escrime un peu quand je veux; et vous verrez courir de ma façon, dans les belles ruelles de Paris^, deux cents chansons, autant de sonnets, quatre cents épigrammes et plus de mille madrigaux, sans compter les énigmes et les portraits.

MADELON.

Je vous avoue que je suis furieusement pour les portraits: je ne vois rien de si galant que cela'*.

MASCARILLE.

Les portraits sont difficiles , et demandent un esprit pro- fond ; vous en verrez de ma manière qui ne vous déplai- ront pas.

CATHOS.

Pour moi, j'aime terriblement les énigmes'.

MASCAniLLE.

Cela exerce l'espiit, et j'en ai fait quatre encore ce matin, que je vous donnerai à deviner.

' On donnoit le nom de ruelles aux asseml)lées(le ce temps-là. L'aîcôve servoit de salon, et la société s'y réunlssoil autour du lit de la précieuse, qui se couchoil pour recevoir ses visites. La ruelle étoil parée avec beaucoup d'élégance et dt goût, et les hommes qui en faisoicnt les lionneurs prenoient le nom bizarre d'o/ eotisles. (Petitot.)

' Le portrait, dans le sens du mot esquisse littéraire, dans laquelle on peint soi- même ou lesauaes, élail un genre tiès en voyue au dix-seplienie siècle. La Ro- chefoucauld a l'ail son portrait, mademoiselle de Mor.!pcnsicf a fait le sien, et à la suite de ses Mémoires, elle a ajouté ceux d'une soixantaine de personnages. Il n'est pas besoin de rappcloi que ce genre a été élevé à la hiiteiir de la co. médie morale et de la grande histoire par |a Bruyère et Saint-Simon.

• L'abbé Colin, qui publia en 16ZS un recueil d'énigmes, nous apprend que les précieuses ts'envoyoient visiter pa un rondeau ou une énigme, et que c'étoitpar là que conamençoienl toutes les conversalions. »

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SCÈNE X. 215

BIADELON.

Le» madrigaux sont agréables, quand iîs sont bien tournés.

MASCARILLE.

C'est mon talent particulier; et je travaille à mettre eu madrigaux toute l'Histoire romaine*.

MADF.LON.

Ah I certes , cela sera du dernier beau ; j'en retiens vn exemplaire au moins, si vous le faites imprimer.

MASCARILLE.

Je vous en promets à chacune un, et des mieux reliés. Cela est au-dessous de ma condition; mais je le fais seule- ment pour donner à gagner aux libraires, qui me persécutent.

MADELOX.

Je m'imagine que le plaisir est grand de se voir imprime.

MASCARILLE.

Sans doute. Mais, à propos, il faut que je vous die un im- promptu que je fis hier chez une duchesse de mes amies que je fus visiter; car je suis diablement fort sur les im- promptus.

CATHOS.

L'impromptu est justement la pierre de touche de TespriL

MASCARILLE.

Écoutez donc.

MADELON.

Nous y sommes de toutes nos oreilles.

MASCARILLE.

Oh! ohl je n'y prenais pas garde : Tandis que, sans songer à mal, je vous regarde. Votre œil en tapinois me dérobe mon cœur. Au voleur! au voleur! au voleur! au voleur!

CATIIOS.

Ah I mon Dieu î voilà qui est poussé dans le dernier galani

MASCARILLE.

Tout ce que je fais a Tair cavalier; cela ne sent point le pédant.

MADELON.

Il en est éloigné de plus de deux mille lieues.

' k. Aimé Martin regarde avec raison ce trait comme faisant allusion 4 Qti- Mult et à mademoiselle Scude'ry qui, dans leurs ouvrages, traotformaieut i» Cil»' Amm les rudes héros de l'histoire ancieiuM.

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LES PRÉCIEUSES RIDICULES.

MASCARILLE.

Avez- VOUS remarqué ce commencement, Oh! chf \o\\k qui est extraordinaire, ohl oh! comme un homme qui s'avis* tout d'un coup, oh! oh! La surprise, ohl oh!

MADELON.

Oui, je trouve ce oh! ohl admirable.

MASCARILLE.

U semble que cela ne soit rien.

CATHOS.

Ah! mon Dieu! que diles-vous là*? Ce sont de ces sortes ie choses qui ne se peuvent payer.

MADELON,

Sans doute; etj'aimerois mieux avoir fait ce o/i/oft/ qu'uk poëme épique.

MASCARILLE.

Tudieu! vous avez le goût bon.

MADELON.

Hél je ne l'ai pas tout à fait mauvais.

MASCARILLE.

Mais n'admirez-vous pas aussi j> n'y prenais pas garde} je n'y prenois pas garde, je ne m'apercevois pas do cola; façon de parler naturelle, je n'y prenois pat garde. Tandis que, sans songer à mal, tandis qu'innocemment, sans malice, comme un pauvre mouton, je vous regarde, c'est-à-dire je m'amuse à vous considérer, je vous observe, je vous cou- '>mple; voire œil en tapinois... Que vous semble de ce mol tapinois? n'est-il pas bien choisi?

CÂTH09.

Tout à fait bien.

MASCARILLE.

Tapinois, en cachette; il semble que ce soit un chat qui vient de prendre une souris, lapinais.

MADELON.

n ne se peut rien de mieux.

MASCARILLE.

Me dérobe mon cœur, me l'emporte, me le ravit; au vo leur! au voleur! au voleur! au voleur! Ne diriez-vous pai ^ae c'est un homme qui crie et court après un voleur pour l^ faire arrêter? .4tt voleur! au voleur! au voleur! au voleur\

  • xt. Àh \ sooD Dieu 1 qae ditet'tou* f Ct loot là de, tu.

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SCENE X. 217

MADEI.OX.

Il faut avouer que cela a un tour spirituel el galant

MASCARILI.E

Je veux \ous dire l'air que j'ai fail dessus

CATHOS.

Vous avez appris la musique?

MASCARTLLE.

Moi' Point du tout.

CATUOS.

Et commont donc cela se pout-il?

MASCaRILLE.

Les gens d?. qualité savent tout sans avoir jamais rien appris*!

MADELON.

Assurônifnl, ma chère.

MASCARILLE.

Ecoulez si vous trouverez l'air à votre goût : htm, hem, la, la, la. la, la. La brutalité de la saison a fui icuscnienl outrage L délicatesse de ma voixi mais il n'importe, c'est à la cavalière.

[Il chante.)

Oli ! oh ! je n'y prenois pas garde, Ac.

CATIIOS.

Ah ! que voilà un air qui est passionné! Est-ce qu\in n'en meurt point?

MADELON.

Il y a de la chromatique là dedans.

MASCAP.ILI.E.

Ne trouvez-vous pas la pensée bien exprimée dans le chant? Au voleur I au voleur! Et puis, comme si l'on crioil liirn fort, au, au, au, au, au, voleur 1 Et tout d'un coup, cKininf une personne essoufflée, au voleur!

MADELON.

C'est là savoir le fin des choses, le grand fin, le fin du fiu Tout est merveilleux, je vous assure; je suis enthousiasméf de l'air et des paroles.

CATUOS.

ie n'ai encore rien vu de celle force-là.

'i.-B. Rousseau a imité celle pensée dans sa ccmc'dic dos Adieux chimér On grauilsoiROfur sait tout sans avoir rien appris.

I. 13

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Î'S LES PRÉCIEUSES RIDICULES.

MASCAUILLR.

Tout ce que je fais me vient naturellement, c'est saos étude.

MADELON.

La nature vous a traité en vraie mère passionnée, et vous en êtes l'enfant gâté.

MASCARILLE.

A quoi donc passez-vous le temps, Mesdames?

CÂTHOS.

A rien du tout.

MADELON.

Nous avons été jusqu'ici dans uiï- jeûne effroyable de di- vertissemonls.

MASCARILLE.

Je m'offre à vous mener l'un de ces jours à la comédie, si vous voulez; aussi bien on en doit jouer une nouvelle que je serai bien aise que nous voyions ensemble.

MADELON.

Cela n'est pas de refus.

MASCARILLE.

Mais je vous demande d'applaudir comme il faut, quand nous serons là ; car je me suis engagé de faire valoir la pièce, et l'auteur m'en est venu prier encore ce matin. C'est la coutume ici, qu'à nous autres gens de condition, les auteurs viennent lire leurs pièces nouvelles, pour nous engager à les trouver belles, et leur donner de la réputation : et je vous iaisse à penser si, quand nous disons quelque chose, le par- terre ose nous contredire I Pour moi, j'y suis fort exact; el quand j'ai promis à quelque poète, je crie toujours : Voilà qui est beau! devant que les chandelles soient allumées.

MADELON.

Ne m'en parlez point: c'est un admirable lieu que Paris; ii s'y passe cent choses tous les jours, qu'on ignore dans les provinces, quelque spirituelle qu'on puisse être.

CATUOS.

C'est assez : puisque nous sonunes instruites, nous ferons notre devoir de nous écrier comnie il faut sur tout ce qu'on dira.

MASCARILLE.

Je ne sais si je me trompe; mais vous avez toute la min» d'avoir fait quelque comédie.

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SCÈNE X. 219

MADELON.

Hé! il pourroit être quoique chose de ce que vous dites.

MASCARILLE.

Ah! ma foi, i! faudra que nous la voyions. Entre nous, j'en ai composé une que je veux faire représenter.

CATKOS.

Hé! à quels comédiens la donnerez- vous?

MASCARILLE.

Belle demande I Aux comédiens dé Thôtel de Bourgogne' : il n'y a qu'eux qui soient capables de faire valoir les choses; les autres sont des ignoranis qui récitent comme l'on parle, ils no savent pas faire ronfler les vers, et s'arrêter au bel endroit : et le moyen de connoître où est le beau vers, si le comédien ne s'y arrête, et ne nous avertit par là qu'il faut faire le brouhaha?

CATIIOS.

En effet, il y a manière de faire sentir aux auditeurs les beautés d'un ouvrage ; et les choses ne valent que ce qu'on les fait valoir.

MASCARILLE.

Que vous semble de ma petite oie 2? La trouvez-vous coa- gruente à l'habit?

CATHOS.

Tout à fait.

MASCARILLE.

Le ruban est bien choisi.

MADELON.

Furieusement bien. C'est Perdrigcon tout pur^.

MASCARILLE.

Que dites- vous de mes canons*?

' Od sait que les comédiens de l'hôtel de Bourgogne étoieiil jaloux des succès Je la troupe de Molière, à laquelle ils cherchoient sans cesse à susciter des embarras. Cette liradi- est donc une vengeance de notre auteur, qui se vengera de nouveau et d'une façon plus niord;inte dans l'Impromptu de Yersailles.

• € Petite oye est ce qu'on retranche d'une oye quand on l'habille pour la fair* rostir, comme les pieds, les bouts d'aile, le cou, le foye, le gésier. > (Trévoui.) C'est ce qu'on appelle aujourd'hui un abatis.

Par une intMaphore facile è cnrof rendre, petite oie a désigné les accessoires de la toilette, plumes, rubans, dentelles, dont à cette époque le costume masculin étoit fort chargé. , [F. Gcuiu.)

' Perdrigeon étoii le fournisseur des gens à la mode.

  • Canons, large bande d'étoffe ornée de dentelles, qu'oD attacbolt au'dessss

du ge:\ou, «t qui couvroit la moitii le ia jambe.

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220 LES PRÉCIEUSES RIDICULES.

MADELON.

Ils ont lout à fait bon air.

MASCAUILLE.

Je puis me vauter au moins qu'ils ont un grand quartier de plus que tous ceux qu'on fail.

MADELON.

1! faul avouer que je n'ai jamais vu porter si haut l'élé- gance de l'ajustement.

MASCARILLE.

Attachez un peu sur cesganls la réflexion de votre odorat

MADELON.

Ils sentent terriblement bon.

CATIIOS.

Je n'ai jamais respiré une odeur mieux conditionnée.

MASCARILLE.

Et celle-là?

(Il donne à sentir les cheveux poudiés de sa perruque.) MADELON.

Elle est tout à fait de qualité; le sublime en est touché dé- licieusemcul.

MASCARILLE.

Vous ne me dites rien de mes plumes! Comment les troo- ?e£-vous?

CATHOS.

Effroyablement belles.

MASCARILLE.

Savez-vousque le brin me coûte un lonis d'or? Pour moi, j'ai celle manie de vouloir donner généralement sur lout ce qu'il y a de plus beau.

MADELON.

Je vous assure que nous sympathisons , vous et moi. J'ai

une délicatesse furieuse pour tout ce que je porte ; et jusqu'à mes chaussettes, je ne puis rien souffrir qui ne soit de U bonne faiseuse *.

MASCARILLE, s'écriant brusquement.

Ahil ahi! ahil doucement. Dieu me damne, mesdames, c'est fort mal en user; j'ai à me plaindre de votre procédé; cela n'est pas honnête.

' 7ab. Qui De loit de la bonne ouvriirt.

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SCENE XL 221

CATnos.

Qu'est-ce donc? qu'avcz-vous?

MASCARIIXE.

Quoi! loules deux contre mon cœur en même temps! M'altaquer à droite et à gauche! ah ! c'est contre !e droit des gens : la partie n'est pas égale, et je m'en vais crier au meurtre.

CÀTHOS.

Il faut avouer qu'il dit les choses d'une manière parti- culière.

MADELON.

Il a uQ tour admirable dans l'esprit.

CATHOS.

Vous avez plus de peur que de mal, et voire cœui* crie avant qu'on l'écorche.

MASCARILLE.

Comment, diable! il est écorché depuis la tête jusqu'aux pieds.

SCÈiNE XI.— CATHOS, MADELON, IVIASCARILLE, MAROTTE.

MAROTTE.

Madame, on demande à vous voir.

MADELON.

Qui?

MAROTTE.

Le vicomte de Jodelet.

MASCARILLE.

Le vicomte de Jodelet?

MAROTTE.

Oui, monsieur.

CATIIOS.

Le connoissez-vous?

MASCAniLLE.

C'est mon meilleur ami.

MADELON.

Faites entrer vilement.

MASCARILLE.

Il y a quelque temps que nous ne nous sommes vus, et je suis ravi de cette aventure.

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222 LES PRÉCIEUSES RIDICULES.

CÂTHOS.

Le voici.

SCÈNE XII. — CATHOS, MADELON, JODELET. MASCARILLE, MAROTTE, ALMANZOR.

HASCÂKILLE.

Ahl vicomte I

JODELET. s'embrassant l'un l'antre.

Ahl marquis I

MASCARILLK.

Que je suis aise de te rencontrer L-

JODELET.

Que j'ai de joie de te voir ici !

MASCAUILLE.

Baise-moi donc encore un peu, je le prie*.

MADELON , à Calhos.

Ma loule bonne, nous commençons d'être connues; voilà le beau monde qui prend le chemin de nous venir voir.

MASCARILLr:.

Mesdames, agréez que je vous présente ce genlilhomme-ci : sur ma parole, il est digne d'élre connu de vous.

JODELET.

Il est juste de venir vous rendre ce qu'on vous doit; et vos attraits exigent leurs droits seigneuriaux sur toutes sortes de personnes.

MADELON.

C'est pousser vos civilités jusqu'aux derniers conGas de la

flatterie.

CATHOS.

Cette journée doit être marquée dans notre almanacb comme une journée bienheureuse.

MADELON , à Almanzor.

Allons, petit garçon, faut-il toujours vous répéter les choses? Yoyez-vôus pas qu'il faut le surcroît d'un fauteuil?

MASCARILLE.

Ne vous étonnez pas de voir le vicomte de la sorte; il no

■ Allusion a l'usage où étoient les hommes de la cour, surtout les leunes gens, qui avoient la ridicule habilude, lorsqu'ils se rencontroient, de s'embrasser i plusieurs reprises, avec de grands gestes et des paroles fort bruyantes. C'est c» |ue Uolière aypeloit avec tant de vérité la fureur d» leurt tmbrassemeiut,

(Auger.)

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SCENE Xll. 223

fait que sortir d'une maladie qui lui a rendu le visage pâle comme vous le voyez'.

JODELET.

Ce sont fruits des veilles de la cour, et des fatigues de la guerre.

MASCARILLE.

Savez-vous , mesdames , que vous voyez dans le vicomte un des vaillants hommes du siècle? C'est un brave à trois

poils.

JODLLET.

Vous ne m'en devez rien, marquis ; et nous savons ce que vous savez faire aussi.

MASCARILLE.

Il est vrai que nous nous sommes vus tous deux dans

l'occasion.

JODEL' T.

Et dans des lieux oij il faisoil foi l chaud.

MASCARILLE, regardant Calhos et Madclon.

Oui ; mais non pas si chaud qu'ici. Hai, hai, hai.

JODELET.

Notre connoissance s'est faite à l'armée; et la première fois que nous nous vîmes, il commandoit un régiment de cavalerie sur les galères de Malte.

MASCARILLE.

Il est vrai ; mais vous étiez pourtant dans l'emploi avant que j'y fusse; et je me souviens que je n'étois que petit offi- cier encore, que vous commandiez deux mille chevaux. jodll; t.

La guerre est une belle chose; mais, ma foi, la cour ré- compense bien mal aujourd'hui les gens de service comme

QOUS.

MASCARILLE.

C'est ce qui fait que je veux pendre lépée au croc.

CATHOS.

Pour moi, j'ai un furieux tendre pour les hommes d'épée.

' L'acteur à qui Molière avoit confié ce rôle étoit d'une extrême pâleur, il se Bommoit Brécourt, et réussissi it égalemcDl dans la tragédie et dans la comédie; il exccUoit surtout daus les Jodelels. Ainsi Molière, en lui donnant ce nom, fait aflusion à son talent, comme il fait ici allusioQ à la pâleur de son visage, et U peu plui loin à sa bravoure, w'i cloit très gr?»"**- 'Aimé HirtiB.)

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224 LES PRÉCIEUSES RIDICULES.

Je les aime aussi; mais je veux que l'esprit assaisonne Is bravoure.

MASCARILLE.

Te souvicnt-il, vicomte, de cette demi-lune que nous em- poi tàmes sur les ennemis au siège d'Arras*?

JODELET.

Que veux-tu dire avec ta demi-lune? C'étoitbien une lune

tout entière.

MASCARILLE.

Je pense que tu as raison.

JODELET.

II m'en doit bien souvenir, ma foi ! j'y fus blessé à la jambe d'un coup de grenade dont je porte encore les marques. Tàlez un peu, de grâce : vous sentirez quel coup c'étoit là.

CATHOS , après avoir touché l'endroit.

Il est vrai que la cicatrice est grande.

MASCARILLE.

Donnez-moi un peu votre main, et tàlez celui-ci; là, juste- ment au derrière de la tète. ^ cies-vous?

MADELO.N.

Oui : je sens quelque chose.

MASCARILLE.

C'est un coup de mousquet que je reçus, la dernière cam- pagne que j'ai faite.

JODELET, découvranl sa poitrine.

Voici un autre coup qui me perça de part en part à l'atta- que de Gravelines^.

MASCARILLE, mettant la main sur le bouton de son haut-de-chaus»ci

Je vais vous montrer une furieuse plaie.

MADELON.

Il n'est pas nécessaire : nous le croyons sans y regarder.

MASCARILLE.

Ce sont des marques honorables qui font voir ce qu'on est

CATHOS.

Nous ne doutons pas de ce que vous été».

MASCARILLE.

Vicomte, as- tu là Ion carrosse?

' En 1034. •En 1659.

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SCENE XII. 225

JODELET.

Pourquoi?

MASCARILLE.

Nous mènerions promener ces dames hors de* portes'^ et leur donnerions uu cadeau.

MADELON.

Nous ne saurions sortir aujourd'hui.

MASCARILLE.

Ayons donc les violons pour danser.

JODELET.

Ma foi I c'est bien avisé.

MAOELON.

Pour cela , nous y consentons : mais il faut donc quelque surcroît de compagnie.

MASCARILLE.

Holà! Champagne, Picard, Bourguignon, Cascaret, Basque, la Verdure, Lorrain, Provençal, la Violette! Au diable soient tous les laquais! Je ne pense pas qu'il y ait gentilhomme en France plus mal servi que moi. Ces canailles me laissent toujours seul.

MADELON.

Almanzor, dites aux gens de monsieur le marquis qu'ils aillent quérir des \ioIons, et nous faites venir ces messieurs et ces dames d'ici près, pour peupler la solilude de notre bal.

[AlmanzoT sort.) MASCARILLE.

Vicomte, que dis-tu de ces yeux?

JODELET.

Mais toi-même, marquis, que t'en semble?

MASCARILLE.

Bloi, je dis que nos libertés auront peine à sortir d'ici les braies^ nettes. Au moins, pour moi, je reçois d'étranges se- cousses^ et mon cœur ne tient qu'à un filet.

' Se promener hors des portes, parce qu'à celte date Paris avoit encore sei Tieilles fortiBcations.

' La braie, en latin bragum, l'une des pièces les plus importantes du costume gaulois, répondoil à uotre pantalon moderne. La braic qui lomboit primitivement jusqu'au bas de la jambe, devint en se raccourcissant le haul-de-chausses, et plus lard la culotte. Au sens propre, sortir les brates nettes d'une bagarre, c'est ea sortir sans avoir ses habits déchirés, et au figuré, c'est en sortir sain et sauf.

13.

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226 LES PIIECIEUSES RIDICULES.

MADELON.

Que (out ce qu'il dit est nalurcl! Il tourne le» choses le plus agréablement du monde.

CATIIOS.

Il est vrai qu'il fait une furieuse dépense en esprit.

MASCAIIILI.E.

Pour vous montrer aueie suis véritable, je veux faire un impromptu là-dessus.

(Il médite.) CATHOS.

Hé! je vous en conjure de toute la dévotion de mon cœur, que nous oyions quelque chose qu'on ait fait pour nous.

JODELET.

J'aurois envie d'en faire autant; mais je me trouve un peu incommodé de la veine poétique, pour la quantité de sai- gnées que j'y ai faites ces jours passés.

MASCARILLE.

Que diable est-ce là ! Je fais toujours bien le premier vers; mais j'ai peine à faire les autres. Ma foi, ceci est un peu trop pressé; je vous ferai un impromptu à loisir, que vous trou- verez le plus beau du monde.

JODELET.

" Il a de l'esprit comme un démon.

MADELON.

Et du galant, et du bien tourné.

MASCARII-LE.

Vicomte, dis-moi un peu, y a-t-il longtemps que tu n'as vu la comtesse?

JODELET.

Il y a plus de trois semaines que je ne lui ai rendu visite.

MASCARÎLIE.

Sais-tu bien que le duc m'est venu voir ce matin, et m'a voulu Diener à la campagne courir un cerf avec lui?

MADELON.

Voici nos amies qui viennent.

SCÈNE XIII. — LUCILE, CÉLIMÈNE, CATIIOS, MADELON, MASCARILLE, JODELET, MAROTTE, ALMANZOR, vio- lons.

MA13EL0N.

Mon Dieu! mes chères', nous vous demandons pardon.

■ On disoit alors une cliire couisic cd aut?it dit une précieuse. Ces deux OMt*

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I:

SCÈlNE XIV. 227

Ces messieurs ont eu fantaisie de nous donner les aines des pieds; et nous vous avons envoyé quérir pour remplir les vides de notre assenihlée.

LCCILE.

Vous nous avez obligées, sans doute.

MASr.ARlLLE.

Ce n'est ici qu'un bal à la hâte; mais, l'un de ces jours, nous vous en donnerons un dans les formes. Les violons sont-ils venus ?

ALMANZOR.

Oui, monsieur; ils sont ici.

CATIIOS.

Allojis donc, mes chères, prenez place.

MASCARILLE, daosaut lui seul comme par prfilade.

La, la, la, la, la, la, la, la.

MADELON.

U a la taille tout à fait élégante.

CATHOS.

Et a la mine de danser proprement'.

MASCARILLE, ayant pris Madelon pour danser.

Ma franchise va danser la courante aussi bien que mes pieds. En cadence, violons ; en cadence. Oh ! quels ignorants! Il n'y a pas moyen de danser avec eux. Le diable vous em- porte! ne sauriez- vous jouer en mesure? La, la, la, la, la, la, la, la. Ferme. violons de village!

JODELET, dansant ensuite.

Holà ! ne pressez pas si fort la cadence : je ne fais que sor- tir de maladie.

SCÈNE XIV. — DU CROISY. LA GRANGE, CATHOS, MA- DELON, LUCILE, CÉLIMÈNE, JODELET, MASCARILLE, IVUROTTE, VIOLONS.

LA GRANGE, un bâton à la main.

Ah! ah I coquins ! que faites-vous ici? Il y a trois heures que nous vous cherchons.

«voient le même sens, et ctoicnt également à la mode; mais chère expnnoU •nrtout l'iiilimité. Ce mot est resté. (Aimé Marlin )

'Danser proprement, pour bien danser. Cette expression est devenue duo Mage vulgaire.

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228 LES PRECIEUSES KiDiCULES.

MASCARILLE, se sentant ballre.

Ahil ahi! ahil vous ue m'aviez pas dil que les coups en geroienl aussi.

JODELET.

Âhi I ahi I ahi I

LA GRANGE.

C'est bien à vous, infâme que vous êtes, à vouloir faire l'homme d'importance !

DU cnoisY. Voilà qui vous apprendra à vous connoître.

SCENE XV. — CATHOS, MADELOX, LUCILE, CÉLIMÈNE, MASCARILLE, JODELET, MAROTTE, violons.

MADELON.

Que veut donc dire ceci?

JODELET.

C'est une gageure.

CATHOS.

Quoi I VOUS laisser battre de la sorte!

MASCAllILLE.

Mon Dieu ! je n'ai pas voulu faire semblant de rien; car je suis violent, et je me serois emporté.

MADELON.

Endurer un affront comme celui-là en notre présence!

MASCARILLE.

Ce n'est rien : ne laissons pas d'achever. Nous nous con* noissons il y a longtemps; et, entre amis, on ne va pas se piquer pour si peu de chose.

SCÈNE XVL — DU CROISY, LA GRANGE, MADELON, CATHOS, CÉLIMÈNE, LUCILE. MASCARILLE, JODELET, MAROTTE, VIOLONS.

LA GRANGE.

Jila foi, marauds, vous ne vous rirez pas de nous, je vous promets. Entrez, vous autres.

(Trois ou quatre spadassins entrent.) .MADELON.

Quelle est donc celte audace, de venir nous troubler de la sorte dans notre maison/

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SCÈINE XVI. 229

PU CROISY.

Comment! mesdames, nous endurerons que nos laquais soient mieux te^us que nous; qu'ils viennent vous faire l'amour à nos dépens, et vous donnent le balî

MADELON.

Vos laquais!

LA GRANGi:.

Oui, nos laquais: et cela n'est ni beau ni honnête de nous les débaucher comme vous faites.

MADtLON.

ciel I quelle insolence !

LA GRANGE.

Mais ils n'auront pas l'avantage de se servir de nos liabits pour vous donner dans la vue; et si vous les voulez aimer, ce sera, ma foi, pour leurs beaux yeux. Vile, qu'on les dé- pouille sur-le-champ.

JODCLET.

Adieu notre Lraverie'.

MASCAniLLE.

Voilà le marquisat et la vicomte à bas. DU CROisy.

Ah ! ah ! coquins, vous avez l'audace d'aller sur nos bri- sées! Vous irez chercher autre part de quoi vous rendre agréables aux jeux de vos belles, je vous eu assure.

LA GRANGE.

C'est trop que de nous suDitlanter, et de nous supplanter avec nos propres habits.

MASCARILLE.

fortune I quelle est ton inconstance 1

DU CROISY.

Vite, qu'on leur ôte jusqu'à la moindre chose.

LA GRANGE.

Qu'on emporte toutes ces hardcs, dépêchez. Maintenant^ mesdames, en l'état qu'ils sont, vous pouvez continuer vos amours avec eux tant qu'il vous plaira; nous vous laissons toute sorte de liberté pour cela, et nous vous prolestons,

onsieur et moi, que nous n'en serons aucunement jaloux.

' Dans le sens de parure, se dit encore dans le langage vulgaire, en certains pays, vous voilà bien brave, pour vous voilà bien paré.

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230 LES PRÉCIEUSES RIDICULES.

SCÈNE XVII. — MADELON, CATHOS , JODELET, MASCARILLE, violons.

CATHOS.

Ah! quelle confusion 1

MADELON.

Je crève de dépit.

ON DES VIOLONS, à Ma?caiille.

Qu'est-ce donc que ceci? Qui nous paiera, nous autres?

MASCARILLE.

Demandez à nnonsieur le v<coint£.

CN DES VlOi.OXS, à Judclet.

Qui est-ce qui nous donnera de largonl?

JODEl.ET.

Demandez à monsieur le marquis.

SCÈNE XVm. — GORG mus, MADELOiN, CATHOS, JODELET, MASCAIULLE, vioLO.xs.

COKCIDLS.

Ah! coquines que vous clés, vous nous mettez dans de beaux draps blancs, à ce que je vois; et je viens d'apprendre de belles affaires, vraiment, de ces messieurs qui sortent I

MADELON.

Aht mon père, cest une pièce sanglante qu'ils nous ont faite.

GOBGIBDS.

Oui, c'est une pièce sanglante, mais qui est un effet de votre impertinence, infâmes! Ils se sont ressentis du traite- ment que vous leur avez fait, et cependant, malheureux que je suis, il faut que je boive laffront.

MADELON.

Ah I je jure que nous en serons vengées, ou que je mour- rai en la peine. Et vous , marauds , osez-vous vous tenir ici après votre insolence?

MASCARILLE.

Traiter comme cela un marquis ! Voilà ce que c'est que du monde, la moindre disgrâce nous fait mépriser de ceux qui nous chérissoient. Allons, camarade, allons chercher fortune autre jjart; je vois bien qu'on n'aime ici que la vaine apparence, et qu'on n'y considère point la vertu toute uu«.

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SCÈNE XIX. 251

SCÈNE XIX. — 60RGIBUS, MADELON, CATHOS, violons.

DN DES VIOLONS.

Monsieur, nous entendons que vous nous coatenliez, à leur défaut, pour ce que nous avoue joué ici.

GORGIBUS, les battant.

Oui, oui, je vous vais contenter; et voici la nionnoie dont je vous veux payer. Et vous, pendardcs, je ne sais qui me tient que je ne vous en fasse autant; nous allons servir de fable et de risée à tout le monde, et voilà ce que vous vous êtes attiré par vos extravagances. Allez vous cacher, vilaines; allez vous cacher pour jamais. (Seul.) Et vous, qui êtes cause de leur folie, sottes billevesées, pernicieux ainusemciils des esprits oisifs, romans, vois, chansons, sonnets et sonneltea, puissiez-vous être à tous les diables (

ns DSa c» (.a c).<si< i<.hn^vuit

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SGANARELLE,

ou

LE COCU IMAGINAIRE.

COMÉDIE EN UN ACTE.

NOTICE.

De toutes les pièces de Molière, Sganarelk est celle qui a donné lieu aux jugements les plus contradictoires. Nous allons, pour le blâme comme pour l'éloge, rapporter quelques-uns de ces ju- gements. Suivant M. Taschereau, qui résume les plus impor- tantes critiques, « on retrouve dans Sganarelk ou k Cocu imagi- naire quelques traits assez lidèles rt^.s mœurs des petits bourgeois de ce temps, qui, aimant bien leurs femmes, les battaient mieux encore. Mais quelle intention morale peut-on supposer à l'au- teur? Quel travers, quel défaut, quel vice a-t-il eu dessein de signaler, de corriger ou de punir? Nous ne le devinons pas; à moins cependant que la moralité de la pièce ne soit renfermée dans ces deux vers aux maris trompés :

Quel mal cela fait-il ? La jambe en devient-elle Plus tortue, après tout, et la taille moins belle?

Et, dans ce cas, Molière, que nous verrons si mallieureux «es infortunes conjugales, Molière, aui, pour nous servir limage plaisante de la Fontaine, en menait son lonnet

Moins aisément que de coutume ,

eût bien dû se persuader tout le premier ce qu'il cherchait è faire croire aux autres. Mais non, il n'eut évidemment d'autre but que celui de faire rire ; et il était difficile, à la vérité, de le mieux atteindre. Néanmoins, on regrette que ce soit fréquem- ment aux dépeni.de là vérité. Le personnage de Sganarelle est

de de

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NOTICE. 233

trop souvent iinrniscmblaDie pom- ofTrir toujours de l'intérêt, trop souvent boullon pour élre toujours comique. »

Suivant GeollVoy, Sganarelle est « la seule pièce où Molière, après être entré dans la route de la bonne comédie, ail pour ainsi dire rétrogradé... il n'y a dans Sganarelle que des quipro- quos et des lazzis, au lieu de peinture de mœurs ; le comique y est quelquefois burlesque... Le dénoûment est, sans contredit, le plus mauvais qu'il y ait dans tout le théâtre de Molière... il y a des traits contraires à la bienséance... il eîit été à souhaiter que l'auteur eût davantage respecté les mœurs... il y a des ridi- cules qu'on ne peut attaquer sans nuire à la société... On ne re- connaît le grand homme qu'à l'excellence du dialogue, à la verve du style, à la naivelé des plaisanteries, à cette foule de mots heureux qui s'olTraic; naturellement à son génie...»

MM. Nisard et Aimé M... lin sont d'un avis diiïcrent. D'après M. Nisard, Molière dans Sganarelle nous fait honte de la jalousie dans le ménage; il nous rend moins chatouilleux aux apparences, et cherche à prouver que la confiance entre époux est un des principaux éléments du bonheur domestique. M. Aimé Martin, qui pense comme M. Nisard, s'exprime ainsi : « On a prétendu que cette pièce manquait le but moral ; c'est une erreur. Sga- narelle et sa femme ont beaucoup d'affection l'un pour l'autre; ils seroient heureux, s'ils ne se laissoient troubler par la jalou- sie : le but de Molière a donc été de corriger ce travers, fort commun dans cette classe de la société à laquelle appartient Sganarelle. Ce grand peintre de nos passions avoit passé les pre- mières années de sa vie dans le quartier le plus populeux de Paris, et il y avoit été témoin d'une foule de scènes, dont on ne peut douter qu'il n'ait reproduit ici les principaux traits. 11 y a trop de vérité dans son tableau pour qu'il ne l'ait pas dessiné d'après nature. »

Nous laissons au lecteur le soiu de décider entre les deux opi- nions, nous bornant à faire remarquer que l'accueil que le pu- blic fît au Cocu imaginaire, prouve que si Molière dans cette co- médie n'a cherché qu'à faire rire, il a complètement atteint son but. La pièce, représentée pour la première fois le 28 mai 16G0, sept mois après les Précieuses, fut jouée quarante fois de suite. Un amateur nommé Neuvillenaine, qui l'avait apprise par cœur pendant les représentations, obtint un privilège pour l'imprimer, et en dédia l'édition à l'auteur.

« Enfin, dit M. Aimé Martin, il y a tant de naturel dans le dialogue de cette pièce, et Molière jouoit le rôle de Sganarelle avec une si grande vérité, qu'un bon bourgeois de Paris crut se reconnoître dans le Cocu iviaginaire : « Comment, disoit-il, un » comédien aura l'audace de mettre sur le théâtre un homme » de ma sorte ! En bonne p«>Uce, on devroit réprimer l'insolence

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234 A M. DE MOLIÊUE.

• de ces gens-là. — De quoi vous plaignez-vous? lui dit un » plaisant ; l'auteur vous a pris du beau côté; vous seriez bien » heureux d'en être quitte pour l'imagination. »

Cette anecdote prouve mieux que toutes les discussions de la critique, que si Molière avait manqué le but moral, il avait du moins trouvé la vérité.

Gailhava dit que la pièce de Molière est conçue d'après un «anevas italien non imprimé : Arlichim cornuto jper o'pinione.

A M. DE MOLIÈRE,

CHCF DK LA TROLTE DES COMEDIENS DE MONSIEL'B, FRERE UNIQUE DU RO! "

Monsieur,

Ayant été voir votre cliarmante comédie du Cocu imaginaire, la première fois qu'elle fit paroitre ses beautés au public, ebe me parut si admii-able que je crus que ce n'éîoit pas rendre jus- tice à un si merveilleux ouvrage que de ne le voir qu'une fois, ce qui m'y fit rencontrer cinq ou six autres; et, comme on retient assez facilement les choses qui frappent vivement l'ima- gination, j'eus le bonheur de la retenir entière, sans aucun dessein prémédité, et je m'en aperçus d'une manière assez ex- traordinaire. Un jour, m'étant trouvé dans une assez célèbre

' Un nommé NeufvilleDaine, qui, en cinq ou six représentations, avoit retenu toute ceUe comédie, la Gt imprimer, et la dcdia à Molière; c'est celte dédicace que nous reproduisons ici.

Neufvillenaine a cru devoir faire procéder les principales scènes d'arguments qui en expliquoient le sujet. Ces arguments offrent des détails précieux sur le jeu co- mique de Molière, qui représentoit Sgauarelle, et sur l'effet que chaque scène et presque chaque vers produisoicnt sur le imblic. Nous remarquerons que ces argu- ments ne df'plurent pas à Molière, que même il sembla les adopter, puisque, dans l'unique édition qu'il ail publiée de ses œuvres, il n'a rien changé ni au texte de la pièce, ni aux arguments de son édiicur. Celle édition curieuse est imprimée che2 Guillaume de Luynes, en 16GG, avec vrivilége du Roi, sous le litre d'OEuvres île SI, Molière. Elle se compose de deux volumes, ornés chacun d'une vignette fort singulière, représenlanlMascarille cl Agnes dans leur costume. Le premier volume. de 391 pages, renferme quatre pièces: les Précieuses, le Cocu imaginaire, l'Étourdi et le Dépit amoureux. Le sicoiid volume, de 480 pages, renferme tinq pièces : les Fâcheux, l École des Maris, l'École des Femmes, la Critiqu* i» f École det Femmes et {• Frincesse d:EUdt. (Aimé UarliB.l

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A M. DE MOIJEBE, 235

compagnie, où l'on s'entretenoit et de votre esprit, et du génie particulier que vous avez pour les pièces de théâtre, je coulai mon sentiment parmi celui des autres ; et, pour enrichir par- dessus ce qu'on disoit à votre avantage, je voulus faire le récit de votre Cocu imaginaire : mais je fus bien surpris quand je vis qu'à cent vers près je savois la pièce par cœur, et qu'au Heu du sujet je les avais tous récités : cela m'y fît retourner encore une fois, pour achever de retenir ce que je n'en savois pas. Aussitôt un gentilhomme de la campagne, de mes amis, extraordinaire- ment curieux de ces sortes d'ouvrages, m'écrivit, et me pria de lui mnnder ce que c'étoit que le Cocu imaginaire; parccque , di- soil-il, il navoit point vu de pièce dont le titre promit rien de si spirituel, si elle étoit traitée par un habile homme. Je lui envoyai aussilùt la pièce que j'avois retenue, pour lui montrer qu'il ne s'éUiil pas trompé; et, comme il ne l'avoit point vu représenter, je crus à propos de lui envoyer les arguments de chaque scène, pour lui montrer que, quoique cette pièce fût admirable, l'au- teur, en la réprésentant lui-même, y savoit encore faire décou- vrir de nouvelles beautés. Je n'oubliai pas de lui mander expres- sément, et même de le conjurer, de n'en laisser rien sortir de ses mains; cependant, sans savoir comment cela s'est fait, j'en ai vu courir huit ou dix copies en cette ville, et j'ai su que quan- tité de gens étoient prêts de la faire mettre sous la presse; ce qui m'a mis dans une colère d'autant plus grande que la plupart de ceux qui ont décrit cet ouvrage lonl tellement défiguré, soit en y ajoutant, soit en y diminuant, que je ne l'ai pas trouvé reconnoissable : et comme il y alloit de votre gloire et de la mienne que l'on ne l'imprimât pas de la sorte, à cause des vers que vous avez faits, et de la prose que j'y ai ajoutée, j'ai cru qu'il falloit aller au-devant de ces messieurs, qui impriment les ^ens malgré qu'ils en aient, et donner une copie qui lût correcte (je puis parler ainsi, puisque je crois que vous trouverez votre pièce dans les formes) ; j'ai pourtant combattu longtemps avant que de la donner, mais enfin j'ai vu que c'étoit une nécessité que nous fussions imprimés, et je m'y suis résolu d'autant plus volontiers que j'ai vu que cela re vous pouvoit apporter aucun dommage, non plus qu'à votre troupe, puisque votre pièce » été jouée près de cinquante fois. Je SUIS, monsieur, votre, etc

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236 LE COCU IMAGNÂlUE.

PERSONNAGES.

GORGIBUS, bourgeois (te »»aris '.

CÉLIE, sa fille'.

LÉLIE, amant de Cëlie '.

GROS-RENÉ, valet de lelie*.

SGANARELLE *, bourgeois de Pans, et cocu imaginaire*.

LA FEMME de Sganarelle '.

VILLEBREQUIN, père de Valère '.

LA SUIVANTE de Célie ».

Un Parent de Sganarelle.

SCÈNE I. — GORGIBUS, CÉLIE, LA SUIVANTE de ciIub.

CÉLIC, sortant tout éplorée, et son père la suivant

Ah ! n'espérez jamais que mon cœur y consente.

GORGIBUS.

Que marmoUez-vous là, petite impertinente?

Vous prétendez choquer ce que j'ai résolu?

Je n'aurai pas sur vous un pouvoir absolu?

Et par sottes raisons, votre jeune cervelle

Voudroit régler ici la raison paternelle?

Qui de nous deux à l'autre a droit de faire loi?

A votre avis, qui mieux, ou de vous, ou de moi,

sotte! peut juger ce qui vous est utile?

Par la corbleu I gardez d'échauffer trop ma bilé;

Vous pourriez éprouver, sans beaucoup de longueur,

Si mon bras sait ' encor montrer quelque vigueur.

Votre plus court sera, madame la mutine.

D'accepter sans façon l'époux qu'on vous destine.

J'ignore, dites-vous, de quelle humeur il est,

Acteur» de la troupe de Molière : ' L'Espt. — " Mademoiselle du Parc. — • L* Srange. — * Du Parc. — ' Molière. — * Uademoiselle de Brie. — ' De Brie. — • Magdeleine Béjart.

' Ce personnage comique est une création de Holière, et le nom de Sg anareub Mt resté au caractère qu'il représente; on disoitle» Sganarelles, comme on avoit dit les Jodelets, les Gros-Renés, etc.

  • Vas, Si mon bras peut encor montrer quelque vigueur.

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SCENE I. 257

Et dois auparavant consuKcr s'il vous plaît: Informé du grand bien qui lui tombe en partage, Dois-je prendre le soin d'en savoir davantage? Et cet époux, ayant vingt mille bons ducats, Pour être aimé de vous, doit-il manquer d'appas? Allez, tel qu'il puisse être, avecque cette somme Je vous suis caution qu'il est très honnête homme

CÉLIE.

Hélas !

GORGIBUg.

Hé bien, hélas! Que veut dire ceci? Voyez le bel hélas qu'elle nous donne ici I Hé ! que si la colère une fois me transporte, Je vous ferai chanter hélas de bonne sorte! Voilà, voilà le fruit de ces empressements Qu'on vous voit nuit et jour à lire vos romans; De quolibets d'amour votre té!e est remplie. Et vous parlez de Dieu bien moins que de Clélie . Jetez-moi dans le feu tous ces méchants écrits Qui gâtent tous les jours tant de jeunes esprits; Lisez-moi, comme il faut, au lieu de ces sorncllos. Les Quatrains de Pibrac, et les doites Tabicllos Du conseiller Matthieu 2; l'ouvrage est de valeur. Et plein de beaux dictons à réciter par cœur. La Guide des pécheurs est encore un bon livre^; C'est là qu'en peu de temps on apprend à bien vivre ; Et si vous n'aviez lu que ces moi alités, Vous sauriez un peu mieux suivre mes volontés.

CÉLIE.

Quoi ! vous prétendez donc, mon père, que j'oublie La constante amitié que je dois à Lélie? J'aurois tort, si, sans vous, je disposois de moi ; Mais vous-même à ses vœux engageâtes ma foi.

GORGIliUS.

Lui fût-elle engagée encore davantage,

Un autre est survenu, dont le bien l'en dégage.

' Clélie, roman de mademoiselle de Sciidëry.

' Ces deux ouvrages tenoient autrefois dans l'éducation delà jeunesse la mère, place que le= failles de la Fontaine y lienneul aujourd'Imi. Les quatrains ont elt- traduits en grec, en latin, en turc, en arabe eu persan. (Aimé Martin.)

  • Livre «scctique de Louis de Grenade, d""Mnieaio eipagnol, mort en tSM.

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258 LE COCU IMAGINAIRE

Lélie est fort l)ien fait; mais apprends qu'il n'est rien

Qui ne doive céder au soin d'avoir du bien :

Que l'or donne aux plus laids certain charme pour plaire,

Et que sans lui le reste est une triste affaire.

Valére, je crois bien, n'est pas de toi chéri;

Mais, s^il ne l'est amant, il le sera mari.

Plus que l'on ne le croit, ce nom d'époux engage;

El l'amour est souvent un fruit du mariage.

Mais suis-je pas bien fat de vouloir raisonner

Où de droit absolu j'ai pouvoir d'ordonner?

Trêve donc, je vous prie, à vos impertinences :

Que je n'entende plus vos sottes dolénnces.

Ce gendre doit venir vous visiter ce soir;

Manquez un peu, manquez à le bien recevoir;

Si je ne vous lui vois faire un fort bon visage,

Je vous... Je ne veux pas en dire davantage.

SCÈNE II. — CÉLIE, LA SUIVANTE de célie.

LA SDIVAME*.

Quoi ! rcfu?çr, madame, avec cette rigueur,

Ce que tant d'auhcs gens voudroient de tout leur cœur!

A des offres d'hymen répondre par des larmes,

Et tarder tant à dire ui\ oui si plein de charmes!

llélas! que ne veut-on aussi me marier!

Ce ne seroil pas moi qui se feroit prier;

Et, loin qu'yn pareil oui me donnât de la peine,

Croyez que j'en dirois bien vite une douzaine.

Le précepteur qui fait répéter la leçon

A votre jeune frère a fort bonne raison

Lorsque, nous discourant des choses de la terre,

Il dit que la femelle est ainsi que le lierre,

Qui croît beau, tant qu'à l'arbre il se tient bien serré,

Et ne profite point s'il en est séparé.

11 n'est rien de plus vrai, ma très chère maîtresse,

Et je l'éprouve en moi, chétive pécheresse!

Le bon Dieu fasse paix à mon pauvre Martin !

Mais i'avois, lui vivant, le teint d'un chérubin,

' Cette suivante est comme le premier essai des seivanles que Molière va bicmlài introduire sar U scès^, elle a plos d'us rapport avec la Martine dc^ Femmes ««- tanteê. (Aimé Martin.)

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SCÈNE IL

L'oiiibonpoinl merveilleux, Tceil gai, Tame contente; El je suis maintenant ma commère dolente. Pendant cet heureux temps, passé comme un éclair, Je me couchois sans feu dans le fort de riiiver; Sécher même les draps me sembloil ridicule, El je tremble 5 présent dedans la canicule. Enfin il n'est rien tel, madame, croyez-moi, Que d'avoir un mari la nuit auprès de soi. No fût-ce que pour l'heur d'avoir qui vous salue D'un, Dieu vous soit en aide ! alors qu'on élernue *.

CÉLIE.

Peux-tu me conseiller de commettre un forfait, D'abandonner Lclie, et prendre ce mal fait?

LA SUIVANTE.

Votre Lélie aussi n'est, ma foi, qu'une béte, Puisque si hors de temps son voyage Tarrèle; Et la grande longueur de son éloignemen Me le fait soupçonner de quelque changenient.

CÉLIE , lui moulpant le portrait de Lélie.

Ah! ne m'accable point par ce triste présage.

Vois attentivement les traits de ce visage;

Ils jurent à mon cœur d'éternelles ardeurs :

Je veux croire, après tout, qu'ils ne sont pas menteurs,

Et que, comme c'est lui que l'art y représente.

Il conserve à mes feux une amitié constante.

LA SUIVANTE.

Il est vrai que ces traits marquent un digne amant, Et que vous avez lieu de l'aimer tendrement.

CÉLIE.

El cependant il faut... Ah! soutiens-moi'^.

(Laissant tomber le portrait de Léliê.) LA SUIVANTE.

Madame, D'où vous pourroit venir... Ah! bons dieux! elle pâmet lié I vite, holà ! quelqu'un.

' Stivant Bret, ces deux vers sont une imitation de Sabadioo, contemporain d«  Boccace, et, comme lui, auteur de Nouvelles. Voici le passage de l'auteur italien : < Sache que si tu prends femme, Thiver elle te tiendra les reins chaBds, et l'été, l'estomac frais. De plus, quand tu éternueras, tu auras ati moins quelqu'un ponr te dire : Dieu vous assiste ! >

' L'évanouissement et la perte du portijit «ont imités de 1* Sièce italienne, Ar- Kichino cornuto per opiniont.

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240 LE COCU IMAGINAIRE.

SCÈNE III — CÉLIE, SGANARELLE, LA SUIVANTE de célie.

SGANARELLE.

Qu'esl-ce donc? me voilà

LA SUIVANTE.

Ma maîtresse se mcurL

SGANARELLE.

Quoi ! ce n'est que cela? Je ci'oyois tout perdu, de crier de la sorte. Mais approchons pourtant. Madame, êtes-vous morte? Hays I Llle ne dit mot.

LA SUIVANTE.

Daignez me l'apporter. Il lui faut du vinaigre, et j'en cours apprêter'.

SCÈNE IV. — CÉLIE, SGANARELLE, LA FEMME db

SGANARELLE. SGANARELLE , en passant la main sur le sein de Célic

Elle est froide partout, et je ne sais qu'en dire. Approchons-nous, pour voir si sa bouche respire. Ma foi, je ne sais pas; mais j'y trouve encor, moi. Quelque signe de vie.

LA FEMME DE SGANARELLE , regardant par la feoèlr*.

Ah ! qu'est-ce que je ^oi ? Mon mari dans ses bras... Mais je m'en vais descendre; H me trahit sans doute, et je veux le surprendre.

SGANARELLE.

Il faut se dépêcher de l'aller secourir; Certes, elle auroit tort de se laisser mourir. Aller en l'autre monde est frcs grande sottise, Tant que dans celui-ci l'on peut être démise.

(Il la porte chez elle avec un homme que la suivante amène i

SCÈNE V. — LA FEMME de sganarelle.

11 s'est subitement éloigné de ces lieux. Et sa fuite a trompé mou désir curieux; Mais de sa Irahisou je ne suis plus en doute*,

• Vak _Je vais faire venir

Quelqu'un pour l'emporter ; veuille; la souleoir.

• Va». Mais de sa trahison je ùfau plus dt doute.

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SCENE VI. 24<

Et le peu que j'ai vu me la découvre toute.

Je ne m'étonne plus de l'étrange froideur

Dont je le vois répondre à ma pudique ardeur;

H réserve, l'ingrat, ses caresses à d'autres,

Et nourrit leurs plaisirs par le jeûne des nôtres.

Voilà de nos maris le procédé commun ;

Ce qui leur est permis leur devient imporluno

Dans les commencements ce sont toutes mer^ei!Ics,

Ils témoignent pour nous des ardeurs nonpareilles;

Mais les traîtres bientôt se lassent de nos feus,

Et portent autre part ce qu'ils doivent chez eux.

Ah! que j'ai de dépit que la loi n'autorise

A changer de mari comme on fait de chemise f

Cela seroil commode; et j'en sais telle ici

Qui, comme moi, ma foi, le voudroit bien aussi.

(Ed raroassant le portrait que Célie avoil laissé tomber.)

Mais quel est ce bijou que le sort me présente? L'émail en est fort beau, la gravure charmante. Ouvrons.

SCÈNE VI. — SGANARELLE, LA FEMME de sganarelle,

Sf.ANAREI.LE, se croyant seul.

On la croyoit (norte, et ce n'étoit rien. Il n'en faut plus qu'autant, elle se porte bien*. Mais j'aperçois ma femme.

LA FEMBIE DE SGANARELLE, se croyant seule.

ciell c'est miniature I Et voilà d'un bel homme une vive peinture!

SOANARELI.E, * pan, «t regardant par-dessus Tépaule de sa remme.

Que considere-t-elle avec attention?

Ce portrait, mon honneur, ne vous dit rien de bon.

D'un fort vilain soupçon je me sens l'anie émue.

LA FEMME DE SGANARELLE, sans apercevoir son m»rt.

Jamais rien de plus beau ne s'offrit à ma vue ; Le travail plus que l'or s'en doit encor priser. Oh I que cela sent bon !

SGANAIIELLE, 6 part.

Quoi ! peste, le baiser I

' Il n'en fiul plu$ qu'autant, c'est-à-dire, elle est à moillé guérie. En «(Te*, quand on est a moitié Neo, il n'en faut plu* qu'autant pour être tout à laM bien. (Aiiue ÀiarliD.)

I. 14

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242 LE COCU IMAGINAIRE.

Ah ! j'«n tiens !

LA FEMME DE SGANARELLE poursail.

Avouons qu'on doit être ravie Quand d'un homme ainsi fait on se peut voir servie, Et que, s'il en coutoit avec attention, Le penchant seroit grand à la tentation. Ahl que n'ai-je un mari d'une aussi bonne minet Au lieu de mon pelé, de mon rustre...

SGANARELLE, lui arrachant le portrait.

Ah! mâtioe! Nous vous y surprenons en làule contre nous. En diffamant l'honneur de voire cher éfious. . Donc, à votre calcul, ô ma Irop digne femme. Monsieur, tout bien compté, ne vaut pas bien madame? Et, de par Belzébut, qui vous puisse emporter 1 Quel plus rare parti pourriez-vous souhaiter? Qui peut trouver en moi quelque chose à redire? Celte taille, ce port que tout le monde admire, Ce visage, si propre à donner de l'amour, Pour qui mille beautés soupirent nuit et jour; Bref, en tout et partout, ma personne charmante N'est donc pas un morceau dont vous soyez contente? Et, pour rassasier votre appétit go'urmand, Il faut joindre au mari le ragoût d'un galant?

LA FEMME D:: SGANARELLE.

J'entends à demi-mot où va la raillerie. Tu crois par ce moyen...

SGANARELLE.

A d'autres, je vous prie: La chose est avérée, et je ilens dans mes mains Un bon certificat du mal dont je me plains.

LA FEMME DE SGANARELLE.

Mon courroux n'a déjà que trop de violence, Sans le charger encor d'une nouvelle offense*. Écoule, ae crois pas retenir mon bijou; El songe un peu...

SGANARELLE.

Je songe à te rompre le cou.

'Charger un couiroux d'une nouvelle offense, c'est-à-dire Taugmenter paf une Bouvclle olTeuse.

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SCÈNE VI. 243

Que nepuis-je, aussi bieaque je tiens la copie, Tenir l'original I

LA FEMME DE SGANARELLE.

Pourquoi ?

SGANARELLE.

Pour rien, ma mie. Doux objet de mes vœux, j'ai grand tort de crier, El mon front de vos dons vous doit remercier.

(Regardant le portrait de Lélie.)

Le voilà, le beau fils, le mignon de couchette, Le malheureux tison de ta flamme secrète, FjC drôle avec lequel...

LA FEMME DE SGANARELLE.

Avec lequel... Poursui.

SGANAIIELLE.

Avec lequel, te dis-je... et j'en crève d'ennui.

LA FEMME DE SGANARELLE.

Que me veut donc conter par là ce maître ivrogiwf

SGANARELLE.

Tu ne m'entends que trop, madame la carogne.

Sganarelle est un nom qu'on ne me dira plus,

Et l'on va m'appeler seigneur Cornélius'.

J'en suis pour mon honneur; mais à loi, qui me l'ôte»^

Je t'en ferai du moins pour un bras ou deux côtes.

LA FEMME DE SGANARELLE.

Et lu m'oses tenir de semblables discours?

SGANARELLE.

El tu m'oses jouer de ces diables de fours?

LA FEMME DE SGANARELLE.

Et quels diables de tours? Parle donc sans rien feindre.

SGANARELLE.

Ah! cela ne vaut pas la peine de se plaindre! D'un panache de cei f sur le front me pourvoir : Hélas! voilà vraiment un beau venez-y voir*.

LA FEMME DE SGANARELLE.

Donc, après m'avoir fait la plus sensible offense

' Koliere nesi pas le premier qui ait joué sur ce mot de Cortultut. Camut, ëvèque de Belley, disoit à uo mari qui se plaiguoil tout haut d'une mésaventure ^6 i'oD lait d'ordinaire raimerois mieux être Cornélius Tacitus que Publiut Cornélius. (Auger.)

» C'est-à-dire une chos? de si peu d'iopcrtaDce, qu'it ne faut pas se dérange» four l'aller voir.

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i44 LE COCU IMAGINAIRE.

^>ui puisse d'une femme excuei la vengeance, Tu prends d'un feint courroux le vain amusement Pour prévenir l'effet de mon ressentiment? D'un pareil procédé l'insolence est nouvelle ! Celui qui fait lîffense est celui qui querelle.

SGANARELLE.

Hé! la bonne effrontée! A voir ce fier maintien, Ne la croiroit-on pas une femme de bien?

LA FEMME DE SGANARELLE.

Va, va, suis ton chemin, cajole tes maîtresses', Adresse-leur tes vœux, et fais-leur des caresses; Mais rends-moi mon portrait sans te jouer de moi.

(Elle lui arrache le portrait, et s'enfuit.) SGANARELLE, courant aprèsalle.

Oui, (a crois m'échapper; je l'aurai malgré toi^. SCÈNE VU. - LÉLIE, GROS-RENÉ.

CROS-UENÉ.

Enfin nous y voici. Mais, monsieur, si je l'ose, Je voudrois vous prier de me dire une chose.

LÉLIE.

Hé bien I parle.

GROS-RENÉ.

Avez-vous le diable dans le corps, Pour ne pas succomber à de pareils efforts? Depuis huit jours entiers, avec vos longues traites, Nous sommes à piquer de chiennes, de mazettes^. De qui le train maudit nous a tanl secoués, Que je nï'en sens, pour moi, tous les membres roués; Sans préjudice encor d'un accident bien pire,

' Tak. Ta, pournitiioD cbemiD, cajole tes maîtresses.

' Ici la scène reste vide. Cette faute, qui se renouvelle encore deui fois dant la pièce, a engagé plusieurs éditeurs à la diviser en trois actes. Hais le* mémoires du temps nous apprennent que la scène du monologue, appelée la belle scène, étoit la dix-septième de la pièce; ce qui ne pourroit pas être si U Coeu imaginaire étuit di\isé en trois actes. L'édition de 1682, Taite par La Grange, ca- marade de Molière, ne donne qu'un acte à cette pièce. (Bret.) Neufvillenaine dit ddns ses arguments : c II ne Fut jamais rien vu de si agréable que les postures » de Sganarelle quand il est derrière sa femme; son visage et ses gestes ex priment al » bien sa jalousie, qu'il ne seroit pas nécessaire qu'il parlât pour paroitre le pluf » jaloux de tous les hommes. » Celte remarque est intéressante poir nous, puit> i)ue c'etoit Moiiore qui jouoit le rôle de Sganarelle.

' Va», Nous sommes à piquer des chiennes de mazettes

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SCKiNE Vil. 243

Qui m'afflige un eiiAroil que je ne veux pas dire : Cependant, arrivé, vous sortez bien et beau, Sans prendre de repos, ni manger un morceau

LÉLIE.

Ce grand empressement n'est pas digne de blâme; De l hymen de Célie on alarme mon anie; Tu sais que je l'adore; et je veux être instruit, Avant tout autre soin, de ce funeste bruit.

GUOS-RENÉ.

Oui, mais un bon repas vous seroit nécessaire

Pour s'aller éclaircir, monsieur, de cette affaire;

Et votre cœur, sans doute, en deviendroit plus fort

Pour pouvoir résister aux attaques du sort :

J'en juge par moi-même, et la moindre disgrâce,

Lorsque je suis à jeun, me saisit, me terrasse ;

Mais, quand j'ai bien mangé, mon ame est ferme à tout,

Et les plus grands revers n'en viendroient pas à bout.

Croyez-moi, bourrez-vous, et sans réserve aucune,

Contre les coups que peut vous porter la fortune;

Et, pour fermer chez vous l'entrée à la douleur,

De vingt verres de via entourez votre cœur.

LÉLIE.

Je ne saurois manger.

GROS-RENÉ, bas, à part.

Si ferai bien, je meure*!

(Haut.)

Votre dîner pourtant seroit prêt tout à l'heure.

LÉLIE.

Tais-toi, je le l'ordonne.

GROS-RENÉ.

Ah I quel ordre inhumain I ~

LÉLIE.

J'ai de l'inquiétude et non pas de la faim.

GROS-RENÉ.

Et moi, j'ai de la faim, et de 1 mquiétude

De voir qu'un sot amour fait toute votre étude.

LÉLIE.

Laisse-moi m'informer de l'objet de mes vœux, Et, sans m'importuner, va manger si tu veux.

'Si ferai bien, je meure. Ce qui -veot dire : Oui.' assurément je le ferai 6MI|k Queje meure.' ce dernier verbe par voie d'imprécatioD. (Aimé Uartia.)

14.

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246 LE COCU IMAGINAIRE.

CROS-nCNÉ.

te ne réplique point à ce qu'un maître ordonne.

SCÈNE VIII. - LÉLIE, seul.

Non, non, à trop de peur mon ame s'abandonne;

Le père m'a promis, et la fille a fait voir

Des preuves d'un amour qui*soutient mon espoi'"

SCÈNE IX. — SGANARELLE, LÉLlt.

SCANAR; LLE, sans voir Lélie, et tenant d^os ses mains le portrait.

Nous l'avons, cl je puis voir à l'aise Ja trogne Du malheureux pendard aui cause ma vergogne. Il ne m'est point connu.

LÉUE, à part.

Dieux! qu'aperçois-je ici? Et, si c'est mon portrait, que dois-je croire aussi?

SGANARELLE , sans voir Lélie.

Ah ! pauvre Sganarelie I à quelle destinée Ta réputation est-elle condamnée ! Faut...

(Apercevant Lélie qui le regarde, il se tourne d'un autre cdté.) LÉLIE, à part.

Ce gage ne peut, sans alarmer ma foi Être sorti des mains qui le lenoient de moi.

SGANARELLE, à part.

Faut-il que désormais à deux doigts l'on te montre, Qu'on te mette en chansons, et qu'en toute rencontre On te rejette au nez le scandaleux affront Qu'une femme mal née imprime sur ton front?

LÉLIE, à part.

Me trompé-je?

SGANARELLE, à part.

Ah, truande'! as-tu bien le courage De m'avoir fait cocu dans la fleur de mon âge? Et, femme d'un maii qui peut passer pour beau, Faut-il qu'un marmouset, un maudit étourneau...

LELIE, à part, et regardant encore le portrait que tient SganareliC.

Je ne m'abuse point, c'est mon portrait lui-même.

■ Au moyen ftge on appeloit truands les gens sans aveu, les vagabonds. Ici l«  not truande est pris dins une acception que ta situation iod que sufBsammeot.

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SCÈNL IX. Wï

SGANARELLE lui tourne le dos.

Cet homme est curieux.

LÉLIE, à part.

Ma surprise est extrême!

SGANARELLE, à part

A qui donc en a-t-il?

LÉLIE, à part.

Je le veux accoster.

(Haut.) (Sgaoarelle veut s'éloigner.)'

Puis-je...? Hé! de grâce, un mot.

SGANARELLE, à part, s'éloignant encoM.

Que me veut-il conter?

LÉLIE.

Puis-je obtenir de vous de savoir l'aventure

Qui fait dedans vos mains trouver celle peinture?

SGANARELLE, à part.

D'où lui vient ce désir? Mais je m'avise ici...

(Il examine Lélie et le portrait qu'il tient.)

Ah ! ma foi, me voilà de son trouble éclairci!

Sa surprise à présent n'élonne plus mon ame;

C'est mon homme; ou plutôt, c'est celui de ma femme.

LÉLIE.

Retirez-moi de peine, et dites d'où vous vient...

SGANARELLE.

Nous savons. Dieu merci, le souci qui vous tient.

Ce portrait qui vous fâche est votre ressemblance;

Il étoit en des mains de votre connoissance ;

Et ce n'est pas un fait qui soit secret pour nous

Que les douces ardeurs de la dame et de vous.

Je ne sais pas si j'ai, dans sa galanterie,

L'honneur detre connu de Votre Seigneurie;

Mais faites-moi celui de cesser désormais

Un amour qu'un mari peut trouver fort mauvais,

Et songez que les nœuds du sacré mariage...

LÉLIE.

Quoi! celle, dites-vous, qui conscrvoit ce gage...

SGANAREI.LE.

Est ma femme, et je suis son jnari.

LÉLIE.

Son mari ?

'?6>. Quoi! celle, dites- vc"4, dont voi:st«i-ez ce gage.»

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248 LE COCU IMAGINAIRE.

SGANARELLE.

Oui, son mari, vous dis-je, et mari très marri*; Vous en savez la cause, et je m'en vais l'apprendre Sur l'heure à ses parents.

SCÈNE X. - LÉUE, seul.

Ah! que viens-je d'entendre! On me Tavoit bien dit, et que c'éloit de tous L'homme le plus mal fait qu'elle avoit pour époux. Ah! quand mille serments de ta bouche infidèle Ne m'auroient pas promis une flamme éternelle, Le seul mépris d'un choix si bas et si lionleux Devoit bien soutenir l'intérêt de mes feux. Ingrate! et quelque bien... Mais ce sensible outrage, Se mêlant aux travaux d'un assez long voyage, Me donne tout à coup un clioc si violent, Que mon cœur devient foible, et mon corps chancelant.

SCÈNE XI.— LÉLIE, LA FEMME de sganaiiellb.

hk FEMME DE SGANARELLE se croyanl seule. (Apercevant Lclie.)

Malgré moi, mon perfide... Hélas! quel mal vous presse? Je vous vois prêt, monsieur, à tomber en foiblesse.

LÉUE.

C'est un mal qui m'a pris assez subitement.

LA FEMME DE SGANARELLE.

Je crains ici pour vous l'évanouissement; Entrez dans cette salle, en attendant qu'il passe.

LÉLIE.

Pour un moment ou deux j'accepte cette grâce.

SCÈNE Xn. — SGANARELLE, UN PARENT de la fbhmi

DE SGANARELLE *. LE PARENT.

D'un mari sur ce point j'approuve le souci;

' Marri, fâcliû, chagrin.

' Celle scène, aujouid'iiui presque insigniliante, faisoit beaucoup d'eflet du temps de Molière, giàce à son jeu. c II Taudroit, dit Neufvillenaine, avoir le pin- » ccau de Pous-in, Le Bi un et Uignard, pour vous rt^résenter avec quelle postor*

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SCÈNE XIV. 248

Mais c'est prendre la chèvre* un peu bien vite aussi : Et tout ce que de vcus je viens d'ouïr contre elle Ne conclut point, parent, qu'elle soit criminelle: C'est un pîint délicat; et de pareils foi faits, Sans les bien avérer, ne s'imputent jamais.

SGANARELLE.

C'est-à-dire qu'il faut toucher au doigt la chose.

LE PARENT.

Le trop de promptitude à l'erreur nous expose. Sait-on comme en ses mains ce portrait est venuîi. Et si l'homme, après tout, lui peut être connu? hiformez-vous-en mieux, et, si c'est ce qu'on pense', Nous serons les premiers à punir son offense.

SCÈNE XIII. — SGANARELLE, seul.

On ne peut pas mieux dire I en effet, il est bon D'aller tout doucement. Peut-être, sans raison, Me suis-je en tête mis ces visions cornues*; Et les sueurs au front m'en sont trop tôt venues. Par ce portrait enfin, dont je suis alarmé. Mon déshonneur n'est pas tout à fait confirmé. Tâchons donc par nos soins...

SCÈNE XIV. — SGANARELLE, LA FEMME de sgaxareu.!

nir la porte de sa maison, reconduisant Lélie; LELIE. SGANARELLE, à part, les voyant.

Ahl que vois-je? Je meure I Il n'est plus question de portrait à celte heure; Voici, ma foi, la chose en propre original.

LA FEMME DE SGANARELLE.

C'est par trop vous hâter, monsieur; et votre mal. Si vous sortez si tôt, pourra bien vous reprendre.

» Sganarelle sa fait afimirer dans celle scène... Jamais personne ne sut s; bien de.

> monter son visage; et l'on peut dire que dans ceUe pièce il en cliange plut d« 

> vingt fois. >

• Prendre la chèvre, dans le sens le it fâcher pour peu de chose , comme on dit encîre aujourd'liui prendre la mouche.

• Var. Ou» sait comme en ses mains ce portrait est venu ? •Tar. Informez-voiis-en donc; et, si c'est ce qu'on pense.

« Avoir des visions cornues, c'esl-à-Jire avoir des idc'es chimériques, folles, ridicules. Ce mol, en le parlicularisant dans ta bouclie de Sganarelle, pceuddela litualion même une acception très-comique.

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2S0 LE COCU IMAGINAIRE.

LÉLIE.

Non, non, j ■• vous rends grâce, autant qu'on puisse rendre, Du secours obligeant que vous m'avez prêtée

SGANARELLE, à part.

La masque^ encore après lui fait civililé!

(La femme de Sganarelle rentre dans sa maitoa.!

SCÈNE XV. — SGANARELLE, LÉLIE

SGANARELLE, à part.

Il m'aperçoit; voyons ce qu'il me pourra dire.

LÉLIE, à part.

Ah! mon ame s'émeul, et cet objet m'inspire... Mais je dois condamner cet injuste transport, Et n'imputer mes maux qu'aux rigueurs de mon sorL Envions seulement le bonheur de sa flamme.

(Ed s'approcliant de Sganarelle.)

Ohl trop heureux d'avoir une si belle femme I

SCÈNE XVI — SGANARELLE, CÉLIE, à sa feaéire, Toyaat télU qui s'en va.

SGAKARELLE, seul.

Ce n'est point s'expliquer en termes ambigus- Cet étrange propos me rend aussi confus Que s'il m'eloit venu des cornes à la têtel

(Regardant le colé par où Lélie est sorti.)

Allez, ce procédé n'est point du tout honnête.

CÉLIE, à part, en rentrant.

Quoil Lélie a paru tout à l'heure à mes yeux! Qui pourroit me cacher son retour en ces lieux?

SGANARELLE , sans voir Célie.

Oh! trop heureux d'avoir une si belle femme! Malheureux bien plutôt de lavoir, cette infâme, Dont le coupable feu, trop blet vérifié, Sans respect ni demi nous a cocufié^j Mais je le laisse aller après un tel indice. Et demeure les bras croisés comme un jocrisse! \h I je devois du moins lui jeter son chapeau, Lui ruer quelque pierre, ou crotter son manteau*,

' Var. De Fobligeant secours que vous m'avez prêle.

' C'est-à-dire la friponne, ['hypocrite.

SSoiis respect i4 demi, c'est à-dirc sans respect ni demi-respeci.

  • Oic diroil ce? »ers compesés tout exprès poir nous liire ci uijirendre la diSe-

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SCÈNE XVI. 251

Et sur lui hautement, pour conîonter ma rage, Faire au larron d'Iionnour crier le voisinage'.

{Pendaal le discours de SgaDarclle, Célie s'appiociie peu à peu, et attesd- pour lui parler, que son transport soil fiai.) CÉLIE, à Sga.iarelle.

Celui qui maintenant devers vous est venu, Et qui vous a parlé, d'où vous est-il connu?

sganarellt:. Hélas ! ce n'est pas moi qui le counois, madame : C'est ma femme.

CÉLIE.

Quel trouble agite ainsi votre anieî

SGANAREI.LE.

Ne me condamnez point d'un deuil hors de saison. Et laissez-moi pousser des soupirs à foison.

CÉLIE.

D'où vous peuvent venir ces douleurs non communes?

SGANARELLE.

Si je suis affligé, ce n'est pas pour des prunes*. Et je le donnerois à bien d'autres qu'à moi, De se voir sans chagrin au point où je me voi. Des maris malheureux vous voyez le modèle : On dérobe l'honneur au pauvre Sganarelle; Mais c'est peu que l'honneur dans mon affliction, L'on me dérobe encor la réputation.

rence entre /«rtr et ru«r, et notre misère d'être aujourd'hui réduits exclusive- ment au premier. OnjHoit à quelqu'un son chapeau à bas, mais on li i ruoil UM pierre.

Celte nuance existoit dès l'origine de la langue. Absalon percé par Joab, le* solJats du parti de David décrochent son cadavre de Parbre :

< Pois rutrtnt Absalon en une grant fosse de celé lande, et jetèrent pierres sur lui » (Rots, page 187.). (F. Génin.)

' M. Aimé Martin indique ce passage comme étant itnité du roman de Pranciotu C'est un mari qui parle : < Un jour, dit-il, que je trouvai le galant auprès de ma

> femme, je me contentai de lui dire des injures, et le laissai encore aller sain

> et sauf. Oh I que j'en ai eu de regret, quand j'y ai songé ! Je lui devois jeter

> son chapeau par la fenêtre, ou lui déchirer ses souliers; mais, quoi ! je n'étois

> pas à moi en cet accident, etc. > Scarron et Le Sage ont, comme Molière, fait d'heureux emprunts au vieux roman dont noui venons de parler.

^ Ce n' eit pat pour des prunes. Proverbialement, ce n'est pas pour peu de chose. On rapporte, à propos de cette expression, le conte suivant : On avoit fait présenta Martin Grandin, doyen de Sorbonne, de quelques boites d'excellente* prunes de Gênes, qu'il enferma dans son cabinet ; ses écoliers, ayant trouvé sa clef, firent main basse sur les boîtes. Le docteur, à son retour, U" = sd bruit, et alloit chasser tous ses pensionnaires, si l'un d'eux, tombant à genoax, ne lui eût dit : « Eh ! monsieur, on dira que vous nous avez chassés pour des prunes I > A cer aïois, le bon doyen ne put s' empêcher de rirei at tout fut pardonné. [Bret.J

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252 LE COCU IMAGINAIRE.

CÉLIE.

Comment?

SCANARELIE.

Ce damoiseau, parlant par révérence, Me fait cocu, madame, avec toute licence; Et j'ai su par mes yeux avérer aujourd'hui Le commerce secret de ma femme et de lui.

CÉLIE.

Celui qui maintenaut...

SGANARELLE.

Oui, oui, me déshonore; Il adore ma femme, et ma femme l'adore.

CÉLIE.

Ah 1 j'avois bien jugé que ce secret retour Ke pouvoit me couvrir que quelque lâche tour, Et j'ai tremblé d'abord, en le voyant paroître, Par un pressentiment de ce qui devoit être.

SGANARELLE.

Vous prenez ma défense avec trop de bonté:

Tout le monde n'a pas la même charité;

Et plusieurs qui tantôt ont appris mon martyre,

Bien loin d'y prendre part, n'en ont rien fait que lire.

CÉLIE.

Est-il rien de plus noir que ta lâche action? Et peut-on lui trouver une punition? Dois-tu ne te pas croire indigne de la vie. Après t'êlre souillé de cette perfidie ? ciell est-il possible?

SGANARELLE.

Il est trop vrai pour mœ.

CÉLIE.

Ah, traître! scélérat! ame double et sans foi!

SGANARELLE.

La bonne ame !

CÉLIE.

Non, non, l'enfer n'a point de gên Qui ne soit pour ton crime une trop douce peine.

SGANARELLE.

Que voilà bien parler I

CÉLIE.

Avoir ainsi traité

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SCENE XVII. 2b3

Et la même inHocence el la inémc bonté*!

SGANAliELLE soupire haut.

Hait

CÉLÎE.

Un cœur qui jamais n'a fait la moindre chose A mériter l'affront où ton mépris l'expose f

SGANARELLE.

II est vrai.

CÉLIE.

Qui bien loin... Mais c'est trop, et ce cœur Ne sauroit y songer sans mourir de douleur.

SGANARELLE.

Ne vous fâchez pas tant, ma très chère madame; Mon mal vous louche trop, et vous me percez l'ame.

CÉLIE.

Mais ne t'abuse pas jusqu'à te figurer Qu'à des plaintes sans fruit j'en veuille demeurer : Mon cœur, pour se venger, sait ce qu'il le faul faire, Et j'y cours de ce pas; rien ne m'ea peut distraire.

SCÈNE XVII. — SGANARELLE, seul.

Que le ciel la préserve à jamais de danger I Voyez quelle bonté de vouloir me venger! En effet, son courroux, qu'excite ma disgrâce, M'enseigne hautement ce qu'il faut que je fasse; Et l'on ne doit jamais souffrir sans dire mot De semblables affronts, à moms qu être un vrai soi. Courons donc le chercher, ce pendard qui m'affronte; MoiJrons notre courage à venger notre honte. Vous apprendrez, maroufle, à rire à nos dépens, Et, sans aucun respect, faire cocus les gens.

(Il revieut après avoir fait quelques p3t.|

Doucement, s'il vous plaît! cet homme a bien la mine D'avoir le sang bnuillant el l'ame un peu mutine; Il pourroit bien, liu-llaiit affront dessus affront, Charger de bois moii dos, comme il a fait mon front. Je bais de tout inr.n tœur les esprits colériqiR's, Et porte un giumi amour aux hommes pacifiques;

' Pour rinnocenrt «-/ ta bonté mima'

I. 15

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234 LE COCU IMAGINAIRE.

Je ne suis point battant, de çear d etie battu*,

Et l'humeur débonnaire est ma grande vertu.

i^ais mon honneur me dit que d'une telle offense

Il faut absolument que je prenne vengeance :

Ma f<H, laissons-le dire autant qu'il lui plaira :

Au diantre qui pourtant rien du tout en fera !

Quand j'aurai fait le brave, et qu'un fer, pour ma pein^

M'aura d'un vilain coup transpercé la bedaine.

Que par la ville ira le bruil de mon trépas,

Dites-moi, mon honneur, en serez-vous plus gras?

La bière est un séjour par trop mélancolique,

Et trop malsain pour ceux qui craignent la colique'.

El quant à moi, je trouve, ayant tout compassé,

Qu'il vaut mieux être encor cocu que trépassé.

Quel mal cela fait-il? La jambe en devient-elle

Plus tortue, après tout, et la taille moins bcL«'?

Peste soit qui premier trouva l'invention

De s'affliger l'esprit de cette vision,

Et d'attacher l'honneur de l'homme le plus sage

Aux choses que peut faire une femme volage I

Puisqu'on tient, à bon droit, tout crime personnel,

Que fait là notre honneur pour être criminel?

Des actions d'autrui l'on nous donne le blâme :

Si 008 femmes sans nous ont un comnoerce infâoAy

Il faut que tout le mal tombe sur notre dos :

Elles font la sottise, et nous sommes les sots.

C'est un vilain abus, et les gens de poline

Nous devroienl bien régler une telle injustice.

N'avons-nous pas assez des autres accidents

Qui nous viennent happer en dépit de nos dents?

Les querelles, procès, faim, soif, et maladie,

Troublent-ils pas assez le repos de la vie.

Sans s'aller, de surcroît, aviser sottement

De se faire un chagpn qui n'a nul fondement?

■ Ce vers est devenu proverbe ; Voltaire es * f»it nu précepte daaa «M ^MM et

fers de sa première jeunesse, où il dit :

Et ne sois point batt»:t, de peur d'être batto. (Aa|«t.i

lC«i deax leri losl os* iaittUan d'an ptisag« d« Jeieltt iatttittt, ptr

S«arron.

> Celte scène, ou plutAI les idées qu'elle renrerme ont élé imitéeà par U F«a- Iftine daiu a comédie de ta Ctjpt fitchanteé.

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SCÈNE XVin. 23S

Moquons-nous de cela, méprisons les alarmes, Et niellons sous nos pieds les soupirs el les larnnes. Si ma femme a failli, qu'elle pleure bien fort; Mais pourquoi, moi, pleurer, puisque je n'ai point torlf En tout cas, ce qui peut m'ôter ma fâcherie, C'est que je ne suis pas seul de ma confrérie. Voir cajoler sa femme, et n'en témoigner rien. Se pratique aujourd'hui par force gens de bien. N'alloiTS donc point chercher à faire une querelle Pour un affront qui n'est que pure bagatelle. L'on m'appellera sot de ne me venger pas; Mais je le serois fort, de courir au trépas. (Me'.taot la main sur sa poilrine.)

Je me sens là pourtant remuer une bile

Qui veut me conseiller quelque action virile :

Oui, le courroux me prend; c'est trop être poltron :

Je veux résolument me venger du larron.

Déjà pour commencer, dans l'ardeur qui m'enllamme.

Je vais dire partout au'il couche avec ma femme*.

SCÈNE XVIIl.- GORGIBUS, CÉLIE, LA SUIVANTE de célii.

CÉUE.

Oui, je veux bien subir une si juste loi:

Mon père, disposez de mes vœux et de moi ;

Faites, quand vous voudrez, signer cet hyménc-e :

 suivre mon devoir je suis déterminée;

Je prétends gourmander mes propres senliments,

Et me soumettre en tout à vos commandeineuls.

CORGIBCS.

Ahl voilà qui me plaît, de parler de la sorte. Parbleu! si grande joie à l'heure me transporte. Que mes jambes sur l'heure en caprioleroienlî. Si nous n'étions point vus de gens qui s'en riroient! Approche-toi de moi; viens çà, que je t'embrasse. Une telle action n'a pas mauvaise grâce : Un père, quand il veut, peut sa fille baiser, Sans que l'on ait sujet de s'en scandaliser.

' Comparai avec ce monologue de Sgatirelle celui de Maicarille daot U Diftà •moureuj, acte V, scène 1". •Coprio!*/-, ponr calr )/«r.

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2o6 LE COCU IMAGINAIRE.

Va, le conlenlement de le voir si bien née Me fera rajeunij- de dix fois une année.

SCÈNE XIX. — CÉLIE, LA SUIVANTE de ciin.

LA SUIVANTE.

Ce changement m'étonne.

CÉLIE.

Et loi sque lu sauras Par quels motifs j'agis, tu m'en estimeras. *

LA SUIVANTE,

Cela pourroit bien être.

CIÎLIE.

Apprends donc que Lélie A pu blesser mon cœur par une perfidie; Qu'il étoit en ces lieux sans...

LA SUIVANTE

Mais il vient à nous. SCENE XX. —LÉLIE, CÉLIE, LA SUIVANTE de célie.

LÉLIE.

Avant que pour jamais je m'éloigne de vous,

Je veux vous reprocher au moins en cette place...

CÉLIE.

Quoil me parler encore? Avez-vous cette audace?

LÉLIE.

11 est vrai qu'elle est grande; et votre choix est tel Qu'à vous rien reprocher je serois criminel. Vivez, vivez contente, et bravez ma mémoire Avec le digne époux qui vous comble de gloire.

CÉLIE.

Oui, traître, j'y veux vivre; et mon plus grand désir Ce seroit que ton cœur en eût du déplaisir.

LÉLIE.

Qui rend donc contre moi ce courroux légitime?

CÉLIE.

Quoi I lu fais le surpris, et demandes Ion crime ' ?

•L'usage général doit alors de faire tutoyer les amants. Molière réforma ce! usage. Dans aucune des pièces suivanlei on ne retrouve un exemple srmlilable à celui-ci. (Bret.)

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SCÈNE XXI. 237

SCÈNE XXI. — CÉUE. LÉLIE, SGANARELLE, «méde pied en cap- LA SUIVANTE DE CÉLIE.

SGANARELLE.

Guerre, guorre mortelle à ce larron d'honneur Qui, sans miséricorde, a souillé notre honneurl

CÉLIE, à Lélie, lui montrant Sgaiiarclle.

Tourne, tourne les yeux sans me faire répondre.

LÉLIE.

Ah ! je vois...

CÉLIE.

Cet objet suffit pour te confondre.

LKLIE.

Mais pour vous obliger bien plutôt à rougir.

SGANAKELLE, à part.

Ma colère à présent est en état d'agir;

Dessus ses gran^'s chevaux est monté mon courage;

El si je le rencontre, on verra du carnage.

Oui, j'ai juré sa mort; rien ne peut m'empécher*...

Où je le trouverai, je le veux dépécher.

(Tirant soD épëeàdemi, il approche de Lélie.)

Au beau milieu du cœur il faut que je lui donne...

LÉLIE , R retournant.

A qui donc en veut-on?

SGANARELLE.

Je n'en veux à personne.

LÉLIE.

Pourquoi ces armes-là?

SGANARELLE.

C'est un habillement

(A pari.)

Que j'ai pris pour la pluie. Ah ! quel conlcnlemenl J'aurois à le tuer! Prenons-en le couiage.

LELIE, se retournant encore,

Hai?

SGANARELLE.

Je ne parle pas.

(A part, après s'être donné des scufflels pour s'excitet.)

Ah ! poltron I dont j'enrage, Lâche! vrai cœur de poule!

' Var. Oui, j ai juré sî mort; rien ne peut l'empdcher

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258 LE COCU IMAGINAIRE.

CÉLIE, à lélie.

II t'en doit dire asseï, Cet objet dont tes yeux nous paraissent blessés.

LÉLIE.

Oui, je connois par là que vous êles coupable

De l'infidélité la plus inexcusable

Qui jamais d'un amant puisse outrager la foi.

SGANARELLE, â part.

Que n'ai-je un peu de cœur t

CÉLIE,

Ah I cesse devant moi, Traître, de ce discours l'insolence cruÇlle I

SGANARELLE, à part.

Sganarelle, tu vois qu'elle prend ta querelle : Courage, mon enfant, sois un peu vigoureux. Là, hardi! lâche à faire un effort généreux, En le tuant tandis qu'il tourne le derrière.

LÉLIE, faisaot d««i oii trois pas sans dessein, fait retourner Spaaarelle_ - qui s'approchoit pour le tuer.

Puisqu'un pareil discours émeut votre colère. Je dois de votre cœur me montrer satisfait, Et l'applaudir ici du beau choix qu'il a fait.

CÉLIE.

Oui, oui, moD choix est tel qu'on n'y peut rien reprendre.

LÉLIE.

Allez, vous faites bien de le vouloir défendre.

SGANARELLE.

Sans doute, elle fait bien de défendre mes droits. Cette action, monsieur, n'est point selon les lois: J'ai raison de m'en plaindre; et, si je n'étois sage. On verroit arriver un étrange carnage.

LÉLIE.

D'où vous naît cette plainte, et quel chagrin brutal...?

SGANARELLE.

Suffit. Vous savez bien où le bât me fait mal;

Mais votre conscience et le soin de votre ame

Vous devroiciil mettre aux yeux que ma femme est mafemmeî

Et vouloir, à ma barbe, en faire votre bien.

Que ce n'est pas du tout agir en bon chrétien.

Un seml)lahlo soupçon est bas et ridicule.

I

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SCÈNE XXII. 23»

Allez, dessus ce point n'aycf auitin scrupule :

h sais qu'elle est à vous; et, bien loin de biiiler...

CÉLIE.

Ah I qu'ici tu sais bien, traître, dissimuler!

LÉLIE.

Quoi! me soupçonnez-vous d'avoir une pensée Dont son ame ait sujet de se croire offensée'? De cette lâcheté voulez- vous me noircir?

CÉLIE.

Parle, parle à lui-même, il pourra- t'éelaîrcir,

SGANARELLE, à Célie.

Non, non, vous dites mieux que je ne saurois faire*, Et du biais qu'il faut vous prenez cette affaire.

SCÈNE XXir. — CÉLIE, I.ÉLIE. SGANARELLE, LA FEMME

DE SGANARELLE, LA SUIVANTE DE CÉLIE. LA FEMME DE SGANARELLE.

Je ne suis point d'humeur à vouloir contre vous Faire éclater, madame, un esprit trop jaloux; Mais je ne suis point dupe, et vois ce qui se passe : n est de certains feux de fort mauvaise grâce; Et votre ame devroit prendre un meilleur emploi, Que de séduire un cœur qui doit n'être qu'à moi.

LÉLIE.

La déclaration est assez ingénue.

SGANARELLE, à sa femme.

L'on ne demandoil pas, carogne, ta venue : Tu la viens quereller lorsqu'elle me défend, Et tu trembles de peur qu'on t'ôte ton galant.

CÉLIE.

Allez, ne croyez pas que l'on en ait envie.

(Se lournaDt vers Lélie.)

Tu vois si c'est mensonge ; et j'en suis fort ravie.

LÉLIE.

Que me veut-on conter?

LA SUIVANTE.

Ma 101, je ne sais pas Q<jand on verra finir ce galimatias*

Tar. De qui son ame aii l>tu i\e si- croire oITonsée? • Va». Vous me dciti.dLt iiiicnx i|iic je ne saurois faira.

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260 LE COCU liMAGlNAHlE.

Depuis assez longtemps je tâche à le comprendre', Et si 2, plus je l'écoute, et moins je puis iVnlcndre. Je vois bien à la fin que je m'en dois mêler. (Elle se met entre Lélie et sa maîtresse.)

Répondez-moi par ordre, et me laissez parler.

(A Lélie.)

Vous, qu'est-ce qu'à son cœur peut reprocher le \ôtreV

LÉLIE.

Que l'infidèle a pu me quitter pour un nuire; Et que quand, sur le bruit de son hymen fatal*, J'accours tout transporté d'un amour sans égal, Dont Tardeur résistoit à se croire ouWiée, Mon abord en ces lieux la trouve mariée.

LA SUIVANTE.

Mariée I à qui donc ?

LÉLIE, montrant Sganarelle. Â lui.

LA SUIVANTE.

Comment, à luif

LÉLIE.

Oui-dàl

LA SUIVANTE.

Qui vous l'a dit?

LÉLIE.

C'est lui-même, aujourd'hui

LA SUIVANTE, à Sganarelle.

Est-il vrai?

SGANARFLLE.

Moi? J'ai dit que c'étoit à ma femme Que j'étois marié.

LÉLIE.

Dans un grand trouble d'ame Tantôt de mon portrait je vous ai vu saisi,

SGANAUELLE.

Il est vrai : le voilà.

LÉLIE, à Sganarelle.

Vous m'avez dit aussi

' Tar. Déjà depuis longtemps je tacne a le compreDdft

' Et s't, pour 7iéanmiins, pourtant.

' Var. Que lorsque sur le bruit (*e soij tvmen f>Ul.

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  • iCENE X\1I. 26J

Que celle aux mains de qui vous avrz pris ce gage Éloit liée à vous des nœuds du mariage.

SGANARïïLLE.

(Montrar.l sa femme.)

Sans doule. Et je Favois de ses mains arraché; Et n'eusse pas sans lui découvert son péché.

LA FEMME DE SCANARELLE,

Que me viens-tu conter par la plainte importune? Je l'avois sous mes pieds rencontré par fortune; Et même, quand, après ton injuste courroux,

(MoDtranl Lélie.)

J'ai fait dans sa foihlcsse entrer monsieur chez nous, Je n'ai pas reconnu les traits de sa peinture.

CÉLIE.

C'est moi qui du portrait ai causé l'aventure; Et je l'ai laissé choir en cette pâmoison

(A Sganaielle.)

Qui m'a fait par vos soins remettre à la maison.

LA SUIVANTE.

Vous le voyez, sans moi vous y seriez encore'; Et vous aviez besoin de mon peu d'ellébore.

SCANARELLE, à paît.

Prendrons-nous tout ceci pour de l'argent comptant? Mon front l'a, sur mon ame, eu bien chaude pourtant.

LA FEM.ME DE SGANAUELLE.

Ma crainte toutefois n'est pas trop dissipée.

Et, doux que soit le mal, je crains d'être trompée.

SCANARELLE, à sa femme.

Hél mutuellement, croyons-nous gens de bien; Je risque plus du mien que tu ne fais du lien; Accepte sans façon le parti qu'on propose^.

LA FEMME DE SCANARELLE.

Soit. Mais gare le bois, si j'apprends quelque chose!

' Tar. Vous toyes que sans moi vous y seriez encore.

Celle suivante, qui vient tout éclaircir, est le germe de la scène charmante du Tartuffe, où Dorine, par un éclaircissement du nif me genre, réconcilie Valère avec Marianne. Nous aurons souvent l'occasion de rcmar(|uer que Molière essayoit dans ses petites pièces des conceptions qu'il se propusoit de développer dans les chefs-d'œuvre. (Petilot.)

  • Tar. Accepte sans façon le marché r: on propose.

15.

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262 LE COCU IMAGINAIRE.

CÉLIE, à lélie, après kvoir parlé !)as ensemb'.e.

Ah! dieux! s'il est ainsi, qu'est-ce donc que j'ai fait?

Je dois de mon courroux appréhender l'effet.

Oui, vous croyant sans foi, j'ai pris, pour ma vengeance

Le malheureux secours de mon obéissance;

Et, depuis un moiï ent, mon cœur vient d'accepter

Un hymen que tou^mrs j'eus lieu de rebuter.

J'ai promis à mon père; et ce qui me désole...

Mais je le vois venir.

LIÎLIE.

11 me tiendra parole.

SCÈNE XXm. — GORGIBUS, CÉLIE, LÉLIE, SGANARELLE, LA FEMME de sganareile, LA SUIVANTE de célib.

LÛLIE.

Monsieur, vous me voyez en ces lieux de retour, Brûlant des mêmes feux; et mon ardente amour* Verra, comme je crois, la promesse accomplie Qui me donna l'espoir de l'hymen de Célie.

CORGIGLS,

Monsieur, que je revois en ces lieux de retour. Brûlant des mêmes feux, et dont l'ardenle amour Verra, que vous croyez, la promesse accomplie Qui vous donne l'espoir de l'hymen de Cclie, Très humble serviteur à Voire Seigneurie'^.

LÉLIE.

Quoi ! monsieur, est-ce ainsi qu'on trahit mon espoir?

CORGIBCS.

Oui, monsieur, c'est ainsi que je fais mon devoir : Ma fille en suit les lois.

CÉLIE.

Mon devoir m'intéresse, Mon père, h dégager vers lui votre promesse.

CORCICIS.

Est-ce répondre en fille à mes commandements? Tu te démens bientôt de les bons sentiments !

' Var. Brûlant des mêmes feux; et mon ardent amoar.

• Ces trois rimes féminines ont choqué les commentateurs, qui n'ont pM ▼«  que le t-'oisième vers n'est qu'une moquerie île Gorgibus, qui, après avoir répéta en dérision tout le discours de Lélie, le termine, suivant l'usage de certains espnlS foguenards, en lui fournissant une ( me. (Aimé Martin.)

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SCÈNE XXIV. 265

Pour Valère, tantôt... Mais j'aperçois son père: Il vient assurément pour conclure l'affaire.

SCÈNE XXIV.— VILLEBREQUIN, GORGIBUS, C^LIE, LÉLIE, SGANARELLE, LA FEMME de sganarelle, LA SUIVANTE

DE CELIE.

GORGIBUS.

Qui VOUS amène ici, seigneur Villebrequio?

VILLEBREQDIN.

Un secret important que j'ai su ce matin, Qui rompt absolument ma parole donnée. Mon fils, dont votre fille acceploit l'iiyinénée, Sous des liens cachés trompant les yeux de tous, Vit depuis quatre mois avec Lise eu époux; Et, comme des parents le bien et la naissance M'ôlenl tout le pouvoir de casser l'alliance', Je vous viens...

GORGIBUS.

Brisons là. Si, sans votre congé, Valère votre flls ailleurs s'est engagé, Je ne puis vous celer que ma fille Célie Dès longtemps par moi-même est promise à Léiie; Et que, riche en vertu, son retour aujourd'hui M'empêche d'agréer un autre époux que lui.

VILLEBllEQUIN.

Un tel choix me plaît fort.

LÉLIE.

Et cette juste envie D'un bonheur éternel va couronner ma vie...

GORGIBCS.

Allons choisir le Jour pour se donner la foi.

SCANAUELLE, seul.

A-t-on mieux cru jamais être cocu que moi?

Vous voyez qu'en ce fait la plus forte apparence

Peut jeter dans l'esprit une fausse créance.

De cet excmpic-ci ressouvenez-vous bien;

Et, quand vous verriez tout, ne croyez jamais rien.

'TsA. M'ôtcni tout !c pnuvoir d'en casser TsUianca. SiN DU CO.U iMAGINAIBS.

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DON GARCÏE DE NAVARRE,

ou

LE PRliNCE JALOUX,

COMÉDIE HÉROÏQUE EN CINQ ACTES.

1661.

NOTICE.

Après l'éclatant succès de? Trccieuses, et le succès de fou rire qu'avait obtenu Sganarelle, les adversaires de Molière, forcés de reconnaître sa supériorité, comme auteur comique, lui repro- chèrent de ne pas savoir travailler dans le genre sérieux. « On appelait ainsi, dit la Harpe, un mélange de conversation et d'aventures de roman que la galanterie espagnole avait mis à la mode. » En d'autres termes, ce genre sérieux n'était qu'un genre bâtard, qui n'offrait ni la gaieté de la comédie, ni les émotions du drame. L'essai tenté, dans cette voie nouvelle, par Molière, qui peut-être s'était piqué d'amour-propre et voulait montrer la souplesse de son talent, cet essai, disons-nous, ne fut point heu- reux. Don Garde, joué le 4 février 1661, sur le théâtre du Palais- Royal, fut très-froidement accueilli. Molière en cette circon- stance eut même un double échec. S'étant chargé du principal rôle, celui du prince jaloux, il ne déploya pniut, comme acteur, son talent habituel , et se vit contraint de céder ce rôle à un autre. Du reste, après un très-petit nombre de représentations, il eut le bon esprit de retirer la pièce ; et il ne voulut même pas essayer si la lecture lui serait plus favorable, car cette pièce m fut imprimée qu'après sa mort.

Bon Garde est la contre-partie de Sganarelle. Molière voilul dramatiser la jalousie chez un prince espagnol, après l'avoil t'" diculisée chez un bourgeois de Paris. Mais en méconnaissant le précepte de la Fontaine, Ne forçons point notre talent , il ne pro- duisit qu'une pièce froide et languissante, malgré le charme du

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ACTE I, SCENE 1. 265

caractère d'Elvirc , et la supériorité avec laquelle sont tracées certaines parties du rôle de don Garcie. Après le naufrage de cette comédie héroïque, Molière en sauva quelques épaves, en transportant les vers les plus heureux dans Amphitryon, dans Us Femmes savantes , et principalement dans le Misanthrope. — hoi Garcie est imité d'une comédie italienne de Cicognini, Il Prin- cipe geloso, et d'une comédie héroïque espagnole, Don Garcia de Nivarra.

PERSONNAGES.

DON GARCIE, prince de Navarre, amant de dooe Elvire'.

DONE ELVIRE, princesse de Léon '.

DON ALPHONSE, prince de Lëoa, cru prince de Castille, sous le nom

de don S vive '. DONE IGNÉS, comtesse, amante de don S^lve, aimce par Uauregal,

usurpateur de l'Étal de Léon. ÉLISE, confidente de done Elvjre*. DON ALVAB, confident de don Garcie, amant d'Élise. DON LOPB, autre contidenl de don Garcie, amant d'Élise. DON PÈDRB, écuyer d'Ignés. UN PAGE de iiSe Elvire.

La Këne eM dans Astorgue , ville d'Espagne, dans le rojaume de Léon.

SCÈNE I. — DONE ELVIRE, ÉLISE-

DONE ELVIRE.

NoD, ce n'est point un choix qui, pour ces deux amants,

Sut régler de mon cœur les secrels sentiments;

Et le prince n'a point, dans tout ce qu'il peut être,

Ce qui fll préférer Tamour qu'il faitparoître.

Don Sylve, comme lui, fit briller à mes yeux

Toutes les qualités d'un héros glorieux :

Même éclat de vertus, joint à même naissance,

Me parioit en tous deux pour cette préférence;

Et je serois encore à nommer le vainqueur,

Actaorsdela troupe ae Moiiere : • Molière — ' Mademoiselle DurA&c.'—

  • L& Okange. — <^UademoiselIe Bejakt.

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2m DON GARCIE DE NAVAHRE.

Si le méiite seul prenoit droil sur un cœur; Mais ces chaînes du ciel qui tombent sur nos amea Décidèrent en moi le destin de leurs flammes; Et toute mon estime, égale entre les deux, Laissa vers don Garcie entraîner tous mes vœux.

ÉLISE.

Cet amour que pour lui votre astre vous inspire N'a sur vos actions pris que bien peu d'empire, Puisque nos yeux, madame, ont pu longtemps douter Qui de ces deux amants vous vouliez mieux traiter.

DONE ELVIIIE.

De ces fiobles rivaux l'amoureuse poursuite

à de fâcheux combats, Élise, m'a réduite.

Quand je regardois l'un, rien ne me roprochoit

Le tendre mouvement où mon ame penchoit;

Mais je me l'imputois à beaucoup d'injustice,

Quand de l'autre à mes yeux s'offroit le saciifice :

Et don Sylve, après tout, dans ses soins amoureux,

Me sembloit mériter un destin plus heureus.

Je m'opposois encor ce qu'au sang de Castille

Du feu roi de Léon semble devoir la fille;

Et la longue amitié qui, d'un étroit lien,

Joignit les intérêts de son père et du mien.

Ainsi, plus dans mon ame un autre prenoit place,

Plus de tous ses respects je plaignois la disgrâce :

Ma pitié, complaisante à ses brûlants soupirs.

D'un dehors favorable amusoit ses désirs,

El vouloit réparer, par ce foible avantage.

Ce qu'au fond de mon cœur je lui faisois d'outrage.

ÉUSE.

Mais son premier amour, que vous avez appris.

Doit de cette contrainte affranchir vos esprits;

Et, puisque avant ces soins, où pour vous il s'engage^

Done Ignés de son cœur avoit reçu l'hommage,

Et que, par des liens aussi fermes que doux,

L'amitié vous unit, cette comtesse et vous.

Son secret révélé vous est une matière

A donner à vos vœux liberté tout entière;

Et vous pouvez sans crainte, à cet amant confui,

D'un devoir d'amitié couvrir tous vos refus.

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ACTE I, SCENE L 207

DO>E ELYIRE.

Il est vrai que j'ai lieu de chérir la nouvelle Qui m'apprit que don Sylve étoit un infidèle, Puisque par ses ardeurs mon cœur tyrannisé Contre elles à présent se voit autorisé; Qu'il en peut justement combattre les hommages, Et, sans scrupule, ailleurs donner tous ses suffrage». Mais enfin quelle joie en peut prendre ce cœur. Si d'une autre contrainte il souffre la rigueur; Si d'un prince jaloux réiornclle foiblesse Beçoil indignement les soins de ma tendresse. Et semble préparer, dans mon juste courrons. Un éclat à briser tout commerce entre nous?

ÉLISE.

Mais si de votre bouche il n'a point su sa gloire. Est-ce un crime pour lui que de n'oser la croire? Et ce qui d'un rival a pu flatter les feux L'aulorise-t-il pas à douter de vos vœux?

DONE ELVIRE.

Non, non, de cette sombre et lâche jalousie l'ien ne peut excuser l'étrange frénésie; Et, par mes actions, je l'ai trop informé Qu'il peut bien se flatter du bonheur d'être aimé. Sans employer la langue, il est des interprèles Qui parlent clairement des atteintes secrètes. Un soupir, un logard, une simple rougeur. Un silence est assez pour expliquer un cœur. Tout parle dans l'amour; et, sur celte matière. Le moindre jour doit être une grande lumière, Puisque chez notre sexe, où l'honneur est puissant On ne montre jamais tout ce que l'on ressent. J'ai voulu, je l'avoue, ajuster ma conduite. Et voir d'un œil égal l'un et l'autre mérite: Mais que contre ses vœux on combat vainemeut, Et que la différence est connue aisément De toutes ces faveurs qu'on fait avec élude, A celles où du cœur fait pencher l'habitudel Dans les unes toujours on paroît se forcer; Mais les autres, hélas! se font sans y penser: Semblables à ces eaux si pures el si belles, Qui coulent sans effort des sources naturelle».

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268

DON GARCIE DE NAVARRE.

I

Ma pilié pour don Sylve avoit beau l'émouvoir, J'en Irahissois les soins sans m'en apercevoir; Et mes regards au prince, en un pareil martyre, En disoient toujours plus que je c'en voulois dire.

ÉLISE.

Enfin, si les soupçons de cet illustre amant.

Puisque vous le voulez, n'ont point de fondement,

Pour le moins font-ils foi d'une ame bien atteinte.

Et d'autres chériroient ce qui fait votre plainte.

De jaloux mouvements doivent être odieux.

S'ils partent d'u>i amour qui déplaise à nos yeux :

Mais tout ce qu'un amant nous peut montrer d'alarmes

Doit, lorsque nous l'aimons, avoir pour nous des charmt

C'est par là que son feu se peut mieux exprimer;

Et, plus il est jaloux, plus nous devons l'aimer.

Ainsi, puisqu'en votre ame un prince magnanime .,

DONE ELVIRE.

Ah ! ne m'avancer point cette étrange maxime! Partout la jalousie est un monstre odieui : Rien n'en peut adoucir les traits injurieux; Et, plus l'amour est cher qui lui donne naissance, Plus on doit ressentir les coups de celle offense. Voir un prince emporté, qui perd à tous moments Le respect que l'amour inspire aux vrais amants; Qui, dans les soins jaloux où son ame se noie. Querelle également mon chagrin et ma joie, Et dans tous mes regards ne peut rien remarquer Qu'en faveur d'un rival il ne veuille expliquer' I Non, non, par ces soupçons je suis trop offeusée, Et sans déguisement je te dis ma pensée. Le prince don Garcie est cher à mes désirs; Il peut d'un cœur illuslre échauffer les soupirs; Au milieu de Léon on a \u son courage Me donner de sa flamme un noble témoignage. Braver en ma faveur des périls les plus grands, M'eulever aux desseins de nos lâches. tyrans, Et, dans ces murs foicés, melire ma destinée A couvert des horreur» d'un indigne hyménée;

' Molière a exprime la même pensée, mais d'une man)ere touv, nouvcdia iBDt hs Ffjjieux, acte II, sreae IV.

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ACTE !, SCÈ^E I. 269

Et je ne cèle poir.t que j'aurois de reiinui

Que la gloire en fût due à quelque auhe qu'à lui;

Car un cœur amoureux prend un plaisir extrême

A se voir redevable, Élise, à ce qu'il aime;

Et sa flamme timide ose mieux éclater

Lorsqu'en favorisant elle croit s'acquitter.

Oui, j'aime qu'un secours qui hasarde sa tête

Semble à sa passion donner droit de conquête;

J'aime que mon péril m'ait jetée en ses mains;

Et si les bruits communs ne sont pas des bruits vains,

Si la bonté du ciel nous ramène mon frère,

Les vœux les plus ardents que mon cœur puisse faire.

C'est que son bras encor sur un perfide sang

Puisse aider à ce frère à reprendre son rang.

Et, par d'heureux succès d'une haute vaillance,

Mériter tous les soins de sa reconnoissanrc :

Mais, avec tout cela, s'il pousse mon courroux,

S'il ne purge ses feux de leurs transports jaloux,

Et ne les range aux lois que je lui veux piescrire,

C'est inutilement qu'il prétend done lîlvire :

L'hymen ne peut nous joindre, et j'abhorre des nœuds

Qui deviendroient sans doute un enfer pour tous deux,

ÉLISE.

Bien que ron pOl avoir des sentiments tout autres, C'est au prince, madame, à se régler aux vôtres; Et dans voire billet ils sont si bien marqués, Que quand il les verra de la sorte expliqués...

DONE ELVIRE.

Je n'y veux point, Élise, employer cette lettre;

C'est un soin qu'à ma bouche il me vaut mieux commettre.

La faveur d'un écrit laisse aux mains d'un amant

Des témoins trop constants de notre aliachement :

Ainsi donc empêchez qu'au prince on ne la livre.

ÉLISE.

Toutes vos volontés sont des lois qu'on doit suivre.

J'admire cependant que le ciel ait jeté

Dans le goût des esprits tant de diversité,

El que ce que les uns regardent comme outrage

Soit vu par d'autres yeux sous un autre visage.

Pour moi, je trouverois mon sort tout à fait doux,

Si j'avois un amant qui pût être Jalous;

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270

DON GARCIE DE NAVARRE.

ip '^anrois ni'applaudir de son inquiétude;

K( ce qui pour mon ame est souvent un peu rude,

CVï-l de voir don Alvar le prendre aucun souci.

DO^E ELVIRE.

Nous ne le croyions pas si proche; le \oici.

SCÈNE II. — DONE ELVIRE, DON ALVAR, ÉLISR.

DONE ELVIRE.

Votre retour surprend : qu'avcz-vous à m'apprcndre? Don Alphonse vient-il? A-t-on lieu de l'attendre?

DON ALVAR.

Oui, madame; et ce frère en Casiille élevé

De rentrer dans ses droits voit le temps arrivé.

Jusqu'ici don Louis, qui vit à sa prudence

Par le feu roi mourant conimetlre son enfance,

A caché ses deslins aux yeux de tout l'État,

Pour lôtcr aux fureurs du traître Mauregat;

Et, bien que le lyran, depuis sa lâche audace,

L'ait souvent demandé pour lui rendre sa place,

Jamais son zèle ardent n'a pris de sûreté

A l'appât dangereux de sa fausse équité :

Mais, les peuples omus par celle \ioIence

Que vous a voulu faire une injuste puissance.

Ce généreux vieillard a cru qu'il éloil temps

D'éprouver le succès d'un espoir de vingt ans:

Il a tenlé Léon, et ses fidèles trames

Des grands, comme du peuple, ont pratiqué les âmes

Tandis que la Casiille arnioit dix mille bras

Pour redonner ce prince aux vœux de ses États;

Il fait auparavant semer sa renommée,

Et ne veut le montrer qu'en tète d'une armée.

Que tout prêt à lancer le foudre punisseur^

Sous qui doit succomber un lâche ravisseur.

On investit Léon, et don Sylve en personne

Commande le secours que son père vous donne.

DONE ELVIRE.

Un secours si puissant doit Halter notre espoir;

' Punisseur, met du seizième siècle employé au»si par Corneille «t pocr 1*4 •ière fois par J. J. Roussotu,

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ACTE I, SCENE III. 274

Mais je crains que mon frère y puisse trop devoir.

DON ALVAU.

Mais, madame, admirez que, malgré la lempèle Que voire usurpateur oil' gronder sur sa (été, Tous les bruits de Léon annoncent pour cei taia Qu'à la comtesse Ignés il va donner la maia.

DONC ELVIRE.

n cherche dans l'hymen de cette illustre fille Lnppui du grand crédit où se voit sa famille; Je ne reçois rien d'elle, et j'en suis en souci. Mais son cœur au tyran fut toujours endurci.

ÉLISE.

De trop puissants motifs d'honneur et de tendresse Opposent ses refus aux nœuds dont on la presse, Pour...

DON ALVAR.

Le prince entre ici,

SCÈNE III. - DON GARCIE. DONE ELVIRE, DON ALVAR, ÉLISE.

DON GARCIE.

Je viens m'intéresser, Madame, au doux espoir qu'il vous vient d'annoncer. Ce frère, qui menace un tyran plein de trimes, Flatte de mon amour les transports légitimes. Son sort offie à mon bras des périls glorieux Dont je puis faire liommngc à l'éclat do vos ycus, El par eux m'acquci ir, si le ciel m'est propice, La gloire d'un revers que vous doit sa justice, Qui va faire à os pieds choir l'uifidelilé, Il rendre à voire sang loulo sa dignité. Mais ce qui plus me plail dune allenle si chère. C'est que, pour être roi, le ciel vous lend ce frère; Et (juainsi mon amour peut éclater au moins Sans qu à d'autres moliîs on impute ses soins, Et qu'il soit soupçonné que dans votre personne Il cherche à me gagner les droits d'une couronne. Oui, tout mon cœur voudroit montrer aux yeux de fous

' l'emploi du verbe ouir à l'ialicatif préseat ae se rencontre plat iftiê Mo Uère.

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272 DON GARCIE DE NAVARRE.

Qu'il ne regarde en vous autre chose que vous;

Et cent fois, si je puis le dire sans offense,

Ses vœux se sont armés contre votre naissance;

Leur chaleur indiscrète a d un destin plus bas

Souhaité le partage à vos divins appas;

Afin que de ce cœur le noble saci ifice

Pût du ciel envers vous réparer l'injustice,

Et votre sort tenir des mains de mon amour

Tout ce qu'il doit au sang dont vous tenez le jour*.

Mais puisque enfin les cieux, de tout ce juste hommage,

A mes feux prévenus dérobent l'avantage,

Trouvez bon que ces feux prennent un peu d'espoir

Sur la mort que mon bras s'apprête à faire voir,

Et qu'ils osent briguer, par d'illustres services,

D'un frère et d'un État les suffiages propices.

DO>E ELVIRE.

Je sais que vous pouvez, prince, en vengeant nos droite Faire pour votre amour parler cent beaux exploits : Mais ce n'est pas assez, pour le prix qu'il espère, Que l'aveu d'un État et la faveur d'un frère. Done Elvire n'est pas au bout de cet effort, Et je vous vois à vaincre un obstacle plus fort.

DON CARCIE.

Oui, madame, j'entends ce que vous voulez dire.

Je sais bien que pour vous mon cœur en vain soupire ^

El l'obstacle puissant qui s'oppose à mes feux,

Sans que vous le nommiez, n'est pas secret pour eux.

DONE ELVIRE.

Souvent on entend mal ce qu'on croit bien entendre;

Et pur trop de chaleur, prince, on se peut méprendre.

Mais, puisqu'il faut parler, desirez-vous savoir

Quand vous pourrez me plaire, et prendre quelque espoir?

DON GARCIE.

Ce me sera, madame, une faveur extrême.

DONE ELVIRE.

Quand vous saurez m'aimer comme il faut que l'on aime,

DON GARCIE.

Eh! que peut-on, hélas! observer sour. les cieux

' Une p3rtn des idées (xprimées tl^uis celte ecèce ont eU' reporlcci ilSM k MisanthrcpCf acte IV, scène lll

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ACTE I. SCÈNE lU. 273

Qui ne cède à l'ardeur que m'inspirent vos yeus?

DONE EIAIRE.

Quand voire passion ne fera rien paroître Donl se puisse indigner celle qui Ta fait naître.

DON CAKCIE.

C'est là son plus grand soin.

DONE ELVIRE.

Quand tous ses mouM'mcii^" Ne prendront point de moi de trop bas sentiments.

DON GARCIE.

Us vous révèrent trop.

DONE ELVIRE.

Quand d'un injuste ombrage Votre raison saura me réparer l'outrage, Et que vous banniièz enfin ce monstre affreux, Qui de son noir venin empoisonne vos feux, Cette jalouse humeur dont l'importun caprice Aux vœux que vous m'offrez rend un mauvais office, S'oppose à leur attente, et contre eux, à tous coups, Arme les mouvements de mon ju«te courroux.

•^ON GARCIE.

Ah 1 madame, il est vrai, quelque effort que je fasse,

Qu'un pei' de jalousie en mon cœur trouve place,

Kt qu'un rival, absent de vos divins appas',

Au repos de ce cœur vient livrer des combats.

Soit caprice ou raison, j'ai toujours la croyance

Que votre ame en ces lieux souffre de son ab euce,

El que, malgré mes soins, vos soupirs amoureux

Vont trou\èr à tous coups ce rival trop lieureuï

Mais si de lels soupçons ont de quoi vous déplaire,

Il vous est bien facile, hélas! de m'y soustraire;

Et leur bannissement, dont j'accepte la loi,

Dépend bien plus de vous qu'il ne dépend de moi.

Oui, c'est vous qui pouvez, par deux mots pleins de flamme,

Contre la jalousie armer toute mon ame.

Et, des pleines clartés d'un glorieux espoir,

Dissiper les horreurs que ce monstre y fait choir.

Daignez donc éluuKer le doute qui m'accable,

Et faites qu'un aveu d'une bouche adorable

I c'est UD latiB-sioe : aoetit av. (F. SeDi*.)

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S74 DON GARCIE DE NAVARRE.

Me donne l'assurance, au fort de tant d'assauts, Que je ne puis trouver dans le peu que je vaux.

DOXE ELVIUE.

Prince, de vos soupçons la tyrannie est grande : Au moindre mot qu'il dit, un cœur veut qu'on l'en Et n'aime pas ces feux dont l'imporlunité Demande qu'on s'explique avec tant de clarté. Le premier mouNement qui découvre notre ame Doit d'un amant discret satisfaire la flamme; Et c'est à s'en dédire autoriser nos vœux, Que vouloir plus avant pousser de tels aveux. Je ne dis point quel choix, s'il m'étî)it volontaire. Entre don Sylve et vous mon ame pourroit faire; Mais vouloir vous contraindre à n'être point jalout Auroit dit quelque chose à tout autre que vous; Et je croyois cet ordre un assez doux langage Pour n'avoir pas besoin d'en dire davantage, Cependant votre amour n'est pas encor content; 11 demande un aveu qui soit plus éclatant; Pour l'ôler de scrupule, il me faut à vous-même, En des termes exprès, dire que je vous aime; Et peut-être qu'encor, pour vous en assurer, Vous vous obstineriez à m'en faire jurer.

DON GARCIE.

lié bieni madame, hé bien! je suis trop téméraire De tout ce qui vous plaît je dois me satisfaire Je ne demande point de plus grande clarté; Je crois que vous avez pour moi quelque bonté. Que d'un peu de pitié mon feu vous sollicite, Et je me vois heureux plus que je ne mérite. C'en est fait, je renonce à mes soupçons jaloux; L'arrêt qui les condamne est un arrêt bien doux, Et je reçois la loi qu'il daigne me prescrire, Pour affranchir mon cœur de leur injuste empire.

DONE ELVIRE.

Vous promettez beaucoup, prince; et je doute fort Si vous pourrez sur vous faire ce grand effort.

DON GARCIE.

Ah I madame, il suffit, pour me rendre croyable, Que ce qu'on vous promet doit être inviolable; ' : nue riieur d'obéir à sa divinité

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ACTE I, SCÈNE V.

Ouvre aux plus grands efforts trop de facilité. Que le ciel me déclare une éternelle guerre. Que je tombe à vos pieds d'un éclat de tonnerre; Ou, pour périr encor par de plus rudes coups, Puissé-je voir sur moi fondie votre courroux, Si jamais mon amour descend à la foiblesse De manquer au devoir d'une telle promesse; Si jamais dans mon ame aucun jaloux transport Fait...

SCÈNE ly. - DOiNE ELVIRE, DON GARCIE, DON ALVAR,

ÉLISE, CN PAGE, présentant un billet à donc Elvire. DONE ELVIRE.

J'en élois en peine, et lu m'obliges fort. Que le courrier attende.

SCÈNE V. — DONE ELVIRE, DON GARCIE, DON ALVAR,

ELISE.

DONE ELVIRE, bas, à part.

A ces regards qu'il jette, Vois-je pas que déjà cet écrit l'inquiète? Prodigieux effet de son tempérament!

(haut.)

Qui vous arrête, prince, au milieu du serment?

DON GARCIE.

J'ai cru que vous aviez quelque secret ensemble, Et je ne voulois pas l'interrompre.

DONE ELVIRE.

Il me semble Que vous me répondez d'un ton fort altéré. Je VOUS VOIS tout à coup le visage égaré. <

Ce changement soudain a lieu de me surprendre : D'où peut-il provenir? le pourroil-on apprendre?

DON GARCIE.

D'un mal qui tout à coup vient d'attaquer mou coeur.

DONE ELVIRE.

Souvent plus qu'on ne croit ces maux ont de rigueur, Et quelque prompt secours vous seroil nécessaire. Mais encor, dites-moi, vous pieod-il d'ordinaire ?

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276 DON GARCIE DE NAVARRE.

DON GARCIE.

Parfois,

DONF ELVIRE.

Ah ! prince foible I Hé bien ! par cet écrit, Guérissez-le, ce mal; il n'est que dans l'esprit.

DON GARCIE.

Par cet écrit, madame? Ah! ma main le refuse! Je vois votre peusée, et de quoi l'on m'accuse. Si...

DONE ELVIRE.

Lisez-le, vous dls-je, et satisfaites-vous.

DON GARCif.

Pour me traiter après de foible, de jaloux ? Non, non. Je dois ici vous rendre tôiuoignage Qu'à mon cœur cet écrit n'a point donné d'ombrage; Et, bien que vos bontés m'en laissent le pouvoir, Pour me justifier je ue veux point le voir.

DONE ELVIRE.

Si vous vous obstinez à cette résistance, J'aurois tort de vouloir vous faire violence; Et c'est assez enfin de vous avoir pressé De voir de quelle main ce billet m'est tracé.

DON GARCIE.

Ma volonté toujours vous doit élre soumise : Si c'est votre plaisir que pour vous je le lise. Je consens volontiers à prendre cet emploi.

DONE ELVIRE.

Oui, oui, prince, tenez, vous le lirez pour nuM

DON GARCIE.

C'est pour vous obéir, au moins; et je puis dire...

DONE ELVIRE.

C'est ce que vous voudrez : dépêchez-vous de lire.

DON GARCIE.

n est de done Ignés, à ce que je connoi.

DONE ELVIRE.

Oui. Je m'en réjouis et pour vous et pour moi.

DON GARCIE, lit.

« Malgré l'effort d'un long mépris, • le tyran toujours m'aime; et, depuis votre absence » Vers moi, pour me porter au dessein qu'il a pris.

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ACTE I, SCÈNE V. 277

» II semble avoir tourné toute sa violence, » Dont il poursuivoil Talliauce » De vous et de son fils. » Ceux qui sur moi peuvent avoir empire, • Par de lâches motifs qu'un faux honneur inspire,

') Approuvent tous cet indigne lien. » J'ignore encor par où finira mon martyre ; D Mais je mourrai plutôt que de consentir rien. M Fuissiez-vous jouir, belle Elvire, » D'un destin plus doux que le mien!

DONC ICNÈS. »

Dans la haute vertu son ame est affermie.

DONE ELVIKE.

Je vais faire réponse à cette illustre amie.

Cependant apprenez, prince, à vous mieux armer *

Contre ce qui prend droit de vous trop alarmer.

J'ai calmé votre trouble avec cette lumière,

Et la chose a passé d'une douce manière ;

Mais, à n'en point mentir, il suroit des moments

Où je pourrois entrer dans d'autres sentiments.

DON G.VUCIE.

Hé quoil vous croyez donc...?

DONE ELVIRE.

Je crois ce qu'il faut croira Adieu. De mes avis conservez la mémoire ; Et s'il est vrai pour moi que votre amour soit grand^ Donnez-en à mon cœur les preuves qu'il prétend.

DON GARCIE.

Croyez que désormais c'est toute mon envie, El qu'avant qu'y wançiuer je veux perdre la via<

FIS tu PRïmCH A-IE.

LU

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278 DOiN GARCIE DE NAVARRE.

ACTE SECOND.

SCENE I. — ELISE, DON LOPE.

ÉLISE.

Tout ce que fait le prince, à parler francliement, N'est pas ce qui me donne un j^rand étonnement; Car que d'un noble amour une ame'bien saisie En pousse les transports jusqu'à la jalousie.. Que de doutes fréquents ses vœux soient traversés, Il est fort naturel, et je l'approuve assez : Mais ce qui me surprend, don i>ope, c'est d'entendre Que vous lui préparez les soupçons qu'il doit prendre, Que votre ame les forme, et qu'il n'est en ces lieux Fâcheux que par vos soins, jaloux que par vos yeux. Encore un coup, don Lope, une ame bien éprise, Des soupçons qu'elle prend ne me rend point surprise; Mais qu'on ait sans amour tous les soins d'un jaloux, C'est une nouveauté qui n'appartient qu'à vous.

DON LOPE.

Que sur cette conduite à son aise Ton glose, Chacun règle la sienne au but qu'il se propose; Et, rebuté par vous des soins de mon amour. Je songe auprès du prince à bien faire ma cour.

ÉLISE.

Mais savez-vous qu'enfin il fera mal la sienne,

S'il faut qu'en cette humeur votre esprit l'eulrelienne?

. DOiN LOPE.

Et quand, charmante Élise, a-t-on vu, s'il vous plaît,

Qu'on cherche auprès des grands aue son propre inlérètl

Qu'un parfait courtisan veuille charger leur suite

D'un censeur des défauts qu'on trouve en leur conduite,

Et s'aille inquiéter si son discours leur nuit.

Pourvu que sa fortune eu tire quelque fruit?

Tout ce qu'on fait ne va qu'à se mettre en leur grâce;

Par la plus courte voie on y cherche une place ;

Et les plus prompts moyens de gagner leur faveur,

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ACTE II, SCÈNE I. 279

C'est de (laUer toujours le foible de leur cœur, D'applaudir en aveugle à ce qu'ils veulent faire, Et n'appuyer jamais ce qui peut leur déplairt i C'est là le vrai secret d'être bien auprès d'eus. Les utiles conseils font passer pour fâcheux, Et vous laissent toujours liorsde la confidence, Où vous jette d'abord l'adroite complaisance. Enfin, on voit partout que l'art des courtisans Ne (end qu'à profiter des foiblesses des grands, A nourrir leurs erreurs, et jamais dans leur ame Ne porter les avis des choses qu'on y blâme.

ÉLISE.

Ces maximes un temps leur peuvent succéder;

Mais il est dos revers qu'on doit appréhender;

Et dans l'esprit des grands, qu'on lâche de surprendre,

Un rayon de lumière à la fin peut descendre.

Qui sur tous ces flatteurs venge équilablcmcnt

Ce qu'a fait à leur gloire un long aveuglement.

Cependant je dirai que votre ame s'cxp'ique

Un peu bien librement sur votre politique;

Et ces nobles motifs, au prince rapportés,

Serviroient assez mal vos assiduités.

DON LOPE.

Outre que je pourrois désavouer sans blâme

Ces libres vérités sur quoi s'ouvre mon ame,

Je sais fort bien qu'Élise a l'esprit trop discret

Pour aller divulguer cet entretien secret.

Qu'ai-je dit, après tout, que sans moi Ton ne <:ach8?

Et dans mon procédé que faut-il que je cache?

On peut craindre une chute avec quelque raison,

Quand on met en usage ou ruse ou trahison;

Mais qu'ai-je à redouter, moi qui partout n'avance

Que les soins approuvés d'un peu de complaisance,

El qui suis seulement par d'utiles leçons

La pente qu'a le prince à de jaloux soupçons?

Son ame semble en vivre, el je mets mon étude

A lrou\er des raisons à son inquiétude,

A voir de tous côtés s'il ne se passe rien

A fournir le sujet d'un secret entretien;

Et quand je puis venir, enflé d'une nouvelle,

Donner à son repos une atteinte mortelle,

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280 DON GARCIE DE NAVARRE.

C'est lors que plus il m'aime ; et je vois sa raison D'une audieine avide' avaler ce poison, Et m'en remercier comme d'une victoire Qui combleroit ses jours de bonheur et de gloire. Mais mon rival paroît, je vous laisse tous deux ; Et, bien que je renonce à l'espoir de vos vœux, J'aurois un peu de peine à voir qu'en ma présence Il reçût des effets de quelque préférence; Et je veux, si je puis, m'épargner ce souci.

ÉLISE.

Tout amant de bon sens en doit user ainsi.

SCÈNE II. — DON ALVAR, ÉLISE.

DON ALVAR.

Enfin nous apprenons que le roi de Navarre Pour les désirs du prince aujourd'hui se déclare. Et qu'un nouveau renfort de troupes nous attend Pour le fameux service où son amour prétend. Je suis surpiis, pour moi, qu'avec tant de vitesse On ait fait avancer... Mais...

SCÈNE III. — DON GARCIE, ÉLISE, DON ALVAR.

DON GARCIE.

Que fait la princesse?

ÉLISE.

Quelques lettres, seigneur; je !e présume ainsi. Mais elle va savoir que vous êtes ici.

DON GARCIE.

J'attendrai qu'elle ait fait.

SCÈNE IV. — DON GARCIE. muL

Près de souffrir sa vue," D'un trouble tout nouveau je me sens l'ame émue; Et la crainte, mêlée à mon ressentiment, Jette par tout mon corps un soudain tremblement.

' Celle expression aétéjustemcnl Llftmée. Molière, enreniplovant, pensait peut- être au densum humeris bibit aure vultjus ; mai?, comme le dit avec raison M. GéDiD, le fraoçaii ne soiiiïre pas l'imaA? d'un homme ^ui a^ale par l'oreilSe.

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ACTE II, SCÈNE IV.

Prince, prends garde au moins qu'un aveugle caprice

Ne le conduise ici dans quelque précipice,

Et que de Ion esprit les désordres puissants

Ne donnent un peu trop au rapport de tes sens :

Consulte la raison, prends sa clarté pour guide;

Vois si de tes soupçons l'apparence est solide :

Ne dérnens pas leur voix; mais aussi garde bien

Que, pour les croire trop, ils ne t'imposent rien,

Qu'à tes premiers transports ils n'osent trop permettre;

Et relis posément cette moitié de lettre.

Ah I qu'est-ce que mon cœur, trop digne de pitié,

Ne voudroit pas donner pour son autre moitié?

Mais, après tout, que dis-je^ Il suffit bien de l'une,

Et n'en voilà que trop pour voir mon infortune.

» Quoique votre rival..,

u Vous devez toutefois vous...

» Et \ous avez en vous à...

» L'obstacle le plus grand....

» Je chéris tendrement ce... » Pour me tirer des mains de... » Son amour, ses devoirs... » Mais il m'est odieux avec.

» Otez donc à vos feux ce... » Méiilez les regards que l'on... » Et lorsqu'on vous oblige... » Ne vous obstinez point à'...

Oui, mon sort par ces mo!s est assez cclairci ; Son cœur, comme sa main, se fait connoitre ici; Et les sens imparfaits de cet écrit funeste, Pour s'expliquer à moi n'ont pas besoin du resta, Toutefois, dans l'abord agissons doucement. Couvrons à l'infiiléle un vif ressentiment; Et, de ce que je tiens ne donnant point d'indice, Confondons son esprit par son propre artifice.

'La méprise fondée sur celle moitié de leltre a clé eriplojce d'une nuiiièro Uèt-heureuse par Vollaire dans le conte de Zadig. (Pctilot )

16.

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K2 DON GARCIE DE NAVARRE.

La voici. Ma raison, renferme mes transports, El rends-loi pour un temps maîtresse du dehors.

SCÈNE V. — DONE ÉLVIRE, DON GARCIB.

DONE ELVIRE.

Vous avez bien voulu que je vous fisse attendre ?

DON GARCIE, bas, à part.

Âh! qu'elle cache bien...

DONE ELVIRE.

On vient ds nous apprendre Que le roi votre père approuve vos projets, Et veut bien que son Ois nous rende nos sujets; Et mon ".me en a pris une allégresse extrême.

DON GARCIE.

Oui, madame, et mon cœur s'en réjouit de même, liais...

DONE ELVIRE.

Le tyran sans doute aura peine à parer Les foudres que partout il entend murmurer; Et j'ose me tlaller que le morne courage Qui put bien me soustraire à sa brutale rage. Et, dans les murs d'Aslorgue arraché de ses main». Me faire un sûr asile à braver ses desseins. Pourra, de tout Léon achevant la conquête, Sous ses nobles efforts faire choir cette tête.

DON GARCIE.

Le succès en pourra parler dans quelques jours. Mais, de grâce, pa-^sons à quelque autre discourir Puis-je, sans trop oser, vous prier de me dire A qui vous avez pris, madame, soin d'écrire, Depuis que le destin nous a conduits ici?

DONE ELVIRE.

Pourquoi cette demande, et d'oii vient ce souci?

DON GARCIE.

D'un désir curieux de pure fantaisie.

DONE ELVIRE

La curiosité nait de la jalousie.

DON GARCIE.

Non, ce n'est rien du tout de ce que vous peunex» Vof ordres de ce mal me défendent assest.

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ACTE II, SCÈNE V. 283

DONE EIAinE.

Sans chereher plus avant quel intérêt vous presse, J'ai di'u\ Ibis à I>éon écrit à In comtesse, Et deux Ibis au marquis don Louis à Burgos. Avec celte réponse êtes-vous tu repos?

DON CARCIE.

Vous n'avez point écrit à quelque autre personne,

Madame?

DONE ELVIRE.

Non, sans doute; et ce discours m'étonna.

DON GARCIE.

De grâce, songez bien, avant que d'assurer. En manquant de mémoire, on peut se parjurer,

DONE ELVIRE.

Ma boucl.e, sur ce point, ne peut être parjure.

DON GARCIE.

Elle a dit toutefois une haute imposture.

DONE ELVIRE.

Prince !

DON GARCIE.

Madame I

DONE ELVIRE.

ciel! quel est ce mouvement? Avez-vous, dites-moi, perdu le jugement?

DON GARCIE.

Oui, oui, je l'ai perdu, lorsque dans votre vue J'ai pris, pour mon malheur, le poison qui me tue. Et que j'ai cru trouver quelque sincérité Dans les traîtres appas dont je fus enchanté.

DONE ELVIRE.

De quelle trahison pouvez-vous donc vous plaindre?

DON GARCIE.

Ah I que ce cœur est double, et sait bien l'art de feindrtl Mais tous moyens de fuir lui vont être soustraits, letez ici les yeux, et connoissez vos traits : Sans avoir vu le reste, il m'est assez facile De découvrir pour qui vous employez ce style.

DONE ELVIRE.

Voilà donc le sujet qui vous trouble l'esprit?

DON GARCIE.

Vous ne rougissez pas en voyant cet écritf

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t84 DON GARCIE DE NAVARRE.

DONE ELVIRE.

L'innocence à rougir n'est point accoutunnée.

DON GARCIE.

II est vrai qu'en ces lieux on la voit opprimée. Ce billot démenti pour n'avoir point de seing*...

DONE ELVIKE.

Pourquoi le démentir, puisqu'il est de ma main' ?

DON GARCIE,

Encore est-ce beaucoup que, de franchise pure, Vous demeuriez d'accord que c'est voire écriture; Biais ce sera sans doute, et j'en scrois garant, Un billet qu'on envoie à quelque indifférent; Ou du moins ce qu'il a de tendresse évidente Sera pour une amie, ou pour quelque parente.

DONE ELVIRE.

Non, c'est pour un amant que ma main l'a formé; Et j'ajoute de plus, pour un amant aimé'.

DON GARCIE.

Et je puis, perïWe...!

DONE ELVIRE.

AiTolcz, prince indigne. De ce lâche transport l'égarement insigne. Bien que de vous mon coeur no prenne point de loi. Et ne doive en ces lieux aucun compte qu'à soi, Je \eux bien me purger, pour votre seul supplice. Du crime que m'impose un insolent caprice. Vous serez éclairci, n'en douiez nullement. J'ai ma défense prête en ce même moment. Vous allez recevoir une pleine lumière: Mon innocence ici paroîlia tout entière; Et je veux, vous niellant juge en voire intérêt, Vous faire prononcer vous-même votre arrêt.

' Kolière jugea lui-mênie cetle expreuiOD Inexact» ; et ciDq ini pla> tard, lonqq*!! Sansporla daLS U MtsantUrope une partie de celte tcene de Don Garci», il eoi^ rlgea cet vers de la manière siiivaDte :

Le désavouerei-vout pour D'avoir point de seing ( — Pourquoi désavouer un billet de ma main?

(U»»., IV, III.) (F. Génin.) ' Le» dix-sept vers piccédents ont été transportés par Holière dans le J/tMl* thropi, aclp II, scène v avec de très-légers cliani^ements. (Pelitot.)

• r.éhmcne, poussée à bout par Aiccsle, lui repond de même:

Non, i! est pour Oronte ; et je veux qu'oo '» croM.

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ACTE II, SCÈNE VI. iSo

DON GARCIE.

Ce «ont propos obscurs qu'on ne sain cil comprendra,

DONE ELVIRE.

Bientôt à vos dépens vous me pourrez entendre. Élise, holà I

SCÈNE VI. - DON GARCIE. DONE ELVIRE, ÉLISB,

ÉLISE.

Madame ?

DONE ELVIKE, à don Garcie,

01)ser\ez bien au moins Si j'ose à vous tromper employer quelques soins; Si, par un seul coup dœil ou geste qui l'instruise, Je cherche de ce coup à parer la surprise.

(à Élise.)

Le billet que tantôt ma main avoit tracé, Répondez promplcmenl, où l'avez-vous laissé?

ÉLISE.

Madame, j'ai sujet de m'avouer coupable.

Je ne sais comme il est demeuré sur ma table;

Biais on vient de m'apprendre en ce même moment

Que don Lope, ^cnant dans mon appartement,

Par une liberté qu'on lui voit se permettre,

A fureté partout, et trouvé cette lettre.

Comme il la déplioit, l.éonor a voulu

S'en saisir promplement, avant qu'il eût rien lu;

Et se jetant sur lui, la lettre contestée

En deux justes moitiés dans leurs mains est resté*;

Et don Lope, aussitôt prenant un prompt essor,

A dérobé la sienne aux soins de Léonor

DONF. FI VI RE.

Avei-Yous ici l'autre?

ÉLISE.

Oui, la voilà, madame.

DONE ELVIRE.

(à don Garcie.)

Donnez. Nous allons voir qui mérite le blâme.

Avec votie moitié rassemblez celle-ci,

Lisez, et hautement; je \eiix l'entendre aussi»

DON GARCI<v.

Au prince don Garcie. Ah I

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286

dOa GAHCll-: DE NAVARKE.

DONE ELVIRE.

Achevez de lire; ^otre ame pour ce mot ne doit pas s'interdire.

DON GAF.UE lit.

» Q.uoique votre rival, prince, alarme votre ame, » Vous devez toutefois vous craindte plus que lui ; » Et vous avez en vous à détruire aujourd'hui » L'obstacle le plus grand que trouve votre flamm*.

» Je chéris tendrement ce qu'a fait don Garcie, fc Pour me tirer des mains de nos fiers ravisseurs. » Son amour, ses devoirs, ont pour moi des douceursj

• Mais il m'est odieux avec sa j^ilousie.

» Otez donc à vos feux ce qu'ils on font paroître,

• Méritez les regards que l'on jette sur eux;

■ Et, lorsqu'on vous oblige à vous- tenir heureux, » Ne voi's obstinez point à ne pas vouloir l'être. •

DOXE ELVIBE.

fié bien! que dites-vous?

DON GAP.CIE.

Ah! madame, je dis Qo'à cet objet mes sens demeurent interdits; Que je vois dans ma plainte une horrible injustice. Et qu'il n'est point pour moi dassez cruel supplice.

DONE ELVIRE.

fl suffit. Appi'enez que si j'ai souhaité Qu'à vos yeux cet écrit pût être présenté, Ccsl ptur le démentir, et cent fois me dédire D« tout ce que pour vous vous y venez de lire. Adieu, prince.

DON GARCIE.

Madame, hélas! où fuyez-vous?

DONE ELVIRE.

OÙ vous ne serez point, trop odieux jaloux.

DON GARCIE.

Ah! madame, excusez un amant misérable, Qu'un sort prodigieux a fait vers vous coupable, Et qui, bien qu'il vous cause un courroux si puissant. Eût été plus biàmable à rester innocent.

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ACTE II, SCÈNE VI. 28?

Car enfin, peut-il être mw aine bien atteinte,

Dont l'espoir le plus doux ne soit mêlé de crainte?

Et pourriez-\ous penser que mon cœur eût aimé,

Si ce billet fatal ne l'eût point alaMné;

S'il n'avoit point frémi des coups de cette foudre,

Dont je mefigurois tout mon bonheur en poudre f

Vous-même, dites-moi si cet événement

N'eût pas dans mon erreur jeté tout autre amant;

Si d'une preuve, hélas I qui me sembloit si claire.

Je pouvois démentir...

DONE ELVIRE.

Oui, vous le pouviez f.iire; Et dans mes sentiments, assez bien déclarés, Vos doutes rencontroient des garants assurés: Vous n'aviez rien à craindre; et d'autres, sur ce gage, Auroicnt du monde entier bravé le témoignage.

D0^ CAKCin:. Moins eu mérite un bien qu'on nous fait espérer, Plus notre ame a de peine à pouvoir s'assurei'. Un sort trop plein de gloire à nos yeux est fragile. Et nous laisse aux soupçons une pente facile. Pour moi, qui crois si pou mériter vos bontés J'ai douté du bonheur de mes témérités*; J'ai cru que, dans ces lieux rangés sous ma puissam-e, Votre ame se forçoit à quelque complaisance; Que, déguisant pour moi voire sévérité...

DONE ELVIRE.

El je pourrois descendre à celle lâcheté! Moi, prendre le parti d'une honteuse feinte! Agir par les motifs d'une servile crainte, Trahir mes sentiments, et, pour être en vos main» D'un masque de faveur vous couvrir mes dédains I La gloire sur mon cœur auroil si peu d'empire! Vous pouvez le penser, et vous me l'osez dire! Apprenez que ce cœur ne sait point s'abaisser; Qu'il n'est rien sous les cieux qui puisse l'y forcer, El s'il vous a fait voir, par une erreur insigne, Des marques de bonté dont vous n'étiez pas dijjne. Qu'il saura bien montrer, malgré votre pouvoir,

' Molière a Uanspcrtc ces six derniers vers dans le Tartufe, acte JV, soèp« % 'M. y faisant quelques changenicnu.

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288 DON GARCIE DE KAVARUE.

La haine que pour vous il se résout d'avoir,

Braver voire furie, et vous faire coniioitre

Qu'il n'a point été lâche, et ne veut jamais l'être.

DON GARCIE.

Fié hien I je suis coupable, et ne m'en défends pas :

Mais je demande grâce à vos divins appas;

Je I3 demande au nom de la plus vive flamme

Dont jamais deux beaux yeux aient fait brûler une an».

Que si votre courroux ne peut être apaisé,

Si mon crime est trop grand pour se voir excusé.

Si vous ne regardez ni l'amour qui le cause,

Ni le vif repentir que mon cœur vous expose,

Il faut qu'un coup heureux, en me faisant mourir,

M'arrache à des tourments que je ne puis souffrir.

Non, ne présumez pas qu'ayant su vous déplaire.

Je puisse, vivre une heure avec votre colère.

Déjà de ce moment la barbare longueur

Sous ses cuisants remords fait succomber mon cœar,

Et de mille vautours les blessures cruelles

N'ont rien de comparable à ses douleurs morteliee.

Madame, vous n'avez qu'à me le déclarer :

S'il n'est point de pardon que je doive espérer,

Celte épée aussitôt, par un coup favorable,

Va percer, à vos yeux, le cœur d'un misérable;

Ce cœur, ce traître cœur, dont les perplexités

Ont si fort outragé vos extrêmes bontés :

Trop heureux, en mourant, si ce coup légitime

Efface en votre esprit l'image de mon crime,

Et ne laisse aucuns traits de votre aversion

y^u foible souvenir de mon affection!

tl'est l'unique faveur que demande ma flamine.

DONC ELVIRE.

4 h I prince trop cruel I

DON GARCIE.

Dites, parlez, madame.

I)0NE ELVIRE.

Faut-il encor pour vous conserver des bontés, El vous voir m'outrager par tant d'indignités?

DON GARCIE.

(Jn cœur ne peut jamais outrager quand il aia^tj lit ce que fait l'amour, il l'excuse lui-même.

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ACTE II, SCENE Vil. 28'J

DONE ELVIUC-

li'amour n'excuse poinl de Icis einporlcments.

DON GARCIE.

Toiil oe ({u'il a trardeur passe en ses mouveinenls; lil plus il dc\ieiil fort, plus il Irouvc de poiiio...

don:. ELVIUE.

Non, ne m'en parlez point, vous incji'ilez ma haioe.

DON G.VUCIE.

Vous me haïssez donc?

DONE ELVIRE.

J'y veux lâcher, au moins. Mais, helasi je crains bien que j'y perde mes soins, Et que tout le courroux qu'excite \otre offense Ne puisse Jasquo-là faire aller ma vengeance.

DON GARCIE,

D'un supplice si grand ne teniez point l'effort, Puisque pour vous venger je vous offre ma mort; Prononcez-en l'arrêt, et j'obéis sur l'iieure.

DONE ELVIRE.

yui ne sauroit haïr ne peut vouloir qu'on meure

DON GARCIE.

Et moi, je ne puis vivre, à moins que vos bonté* Accordent un pardon à mes témérités. Résolvez l'un des deux, de punir ou d'absoudre.

DONE ELVIRE.

Hélas! j'a.' trop fait voir ce que je puis résc;:dre. Par l'aveu d'un pardon n'est-ce pas se Iraliir, Que dire au criminel qu'on ne le peut haïr?

DON OARCIE.

Ah! c'en est trop; souffrez, adorable princesse..,

DONE ELVIRE.

Laissez : je me veux mal dune telle foiblesse,

DON GARCIE, seul,

Euiîn je suis...*

SCÈNE VIL — DO.N GARCIE, DON LOPE.

DON LOPE.

Seigneur, je viens vous informer

' Vo grand noœbrc de traits de cette scène ontété traasportés dans la ttmt T\ t» Tacte 11 l'Amphitryon.

u 17

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S90 DON GARCIE DE NAVARRE.

D'un secret dont vos feux ont droit de s'alarmer.

DON GARCIE.

Ke me viens point parler de secret ni d'alarme,

Dans les doux mouvements du transport qui me charme.

Après ce qu'à mes yeux on vient de présenter,

il nest point de soupçons que je doive écouter;

El d'un divin objet la bonté sans pareille

A tous ces vains rapports doit fermer mon oreille :

Ne m'en fais plus.

DON LOPE.

Seigneur, je veux ce qu'il vous platt; Êles soins on tout ceci n'ont que v(Jtre intérêt. J'ai cru que le secret que je viens de surprendre Mériloit bien qu'en bâte on vous le vînt apprendre,' Mais puisque vous voulez que je n'en touc'.e rien, Je vous dirai, seigneur, pour changer d'cuîrclien, Que déjà dans Léon on voit chaque laniille i.e\cr le masque au bruit des troupes de Casliiie, l£t que surtout le peuple y fait pour son vrai roi Un éclat à donner au tyran de l'effroi.

DON GARCIE.

La Castille du moins n'aura pas la victoire, Sans que nous essayions d'en partager la gloire; Et nos troupe» aussi peuvent être en état D'imprimer quelque craiate au cœur de Maurcgat Mais quel est ce secret dont tu voulois m'instruira? Voyons un peu.

DON LOPE.

Seigneur, je n'ai rien à vous dire.

DON GAnCIE.

Va, va, parle; mon cœur l'en donne le pouvoir.

DON LOPE.

Vos paroles, seigneur, m'en ont trop fait savoir, - Lt puis que mes a\is ont de quoi vous déplaire, Jesauraidésoimais tiou\t-r l'art de me (aire.

DON f.ARCIE.

infin, je veux sa\oir la chose absolumenL

DON LOPE.

le ne réplique point à ce commanilcment. Ha», seigneur, en ce lieu le devoir de n>on zèle

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ACTE ill, SCENE I. 29*

Trahiioil le secret d'une telle nouvelle.

Sortons pour vous l'apprendre; et, sans rien embrasser,

Vous-même vous verrez ce qu'on en doit penser.

FIN su SECOND ACTE.

ACTE TROISIÈME.

SCÈNE I. - DONE ELVIRE, ELISE.

DONE ELVIRE.

Élise, que dis-tu de l'étrange foiblcsse Que vient de témoigner le cœur d'une princesse? Que dis-tu de me voir tomber si promptement De toute la chaleur de mon ressentiment? Et, malgré tant d'éclat, relâcher mon courage Au pardon trop honteux d'un si ciuel outrage?

ÉUSE.

Moi, je dis que d'un cœur que nous pouvons chérir

Une injure sans doute est bien dure à souffrir;

Mais que, s'il n'en est point qui davantage irrite,

Il n'en est point aussi qu'on pardonne si vile;

Et qu'un coupable aimé ti iomphe à nos genoux

De tous les pionq)ts transports du plus bouillar.t courroux.

D'autant plus aisément^ madame, quand l'ofrcnse

Dans un excès d'amoui' peut trouver sa naissance.

Ainsi, quelque dépit que l'on vous ait causé,

Je ne m'étonne point de le voir apaisé;

Et je sais quel pouNoir, malgré votre menace,

A de pareils forfaits donnera toujours grâce.

D0^E ELVIRE.

Ah! sache, quelque ardeur qui m'impose des lois, Que mon front a rougi pour la dernière fois; 1-^t que, si désormais on pousse ma colère, !1 n'est point de retour qu'il faille qu'on espère. Quand je pourrois reprendre un tendre sentiment, C'est assez contre lui que l'éclat d'un serment :

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292 DON JARCIE DE NAVAUHL.

Car enfin un esprit qu'un peu d'orgueil inspire Trouve beaucoup de honte à se pouvoir dédire; Et souvent, aux dépens d'un pénible combat, Fait sur ses propres vœux un illustre attentat, S'obstine par honneur, et n'a rien qu'il n'immole A la noble fierté de tenir sa parole. Ainsi, dans le pardon que l'on vient d'obtenir, Ne prends point de clartés pour régler l'avenir; Et, quoi qu'à mes destins la fortune prépare, Crois que je ne puis être au prince de Navarre, Que de ces noirs accès qui troublent sa raison Il n'ait fait éclater l'entière guérison, ' Çt réduit tout mon cœur, que ce mal persécute, A n'en plus redouter l'affront d'une rechute.

ÉLISE.

Mais quel afTront nous fait le transport d'un jaloux?

DONE ELVIRE.

En fcst-il un qui soit plus digne de courroux?

Et puisque notre cœur fait un effort extrême •

Lorsqu'il se peut résoudre à confesser qu'il aime,

Puisque l'honneur du sexe, en tout temps rigoureux,

Oppose un fort obstacle à de pareils aveux,

L'amant qui voit pour lui franchir un tel obstacle

Doit-il impunément douter de cet oracle?

Et n'esl-il pas coupable, alors qu'il ne croit pas

Ce qu'on ne dit jamais qu'après de grands combats?

ÉLISE.

Moi, je tiens que toujours un peu de défiance

En ces occasions n'a rien qui nous offense ;

Et qu'il est dangereux qu'un cœur qu'on a charmé

Soit trop persuadé, madame, d'être aimé,

Si...

DONE ELVIRE.

N'en disputons plus. Chacun a sa pensée. C'est un scrupule enfin dont mon ame est blessée; Et, contre mes désirs, je sens je ne sais quoi Me prédire un éclat entre le prince et moi, Qui, malgré ce qu'on doit aux vertus dont il brille... Mais, ô cieil en ces lieux don Sylve de Castillel

■ La Gn dn couplet, à partir de ce vert, est dans It Misanthroft, acte IV scèoe m. Il D'y a que de fort légers changements d'ezpresiions.

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ACTE III, SCENE II. 293

SCÈNE II. — DOIVE ELVIRE, DON ALPHONSE, cru do» Syivr ÉLISE.

DONE ELVIRE.

Ahî seigneur, par quel sort vous vois-je maintenant?

DON ALPHONSE.

Je sais que mon abord, madame, est surprenant,

Et qu'être sans éclat entré dans celte ville,

Dont l'ordre d'un rival rend l'accès difficile;

Qu'avoir pu me soustraire aux yeux de ses soldats,

C'est un événement que vous n'attendiez pas.

Mais si j'ai dans ces lieux franchi quelques obstacles,

L'ardeur de vous revoir peut bien d'autres miiacles;

Tout mon cœur a senti par de trop rudes coups

Le rigoureux destin d'être éloigné de vous,

Et je n'ai pu nier au tourment qui le tue

Quelques moments secrets d'une si chère vue.

Je viens vous dire donc que je rends grâce uux cieui

Je vous voir hors des mains d'un tyran odieux.

dais, parmi les douceurs d'une telle aventure.

Ce qui m'est un sujet d'éternelle torture.

C'est de voir qu'à mon bras les rigueurs de mon sort

Ont envié l'honneur de cet illustre effort,

Et fait à mon rival, avec trop d'injustice,

Offrir les doux périls d'un si fameux service.

Oui, madame, j'avois, pour r«mpre vos liens.

Des sentiments sans doute aussi beaux que les siens;

Et je pouvois pour vous gagner celle victoire,

Si le ciel n'eût voulu m'en dérober la gloire.

DONE ELVIRE.

Je sais, seigneur, je sais que vous avez un cœur

Qui des plus grands périls vous peut rendre vainqueur;

Et je ne doute point que ce généreux zèle.

Dont la chaleur vous pousse à venger ma querelle,

N'eût, contre les efforts d'un indigne projet.

Pu faire en ma faveur tout ce qu'un autre a fait.

Mais, sans celte action dont vous étiez capable,

Mon sort à la Caslille est assez redevable.

On sait ce qu'en ami plein d'ardeur et de foi,

Le comte voire père a fait pour Se feu roi :

Après l'avoir aidé jusqu'à l'heure dernière,

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soi DON GAllCiE DE NAVARRE.

\\ donne en ses clats un asile h mon îrfre;

Quatre lustres entiers il y cache son sort

Aux barbares fureurs de quelque lâche effort;

Et, pour rendre à son front l'éclat d'une couronne,

Contre nos lavisseurs vous marchez en personne.

!N"ètes-Yous pas content? et ces soins généreux

Ne ni'attachent-ils point par d'assez puissants nœuds?

Quoi! votre ame, seigneur, seroit-elle obstinée

A vouloir asservir toute ma destinée?

Et faut-il que jamais il ne tombe sur nous

L'ombre d un seul bienlail qu'il ne vienne de vous?

Ah! souffrez, dans les maux où mon. destin m'expose,

Qu'au soin d'un autre aussi jedoi\e quelque chose;

Et ne vous plaignez point de voir un autre bras

Acquérir de la gloire où le sùUe n'est pas.

DOÎi ALPHONSE.

Oy.?. madame, mon cœur doit cesser de s'en plaindre^

Av€c trop de raison vous voulez m'y lonlrainilre;

Et c'est injustement qu'on se plaint d'un malheur,

Quand un autre plus grand s'offre à notre douleur.

Ce secours d'im rival m'est un cruel martyre;

Mais, hélas! de mes maux ce n'est pas là le pire:

Le coup, le rude coup dont je suis atterré,

C'est de me voir par vous ce rival préféré.

Oui, je ne vois que trop que ses feux pleins de gloir*

Sur les miens dans votre ame emportent la victoire •

Et cette occasion de servir vos appas.

Cet avantage offert de signaler sou bras,

Cet éclatant exploit qui vous fut salutaire,

K'est que le pur effet du bonheur de vous plaire,

Que le secret pouvoir d'un astre merveilleux.

Qui fait tomber la gloire où s'attachent vos vœux.

Ainsi tous mes efforts ne seront que fumte.

Contre vos tiers tyrans je conduis une armée;

Mais je marclie en tremblant à cet illustre emploi.

Assuré que vos vœux ne seront pas pour moi;

Et que, s'ils sont suivis, la fortune prépaie

L'heur des plus beaux succès aux soins de la NavarWt

Ah! madame, faut-il me voir précipité

De l'espoir glorieux dont je m'élois tlatié?

Et ne puia-je savoir quels crimes on m'impute,

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ACTE 111, SCENE II. SM

Pour avoir mérité celte effroyable chute?

DONE I LVIUE.

Ne me demandez rien avant que regarder

Ce qu'à mes sentiments vous devez demander;

Et, sur cette froideur qui semble vous confondre,

Répondez-vous, seigneur, ce que je puis répondre :

Car enfin tous vos soins ne sauroieut ignorer

Quels secrets de votre ame on m'a su déclarer;

Et je la crois, celte ame, et trop noble et trop haute,

Pour vouloir m'obliger à commettre une faute.

Vous-même, dites-vous s'il est de l'équité

De me voir couronner une infidélité;

Si vous pouviez m'offrir, sans beaucoup d'injustice.

Un cœur à d'autres yeux offert en sacrifice;

Vous plaindre avec raison, et blâmer mes refus,

Lorsqu'ils veulent d'im crime affi anchir vos vertus.

Oui, seigneur, c'est un crime ; et les premières flammes

Ont des droits si sacrés sur les illustres âmes,

Qu'il faut perdre grandeurs, et renoncer au jour,

Plutôt que de pencher vers un second amour'.

J'ai poiH' vous celte ardeur que peut prendre l'estime

Pour un courage haut, pour un cœur magnanime :

Mais n'exigez de ir.oi que ce que je vous dois,

Et soutenez l'honneur de votre premier choix.

Malgré vos feux nouveaux, voyez quelle lendicsse

Vous conserve le cœur de l'aimable comtesse;

Ce que pour un ingrat (car vous l'êtes, seigneur,)

Elle a d'un choix constant refusé de bonheur!

Quel mépris généreux, dans son ardeur extrême, •

Elle a fait de l'éclat que donne un diadème !

Voyez combien d'efforts pour vous elle a bravés I

Et rendez à son cœur ce que vous lui devez.

DON ALPnONSE.

Ah 1 madame, à mes yeux n'offrez point son mérite : Il n'est que trop préseul à l'ingrat qui la quille; Et si mon cœur vous dit ce que pour elle il sent. J'ai peur qu'il ne soit pas envers vous innocent. Oui, ce cœur l'ose plaindre, et ne suit pas sans peine L'impérieux effort de l'amour qui l'enlraîue :

' Ces quatre derniers vers se retrouvent, avec quelques \é§eTt ehaagUHitsi éàDt les Ftmmes sacantes, acte lY, scèae n>

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296 DON GARCIE DE NAVARRE.

Aucua espoir pour vous n'a natté mes désirs,

Qui ne m'ait arraché pour elle des soupirs ;

Qui n'ait dans ses douceurs fait jeter à mon ame

Quelques tristes regards vers sa première flamme;

Se reprocher l'effet de vos divins attraits,

Et mêler des remords à mes plus chers souhaits.

J'ai fait plus que cela, puisqu'il vous faut tout dire:

Oui, j'ai voulu sur moi vous ôler votre empire,

Sortir de votre chaîne, et rejeter mon cœur

Sous le joug innocent de son premier vainqueur.

Mais, après mes efforts, ma constance abattue

Voit un cours nécessaire à ce mal qui me tue;

Et, dût être mon sort à jamais malheureux,

Je ne puis renoncer à l'espoir de mes vœux.

Je ne saurois souffrir l'épouvantable idée

De vous voir par un autre à mes yeux possédée;

Et le flambeau du jour, qui m'offre vos appas,

Doit avant cet hymen éclairer mon trépas.

le sais que je trahis une princesse aimable;

Hais, madame, après tout, mon cœur est-il coupable?

Et le fort ascendant que prend votre beauté

Laisse-t-il aux esprits aucune liberté?

Hélas ! je suis ici bien plus à plaindre qu'elle :

Son cœur, en me perdant, ne perd qu'un infidèle;

D'un pareil déplaisir on se peut consoler :

Mais moi, par un malheur qui ne peut s'égaler,

J'ai celui de quitter une aimable personne,

El tous les maux encor que mon amour me doaae.

  • DONE ELVIRE.

Vous n'avez que les maux que vous voulez avoir, r.[ toujours notre cœur est en notre pouvoir. Il peut bien quelquefois montrer quelque foiblesse; Mais enOn sur nos sens la raison, la maîtresse...

SCÈNE III. - DON GARCIE, DONE ELVIRE, DO»

ALPHONSE, cru don Sylve. DON GARCIE.

tladame, mon abord, comme je connois bien, assez mal à propos trouble voire entretien; Et mes pas en ce lieu, s'il faut que je le die,

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ACTE III, SCENE IH. 297

Ne croyoient pas trouver si bonne compagnie.

DONE ELVIRE.

Cette vue, en effet, surprend au dernier point; Et, de même que vous, je ne l'allendois point.

DOIS GARCIE.

Oui, madame, je crois que de celle visile. Comme vous l'assurez, vous n'étiez point instruite.

(à don Sylve.)

Mais, seigneur, vous deviez nous fane au moins rhonneor

De nous donner avis de ce rare bonheur.

Et nous mettre en état, sans nous vouloir surprendre,

De vous rendre en ces lieux ce qu'on voudroit vous rendre.

DON ALPHONSE.

Les héroïques soins vous occuponl si fort, Que de vous en tirer, seigneur, j'aurois eu tort; Et des grands conquérants les sublimes pensées Sont aux civilités avec peine abaissées.

DON GARCIE.

Mais les grands conquérants, dont on vante les soins,

Loin d'aimer le secret, affectent les témoins;

Leur ame, dès l'enfance à la gloire élevée.

Les fait dans leurs projets aller télé levée;

El, s'appuyant toujours sur des hauts sentiments,

Ne s'abaisse jamais à des déguisements.

Ne commettez-vous point vos vertus héroïques,

En passant dans ces lieux par des sourdes pratiques*;

Et ne craignez-vous point qu'on puisse, aux yeux de lout,

Trouver cette action trop indigne de vous?

DON ALPHONSE.

Je ne sais si quelqu'un blâmera ma conduite,

Au secret que j'ai fait d'une telle visite.

Mais je sais qu'aux projets qui veulent la clarté,

Prince, je n'ai jamais cherché l'obscurité;

Et quand j'aurai sur vous à faire une entreprise,

Vous n'auiez pas sujet de blâmer la surprise :

Il ne tiendra qu'à vous de vous en garantir.

Et l'on prendra le soin de vous en avertir.

  • Pratiques, dans le lena d'tntelhgences secrètes, ou de tomplott. RaeiM a dit

iaoi Esthsr :

J'ai découvert au roi les sanglantes pratique*

Que formoient contre lui deux ingrats domestiques.

17.

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2iKS DON GARCIE DE NAVAHRE.

(IcjicnJ.iul, (Il niptirons aux termes ordinaires, ReincKous nos débats après d'autres affaires; Et, d'un sang un peu chaud réprimant les bouillous, N'oublions pas tous deux devant qui nous parlons.

DONE ELVIRE, à don Garcie.

Prince, vous avez tort; et sa visite est telle Que vous...

DON GARCIE.

Ah ! c'en est trop que prendre sa querelle, Madame; et votre esprit devroit feindre un peu mieux, Lorsqu'il veut ignorer sa venue en ces lieux. Cette chaleur si prompte à vouloir la défendre Persuade assez mal qu'elle ait pu, vous surprendre.

DONE ELVIRE.

Quoi que vous soupçonniez, il m'importe si peu, Que j'aurois du regret d'en faire un désaveu.

DON GARCIE.

Poussez donc jusqu'au bout cet orgueil héroïque, Et que, sans hésiter, tout votre cœur s'explique : C'est au déguisemeiit donner trop de crédit. Ne désavouez rien, puisque vous l'avez dit. Tranchez, tranchez le mot, forcez toute contrainte; Dites que de ses feux vous ressentez l'atleinlo; Que pour vous sa présence a des charmes si doux...

DONE ELVIRE.

Et si je veux l'aimer, m'en empccherez-vous? Avez-vous sur mon cœur quelque empire à pTOlcndre? Et, pour régler mes vœux, ai-je votre ordre à prendre? Sachez que (rop d'orgueil a pu vous décevoir. Si votre cœur sur moi s'est cru quelque pouvoir ; Et que mes sentiments sont d'une ame trop grande Pour vouloir les cacher, lorsqu'on me les demande. Je ne vous dirai point si le comte est aimé; Mais apprenez de moi qu'il est fort estimé; Que ses hautes vertus, pour qui je m'inléresse, Méritent mieux que vous les vœux d'une princesse; Que je gardfe aux ardeurs, aux soins qu'il me fait voir, Tout le ressentiment qu'une ame puisse avoir*;

' Ressentiment. Ce mot exprimoit le souvenir d'un bienfait comme celui â'uM mjiire. Il conserva longtemps cette double acception

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ACTE III, SCENE IV. «99

Et que si des destins la fatale puissance M'oie la liiîcrlé d'être sa récompense, Au moins est-il en moi de promettre à ses vœns Qu'on ne ilie verra point le butin' de vos feux. Et, sans vous amuser d'une attente frivole, C'est à quoi je m'engage, et je tiendrai parole. Voilà mon cœur ouvert, puisque vous le voules, Et mes vrais sentiments à vos yeux étalés. Ètes-vous satisfait? et mon ame attaquée S'est-elle, à votre avis, assez bien expliquée? Voyez, pour vous ôtcr tout lieu de soupçonner, S'il reste quelque jour encore à vous donner.

(A don S'ilve.)

Cependant, si \os soins s'attachent à me plaire, Songez que votre bras, comte, m'est nécessaire; Et, d'un capricieux quels que soient les transporté. Qu'à punir nos tyrans il doit tous ses efforts. Fermez l'oreille enlln à toute sa furie; Et, pour vous y porter, c'est moi qui vous en prie.

SCÈNE IV — DON GARCIE, DON ALPHONSE, cru don Syl«.

DON CARCIE.

Tout vous rit, et votre ame, en celte occasion^ Jouit superbement de ma confusion. Il vous est doux de voir un aveu plein de gloire Sur les feux d'un rival marquer votre victoire : Mais c'est à votre joie un surcroît sans égal. D'en avoir pour témoins les yeux de ce rival; Et mes prétentions, hautement étouffées, A vos vœux triomphants sont d'illustres trophées. Goûtez à pleins transports ce bonheur éclatant; Mais sachez qu'on n'est pas encore où l'on prétend La fureur qui m'anime a de trop justes causes, Et l'on verra peut-être arriver bien des choses. Un désespoir va loin quand il est échappé,

' Pour la proie de vos feux. Je ne crois pas qu'on trouve en fiançois un i«cond exemple de celte l'açin de parler bizarre. Dans une mctapliorecoiisacrc'e, ou n'a pas le droil de substituer un sjnonynie au mot qui fait la ligure; autrement cet Anglois auroit bien parlé, qui écrivuit à Fciielon : t Monseigneur, vous avez pour moi des boyaux de père, » car entrailles cl bi yaux sont synonymes, comme proit et butin. (F, Génin.)

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500 DON GARCIE DE NAVARRE.

Et tout est pardonnable à qui se voit trompé. Si l'ingrate à mes yeux, pour llatter votre tlamntie, A jamais n'être à moi vient d'engager son ame, Je saurai bien trouver, dans mon juste courroux, Les moyens d'empêcher qu elle ne soit à vous.

DON ALPHONSE.

Cet ohsiacle n'est pas ce qui me met en peine. Nous verrons quelle attente en tout cas sera vaine; Et chacun, de ses feux, pourra, par sa valeur, Ou défendre la gloire, ou venger le malheur. Mais comme, entre rivaux, l'ame la4)lus posée A des termes d'aigreur trouve une pente aisée, Et que je ne veux point qu'un pareil entretien Puisse trop échauffer votre esprit et le mien, Prince, affranchissez-moi d'une gêne secrète, Et me donnez moyen de faire ma retraite.

DON GARCIE.

Non, non, ne craignez point qu'on pousse voire esprit A violer ici l'ordre qu'on vous prescrit. Quelque juste fureur qui me presse et vous Halte, Je sais, coinle, je sais quand il faut qu'elle éclate. Ces lieux vous sont ouverts : oui, sortez-en, sorte» Glorieux des douceurs que vous en remportez ; Mais, encore une fois, apprenez que ma léle Peut seule dans vos mains mettre votre conquête.

DON ALPHONSE.

Quand nous en serons là, le sort en notre bras De tous nos intérêts videra les débats.

FIN DU TROISlÈft.c ACTE

ACTE QUATRIÈM.

SCÈNE I. — DONE ELVIRE, DON ALVAR.

DONE ELVIRE.

Retournez, don Alvar, et perdez l'eppérance, De me persuader l'oubli de cette offense.

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ACIE IV, SCENE I. SOI

Celle plaie en mon cœur ne sauroil se guérir

El les soins qu'on en prend ne font rien que l'aigrir.

A quelques faux respects croit-il que je défère

Non, non : il a poussé trop avant ma colère;

Et son vain repentir, qui porte ici vos pas,

Sollicite un oardon que vous n'obtiendrez pas.

DON ALYAR.

Madame, il fait pitié. Jamais cœur, que je pense.

Par un plus vif remords n'expia son offense;

Et si dans sa douleur vous le considériez,

Il touclieroit votre ame, et vous l'excuseriez.

On sait bien que le |irince est dans un âge à suivre

Les premiers mouvements où son ame se livre,

Et qu'en un sang bouillanl, toutes les passions

Ne laissent guère place à des réflexions.

Don Lope, prévenu d'une fausse lumière,

De l'erreur de son maître a fourni la matière.

Un bruil assez confus, dont le zèle indiscret

A de l'abord du comte éventé le secret.

Vous avoit mise aussi de cette inlolligence

Qui, dans ces lieux gardés, a donné sa présence.

Le prince a cru lavis, et son amour séduit

Sur une fausse alarme a fait tout ce grand bruil;

Biais d'une (elle erreur son ame est revenue :

Votre innocence enfin lui vient d'être connue,

Et don Lope, qu'il cliasse, est un visible effet

Du vif remords qu'il sent de l'éclat qu'il a fait,

DONE ELVIRE.

Ah! c'est trop promptement qu'il croit mon innocence; Il n'en a pas encore une entière assurance : Dites-lui, dites-lui qu'il doit bien tout peser, Et ne se hâter point, de peur de s'abuser.

DON ALYAR.

Madame, il sait trop bien...

DONE ELVIRE.

Mais, don Alvar, de grâce, ^l'élendons pas plus loin un discours qui me lasse : II réveille un chagrin qui vicii{, à contre-lemps, En troubler dans mon cœur d'autres plus importants. Oui, d'un trop giand inallicur la sui prise me presse; Et le bruil du trépas de l'illustre comtesse

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502 DON GARCIE DE NAVARRE.

Doit s'emparer si bien de tout mon déplaisir, Qu'aucun autre souci n'a droit de me saisir.

DON ALVAR.

Madame, ce peut être une fausse nouvelle; Mais mon retour au prince en porte une cruelle.

DONE ELVIRE.

De quelque grand ennui qu'il puisse être agité, 11 en aura toujours moins qu'il n'a mérilé.

SCÈNE II. — DONE ELVIRE, ÉLISE,

ÉLISE. _

Tattendois qu'il sortît, madame, pour vous dire Ce qui veut maintenant que votre ame respire, Puisque votre chagrin, dans un moment dici, Du sort de done Ignés peut se voir éclairci. Un inconnu, qui vient pour celle confidence, Vous fait, par un des siens, demander audience.

DONE ELVIRE.

Élise, il faut le voir; qu'il vienne promplement.

ÉLISE.

Mais il veut n'être vu que de vous seulement;

Et par cet envoyé, madame, il sollicite

Qu'il puisse sans témoins vous rendre sa visite.

DONE ELVIRE.

Hé bien! nous serons seuls; et je vaisTurdonner, Tandis que tu prendras le soin de l'amener. Que mon impatience en ce moment est forte! destin ! est-ce joie ou douleur qu'un mapporte?

t SCÈNE III. — DON PEDRE, ÉLISB.

ÉLISE. OÙ...?

DON PÈDRE.

Si vous me cherchez, madame, me voici.

ÉLISE.

En quel lieu votre maître?

DON PFDRE.

il est proche d'ici. Le ferai-je venir?

ÉLISE.

Dites-lui qu'il s'a\anc8^

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ACTE IV, SCK.NE V. 505

assuré qu'on rallciid avec inipaliciuo, El qu'il ne se verra d'aucuns yeux éclairé.

(seule.) Je ne sais quel secret en doit être auguré. Tant de proc.uitions qu'il affecte de prendra... Mais !e voici déjà.

SCÈiNE IV. — DOiNE IGXÈS, dcguisce en homme; ELISE. ÉLISE.

Seigneur, pour vous atlondre On a fait... Mais que vois-jc? Aii ! madame! mes yeux..»

DONE IGNiS.

Ne me découvrez point, Élise, dans ces lieux, Et laissez respirer ma triste destinée Sous une feinte mort que je me suis donnée. C'est elle qui m'arrache à tous mes fiei s tyrans. Car je puis sous ce nom comprendre mes parents. J'ai par elle évité cet hymen redoutable Pour qui j'aurois souffert une mort véritable; Et, sous cet équipage et le bruit de ma mort, Il faut cacher à tous le secret de mon sort, Pour me voir à l'abri de l'injuste poursuite Qui pourroit dans ces lieux persicuter ma fuite.

ÉLISE.

Ha surprise en public eût trahi vos desiis.

Mais allez là dedans étouffer des soupirs,

Et des charmants transports d'une plcirie allégresse

Saisir à votre aspect le cœur de la priiuesse;

Vous la trouverez seule : elle-même a pris soin

Que votre abord fût libre et n'eût aucun témoin.

SCÈNE V. — DON ALVAR, ÉLISE.

ÉLISE.

Vois-je pas don Alvar?

DON ALVAR.

Le prince me renvoie Vous prier que pour lui vohe crédit s'emploie. De ses jours, belle Elise, on doit n'ospéi'cr rien, S'il n'obtient par vos soins un monitiit d'entretien; Son ame a des transports... Mais le voici lu> ménie.

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504

DON GARCIE DE NxWARRE.

SCÈNE VI. — DON GARCIE, DON ALVAR, ÉLISE

DON GARCIE.

Ah ! sois un peu sensible à ma disgrâce exlrême, Elise, et prends pitié d'un cœur infortuné, Qu'aux plus vives douleurs tu vois abandonné.

ÉLISE.

C'est avec d'autres yeux que ne fait la princesse,

Seigneur, que je verrois le tourment qui vous presse;

Mais nous avons du ciel, ou du tempérament,

Que nous jugeons de tout chacun diversement :

lit, puisqu'elle vous blâme, et que sa fanlaisie

Lui fait un monstre affreux de voire jalousie,

Je serois complaisant, et voudrois m'elïorcer

De cacher à ses yeux ce qui peut les blesser.

Un amant suit sans doute une utile mélliodc,

S'il fait qu'à notre humeur la sienne s'accommode;

Et cent devoirs font moins que ces ajustcnunls.

Qui font croire en deux cœurs les mêmes sentiments,

L'art de ces deux rapports fortement les assemble,

El nous n'aimons rien tant que ce qui nous ressemble.

DON GARCIE.

Je le sais; mais, hélas I les deslins inhumains

S'opposent à l'effet de ces justes desseins,

Et, malgré tous mes soins, viennent toujours me tendre

Un piège dont mon cœur ne sauroil se défendre.

Ce n'est pas que l'ingrate, aux yeux de mon rival,

N'ait fait contre mes feux un aveu trop fatal.

Et témoigné pour lui des excès de tendresse

Dont le cruel objet me reviendra sans cesse :

Mais, comme trop d'ardeur enfin m'avoit séduit,

Quand j'ai cru qu'en ces lieux elle l'ait introduit,

D'un trop cuisant ennui je sentirois l'alleinfe

A lui laisser sur moi quelque sujet de plainte.

Oui, je veux faire au moins, si je m'en vois quitté,

Que ce soit de son cœur pure infidélité;

Et, venant m'cxcuser d'un trait de promptitude,

Dérober tout prétexte à son ingratitude.

ÉLISE.

Laissez un peu de temps à son ressentiment, Et oe la voyez point, seigneur, si promptement.

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ACTE IV, SCENE VU. 503

DOW GARCIE.

Ah! si lii nie chéris, oblieus que je la voie; C'est une libellé qu'il faut qu'elle m'octroie; Je ue pai s point dici qu'au moins son fier dédaio..*

ÉLISE.

De grâce, différez l'effet de ce dessein.

DON GARCIE.

Non, ne m'oppose point une excuse frivole.

ÉLISE , à part.

Il faut que ce soit elle, avec une parole, Qui trouve les moyens de le faire en aller.

(à don Garcic.)

Demeurez donc, seigneur; je m'en vais lui parler.

DON CAnClE.

Dis-lui que j'ai d'abord banni de ma présence Celui dont les avis ont causé mon offense; Que don Lope jamais...

SCÈNE VII. - DOiN GARCIE, DON ALVAR.

DON GARCIE, regardant par la porte qu'Élise a laissée entr'ouvwKU

Que vois-je? ô justes cieuxl Faut-il que je m'assure au rapport de mes yeux? Ah ! sans doute ils me sont des témoins trop fidèlesl Voilà le coinble affreux de mes peines mortelles! Voici le coup fatal qui devoil m'accablerl Et quand par des soupçons je me senlois troubler, C'éloil, c'étoit le ciel, dont la sourde menace Présageoit à mon cœur cette horrible disgrâce.

DON ALVAR.

Qu'avcz-vous vu, seigneur, qui vous puisse émouvoir*?

DON GARCIE.

J'ai vu ce que mon ame a peine à concevoir; El le renversement de toute la nature Ne m'étonneroit pas comme cette aventure. C'en est fait... le destin... .Je ne saurois parler.

DON ALVAR.

Seigneur, que votre esprit tâche à se rappeler.

DON GARCIE.

J'ai vu... Vengeance!.-- ciel!

Ce vers et les cinq qui suivent sont L'->rs le Misanthrope, acte IV, scènt ii

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506 DON GARCIE DE NAVARRE.

DON ALVAR.

Quelle atteinte soudaine...

DON GAIICIE.

J'en mourrai, don Alvar; la chose est bien certaine.

DON ALVAR.

Mais, seigneur, qui pourroit ..

DON GARCIE.

Ah ! tout est ruiné; Je suis, je suis trahi, je suis assai^siné* : Un homme (sans mourir le le puis-je bien dire?) Uq homme dans les bras de l'infidèle Elvirel

DON ALVAO..

Ah! seigneur, la princesse est vertueuse au point...

DON GARCIE.

Ah I sur ce que j'ai vu ne me contestez point, Don Alvar : c'en est trop que soutenir sa gloire, Lorsque mes yeux font foi d'une action si noire.

DON AlVAR.

Seigneur, nos passions nous font prendre souvent Pour chose véritable un objet décevant; Et de croire qu'une arae à la vertu nourrie Se puisse...

DON GARCIE.

Don Alvar, laissez-moi, je vous prie; Un conseiller me choque en cette occasion, Et je ne prends avis que de ma passion.

DON ALVAR, à part.

Il ne faut rien répondre à cet esprit farouche.

' DON GARCIE.

Ah! que sensiblement cette atteinte me touche; Mais il faut voir qui c'est, et de ma main punir... La voici. Ma fureur, te peux-tu retenir?

SCÈNE Vliï. — DONE ELVIRE, DON GARCIE, DON ALVAR.

DONE ELVIRE.

Hé bien! que voulez-vous? et quel espoir de grâce, Après vos procédés, peut flatter votre audato? Osez-vous à mes yeux encor vous présenter ? Et que me direz-vous que je doive écouler?

'(^ \«<'s et le precédeut sont encor» (iana le Misanthrope, acte IT, «c£mB>

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ACTE IV, SCEiNE VI!L 30?

DON GARCIE.

Que toutes les horreurs dont uiio aine est capable A vos déloyaulés n'ont rien de comparable; Que le sort, les dénions, et le ciel en courroux, N'ont jamais rien produit de si méchant que vous*.

DONE ELVIRE.

Ah I vraiment, j'attendois l'excuse d'un outrage; Mais, à ce que je vois, c'est un autre langage.

DON GAUCIE.

Oui, oui, c'*»!! est un autre, et vous n'attendiez pas

Que j'eusse «lécouvert le traître dans vos bras;

Qu'un funeste hasard, par la porte entr'ouverte,

Eut offert à mes yeux votre honte et ma perte.

Est-ce l'heureux amant sur ses pas l's.venu,

Ou quelque aulre rival qui m'étoit inconnu?

ciel ! donne à mon cœur des forces suilisantes

Pour pouvoir suppiuler des douleurs si cuisantes I

Rougissez mainkiiant, vous en avez raison,

Et le mas(iue est levé de votre trahison.

Voili ce que maïqiioicnt les troubles de mon ame;

Ce n'éloit pas en vain que s'alarmoit ma llamme;

Par ces fréquents soupçons qu'on trouvent odieux.

Je cherchois le malheur qu'ont rencontré nies yeux;

Et, malgré tous vos soins et votre adresse à feindre.

Mon astre me disoit ce que j'avois à craindre.

Mais ne présumez pas que, sans être vengé,

Je souffre le dépit de me voir outragé.

Je sais que sur les vœux on n'a point de puissance;

Que l'amour veut partout naître sans dépendance;

Que jamais par la force on n'entra dans un cœur;

Et que toute ame est libre à nommer son vainqueur :

Aussi ne trouverois-je aucun sujet de plainte,

Si pour moi votre bouche avoit parlé sans feinte;

Et, son arrêt livrant mon espoir à la mort,

Mon cœur n'auroit eu droit de s'en prendre qu'au sort.

Mais d'un aveu trompeur voir ma tlamme applaudie,

C'est une trahison, c'est une perfidie

Qui ne sauioit trouver de trop grands châtiments;

Et je puis tout permettre à mes ressentiments.

' Ces quatre derniers vers s« retrouvent dans U Mitanthrope, acte IV, scène ISb

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50S DON GARCIE DE NAVAR

Non, non, n'espérez rien aprcs un tel ou liage; Je ne suis plus à moi, je suis tout à la rage' Trahi de tous côtés, mis dans un triste étal, Il faut que mon amour se venge avec éclat; Qu'ici j'immole tout à ma fureur exlrémo, Et que mon désespoir achève par moi-même.

DONE ELVIRE.

Assez paisiblement vous a-t-on écouté?

Et pourrai-je à mon tour parler en liberté?

DON GARCIE.

Et par quels beaux discours, que l'artifice inspir*.»^

DONE ELVIRE.

Si vous avez encor quelque chose à me dire, Vous pouvez l'ajouter, je suis prête à l'ouïr; SiuoQ, faites au moins que je puisse jouir De deux ou trois moments de paisible audience.

DON GARCIE.

Hé bien! j'écoute. ciel! quelle est ma patience!

DONE ELVIRE,

Je force ma colère, et veux, sans nulle aigreur, Répondre à ce discours si rempli de fureur.

DON GARCIE.

C'est que vous voyez bien...

DONE ELVIRE.

Ahl j'ai prêté l'oreille Autant qu'il vous a plu ; rendez-moi la pareille. J'admire mon destin, et jamais sous les cieux Il ne fut rien, je crois, de si prodigieux, Rien dont la nouveauté soit plus inconcevable, Fi rien que la raison rende moins supportable. Je me vois un amant qui, sans se rebuter, Applique tous ses soins à me persécuter; Qui, dans tout cet amour que sa bouche m'exprime. Ne conserve pour moi nul sentiment d'estime; Rien, au fond de ce cœur qu'ont pu blesser mes yeux. Qui fasse droit au sang que j'ai reçu des cieux,

■ Ce vers et les vingi-trois prcccdeiits ont été employé* dans la troiiitee scène iti qualricmc acle du Misanthrope.

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ACTE IV, SCÈNE VIII. 309

Et de mes aciions défende rinnocence

Contre le moindre effort d'une fausse apparence.

Ouij je vois...

(Uon oarcie montre de l'impatience ponr parler.}

Ah! surtout ne m'interrompez point. Je Tois, dis-je, mon sort malheureux à ce point, Qu'un cœur qui dit qu'il m'aime, et qui doit faire croire Que, quand tout l'univers douteroit de ma gloire, Il voudroit contre tous en être le garant, Est celui qui s'en fait l'ennemi le plus grand. On ne voit échapper aux soins que prend sa (lamme Aucune occasion de soupçonner mon ame ; Mais c'est peu des soupçons, il en fait des éclats Que, sans être blesse, l'amour ne souffre pas. Loin d'agir en amant qui, plus que la mort même, Appréhende toujours d'offenser ce qu'il aime, Qui se plaint doucement, et cherche avec respect A pouvoir s'édaircir de ce qu'il croit suspect, A toute extrémité dans ses doutes il passe; Et ce n'est que fureur, qu'injure, et que menace. Cependant aujourd'hui je veux fermer les yeux Sur tout ce qui devroil me le rendre odieux, Et lui donner moyen, par une bonté pure. De tirer son salut d'une nouvelle injure. Ce grand emportement qu'il m'a fallu souffrir Part de ce qu'à vos yeux le hasard vient d'offrir, J'aurois tort de vouloir démentir votre vue, Et votre ame sans doute a dû paroîire émue.

DON CARCIE.

El n'est-ce pas...

DONE ELVIRE.

Encore un peu d'attention. Et vous allez savoir ma résolution. 11 faut que de nous deux le destin s'accomplisse : Vous êtes maintenant sur un grand précipice, Et ce que votre ceeur pourra délibérer Va vous y faire choir, ou bien vous en tirer. Si, malgré cet objet qui vous a pu surprendre, Prince, vous me rendez ce que vous devez rendre, El ne demandez point d'autre preuve que moi, Pour condamaer l'erreur du trouble où je vous voi;

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510 DON GAIICIE DE NAVARHE.

Si de vos sentiments la prompte déféience

Veut sur ma seule foi croire mon innocence,

Et de tous vos soupçons démcnlir le crédit,

Pour croire aveuglément ce que mon cœur vous dit,

Cette soumission, cette marque d'estime,

Du passé dans ce cœur efface tout le crime;

Je rétracte, à l'instant, ce qu'un juste courroux

M'a fait, dans la chaleur, prononcer contre vous;

El si je puis un jour dioisir ma destinée,

Sans choquer les devoirs du rang où je suis née,

Mon honneur, satisfait par ce respect soudain.

Promet à votre amour et mes vieux et ma main.

Mais prêtez bien l'oreille à ce que je vais dire :

Si celte offre sur vous obtient si peu d'empire.

Que vous me refusiez de me faire onlie nous

Un sacrifice entier de vos soupçons jaloux;

S'il ne vous suffit pas de toute l'assuiance

Que vous peuvent donner mon cœur et ma naissance,

Et que de votre esprit les ombrages puissants

Forcent mon innocence à convaincre vos sens,

Et porter à vos yeux l'cclalanl témoignage

D'une vertu sincère à qui l'on fait outrage;

Je suis prèle à le faire, et vous serez content :

Mais il vous faut de moi détacher à l'instant, ,

A mes vœux pour jamais renoncer de vous-même;

El j'atteste du ciel la puissance suprême.

Que, quoi que le destin puisse ordonner de nous,

Je choisirai plutôt d'être à la mort qu'à vous.

Voilà dans ces deux choix de quoi vous satisfaire :

Avisez maintenant celui qui peut vous plaire*.

DON GARCÎE.

Juste ciell jamais rien peut-il être inventé Avec plus d'artifice et de déloyauté? Tout ce que des enfers la malice étudie A-t-il rien de si noir que cette perfidie? Et peut-elle trouver dans toute sa rigueur Un plus cruel moyen d'embarrasser un cœur? àh ! que vous savez bien ici contre moi-même *,

' Aviser, dans le sens de chercher,

' Ce ven et les trois suivants sont lans la mime scèoe du Minnihrof»,

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ACTE IV, SCENE VIII. 5H

Ingialo, vous servir de ma foiblesse extrême, El incaagor pour vous l'effort prodigieux De ce fatal amour né de vos traîtres yeux ! Parcequ'oii est surprise, el qu'on manque d'excuse, D'une offre de pardon on emprunte la ruse : Votre feinte douceur forge un amusement, Pour divertir l'effet de mon ressentiment; El, par le nœud subtil du choix qu'elle embarrasse, Veut soustraire un perfide au coup qui le menace. Oui, vos dextérités veulent me détourner D'un éclaircissement qui vous doit condamner; Et votre ame, feignant une innocence entière, Ne s'offre à m'en donner une pleine lumière Qu'à des conditions, qu'après d'ardents souliails Vous pensez que mon cœur n'acceptera jamais ; Mais vous serez trompée en me croyant surprendre. Oui, oui, je prétends voir ce qui doit vous défendre, Et quel fameux prodige, accusant ma fureur, Peut do ce que j'ai vu justifier l'horreur.

DDNE ELVIRE.

Songez que par ce choix vous allez vous prescrire De ne plus rien prétendre au cœur de done Elvire.-

DON GARCIE.

Soit. Je souscris à tout; et mes vœux, aussi bien, En l'état où je suis, ne piétendent plus rien.

DONE ELVinE.

Vous vous repentirez de l'éclat que vous faites.

DON GARCIE.

Non, non, tous ces discours sont de vaines défaites; Et c'est moi bien plulôt qui dois vous avertir Que quelque autre dans peu se pourra repentir : Le traître, quel qu'il soit, n'aura pas l'avantage De dérober sa vie à l'effort de ma rage.

DONE ELVIRK.

Ah! c'est trop en souffrir, et mon cœur irrité Ne doit plus conserver une sotte bonté; Abandonnons l'ingrat à son propre caprice; Et, puisqu'il veut périr, consentons qu'il périsse.

(à don Garcie.)

Élise... A cet éclat vous voulez me forcer;

Mais je vous apprendrai que c'est trop m'offcaser« 

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512 DON GARCIE DE NAVARRE.

SCÈNE IX. — DONE ELVIRE, DON GARCIE, ÉLISE. DON ALVAR.

DONE I LVIUE, à Élise.

Faites un peu soïlir la persoune chérie .. Allez, vous m'entendez; dites que je l'en prie,

DON GARCIE.

Et je puis...

DONE ELVIRE.

Attendez, vous sciez satisfait.

ÉLISE, à part, en sortant.

Voici 4e son jaloux, sans doute, un jjouveau trait

DONE ELYIRE.

Prenez garde qu'au moins celte noble colère Dans la même fierté jusqu'au bout persévère; Et surtout désormais songez bien à quel prix Vous avez voulu voir vos soupçons éclaircis.

SCÈNE X. — DONE ELVIRE, DON GARCIE, DONE IGNÉS,

déguisée en homme; ÉLISE, DON ALVAR. DONE ELVIRE , à don Garcie, en lui mootrant dooe Ignés.

Voici, grâces au ciel, ce qui les a fait naître

Ces soupçons obligeants que Ion me fait paroître;

Voyez bien ce visage, et si de donc Ignés

Vos yeux au même instant n'y connoisseut les traiU.

DOIS GARCIE.

ciel I

DONE ELVIRE

Si la fureur dont votre ame est émue Vous trouble jusque-là l'usage de la vue, Vous avez d'autres yeux à pouvoir consulter, Qui ne tous laisseront aucun lieu de douter. Sa mort est une adresse au besoin inventée Pour fuir l'autorité qui l'a persécutée; Et sous un tel habit elle cachoit son sort, Pour mieux jouir du fruit de celle feinte mort.

(à done Ignés.)

Madame, pardonnez s'il faut que je consente A trahir vos secrets et tromper votre attente; Je me vois exposée à sa témérité; Toutes mes actions n'ont plus de liberté,

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ACTE IV, sc?::;e xi ôis

El mon honneur, en bulle aux soupçons qu'il peut prendre, Esl réduit à loule heure aux soins de se défendre. Nos doux embrasscnients, qu'a surpris ce jaloux, De ceiil indignités m'ont fait souffrir les coups. Oui, voilà le sujet d'une fureur si prompte. Et l'assuré témoin qu'on produit de ma honte, (à don Garcie.)

Jouissez à cette heure, en tyran absolu. De réclaircissemcnt que vous avez voulu; Mais sachez que j'aurai sans cesse la mémoire De l'outrage sanglant qu'on a fait à ma gloire, Et, si je puis jamais oublier mes serments. Tombent sur moi du ciel les plus grands châtiments. Qu'un tonnerre éclatant mette ma tète en poudre, lorsqu'à souffrir vos feux je pourrai me résoudre! Allons, madame, allons, ôtons-nous de ces lieux (Ju'infcctent les regards d'un monstre furieux; Fuyons-en promplemont l'atteinte envenimée, Évitons les effets de sa lage animée, El ne faisons des vœux, dans nos justes desseins, Que pour nous voir bientôt affranchir de ses mains.

DONE ICNTS, à don Garcie.

Seigneur, de vos soupçons l'injuste violence A la même vertu vient de faire une offense.

SCÈNE XI. - DOX GARCIE, DON ALVAR.

DON GARCIE.

Quelles tristes clartés, dissipant mon erreur, Enveloppent mes sens d'une profonde horreur, JEl ne laissent plus voir à mon ame aballue Que l'effroyable objet d'un remords qui me tueî Ahl don Alvar, je vois que vous avez raison; Mais l'enfer dans mon cœur a soufflé son poison; Et, par un trait fatal d'imu rigueur extrême. Mon plus grand ennemi se rencontre en moi-même. Que me sert-il d'aimer du plus ardent amour Qu'une ame consumée ail jamais mis au jour, Si, par CCS mouvements qui font toute ma peine, Cet amour à tout coup se rend digne de haine? Il faut, ii iaut venger par moD juste trépas

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514 DON GARCIE DE NAVAKi'.E.

L'outrage que j'ai fait à ses divins appas; Aussi bien quels conseils aujourd'hui puis-je suivre? Ahl j'ai perdu l'objet pour qui j'ainiois à vivre. Si j'ai pu renoncer à l'espoir de ses vœux, Renoncer à la vie est beaucoup moins fâcheux.

DON ALVAR.

Seigneur...

DON GARCIE.

Non, don Alvar, ma niort est nécessaire, II n'est soins ni raisons qui m'en puissent distraire; Mais il faut que mon sort, en se précipilauf, Rende à cette princesse un service éelatanl; Et je veux me cherclier, dans celte illustre envie, Les moyens glorieux de sortir de la vie; Faire, par un grand coup qui signale ma foi, Qu'en expirant pour elle elle ait regret à moi, Et qu'elle puisse dire, en se voyant vengée : « C'est par son trop d'amour qu'il m'avoit outragée. » Il faut que de ma main un illustre attentat Perle une mort trop due au sein de Mauregat; Que j'aille prévenir, par une belle audace. Le coup dont la Castille avec bruit le menace; Et J'aurai des douceurs dans mon instant fatal, De ravir cette gloire à l'espoir d'un rival.

DON ALYAR.

Un service, seigneur, de cette conséquence Auroit bien le pouvoir d'effacer voire offense; Mais hasarder...

DON GARCIE.

Allons, par un juste devoir, Faire à ce noble effort servir mon désespoir.

rm DC QDATRnME AOTE

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ACTE V, SCÈNE I. 541!

ACTE CINQUIÈME.

SCÈNE I. — DON ALVAR, ÉLISE

DON ALVAU.

Oui, jamais il ne fut de si rude surprise.

Il venoit de fornicr telle haute entreprise;

A l'avide désir d'immoler Mauregat,

De son prompt désespoir il tournoit tout l'éclai;

Ses soins précipités vouloienl à son courage

De celte juste mort assurer l'avantage,

Y chercher son pardon, et prévenir l'ennui

Qu'un rival partag«:'àt cette gloire avec lui.

11 sortoit de ces murs, quand un bruit trop fidèle

Est venu lui porter la fiiclieuse nouvelle

Que ce même rival, qu'il vouloil prévenir,

A remporté l'honneur qu'il pensoit obtenir,

L'a prévenu lui-même en immolant le traître,

Et poussé dans ce jour don Alphonse à paraître,

Qui d'un si prompt succès va goûter la douceur,

Et vient prendre en ces lieux la princesse sa sœur.

Et, ce qui n'a pas peine à gagner la croyance,

On entend publier que c'est la récompense

Dont il prétend payer le service éclatant

Du bras qui lui fait jour au trône qui l'attend.

ÉLISE.

Oui, done Elvire a su ces nouvelles seniées. Et du vieux don Louis les trouve confirmées. Qui vient de lui mander que Léon, dans ce jour, De don Alphonse et d'elle attend l'heureux retour Et que c'est là qu'on doit, par un revers prospère, Lui voir prendre un époux de la main de ce frèi'e. Dans ce peu qu'il en dit, il donne assez à voir Que don Sylve est l'époux qu'elle doit recevoir

DON ALVAR.

Ce coup au cœur du prnice...

ÉLISE.

< Est sans doute bien rude^

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516 DON GARCÎE DE NAVARRE.

Et je le trouve à plaindre en son inquiétude.

Son intcièt pourtant, si j'en ai bien jugé,

Est cncor cher au cœur qu'il a tant outragé;

Et je n'ai point connu qu'à ce succès qu'on vante,

La princesse ail fait voir une aine fort contente

De ce frère qui vient, et de la lettre aussi ;

Mais...

SCÈNE II. — DONE ELVIRE, DONE IGNÉS, dégmiee en koaM; ÉLISE, DON ALVAR.

DONE ELVIRE.

Faites, don Alvar, venir le prince ici.

(don Alvar sort

Souffrez que devant vous je lui parle, madame,

Sur cet événement dont on surprend mon ame;

Et ne m'accusez point d'un trop prompt changement,

Si je perds contre lui tout mon ressentiment.

Sa disgrâce imprévue a pris droit de l'éteindre;

Sans lui laisser ma haine, il est assez à plaindre;

Et le ciel, qui l'expose à ce trait de rigueur.

N'a que trop bien servi les serments de mon cœur.

Un éclatant arrél de ma gloire outragée

A jamais n'être à lui me tenoit engagée;

Mais quand par les deslins il est exécuté,

J'y vois pour son amour trop de sévérité ;

Et le trisle succès de tout ce qu'il m'adresse

M'efface son offense, et lui rend ma tendresse :

Oui, mon cœur, trop vengé par de si rudes coups,

Laisse à leur cruauté désarmer son courroux,

Et cherche maintenant, par un soin pitoyable,

A consoler le sort d'un amant misérable;

Et je crois que sa flamme a bien pu mériter

Celte compassion que je lui veux prêter.

DONE IGNÉS.

Madame, on auroil tort de trouver à redire Aux tendres sentiments qu'on voit qu'il vous inspir*, Ce qu'il a fait pour vous... Il vient, et sa pâleur De ce coup surprenant marque assez la douleur.

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ACTE V, SCF.rsïL III. 3i:

SCÈNE III. - DON GARCIE, DONK KI.VHlb. DONl UiNÉS,

déguisée en homme; Ll-iit^-» DON GARCIE.

Madame, avec quel front faiil-il que je I^'a^allc«, Quand je viens vous offrir l'odieuse présente...

DONE ELVIRK.

Prince, ne parlons plus de mon ressenliineiil.

Votre sort dans mon ame a fait du change ment;

Et, par le triste étal où sa rigueur vous jelle,

Ma colère est éteinte, et notre paix est faite.

Oui, bien que votro amour ail mérité les coups

Que fait sur lui du ciel éclater le courroux.

Bien que ces noirs soupçons aient offensé ma gloire

Par des indignités qu'on auroit peine à croire,

J'avouerai toutefois que je plains son malheur

Jusqu'à voir nos succès avec quelque douleur"

Que je hais les faveurs de ce fameux service,

Lorsqu'on veut de mou cœur lui faire uu sacrifice,

Et voudrois bien pouvoir racheter les moments

Où le sort contre vous n'armoit que mes serments :

Mais enfin vous savez comme nos destinées

Aux intérêts publics sont toujours enchaînées,

Et que l'ordre des cieux, pour disposer de moi,

Dans mon frère qui vient me va montrer mon roi.

Cédez comme moi, prince, à cette violence

Où la grandeur soumet celles de ma naissance ;

Et si de votre amour les déplaisirs sont grands.

Qu'il se fasse un secours de la part que j'y prends,

Et ne se serve point, contre un coup qui l'élonne.

Du pouvoir qu'en ces lieux votre valeur vous donne :

Ce vous seroit, sans doute, un indigne transport

De vouloir dans vos maux lutter contre le sort;

Et lorsque c'est en vain qu'on s'oppose à sa rage,

La soumission prompte est grandeur de courage.

Ne résistez donc point à ses coups éclatants,

Ouvrez les murs d'Astorgue au frère que j'attends,

Laissez-moi rendre aux droits qu'il peut sur moi prétendre

Ce que mon triste cœur a résolu de rendre;

Et ce fatal hommage, où mes vœux sont forcés.

Peut-être n'ira pas si It"« aue vous pensez.

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518 DON GAHCIE DE NAVARRE

DON GARCIE.

C'est faire voir, madame, une bonté trop rare.

Que vouloir adoucir le coup qu'on me prépare :

Sur moi sans de tels soins vous pouvez laisser choir

Le foudre rijjoureux de tout votre devoir.

En l'état où je suis je n'ai rien à vous dire.

J'ai mérité du sort tout ce qu'il a de pire;

Et je sais, quelques maux qu'il me faille endurer,

Que je me suis ôlé le droit d'en murmurei-.

Par où pourrois-je, hélas I dans ma vasle disgrâce,

Vers vous de quelque plainte autoriser l'audace?

Mon amour s'est rendu mille fois odirux,

11 n'a fait qu'outrager vos alfraits glorieux;

Et, lorsque par un juste et fameux sacridce

Mon bras à votre sang cherche à rendre un service.

Mon astre m'abandonne au déplaisir fatal

De me voir prévenu par le bras d'un ri\a!.

Madame, après cela je n'ai rien à prétendre,

Je suis digne du coup que l'on me fait allendre;

Et je le vois venir, sans oser contre lui

Tenter de votre cœur le favorable appui.

Ce qui peut me rester dans mon malheur extrême.

C'est de chercher alors mon remède en moi-même.

Et faire que ma mort, propice à mes désirs,

Affrancliisse mon c^ur de tous ses déplaisirs.

Oui, bientôt dans ces lieux don Aiphoisse doit étrt;,

Et déjà mon rival commence de paraître;

De Léon vers ces murs il semble avoir volé

Pour recevoir le prix du tyran immolé.

Ne «aignez point du tout qu'aucune résistance

Fasse valoir ici ce que j'ai de puissance :

II n'est effort humain que, pour vous conserver,

Si vous y consentiez, je ne pusse braver;

Mais ce n'est pas à moi, dorit on hait la mémoire,

A pouvoir espérer cet aveu plein de gloire;

Et je ne voudrois pas, par des efforts trop \aiiis,

Jeter le moindre obstacle à vos justes desseins.

Non, je ne contrains point vos seniimcnls, madame;

Je vais en liberté laisser toute votre ame.

Ouvrir les murs d'Astorgue à cet heureux vainqueur,

Et subir de mon son' la dernière rigueur.

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ACTE V, SCENIi; IV. 311>

SCÈNE IV. — DONE ELVIIŒ. DONE IGNÉS, déguisée en homow , ÉLISE.

DONE ELVinr.

Madame, au désespoir où son destin l'expose De tous mes déplaisirs n'imputez pas la cause. Vous me rendiez justice en croyant que mon cœur Fait de vos intérêts sa plus vive douleur; Que bien plus que l'amour l'amilié m'est sensible, Et que, si je me plains d'une dis;',race horrible. C'est de voir que du ciel le funeste courroux Ait pris chez moi les traits qu'il lance contre vous, Et rendu mes regards coupiibles d'une flamme Qui traite indignement les bontés de votre ame

DONE IGNrs.

C'est un événement dont, sans doute, vos yeux N'ont point pour moi, madame, à quereller les cieua. Si les foibles attraits qu'étale mon visage M'exposoient au destin de souffrir un volage, Le ciel ne pouvoit mieux m'adoucir de tels coups, Quand, pour m'ôter ce cœur, il s'est servi de vous ; Et mon front ne doit point rougir d'une inconstance Qui de vos traits aux miens marque la différence. Si pour ce changement je pousse des soupirs, Ils viennent de le voir fatal à vos désirs; Et, dans cette douleur que l'amitie m excite, Je m'accuse pour vous de mon peu de mérite, Qui n'a pu retenir un cœur dont les tributs Causent un si ^rand trouble à vos vœux combattus

DONE ELVIRE.

Accusez-vous plutôt de l'injuste silence

Qui m'a de vos deux cœurs caché l'intelligonce.

Ce secret, plus tôt su, peut-être à toutes deux

Nous auroit épargné des troubles si fâcheux;

Et mes justes froideurs, des désirs d'un volage

Au point de leur naissance ayant banni l'hoinmago,

Eussent pu renvoyer...

DONE IGNÈS.

Mndame, le voici.

DONE ELVIRE. ' -

Sans rencontrer ses yeux vous pouvez être ici;

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320 DON GARCIE DL NAVARRE.

Ne sortez poinl, maaame, et, dans un tel martyre, Veuillez élre témoin de ce que je vais dire.

DONE IGNKS.

Madame, j'y consens, quoique je sache bien Qu'on fuiroit en ma place un pareil entielieD.

DONE ELVIRE.

Son succès, si le ciel seconde ma pensée, Madame, n'aura rien dont fous soyez blessée.

SCÈNE V. — DON ALPHONSE, cru don sjWe; DONE ELVIRft.

DONE IGNÈS, déguisée enjiomme; ÉLISE. DONE ELVIRE.

Avant que vous parliez, je demande instamment

Que vous daigniez, seigneur, m'écoufer un moment

Déjà la renommée a jusqu'à nos oreilles

Porté de votre bras les soudaines merveilles,

El j'admire avec tous comme en si peu de temps

Il donne à nos deslins ces succès éclatants.

Je sais bien qu'un bienfait de celte conséquence

Ne sauroit demander trop de reconnoissance.

Et qu'on doit toute chose à l'exploit immortel

Qui replace mon frère au trône paternel.

Mais, quoi que de son cœur vous offrent les hommages,

Usez en généreux de fous vos avantages.

Et ne permettez pas que ce coup glorieux

Jette sur moi, seigneur, un joug impérieux;

Que votre amour, qui sait quel intérêt m'anime,

S'obstine à triompher d'un refus légitime.

Et veuille que ce frère, où l'on va m'exposer,

Commence d'être roi pour me tyranniser.

Léon a d'autres prix dont, en cette occurrence,

Il peut mieux honorer votre haute vaillance;

El c'est à vos vertus faire un présent trop bas,

Que vous donner un cœur qui ne se donne pas.

Peut-on être jamais satisfait en soi-même.

Lorsque par la contrainte on obtient ce qu'on aime?

C'est un triste avantage, et l'amant généreux

A ces conditions refuse d'être heureux;

Il ne veut rien devoir à celte violence

Qu'exercent sur nos cœurs les droits de la naissaDoe,

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ACTE V, SCÈNE V.

l:t pour l'objet qu'il aime est toujours trop ic\é Pour soulfiir qu'en victime il lui soit immolé. Ce n'est pas que ce cœur, au mérite d'un autre, Prétende réserver ce qu'il refuse au vôtie; Non, seigneur, j'en réponds, et vous donne ma foi Que personne jamais n'aura pouvoir sur moi ; Qu'une sainte retraite à toute autre poursuite...

DON ALPHONSE.

J'ai de votre discours assez souffert la suite.

Madame; et par deux mots je vous l'eusse épargné,

Si votre fausse alarme eût sur vous moiuts gagné.

Je sais qu'un bruit commun, qui partout se fait croire,

De la mort du tyran me veut donner la gloire;

Mais le seul peuple enfin, comme on nous fait savoir,

Laissant par don Louis échauffer son devoir,

A remporté l'honneur de cet acte héroïque

Dont mon nom est chargé par la rumeur publique;

Et ce qui d'un tel bruit a fourni le sujet,

C'est que, pour appuyer son illustre projet,

Don Louis fit semer, par une feinte utile.

Que, secondé des miens, j'avois saisi la ville;

Et, par cette nouvelle, il a poussé les bras

Qui d'un usurpateur ont hâté le trépas.

Par son zèle prudent il a su tout conduire,

Et c'est par un des siens qu'il vient de m'en instruire {

Mais dans le même instant un secret m'est appris,

Qui va vous étonner autant qu'il m'a surpris.

Vous attendez un fière, et Léon, son vrai maître;

A vos yeux maintenant le ciel le fait paraître :

Oui, je suis don Alphonse; et mon sort conservé.

Et sous le nom du sang de Castille élevé,

Est un fameux effet de l'arnitié sincère

Qui fut entre son prince et le roi no»re père.

Don Louis du secret a toutes les clartés,

Et doit aux yeux de tous prouver ces vérités.

D'autres soins maintenant occupent ma pensée:

Non qu'à votre sujet elle soit traversée.

Que ma Hamme querelle un tel événement,

Et qu'en mon cœur le frère importune l'amant

Mes feux par ce secret ont reçu sans nmrmure

Le changement qu'ea eux a prescrit la nature;

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322 DOiN GARCIE DE NAVARRfc.

Et le sang qui nous joint m'a si bien détac! e De rameur dont poui- vous mon cœur étoit louché. Qu'il ne respire plus, pour faveur souverain?, Que les clièrcs douceurs de sa première chaîne, Et le moyen de rendre à l'adorable Ignés Ce que de ses bontés a mérité l'excès : <JIais son sort incertain rend le mien misérable; Et, si ce qu'on on dit se trouvoit véritable, En vain Léon ni'nppelle et le trône m'attend; La couronne n'a rien à me rendre content, Et je n'en veux l'éclat que pour goûter la joie D'en couronner l'objet où le ciel fiie renvoie, Et pouvoir réparer, par ces justes tributs, L'outrage que j'ai fait à ses rares vertus. Madame, c'est de vous que j'ai raison d'attendre Ce que de son destin mon ame peut apprendre; Instruisez-m'en, de grâce; et, par votre discours, Hâtez mon désespoir, ou le bien de mes jours.

DOXC ELVIRE.

Ne vous étonnez pas si je larde à répondre, Seigneur; ces nouveautés ont droit do me confondret Je n'entreprendrai point de dire à votre amour Si done Ignés est moi te, ou respire le jour ; Mais par ce cavalier, l'un de ses plus fidèles, Vous en pourrez sans doute apprendre des nouvelles.

DON ALPHONSE, reconnoissant done Ignés.

Ahl madame, il m'est doux en ces perplexités De voir ici briller vos célestes beautés. Mais vous, avec quels yeux verrcz-vous un volage Dont le crime...

DOSE IGNÉS.

Ah ! gardez de me faire un outrage, Et de vous hasarder à dire que vers moi Un cœur dont je fais cas ait pu manquer de foi. J'en refuse l'idée, et l'excuse me blesse; Rien n'a pu m'offenser auprès de la princesse; Et tout ce que d'ardeur elle vous a causé Par un si haut mérite est assez excusé. Celte tlanmie vers moi ne vous rend point coupable^ El, dans le noble orgueil dont je me sens capable, Sachez, si vous l'étiez, que ce seroil en vain

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ACTE V, SCtNt; VI. 323

Que vous présumeriez de fléchir mon dédain; Kt qu'il n'est rcpenlir, ni suprême puissance, Qui gagnât sur mon cœur d'oublier cette offense.

DOKE ELVIUE.

Mon frère (d'un tel nom souffrez-moi la douceur/ De quel ravissement comblez-vous une scur ! Que j'aime votre chois, et bénis l'aventure Qui vous fait courocuer une amitié si pure! Va de deux nobles cœurs que j'aime tendrement..

SCÈNE VI. — DON GARCIE, DONE ELVIRE, DO\E IGNÉS,

déguisée en homme; DON ALPHONSE, cru don Sylve; ÉLISE. liON CARCiE.

He grâce, cachez-moi votre contentement,

.Madame, et me laissez mourir dans la croyance

C.'ue le devoir vous fait un peu de violence.

•le sais que de vos vœux vous pouvez disposer,

Et iT/on dessein n'est pas de leur rien opposer;

Vous le voyez assez, et quelle obéissance

De vos commandements m'arrache la puissance;

Mais je vous avouerai que celte gayeté

Surprend au dépourvu toute ma fermeté,

El qu'un pareil objet dans mon ame fait naître

Un transport dont j'ai peur que je ne sois pas maître;

Et je me punirois, si! m avoii pu tirer

De ce respect soumis où je veux demeurer.

Oui, vos commandements ont prescrit à mon ame

De souffrir sans éclat le malheur de ma tlamme ;

Ce! ordre sur mon cœur doit être tout-puissant,

VA je prétends mourir en vous obéissant;

Mais, encore une fois, la joie où je vous Ireuve

M'expose à la rigueur d'une trop rude épreuve;

Et l'ame la plus sage, en ces occasions,

f'épond malaisément de ses émotions.

Madame, épargnez-moi celle cruelle atteinte;

Donnez-moi, pyr pillé, deux momenis de conlraint^

Et, quoi que d'un rival vous inspirent les soins,

N'en rendez pas mes yeux les malheureux léiiioins :

C'est la moindre faveur qu'on peut, je crois, piéleudr«i

Lorsque d^os ma disgrâce un amant peut descendre.

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124 DON GARCIE DE NAVARRE.

Je ne l'exige pas, madame, pour longtemps. Et bienlôt mon dépari rendra vos vœux conteoU t Je vais où de ses teux mon âme consumée N'apprendra voire livmen que par la renommée. Ce n'est pas un speclac-le où je doive courir : Madame, sans le voir, j'en saurai Lien mourir.

DONE IGNÉS.

Seigneur, pcrniei(cz-nioi de blâmer votre plauile De vos manx la princesse a su paroître allcinle; Et celle joie encor, de quoi vous murimircz, Ne lui vient que dos biens qui vous sont préparés. Elle goûte un succès à vos désirs prospère, Et dans votre rival elle trouve son frère; C'est don Alphonse, enfin, dont on a tant parlé, Et ce fameux secret vient d'être dévoilé.

DON ALPHONSE.

Mon cœur, grâces au ciel, après un long niailyro, Seigneur, sans vous rien prendre, a toul ce qn il tltsirp, Et goûte d'autant mieux son bonlieur en ce joui , Qu'il se voit en état de servir voire amour.

DON GAKCIE.

Ilélas I celle bonté, seigneur, doit me confondre.

A mes plus cbers désirs elle daigne répondre;

Le coup que je craignois, le ciel l'a délourné,

Et tout aulre que moi se verroit forluné;

Mais ces douces clartés d'un secret favorable

Vers l'objet adoré me découvrent coup;>^)!c;

El, tombé de nouveau dans ces traîtres soupçon?,

Sur quoi l'on m'a lanl fait d'inuliles leçons,

Et par qui mon ardeur, si souvent odieuse,

Doit perdre toul espoir d'être jamais bt-urouso ..

Oui, l'on doit me haïr avec trop de raison;

Moi-même je me trouve indigne de pardon ;

Et, quelque heureux succès que le sort me prosentej

La mort, la seule mort est toute mon allenle.

DONE ELVIRE.

Non, non; de ce transport le soumis mouveinent, Prince, jette en mon ame un plus doux senliinoiit. Par lui de mes serments je me sens détachée; Vos plaintes, vos respects, vos douleurs, m'out louciieo;

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ACTE V, SCElNE VI. 325

Fy vois partout briller un excès d'amitié,

Et votre maladie est digne de pitié.

Je vois, prince, je vois qu'on doit quelque indulgence

Atfx défauts où du ciel fait pencher l'influence;

Et, pour tout dire enfin, jaloux ou non jaloux,

Mon roi, sans me gêner, peut me donner à vous.

DON GÂRCIE. '

Ciel, dans l'excès des biens que cet aveu m'octroie, Rends capable mon cœur de supporter sa joie !

DON ALPHONSE.

Je veux que cet hymen, après nos vains débats, Seigneur, joigne à jamais nos cœurs et nos États. Mais ici le temps presse, et Léon nous appelle; Allons dans nos plaisirs satisfaire son zélf, Et, par notre présence et nos soins différents. Donner le dernier coup au parti des tyrans.

19

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L'ECOLE DîilS MARIS,

COMÉDIE EN TROIS ACTES,

NOTICE

« il est^ dit '\[. Nisard, dcax sources pniiàpales où Molière puisa pour fontes f es pièces: sa vie d'aborti, par laquelle il toucha à presque toutes les situations et il eut un peu de tous les carac- tères, et sa science, qui le mit en possession de tout ce qui s'é- tait fait avant lui dans son art. — On reconnaissait Molière, même de son temps, dans Ariste, de l'École des Maris. Ariste... qui doilépouser comme lui une fille de seize ans, comme lui tendre et indulgent... On donnait la pièce pu 1660. L'année sui- Tante, Armande Béjart devait être sa feroine... uu au après, ii mettait dans la bouche de !a Climène des FâchevLX une vigou- reuse apologie du .jaloux, défondant ainsi son propre penchant... il se servait du rôle d'Elmire, dans Tartufe, pour toucher sa femme par le spectacle d'une femme d'hooiiaur qui défend sa \ ertu contre la séduction... Selon une expression du temps, Mo- lière transportait tout son domestique dans la vérité de toutes ces scènes... Molière ne nous donne pas seulement le fond de son cœur; il y fait un choix dans ses illusions et dans ses souffran- ces... Boilcau l'a caractérisé par un mot profond : il l'appelait le conicmflaleur. Quand Molière composait ses pièces, le contempla- teur observait et coulenait l'homme, et quoique l'arderir de ses soucis domestiques le portât comme involontairement à créer des scènes et des situations où il pût les répandre pour s'en sou- lager, la ressemblance n'allait pas jusqua la copie, et ces pein- tures de son propre cœur respirent plutôt la sérénité d'un re- tour sur soi-même que l'amertume des souffrances présentes. »

Nous avons cru devoir reproduire ici cette judicieuse et pi- quante appréciation, parce qu'en même temps qu'elle explique, pour quelques-unes des pièces qui vont suivre, plusieurs carac- tères et de nombreuses situationSj elle constate aussi ce qu'on pourrait appeler l'avènement de la persomialité de Molière i&ns son propre théâtre

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iNOTlCK. 511

Jouée pour la pitinière fois à Paris, le 24 juin ÎC&1 , et ac- cueillie par le public avec la plus grande faveur, l'École des Afarù fut représentée le 12 juillet suivant, devant lac5ur,ài'occa' sion d'une fête donnée par Fouqnet dans sa terre de Vaux, et la reine d'Angleterre, Monsieur, frère du Roi, Henriette d'Angle- terre, confirmèrent par des applaudissements empressés le juge- ment des Parisiens. La Discrda cnamorada , de Lope de Vega, la comédie de Moréto , No 'puede ser guardar xma muger, On ne ycnî garder une femme, les Adeliihes,de Térence, Bcccace, ont, suivant les commentateurs, fourni des inspifations à Molière. Mais ici comme toujours, il a singulièrement embelli ses emprunts; Voltaire, du reste, réduit à fort peu de chose les emprunts faits à Térence, et dans. le parallèle suivant il établit, avec la sîirelé ordinaire de son goût, la supériorité de la pièce française :

« On a dit que l'École des Maris était une copie des Adelphe» de Térence : si cela était, Molière eût plus mérité l'éloge d'avoir fait passer en France le bon goût de l'ancienne Rome, que le reproche d'avoir dérobé sa pièce. Mais les Adelphes ont fourni tout au plus l'idée de l'École des Maris. Il y a dans les Adelyhes deux vieillards de diiïérente humeur, qui donnent chacun une éducation dilTérenfe aux enfants qu'ils élèvent : il y a de même dans l'École des Maris deux tuteiu's, dont l'un est sévère et l'autre indulgent : voilà tonte la ressemblance. Il n'y a presque point d'intrigue dans les Adelpkes ; celle de l'École des Maris est fine, in- téressante et comique. Une des femmes de la pièce de Térence, qui devait faire le personnage le plus intéressant, ne paraît sur le théâtre que pour accoucher ; llsabclle de Alolière occupe presque toujours la scène avec esprit et avec grâce, et mêle quel- quefois de la bienséance même dans les tours qu'elle joue à son tuteur. Le dénoùment des Adelikes n'a nulle vraisemblance; il n'est point dans la nature qu'un vieillard qui a été soixante ans chagrin, sévère et avare, devienne tout à coup gai, complaisant et libéral. Le dénoùment de l'École des Maris est le meilleur de toutes les pièces de Molière ; il est vraisemblable, naturel, tiré du fond de l'intrigue, et, ce qui vaut bien autant, il est extrê- mement comique. Le style de Térence est pur, sentencieux, mais un peu froid , comme César, qtii excellait en tout, le lui a re- proché. Celui de MoUère, dans cette pièce, est plus châtié que dans les autres. L'auteur français égale presque la pureté de la diction de Térence, et le passe de bien loin dans l'intrigue, dau» le caractère, dans le dénoùment, dans la plaisanterie. » .Tous les critiques sont d'accord pour louer la force de concep- tion, la verve comique et le style de l'École des Maris. M. Nisard dit même que la création du Sganareile de cette pièce est la création du premier homme dans la comédie française. Geoffroy seul, au milieu de ce concert unanime d'éloges, a prononcé

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S28 A MONSEIGNEUR LE DUC D'ORLEANS.

quelques mots de blâme; et ce blâme porte sur la partie qui a trait à l'éducation des femmes. « La morale, dit Geoirroy, élail fort relâchée dans le temps où la pièce parut. Il n'y a qu'à lire le livre de Fénelon sur l'éducation des filles, pour voir ce que ce prélat pensait des divertissements que Molière recommande pour l'éducation des demoiselles. L'instituteur comédien ne de- vait pas avoir la même méthode qu'un pieux archevêque... il faut en conclure que Molière n'a pas eu sur cet article important la sévérité nécessaire, et que les bals, les fêtes et les spectacles ne sont pas la meilleure école pour une jeune personne. Cette même comédie est au niveau de nos mœurs actuelles... aujourd'hui les jeunes filles vont au bal et à la comédie de très-bonne heure; elles y sont conduites par leurs mères... Molière semble avoir deviné le changement qui devait s'opérer dans nos idées... il l'a préparé et pour ainsi dire appelé dans ses comédies.»

A MONSEIGNEUR

LE DUC D'ORLÉANS,

frère dhiqde dd roi.

Monseigneur,

je fais voir ici à la r rauce des cnoses Dieu peu proporlionnées. Il n'est rien de si grand et de si superbe que le nom que je mets à Id tête de ce livre, et rien de plus bas que ce qu'il con- tient. Tout le monde trouvera cet assemblage étrange; et quel- ques uns pourront bien dire, pour en exprimer l'inégalité, que c'est poser une couronne de perles et de diamants sur une statue de terre, et faire entrer par des portiques magnifiques et des arcs triomphaux superbes dans une méchante cabane. Mais , Monseigneur, ce qui doit rne servir d'excuse, c'est qu'en cette iventure je n'ai eu aucun choix à faire, et que l'honneur qi:e l'ai d'être à Votre Altesse Royale' m'a imposé une nécessité ibsolue de lui dédier le premier ouvrage que je mets de moi- nème au jour'. Ce n'est pas un présent que je lui fais, c'est un Jcvoir dont je m'acquitte; et les hommages ne sont jamais r>--

■ Molière eloil chef de la troupe de HONSIEUK.

- Mnlierc ne lil Imprimer {ei Précieuse$ que parcequ'oD lui avoil déroba une copie de CCI ouvrage. Le Coeu imaginaire avoit été puolié par Neiuvilltseiae^ et ses autres pièces D'èloieol poiat encore imitrimée*.

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L'ECOLE DES MAIUS. 529

gardés par les choses qu'ils portent. J'ai donc osé, Monsei* 6>EU«^ dédier une bagatelle à Votre Altesse Royale, parce- quc je n'ai pu m'en dispenser; et si je me dispense ici de rn'é- teiidrfc sur les belles et glorieuses vérités qu'on pourroit dire d'Elle, c'est par la juste appréhension que ces grandes idées ne fissent éclater encore davantage la bassesse de mon offrande. Je me suis imposé silence pour trouver un endroit plus propre à placer de si belles choses; et tout ce que j'ai prétendu dans cette épitre, c'est de justifier mon action à toute la France, et d'avoir cette gloire de vous dire à vous-même, MonseigneuBj avec toute la soumission possible, que je suis,

AS YÛÏBE ALTESSE ROYALE,

Le très humble, très obéissant ei très liilèle serviteur,

3. B. P. MoLiÈ»».

PERSONNAGES.

frères *.

SGANARELLE ', { ARISTE', )

ISABELLE ', ) LÉOXOR S 1 '"'• LISETTE, suivante de Léonor VALÈRE. amant d'Isabelle '. ERG AS I E, volet de Valere '. tX COMMISSAIRE •. " ON NOTAIRE.

La scène e^t à Pari».

ACTE PREMIER.

SCENE L - SGANARELLE, ARISTE.

SGANARELLE.

on frère, s'il yous plaît, ne discourons point tant,

Ac/eursdela troupe de Molière : ' Molière — ' L'Espt. — • Mademoisell DE Bkie. — • a rmande Béjart ". — ' Madeleine Béjart. — • La Grange. - 'DuPARC. - • De Brie.

• Deui caractères des comédies de Molière sont reslés comme emplois au ihéà ire, les Sr.ANARELLES et les Aristes. Le nom de Sganarelle désigne toujour BD homme trompé, ridicule, brusque, jaloux, n'obéissant qu'à ses fantaisiei comme l'exprime son nom; celui d'ARiSTE, au contraire, désigne toujours ui •lomme sage, plein de politc-sse et de jugement. Arifte vient du grec ; il sigeifi •'** '"'"• (Aime Martin.)

    • Depuis, emme de Koliere.

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n.-jO L'ECOLE DES MARIS.

il que cJiacun de nous vive comme il l'entend. Hicn que snr moi des ans vous ayez l'avanlage. Il foycz a:=?cz vieux pour devoir être sage ": vous dirai pourtant que mes intentions N);!l de ne prendre point de vos corrections; ['lie j'ai pour tout conseil ma fantaisie à suivre, Ll me trouve fort bien de ma façon de vivre.

ARISTE.

Mais chacun la condamne.

SCANAREILE.

Oui, des fous comme vou», ^lon frère.

ARISTE.

Grand merci, le couîpliment est doux

SGANARELl.E.

Je voudrois bien savoir, puisqu'il faut tout ontondre, Ce que ces beaux censeurs eu moi peuvent rei)iendref

ARISTE.

Cette farouche humeur, dont la sévérité

Fuit toutes les^ douceurs de la société

A tous vos procédés inspire un air bizarre,

Et, jusques à l'habit, vous rend chez vous barbare.

SGANARHLLE.

Il est vrai qu'à la mode il faut m'assujeliir,

Et ce n'est pas pour moi que je me dois vêtir.

Ne voudriez-vous point, par vos belles sornctles,

Monsieur mon frère aîné, car, Dieu merci, vous l'éifis

D'une vingtaine d'ans, à ne vous rien celer,

Et cela ne vaut point la peine d'en parler;

Ne voudriez-vous point, dis-je, sur ces matières,

Do vos jeunes muguets' m'inspircr les manières?

M'obiiger à porter de ces petits chapeaux

Qui laissent éventer leurs débiles cerveaux;

Et de ces blonds clieveux, de qui la vaste enlluie

Des visages humains oflusque la figure'-?

De ces petits pourpoints ^ous les bras se pt'rdauts,

El de ces grands collets jusqu'au nombiil pendants?

De ces manches qu'à table on voit tâtcr les sauces,

' On appclail nu'iuets les jeunes gens qui faisoienl profession ilV'lo'gsnceel de galanterie, parceqii'ils se parriimnicnl avec des essences de miiguel.

  • Dans le sens de forme ou d'atpect

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ACTE I, SCEKE l.

Et de ces colillons appelés hauts -de cîiansses? De tes souliers mignons, de rubans revêtus, Qui vous font ressembler à des pigeons paltus? i;t de res grands canons où, comme en des entraves, (hi niel, lt>u.î les matins, ses doux jamlws esclaves, Kl par qui nous voyons ces messieurs les galants Marcher éfarquilics ainsi que des \olants'? Je votis pUirois sans doute équipé de la sorte; Lt je vous vois porter les sottises qu'on porte.

AniSTr. Toujours au plus grand nombre on doit s'accommoder, Et jamais il ne faut se faire regarder. L'un et l'autre excès choque, et tout hfvmme bien sage Doit faire des habits ainsi que du langage, N'y rien trop affecter, et, sans empressement, Suivre ce que l'usage y fait de changement. Mon sentiment n'est pas qu'on prenne la mélliode De ceux qu'on voit toujours renchéiir sur la mode, El qui, dans cet excès dont ils sont amoureux, Seroient fâchés qu'un autre eût été plus loin qu'eux : Mais je tiens qu'il est mal, sur quoi rue l'on se fonde, De fuir obslinémcnt ce que suit tout le monde; Et qu'il vaut mieux souffrir d'être au nombre des fous, Que du sage parti se voir seul contre tous.

SCANARELI.E.

Cela sent son vieillard qui, pour en faire accroire, Cache ses cheveux blancs d'une perruque noire.

AIÎÎSTE.

C'est un étrange fait du soin que vous prenez A me venir toujours jeter mon âge au nez; iH qu'il laiile qu'en moi sans cesse je vous \oi Blâmer lajusti ment, aussi bien que la joie : Conur.c s:, condamnée à ne plus tien ciiérii-, La vieillesse devoit ne songer qu'à mourir Et d'assez de laideur n'est pas accompagnée. Sans se tenir encor n!ali)rnpre et lechignée.

SGA>AP.r.l.LE.

Quoi qu'il en soit, je suis allaché fortement A ne démordre point de nîon habillement.

' Volants, ailes de moulins. FcnrquiUés -ommedes volants, oiiveits con-.îKi atr a:lei de moulin»- /Aime SUrliE-l

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li-1 L'Êv^OLE DES MARIS.

Je veux une coiffure, en dépit de la mode,

Sous qui toute ma lêle ait un abri commode;

Un bon pourpoint* bien long, et fermé comme il faut,

Qui, pour bien digérer, tienne Testomac cbaud;

Vn liaut-de-cbausse^ fail justement pour ma cuisse;

Des souliers où mes pieds ne soient point au supplice.

Ainsi qu'en ont usé sagement nos aïeux :

El qui me trouve mal n'a qu'à fermer les yeux3.

SCÈNE II. - LÉONOR, ISABELLE, LISETTE; ARISTE El

SGANARELLE pariant lias ensemble sur le devant du théâtre, sans étn apcrç'is. '

Ll'ONOIV, a Isabelle.

Je me charge de toul, en cas que l'on vous gronde.

LISETTE, à Isabelle.

Toujours dans une chambre à ne point voir le monde?

ISABELLE.

Il est ainsi bâti.

LÉONOR.

Je vous en plains, ma sœur.

LISETTE, à Léonor

Bien vous prend que son frère ail tout une autre humeur,

Madame; et le destin vous fut bien favorable

En vous faisant tomber aux mains du raisonnable.

ISABELLE.

C'est un miracle encor qu'il ne m'ait aujourd'hui Enfermée à la clef, ou menée avec lui.

' Le pourpoint, q'ii date du treizième siècle, et qu'à celte époque on appeloit •ussi jaquette, ëtoit, comme l'habit moderne, un vêtcmcnl de dessus a manches qui enveloppoit el serroit le buste.

' On sait que dans le mojen 4ge 1ns bas s'appcloicnt chausses Le haut-de- chausses étoit donc la partie du vêtement qui se plaçoit au-dessus des bas; la Torme s'en est conservée dans la culotte, seulement les élégants le porioient beaucoup plut large.

' En empruntant à Térence le contraste du caractère des Deux Frères, Molière t'est fait un plan tout nouveau. Le Micion des Adelphes est plutôt foible qu'induU gent; il pardonne tout, il accorde tout, il se laisse conduire comme nn enfant. Ariste, au contraire, a de la bonté sans foillcsîe, et de la raison sans rigorisme; c'est le modèle d'un homme excellent. D'un autre côté, Démca, dont la colère eit toujours très-bien fondée chez le poète latin, y paroîi plus à plaindre qu'à blâ» mer , aussi n'est-il guère comique : mais il le devient extrêmement sous les trallt de Sganarelle, toujours duiie de sa fausse sagesse, <iu'i4 oppose nbslincmeot i II (agesse véritable d' Ariste. (Aime Martin.]

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ACTE I, SCÈNE II. 553

LISETTE.

Ma foi, je l'envoierois au diable avec sa fraise, Et...

SGANARELLE, heurté par Liselte.

3ù donc allez-vous, qu'il ne vous en déplaise?

LÉONOR.

Nous ne savons encore, el je pressois ma sœur

De venir du beau temps respirer la douceur : -

Mais...

SGANARELLE, â I.eonor.

Pour vous, vous pou\ez aller où bon vous semble^

(monlranl Liscllc.)

Vous n'avez qu'à courir, vous voilà deux ensemble.

(à Isabelle. J

Mais vous, je vous défends, s'il \ous plaîl, de sorlir.

ariste. Hé! laissez-les, mon frère, aller se diverlir.

SGANARELLE.

Je suis votre valet, mon frère.

ARISTE.

La jeunesse Veut...

SGANARELLE.

La jeunesse est sotte, et parfois la vieillesse.

ARISTE.

Croyez-vous qu'elle esl mal d'être avec Léonor?

Sf.ANARI LLE.

Non pas; mais avec moi je la crois mieux encor.

ARISTE.

Mais...

SGANARELLE.

Mais ses actions de moi doivent dépendre, Et je sais l'intérêt enfin que j'y dois prendre.

ARISTE.

A celle? de sa sœur ai-je un moindre inlérél?

SGANARELLE.

Mon Dieu I chacun raisonne et fait comme il lui plaît Elles sont sans parents, et notre ami leur père Nous commit lecr conduite à son heure dernière, Et nous chargcaa? *ous ùeus, ou de les épouser, 0U| sur notre refus, un jour d'en disposer,

19.

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534 L'ECOLE DES MARIS.

Sur elles, par oonliat, nous sut, dès leur enfanflk^ Et de père et {l'époux doiiuer pleine puissance : D'élever celle-là vous prîtes le souci, El moi je me chargeai du soin de celle-ci; Selon vos volonlés vous gouvernez la vôtre; Laissez-moi, je vous prie, à mon gré régir Tautra»

ARISTE.

Il me semble...

SGANARELLE.

11 me semble, et je le dis tout haut, Que sur. un tel sujet c'est parler comme il faut. Vous souffrez que la vôtre aille leste et pimpante, Je le veux bien : qu'elle ait et laquais et suivante, J'y consens : qu'elle coure, aime loisivelé. Et soit des damoiseaux flcurée en liberté. J'en suis fort satisfait : mais j'entends que la mienoe Vive à ma fantaisie, el non pas à la sienne; Que d'une serge lionncle elle ait son vêtement. Et ne porte le noir qu'aux bons jours seulement; Qu'enfermée au lo[;is, en personne bien sage, Elle s'applique (oulc aux cb.oses du ménage, A recoudre mon linge aux heures de loisir, Ou bien à tricoter quelques bas par plaisir •; Qu'aux discours des muguets elle ferme l'oreille, Et ne sorte jamais sans avoir qui la veille. Enfin la chair est foible, et j'enicnds tous les bruits. Je ne veux point porter des cornes, si je puis; Et comme à m'épouser sa fortune l'appelle, Je prétonds, corps pour corps, pouvoir répondre d'elle.

ISAIÎELl.E.

Vous n'avez pas sujet, que je crois...

SGA^AUEI.H^

Taisez-vous. ie vous apprendrai bien s'il faut sortir sans nous.

LÉONOR.

Quoi donc, monsieur...

  • Les mêmes pensées sont expiinic'es par Clirysalde dans les Feriimss sa-

vantes, seulement Sganar.'lie esl ridicule, et Chrj'salde admirable de bon sens tandis que l'un, sottement jaloux, veut tyranniser une joune fille, et que l'autre cherche à rendre raisonnaldes des femmes extravagantes.

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ACTE 1, SCENE II. 335

se VNARELLE.

Won Dieu, madame, sans langage. ie ne vous parle pas, car vous êtes trop sage.

LÉONOR.

Voyez- VOUS Isabelle avec nous à regrel?

SGANAnEIXE.

Oui, vous me la gâlez, puisqu'il faut parler net

Vos visites ici ne font que me déplaire,

Et vous m'obligerez de ne nous en plus faire.

LÉONOR.

Voulez-vous que mon cœur vous parle net aussi jf

J'ignore de quel œil elle voit tout ceci :

Mais je sais ce qu'en moi feroit la défiance,

Et, quoiqu'un même sang nous ail donné naissance.

Nous sommes bien peu sœurs, s'il faut que chaque jour

Vos manières d'agir lui donnent de l'amour.

LISETTE.

En effet, tous ces soms sont des choses infâmes.

Sommes-nous chez les Turcs, pour renfermer les femmes?

Car on dit qu'on les tient esclaves en ce lieu,

Et que c'est pour cela qu'ils sont maudits de Dieu*.

Notre honneur est, monsieur, bien sujet à foiblesse,

S'il faut qu'il ait besoin qu'on le garde sans cesse

Pensez-vous, après tout, que ces précautions

Servent de quek^ae obstacle à nos intentions?

Et, quand nous nous mettons quelque chose à la tête,

Que l'homme le plus fin ne soit pas une bêle?

Toutes ces gardes-là sont visions de fous;

Le plus sûr est, ma foi, de se fier en nous :

Qui nous gène se met en un péril extrême.

Et toujouis notre honneur veut se garder lui-même

C'est nous inspirer presque un désir de pécher.

Que montrer tant de soins de nous en empêcher;

' LiseUe fait rire; n.ais. tout en riant, elle dit une chose très sensée, el tw f•l^ que confirmer en sivie de soubrette ce qu'Arisle a dit en homme sage. En eflet, -"In moment ou les femmes sont libres parmi nous, sur la foi de leur éducation et lie leur hnnnclele, il est sûr que des précautions tyrarniques sont une marque de mépris pour elles; et, sans parler de l'injustice et de l'ofleiise, quelle contradiction plus choquante que de commencer par les avilir pour leur donner des sentiraenti de vertu ? Point de milieu : il faut, ou les enfermer, comme font les Turcs, ou ê'j lier, comme font les François. C'est ce que signifie cette saillie de Lisette, et ï 6ut être Molicre pour donner tant de raison à une soubrette. (Labarpe.)

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536 L'ÉCOLE DES MARIS.

Et, si par un mari je me voyois conlrainte, J'aurois forl grande pente à confirmer sa craiato

SGANAIIELLE, à Ariste.

Voilà, beau précepteur, votre éducation. El vous souffrez cela sans nulle émotion?

ARISTE.

Mon frère, son discour? ne doit que faire rire : tlle a quelque raison en ce qu'elle veut dire. Leur sexe aime à jouir d'un peu de liberté; On le retient forl mal par tant d'austérité; El les soins défiants, les verrous et les grilles Ne font pas la vertu des femmes ni des filles; C'est l'honneur qui les doit lenir dans le devoir, Non la sévérité que nous leur faisons voir. C'est une étrange chose, à vous parler sans feinte, Qu'une femme qui n'est sage que par contrainte. En vain sur tous ses pas nous prétendons régner, Je trouve que le cœur est ce qu'il faut gagner ; Et je ne tiendrois, moi, quelque soin qu'on se donne, Mon honneur guère sûr aux mains d'une personne A qui, dans les désirs qui pourroient l'assaillir, Il ne manqueroil rien qu'un moyen de faillir

SGANARELLE.

Chansons que tout cek

ARISTE.

Soit ; mais je tiens sans cess«  Qu'il nous faut en riant instruire la jeunesse, Reprendre ses défauts avec grande douceur, El du nom de vertu ne lui point faire peur. Mes soins pour Léonor ont suivi ces maximes; Des naoindres libertés je n'ai point fait des crimes, Â^).ie8 jeunes désirs j'ai toujours consenti, Et je ne m'en suis point, grâce au ciel, repenti. J'ai souffert qu'elle ait vu les belles compagnies, Les divertissements, les bals, les comédies; Ce sont choses, pour moi, que je tiens de tout tempt Fort propres à former l'esprit des jeunes gens ; Et l'éfole du monde, en l'air dont il faut vivre, Instruit mieux, à mon gré, que ne fait aucun livre, Elle aime à dépenser en habits, ïinge et nœuds; Que voulez- vous? je tâche à contenter ses vœuT^

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I

ACTE I. SCENE II. 5S7

Et ce sont des plaisirs qu'on peat, crans nos familles.

Lorsque l'on a du bien, perinellre aux jeunes filles.

Un ordre palornel l'oblige à m'épouser;

Mais mon dessein n'esl pas de la tyranniser.

le sais bien que nos ans ne se rapportent guère,

Et je laisse à son choix liberté tout entière.

Si quatre mille écus de rente bien venants,

Une grande tendresse et des soins coinplaisauls,

Peuvent, à son avis, pour un tel mariage,

Réparer entre nous l'inégalité d"à^;o,

Elle peut m'épouser; sinon, choisir ailleurs.

Je consens que sans moi ses destins soient meilleurs;

El j'aime mieux la voir sous un autre hyménée,

Que si contre son gré sa main m'étoil donnée*.

SGANARELL' ,

Hél qu'il est doucereux! c'est tout sucie et tout miel.

ARISTE.

Enûn, c'est mon humeur, et j'en rends grâce au ciel.

Je ne suivrois jamais ces maximes sévères

Qui font que les entants comptent les jours des pères.

Sr.ANAREl.LE.

Uais ce qu'en la jeunesse on prend de liberté Ne se retranche pas avec facilité; El Ions ses sentiments suivront mal votre envie, Quand il faudra changer sa manière de vie.

AHISTE.

Et pourquoi la changer?

SGANARELLE.

Pourquoi?

ARISTE.

Oui.

SGANARELLE.

Je ne sai.

ARISTE.

ï TMt-on quelque cltose où llionncur soit blessé?

SGANAKLLLE.

Quoi ! si vous l'épousez, elle pourra prétendre Les mêmes libertés que fille on lui voit prendre? ARISTE.

Pourquoi non ?

' Ce passage est imile de» Ààtlphét.

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538 L'ÉCOLE DES MARIS.

SGANAUliLLE.

Vos désirs lui seront complaisanU Jusques à lui laisser el mouciics et rubaos?

ARISTE.

Sans doute.

SGANAREI.LE.

A lui souffrir, en cervelle troublée, De courir tous les bals et les lieux d'assemblée?

ARISTE.

Oui, vraiment.

SGANARELLE.

Et chez vous iront les damoiseaux?

ARISTE.

Et quoi donc?

SGANARELLE.

Qui joueront et donneront cadcauaî

ARISTE.

D'accord.

SGANARr.LLE.

Et votre femme cnlcmîta les fletiieties'?

ARISTE.

Fort bien.

SGANARTLLE.

Et vous verrez ces visites mujifuettes >

D'un œil à témoigner de n'en être point soûl?

ARISTE.

Cela s'entend.

SGANAREI./,E.

Allez, VOUS êtes un vieux fou.

(à Isabelle.)

Rentrez, pour n'ouïr point cette pratique infâme.

SCÈNE III. — ARISTE, SGANARELLE, LÉONOR, LfSETTE.

ARISTE.

Je veux m'ohandonner à la l^rde ma femme, Et prétends loujouis vivre ainsi que j'ai vécu.

' Il y avoii en Kiaiice, sous Cliai les VI, une esppce de inonnoie sur laquelle o» avoil gravé mie iiiiiliiliKlo (le pciiirs Heurs; ces pièces de inonnoie s'appeloienl des fleurettes : (if sorte (]iic compter fleurstCe, c'éloit tomptcr de la muniioie ; et 4|ui, dans tous les temps, a été lu inujen le plus persuasif, (Héaage.)

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ACTE I, SCÈNE IV. 330

SGANARELLE.

Que j'aurai de plaisir quand il sera cocu • !

AlUSTE.

J'ignore pour quel sort mon astre m'a fait naître; Mais je sais que pour vous, si vous manquez de l'être, On ue vous en doit point imputer le défunt, Car vos soins pour cela font bien tout ce qu'il faut.

SGANAREI.LE.

Riez donc, beau rieur! Oh ! que cela doit plaire, De voir un goguenard presque sexagénaire!

LÉONOR.

Du sort dont vous parlez je le garantis, moi, S'il faut que par l'hymen il reçoive ma foi; Il s'en peut assurer : mais sachez que mon ame Ne répondroit de rien, si j'étois votre femme.

LISETTE.

C'est conscience à ceux qui s'assurent en nous; Mais c'est pain bénit, certe, à des gens comme voa».

SCANAHEfXE.

Allez, langue niaudite, et des plus mal apprises

AUISTE.

Vous vous êtes, mon frère, alliié ces sottises. Adieu. Changez dhutiieur, el sityez .nerli Que renfermer sa femme est un mauvais parti Je suis votre valet.

SGANAUELl-E.

Je ne suis pas le vôtre.

SCÈNE IV. — SGANARELLE, seul.

Ih ! que les voilà bien tous foi mes l'un pour l'autre'! (Juelie belle famille! lin vieillard iusousc Qui fait le dameret dans un corps tout cassé;

Va». Que j'aurai de plaisir si l'on le fait cocu ! (Première édition.) • Ce monologue est imilé de Tereiicc. Voici le passage: < Grands dieux, quelle vie! quelles maurs! (|U(I oxcrs d'estravagance! ug

> (cmme sans fiirlune qu'il va donnera son lils! une clmnlense chez lui! uiK

> maison de dépense el de bruit! un jeune liomme perdu de dehaiiclie ! un vicil-

> lard qui radote ! Non, la Sagesse elle-mime ne viendroit pas à bout de sauver

  • une telle famille. »

La copie vaut mieux que l'original ; nue pareille imilaliou fait lionneur au gottt de Molière : imiter ainsi, c'est presque créer. (Ge/illroy.J

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540 L'ECOLE DES MARIS.

Une fille maîlresse et coquelle suprême;

Des valcls impudenls : non, la Sagesse même

N'en viondmit pas à bout, perdroit sens el raison

A vouloir coriiger une telle maison.

Isabelle pourroit perdre dans ces hantises

Les semences d'honneur qu'avec nous elle a prises

Et, pour l'en empêcher, dans peu nous prétendons

Lui faire aller revoir nos choux el nos dindons.

SCÈNE V. — VALÈRE. SGANARELLE, ERGASTB.

YALCRE, dans le fond du théâtre.

Ergaste, le voilà cet Aigus que j'Tibhorre, Le sévère tuteur de celle que j'adore.

SGANARELLE , se croyant sea\.

N'est-ce pas quelque chose enfin de surprenant Que la corruption des mœurs de maintenant?

VALÈRE.

Je voudroiâ l'acccstcr, s'il est en ma puissance, Et tâcher de lier avec lui counoissance.

SGANARELLE, se croyant «enl.

Au lieu de voir régner cette sévérité Qui composoit si bien l'ancienne boni êteté, La jeunesse en ces lieiix, libertine absolue, Ne prend...

(Taiére salue sganarelle de lois.) VALÈRE.

Il ne voit pas que c'est lui qu'on salue.

ERGASTE.

Son mau vais œil peut-être est de ce côlé-ci. Passons du côté droit.

SGANARELLE, se cr«yanl seul. Il faut sortir d'ici. Le séjour de la ville en moi ne peut produire Que des...

VALERE, en s'approchanl peu à pen.

11 faut chez lui lâcher de m'inlroduirc

SGANARELLE, enleodant quelque bruit.

Hetil j'ai cru qu'on parloit.

(se croyant seul.)

Aux champs, grâces aux cieui,

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ACTE 1. SCENE V. «îl

Les sottises du temps ne blessent point mes yeui.

ERGASTE, à Talére.

Abordez-lô

SGANARELLE, eDleodant encore du bruit.

Plaît-il?

(u'entendant plus rien.)

Los oreilles me cornent.

(m croyaDt seul.) Là, tous les passe-temps de nos filles se bornent...

[Il aperçoit Talère, qui le salue.)

Est-ce à nous?

ERGASTE, àTalère. Approchez.

SGANARELLE, sans prendie garde à Valèw.

Là, nul godelureau*

(Valère le salue encore.)

Ne vient... Que diable!

(Il se retourne, et voit Ergaste qui le salue de l'autre côté.}

Encor? Que de coups de chapeau!

VALÈRE.

Monsieur, un tel abord vous interrompt peut-être?

SGANARELLE.

Cela se peut.

VALÈRE.

Mais quoi ! l'honneur de vous connoître M'est un si grand bonheur, m'est un si doux plaisir, Que de vous saluer j'avois un grand désir.

SGANARELLE.

Soit.

VALÈRE.

Et de vous venir, mais sans nul artiâce, Assurer que je suis tout à votre service.

SGANARELLE.

Je le crois.

VALÈRE.

J'ai le bien d'être de vos voisins, Et j'en dois rendre grâce à mes heureux destins.

SGANARELLE

C'est bien fait.

'Ccdefureau, jeune gaiant.

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342 L ECOLE DES MAÎ.IS.

valère. Mais, monsieur, savez-vous les nouvelles Que l'on dit à la cour, et qu'on lient pour fidèles*'

SCANAUELLE.

Oue m'importe?

VALERC.

Il est vrai ; mais pour les nouveautéf On peut avoir parfois des curiosités. Vous irez voir, monsieur, celle mnjjnificence Que de noire Dauphin prépare la naissance'?

SOANARELLE.

Si je veux.

VALÈRE.

Avouons que Paris nous fait part De cent plaisirs charmants qu'on n'a point autre part: Les provinces auprès sont des heux sohlaires. A quoi donc passez-vous le Unips?

SGANA BELLE.

A mes affaires.

VALÈRE.

L'esprit veut du relâche, et succombe parfois Par trop d'attachement aux sérieux emplois. Que faites-vous les soirs ayant qu'on se retire?

SCANARELLE.

Ce qui me plaît.

VALÈRE.

Sans doute : on ne peut pas mieux dire, Celte réponse esl jtisie, et le bon sens paioît A ne vouloir jauiais faire que ce qui [liait. Si je ne vous croyois l'ame trop occui)oe, l'irois parfois chez vous passer l'après-soupée.

SGANARELLE.

Servi/ :>ur.

SCENE VL — VALÈRE, ERGASTE

VALKRE.

Que dis-lu de ce bizarre fou?

' Il s'agit ici du Dauphin, fils de Louis XIV, appelé Monseigneur, qui naquit ) foaUinrblcau le t" novenitirH 1661, et mourut à MeudoD le 14 avril 171i.

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ACTE I, SCENE VI. 545

ïfCASTr,

If 3 !e repari' brusque, et l'accueil loup-garou.

VALLl.E.

Ah I j'enrage I

ERGASTE.

El de quoi ?

VAf.nRE.

De quoi ? C'est que f enrage De voir celle que j'aime au pouvoir d'un sauvage, 3'un dragon surveillant, dont la sévcrilé Ne lui laisse jouir d"aucune liberté.

EP.GASTE.

C'est ce qui fait pour vous; et sur ces conséquence?

Votre amour doit fonder de grandes espérances.

Apprenez, pour avoir votre esprit affermi,

Qu'une femme qu'on gaide est gagnée à dcnrîi,

fi que les noirs chagrins des maris ou des pères

Ont toujours du galant avancé les affaiies.

Je coquette fort peu, c'est mon moindre talent,

Et de profession je ne suis»poinl galant :

Mais j'en ai scr\i vingt de ces cherchours de proie,

Qui disoient fort souvent que leur plus grande joie

Eloil de rencontrer de ces maris fâcheux,

Qui jamais sans gronder ne reviennent chez eux;

De ces brutaux fieffés, qui, sans raison ni suite,

De leurs femmes en tout contrôlent la conduite,

Et, du nom de mari fièrement se parants.

Leur rompent en visière aux yeux des soupirants.

On en sait, disent-ils, prendre ses a\antages;

Et l'aigreur de la dame à ces sortes d'outrages,

Dont la plaint doucement le complaisant lensoia,

Est un champ 2 à pousser les choses assez loin;

En un mot, ce vous est une atteiite assez belle

(}ue la sévérité du tuteur d'isabelio.

VALERE.

>'ais, depuis quatre mois que je l'aime ardemment, e n'ai pour lui parler pu trouver un moment.

' Repart, pour repartie.

' Champ, par métaplmre pour occasion. Le ressentiment fournit l'occasioD de pousser les choses assez loin ; l'idée est claire, mais la mctapliore est iocohéreote: cae aigreur ne peut être un cliamp. (F. Gcnia.)

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544 L'ÉCOLE DES WARIS.

ERGAJ-TF.

L'amour rend inventif; mais vous ne l'êtes guère : Et si j'avois été...

irAlERE.

Mais qu'aurois-tu pu faire, Puisque sans ce brûlai on ne la voit jamais; Et qu'il n'est là-dedans servantes ni valets Dont, par l'appât flatteur de quelque récompense. Je puisse pour mes feux ménager l'assistance?

ERGASTE.

Elle ne sait donc pas encor que vous l'aimes?

VALÈRE.

C'est un point dont mes vœux ne sont pas informés.

l^artout où ce farouche a conduit cette belle,

Elle m'a toujours vu comme une ombre après elle,

El mes regards aux siens ont tâché chaque jour

De pouvoir expliquer l'excès de mou amour.

Mes yeux ont fort parlé; mais qui me peut apprendra

Si leur langage enfin a pu se faire»enlendre?

ERGASTE.

Ce langage, il est vrai, peut être obscur parfois, S'il n'a pour truchement l'écriture ou la voix.

VALÈRE.

Que faire pour sortir de celte peine extrême, Et savoir si la belle a connu que je l'aime? Dis-m'eu quelque moyen.

ERGASTE.

C'esl ce qu'il faut trouver ; Entrons un peu chez vouâ, afin d'y mieux rêver.

tl* M! PitEMILE ACTE

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ACTE II, SCÈNE III. 545

ACTE SECOND.

SCÈNE I. - ISABELLE, SGANARELIK.

SGANARELLE.

\h\ je sais la maison, et connois la personne Aux marques seulement que ta bouche me donn« 

ISABELLE, à part.

ciel! sois-moi propice, et seconde en ce jour Le stratagème adroit d'une innocente amour.

SGANAKELLE.

Dis-tu pas qu'on t'a dit qu'il s'appelle Valère?

ISABELLE.

Oui.

SGANARELLE.

Va, sois en repos, rentre, et me laisse faire; Je Tais parler sur l'heure à ce jeune étourdi.

ISABELLE, en s'en allant.

Je fais, pour une fille, un projet bien hardi ; Mais l'injuste rigueur dont envers moi l'on use Dans tout esprit bien fait me servira d'excuse.

SCÈNE II. — SGANARELLE, ««l.

(Il va frapper ii la porte de YalèM.)

Ne perdons point de temps; c'est ici. Qui va là? Bon, je rêve. Holà! dis-je, holà, quelqu'un I holàl Je ne m'étonne pas, après cette lumière, S'il y venoit tantôt de si douce manière : Mais je veux me hâter, et de son fol espoir...

SCÈNE ni. — VALÈRE. SGANARELLE, ER6ASTK,

SGANARELLE, à Ergaste qui est sorti brusquement.

Peste soit du gros bœuf, qui, pour me faire choir, Se vient devant mes pas planter comme une perche 1

VALÈRE.

Monsieur, j'ai du regret...

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540 L'ECOLE bLS MAliiS.

SGANARtLLE.

Ah ! c'est vous que je cherche.

VALÈRE.

Moi, monsieur? ,

SGANARELLE.

Vous. Valère est-il pas votre nom?

VALÈnE.

Oui.

SGANARELLE.

Je viens vous parler, si vous le trouvez bon.

VALLRE.

Puis-jeêtre assez heureux pour vous rendre service?

SGANAREILE.

Non. Mais je prétends, moi, vous rendre un bon offke; Et c'est ce qui chez vous prend droit de m'amener.

VALÈRE.

Chez moi, monsieur"

SGANARELLE.

Chez vous. Faut-il tant s'étonner?

VALÈRE.

J'en ai bien du sujet ; et mon ame, ravie De l'honneur...

SGANARELLE.

Laissons là cet honneur, je vous prie.

VALÈRE.

Voulez-vous pas entrer?

SGANARELLE.

11 n'en est pas besoin.

VALÈRE.

Monsieur, de grâce.

SGANARELLE.

Non, je n'irai pas plus loin.

VALÈRE.

Tant que vous serez là, je ne puis vous entendre.

SGANABELLE.

Moi, je n'en teun bouger.

VALÈRE.

Hé bien! il faut se rendre: Vite, puisque uionsiear à cela se résout, Donnez un siège wéf

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ACTE II, SCÈNE III. 5+?

SGANAnrLLE.

Je veux pas 1er debout.

YALÙRE.

Vous souffriw^ de la sorte!. .

SGA>'.VI!I*LLE.

Ah! foii train le effroyable!

VALÈnE.

Cette incivilité seroit trop coiidamaable.

SGANAIiELLE.

C'en est une que rien ne sauroil égaler,

De n'ouïr pas les gens qui veuienl nous parler.

VALÈRE.

Je vous obéis donc.

SGANARELLE.

Vous ne sauriez mieux faire.

(Ils font de grandes ccrcmonies pour se coDvm.)

Tant de cérémonie est foil peu nécessaire. Voulez-vous m'écoulcr?

VALÈRE.

Sans doute, et de grand cœur.

SGANAIIELLE.

Savcz-vous, dites-moi, que je suis le luleur lî'i.iîie fillo assez jeune, et passablement belle, i^'îii loge en ce quartier, et qu'on nomme Isabelle?

VALÈRE.

Dui.

SGANAHELLE.

Si \<>us le savez, je ne vous l'apprends pas? Mais save/.-vous aussi, lui trouvant des appas, ijii'autremcnt qu'en tuteur sa personne me touche, \il (ju'elle est destinée à l'honneur de ma couche ?

VALÈRE.

Non.

SGANARELLE.

Je vous l'apprends donc ; et qu'il est à propos Que vos feus, s'il vous plaît, la laissent en repos.

VALÈRE.

Qui? moi, monsieur?

SGANARELLE.

Oui, vous. Mettons bas toute feinte.

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34S L'ÉCOLE DES MARIS.

VALÈRE.

Qui VOUS a dit que j'ai pour elle l'ame alteiatef

SGAMARELLE.

Des geus à qui Ton peut douner quelque crédit.

VALÈRE.

Mais eucore?

SGANARELLE.

EUe-méme.

VALÈRE

Elle?

SGANARELLE.

ElIe._Est-ce assez dit? Conirue une fille honuéle, el qui m'aime d'enfauM, Elle vient de m'en faire entière confidence'; Lt, de plus, m'a chargé de vous donner avis Que, depuis que par vous tous ses pas sont suivis, Son cœur, qu'avec excès votre poursuile outrage, N'a que trop de vos yeux entendu le langage; Que vos secrets désirs lui sont assez connus. Et que c'est vous donner des soucis superflus De vouloir davantage expliquer une flamme Qui choque l'amitié que me garde son ame.

VALÈRE.

C'est elle, dites-vous, qui de sa part vous fait..

SGANARELLL.

Oui, VOUS venir donner cet avis franc et net;

Et qu'ayant vu l'ardeur dont voire ame est blessé*^

Elle vous eût plus tôt fait savoir sa pensée,

Si son cœur avoit eu, dans son émotion,

A qui pouvoir donner celte commission;

Mais qu'enfin la douleur d'une conlrainle extrême

L'a réduite à vouloir se servir de moi-même,

Pour vous rendre averti, comme je vous ai dit.

Qu'à tout autre que moi son cœur est inleidit,

Que vous avez assez joué de la prunelle,

Et que si vous avez tant soit peu de cervelle.

Vous prendrez d'autres soins. Adieu, jusqu'au revoir.

Voilà ce que j'avois à vpus £aire savoir.

' Cette situation est emprunte'e à la troisième journée du Décaméron de

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ACTE 11, SCENE V. 549

VALÈRE, bas.

Ergaste, que dis-tu d'une telle aventure?

SGANARELLE, Las, î pari.

Le voilà bien surpris I

ERGASTE, bas, à Valère.

Selon ma conjecture, Je tiens qu'elle n'a rien de déplaisant pour vou«, Qu'un mystère assez fin est caché là-dessous. Et qu'enfin cet avis n'est pas d'une personne Qui veuille voir cesser l'amour qu'elle vous donne.

SCANAUt^LE, à pari.

il en tient comme i\ faut.

VALÙRE, bas, à Eigaslc.

Tu crois mystérieux...

ERGASTE, bas.

Oui... Mais il nous observe, ôlons-nous de ses yeui.

SCÈNE IV. - SGANARELLE, seul.

Que sa confusion paroît sur son visage I

il ne s'altcndoit pas, sans doute, à ce message.

Appelons Isabelle : elle montre le fruit

Que l'éducation dans une ame produit.

La vertu fait ses soins, et son cœur s'y consomme

Jusques à s'offenser des seuls regards d'un homme.

SCÈNE V. — ISABELLE, SGANARELLE.

ISABELLE, bas, en eotraDt.

J'ai peur que cet amant, plein de sa passion, N'ait pas de mon avis compris l'intention; Et j'en veux, dans les fers où je suis prisonnière, Hasarder un qui parle avec plus de lumière.

SGANARELLE.

He voilà de retour.

ISABELLE.

Hé bien I

SGANARELLE.

Un plein effet A suivi tes discours, et ton homme a son fait. 11 me vouloit nier que son cœur fût malade;

20

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550 L'ÉCOLL DES MARIS.

Mais bisque de ta part j'ai marqué l'ambassade, Il est resté d'abord et muet et confus, Et je ne pense pas qu'il y revienne plus.

ISABELLE.

Ahl que me dites-vous? J'ai bien peur du contraire^ Et qu'il ne nous prépare encor plus d'une affaire.

SGANARELtE.

Et sur quoi fondes-tu cette peur que tu dis?

ISABELLE.

Vous n'avez pas été plutôt hors du logis, Qu'ayant, pour prendre l'air, la tète à ma fenêtre, J'ai vu dans ce détour un jeune homme paroître, Qui d'abord, de la part de cet impertinent, Est venu me donner un bonjour surprenant, Et m'a, droit dans ma chambre, une boîte jetée Qui renferme une lettre en poulet' cachetée. J'ai voulu sans tarder lui rejeter le tout; Mais ses pas de la rue avoient gagné le bout. Et je m'en sens le cœur tout gros de fâcherie.

SGANARELLE.

Voyez un peu la ruse et la friponnerie 1

ISABELLE.

Il est de mon devoir de faire promptement Reporter boîte et lettre à ce maudit amant; Et j'aurois pour cela besoin d'une personne... Car d'oser à vous-même...

SGANAUELLE.

Au contraire, mignono*^ C'est me faire mieux voir ton amour et ta foi, Et mon cœur avec joie accepte cet emploi; Tu m'obliges par-là plus que je ne puis dire.

ISABELLE.

Tenez don 3.

SGANARELLE.

Bon. Voyons ce qu'il a pu t'écrire.

ISABELLE.

Ah, ciel ! gardez-vous bien de l'ouvrir.

' Poulet, billet d'amour ainsi nomme parce qu'on y (aisoit, en le pliant, Jeu pointes, qui oITroient quelque lessciiiblauce avec les aues d'un poulet. Noiu r«^ portons celte étymologie sans la garantir.

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ACTE 11, SCÈNE VI. .l.il

Sf.ANARELLE.

Et pourquoi?

ISABELLE.

Lui voulez-vous donner à croire que c'est moi? Une fille d'honneur doit toujours se défondre De lire les billets qu'un homme lui fait rendre. La curiosité qu'on fait lors éclater Marque un secret plaisir de s'en ouïr conter : Et je trouve à propos que, toute cachetée, Cette lettre lui soit prompfcment reportée, Afin que d'autant mieux il connoisse aujourd'hui Le mépris éclatant que mon cœur fait de lui; Que ses feux désormais perdent toule espérance Et n'entreprennent plus pareille extravagance.

SCANARULLE.

Certes, ekle a raison lorsqu'elle parle ainsi. Va, ta vertu me charme, et ta prudence aussi : Je vois que mes leçons ont germé dans ton ame, Et tu te montres digne enfin d'être ma femme

ISABELLE.

Je ne veux pas pourtant gèiicr votre désir.

La lettre est en vos mains, et vous pouvez l'ouvrir.

SGANARELLE.

Non, je n'ai garde; hélas! tes raisons sont trop bonnes. Et je vais m'acquitter du soin que tu me donnes; A quatre pas do là dire ensuite deux mots. Et revenir ici te remettre en repx>s.

SCÈNE VL — SGANARELLE, seul.

Dans quel ravissement est-ce que mon cœur nage,

Lorsque je vois en elle une fille si sagel

C'est un trésor d'honneur que j'ai dans ma maison.

Prendre un regard d'amour pour une trahison.

Recevoir un poulet connue une injure extrême,

Et le faire au galant reporter par moi-mèmel

Je voudrois bien savoir, en voyant tout ceci.

Si celle de mon frère en useroit ainsi.

Ma foi, les filles sont ce que i'on les fait être.

Holà!

(Il frappe à la porte de Valèrfi.)

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552 L'ÉCOLE DES MARIS.

SCÈNE VIL - SGANARELLE, ERGASTB.

ERGASTE.

Qu'esl-ce?

SGANARELLE.

Tenez, dites à votre maître Qu'il ne s'iugère pas d'oser écrire encor Des Ici 1res qu'il envoie avec des boites d'or, El qu'Isabelle en est puissamment irritée. Voyez, on ne l'a pas au moins décachetée; Il connoîLra l'état que l'on fait de ses feux, El quel heureux succès il doit espérer d'eux.

SCÈNE VIII. — VALÈRE, ERGASTE.

valère. Que vient de te donner cette farouche bêle?

ERGASTE.

Celte lettre, monsieur, qu'avecque cette boîte

On prétend qu'ait reçue Isabelle de vous,

Et dont elle est, dit-il, en un fort grand courroui.

C'est sans vouloir l'ouvrir qu'elle vous la fait rendre.

I-isez vite, et voyons si je me puis méprendre.

VALÈhE Ut.

« Celle lellre vous surprendra sans doute , et l'on peut • trouver bien hardi pour moi, et le dessein de vous l'écrire, » et la manière de vous la faire tenir; mais je me vois dans » un état à ne plus garder de mesure. La juste horreur d'un » mariage dont je suis menacée dans six jours, me fait ha- u sarder toutes choses; et, dans la résolution de m'en affran- » chir par quelque voie que ce soit, j'ai cru que je devois » plulôt vous choisir que le désespoir. Ke croyez pas pour- » tant que vous soyez redevable de tout à ma mauvaise des- » tinée : ce n'est pas la contrainte oîi je me trouve qui a fait » naître les sentiments que jai pour vous; mais c'est elle » qui en précipite le témoignage, et qui me fait passer sur » des forinalilés où la bienséance du sexe oblige. Il ne lien- » dra qu'à vous que je sois à vous bienlôt, et jatîends scule- » ment que vous m'ayez marqué les inlenlions de votre » amour, pour vous faire savoir la résolution que j'ai prise:

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ACTE II, SCENE IX. 5S5

j mais , surloul , songez que ie temps presse , el que deus » cœurs qui s'aiment doivent s'entendre à demi-mot. ■

ERGASTE.

Hé bien ! monsieur, le tour est-il d'original ? Pour une jeune fille elle n'en sait pas mail De ces ruses damour la croiroit-on capable?

VALÈRE.

Ah! je la trouve là tout à fait adorable. Ce trait de son esprit et de son amitié Accroît pour elle encor mon amour de moitié, El joint aux sentiments que sa beauté m'inspire...

ERGASTE.

La dupe vient ; songez à ce qu'il vous faut dire.

SCÈNE IX. — SGANARELLE, VALERE, ERGASl*

SGANARELLE, se croyant seul.

Oh! trois el quatre fois béni soit cet édit Par qui des vêtements le luxe est interdit I Les peines des maris ne seront plus si grandes, Et les femmes auront un frein à leurs demandes. Oh ! que je sais au roi bon gré de ces décris ' I El que, pour le repos de ces mêmes maris, Je voudrois bien qu'on fil de la coquetterie Comme de la guipure^ et de la broderie 1 J'ai voulu l'acheter, l'édit, expressément, AGn que d'Isabelle il soit lu hautement* Et ce sera tantôt, n'étant plus occupée. Le divertissement de notre après-soupée.

(«percevant Valère.)

Envoierez-vous encor, monsieur aux blonds cheveui, Avec des boîtes d'or des billets amoureux? Vous pensiez bien trouver quelque jeune coquette, Friande de l'intrigue, et tendre à la fleurette? Vous voyez de quel air on reçoit vos joyaux? Croyez-moi, c'est tirer votre poudre aux moineaux. Elle est sage, elle m'aime, et votre amour l'outrage; Prenez visée ailleurs, et troussez-moi bagage.

' Ditru, ordonnances faites pour défendre de fabriquer, vendre ou porte car* tilne* éloiïeÀ.

  • Guipure, broderi* en relief, recouverte en fil d'or on en clinquaot.

iO.

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35i L'ECOLE DES MARIS.

VALÈRE.

Oui, oui, votre mérita, à qui cliacun se rend, Est à mes yeux, monsieur, un obstacle trop grani^, El c'est folie à moi, dans mon ardeur fidèle, De prétendre avec vous à l'amour d'Isabelle.

SGANAREI.LE.

I! est vrai, c'est folie.

VALÈRF.

Aussi n'aurois-je pas Abandonaé mon cœur à suivre ses appas, Si j'avois pu prévoir que ce cœur misériiMe Dût trouver un rival comme voîis'redoulabie

SGANARÏÏI.LE.

Je le crois.

VAI.F.HE.

Je n'ai garde à proseiil d'espérer, Je vous cède, monsieur, et c'est sans murmurer.

SCANAUELLE.

Vous faites bien.

VALÏLnE.

Le droit de la sorte l'ordonne, Et de tant do vertus brille votre personne, Que j'aurois tort de voir d'un regard de courroui Les tendres sentiments qu'Isabelle a pour vous.

SGANARELLE.

Cela s'eolend.

VALÈRE.

Oui, oui, je vous quitte la place : Mais je vous prie au moins (et c'est la seule grâce, Monsieur, que vous demande un misérable amant Dont vous seul aujourd'bui causez tout le tourment^, Je vous conjure donc d'assurer Isabelle Que si depuis trois mois mon cœur brûle pour elle, Cette amour est sans tacbe, et n'a jamais pensé A rien dont son honneur ait lieu d'être offensé.

SGANARELi'.E.

Oui.

VALÈRE.

Que, ne dépendant que du choix de mon ame, Tous mes desseins étoieut de l'obtenir pour femme.

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ACTE U, SCEiNE XI. 3,^5

Si les destins, en vous qui captivez son cœur, N'opposcient un obstacle h cotle juste ardeur

SGAKAUFXI.E.

ForJ bien.

VALÈUE.

Que, quoi qu'on fasse, il ne lui faut pas cro rf

Que jamais ses appas sortent de ma mémoire; Que, quelque ariél des cicux qu'il me faille subir, Mon sort est de l'aimer jusqu'au dernier soupir; Et que. si quelque chose étouffe mes poursuites, C'est le juste respect que j'ai pour vos mérites.

SGANAREIXE

C'est parler sagement; et je vais de ce pas Lui faire ce discours, qui ne la choque pas : Mais, si vous me croyez, fâchez de faire en sorte Que de votre cerveau celte passion sorte. Adieu.

EUCASTE, a Valere.

La dupe est bonne!

SCÈNE X. — SGANARtiLLE, 8«u.

Il me fait grand' pitié. Ce pauvre malheureux tout rempli d'amilié; Mais c'est un mal pour lui de s'être mis < n télé De vouloir prendre un fort qui se voit ma conquête.

(Sjjanarclle bcurte à sa porte.)

SCÈNE XI. — SGANAIŒLLE, IS.4BELLB.

SCANARCLLE.

Jamais amant n'a fait tant de trouble éclater, Au poulet rerivoyé sans le décacheter : Il perd toute espérance enfin, et se rcl-ire ; Mais il m'a tendrement conjuié de le dire

• Que du moins en t'aimrmt il n'a jamais prnse

» A rien dont ton honneur ait lieu délie offensé, it Et que, ne dépendant que du choix de son anie, » Tous ses désirs étoienl de toblenir pour fennne, » Si les deslins, en moi qui captive ton cœur,

• N'opposoieul un obstacle à cette juste ardeur;

« Que, quoi qu'où puisse faire, il ne le faut pas croire

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556 L'ÉCOLE DES MARIS,

» Que jamais tes appns sortent de sa mémoire;

■ Que, quelque arrêt des deux qu'il lui faille subir,

» Son sort est de f'aimer jusqu'au dernier soupir;

» Et que si quelque chose étouffe sa poursuite,

f C'est le juste respect qu'il a pour mon mérite. »

Ce sont ses propres mois; et, loin de le blâmer.

Je le trouve honnête homme, et le plains de t'aimer,

ISAB'LI.E, bas.

Ses feux ne trompent point ma secrète croyance, El toujours ses regards m'en onl dit l'innocence.

SfiANARELLE.

Que dis-tu?

ISABELLE.

Qu'il m'est dur que vous plaigniez si fort Un homme que je hais à l'égal de la mort; Et que, si vous m'aimiez autant que vous le dites, Vous sentiriez l'affront que ine font ses poursuites.

SGANARELLE.

Mais il ne savoil pas les niclinalions; Et, par l'honnêlelé de ses intentions. Son amour ne mérite...

ISABELLE.

Est-ce les avoir bonnes, Dltes-mo!, de vouloir enlever les personnes? Est-ce être homme d'honneur, de former des dessein» Pour m'épouser de force en m'ôtant de vos mains? Comme si j'étois fille à supporter la vie, Après qu'on m'auroit fait une telle infamie!

SGANARELLE.

Comment?

ISABELLE.

Oui, oui, j'ai su que ce traître d'amant Parle de m'obtenir par un enlèvement; Et j'ignore, pour moi, les pratiques secrètes Qui l'ont instruit si tôt du dessein que vous faites De me donner la main dans huit jours au plus tard. Puisque ce n'est que d'hier que vous m'en fîtes parij Mais il veut prévenir, dit-on, celte journée Qui doit à votre sort unir ma destinée.

SGANARELLE.

Voilà qui ne vaut rien.

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ACTE II, SCÈiNE XI. SoY

ISAOELtE.

Oh 1 que pardonnez-mM! C'est un forl honnêle homme, et qui ne sent pou mou.

SGANAUELLE.

lia lorl; et ceci passe la raillerie.

ISABELLE.

Allez, voire douceur enlrclicnt sa folie;

S'il vous eût vu tantôt lui parler verlemcnt,

Il craindroil vos transports et mon ressenliment;

Car c'est encor depuis sa lettre méprisée.

Qu'il a dit ce dessein qui nVa scandalisée;

Et son amour conserve, ainsi que je l'ai su,

La croyance qu'il est dans mon cœur bien reçu,

Que je fuis votre hymen, quoi que le monde en croies

Et me verrois tirer de vos mains avec joie.

SCANARELLE.

Il est fou.

ISABELLE.

Devant vous il sait se déguiser, El son intention esl de vous amuser. Croyez par ces beaux mots que le traître vous joue. Je suis bien malheureuse, il faut que je l'avoue, Qu'avecque tous mes soins pour vivre dans l'honneurj El rebuter les vœux d'un lâche suborneur, il faille être exposée aux fâcheuses surprises De voir faire sur moi d'infâmes entreprises!

SGANARELLE.

Va, ne redoute rien.

ISABELLE.

Pour moi, je vous le di, >Si vous n'éclatez fort contre un trait si hardi, Et ne trouvez bientôt moyen de me défaire Des persécutions d'un pareil téméraire, J'abandonnerai tout, et renonce à l'ennui De souffrir les affronts que je reçois de lui.

SGANARELLE.

Ne l'afflige point tanl ; va, ma. petite femme, m'en vais le trouver, el lui chanter sa gamine,

ISAr.ULLE,

Diles-lui bien au moins qu il ie nie: oit en vain,

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558 L'ÉCOLE DES MÀKlb.

Que c'esl de bonne part qu'on m'a dit son dessein; El qu'apris cet avis, quoi qu'il puisse entreprendre. J'ose le défier de me pouvoir surprendre; Enfin que, sans plus perdre et soupirs cl momenJs, 11 doit savoir pour vous quels sont mes sentiments j Et que, si d'un malheur il ne veut être cause, Il ne se fasse pas deux fois dire une chose.

SGANARELLE.

Je dirai ce qu'il faut.

ISABrLLE.

Mais tout cela d'un ton Qui marque que mon cœur lui parle tout de bon.

SGANAUELLE.

Va, je n'oublierai rien, je t'en donne assurance.

ISABELLE.

J'attends votre retour avec impatience;

Hâlez-le, s'il vous plaît, de tout voire pouvoir.

Je languis quand je suis un moment sans vous voir.

SGANARELLE.

Va, pouponne, mon cœur, je reviens tout à l'heure.

SCÈNE XIL — SGANARELLE, seul.

Est-il une personne et plus sage et meilleure?

Ahl que je suis heureux I et que j'ai de plaisir

De trouver une fomme au gré de mon désir I

Oui, voilà comtae il faut que les femmes soient faites;

Et non, comme j'en sais, de ces franches coquelles

Qui s'en laissent couler, et font dai'.s toul Paris

Montrer au bout du doigt leurs honnêtes maris.

(Il frappe à la porte de Viiere.)

lîolà ! notre galant aux belles cnl'-eprises!

SCÈ.NE XIIL — VALÈRE, SGANARELLE, ERGASTE

VALÈnE.

tlonsieur, qui vjus ramène en ces lieux?

SGANARELLE.

Vos sottises.

VALLIiÇ

Gemment?

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ACTE li, SCENE XIV. 559

SGANARELLE.

Vous savez bien de quoi je veux pat ter. le vous croyois plus sage, à ne vous rien celer. Vous venez m'amuser de vos belles paroles, Et conservez sous main des espérances folles. Voyez-vous, j'ai voulu doucement vous traiter; Mais vous m'obligerez à la fin d'éclater. N'avez-vous point de honte, étant ce que vous êtes. De faire en votre esprit les i)roje(s que vous faites? De prétendre enlever une fille d'honneur, Et troubler un hymen qui fait tout son bonheur?

VALÈRE.

Qui vous a dit, monsieur, cette étrange nouvelle?

SGANARELLE.

Ne dissimulons point, je la liens d'Isabelle, Qui vous mande par moi, i-'ur la dernière fois. Qu'elle vous a fait voir assez quel est son choix; Que son cœur, tout à moi, d'un tel projet s'offense; Qu'elle mourroit plutôt qu'en souffrir Tinsolcnce; Et que vous causerez de terribles éclats, Si vous ne mettez fin à tout cet embarras.

VALÈRE.

S'il est vrai qu'elle ait dit ce que je viens d'enleiidre, J'avouerai que mes feux n'ont plus rien à prétendre; Par ces mots assez clairs je vois tout terminé, Et je dois révérer l'arrêt qu'elle a donné.

SGANARELLE.

S'il?... Vous en doutez donc, et prenez pour des feintes Tout ce que de sa part je vous ai fait de plaintes? Voulez-vous qu'elle-même elle explique son cœur l'y consens volontiers, pour vous tirer d'erreur. Suivez-moi, vous verrez s'il est rien que j'avance. Et si son jeune cœur entre nous deux balance.

[Il va l'rapper à sa porte.)

SCÈNE XIV. — ISABELLE, SGANAUELtE, VALÈRKi ERGASTE.

ISABELLE.

Quoi! VOUS me l'amenez! Quei est votre dessein? Prenez-vous contre moi ses inlérèfs en main? Et voulez-vous, charmé de ses rares mérites,

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5C0 L'ECOLt DES MAHIS.

M'obliger à l'aimer, et souffrir ses visites?

SGANARELLE.

Non, m'amie, et ton cœur pour cela m'est trop chet Mais il prend mes avis pour des contes en l'air, Croit que c'est moi qui parle, et te fais, par adresse, Pleine pour lui de haine, et pour moi de tendresse ; Et par toi-même enfin j'ai voulu, sans retour, Le tirer d'une erreur qui nourrit son amour.

ISABCLLE, à Valère.

Quoi! mon ame à vos yeux ne se montre pas toute, Et de mes vœux encor vous pouvez être en doute?

VALÈRE.

Oui, tout ce que monsieur de voire part m'a dit, Madame, a bien pouvoir de surprendre un esprit. Vai douté, je l'avoue; et cet arrêt suprême. Qui décide du sort de mon amour extrême, Doit m'êlre assez louchant, pour ne pas s'offenser Que mon cœur par deux fois le fasse prononcer.

ISABELLE.

Non, non, un tel arrêt ne doit pas vous surprendre:

Ce sont mes sentiments qu'il \ous a fait entendre;

Et je les tiens fondés sur assez d'équité,

Pour en faire éclater toute la vérité.

Oui, je veux bien qu'on sache, et j'en dois être crue.

Que le sort offre ici deux objets à ma vue,

Qui, m'inspirant pour eux différents sentiments.

De mon cœur agité font tous les mouvements.

L'un, par un juste choix où l'honneur m'intéresse,

A toute mon estime et toute ma tendresse;

Et l'autre, pour le prix de son affection,

A toute ma colère et mon aversion.

La présente de l'un m'est agréable et chère,

J'en reçois dans mon ame une allégresse entière;

Et l'autre, par sa vue, inspire dans mon cœur

De secrets mouvements et de haine et d'horreur.

Me voir femme de l'un est toute mon envie ;

Et, plutôt qu'être à l'autre, on m'ôteroit la vie.

Mais c'est assez montrer mes justes smliincnts.

Et trop longtemps languir dans ces ruJes tourmeuUj

Il faut que ce que j'aime, usant de diligence,

Fasse à ce que je hais perdre toute espérance.

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ACTE II, SCENE XIV. 3G1

El qu'un heureux hymen affiandiisse nioD ^d. U'un supplice pour moi plus affreux qi*^ la r'Êtî

SGANARELLE.

Oui, mignonne, je songe à remplir (on a.^tgr

ISABELLE.

C'est l'unique moyen de me rendre contentt

SGANARELLE.

Tu le seras dans peu.

ISABELLE.

Je sais qu'il csl honteux Aux filles d'expliquer si librement leurs vœux.

SGANARELLE.

Point, point.

ISAIMLI.E.

Mais, en l'état où sont mes destinée», De telles libertés doi\ent m'ctre données; El je puis, sans rougir, faire un aveu si doux A coiui que déjà je regarde en époux.

SGANARELLE.

Oui, ma pauvre fanfan, pouponne de mon ame!

ISABELL-E.

Qu'il songe donc, de grâce, à me prouver sa tlamnAf

SGANARELLE.

Oui, tiens^ baise ma main.

ISABELLE.

Que sans plus de soujtirs il conclue un hymen qui fait tous mes dosirs, Et reçoive en ce lieu la foi que je lui donne De n'écouler jamais les vœux d'autre personne.

(Elle tait semblini d tioibrasser SgauarcHc, el donne sa main à baiser à Va!ér«.; SGANARELLE.

liai, hai, mon petit nez, pauvre petit bouchon, Tu ne languiras pas longtemps, je t'en répon-l.

(à Valere.)

Va, chut. Vous le voyez, je ne lui fais pas dire, Ce n'est qu'après moi seul que son ame respire.

VALÈRE.

lié bien! madame, hé bien! c'est s'expliquer ass€J e vois par ce discours de quoi vous me presseï, El je saurai dans peu vous ôtcr la présence De celui qui vous fait si grafide violcuce.

i. 21

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563 L'ÉCOLE DES MARIS.

ISABELLE.

Vous ne me sauriez faire un plus charmant plaisir^ Car enfin celle vue est fâcheuse à souffrir, Eile m'est odieuse; et l'horreur est si forte. ..

SGANARELLE.

nél hél

ISABELLE.

Vous offensé-je en parlant de la sorte? ais-je...

SCANARELLE. "

Mon Dieu! nenni, je ne dis pas cela; Mais je plains, sans mentir, l'état oii le \oilà. Et c'est trop hautement que ta haine se montre,

ISABELLE.

Je n'en puis trop montrer en pareille rencontre.

VALÈRE.

Oui, vous serez contente; et, dans trois jours, vos yeux Ne verront plus l'objet qui vous est odieux.

ISABELLE.

À la bonne heure. Adieu.

SGANAREiLE , à Valère.

Je plains votre infortune; Mais...

VALÈRE.

Non, VOUS n'entendrez de mon cœur plainte aucune. Madame assurément rend justice à tous deux, Et je vais travailler à contenter ses vœux. Adieu.

SCANARELLE.

Fauvre garçon! sa douleur est extrême. Venea, embrassez-moi : c'est un autre el!e-inème

(Il embrasse Valere.)

SCÈNE XV. - ISABELLE, SCANARELLE.

SCANARELLE.

Je lo tiens fort à plaindre.

ISABELLE.

Allez, il ne l'est point,

SCANARELLE.

4o reste, ton amr «ur me touche au dernier point.

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ACTE III, SCÈNE 11.

Mignonnellc, et je veux qu'il ait sa récompense. C'est trop que de huit jours pour ton impalienc«  Dès demûL^e tVpouse, et n'y veux appeler...

ISABELLE

Dès demain?

SGANARr.Lr E.

Par pudeur tu feins d'y reculer : Mais je sais bien la joie où ce discours te jette, Et lu voudrois déjà que la chose fût faite.

ISAGELLi:.

Mais...

SGANARELLE.

Pour ce mariage allons toul préparer.

ISABELLE, à part.

ciel! iuspire-moi ce qui peut le parer.

FIN DU SECOND ACTE.

ACTE TROISIEME.

SCENE I. — ISABELLE, seale.

Oui, le trépas cent fuis me semble moins à craindre Que cet hymen fatal où l'on vci«t me coniraindre; Et toul ce que je fais pour en fuir les rigueurs Doit trouver quelque grâce auprès de mes censeurs. Le temps presse, il fait nuit; allons, sans crainte aucune^ A la foi d'un amant commettre ma fortune.

SCÈNE II. - SGANARILLE, ISABELLE,

SGANARELLU, parlant à ceux qui sont dans la maisoD.

Je reviens, et l'on va pour demain de ma part..

ISABLLLE.

ciet V

SGANAUELLE.

C'est toi, mignonne 1 Où vas-tu donc si lard

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"fiî L'ÉCOLE DES MARIS.

Tu ilisois qu'en ta cliambie, é!ant un peu lasaé«^ Tu tallois renfermer, lorsque je t'ai laissée ; El lu m'avois prié même que mon retour T'y souffrît en repos jusques à demain jour'.

ISABELLE.

Il est vrai ; mais...

SCANAUELLE.

lié quoi?

ISABELLE.

Vous nie voyez confuse, Et je ne sais comment vous en diie l'excuse,

SGANARELLE.

Quoi donc! que pourroit-ce être?

ISABELLE.

Un secret surprenant : C'est ma sœur qui m'oblige à sortir maintenant, Et qui, pour un dessein dont je l'ai fort blâmée, M'a demandé ma cliambre, où je l'ai renfermée.

SGANAPELLE.

Comment?

ISABELLE.

L'eùt-on pu croire? Elle aime cei amant Que nous avons banni.

SGANARELLE.

Valcre?

ISABELLE.

EperdumenL C'est un transport si grand, qu'il n'en est point de même; Et vous pouvez juger de sa puissance extrême. Puisque seule, à cette heure, elle est venue ici Me découvrir à moi son amoureux souci, Me dire absolument qu'elle perdra la vie, Si son ame n'obtient l'effet de son envie; Que, depuis plus d'un an, d'assez vives ardeurs Dans un secret conmierce entretenoient leurs coeurs; Et que même ils s'éloient, leur flamme élant nouvelle, Donné de s'é|iouser une foi mutuelle...

SGANARELLE.

La vilaine f

' C'esl-à-dire à demain «"««»».

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ACTE m, SCÊiNE II. 5Gj

ISABELLE.

Qu'ayant appris le désespoir Où j ai précipité celui qu'elle aime à voir, EJIe vient me prier de souffrir que sa fliimme Puisse rompre un départ qui lui perceroit lame; Entretenir ce soir cet amant sous mon nom, Par la petite rue où ma chambre répond; Lui peindre, d'une voix qui contrefait la mienne Quelques doux sentiments dont l'appât le rclienoe Et cîénager enfin pour elle adroitement Ce que pour moi I on sait qu'il a d'allachomenl.

SGANARELLE.

Et lu trouves cela...

ISABELLE.

Moi? J'en suis courroucée. Quoil ma sœur, ai-je dit, étes-vous insensée? Ne rougissez-vous point d'avoir pris tant d'amour Pour ces sortes de gens qui changent chaque jour D'oublier votre sexe, et tromper l'espérance D'un homme dont le ciel vous donnoit l'alliance?

SGANARELLE.

Il le mérite bien; et j'en suis fort ravi.

ISABELLE.

Enfin de cent raisons mon dépit s'est servi Pour lui bien reprocher des bassesses si grande», Et pouvoir cette nuit rejeter ses demandes; Mais elle m'a fait voir de si pressants désirs, A tant versé de pleurs, tant poussé de soupirs, Tant dit qu'au désespoir je porterois son ame Si je lui refusois ce qu'exige sa flamme, Qu'à céder malgré moi mon cœur s'est vu réduit; Et, pour justifier cette intrigue de nuit, Où me faisoit du sang relâcher la tendresse, J'allois faire avec moi venir coucher Lucrèce, Dont TOUS me vantez tant les vertus chaque jour : Mais vous m'avez surprise avec ce prompt retour

SGANARELLE.

Non, non, je ne veux point chez moi (oui ce mystèr*» J'y pourrois consentir à l'égard de mon frère; Mais on peut être vu de quoiqu'un de dehors ; Et celle que je dois honorer de mon corûs

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366 L'ECOLE DES MARIS

Non-seulement doit être et publique et bien née Il ne faut pas que même elle soit soupçonnée. Allons chasser l'infâme, et de sa passion...

ISABELLE.

Ah ! vous lui douneriez trop de confusion; Et c'est avec raison qu'elle pourroit se plaindre Du peu de retciuie où j'ai su me contraindre ; Puisque de son dessein je dois me déparlir, AUendez que du moins je la fasse sortir.

SCANARELLE.

lié bien! fais.

ISABELLE.

Mais surtout cachez-vous, je vous prie, Et, sans lui dire rien, daignez voir sa sortie.

SGANARELLE.

Oui, pour l'amour de toi je retiens mes transports; Mais, dés le même instant qu'elle sera dehors, Je veux, sans différer, aller trouver mon frère : J'aurai joie à courir lui dire celte affaire.

ISABELLE.

Je vous conjure donc de ne me point nommer. Bonsoir; car tout d'un temps je vais me renfermer.

SGANARELLE, seul.

Jusqu'à demain, m'amie... Eu quelle impatience Suis-je de voir mon frère, el lui conter sa chance I n en tient le bon homme, avec tout son pliébus, Et je n'en voudrois pas tenir vingt bons écus.

ISABELLE, dans la maison.

Oui, de vos déplaisirs latteinte m'est sensible, Mais ce que vous voulez, ma sœur, m'est impossible; Mon honneur, qui m'est cher, y court trop de hasard Adieu. Retirez-vous avant qu'il soit plus lard.

SGANARELLE.

La voilà qui, je crois, peste de belle sorte : De peur qu'elle revînt, fermons à clef la porte.

ISABELLE, en sortant.

ciel I dans mes desseins ne m'abandonnez pas

SGANARELLE.

Où pourra-t-elle aller? Suivons un peu ses pas.

ISABELLE, à part.

Dans mon trouble du moins la nuit me favorise.

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ACTE III, SCENE IV. 361

SGANARELLE, à part.

Au logis du galant! Quelle est son ealieprise?

SCÈNE III. — VALÈRE, ISABELLE. SGANARELLB.

VALEKE , sortant brusquement.

Oui, oui, je veux (eiiler quelque effort celte nuit Pour parler... Qui va là?

ISABELLE, à Valère.

Ne faites point de bruit, Valère; on vous pré\ient, et je suis Isabelle.

SGANARELLE.

Vous en avez menti, cliicnne; ce n'est pas elle. De l'honneur que tu fuis elle suit trop les lois; Et tu prends faussemeiit et son nom et sa voix.

ISABELLE, à Valère.

Mais à moins de vous voir par Un saint hyménée...

VALÈRE.

Oui, c'est l'un.que but où tend ma destinée; Et je vous dotine ici ma foi que dès dentain Je vais où vous voudrez recevoir votre main,

SGANARELLE, à part.

Pauvre sot qui s'abuse t

VALÈRE.

Entrez en assurance : De votre Argus dupé je brave la puissance; Et, devant qu'il vous pût ôler à mon ardeur. Mon bras de mille coups lui perceroit le cœur.

SCÈNE IV. — SGANARELLE, seal.

Ah ! je te promets bien que je n'ai pas envie De te l'ôter, l'infaine à ses feux asservie; Que du don de ta foi je ne suis point jaloux; Et que, si j'en suis cru, tu seras son époux. Oui, faisons-le sur|)icndre avec celle effrontée: La mémoire du père, à bon droit respectée. Jointe au grand intérêt que je prends à la soeur, Veut que du moins ou lâche à lui readre l'honnear. Holà!

(II frappe à la porte d'un commissaire

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3G8 L'ÉCOLE DES MARIS.

SCÈNE V. — SGANARELLE, UN COMMISSAIRE, UR

NOTAIRE, UN LAQUAIS avec un nambeau. LE COMMISSAIRE.

Qu'esl-ce?

SGANARi LLE.

Salut, monsieur le commissait Votre présence en robe est ici nécessaire; Suivez-moi, s'il vous plaît, avec votre clarté.

LE COMMISSAIRE.

Nous sortons...

SGANARELLE.

Il s'agit d'un fait assez hâté.

LE COMMISSAIRE.

Quoi?

SGANARELLE.

D'aller là-dedans, et d'y surprendre ensemble Deux personnes qu'il faut qu'un bon hymen assembl» C'est une fille à nous, que, sous un don de foi, Un Valère a séduit? et fait entrer chez soi. Elle sort de famille et noble et vertueuse, Mais..

LE COMMISSAIRE.

Si c'est pour cela, la rencontre est heureuse, Puisqu'ici nous avons un noiaire.

SGANARELLE.

Monsieur?

LE NOTAIRE.

Oui, notaire royal.

LE COMMISSAIRE.

De plus, homme d'honneur.

SGANARELLE.

Cela s'en va sans dire. Entrez dans cette porte, Et, sans bruit, ayez l'œil que personne n'en sorte : Vous serez pleinement contentés de vos soins; Mais ne vous laissez pas graisser la patte, au moins.

LE COMMISSAIRE.

Gomment! vous croyez donc qu'un homme de justic«.<« 

SGANARELLE.

Ct oue j'en dis n'est pas pour taxer votre ofûce.

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ACTE lîl, SC£i\E YT. 569

Je vais faire venir mon frère promptcinenl : Faites que le flambeau nréclaire seulement.

(à pari.) Je vais le réjouir cet homme sans colère. Holà!

(11 frappe à la porte d'Ariste.)

SCÈNE VI. — ARISTE, SGANARELLE.

AniSTE.

Qui frappe? Ah ! ah! que voulez-vous, mon frèref

SGANAIîELLE.

Venez, beau directeur, suranné damoiseau : On veut vous faire voir quelque chose de beau.

ARISTE.

Comment?

SCANAUELLE.

Je VOUS apporte une bonne nouvelle.

ARISTE.

Quoi?

SGANARELLE.

Votre Léonor, où, je vous prie, est-elle?

ARISTE.

Pourquoi cette demande? Elle est, comme je croi, Au bal chez son amie.

SGANARELLE.

Eh! oui, oui; suivez-moi, Vous verrez à quel bal la donzelle est allée.

ARISTE.

Que voulez-vous conter?

SGANARELLE.

Vous l'avez bien stylée : Il n'est pas bon de vivre en sévère censeur; On gagne les esprits par beaucoup de douceur; Et les soins défiants, les verrous et les grilles, Ne font pas la vertu des femmes ni dos filles; Nous les portons au mol par tant d'austérité, El leur sexe demande un peu de liberté. Vraiment elle en a pris tout son soûl, la rusée; Et la vertu chez elle est fort humanisée.

ARISTE.

Où veut donc aboutir un pareil enlretien?

21.

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570 L'ÉCOLE DES MARIS.

SGANARELLE.

Allez, mon rrère aîné, cela vous sied fort bien; El je ne vourlrois pas pour vingt bonnes pistoles Que vous n'eussiez ce fruit de vos maximes folles. On voit ce qu'en diux sœurs nos leçons ont produit' L'une fuit ce galant, et l'autre le poursuit,

ARISTE.

Si vous ne me rendez cette énigme plus claire...

SGANARELLE.

L'énigme est que son bal est chez monsieur Valère; Que, de nuit, je l'ai vue y conduire ses pas. Et qu'à l'heure présente elle est entre ses bras.

AillSTE.

Qui?

SCAXARELLE.

Leonor.

AniSTE.

Cessons de railler, je vous prie.

SGANARELLE.

Je raille... Il est fort bon avec sa raillerie. Pauvre espi it! Je vous dis, et vous redis encor Que Valère chez lui lient votre Léonor, Et qu'ils s'étoient promis une foi muluelîe Avant qu'il eût songé de poursuivre Isabelle.

ARISTE.

Ce discours d'apparence est si fort dépourvu...

SGAXARELLE.

Il ne le croira pas encore en l'ayant vu : J'enrage. Par ma foi, l'âge ne sert de guère Quand on n'a pas cela.

(Il met le doigt sur son front.) AUISTE.

Quoi ! voulez-vous, mon frère.,

SGANARELLE.

Mon Dieu, je ne veux rien. Suisez-moi seulement; Votre esprit tout à l'heure aura contentement, Vous verrez si j'impose, et si leur foi donnée N'avoit pas joint leurs cœurs depuis plus d'une année.

ARISTE.

L'apparence qu'anisi, sans m'en faire avertir, A cet engogement elle »ùt pw consentir?

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ACTE III, SCENIi VnV 3T4

Moi qui dans toute chose ai, depuis son enfance, Montré toujours pour elle entière complaisance, Et qui cent fois ai fait des protestations De ne jamais gêner ses inclinations 1

SGAhAREIXE.

tùaVm vos propres yeux jugeiont de l'affaire.

J'ai fait venir déjà commissaire et notaire :

Nous avons iuléièt que l'hymen prétendu

Répare sur-le-champ l'honneur qu'elle a perdu;

Car je ne pense pas que voi's soyez si lâche

De vouloir l'épouser avccque cette tache,

Si vous n'avez encor quelques raisonnements

Pour vous mettre au-dessus de tous les bernemcnts.

ARISTE.

Moi? je n'aurai jamais cette foiblessc extrême De vouloir posséder un cœur malgré lui-même... Mais je ne saurois croire enfin...

SGANARELLF

Que de discours! Allons, ce procès-là continueroit toujours.

SCÈNE VII. — SGANARELLE, ARISTE, UN CO.MMISSAIIS, UN NOTAIRE.

LE COMMISSAIRE.

II ne faut mettre ici nulle force eil usage.

Messieurs; et si vos vœux ne vont qu'au mariage,

Vos transports en ce lieu se peuvent apaiser.

Tous deux également tendent à s'épouser;

Et Valère déjà, sur ce qui vous regarde,

A signé que pour femme il tient celle qu'il garde.

ARISTE.

La fille...?

LE COMMISSAIRE.

Est renfermée, et ne veut point sortir. Que vos désirs aux leurs ne veuillent consentir.

SCÈNE VIII. — VALÈRE, UN COMMISSAIRE, UN NOTAIBB, SGANARELLE, ARISTE.

VALERE, à la fenêlre de sa maison.

Non, messieurs; et personne ici n'aura l'entrée, Que celle volonté ne m'ait été montrée.

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572 L'ÉCOLE DES MAHis.

Vous savez qui je suis, el j'ai fait mon devoir En vous signant Tavcu qu'on peut vous faire voir. Si c'est voire dessein d'approuver l'alliance, Voire main peut aussi m'en signer l'assurance; Sinon, faites élal de m'arracher le jour, Piulôt que de m'ôter l'ohjet de mon amour.

SGANAUELLE.

Non, nous ne songeons pas à vous séparer d'elle.

(bas, à part.)

I ne s'esl point encor détrompé d'Isabelle Profitons de l'erreur.

ARISTE, à Valère.

Mais est-ce Léonor

SGANARTLLE, à AristA

Taisez-vous.

ARISTE.

Mais...

SGANARELLE.

Paix donc.

ARISTE.

Je veux savoir,., sganâreixe.

Encor?

Vous lairez-vous? vous dis-je.

VALÈRE.

Entin, quoi qu'il avieooey Isabelle a ma foi ; j'ai de même la sienne, Et ne suis point un choix, à tout examiner, Que vous soyez reçus à faire condamner.

ARISTE, à Sganarellei

Ce qu'il dit la n'est pas...

SGANARELLE.

Taisez-vous, el pour causa

(à Valcre.)

Vous saurez le secret. Oui, sans dire autre chose, lNous conscnlons tous deux que vous soyez l'époux De celle qu'à présent on trouvera chez vous.'

LE COMMISSAIRE.

C'est dans ces termes-là que la chose est conçue, E\ le nom est en blanc, pour ne l'avoir point vue^ S/jjnez. La fille iprès vous mettra tous d'accord.

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ACTE III, SCEiNE IX. 373

VALEHE.

e consens de la sorte.

SGANAnELLE.

Et moi, je le veux fort.

(à pari.) (liaul.)

Nous lirons bien lanlôt. Là, signez donc, mon frère; Lhonneur vous appartient.

ARISTE.

Mais quoi! tout ce mystère,.-

.SGANAREI.I.E.

Diantre, que de façons! Signoz, paii\rc butor.

AUISTE.

11 parle d'Isabelle, et vous de l.éonor.

SCAN AU ELLE.

N'otes-vous pas d'accord, mon fiore, si c'est elle, De les laisser tous deux à k'iii- foi mutuelle?

ARlSTE

Sans doute.

SGANAUELLE.

Signez donc ; j'en fais de même aussL

ARISTE.

Soil. Je n'y comprends rien.

SOANARELI.E.

Vous serez éclairci,

LE COMMISSAIRE.

Nous allons revenir.

SCANAREI LE, à Arislo.

Or çà, je vais vous dire La fin de celle inlricu".

(lisse relirml clans le fniul du tlieàlre.)

SCÈNE IX. — LÉONOR. SGA.NAlitLLE. ARISTE, LISETTE.

Ll.ONOR.

l'éliange martyre! Que tous ces jeunes fous me paioisscnt fâcheux I Je me suis dérobée au bal pour l'amour d'eux.

LISETTE.

Chacun d'eux prés de vous veut se rendre agréable,

LÉ0i^;0R.

Et moi je n'ai rien vu de plus insupportable Et je préférerols le plus simiile ciilretieu

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574 L'ÉCOLL DES MARlS.

A tous les contes bleus de ces diseurs de rien. Ils croyenl que tout cède à leur perruque blonde, El pensent avoir dit le meilleur mol du monde, Lorsqu'ils viciineni, d'un ton de mauvais {jogucnanè» Vous railler sottement sur l'amour d'un vieillard. Et moi, d'un tel vieillard je prise plus le zi'le Que tous les beaux transports d'une jeune cervelle. Mais n'aperçois-je pas.,.?

SGANARELLE, à Arisle. /

Oui, l'affaire est ainsi,

(apercevant Léonor.)

kh I je la vois paroître, et la servante aussi.

ARISTE.

Léonor, sans courroux, j'ai sujet de me plaindre. Vous savez si jamais j'ai voulu vous coiili';dudre, Et si plus de cent fois je n'ai pas proteslé De laisser à vos vœux leur pleine liberté : Cependant votre cœur, méprisant mon suffrage, De foi comme d'amour à mon insu s'engage. Je ne me repens pas de mon doux trailement; Mais votre procédé me touclie assurément; Et c'est une action que n'a pas méritée Celte tendre amitié que je vous ai portée,

LÉON; R.

Je ne sais pas sur quoi vous tenez ce discours; Mais croyez que je suis de même que toujours, Que rien ne peut pour vous altérer mon estime, Que toute autre amilie me paroitroii un crime. Et que, si vous voulez satisfaire mes vœux, Ua saint nœud dès demain nous unira tous deui.

ARISTE.

Dessus quel fondement venez-vous donc, mon frèr«.,.î

SGANARELLE.

Quoi ! vous ne sortez pas du logis de Valère? ^^ous n'avez point conté vos amours aujourd'h Lt vous ne brûlez pas depuis un an pour lui?

LÉONOR.

Qui vous a fait do moi de si belles peintures, Et preud soin de forger de telles injposlures?

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ACTE III, SCÈNE X. 375

SCÈNE X. — ISABELLE, VALÈPxr:, LÉONOR, ARISTE, SGANARELLE, UN COMMISSAIRE, UN NOTAIRE, Ll SEÏTE, ERG ASIE.

ISABELLE.

Ma sœur, je vous demande un généreux pardon, Si de mes liberlcs j'ai taclié voire nom. Le pressant embai ras d'une suiprise exlrème M'a tanlôf inspiré ce lionleux stratagème : Votre exemple comlamne un tel emporlomeni; Mais le sort nous traita tous deux diversenuuL

(à SgaDarelle.)

Pour vous, je ne veux point, monsieur, vous faire excuse;

Je vous sers beaucoup plus que je ne vous abuse.

Le ciel pour être joints ne nous fit pas tous deux:

Je me sui« reconnue indigne de vos foux;

Et j'ai bien mieux aimé me voir aux mains d'un autre,

Que ne pas mériter un cœur comme le vôtie*.

VAI.ÈHE, à Sganarelle.

Pour moi, je mets ma gloire et mon bien souverain A la pouvoir, monsieur, lenir de votre main.

ARISTE.

Mon frère, doucement il faut boire la cbose : D'une telle action vos procédés sont cause; Et je vois votre sort malheureux à ce point, Que, vous sachant dupé, l'on ne vous plaindra point.

LISETTE.

Par ma foi, je lui sais bon gré de cette affaire; Et ce prix de ses soins est un trnit exemplaire.

IKOIMUH.

Je ne sais si ce ti-ait se doit faire estimer;

Mais je sais bien qu'au moins je ne le puis blâmer.

EUGASTE.

Au sort d'être cocu son ascendant l'expose;

' Le dono&ment achève la leçon. La pupille d'Ariste, cin'il a soin de ne point gêner sur les gnf.ls iiinocenls de snn âge, lienl mip comlniteii reiiidcliaUle, et 6nit par épouser son tiilenr ; raiilie, qu'on a Ircitée en esclave, risque "les démarche» aussi hardies que liangeicnses, que sa silualion excuse, el (|iio la proliité de son amant juslilie : elle l'épouse aussi ; maison voit tour ce qu'elle avoir à craindre s'il n'eût pas clé houuclo lumme, cl que ce surveillant inlralable, (pu se croyoit le modèle des iu'ililuiiMirs, u'alloil rien moins qu'a causer la peitc entière d uo«  jeune personne conliee à ses soins, et qu'il vouluil épouser. Ue tels ouvrages sont l'école du monde. (Laliarpe.)

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370

L ECULE DES MAKIS.

El ne l'èlio qu'en herbe est pour lui douce chose.

SCANARELLE, sortant de l'accablement dans lequel il tftoM

Non, je ne puis sortir de mon étonnement. Cette ruse d'enfer confond mon jugement'; El je ne pense pas que Satan en personne Puisse être si méchant qu'une telle friponne. J'aurois pour elle au feu mis la main que voilà Malheureux qui se fie à femme après cela ! La meilleure est toujours en malice féconde; C'est un sexe engendré pour damner tout le monde. J'y renonce à jamais à ce sexe trompeur, El je le donne tout au diable de bon-cœur.

ERGASTE. BOD.

AniSTE.

Allons tous chez moi. Venez, seigneur Valèrc; Nous tâcherons demain d'apaiser sa colère.

LISETTE, au parterre.

Vous, si vous connoissez des maris loups-garous. Envoyez-les au moins à l'école chez nous

'TaBi Cttti diloyauté confond mon jugement.

(Première éditiamJi

rii! DS L tai<i,B uu » i;is

j

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LES FACHEUX,

COMl^DIE-BALLET EN TROIS ACTES.

1661.

NOTICE.

Cette pièce à scènes détachées, sans plan ni intrigue, fut sur aotre tlicâtre le premier essai de ce qu'on a depuis appelé de«  pièces à tiroir, en même temps que le premier essai de la comédie- ballet, c'est-à-dire de la comédie où, comme le dit M. Aus^or, la danse est liée à l'action de manière à en remplir les inlervalles, sans en rompre le fil. Elle fut, suivant le témoignage de Molière lui-même, conçue, faite, apprise et représentée en quinze jours ', à l'occasion d'une fête donnée à Vaux par Fouqiict, le 17 août 1661.

M. Aimé Martin a reproduit, dans son édition, une curieuse anecdote, empruntée à un écrivain du dix-septième siècle, anec- dote qui trouve ici naturellement sa place, parce qu'elle expli- que comment et pourquoi Molière fit les Fâcheux. Nous la don- nons après M. Aimé Martin, en lui laissant, comme de raison, le mérite de la découverte :

« Après qu'on eut joué les frécieuses, où les gens de cour étoient si bien représentés et si bien raillés, ils donnèrent eux- mêmes à l'auteur, avec beaucoup d'empressement, des mémoires de tout ce qui se passoit dans le monde, et aes poitrails de leurs propres défauts et de ceux de leurs meilleurs amis, croyant qu'il y avoit de la gloire pour eux que l'on recoimût leurs im- pertinences dans ses ouvrages, et que l'on dît même qu'il avoit voulu parler d'eux; car il y a certains défauts de qualité dont ils font gloire, et ils seroient bien fàcbés que l'on crût qu'ils ne les eussent pas... A cliaque pièce nouvelle, Molière recevoit de nouveaux mémoires, dont on le prioit de se servir; et je le vis bien embarrassé un soir après la comédie, et qui cherchoit par- tout des tablettes pour écrire ce que lui disoient plusieurs per- sonnes de condition dont il étoil environné. Tellement que l'on

' Voir sur la fêle de FoiiqucI, ses tentatives auprès de mademoiselle de la Val- lière, et la jalousie de Louis XIV, Tascberptu, Yù de Molière, 3* édit.. Pari», «844, in-18, page 37 et suiv.

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378 NOTICE,

peut dire qu'il trdvailloit ssous les gens de qualité pour leur ap- prendre après à vivre à leurs dépens, et qu'il étoit en ce temps et encore présentement leur écolier et leur maître tout ensemble. Ces messieurs lui donnent souvent à diner, pour avoir le temps de l'instruire, en dînant, de tout ce qu'ils veulent lui faire mettre dans ses pièces; mais comnie il ne manque pas de vanité, il rend tous les repas qu'il reçoit, son esprit le faisant aller de pair avec beaucoup de gens qui sont au-dessus de lui... Cependant le nombre des notes qu'on lui fournissoit devint si considérable, qu'il s'avisa, pour satisfaire les gens de qualité, et pour les rail- ler, ainsi qu'ils le sonbaitoient, de faire une pièce oii il pût mettre quantité de leurs portraits. 11 fit donc la comédie des Fâ- cheux, dont le sujet est autant méchant que l'on puisse ima- giner, et qui ne doit pas être appelée une pièce de théâtre : ce n'est qu'un amas de portraits détachés, et tirés de ces mémoires, mais qui sont si naturellement représentés, si bien touchés et si bien finis, qu'il en a mérité beaucoup de gloire ; et ce qui fait voir que les gens de qualité sont non-seulement bien aises d'être raillés, mais qu'ils souhaitent que l'on connoisxe que c'est d'eux que l'on farle, c'est qu'il s'en trouvait qui faisoient en plein théâtre, lorS' qu'on les jouoit, les mêmes actions gue les comédiens faisoient pour les contrefaire. »

Dans la comédie des Fâcheux, dit avec raison M. Bazin, « la scène était de niveau avec l'amphithéâtre. Ici et là les mêmes hommes, les mêmes canons, les mêmes plumes, les mômes pos- tures, excepté que, du côté où le ridicule a été copié, on se tait, on écoute, et que là où il figure unité, on parle, on agit, on fait rire. La comédie se soutient ainsi pendant trois actes, attachée à ime intrigue fort légère, mais toujours sans déroger et dans la splière la plus haute des travers de bonne compagnie : mar- quis éventé, marquis compositeur, vicomte bretteur, courtisan joueur, belles dames précieuses, solliciteurs à la suite des grands, colporteurs ae projets, amis imj oriuns; et, parmi tout cela, toujours le nom du roi ramené avec art, d'une manière respectueuse et sans bassesse. »

Parmi les s'pectateurs qui applaudirent les Fâcheux em château de Vaux, se trouvait la Fontaine, ami, comme on sait, du surin» tendant. Dans une lettre écrite peu de jours après, où il raconte à Maucroix les divertissements dont il a été" témoin, la Fon- taine exprime ainsi, à propos des Fâcheux, sou admiration pouf Molière :

c'est un ouvrage de Molière: Cet écrivain par sa manière Charrne à pjésent toute la cour. De l:i façon que son nom tourt, Il doit éiTî par delà Rome : J'«B suis Mvi, car c'est mon homiQS

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A'UTICE. 379

Te (onvient-il comme Jutrefois

Nous avons conclu d'une vois

Qu'il alloit rumen en Frases

Le bon goût et l'air de Térencet

Plante n'est plus qn'nn plat boulToD,

Et jamais il ne Ht si bon

Se trouver à la comédie :

Car je ne pense pas qu'on ne

De maint trait jadis admire,

El lion in illo tirripoic.

Nous a\ons rhingo de mélliode;

Jodolel n'est plus à la mide,

Et niain!e:..anl il ne faut pas

ijiiiller la nature d'un pas.

Le sentiment de Louis XIV, à l'égard de l'aiiteiir des Fâcheux, fut le même que celni do la Fontaine. Non-senlcment le roi com- plimenta le pncte, mais il lui iiiiTui-ia même un caractère qu'il avait oublié dans la rapidité de la composition, celui du chas- seur. M. Bazin a remarqué justement que c'est h dater de cette pièce, que Louis XIV accorda sa bionveiilnnce et sa protection i Molière, et qu'il lui coufia la mission d'embellir les divertis- sements de sa cour. Ce fait mérite d'être noté, car dans une monarchie absolue, au milieu des ennemis et des envieux que suscitent toujours la supériorité et les succès, que serait devenu Molière sans l'appui du roi?

AU ROI.

SIRE,

J'ajoute une scène à la comédie; et c'est une espèce de fâ- cheux assez insupportable qu'un homme qui dédie un livre. Votre Majesté en sait des nouvelles plus que personne de son royaume, et ce n'est pas d'aujourd'hui qu "Elle se voit en butte à la furie des épitres dédicatoires. Mais, bien que je suive l'exemple des antres, et me mette mol-même au rang: de ceux que j'ai joués, j'ose dire toutefois à Votre Majesté que ce que j'en ai fait n'est pas tant pour lui présenter un livre, que pour avoir lieu de lui rendre grâces du succès de cette comédie. Je le dois, SIRE, ce succès qui a passé mon attente, non-seule- ment à cette glorieuse approbation dont Votre Majesté ho- nora d'abord la pièce, et qui a entraîné si hautement celle de •flut le monde, mais encore à l'ordre qu'ELLE me doi.na d'y ajou- ter un caractère de fâcheux, dont elle eut la bonté de ni 'ouvrir

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380

PREFACE.

les idées Elle-même, et qui a été trouvé partout le plus beau morceau de l'ouvrage'. Il faut avouer, SIRE, que je n'ai jamais rien fait avec tant de facilité, ni si promptemcut, que cet endroit où Votre Majesté me commanda de travailler. J'avois une joie à lui obéir qui me valoit bien mieux quApollon et toutes les Muses ; et je conçois par là ce que je serois capable d'exé- cuter pour une comédie entière, si j'étois inspiré pur de pareils commandements. Ceux qui sont nés en un rang élevé peuvent se proposer l'honneur de servir Votre Majesté dans les grands emplois ; mais, pour moi, toute la gloire où je puis aspirer, c'est de la réjouir. Je borne là l'ambition de mes souhaits; et je crois qu'en quelque façon ce n'est pas être inutile à la France que de contribuer ' quelque chose au divertissement de son roi. Quand je n'y réussirai pas, ce ne sera jamais par un défaut de zèle ui d'étude, mais seulement par un mauvais destin qui suit assez souvent les meilleures intentions, et qui sans doute aflligeroit sensiblement,

SIBB,

DB VOTRE MAJESTE

Le très bumble, très obéissant, el tr fiilèle serviteur et sujet,

MOLIËRE.

PUEFACE.

amais entreprise au théâtre ne fut si précipitée que celle-c^ et c'est une chose, je crois, toute nouvelle, qu'une comédie ait été conçue, faite, apprise et représentée en quinze jours. Je ne dis pas cela pour me piquer de l'impromptu, et en prétendre de la gloire ; mais seulement pour prévenir certaines gens qui pour- roient trouver à redire que je n'aie pas mis ici toutes les espèces de fâcheux qui se trouvent. Je sais que le nombre en est grande et à la cour et dans la ville ; et que, sans épisodes, j'eusse bieu pu en composer une comédie en cinq actes bien fournis, et avoir encore de la matière de reste. Mais, dans le peu de temps qui me fut donné, il m'étoit impossible de faire un grand dêâsein.

'■Le caractère de Tàcbeux que le roi donna ordre à Uolière d'ajouter i sa pièce est celui du chasseur, acte II, scène tii.

' Dans toutes les é/1'iioos publiées du vivant 4e Uolière, le verbe eit ainai «m- lilojfé acUvement<

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l'IiKFACK. 381

t de rêver beaucoup sur le choix de mes pcrsomi.i^es et sur Is disposition de mon sujet. Je me réduisis doav à ne louclier qu'un petit nombre d'importtms ; et je pris ceux qui s'offrirent d'abord à mon esprit, et que je crus les plus propres à rejouir les au- gustes personnes devant qui j'avois à paroilre ; et, pour lier promptemcnt toutes ces cboses ensemble, je me servis du pre- mier nœud que je pus trouver. Ce n'est pas mon dessein d'exa- miner maintenant si tout cela pouvoit être mieux , et si tous ceux qui s'y sont divertis ont ri selon les règles. Le temps vien- dra de faire imprimer mes remarques sur les pièces que j'aurai faites, et je ne désespère pas de faire voir un jour, en grand auteur, que je puis citer Aristote et Horace. Eu attendant cet examen, qui peut-être ne viendra point, je m'en remets asse» aux décisions de la multitude, et je tiens aussi difficile de com- battre un ouvrage que le public approuve que d'en défendre un qu'il condamne.

Il n'y a personne qui ne sache pour quelle réjouissance la pièce fut composée ; et cette fête a fait un tel éclat, qu'il n'est pas nécessaire d'en parler ; mais il ne sera pas liors de propos de dire deux paroles des ornements qu'on a mêlés avec la co- médie.

Le dessein étoit de doaner un ballet aussi; et, comme il n'y avoit qu'un petit nombre choisi de danseurs excellents, on fut contraint de séparer les entrées de ce ballet, et l'avis fut de les jeter dans les entr'actes de la comédie, afin que ces intervalles donnassent temps aux mêmes baladins de revenir sous d'autres habits; de sorte que, pour ne point rompre aussi le fîl de la pièce par ces manières d'intermèdes, on s'avisa de les coudre au sujet du mieux que l'on put, et de ne faire qu'une seule chose du ballet et de la comédie : mais comme le temps étoit fort précipité, et que tout cela ne fut pas réglé entièrement par une même tête, on trouvera peut-être quelques endroits du ballet qui n'entrent pas dans la comédie aussi nalurellement que d'autres. Quoi qu'il en soit, c'est un mélange qui est nou- veau pour nos théâtres, et dont on pourroit chercher quelques autorités dans l'antiquité; et, comme tout le monde l'a trouvé agréable, iî peut servir d'idée à d'autres choses qui pourroient être méditées avec plus de loisir'.

D'abord que la toile fut levée, un des acteurs, comme vous pourriez dire moi, parut sur le théâtre en habit de ville, et, «'adressant au roi avec le visage d'un homme surpris, fit des excuses en désordre sur ce qu'il se trouvoit là seul, et man- quoitde temps et d'acteurs pour donner à Sa Majesté le diver-

■ Oo voit, par ce passage, que Holièie est l'iDveuteur de la comédie-ballet, M qiielM Fdcheuz ea (ont le premier exemple. (A.)

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582 PROLOGUE.

tissement qu'elle sembloit attendre. En même temps, au milieu de vingt jets d'eau naturels, s'ouvrit cette coquille que tout le monde a vue ; et l'agréable Na'iade qui parut dedans s'avança au bord du théâtre, et d'un air héroïque prononça les vers que M. Pellisson avoit faits, et qui servent de prologue.

PROLOGUE.

Le théâtre représente un jardin orné de termes et de plusieurs jet» d'eau.

UNE naïade*, sortant des eaux dans une coquille.

Pour voir en ces beaux lieux le plus grand roi du monde,

Mortels, je viens à vous de ma grolle profonde.

Faut-il. en sa faveur, que la terre ou que l'eau

Produisent à vos yeux un speclacle nouveau?

Qu'il parle ou qu'il souhaite, il n'est rien d'impossible^

Lui-même n'est-il pas un miracle visible?

Son règne, si fertile en miracles divers,

N'en demande-t-il pas à tout cet univers?

Jeune, victorieux, sage, vaillant, auguste.

Aussi doux que sévère, aussi puissant que juste :

Régler et ses États et ses propres désirs;

Joindre aux nobles travaux les plus nobles plaisirs,

En ses justes projets jamais ne se méprendre;

Agir incessamment, tout voir et tout entendre,

Qui peut cela peut tout : il n'a qu'à tout oser,

Et le ciel à ses vœux ne peut rien refuser.

Ces termes marcheront, et si LoDis l'ordonne.

Ces arbres parleront mieux que ceux de Dodone.

Hôtesses de leurs troncs, moindres divinités.

C'est LoDis qui le veut, seriez, nymphes, sortez,

Je vous montre l'exemple, il s'agit de lui plaire.

Quittez pour quelque temps votre forme ordinaire,

' Le rôle de la naïade qui ri'citoil le prologue avoit été conGé à Annande B*- lart. €La Béjart,>dont tous \e!> témoins parlent comme d'une actrice parfaitement connue, étoit une nvmphe 6a quarante-trois ans, comme il s'en conserve tonjoun trop sur les théâtres. C'étoit :elte même Madeleine à laquelle Holièie s' éloitatlacM •o 1645, et qui é'^it revenue avec lui de la province. IBaiin.]

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LES FACHEUX

fçt paroissons ensenihlo aux yeux des sp^claleurs, Pour ce nouveau Ihéàlre, autant de vrais acteurs.

(Plusieurs Dryades, accompagnées de Fauues el de Satyre», «sxteet de» arbres el des lermes.)

Vous, soin de ses sujets, sa plus charmante élude, Héroïque souci, royale inquiétude, Laissez-le respirer, et souffrez qu un moment Son grand cœur s'al)ao>!>ne au divertissement; Vous le verrez demaii., aune force nouvelle, Sous le fardeau pénible où votre voix l'appelle, Taire obéir les lois, partager les bienfaits, l*ar ses propres conseils prévenir nos souhaits, Maintenir luuiveis dans une paix profonde, El s'ôter le repos pour le donner au monde. Qu'aujourd'hui tout lui plaise, el semble consentir A l'unique dessein de le bien divertir ! Fâcheux, letirez-vous; ou s'il faut qu'il vous voie, Que ce soit seulement pour exciter sa joie !

(La Naiaile einnipue avec elle, pour la comédie, une partie de: (çe^ s qu'olie a fait paroilre, pendanl que le reste se mel à danser uu -. n des hautbois, qui se joignent aux violons.)

PERSONNAGES.

DAMIS, tuteur d'Orpliise '.

ORPHISE'.

ÉRASTE , amoureux d'Orphise '.

ALCH)0R ,

LISANDHK',

ALl.A.NDRE,

Ai Cil' Pli,

ORANTK ', V ,A k

CLIMÈXES > '*'=«"*•

DORANTE,

CAIIITIUÈS,

CRM IN ,

FILINTE,

LA MONTAGNE, valet d'Éraste i.

L'ÉPINE, valet de Daniis.

LA RIVIÈRE, cl deux camaradM.

La scène est à Paris.

Acteurs de la troupe de Molière : ' L'Épy. — * UadenioiseUe MoLiÊae. — MOLIÉBE. — ' La Ghang.c. — ' Mademoiselle DurAB^. — • Mailemoiseile en Brie. — * Dupakc.

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page 254 -1 1586 2534

 "884 LES FACHEUX. 

ACTE PREMIER,

SCÈNE 1*. — ÉKASTË, LA MONTAGNE.

ÉnASTE.

Sous quel astre, bon Dieu, faul-il que je sois né,

Pour êlre de fâcheux toujours assassiné?

[1 semble que partout le sort me les adresse,

Et j'en vois chaque jour quelque nouvelle espèce ;

Mais il n'est rien d'égal au fâcheux d'aujourdhui;

J'ai cru n'être jamais débarrassé de lui ;

El cent fois j'ai maudit celle innocente envie

Qui m'a pris, à diner, de voir la comédie,

Où, pensant m'egayer, j'ai misérablement

Trouvé de mes péchés le rude châtiment.

Il faut que je te fasse un récit de l'affaiie

Car je m'en sens encor tout ému de colère,

é'étois sur le théâtre en humeur d'écouter

La pièce, qu'à plusieurs j'avois ouï vanter;

Les acteurs comment;oieiit, chacun protoit silence;

Lorsque, d'un air bruyant et plein d'o\lra\::'jnnte,

Un homme à grands canons est entré brus(]ii<iiHu(

En criant: Holà I hol un siège prcmplemeiiî !

Et. de son grand fracas surprenant l'asseiuliléo,

1) ns le plus bel endroit a la pièce troublée.

Hé! mon Dieu! nos François, si souvent redressés.

Ne prendront-ils jamais un air de gens sensés,

Ai-je dit; et faut-il sur nos défauts cxtrénios

Qu'en théâtre public nous nous jouions nous-mén:eg^

Et confirmions ainsi, par des éclats de fous,

Ce que chez nos voisins on dit partout de nous?

Tandis que là-dessus je haussois les épaules,

Les acteurs ont voulu continuer leurs rôles :

Mais l'homme pour s'asseoir a fait nouveau fracas;

' L'idée de cette première scène des ftfc/ieu* se retrouve dans la IX" satire d'B»" net;, et dans la VIII* satire de Régnier, qui liii-o>ème a LuiU le poète iatia.

■â

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ACTt: I, SCEiNE I. 5S:>

Et, traversant encor le théâtre h grands pas,

Bien que dans les côtés il put être à son aise,

Au milieu du devant il a piaulé sa chaise,

Et, de son large dos morguant les spectateurs,

Aux trois quarts du parterre a caché les acteurs*.

Un bruit s'est élevé, d^.;iit un autre eût eu honte;

Mais lui, ferme et constant, n'en a fait aucun compte,

El se seroit tenu comme il s'étoil posé,

Si, pour mon iururluiie, il ne m'eût avisé.

lia! marquis, m'a-t-il dit, prenant près de moi place,

Comment te porles-tu? Souffre que je l'embrasse.

Au visage, sur l'heure, un rouge m'est monté,

Que l'on me \it conuu d'un pareil éventé.

Je rélois peu pourtant; mais on en voit paroître

De ces gens qui de rien veulent fort vous connoilre,

Dout il faut au salut les baisers essuyer,

El qui sont familiers jusqu'à vous tutoyer.

11 m'a fait à l'abord cent questions frivoles,

Plus haut que les acteurs élevant ses paroles.

Chacun le maudissoit; et moi, pour l'arréler,

Je serois, ai-je dit, bien aise d'écouter.

— Tu n as point vu ceci, marquis? Ah 1 Dieu me damne,

Je le trouve assez drôle, et je n'y suis pas âne;

Je sais par qifelles lois un ouvrage est parfait,

Et Corneille me vient lire tout ce qu'il fait.

Là-dessus, de la pièce il m'a fait un sommaire,

Scène à scène averti de ce qui s'ailoit faire;

El jusques à des vers qu'il en savoit par cœur,

Il me les réciloit tout haut avant l'acteur.

J'avois beau m'en défendre, il a poussé sa chance,

El s'esl devers la fin levé longtemps d'avance;

Car les gens du bel air, pour agir galamment,

Se gardent bien surtout d'ouïr le dénoùment.

Je rendois grâce au cii-l, et croyois de justice

Qu'avec la comédie eût fini mon supplice;

liais, comme si c'en eût été trop bon marché.

Sur nouveaux frais mon homme à moi s'est attaché,

' Il y avnit autrefois des bancs sur l'avaDt-scéue ; les jeunes gens s'y donnoieal euz-mèmcscn speclaile, parlant plus haut que les acteurs, se levant avant la En de la pièce, étalant enfin tous ies ridiculef ti bien peiuts dans ccue sceLC. Cei •sage fut aboli eo 1759. (Bret.)

I. 22

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586 LES FACHEUX-

M'a conté ses exploits, ses vertus non communes,

Parlé (le ses chevaux, de ses bonnes fortunes,

Et de ce qu"à la cour il avoit de faveur,

Disant qu'à m'y servir il soffroit de grand cœur.

Je le remerciois doucement de la tète,

Minutant à tous coups quelque retraite honnête;

Mais lui, pour le quiller me venant ébranlé :

Sortons, ce m'a-t-il dit, le monde est ccouié.

Et sortis de ce lieu, me la donnant plus sèche ',

Marquis, allons au Cours^ faire voir ma calèche :

Elle est bien entendue, et plus d"un duc et pair

En fait à mon faiseur fau'e une du même air.

Moi, de lui rendre grâce, et, pour mieux m'en défendre,

De dire que j'avois certain repas à rendre.

— Ah I parbleu, j'en veux être, étant de tes amis, Et manque au maréchal, à qui j'avois promis. De la chère, ai-je dit, la dose est trop peu forte Pour oser y prier des gens de votre sorte.

Non, m'a-t-il répondu, je suis sans compliment, Et j'y vais pour causer avec loi seulement; Je suis des grands repas fatigué, je te jure.

— Mais si l'on vous attend, ai-je dit, c'est injure...

— Tu te moques, marquis! nous nous connoissons tous; Et je trouve avec toi des passe-temps plus doux.

Je pestois contre moi, l'ame triste et confuse Du funeste succès qii'avoit eu mon excuse, Et ne savois à quoi je devois recourir Pour sortir d'une peine à me faire mourir : Lorsqu'un carrosse fait de superbe manière, El comblé de laquais et dr-vant et derrière, S'est, avec un grand bruit, devant nous arrêté, D'où saulant un jeune homme amplement ajusté, Mon importun et lui courant à l'embiassade. Ont surpris les passants de leur brusque incartade; Et, tandis que tous deux éloient précipités

' La donner sèche, suivant l'Académie, c'est annoncer t|iiclqiie nouvelle àclieaM.

' Le Court est celte parlie des Clianips-t'l\ïées (|iii ptrle le nom de Court-ia- li«tnf, à cause des plautnliciis ((n'y lit Faite Marie de Uédicis. Boursanlt, dans !• préface de son petit niman d'^ rtémise et Pvliar.te, nous .ipprend que la comédie le leiMi-rioil alors à sept liei res du sf>ir. Cette circousuuce explique (uffiiammciU coinmcLleo sortanldu spcvlacle le Tàcbeui; peut aller au Cours faire »oir t» ■ caMcAe. (Aimé Mariia.J

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ACTE I, SCÈNE I. 387

Dans les comulsions de leurs civilités, Je me suis doucement esquivé sans rien dire; Non sans avoir longtemps gémi d'un tel martyre, Et maudit ce fâcheux, dont ce zèle obstiné M'ôtoit au rendez-vous qui m'est ici donné.

LA MONTAGNE.

Ce sont chagrins mêlés aux plaisirs de la vie. Tout ne va pas, monsieur, au gré de notre envie : Le ciel veut qu'ici-bas chacun ait ses fâcheux. Et les hommes seroient sans cela trop heureux.

ÉRASTE.

Mais de tous me.« acneux, le plus fâcheux encore, C'est Damis, le < jceur de celle que j'adore. Qui rompt ce qu'à mes vœux elle donne d'espoir, Et malgré ses bontés lui défend de me voir'. Je crains d'avoir déjà passé l'heure promise, Et c'est dans celte allée où dovoit être Orphise.

LA MONTAGNE.

L'heure d'un rendez-vous d'ordinaire s'étend, Et n'est pas resserrée aux bornes d'un instant.

ÉRASTE.

Il est vrai; mais je tremble, et mon amour extrême D'un rien se fait un crime envers celle que j'aime.

LA MONTAGNE.

Si ce parfait amour, que vous prouvez si bien, Se fait vers votre objet un grand crime do rien. Ce que son cœur pour vous sent de feux légitimes, En revanche, lui l'ait un rien do tous vos crimes,

ÉRASTE.

Mais, tout de bon, crois-tu que je sois d'elle aimé?

LA 5I0NTAGNE.

Quoi! vous doutez encor d'un amour confirmé?

ÉRASTE.

Al) ! c'est nialaisén'.ent q-i'en pareille matière Vn cœur bien cnflanmié prend assurance entières Il craint de se tbitler; et, dans ses divers soins. Ce que plus il souhaite est ce qu'il croit le moins Mais 9>ugeons à tiou\er une beauté si rare.

'Jk%. El fait iiii'eu sa pré-enci- elle n'ose me voir.

{Première éditiez.)

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588 LES FACHEUX.

LA MONTAGNE.

Monsieur, votre rabal par-devant se sépare.

ÉUASTE.

N'importe.

LA MONTAGNE.

Laisseï-moi Tajuslcr, s'il vous plaît.

KHASTE-

Ouf! tu m'étrangles, fal; laisse-le comme il est.

LA MONTAGNE.

Souffrez qu'on peigne un peu...

ÉRASTE.

Sottise sans par*'ille ! Tu m'as, d'un coup de dent, presque emporté Voreille*.

LA MONTAGNE.

Vos canons...

ÉRASTE.

Laisse-les, tu prends trop de souci.

LA MONTAGNE.

Us sont tout chiffonnés.

ÉRASTE.

Je veux qu'ils soient ainsi.

LA MONTAGNE.

Accordez-moi du moins, par grâce singulière.

De frotter ce chapeau, qu'on voit plein de poussière.

ÉRASTE.

Frotte donc, puisqu'il faut que j'en passe par là.

LA MONTAGNE.

Le voulez-vous porter fait comme le voilà?

ÉRASTE.

Mon Dieu, dépêche-loi!

LA MONTAGNE.

Ce seroil conscience.

ÉRASTE, après avoir aUeudo.

C'est assez.

LA MONTAGNE.

Donnez-vous un peu de patience.

ÉRASTE.

Il mo tue.

' 1 ■■■ Mitels porloicnl sur eux mi iieigne pour rajuster la perruque de lenn Bia'.ii- .; ;e3 maîtres eux-mimcs en avoieul toujours un en poch», et s'en servoieit fre,|.'.i:ur>enl. Aiiger.)

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ACTE I, SCENE III. ' S83

I,A MONTACNK.

En quel lieu vous è(es-\ous fourré?

ÉUASTE.

T'et-tu de ce <hapeau pour toujours emparé?

I,A MONTAGNE

C'est fait.

ÉRASTE.

Uonne-moi donc.

LA MOMAGNE, laissant tomber le chapeta.

llail

ÉRASTE.

Le voilà par terre: Je suis fort avancé. Que la fièvre le serre!

LA MONTAGNE.

Permettez qu'en deux coups j'ôle...

ÉRASTE.

Il ne me plaît pas.

Au diantre tout valet qui vous est sur les bras, Qui fatigue son maître, et ne fait que déplaire, A force de vouloir trancher du nécessaire*!

SCÈNE IL - ORPHISE, ALCIDOR, ÉRASTE, LA

MONTAGNE.

(Orphise tnvene ie fond du théâtre ; Alcidor lai donne h aatk.{ ÉRASTE.

Mais vois-je pas Orphise? Oui, c'est elle qui vient. Où va-t-elle si vite, et quel homme la tient?

(Il la «aloe comme elle passe , et elle ea passant détourne la ttta.)

SCÈNE III. — ÉRASTE, LA MONTAGNE.

ÉRASTE.

Quoil me voir en ces lieux devant elle paroître, Et passer en feignant de ne me pas connoître! Que croire? Qu'en dis- lu? Parle donc, si tu veux.

LA MONTAGNE.

Monsieur, je ne dis rien, de peur d'être fâcheux.

' C'est une idée toat à feit eomiqot, qut iTaToir donné an valet d'Éraste un zèle poussé jusqu'à rimportunité. qui fait de lui un des fàrheux les pi». i charge à son maître. (Auger.)

22.

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LES KAv-tiELr.

ÉRASTE.

Lt ^'c'st lelre en «'ftt que de ne me rien dira Dans les cxtrefT>!'/e« d'une si cruel martyre. Fais donc anflci'-t réponse à mon cœtir abattu. Que '^«•ii» (e présumer? Parle, qu'en penses-lu? ris-moi Ion sentiment.

LA MOîSTAGNE.

Monsieur, je veux me taire. Et ne désire point trancher du nécessaire.

ÉRASTE.

Peste l'impertinent I Va-l'en suivre leurs pas, Vois ce qu'ils deviendront, et ne k'S quille pas.

LA MONTAGNE, revenant sur ses pa».

Il faut suivre de loin ?

ÉRASTE.

Oui.

LA MONTAGNE, revenant sur ses pai.

Sans que l'on me voie, Ou faire aucun semblant qu'après eux on m'envoie?

ÉRASTE.

Non, tu feras bien mieux de leur donner avis Que par mon ordre exprès ils sont de toi suivis.

LA MONTAGNE, revenant sur ses pas.

Vous Irouverai-je ici ?

ÉRASTE.

Que le ciel te confonde. Homme, à mon sentiment, le plus fâcheux du mondef

SCÈNE IV. — ÉRASTE, seul.

Ah! que je sens de trouble, et qu'il m'eût été doux Qu'on me l'eût fait manquer, ce fatal rendez-vous! Je pensois y trouver toutes choses propices. Et mes yeux pour mon cœur y trouvent des supplice^

SCÈNE V. — LISANDRE, ÉRASTE.

LISANDRE.

Sous ces arbres, de loin, mes yeux t'ont reconnu, Cher marquis; et d'abord je suis à toi venu. Comme à de mes amis, il faut que je te chante

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ACTE I, SCÈNE V. 398

Certain air que j'ai fail de petite courante*,

Qui de toute la cour contente les experts,

Et sur qui plus de vingt ont déjà fait des vers.

J'ai le bien, la naissance, et quelque emploi passable^

Et fais figure en France assez considérable;

Mais je ne voudrois pas, pour tout ce que je suis,

N'avoir point fait cet air qu'ici je te produis.

(Il prélude.)

La, la, bem, hem : écoute avec soin, je te prie.

(Il chante sa courante.)

N'est-elle pas belle?

ÉRASTE.

Ahl

LISANDRE.

Cette fin est jolie.

(Il rechaote la Gd quatre ou cinq fois de suite.)

Comment la trouves-tu?

ÉRASTE.

Fort belle assurément

LISANDRE.

Les pas que j'en ai faits n'ont pas moins d'agrément, Et surtout la figure a merveilleuse grâce.

(Il chante, parle ci danse tout ensemble, et fait faire i Srdft* les figures de la feramc.)

Tiens, l'homme passe ainsi; puis la femme repasse: Ensemble; puis on quitte, et la femme vient là. Vois-tu ce petit trait de feinte que voilà? Ce fleuret? ces coupés courant après la belle? Dos à dos, face à face, en se pressant sur elle? ■>

(Apres avoir achevé.)

Que t'en semble, marquis?

ÉRASTE.

Tous ces pas-là sont fins.

LISANORE.

Je me moque, pour moi, des maîtres baladins'.

EltASTE.

On le voit.

' (°ouraDte,iinctenneaiis« dont la mesure est lenie.

  • Comme baladin si:;iiifioii alors danseur de lliéàtre, il est prësuraabie q,„

wuitre baladin répoodoit i ce que nous nommons maitrt itt balleit.

(Auger.)

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392 LES FACHEUX.

USâNDRE.

Les pas donc?

ÉRASTE.

N'ont rien qui ne surprenne,

LISANDUE.

Vuux-tu, par amilié, que je le les apprenne?

ÉRASTE-

Ma foi, pour le présent, j'ai certain embarras..,

LISAADRE,

lié bien donc, ce sera lorsque tu le voudras.

Si j'avois dessus moi ces paroles nouvelles,

Nous les lirions ensemble, et verrions les plus belles.

ÉRASTE.

Une autre fois.

LISANDRE.

Adieu. Baptiste le très cher fVa point vu ma courante, et je le vais cliercher* : Nous avons pour les airs de grandes sympathies, Et je veux le prier d'y faire des parties.

(Il s'en va, toujours en cbtBtant. SCÈNE VI. — ÉRASTE, seul.

Ciell faut-il que le rang, dont on veut tout couvrir. De cent sols tous les jours nous oblige à souffrir, Et nous fasse abaisser jusques aux complaisances D'applaudir bien souvent à leurs impertineuces?

SCÈNE VIL — ÉRASTE, LA M0NTAGN8.

LA MONTAGNE.

Monsieur, Orpbise est seule, et vient de ce côté.

ÉRASTE.

Ahl d'un trouble bien grand je me sens agi tel J'ai de Tamour encor pour la belle inhuniaice. Et ma raison voudroit que j'eusse de la haine.

LA MONTAGNE.

Monsieur, votre raison ne sait ce qu'elle veut. Ni ce que sur un cœur une maîtresse peut.

'J;an-BaptiiteLQlU.

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ACTE I, SCENE VIII. SOS

Bien que de s'emporter on ait de justes causes, Une belle, d'un mot, rajuste bien des choses.

ÉRASTE.

IlélasI je te l'avoue, et déjà cet aspect A toute ma colère imprime le respect.

SCÈNE VIII. - ORPIIISE, ÉRASTE, LA MONTAGNK

ORPHISE.

Votre front à mes yeux montre peu d'allégresse : Seroit-ce ma présence, Érasle, qui vous blesse? Qu'est-ce donc? qu'a^ez-vous? et sur quels déplaisirs, Lorsque vous me voyez, poussez-vous des soupirs?

ÉRASTE.

Hélas! pouvez-vous bien me demander, cruelle, Ce qui fait de mon cœur la tristesse mortelle? -Et d'un esprit méchant n'est-ce pas un effet, Que feindre d'ignorer ce que vous m'avez fait? Celui dont l'entretien vous a fait à ma vue Passer...

ORPniSE, riant.

C'est de cela que votre ame est émue?

ÉRASTE.

Insultez, inhumaine, encore à mon malheur. Allez, il vous sied mal de railler ma douleur, El d'abuser, ingrate, à maltraiter ma flamme, Du foible que pour vous vous savez qu'a mon ame.

ORPMISE.

Certes il en faut rire, el confesser ici Que vous êtes bien fou de vous troubler ainsi. L'homme dont vous parlez, loin qu'il puisse me plaire, Est un homme fâcheux dont j'ai su me défaire; Un de ces importuns et sots officieux ' Qui ne sawroient souffrir qu'on soit seule en des lieux, Lt viennent aussitôt, avec un doux langage, Vous donner une main contre qui l'on enrage. J'ai feint de m'en aller pour cacher mon dessein; Et jusqu'à mon carrosse il m'a prêté la main. Je m'en suis promplement défaite de la sorte; Et j'ai, pour vous trouver, rentré par l'autre porte.

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394 LES FACHEUX.

ÉRASTC.

A VOS discours, Orpliise, ajouk-iai-je foi? Et votre coeur est-il tout sincère pour moi?

ORPHISE.

Je VOUS trouve fort bon de tenir ces paroles, Quand je me justifie à vos plaintes frivoles. Je suis bien simple encore,^ et ma sotte bonté...

ÉRASTE.

Ah I ne vous fâchez pas, trop sévère beauté!

Je veux croire en aveugle, étant sous votre empire,

Tout ce que vous aurez la bonté de me dire.

Trompez, si vous voulez, un malheureux amant;

J'aurai pour vous respect jusques au mo'uiment. ..

Maltraitez mon amour, refusez-moi le vôtre,

Exposez à mes yeux le triomphe d'un autre;

Oui, je souffrirai tout de vos divins appas.

J'en mourrai ; mais enfin je ne m'en plaindrai pas.

ORPIIISE.

Quand de tels sentiments régneront dans votre ame, Je saurai de ma part'...

SCÈNE IX. - ALCANDRE, ORPHISE, ÉRASTE, LA MONTAGNE.

ALCANDRE.

(à OrphiK.)

Marquis, un mot. Madame, De grâce, pardonnez si je suis iiidiscrct, En osant, devant vous, lui parler en secret.

(Orphise sort.)

SCÈNE X. - ALCANDRE, ÉRASTE, LA MONTAGNE.

ALCANDRE.

Avec peine, marquis, je te fais la prière ;

Mais un Iionnne vient là de me rompre en ^isière,

Et je souhaite fort, pour ne rien reculer,

•La situai ion d'i'raste est assez semlilabie a celle du bnitocix âe Baiidad da'i es Mille et une Suit$, loi-sqn'aii nnimcnt d'un reniiez- vims avec sa maîtresse, i> « voit reieiiii par le barl'icr baljilbrd ; mais c'esl une renconlre, cl jjû udc imi- atiOD. puisuui; le premier vclume det Contes iiraKei ne fut tijj'jit et publié «i«n 1704. (Âime Martia.)

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ACTE I, SLENE XI. 395

Qa'à i'iieure, de ma part, tu l'ailles appeler. Tu sais qu'en pareil cas ce seroil a\cc joie Que Je le le reiidrois en la nièiue uionnoie.

ERASTE, après avoir élé quelque temps sans parla,

Je ne veux point ici faire le capitan;

Mais on m'a vu soldat avant que courtisan :

J'ai servi quatorze ans, et je crois être en passe

De pouvoir d'un tel pas oie tirer avec grâce,

Et de ne craindre point qu'à quelque làchelé

Le refus de mon bras ne puisse élre impute'.

Un duel met les gens en mauvaise posture ;

tl notre roi n'est pas un monarque en peinture :

11 sait faire obéir les plus grands de l'Etat,

Et je trouve qu'il fait en digne potentat.

Quand il faut le servir, j'ai du cœur pour le faire;

Mais je ne m'en sens point quand il faut lui déplaire.

Je me fais de son ordre une suprême loi :

Pour lui désobéir, cherche un autre que moi.

Je te parle, vicomte, avec franchise entière,

Et suis ton serviteur en toute autre matière.

Adieu.

SCÈNE XI. — ÉRASTE, LA M0NTA6N1.

ÉRASTE.

Cinquante fois au diable les fàcheuxl Où donc s'est retiré cet objet de mes vœux?

LA MONTÂr.NE.

le ne sais.

ÉRASTE.

Pour savoir où la belle est allée, 9a-t'ea chercher partout : i'alteods dans celte allée.

' Ces vers font allusioD à l'usage où étoient les témoins dei duels ou seconde 6» se battre entre eux. Ératte, en blâmant un usage barbare, a soin de rappeler fu'il a élé soldat. C'est un homme d'Iionneur qui a lait ses preuves; et par cela B)ème il a le droit de faire l'éluge indirect de Louis SIV, qui avnii rendu, cumis3 on aait, des édits tiès-sévères sur les duels. Tout en uioutrunl suu respect pour Uit lois, il proteste contre un préjuge qu'on ne parviendra peul-êlre Jalnai^ à derï einer. Cette protestation, la première qui ait élé faite sur le Ibéàlre, P!<1 d'autâut (las remaïqutbie que les duels élaieat •lor» un des grands ressorts de; h scèoo.

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«6 LES FACHEUX.

BALLET DU PREMIER ACTE.

PREMIERE ENTRÉE.

Des joueurs de mail, en criant p-'.re, l'obligent à se retire» j et, comme il 'eut revenir lorsqu'ils ont fait,

• SECONDE ENTRÉE.

Des curieux viennent, qui tournent autour de lui pour le coa- BOître, et font qu'il se retire encore jpoar un moment.

FIN DU PREMIER ACTE.

ACTE SECOiND.

SCÈNE I. — ÉRASTE, «ni.

Mes fàcheus à la fiu se sont-ils écartés?

Je pense qu'il en pleut ici de tous côtés.

Je les fuis, et les trouve; et, pour second martyre,

Je ne saurois trouver celle que je désire.

Le tonnerre et la pluie ont proiiiplement passé,

Et n'ont point de ces lienx le beau monde chassé.

Plût au ciel, dans les dons que ses soins y prodigueiiê..

Qu'ils en eussent chassé tous les gens qui fatiguent!

I.e soleil baisse fort, et je suis étonné

Que mon valel encor ne soil point retourné.

SCÈNE II. - ALCIPPE.ÉRASTE,

ALCIPPE.

Bonjour.

ÉRASTE, à part.

Ile quoil toujours ma flamme divertiei}

  • Bi6értir pour dtloumer : du latm difurUn,

I

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ACTE II, SCENE IL

ALCIPPE.

oiisole-moi, marquis, d'une étrange partie (Ju'au piquet je perdis hier contre un Saint-Bouvaite, A qui je donuerois quinze points et la main. C'est un coup enragé, qui depuis hier m'accable, Et qui feroil donner tous les joueurs au diable; Un coup assurément à se pendre en public. Il ne m'en faut que deux, l'autre a besoin d'un pic : Je donne, il en prend six, et demande à refaire; Moi, me voyant de tout, je n'en voulus rien faire. le porte l'as de trélle (admire mon malheur!), L'a3, le roi, le valet, le huit et dix de cœur, Et quitte, comme au point alloit la politique, Dame et roi de carreau, dix et dame de pique. Sur mes cinq cœurs portes la dame arrive encor. Qui me fait justement une quinte major; Mais mon homme, avec l'as, non sans surprise exlrêiuey Des bas carreaux sur table étale une sixième. J'en avois écarté la dame avec le roi ; àlais lui failant un pic, je sortis hors d'effroi, Et croyois bien du moins faire deux points unique». Avec les sept carreaux il avoit quatre piques, Et, jetant le dernier, m'a mis dans l'embarras De ne savoir lequel garder de mes deux as. J'ai jeté l'as de cœur, avec raison, me semble; Mais il rtvoil quille quatre Irèlles ensemble, Et par un six de cœur je me suis vu capot. Sans pouvoir, de dépit, proférer un seul mot. Morbleu! fais-moi raison de ce coup effroyable I A moins que l'avoir vu, peut-il être croyable?

ÉRASTE.

C'est dans le jeu qu'on voit les plus grands coups du soi t v

ALCIPPE.

Parbleu, tu jugeras toi-même si j'ai tort. Et si c'e&t sans raison que ce coup me transporte; Car voici nos deux jeux, qu'expiés sur moi je porle«  Tiens, c'est ici mou porl comme je te l'ai dit, Et \uici...

ÉRASTE.

J'ai compris le tout par ton récit,

  • Ge vers est devenu od proveibe à l'usage des joueurs.

l.

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3î)8 LES FACHEUX.

Et vois de la justice au transport qui t'agite. Mais pour certaine affaire il faut que je te quitte. Adieu. Cousole-toi pourtant de ton malheur.

ALCIPPE.

Qui, moi? J'aurai toujours ce coup-là sur le cœur; Et c'est pour ma raison pis qu'un coup de tonnerre. Je le veux fair?, moi, voir à toute la terre!

[ Il s'en V.1, el realrc en disant )

Un six de cœur! deux points I

ÉUASTE.

En quel lieu sommes-nous? De quelque part qu'on tourne, ou ne voit que des fous.

SCÈNE III. — ÉRASTE, LA MOiNTAGNE.

ÉlîASTE.

Ahl que tu fais languir ma juste impalicucel

LA MONTAGNE.

Monsieur, je n'ai pu faire une autre diligence.

ÉUASTE.

Mais me rapportes-tu quelque nouvelle enfin?

LA MONTAGNE.

Sans doute; et de l'objet qui fait votre destin

J'ai, par un ordre exprès, quelque chose à vous dira»

ÉRASTE.

Et quoi? déjà mon cœur après ce mot soupire. Parle.

LA MONTAGNE.

Souhaitez-vous de savoir ce que c'est?

ÉRASTE.

Oui, dis vite.

LA MONTAGNE.

Monsieur, attendez, s'il vous plaît. Je me suis, à courir, presque mis hors d'haleine.

ÉRASTE.

Prends-tu quelque plaisir à me tenir en peine?

LA MONTAGNE.

Puisque vous desirez de savoir promptement L'ordre aue j'ai reçu de ce/ objet charmant,

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ACTE If. SCÊiNE 111. 39»

Je vous dirai .. Ma foi, sans vous vanler mon zèle, J'ai biou fait du chemin pour trouver celle belle; Et si...

ÉRASTE.

Pesle soit fait de tes digressions!

LA MONTAGNE.

Ah il faut modérer un peu ses passions; Et Séuèque...

ÉRASTE. Sénèque est un soL dans la bouche, Puisqu'il ne nie dit rien de tout ce qui me touche. Dis-moi ton ordre, tôt.

LA MONTAGNE.

Pour contenter vos vœux, \otre Orphise... Une bête est là dans vos cheveux.

ÉRASTE.

Laisse.

LA MONTAGNE.

Celle beauté, de sa part, vous fait dire.»

ÉRASTE.

Quoi?

LA MONTAGNE.

Devinez.

ÉRASTE.

Sais-tu que je ne veux pas rire?

LA MONTAGNE.

Son ordre est qu'en ce lieu vous devez vous tenir. Assuré que dans peu vous l'y verrez venir, Lorsqu'elle aura quitté quelques provinciales, Aux personnes de cour fâcheuses animales.

ÉRASTE.

Tenons-nous donc au lieu qu'elle a voulu choisir. Mais puisque l'ordre ici m'offre quelque loisir, Laisse-moi méditer.

(La Montagne «ort.) '

J'ai dessein de lui faire Quelques vers sur un iir où je la vois se plaire*.

(Il se promène ea rêvant.)

' Celte icène est la première esquisse de la scène iv de l'acte IV <)u Misantkropt, entre Alcesle et Duboili

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400 LES FACHEUX.

SCÈNE IV. — ORANTE, CLIMÈNE ; ÉRASTE, d^i « «»i« *

théâtre sans tire aperçu.

ouantl;. Tout le monde sera de mon opinion.

CLIMINE.

Croyez-\"Ous l'emporter par obslinationî

ORANÏE.

Je pense mes raisons meilleures que les vôtret.

CLIMÈNE.

Je voudrois qu'on ouït les unes et les autres.

ORANTE, ape.cevanl Éraste.

J'avise un homme ici qui n'est pas ignorant;

11 pourra nous juger sur notre différend.

Marquis, de grâce, un mot. Souffrez qu'on vous appelle

Pour élre entre nous deux juge d'une querelle,

D'un débat qu'ont ému nos divers sentiments

Sur ce qui peut marquer les plus parfaits amants.

ÉRASTE.

C'est une question à vider difficile,

Et vous devez chercher un juge plus habile.

ORANTE.

Non : vous nous dites là d'inutiles chansons.

Votre esprit fait du bruit, et nous vous connoissons;

Nous savons que chacun vous donne à juste litre...

Éa&STE.

llél de grâce...

CRANTE.

En un mot, vous serez notre arbitre, Et ce sont deux moments qu'il vous faut nous douuer<

CLIMÈNE, à Crante.

Vous retenea ici qui vous doit condamner; Car enGn s'il est vrai ce que j'en ose croire. Monsieur à mes raisons donnera la victoire.

ÉRASTE, à part.

Que ne puis-je à mon traître inspirer le souci D'inventer quelque chose à me tirer d'ici 1

ORANTE, à Climène.

Pour moi, de son esprit j'ai trop bon témoignagt Pour craindre qu'il prononce à mon désavantage.

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ACTE II, SCÈNE IV. 40<

(i l%iasie.) Enfin, ce grand déhal qui s'allume entre nous Ksi de savoir s'il faut qu'un amant soit jaloux.

CLIMÈNE.

Ou, pour mioux expliquer ma pensée et la vôtre. Lequel doit plaire plus d'un jaloux ou d'un autre.

CRANTE.

Pour moi, sans contredit, je suis pour le dernier.

CLIMÈNE.

El, dans mon sentiment, je liens pour le premier.

ORANTE.

Je crois que notre cœur doil donner son suffrage A qui fait éclater du respect davantage.

CLIMINE.

El moi, que si nos vœux doivent paroîlie au jour, C'est pour celui qui fait éclater plus d'amour.

OUANTE.

Oui; mais on voit l'ardeur dont une ame est saisie, Bien mieux dans les respects que dans la jalousie.

CLIMÙNE.

Et c'est mon sentiment que qui s'altaclie à nous Nous aime d'autant plus qu'il se montre jaloux.

CHANTE.

Fi! ne me parlez point, piur être amants, Climène, De ces gens dont l'amour est fait comme la haine, El qui, pour tous roï=pects et toute offre de vœux, Ne s'appliquent jamais qu'à se reudre fâcheux; Donl l'ame, que sans cesse un noir transport anime, Des moindres actions cherche à nous faire un crime, En soumet l'innocence à son aveuglement. Et veut sur un coup d'œil un éclaircissement; Qui, de quelque chagrin nous voyant l'apparence. Se plaignent aussitôt qu'il naît de leur présence; Et, lorsque dans nos yeux brille un peu d'enjouement, Veulent que leurs rivaux en soient le fondement; Enfin qui, prenant droit des fureurs de leur zèle, Ne nous parlent jamais que pour faire querelle, Osenl défendre à tous l'approche de nos cœurs. Et se fonl les tyrans de leurs propres vainqueurs. Moi, je veux des amants que le respect in pire, El leur soumission marque mieux notre empire.

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402 LES FACHEUX.

CLIMÈNE.

Fi ! ne me parlez point, pour êtie vrais amants,

Do ces gens qui pour nous n'ont nuls emportements,

De ces tièdes galants, de qui les cœurs paisibles

Tiennent déjà pour eux les choses infaillibles,

N'ont point peur de nous perdre, et laissent, chaque jour,

Sur trop de contiance endormir leur amour;

Sont avec leurs rivaux en bonne intelligence,

Et laissent un champ libre à leur persévérance.

Un amour si tranquille excite mon courroux :

C'est aimer froidement que n'être point jaloux;

Et je veux qu'un amant, pour me-prouver sa flamnne,

Sur d'éternels soupçons laisse flotter son ame.

Et, par de prompts transports, donne un signe éclatant

De l'estime qu'il fait de celle qu'il prétend.

On s'applaudit alors de son inquiétude;

Et, s'il nous fait parfois un traitement trop rude,

Le plaisir de le voir, soumis à nos genoux,

S'excuser de l'éclat qu'il a fait contre nous, _

Ses pleurs, son désespoir d'avoir pu nous déplaire,

Est un charme à calmer toute notre colère.

ORANTE.

Si, pour vous plaire, il faut beaucoup d'emportement, Je sais qui vous pourroit donner contentement; Et je connois des gens dans Paris plus de quatre, Qui, comme ils le font voir, aiment jusques à ballre.

CLIMÈNE.

Si, pour vcn» plaire, il faut n'être jamais j.ilnux, Je sais certaines gens fort commodes pour vous; Des hommes en amour d'une humeur si soufiVanle, Qu'ils vous verroient sans peine entre les bias de trente

ORANTE.

Enfin, par votre arrêt, vcus devez déclarer Celui de qui l'amour vous semble à préférer.

jOrphise paroil dans le fond du théâtre, et voit Éraste entre Oraute ÉRASTE.

Puisqu'à moins d'un arrêt je ne m'en puis défaire, Toolcs deux à la fois je vous veux salisfaire; Et. pour ne point blâmer ce qui plaît à vos yeux. Le ialo?ix aime plus, et l'autre aime bien mieus..

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ACTE II, SCENE VII. 403

CLIMÈNE.

L'arrêt est plein d'esprit; mais...

ÉBASTE.

Sufnt. J'en suis quitte. Après ce que j'ai dit, souffrez que je vous quitte,

SCÈNE V. — ORPHISE, ÉRASTE.

ÉRASTE, apercevant Oipînse, et allant au-devant d'elle.

Que VOUS tardez, madame, et que j'épouve bien... I

ouniisE. Non, non, ne quittez pas uu si doux entretien. A tort vous m'accusez d'ètie trop lard venue,

(Monlrant Oi-ante et Climéne qui viennent de sortit.)

Et vous avez de quoi vous passer de ma vue.

ÉUASTE.

Sans sujet coittre mol voulez-vous vous aigrir, Et me reprochez- vous ce qu'on me fait soufàir? Âhl de grâce, attendez...

ORPIIISE.

Laissez-moi, je vous prie, Et courei vous rejoindre à votre compagnie.

SCÈNE VL - ÉRASTE, seul.

Cicll faut-il qu'aujourd'hui fâcheuses et fâcheux Conspirent à trouhlor les phis chers de mes vœux! Mais allons sur ses pas, malgré sa résistance, Et faisons à ses yeux briller i^^tre innocence.

SCÈNE Vil». — DORANTE, ÉRASTE.

DORANTE.

Ahl marquis, que l'on voit de fâcheux tous les jours Venir de nos plaisirs interrompre le cours! Tu me vois enragé d'une assez belle chasse Qu'un fat... C'est un récit qu'il faut que je te fasse.

ÉRASTE.

Je cherche ici quelqu'un, et ne puis ra'arrèter.

' En sortant de la première ri|ircsenlat!cn des Fârhcux, Louis XIV dit « H.. lière, en lui-moiilianl M. de Snyl-vonrl ; Voilà un grand orirjinal que vi'uf n'ucti pts encore copié. Molière lilanssiu'l la scène suhan'c, qui f"! jouée six jocrs apr.'i à Foatainrbleau. (Uén.igc,)

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404 LES FACHEUX.

DORANTE, le retenant.

Parbleu ! jhemin faisant, je te le veux conter.

Nous étions une troupe assez bien assortie,

Qui pour courir un cerf avions hier fait partie;

Et nous fûmes coucher sur le pays exprés,

C'est-à-dire, mon cher, en fin fond de forêts.

Comme cet exercice est mon plaisir suprême,

Je voulus, pour bien faire, aller au bois moi-même,

Et nous conclûmes tous d'attacher nos efforts

Sur un cerf qu'un chacun nous disoit cerf dix-cors ' ;

Mais moi, mon jugement, sans qu'aux marques j'arrête,

Fut qu'il n'étoit que cerf à sa seconde tète.

Nous avions, comme il faut, séparé nos relais,

Et déjeunions en hâte avec quelques œufs frais,

Lorsqu'un franc campagnard, avec longue rapière,

Montant superbement sa jumcnl poulinière,

Qu'il honoroit du nom de sa bonne jument,

S'en est venu nous faire un mauvais compliment,

Nous présentant aussi, pour surcroît de colère,

Un grand benêt de tîîs aussi sot que son père;

Il s'est dit grand chasseur, et nous a priés tous

Qu'il pûi avoir le bien de courir avec nous.

Dieu préserve, en chassant, toule sage personne

D'un porteur de huchet' qui mal à propos sonne;

De ces gens qui, suivis de dix hourets^ galeux,

Disent ma meute, et font les chasseurs merveilleux !

Sa demande reçue, et ses vertus prisées,

fions avons été tous frapper à nos brisées *.

K trois longueurs de (rail^, tayaul! voilà d'abord

Le oerf donné aux chiens^. J'apjjuie, et sonne fort.

Uon cerf dëbucl;e', et passe une assez longue plaine.

' Un «r^rfii-cor* est un cerfdesepl ans. (Dict. des chasses.)

' Uuchet, petit cor-qui sert aux chasseurs pour rap^icler les cliiens. [Idem.] ' Houret, mauvais cliien de chasse. [Idem.)

' BriféSf endroit ou le cerf est entré, et dont on a rompu des branches pou» cconnoilre la voie. Frapper aux brisée», c'est luire repartir la bète lu lieu oi

elle s'est arrêtée. {Idem.)

» On nomme traie la losse (],.■ .^erl à conduire les chiens à la clicsse. [Idem.) • Le cerf donné aux c^'iens. c'est-à-dire les chiens mis sur la voi.?. Phrase faite,

el que Molière n'a pas cru devoir changer poi\r éviter l'hiatus. ' Defcuc'ier, sortir du li»is. [Idtm.)

i

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ACTE II, SCÈNE VII. 403

El mes chiens après lui; mais si bien en haleine, Qu'on les auroit couverts tous d'un seul jnslaucorp». 11 vient à la forêt. Nous lui donnons alors La vieille meute; et moi je prends en diligence Mon cheval alezan. ïu l'as vu?

ÉRASTE.

Non, je pense.

DORANTE.

Comment 1 c'est un cheval aussi bon qu'il est beau,

El que ces jours passes j'achetai de Caveau *.

Je le laisse à penser si, sur celte matière,

Il voudroil me tromper, lui qui me considère :

Aussi je m'en contente; et jamais en effet

!i n'a vendu cheval, ni meilleur, ni mieux fait.

Une léle de barbe, avec l'étoile nelle;

L'encolure d'un cygne, effilée et bien droite;

Point d'épaules non plus qu'un lièvre, court-joinlé,

Et qui fait dans son port voir sa vivacité;

Des pieds, morbleu ! des pieds 1 le rein double : à vrai dire,

J'ai trouvé le moyen, moi seul, de le réduire;

Et sur lui, quoique aux yeux il montrât beau semMant,

Pelit-Jcan de Caveau ne monloit qu'en Ireiiililanl.

Une croupe en largeur à nulle autre pareille,

El des gigots. Dieu sait! Bref, c'est une merveille;

El j'en ai refusé cent pisloles, crois-moi,

Au retour'^ d'un cheval amené pour le roi.

Je monte donc dessus, et ma joie éloit pleine

De voir filer de loin les coupeurs 3 dans la plaine;

Je pousse, et je me trouve en un fort à l'écart,

A la queue de nos chiens, moi seul avec Drécar*.

Une heure là-dedans noire cerf se fait battre

J'appuie alors mes chiens, et fais le diable à quatre;

Enfin, jamais chasseur ne se vit plus joyeux.

Je le relance seul; et tout alloil des mieux.

Lorsque d'un jeune cerf s'accompagne le nôtre;

Une part de mes chiens se sépare de l'autre;

' Marchand de clievaux, célèbre a la cour. [ffotc de iVcliir» \

' Pour : en retour.

' Un iliicn coupe quand il quille la voie de la bùle, et prend les devants p3«tf ivoir l'avaiilage sur elle. [Oict. des chasses.].

' Piq\ieur renonuM. {Not* de Molièrt.]

23.

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406 LES FACHEUX.

Et je les vols, marquis, comme tu peux pensef^

Chasser lous avec crainte, et Finaut balancer :

Il se rabat soudain, dont j'eus l'ame ravie;

!1 enipaume la voie; et moi je sonne et crie :

A Finaut 1 à Finaut! J'en revois» à nlaisir

Sur une taupinière, et raisonne à loisir.

Quelques chiens revenoienl à moi, quand, pour disgrâce,

Le jeune cerf, marquis, à mon campagnard passe.

Mon étourdi se met à sonner comme il faut,

Et crie à pleine voix : Tayaut! tayaut! (ayant!

Mes cbicns me quittent tous, et vont à ma pécore;

J'y pousse, et j'en revois dans le chemin encore :

Mais à terre, mon cher, je n'eus pas jeté l'œil.

Que je connus le change et sentis un grand deuil,

J'ai beau lui faire voir toutes les différences

Des pinces de mon cerf et de ses counoissances,

11 me soutient toujours, en chasseur ignorant,

Que c'est le cerf de meute; et, par ce différend,

11 donne temps aux chiens d'aller loin. J'en enrage;

Et, pestant de bon coeur contre le personnage,

Je pousse mon fheval et par haut et par bas,

Qui plioit des gaulis^ aussi gros que les bras :

Je ramène les chiens à ma première voie.

Qui vont, en me donnant une excessive joie,

Requérir notre cerf, comme s'ils l'eussent vu.

Ils le relancent; mais ce coup est- il présu?

A le dire le vrai, cher marquis, il m'assomme;

Notre cerf reianré va passer à notre homme,

Qui, croyant faire un trait de chasseur fort vauté,

D'un pistolet d'arçon qu'il avoit appoi !é,

Lui donne justement au milieu de la léle.

Et de fort loin me crie : Ah! j'ai mis bas la bcte»

A-t-on jamais parlé de pistolets, bon Dieu!

Pour courre un cerf? l'our moi, venant dessus le Ilea,

J'ai trouvé l'action tellement hors d'usage.

Que j'ai donné des deux à mon cheval, de rage,

El m'en suis ic\enu chez moi toujours couiant,

Sans vouloir dire un mot à ce sot ignorant.

' Revoir, retroLVcr la liace tic la liêle. [Dut. des chasses.)

'iravlis, branchpi qui embarrassent le chasseur lorsqu'il nénrire dsus tes talllil.

[Idem.)

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ACTE I!. — BALLET.

ÉRASTE.

Tn ne pouvois mieux faire, el ta prudence est rare: C'est ainsi des fâcheux qu'il faut qu'on so sépare. Adieu.

DORANTE.

Quand tu voudras, nous irons quelque part, Où nous ne ciaindrons point de chasseur campagnard.

ERASTH, seul.

Fort bien. Je crois qu'enfin je perdrai patience, Cherchons à m'excuser avecque diligence.

BALLET DU SECOND ACTE.

PREMIERE ENTREE.

Des jouetirs de boule l'cirrètont pour mesurer un coup dout ils sont en dispute. Il se (léfuil d'eux avec peine, et leur laisse danser un pas, composé de toutes les postures qui sont ordi- naires à ce jeu.

SECONDE ENTRÉE.

De petits frondeurs le viennent interrompre, qui sont chasses ensuite

TROISIÈME ENTRÉE.

Par des savetiers et des savetières, leurs pères, et autres, qui «ont aussi chassés à leur tour

QUATRIÈME ENTRÉE.

Par un jardinier qui danse seul, et se retire pour faire flMt au troisième acte

FIN II' SECOND ACTE

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408 LES FACHEUX.

ACTE TROISIÈME.

SCÈNE I. — ÉRASTE, LA MONTAGNR.

ÉRASTE.

fl est vrai, d'un côté mes soins ont réussi,

Cet adorable objet enfin s'est adouci;

Hais d'un autre on m'accable, et les astres sévèret

Ont contre mon amour redoublé'Ieurs colères'.

Oui, Damis son tuteur, mon plus rude fâcheux.

Tout de nouveau s'oppose au plus doux de mes vœux,

A son aimable nièce a défendu ma vue,

Et veut d'un autre époux la voir demam pourvue.

Orphisc toutefois, malgré son désaveu,

Daigne accorder ce soir une grâce à mon feu;

El j'ai fait consentir l'esprit de celle belle

A souffrir qu'en secret je la visse chez elle.

L'amour aime surtout les secrètes faveurs :

Dans l'obstacle qu'on force il trouve des douceurg;

Et le moindre entretien de la beauté qu'on aime,

Lorsqu'il est défendu, devient grâce suprême.

Je vais au rendez-vous; c'en est l'heure à peu prés:

Puis, ie veux m'y trouver plutôt avant qu'après.

liA MONTAGNE.

Suivrai-je vos pas'C

ÉRASTE.

Non. Je craindrois que peut-être  quelques yeux suspects tu me fisses connoitre.

LA MONTAGNE.

Mais...

ÉRASTE. .

Je ne le veux pas.

LA MONTAGNE.

Je dois suivre vos lois : Mais au moins, si de ioin...

' Volières dit mes témérités, dans le Tartufe; et Boiieau, cm rages, dans Vede lur la prise de yuiur

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ACTE III, SCEiNE II. 409

ÉRASTE-

Te (airas-(ii, vingt fois? Et ne veux-lii jamais quitter cette mi-tlioJe, De te rendre à toute heure un valet incommode?

SCÈNE II. — CARITIDÈS, ÉRASTE».

CARiTmns. Monsieur, le temps répugne à l'honneur de vous voir; Le malin est plus propre à rendre un tel devoir : Mais do vous rencontrer il n'est pas bien facile, Car vous donnez toujours, ou vous êtes en ville : Au moins messieurs vos gens ine Tassuient ainsi; Et j'ai, pour vous trouver, piis l'heure que \oici. Encore est-ce un [;rahd heur dont le destin m'honore; Car, deux moments plus lard, je vous maiiquois encore.

ÉRASTE.

Monsieur, souhaitez-vous quelque chose de moi?

CARITm! s.

Je m'acquitte, monsieur, de ce que je vous doi ; El vous viens... Excusez l'audace qui m'inspire, Si...

Eraste. Sans tant de façons, qu'a\ez-vous à me dire? CAniTinrs. Comme le rang, l'esprit, la générosité, Que diacun vante en vous...

ÉRASTE.

Oui, je suis fort vanté. Passons, monsieur.

CARITIcis.

Monsieur, c'esl une peine extrême lorsqu'il faut à quelqu'un se produire soi-même; Et toujours près des grands on doit être introduit

' Le peu de Umps qu'avoit en Uolière pour satisfaire le sunnlcndanl l'engagei à cfcercher des secour» auprès d'un de ses amis. On sut qu'il avoit chargé Chapelle de la scpne de Carltidès, et bientôt ce fut à ce rimeur voluptueux et facile qu'on atlritua le succès de notre auteur. Chapelle se défendit mal; et Mo- lière, blessé de ne pas le voir s'opposer vivement au bruit qui se repandoil de II tommunautc de leurs travaux, le menaça de faire imprimer Tessai informe don( il avoit été iiiipnssible de tirer parti. [Bret ] — Le canevas de Chapelle n'est point (rivé jusqu'à nous.

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410 LES FACHEUX.

Par (les {;ons qTii de nous fassent un peu de bruit^

Dont la hmiclie écoulée, avccquc poids dchile

Ce qui |H ut laiie voir noire pclit niéiile.

Pour moi, j'aurois voulu que des gens bien instruits

Vous eussent pu, monsieur, dire ce que je suis.

ÉRASTE.

Je vois assez, monsieur, ce que vous pouvez être, Et votre seul abord le peut faire eounoître.

CARiTiors. Oui, je su s un savant cbaiiné de \os vertus; Non pas de ces savants dont le nom n'est qu'en tu. Il n'est rifu si commun qu'ini nom à la latine: Ceux qu'on iial)il!e en grec ont bien meilleure mine, Et, poui' en a^oir un qui se termine eu es. Je me fais appeler monsieur Caritidès'.

ÉUASTE.

Monsieur Caritidès soil. Quaxez-vous à dire?

CARITinÈS.

C'est un placet, monsieur, que je voudrois vous lire, Et que, dans la posture où \<viis met \otre emploi, J'ose NOUS conjurer de présentr-r au loi.

ÉRASTE.

Hé! monsieur, vous pou\ez le présenter vous-n)ême.

CARITini s.

Il est VI ai (]iie le roi fait celie grâce extrême;

Mais, par ce même excès de ses lares bonli-s,

Tant di' mccliants piacets, morisicur, sont présentés.

Qu'ils etoiilleiit les bons; et l'espoii- où je fonde

l.st qu'on donne le mien tpiand le pi ince est sans monde.

r.iiAsri;. Hé bien! \oiis le pouvez, el pifiidre xolrc t'Uips.

CAIUTIOF.S.

Ah! monsieur, les !iuis-ieis sont de len ihh's gens! Ils Irailiiil les savants de faquins à nasardis, Et je II eii puis venir qu'à la salle des gardes. Les matixais Irailemenls qu'il me faut indiuer Pour jaiii IIS de la cour me liioicul retner, Si je n'avois conçu respi'r.iiic<' ci'ilaine

' Carilflès i-si liirinc de /àsii- grâce, eldelu lerimiiaisnn p<iiiiriivnii(jHe rdif Il iigDili.- eii/ant «Il fiU des Giacet. (Auger.J

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ACTE ni, SCENE II. 414

Qu auprès de notre roi votis serez mon Mécène. Oui, voUe crédil m'est un ujoyen assuré...

ÉRASTE.

Hé bien ! donnoz-moi donc, je le présenterai.

CARlTinÈS.

Le voici. Mais au moins oyez-en la lecture.

TRASTE.

Non.

CARITIDES.

C'est pour être insliuil, monsieur, je vous conjure.

M PLACE! AU ROL

» Sire,

» Votre très Immlile, très obéissant, très fidèle, et très savant

n sujet et serviteur, C-iritiilès, Fr;ini;(iis de n.itinii, Gvcv de pro-

» fession , ayant consitléré los gfrauds cl n<)l;iti!i s ,il):is (|!ii se

» coinmeltent a',i\ inscriptions des enseijrnos dos ni.ùsoiis, boii-

» tiques, ciil):uvls, jeux de bo:;I(', et autres lieux ilc votre bonne

» ville de Paris ; en ce que certains iirnorants, compositeurs dos-

» dites iiiscriplitins, riuivcrsent par une barbare, pernicieuse et

» détestable oillio;.M-aplie, toute sorte de sens et de raison, sans

» aucun é^ard d'étynuilosrie, analogie, éiiiT<rie, ni allégorie qtiel-

» conque, au g-iand si.nidale de la république des leltres; et de

» la nation françoiso, qui se décrie et dcslumore, par lesdits

» abus cl fautes g^rossières, envers les élrangfers, et notamment

» envers les Allemands, curieux lecteurs et iuspectateurs des-

» dites inscriptions '... »

ÉRASTE.

Ce placet est fort long, et pourroit bien fâcher.,.

CAî'.mnr.s. Ah! monsieur, pas un mol ne s'en peut relianeher.

(Il coiitiiiiiï.\ ■

« Supplie humblement Votre Majesté de créer, pour le » bien de son Etat et la scloire de son empire, une cliarj^e de » contrôleur, inlendani, correcteur, réviseur et restaurateur sé- » néral desdites inscriptions; et d'icelle liouorcr le suppliant, » tant ea considéraUon de son rare et éuiinenl savoir, que dei

' Ceci est mio allusion an caradere tics AiicinaïuU, un: nul ioin..iir< eii la ré- putation 'l'i'lrc ^rancis liinei.rs, ol par ciiiisi-ijn m cmiciix ntypiclatcU' s des en- itignes et inscrtpito 'S de cabarets. Oni"l(|iu-s '"liliniis |i(iilciil spectateurs de», dites iiiscripUoiis, mais à loil; on lit tnspcctateurs dans crilo c|iii ont cle pa- lliées du vivant de l'autP"- (AiinirMariin.]

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412 LES FACIIEUl.

» grands et signalés services qu'il a rendus à TElal et à Votiœ B Majesté, en faisant l'anagramme de Votbedite Majesté B en françois, latin, grec, hébreu, syriaque, chaldéen, arabe- .

ÉRASTE, liniecrompant.

Fort bien. Donncz-Ie vite, cl faites la retraite : 11 sera vu du roi; c'est une affaire faite.

CAniTIDÈS.

Hélas î monsieur, c'est tout que montrer mon placet

Si le roi le peut voir, je suis sûr de mon fait ;

Car, comme sa justice en toute chose esl grande,

Il ne pourra jamais refuser ma demande.

Au reste, pour porter au ciel voire renom,

Donnez-moi par écrit votre nom et surnom :

J'en veux faire un pnëme en forme d'acrostiche

Dans les deux bouls du vers, et dans chaque hcmisliche.

ÉRASTE.

Oui, vous l'aurez demain, monsieur Caritidès.

(WUl.)

Ma foi, de tels savants sont des ânes bien faits. J'aurois, dans d'autres temps, bien ri de sa sottise.

SCÈNE III. — ORMIN, ÉRASTE.

ORMIN.

fîien qu'une grande affaire en ces lieux me conduise, .]"ai voulu qu'il sortît avant que vous parler.

ÉRASTE.

F'ort bien. Mais dépêchons ; car je veux m'en aller.

ORMIN.

Je me doute à peu près que l'homme qui vous quitte Vous a fort ennuyé, monsieur, par sa visite. C'est un vieux importun qui n'a pas l'esprit sain. Et pour qui j'ai toujours quelque défaite en m^in. Au Mail*, à Luxembourg^, et dans les Tuileries, Il faligue le monde avec ses rêveries; Et des gens comme vous doivent fuir l'entretien De lous ces savanlas3 qui ne sont bons à rien.

'Le Mail étoit l'Arsenal.

'La promenade du Luxomlionrg e'ioil alors le rendei-vous de 1 élile de la bnnnp compagnie. On lii, dans un rnman imprimé m 1648, le Pohjandrt, qn«  les linmmes n'osoi'nl passer da»s la granit allée, si leurs têtes ne sortoitit é* ta main ^u frittur, el s'ils n'avnient un habit neuf du même jour-

' Savantas esl une injure gasconne, d'après Fuielière.

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ACTE III, SCÈNE III. 413

Pour moi, je ne crains pas que je vous importune, Puisque je viens, monsieur, faire votre fortune.

t RASTE, bas, a part.

Voici quelque soufllcur, de ces gens qui n'ont rien, Et vous viennent toujours promettre tant do bien.

(haut.)

Vous avez fait, monsieur, cette bénite pierre Qui peut seule enrichir tous les rois de la terre?

ORMIN.

La plaisante pensée, hélas! où vous voilà!

Dieu me carde, monsieur, d'être de ces fous-là!

Je ne me repais poinl de visions frivoles,

Et je vous porte ici les solides paroles

D'un avis que par vous je veux donner au roi,

El que tout caclielé je conserve sur moi :

Non de ces sots piojets, de ces chimères vaines.

Dont les surintendants ont les oreilles pleines;

Non de ces gueux d'avis, dont les prétentions

Ne parlent que de vingt ou trente millions;

Mais un qui, tous les ans, à si peu qu'on le monte,

En peut donner au roi quatre cents de bon compte,

Avec facilité, sans risque ni soupçon.

Et sans fouler le peuple en aucune façon ;

Enfin, c'est un avis d'un gain inconcevable,

Et que du premier mot on trouvera faisable.

Oui, pourvu que par vous je puisse être poussé...

ÉRASTE.

Soit; nous en parlerons. Je suis un peu pressé.

OUMIN.

Si vous me promettiez de garder le silence, J^ vous découvrirois cet avis d'importanc*.

ÉRASTE.

Non, non, je ne veux point savoir votre secret.

ORMlN.

Monsieur, pour le trahir, je vous crois trop discret,

Et veux, avec franchise, en deux mots vous l'iiiiprendre»

11 faut voir si quelqu'un ne peut point non? on tendre.

(Après avoir regardé si personne ne l'écoulé, il s'approclie <!•■ l'oreille d'BrMt».

Cet avis merveilleux, dont je suis l'inventeur, Est que ..

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414 LES FACHEUX.

ÉRASTE.

D'un peu plus loin, et pour cause, nionsieuv,

ORMIN.

Vous viVPZ le grand gain, sans qu'il faille le dire, Que de SCS poi Is de mer le roi tous les ans tire; Or, !"avis dont encor nul ne s'est avisé Est qn"i! f;iul de la France (et c'est un coup aisé) En fameux ports de mer mettre toutes les côtes. Ce seioit pour monter à des sommes très hautes; Et si...

ÉRASTE.

L'avis est bon, et plaira fort au roi. Adieu. Nous nous verrons.

ORMIN.

Au moins, appuyez-moi Pour en avoir ouvert les premières paroles

ÉRASTE.

Oui, oui.

ORMIN.

Si vous vouliez me prêter deux pistoles, Que voiis reprendtiez sur le droit de l'avis, Monsieur...

ÉRASTE. (Il dnnne de l'argent à Ormin.) (seul.)

Oui, volontiers. Plût à Dieu qu'à ce pri» De tous les importuns je pusse me voir qnitle! Voyez quel conlie-temps prend ici leur visite! Je pens(> qu'à la fin je pourrai bien sortir. Viendra-t-ii point quelqu'un encor me divertir?

SCÈNE IV. — FILINTE, ÉI^4.STE.

FILINTE.

Marquis, je viens d'apprendre une étrange nouvelle

ÉRASTE.

Quoi?

FILINTE.

Qu'un homme tantôt l'a fait une quereit

ÉRASTE.

A moi?

FIMNTE.

Que te sert-il de le dissimuler?

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ACTE III, SCENE IV.

Je sais de bonne part qu'on t'a fait appeler; Et, comme ton ami, quoi qu'il eu réussisse. Je te viens contre tous faire offre de service.

ÉRASTE.

Je le suis obligé; mais crois que tu me fais...

FILINTE.

Tu ne l'avoueras pas, mais tu sors sans valets. Demeure dans la ville ou gagne la campagne, Tu n'iras nulle pajt que je ne t'acconipague.

ÉRASTE, à paît.

Ah ! j'enrage!

FIMNTE.

A quoi bon do le cacher de moi?

tUASTE.

Je te jure, marquis^ qu'on s'est moqué de toi.

riLINTE.

En vain tu l'en défends.

ÉRASTK.

Que le ciel me foudroie. Si d'aucun démêlé...

FILINTE.

Tu penses qu'on te croie?

ÉRASTE.

Hé, mon Dieu! je le dis et ne déguise point Que...

^ FII.INTE.

Ne me crois pas dupe et crédule à ce pciQt

ÉIÎASTE.

Veux-tu m'obliger?

FILINTE.

Non.

tUASTF..

Laisse-moi, je te prie.

FILINTE.

Point d'affaire, marquis.

ÉRASTS.

Une gnlanlcrie En certain lieu ce soir...

TII.INTE.

Je ne le quitte pas. Ei« quel lieu que ce soit, je veux, suivre tes pas

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'î'^i t.ES FACHEUX.

ÉRASTE.

Parbleu I puisque tu veux que j'aie une querelle, Je consens à l'avoir pour contenter ton zèle; Ce sera contre loi, qui me fais enrager. Et dont je ne me puis par douceur dégager.

FILINTE.

C'est fort mal d'un ami recevoir le service; Mais puisque je vous rends un si mauvais office, Adieu. Videz sans moi tout ce que vous aurez.

ÉRASTE.

Vous serez mon ami quand vous me quitterez,

(seul.) Mais voyez quels malheurs suivent ma destinée! Ils m'auront fait passer l'heure qu'on m'a donnée.

SCÈNE V. — DAMIS, L'ÉPINE, ERASTE, LA RIVIÈRE

ET SES COMPAGNONS. DAMIS, à part.

Quoil malgré moi le traître espère l'obtenir! Ah ! mon juste courroux le saura prévenir.

ÉRASTE, à part.

J'entrevois là quelqu'un sur la porte d'Orphise.

Quoi 1 toujours quelque obstacle aux feux qu'elle autorise!

DAMlS , a lÉpsoe.

Oui, j'ai su que ma nièce, en dépit de mes soins, Doit voir ce soir chez elle Éraste sans témoins.

LA RIVitRE, à se» compDgnons.

Qu'entends-je à ces gens-là dire de notre maître? Approchons doucement, sans nous faire connoître.

DAMIS, à l'Épine.

Mais, avant qu'il ait lieu d'achever son dessein. Il faut de mille coups percer son traître sein. Va-l'en faire venir ceux que je viens de dire, Pour les mettre en embûche' aux lieux que je désire, Afin qu'au nom d'Éraste on soit prêt à venger Mon honneur que ses feux ont l'orgueil d'outrager, A rompre un rendez-vous qui dans ce lieu l'appelle, El noyer dans son sang sa ilamme criminelle.

' Embûche, pour embuscade. On prononce aujonrd'iiui embûche el embusquer} Nicol ne donne que embuscher. La racine est bois, < car, dit Nicot, les embus- tbea et telles surprioses se font comniuo<>inent dedans le bois. > (F. Gcuin.)

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ACTE III, SCÈNE VI. 447

£A RIVIÈRE, attaquant Damisavec ses compagnons.

Avant qu'à tes fureurs on puisse l'immoler, Traître! tu trouveras en nous à qui parier.

ÉRASTE.

Bien qu'il m'ait voulu perdre, un point d'honneur me presse De secourir ici l'oncle de ma maîtresse.

(i Damis.)

Je suis à vous, monsieur.

(D metrépée à la main contre la Rivière et ses compagnons qu'il met en fuite.j DAMIS.

ciel I par quel secours, D'un trépas assuré vois-je sauver mes jours? A qui suis-je obligé d'un si rare service?

ERASTE, revenant.

Je n'ai fait, vous servant, qu'un acte de justice.

DAMIS.

Ciell puis-je à mon oreille ajouter quelque foi? Est-ce la maio d'Éraste?...

IRASTE.

Oui, oui, monsieur, c'est moi. Trop Leureux que ma main vous ait tiré de peine, Trop malheureux d'avoir mérité votre haine!

DAMIS.

Quoi! celui dont j'avois résolu le trépas

Est celui qui pour moi vient d'employer son bras?

Ahl c'en est trop, mon cœur est contraint de se rendre;

Et, quoi que votre amour ce soir ail pu prétendre,

Ce trait si surprenant de générosité

Doit étouffer en moi toute animosilé.

Je rougis de ma faute, et blâme mou caprice.

Ma haine trop longtemps vous a fait injustice;

Et, pour la condamner par un éclat fameux.

Je vous joins dès ce soir à l'objet de vos vœux.

SCÈNE VI. — ORPHISE, DAMIS, ÉRASTE.

ORPHISE, sortaut de chez elle avec un flambeau.

Monsieur, quelle aventure a d'un trouble effroyable.. .T

DAMIS.

Ma nièce, elle na rien que de très agréable, Puisqu'après tant de vœux que j'ai blâmés en voui,

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418 LES FACHEUX.

C'esl elle qui vous donne Éiaste pour épaux.

Son bras a repoussé le trépas que j'évile,

El je veux envers lui que votre main m'acquitte.

OIîPHISE.

Si c'est pour lui payer ce que vous lui devez, J'y consens, devaut tout aux jours qu'il a sauvés.

ÉRASTE.

Mon cœur est si surpris d'une telle merveille, Qu'en ce ravissemeut je doute si je veille.

DAMIS.

Célébrons l'heureux sort dont vous allez jouir. Et que nos violons viennent nous, réjouirl

(Ou frappe à la porte de Damia.} ÉRASTE.

Qui frappe là si fort?

SCÈNE VII. — DAMIS, ORPHISE, ÉRASTE, L'ÉPINE.

l'épine. Monsieur, ce sont des masques, Qui portent des crincrins* et des tambours de basques.

^ [Les masques enlreDt, qui occupeut toute la place.|

ÉRASTE.

Quoi! toujours des fâcheux! Holà! Suisses, ici; Qu ou me fasse sortir ces gredias que voici.

BALLET DU TROISIEME ACTE.

PREMIÈRE ENTRÉE.

Des Suisses, avec des liaUebardos, chassent tous les masqi fâcheux, et se retirent ensuite pour laisser danser à leur aise

DERNIÈRE ENTRÉE.

Quatre bergers, et une bergère qui, au scntiuiciit de tous ce qui l'ont vue, l'ernie le divcrtissemeut d'assez bonne grâce.

' Violons discordants.

FIN DES FACUEUS.

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L^ËCOLE DES FEMMES,

COMÉDIE EN CINO VCTES. NOTICE.

Cette pièce fut représentée , pour la première fois , sur le théâtre du Palais-Roy.il, le 26 décembre 1602. Habitué déjà à de brillants succès, Molière obtint cucore, ce jour-là, auprès du public, un Iriouiulie éclatant. Son ouvrage, dit Loret,

. . Fil rîi-e leurs majoslês Jusqu'à s'en iciiir les cùlés;

mais si ses admirateurs furent nombreux, les détracteurs ne le furent pas moins. Ils attaquèrent la pièce au nom du goût, de la morale, de la grammaire, et, ce qui était plus grave et plus dangereux pour l'auteur, au nom de la religion. Les gens pieux s'en oirensèrent, et la scène dans laquelle Arnolplie veut endoctriner sa pupille, leur parut et non sans cause, dit M. Bazin, « parodier insolemment les formes d'un sermon; le vers même qui la termine reproduisait presque textiu-Ilcment la bénédiction linale du prédicateur. «Les cbaudières bouillantes» dont il menace Agnès, la « blancheur du lis » qu'il promet à « son âme » en récompense dune bonne conduite, la « noirceur du charbon » dont il lui fait peur si elle agit mal, et enfin ces Maximes du Mariage ou Devoirs de la Femme mariée avec son exercice journalier, dont il veut qu'elle lise dix commandements, ressem- blaient trop en effet au langage le moins éclairé, et par consé- quent le plus usité, du catéchisme ou du confessionnal, pour ne point paraître aux dévots un attcntit contre les choses saintes. Ils n allaient pourtaut pas encore jusqu'à le dire publiquement; car la dispute, sur ce terrain, était périlleuse ; mais ils s'en prenaient à d'autres licences qui offensaient seulement les bonnes mœurs. Le prince de Conti, l'ancien protecteur d» la troupe de Molière en Languedoc, dcveim fervent janséniste et théologien, écrivait ce qui suit dans sou Traité de la Comédie et

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420 NOTICE.

des Spectacles : « Il faut avouer de bonne foi que la comédie mo- » derne est exempte d'idolâtrie et de superstition^ mais il faut n qu'où convienne 'aussi qu'elle n'est pas exempte d'impureté; I) qu'au contraire cette honnêteté apparente, qui avoit été le » prétexte des approbations mal fondées qu'on lui donnoit, com* « mence présentement à céder à une immodestie ouverte et sans » ménagement, et qu'il n'y a rien, par exemple, de plus scanda- • leux que la cinquième scène du second acte de l'École des Fem- 1) mes, qui est une des plus nouvelles comédies. »

Heureusement pour Molière, Louis XIV se rangea au nombre de ses défenseurs, et comme compensation des insultes de la critique, Boileau lui adressa pour étrennes le l*f janvier 1663, des stances oii se trouvent ces vers :

En vam mille jaloux esprits, Molière, osent avec me'pris Censurer un si bel ouvrage ; Ta cliannanle naïveté S'en va pour jamais d'âge en âge Enjouer la poslérilé.

Ceux même qui attaquaient la nouvelle comédie avec le plu» d'acharnement, lui donnaient à côté du blâme les plus pompeux éloges, témoin ce passage où de Visé, l'un des critiques les plus ardents, après avoir dit « qu'on ne vit jamais tant de méchantes choses ensemble,» ajoute : «Mais il y en a de si naturelles, qu'il semble que la nature ait elle-même travaillé à les faire : il y a des endroits qui sont inimitables, et qui sont si bien exprimés, que je manque de termes assez forts et assez significatifs pour les bien faire concevoir. Il n'y a personne au inonde qui les put si bien exprimer, à moins qu'il n'eût son génie, quand il seroil un siècle à les tourner. Ce sont des | ortraits de la nature qui peuvent passer pour des originaux : il semble qu'elle y parle cUe-ménie; et ces endroits ne se rencontrent pas seulement dans ce que dit Agnès, mais dans tous les rôles de la pièce. »

Les avis, on le voit, au moment même de l'apparition de l'École des Femmes, furent très- partagés; et depuis Molière jus- qu'à nos jours, ou retrouve la même divergence entre les diverses opinions des critiques. Fénelon, Jean-Jacques Rousseau et Geoffroy, entre autres, se sont montrés fort sévères.

« Molière, dit GeoIVroy à propos de la piè<.e qui nous occupe, a flatté le goût du siècle qui voulait secouer le joug de l'an- cienne sévérité, et opérer un plus grand rapprochement entre les sexes. Ue son temps la galanterie, la politesse et les plaisirs étaient concentrés à la cour et dans les premières maisons de la ville. La bourgeoisie et le peuple étaient encore dans l'état d'une demi-barbarie ; c'est Molière qui a poli l'ordre mitoyen et les

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NOllCE. 421

dernières classes; c'est lui qui a ébranlé ces vieux préjti!,^cs d«  l'éducation, soutiens des vieilles mœurs; c'est lui quia brisé Ici entraves qui retenaient cbacun dans la dépendance de son étai et de ses devoirs, et cette impulsion q.i'il a donnée aux penchanti de son siècle, a beaucoup contribué à son succès. »

En d'autres termes, Molière, d'après GcolTroy, introduisait dans la comédie la morale relâchée des nouveaux casuistes, e( c'était surtout par l'attrait du scandale qu'elle attirait la foule. « Aujourdluii , ajoute Geoffroy, on joue encore de temps ea temps l'École des Femmes... mais les changements survenus dans nos mœurs, le grand progrès de nos lumières ont proscrit le ri- dicule attaqué dans cette pièce... c'est un chef-dœuvre comique, comme don Quichotte, sur un travers qui n'existe plus. Le pré- jugé qui attachait l'honneur d'un mari à la vertu de sa fcmmcj est absolument détruit ; la folie d'un homme qui regarde l'infidé- li'é conjugale comme le premier des affronts et le dernier des mal- heurs, n'est plus au nombre des folies convenues qui circu'ent librement dans la société. Aujourd'hui toutes les plaisanteries sur le mariage et ses accidents sont ignobles et du |)lus mauvais ton. Le silence est recommandé sur cet article délicat. »

M. Aimé Martin, qui nu laisse jamais passer, sans essayer de les réfuter, les critiques adressées à Molière, s est livré à liiie discussion approfondie pour montrer que si Ton avait accusé l'auteur de l'École des Fummes de donner un ton gracieux au vice et une austérité ridicule et odieuse à la vertu, c'était faute da\oir suflisammeul compris la pièce. Comme notre rôle, dans cette édition variorum, est avant tout un rôle de rapporteur, nous compléterons l'exposé de ces appréciations critiques, en citant l'opinion de M. Aimé Martin. « Il est évident, dit le commen- tateur que nous venons de citer, que Molière a voulu avertir les femmes qu'elles doivent surtout é\iter d"unir leur sort à celui d un égoiste. Arnolphe n'a qu'un but : il veut as.-^er\ir l'iimo- ccnce, la jeunesse, la beauté, aux caprices de sa bizarre humeur; peu lui importe de rendre sa femme heureuse, son propre bon- heur lui suffit. Voilà justement ce qui doit causer sa perte; et l'on verra tous ses eîlorts, tous ses soins, toutes les ruses de son égoisme, tomber devant le simple bon sens d'une jeune fille. Molière est plein de ces combinaisons, souvent inaperçues des couiuieutatLiirs, bien qu'elles fassent rire le vulgaire et

penser les bous esprits Dans cette pièce, dit encore le même

écrivain, Molière a voulu montrer un de ces honnues qui, s'eloi- gnant encore plus des goûts de la jeunesse par leur austérité que pa>" leur âge, ne laissent pas de s'abandonner à toutes les passions ; prennent les conseils de leur égoisme pour ceux de l'expérience, les systèmes les plus bizarres pour les inspirations de la sagesse, et prétendent changer les lois éternelles de la na-

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422 NOTICE.

liire en assiijettissdnt à leurs caprices tout ce qui les environne. Tel est le caractère d'Arnolphe ; et il faut remarquer que le dé- veloppement de ce caractère fait tout le sujet et toute riL\rigue de la pièce. La simplicité d'Agnès, la sottise des valets, les con- fidences d'Horace, les raisonnements de Chrysalde, tendent à faire ressortir le travers d'esprit de ce singulier personnage; son ridicule système met tout en mouvement ; lui seul porte le poids de l'action. Toujours en scène pendant les cinq actes, il va, il vient, s'agite, combine, gronde, s'adoucit; et, quoique toujouri averti, il ne peut rien empêcher . tout est déception, ruse, adresse, dans sa conduite; tout est simplicité, innocence, naï- veté, dans celle d'Agnès. Veut-il la surprendre, la séduire, la tromper, lui exagérer ses bienfaits, elle oppose la vérité au mensonge ; et c'est en montrant le forrd de son cœur qu'elle punit son tyran. Mais ce qui rend la situation plus vive et la leçon plus frappante, c'est que les précautions d'Arnolphe ne servent qu'à assurer son malheur ; sa punition ressort de l'accomplisse- ment de tous ses vœux ; il a voulu des valets imbéciles, les siens le sont à l'excès ; il a voulu qu'Agnès ne fût qu'une sotte, elle a foute la sottise que donne l'ignorance. Elle a\oue avec la même naïveté son amour pour Horace, son indiflerence pour Arnol» phe, et son goût pour le mariage; enfin elle se sauve avec son amant ,

El ne voit pas de mal à loul ce qu'elle a fait.

Quelle profondeur dans ce vers! il résume la pièce, il justifie Agnes, il confond Aruolphe, il commence son châtiment; car enfin la \oilà telle qu'il la souhaitée. Mais la justice ne seroit pas entière si chaque travers de ce personnage ne rece\oit sa punition. Arnolphe s'est moqué des maris trompés, il sera moqué par Chrysalde , il s'est joué de la confiance d'Horace, il le verra triompher; il a sacrifié le bonheur d'Agnès au sien, il sera le plus malheureux des hommes. Faire recueillir à cliacim le fruit de ses œuvres, c'est la morale du théâtre; et jamais Molière n'a mieux atteint ce but que dans l'École des Femmes. »

Le passage que l'on vient de lire résume ce qui a été dit de plu.=: saillant par les commentateurs pour justifier l'École des Femmes, on verra plus loin comment Molière a lui-même défendu son œuvre, eu se moquant de ceux qui l'attaquaient.

La Précaution inutile, de Scarroi., le Jaloux, de Cervantes, onl été utihsés dans le premier et le second acte de la comédie qu'o» va lire. La Quatrième nuit de Straparole a fourni quelques don- nées aux actes trois et quatre. Quant au cinquième acte, il est tout entier de création originale.

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ÉPITRE DÉDICATOIRE. 423

A MADAME

Madame,

Je suis le plus enibarrdssé homme du monde, lorsqu'il me faut dédier un livre ; et je me trouve si peu fait au style d epître dédicatoire, que je ne sais par où sortir de celle-ci. Un autre auteur, qui seroit en ma place, trouveroit d'abord cent belles choses à dire de Votre Altesse Royale, sur ce titre de l'ÉcoU des Femmes, et l'olTre quil vous en feroit. Mais, pour moi, Ma- dame, je vous avoue mon foible. Je no sais point cet art de trouver des rapports entre des choses -i peu prnpc-Mouuées; et, quelques belles lumières que mes conTrères les auteurs me don- nent tons les jours sur de pareils sujets, je ne vois point ce que Votre Altesse Royale pourroit a\oir à démêler avec la co- médie que je lui présente. On n'est pas en peine, sans doute, comment il faut faire pour vous louer. La matière, Madasie, ne saute q^e trop aux yeux; et, de quelque côté qu'on vous re- garde, on rencontre gloire sur gloire, et qualité; sur qualités. Vous en avez, Madame, du côté du ranj et de la naissance, qui vous font respecter de tonte la terre. Vous en avez du côté des grâces, et de l'esprit, et du corps, qui vous font admirer de toutes les personnes qni vous voient. Vous en avez du côté de l'ame, qui, si l'on ose parler ainsi, vous font aimer de tons ceux qui ont I lionneur d'approcher de vous : je veux dire celte dou- ceur pleine de charmes dont vous daiîjncz tempérer la fierté des grands titres qne \oiis portez; cette bonté tout oblii^cante, cette affabilité généreuse que vous fuites paroilrc pcuir tout le monde. Et ce sont particulièrement ces dernières pour qui je suis, et dont je sens fort bien que je ne me pourrai taire quelque jour. Mais encore une fois, Mauame, je ne sais point le biais de faire en- Ircr ici des \érilés si éclatantes; et ce sont choses, à mon avis, ft d'une trop vaste étendue, et d'un mérite trop élevé, pour les vouloir renfermer dans une épitre, et les mêler avec des baga- telles. Tout bien consiiléré, Madame, Je ne vois rien à faire ici pour moi que de vous dédier simplement ma comédie, et de

' HenrieUe irAiigldorre, pr^ntiiore femme de Monsieur, fiPrp de Lnuis ÎIT p*tiîe-lille de Henri IV, dnnl l'oraison lunobre a cic prommcce par Bossuek Elle mourut à SaiiiUCInud leSO.uiu 1670, à l'àgc de viu^'i-six aiu.

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42 5 PHKFACE,

vous assurer, a\ec tout le respect qu'il m'est possible, que je suis ,

DE VOTRE ALTESSB ROYALE,

HADAME ,

Le très humble, très obéissant, el 1res obligé servileiir,

Molière.

PREFACE.

Bien des gens ont frendé d'abord cette comédie ; mais lei rieurs ont été pour elle, et tout le mal qu'on en a pu dire n'a pu faire qu'elle n'ait eu un succès dont je me contenta.

Je sais qu'on attend de moi dans cette impression quelque préface qui réponde aux censeurs, et reade raison de mon ou- vrage ; et sans doute que je suis assez redevable à toutes leî personnes qui lui ont donné leur approbation , pour me croire obligé de défendre leur jugement contre celui des autres ; mait il se trouve qu'une grande partie des choses que j'aurois à dire sur ce sujet est déjà dans une dissertation que j'ai faite en dia- logue, et dont je ne sais encore ce que je ferai.

L'idée de ce dialogue, ou, si l'on veut, de cette petite comé- die', me vint après les deux ou trois oremières représentations de ma pièce.

Je la dis, cette idée, dans une maison où je me trouvai un soir ; et d'abord une personne dé qualité, dont l'esprit est assez connu dans le monde', et qui me fait l'honneur de m'aimer, trouva le projet assez à son gré, non-seulement pour me solliciter d'y mettre la main, mais encore pour l'y mettre lui-même; et je fus étonné que deux jours après il me montra toute l'afTaire exécutée d'une manière à la vérité beaucoup plus galante et plus spirituelle que je ne puis faire, mais où je trouvai des choses trop avantageuses pour moi ; et j'eus peur que, si je produifois cet ouvrage sur notre théâtre, on ne m'accusât d'a\oir mendié les louanges qu'on m'y donnoit. Cependant cela m'cnipècha, par quelque considération, d'achever ce que j'u\ois couunencé. Mais tant de gens me pressent tous les jours do le faire, que je ne

^ La Critique de r ihole des femmes, ]n\ice le l*'jiiir !6G3, • Va\}\>éVu\}\ sion, grand introJii'.teur des reulles.

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L'ÉCOLE DES FEMMES. 4 -o

sais ce qui on sera; et celte incertitude est canse que je m mots point dans cette préface ce qu'on verra dans la Critique, en c.is que je me résolve à la faire paroilre. S'il faut que cela soit, je le dis encore, ce sera seulement pour venger le public du dia- grin délicat de certaines gens; car, pour moi, je m'en tiens assez vengé par la réussite de ma comédie; et je souhaite que toutes celles que je pourrai faire soient traitées par eux comme celle-ci, pourvu que le reste soit de même.

PERSONNAGES.

ARXOLPHE, autrement M. DE LA SOUCHE '. AGNÈS *, jeune fille innocente élevée par Arnolphe' HORACE, amanî d'Agnès'. ALAIN, piiysan, valet d'Arnolplie*. BEORGF.TTE, paysanne, servante d'Arnolplie'. CHRTSALDB, ami d'Amolphc'. ENRIQUE, beau-frère de Clirysalde. OROXTE. père l'Horace et grand ami d'Arnoîpke ON NOTAIRE'.

La scène est dans une place de ville.

ACTE PREMIER.

SCÈNE l. — CHRYSALDE, ARNOLPHE.

CHRVSALDE.

Vous venez, diles-vous, pcir lui donner la main?

ARNOLPHE.

Oui. Je veux lerminer la chose dans demain.

CHRYSALHE.

Nous sommes ici seuls, el 1 on peut, ce me seiuhirj

' HouiiE — ' Mademoiselle DE Brie. — ' La Grange. — ' LxÉconuT, •«  ' HademoiseUe Beauval. — • L'Espv. — ' De Brie.

■ Le nom à'Agnès est devenu le synonyme d'innocence et d'ingénuité ; li re- présente un caractère comme le mm de Tartuffe, iV Harpagon, et de UganardU'

U.

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{26 L ECOLE DES FEMMES.

Sans craindre d'être ouïs, y discourir ensemble. Voulez-vous qu'en ami jo vous ouvre mon cœur? Voire dessein, pour vous, me fait trembler de pour; Et, de quehiue façon que vous tourniez l'affaire, Prendre femme est à vous un coup bien téméraire

ARNOLPHE.

Il est vrai, notre ami. Peut-être que chez vous Vous trouvez des sujets de craindre pour chez nous;. Et votre front, je crois, veut que du mariage Les cornes soient partout l'infaillible apanage.

CURYSALDE.

Ce sont coups du hasard, dont on^'est point garant; Et bien sol, ce me semble, est le soin qu'on en prend Mais quand je crains pour vous, c'est celte raillerie Dont cent pauvres maris ont souffert la furie : Car enfin, vous savez qu'il n'est grands, ni petits, Que de votre critique on ail vus garantis; Que vos plus grands plaisirs sont, partout où vous êtes, • De faire cenl éclats des intrigues secrètes...

ARNOLPHE.

Fort bien. Est-il au monde une autre ville aussi

Oii l'on ail des maris si patients qu'ici?

Est-ce qu'on n'en voit pas de toutes les espèces.

Qui sont accommodes chez eux de toutes pièces?

L'un amasse du bien, dont sa femme fait part

A ceux qui prennent soin de le faire cornard ;

L'autre, un peu plus heureux, mais non pas moins infâme,

Voit faire tous les jours des présents à sa femme,

Et d'aucun soin jaloux n'a l'esprit combattu,

Parcequ'elle lui dit que c'est pour sa vertu.

L'un fait beaucoup de bruit qui ne lui sert de guère»,

L'autre en toute douceur laisse aller les affaires,

Et, voyant airiver chez lui le damoiseau.

Prend fort honnêtement ses gants et son iiianteau.

L'une, de son galant, en adroite femelle.

Fait fausse confidence à son époux fidèle,

Qui dort en sûreté sur un pareil appas,

El le plaint, ce galant, des soins qu'il ne perd pas* <

L'autre, pour se purger de sa magnificence,

' L'auleur a résume dans ces (|Malrc vers tout le sujet de V École dtt Maru.

(L. B.'

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AofE I, SCËNE I. 427

Dit qu'eMe gagne au jeu l'argent qu'elle dépense; Va le mari heiièi, sans songer à quel jeu, Sur les gains qu'elle fait renri des grâces à Dieu. Knfin, ce sont partout des sujets de satire; Et, comme spectateur, ne puis-je pas en rire? Puis-je pas de nos sots... ?

CHRYSALDE.

Oui ; mais qui rit d'aulrui Doit craindre qu'en revanche on rie aussi de lui', .l'onlends parler le monde, et des gens se délassent A venir débiter les choses qui se passent; Mais, quoi que l'on divulgue aux endroits où je suis, Jamais on ne m'a vu triompher de ces bruits. J'y suis assez modeste; et bien qu'aux on us !(:i(es Je puisse condamner certaines loléranci s, Que mon dessein ne soit de souffrir nullement Ce que quelques maris sotiffrent paisiblement, Pourtant je n'ai jamais affecté de le diic; Car enfin il faut ciaiiidi'e un revers de satire, Et l'on ne doit jamais jurer sur de tels cas De ce qu'on poui ra faire, ou bien ne faire pas. Ainsi, quand à mon front, par un sort qui tout mène, il seroit arrivé quelque disgrâce humaine, Après mon procédé, je suis presque cerlaio Qu'on se contentera de s'en rire sous main : Et peul-èlre qii'enror j'aurai cet avantage, Que quelques bonnes gens diront que c'est dommage. Mais de vous, clier compère, il en est autrement; Je vous le dis eiu-or, vous risquez diablement. Comme sur les maris accusés de souflrance De tout temps votre huigue a daubé d'importance, Qu'on vous a \u contre eux un diable déchaîné, Vous devez marcher droit, pour n'être point berné;

' Quelques-uns (les traits satiriques les plus pKjiianls de ce;ie scène se Irouveat en germe dans un ouvrage écrite la fin du quatorzième siècle, et intitulé (ci Quinte Joies du martai/e. Le passage suivant, entre antres, nlfre avec les vers ci-dessus une granile analogie :« Ils voveiit ce qui advient aux aiilri's, et s'en » sçavent 1res Inon lunciiuer el en faire leurs larces; niais qiinH ils soin mariet, > je les regarde emluidpz mieux que les autres. Si donc cliacuii se gaiile de soy » mucqiier des autres : mais chacun croit le contraire, el qu'il est préservé et

  • bien Heure entre les a' lies oui mieux le croil, nnienx est eiiibride. > [Quinm

foies du mariage, p. 202 *

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428 L'ECOLE DES FEMMES.

El, s'il faul que sur vous on ail la moindre prise, Gare qu'aux carrefours on ne vous tympanise, El...

ARNOtPHîL.

Mon Dieu! noire ami, ne vous tourmentez poioL Bien huppé qui pourra m'allrapor sur ce point. Je sais les lours rusés et les subtiles trames Dont pour nous en planter savent user les femmes. Et comme on est dupé par leurs dextérités, Contre cet accident j'ai pris mes sûretés; Et celle que j'épouse a toute l'innocence Qui peut sauver mon front de maligne influence.

CnRTSALDE.

Et que prétendez-vous qu'une soUe, en un mot.,,

AUNOr.PilE.

Épouser une sotie est pour n'être point sot.

Je crois, en bon clirélien, voire moitié fort sage;

Mais une femme habile est un mauvais présage;

El je sais ce qu'il coule à de cerlaine.-! gens

Pour avoir pris les leurs avec trop do talents.

Moi, j'irois me charger d'une spirituelle

Qui ne paileroit rien que cercle et que ruelle;

Qui de prose et de vers feroit de doux écrits,

El que visileroient marquis et beaux esprits,

Tandis que, sous le nom du mari de madame,

Je serois comme un saint que pas un ne réclame?

Non, non, je ne veux point d'un esprit qui soit haut;

Et femme qui compose en sait plus qu'il ne faut.

Je prétends que la mienne en clartés' peu sublime,

Même ne sache pas ce que c'est qu'une rime;

Et, s'il faut qu'avec elle on joue au corbillon,

Et qu'on vienne à lui dire à son lour. Qu'y met-on?

Je veux qu'elle réponde, Une tarte à la créme^;

En un mot, qu'elle soit d'une ignorance extrême :

Et c'est assez pour elle, à vous en bien parler,

' Clartés, pour lumières, au sens moral. Ce mot, qui revient souvent dam -5 Molière, est encore employé par lui, au figuré, dans le sens de renseignoments, »iaircissemenis. Voir F. Génin, Lexique, elc.

' Voltaire signale ce trait comme indigne de Molière, parcequ'il fui géne'rale- ment désapprouvé aux premières repi cscntations de la pièce. Quelques eonimen- Jateurs se s(.nt cru obligés de le défendre, par cela seul qu'on Tavoil altaqMé ; mais en délinitive, Voltaire pourroit Wen, ce nous semble, avoir ra>son.

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ACTE I, SCÈNE î. De savoir prier Dieu, m'ainier, coudre, cl filer.

CHRVSALDE,

Une femme stupide est donc votre marotte?

ARNOLPHE,

TanI que j'aimerois mieux une laide hien sotte, Qu'une femme fort belle avec beaucoup d'esprit*.

CHRYSALDE.

L'esprit et la beauté...

ARNOLPHE.

L'honnêteté suffit.

CHRYSALDE.

Mais comment voulez-vous, après tout, qu'une béte Puisse jamais savoir ce que c'est qu'être honnête? Outre qu'il est assez ennuyeux, que je croi, D'avoir toulc sa vie une bêle avec soi, Pensez-vous le bien prendre, et que sur votre idée La sùrelé d'un front puisse être bien fondée? Une femme d'esprit poul trahir son devoir; Mais il faut, pour le moins, qu'elle ose le vouloir: Et la stupide au sien peut manquer d'ordinaire, Sans en avoir l'envie et sans penser le faire'.

ARNOLPHE.

A ce bel argument, à ce discours profond,

Ce que Pantagruel à Panurge répond :

Pressez-moi de me joindre à femme autre que sotte,

Prêchez, palrocinez' jusqu'à la Penlecôle;

Vous serez ébahi, quand vous serez au bout.

Que vous ne m'aurez rien persuadé du tout.

CHRYSALDE.

Je ne vous dis plus mot.

' La disptilp (]n\ s'élablil ici entre Clirysalde et Arnolphe, est floiprantëe i OM nouvelle de Scarrnn, la Précaution inutile. « J'aimerois mieux, dit un des per* •ODnagps, une femme laide fortsoUe, qu'une belle qui ne le seroit pas. >

' On lit encore dans la Précaution inutile « Je n'ai jamais vu d'homme rtl-

> sonnaille qui ne s'ennuie cruellement s'il e«t seulement un quart d'heure avec

> nne idiote. Comment une sotte sera-t-elle honnête femme? Si elle oe Mit M » que c'est que rhoiinèleté, el n'est pa5 même capable de l'apprendre, elle mtlk-

> qtera à son devoir, sans savoir ce qu'elle fait; au lieu qu'une femme d'eiprit,

> quand même elle se délieioit de sa vertu, saura éviter les occasiont où' elh

> sera en danger de la perdre >

' Patrociner, du latin patrocinari, plaider, faire l'avocat ; en style popnlain, ato e a i ter.

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430 L'ÉCOLE i)ES FEMMES.

AUNOLPHE.

Chacun a sa mélhode. En femme, comme en tout, je veux suivre ma mode: Je me vois riche assez pour pouvoir, que je croi, Choisir une nioilié qui tienne tout de moi, Et de qui la soumise et pleine dépendance N'ait à me reprocher aucun bien ni naissance. Un air doux et posé, parmi d'autres enfants, M'inspira de l'amour pour elle dès quatre ans : Sa mère se trouvant de pauvreté pressée, De la lui demander il me vint en pensée; Et la bonne paysanne, apprenant mon desîr, A s'ôter cette charge eut beaucoup de plaisir. Dans un petit couvent, loin de toute pratique, Je la fis élever selon ma politique; C'esl-à-dire, ordonnant quels soins on emploieroH Pour la rendre idiole autant qu'il se pourroil. Dieu merci, le succès a suivi mon attente; El grande, je l'ai vue à tel point innocente. Que j'ai béni le ciel d'avoir trouvé mon fait. Pour me faire une femme au gré de mon souhait. Je l'ai donc retirée; et comme ma demeure A cent sortes de gens est ouverte à toute heure. Je l'ai mise à l'écart, comme il faut tout prévoir, Dans cette autre maison où nul ne me vient voir; Et, pour ne point gâler sa bonté naturelle, Je n'y tiens que des gens tout aussi simples qu'elle*. Vous me direz, Pourquoi cette narration? C'est pour vous rendre instruit de ma précaution. Le résultat de tout est qu'en ami fidèle Ce soir je vous invile à souper arec elle; Je veux que vous puissiez un peu l'examiner, Et voir si de mon choix on me doit condamner.

CURYSALDE.

J'y consens.

ARNOLPHE.

Vous pourrez, dans celle conférence, Juger de sa personne et de son innocence.

' « Don Pèdre cherclia des valets les plus sols qu'il pat tronyer, et t&ekt 4l > trouver des servantes aussi soties Que Laure ; et il eut bien de \y peine. > [ScAW HOH , Précaution inutile-]

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AGTF, I, SCENE I. 431

CnUYSALDE.

Pour cet arlicle-lé, ce que vous m'avez dit Ne peut...

ARNOLPIIE.

La vérité passe encor mon récit. Dans ses simplicités à tous coups je l'admire, El parfois elfe en dit dont je pâme de rire. L'autre jour (pourroit-on se le persuader?), Elle étoit fort en peine, et me vint demander, Avec une innocence à nulle autre pareille, Si les enfants qu'on fait se faisoienl par l'oreille',

CimySALDE.

Je me réjouis fort, seigneur Arnolphe...

AnXOLPUE.

Boni Me voulez-vous toujours appeler de ce nom?

CHRYSALDE.

Ah î malgré que j'en aie, il me vient à la bouche^ El jamais je ne songe à monsieur de la Souche. Qui diable vous a fait aussi vous aviser, A quarante-deux ans, de vous débaptiser, Et d'un vieux tronc pourri de votre métairie Vous faire dans le monde un nom de seigneurie?

ABNOLPIIE.

Outre que la maison par ce nom se connoîl,

La Souche plus qu'Arnolphe à mes oreilles plaît*.

CHRYSALDE.

Quel abus de quitter le vrai nom de ses pères. Pour en vouloir prendre un bàli sur des chimères!

' Ici Molière se commente lui-même. « Pour ce qui est de? enfants par CoreilU, dit-il, ils ne sont plaisants que par réflexion à j^rnolphe; et l'auleur n'a pas mil cela pour être de sol un bon mol, mais seulement pour une chose qui caractérisa l'homme, et peint d';iulant mieux son extravagance, puisqu'il rapporte uni; sot- tise triviale qu'a dite Agnes, comme la cDose la plus belle du muude, et qui lui donne une joie inconcevable.» (Mohere, Critique de l'École dis Femmet, Kéne Tll.)

• Cette antipathie d'Arnolpbe pour son propre nom s'explique par ce fait que nint Arnolphe, au moyen âge, et traditiouueUemciit encore dans le dix-sepl:èiae (iècle, éloit regardé pomme le patron des maris trompés. Entrer dans la ccr.» frirte de satnt Arnolphe, devoir un cierge à saint Arnolphe, signilioil, pui^r un mari, perdre les dernières illusions matrimoniales. Un tel nom devoit donner aua maris ombrageux qui le porloient, des visions cornues, et c'est pour cela qu'Ai> ■oipue trouve des appas à le changer.

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432 L'ÉCOLE DES FEMMES.

De la plupart des gens c'est la démangeaisoo ;

Et, sans vous embrasser dans la comparaison,

Je sais un paysan qu'on appeloil Gros-Pierre,

Qui, n'ayant pour tout bien qu'un seul quartier de terrv,

Y fil tout alentour faire un fossé bourbeux,

Et de monsieur de l'isle en prit le nom pompeu».

aunoli'he. Vous pourriez vous passer d'exemples de la sorte. Mais enfin de la Souche est le nom que je porte: J'y vois de la raison, j'y trouve des appas; El m'appeler de l'autre est ne m'obliger pas.

CHRYSALD£.

Cependant la plupart ont peine à s'y soumettre, Et je vois même encor des adresses de lettre...

ARNOLPHE.

Je le souffr*» aisérnent de qui n'est pas instruit ; Mais vous...

CORYSALDE.

Soit : là-dessus nous n'aurons point de bruit; Et je prendrai le soin d'accoutumer ma bouclie A ne plus vous nommer que monsieur de la Souche.

ARNOLPHE.

Adieu. Je frappe ici pour donner le bonjour, Et dire seulement que je suis de retour.

CnRYSALDE, à pari, en s co allant.

Ma foi, je le liens fou de toutes les manières.

ARNOLPHE, seul.

Il est un peu blessé sur certaines matières. Chose étrange, de voir comme avec passion Un chacun est chaussé de son opinion !

(II frappe à sa porte.)

Holà .

SCÈNE II -ARNOrPHE, ALAIN; GEORGETTE, daiu U

ALAIN.

Qui heurte?

ARNOLPHE.

(à part.)

Ouvrez. On aura, que je pense Grande joie à me voir après dix jours d'absenc^.

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ACTE I, SCENE ».

ALAIN.

i^uivaUf

ARNOLPHE.

flloi

ALAiy

iieorgelleî

GEORGETTE.

Hé bien?

ALAIN.

Ouvre Ià-t)a5.

GEOUGETTE.

tâ-8-y, toi.

ALAIN.

Va-s-y, toi.

GEonr.tnE. Ma foi, )e n'irai pas.

ALAIN.

Jb nlrai pas aussi >.

ARNOLl'IIE-

BeMe circinonie >?our me laisser dehors! hlo!a ! noi je vous prie.

GEOKGETTE.

Qui frappe?

ARNOI.PIIE.

Votre maître.

GEOIIGETTE.

Alain! .

ALAIN.

Quoif

GEORGETTE.

C'est monsien. Ouvre vitec ^

ALAIN.

Ouvre, toi.

GEORGETTE.

Je SOU file notre feu.

AL\IN.

J'empêche, peur da clist, que mon moineev ne sorte.

' Pour : non plu^ dans une ptrase iiegative. [t, Giniikf

20

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>tS4 L'ÉCOU: DES FEMMES.

AUNOLPHE.

Quiconque de vous deux u'ouvrira pas la porte N'aura poiut à manger de plus de quatre jourt,, Ha!

GEORGETTE.

Par quelle raison y venir, quand j'y cpurs?

ALAIN.

Pourquoi plutôt que moi? Le plaisant stratagèm»!

GEORGETTE.

Ote-toi donc àe là.

ALAIN.

Non, ôte-toi toi-même.

GEORGETTE.

Je veux ouvrir la porte,

ALAIN.

Et je veux l'ouvrir, moi.

GEORGETTE.

Tu ne l'ouvriras pas.

ALAIN. Ni toi non pîue,

M toi.

ARNOLPHE.

faut que j'aie ici l'anfle bien patiente!

ALAIN, eD eotraiit.

Au moins c'est moi, monsieur.

GEORGETTE, en entrant.

Je suis votre servante, Citit moi.

ALAIN.

Sans le respect de monsieur que Toila, Je te...

ARNOLPHE, recevant un coup d'AUtafe

Peste 1

ALAIN.

Pardon.

ARNOLPHE.

Voyez ce lourdau-l-Iâ !

ALAhN.

C'est elle aussi, monsieur...

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ACTE I, SCEiNE lli ^53

ARNOLPHE.

Que tous deux on se taise. Songez à me repondre, et laissons la fadaise. Hé bieni Alain, comment se poile-t-on ici?

ALAIN.

Monsieur, nous nous...

[ArQoli)he 61e le chapeau de dessus la léte d'Alain.)

Monsieur, nous nous por...

(Arnolphe l'Ole encore.)

Dieu merci, Nous nous..

AB.SOLPHE, ôtanl le chapeau d'Alain pour la troisième fois, et le jetant par lerr*.

Qui vous appiend, impertinente bêle, A parler devant moi le cliapeau sur la tête?

ALAIN.

Vous faites bien, j'ai tort '.

ARNOLPHE, à Alain.

Faites descendre Agnèr. SCÈNE III. — ARNOLPHE, GEORGETTE.

ARNOLPHE.

Lorsque je m'e» allai, fut-elle triste après?

«EORGETTE.

Triste? Non.

AnNOLPHE;

Non?

GEORGETTE.

Si fait.

ARN(rLPHE.

Pourquoi donc...?

GEORGETTE.

Oui, je meure. Elle vous croytit voir de retour à toute heure; Et nous n'oyions jamais passer devant chez nous Clieval, âue ou mulet, qu'elle ne prît pour vous.

■ < Pour la scène d'Alain et de Georgetle dans le logis, que quelques-uns on'

> trouvée longue et froide, il est certain qu'elle n'est pas sans raison ; et de méina

> qu'Aruoli'he se tiouve attrape pendant son vovage par la pure innocence de sa » maîtresse, il demeure au reldur longtemps a sa porte par l'innocence de se*

> val3ts, alin qu'il soit partiut puni par les choses dont il a cru faire I9 sùi été

> fsKi précautions. » ^Uoliêke, Ciitiqu* del Hcole das Femmes, accue vu.]

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L'ÉCOLE DES FEMMES. SCÈNE IV. — ARNOLPHE, AGNÈS, ALAIN, GEORGETTE

ARNOLPHE.

La besogne à la main? c'est un bon témoignage. Hé bien ! Agnès, je suis de retour du voyage : En êtes-Yous bien aise ?

AG1H«8.

Oui, monsieur, Dieu merci.

AltNOLPFIE.

Et moi, de vous revoir je suis bien aise aussi.

Vous vous êtes toujours, comme on voit, bien portée?

AGNÈS. '

Hors les puces, qui m^ont la nuit inquiétée,

ARNOLPHE.

Ah] vous aurez dans peu quelqu'un pour les chasser,

AGNÈS.

Vous me ferez plaisir.

ARNOI.PHE.

Je le puis bien penser. Que faites-vous donc là ?

AGNÈS.

Je me fais des cornettes. Vos chemises de nuit et vos coiffes sont faites.

ARNOLPHE.

Ah! voilà qui va bien. Allez, montez là-haut: Ne vous ennuyez point, je reviendrai tantôt, Et je vous parlerai d'affaires importantes.

SCÈNE V. — ARNOLPHE, seul.

Héroïnes du temps, mesdames les savantes, Pousseuses de tendresse et de beaux sentiments, Je défie à la fois tous vos vers, vos romans. Vos lettres, billets doux, toute votre science, De valoir cette honnête et pudique ignorance. Ce n'est point par le bien qu'il faut être ébloui; El pourvu que l'honneur soit...

SCÈNE VI. — HORACE, ARNOLPHE.

ARNOLPHE.

Oue vois-]e? Est-ce?... Oui,

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ACTE I, SCENE VI.

Je me (rompe. , Nenni. Si fait Non, c'est lui-même, Hor...

Seigneur Ar...

Et depuis quand ici?

HORACE. ARNOLPHE.

Horace.

HORACE.

Arnolphe.

ARNOLPHE.

Ah! joie extrèmel

HORACE.

Depuis neuf jours.

ARNOLPHE.

Vraiment?

HORACE.

Je fus d'abord chez vous, mais inutilement.

ARNOLPHE.

J'étois à la campagne.

HORACE.

Oui, depuis dix journées.

ARNOI.PHE.

Oh! comme les enfants croissent en peu d'années! J'admire de le voir au point où le voilà, Après que je l'ai vu pas plus grand que cela.

HORACE.

Vous voyez.

ARNOLPHE.

Mais, de grai-e, Oioiile votre père, Mon bon et cher ami que jesliine et révère, Que fait-il à présent? Est-il toujours gaillard? A tout ce qui le touche il sait que je prends part: Nous ne nous sommes vus depuis quatre ans ensembl% Ni, qui plus est, écrit l'un à l'autre, me semble.

HORACI-.

1. est, seigneur Arnolphe, encor plus gai que nous,

Et j'avois de sa part uue lettre pour vous;

Mais depuis, par uue autre, il ni'iipprend sa venue,

Et la raison encor ne m'en est pas connue.

Savcz-vous qui peut être un de ^os citoyens

Qui rel<^urne eu ces lieux avec beaucoup de biens

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438 L'ECOLE DES Fî:ftLMES.

Qu'il s'est en quatorze ans acquis dans l'AmériqueF

ARNOLPHE.

Non. Mais vous a-t-on dit comme on le nomme?

HORACE.

Enriqv

ARNOLPHE.

Non.

HORACE.

Mon père m'en parle, et qu'il est revenu, Comme s'il devoit mètre entiètement connu, Et m'écrit qu'en chemin ensemble ils se vont mettre, Pour un fait iniporlaut que ne dit^point sa lettre.

(Horace remet la lettre d'Oroute à Arnolphe.) ARNOLPHE.

/'aurai certainement grande joie à le voir, Et pour le régaler je ferai mon pouvoir.

(Apres avoir lu la lettre.)

Il faut pour des amis des lettres moins civiles, Et lous ces compliments sont choses inutiles. Sans qu'il prit le souci de m'en écrire rien, Vous pouvez librement disposer de mon bien.

HORACE.

Je suis homme à saisir les gens par leurs paroles. Et j'ai présentement besoin de cent pisloles.

ARNOLPHE.

Ma foi, c'est m'obliger que d'en user ainsi; Et je me réjouis de les avoir ici. Gardez aussi la bourse.

HORACE.

Il faut...

ARNOLPHE.

Laissons ce slyle. Hé bien ! comment encor trouvez-vous celte ville*

HORACE.

Nombreuse en citoyens, superbe en bâtiments; £it j'en crois merveilleux les divertissements.

ARNOLPIIE.

Chacun a ses plaisirs, qu'il se fait à sa guise, Mais pour ceux que du nom de galants on baptise. Ils ont en ce pays de quoi se conteuler, Car les femmes y sont failcs à coqiietc

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ACTE I, SCENE VI. 439

On trouve d'humeur douce et la brune el la blonde, Et les maris aussi les plus benius du momie; C'est un plaisir de prince, el des tours que je voi Je me donne souvent la comédie à moi. Peul-élre en avez-vous déjà féru ' quelqu'une. Vous est-il point encore arrivé de fortune? Les gens faits comme vous font plus que les écua, Et vous êtes de taille à faire des cocus.

HORACE.

A ne vous rien cacher de la vérité pure,

J'ai d'amour en ces lieux eu cerlaiue aventure;

Et l'amitié m'oblige à vous en faire part.

ARNOI.PUE, à pan.

Bon! voici de nouveau quelque conte gaillard; Et ce sera de quoi mettre sur mes tablettes,

nouACE. Mais, de grâce, qu'au moins ces choses soient secrètes.

AR^OLPHE.

Oh!

ÎIORAf.E.

Vous n'ignorez pas qu'en ces occasions Un secret éventé rompt nos prétentions. Je vous avouerai donc avec pleine franchise Qu'ici d'une beauté mon ame s'est :^nrise. Mes petits soins d'abord ont eu tant de succès, Que je me suis chez elle ouvert un doux accès; Et, sans trop me vanter, ni lui faire une injure, Mes affaires y sont en fort bonne posture 2.

ARNOLPIIE, en riant.

Et c'est...?

HORACE, lui montrant le logis d'Agoét.

Un jeune objet qui loge en ce logis, Dont vous voyez d'ici que les murs sont rougis : Simple, à la vérité, par l'erreur sans seconde D'un homme qui la cache au commerce du monde, Mais qui, dans l'ignorance où l'on veut l'asservir, Fait briller des attraits capables de ravir; Un air tout engageant, je ne sais quoi de tendre

' Féru, du verbe férir, frapper, ferire. On dit qu'un homme est féru iTlM lemme, jujur exprimer la passion qu'il a ponr elle. (Méoage.)

  • Pour position, soit en bonne, soit en mauvaise part.

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440 L'ÉCOLE DES FEMMES.

Dont il n'est point de cœur qui se puisse défendre. Mais peut-être il n'est pas que vous n'ayez bien vu Ce jeune astre d'amour, de tant d'attraits pourvu : C'est Agnès qu'on l'appelle.

ARNOLPriE, à part.

Ah! je crève I

HORACE.

Pour l'homme, C'est, je crois, de la Zousse, ou Source, qu'on le nomme; Je rie me suis pas fort arrêté sur le nom : Riche, à ce qu'on in'a dit, mais des plus sensés, aon; Et l'on m'en a parié comme d'ua ridicule. Le connoissoz-vous point?

ARNOLPHE, à part.

La fâcheuse pilule t

HORACi»

Hé I vons ne dites mot?

ARNOLPHE.

Eh ! OUI, je le connoi.

HORACE,

C'est un fou, n'est-ce pas?

ARNOLPHE.

Hé...

HORACE.

Qu'en dites-vous? Quoif Hél c'est-à-dire, oui? Jaloux à faire rire? Sot? Je vois qu'il en est ce que l'on m'a pu dire. Enfin l'aimable Agnès a su m'assujettir. C'est un joli bijou, pour ne vous point mentir; El ce seroit péché qu'une beauté si rare Fût laissée au pouvoir de cet homme bizarre. Pour moi, tous mes efforts, tous mes vœux les plus doui Vont à m'en rendre maître en dépit du jaloux; Et l'argent que de vous j'emprunte avec franchise N'est que pour mettre à bout cette juste entreprise. Vous savez mieux que moi, quels que soient nos effort», Que l'argent est la clef de tous les grands ressorts, Et que ce doux métal, qui frappe tant de tètes, En amour, comme en guerre, avance les conquêtes. Vous me semblez chagrin I Seroit-ce qu'en effet Vous désaporouveriez le dessein que j'ai fait?

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ACTE I, SCÈNE VI!. 444

ÀRNOI PIIE,

Non; c'est que je songeois...

HORACE.

Cet entretien vous lastt. Adieu. J'irai chez vous tan lot vous rendre grâce.

ARNOLPIIEj se croyant seul.

Ah! faul-il...l

HORACE, revenant.

Derechef, ^euilloz être discret; Et u' allez pas, de grâce, éventer mon secret.

ARNOLPHE, se croyant seul.

Que je sens dans mon ame... !

HORACE, revenant.

Et surtout à mon për«, Qui s'en feroit peut-être un sujet de colère.

ARNOLPHE, croyant qu'Horace revient encore

Ohl...

SCÈNE Vil. — ARNOLPHE, «ul.

Oh! que j'ai souffert durant cet entretieni Jamais trouble d'esprit ne fut égal au mien. Avec quelle imprudence et quelle iiàle extrême Il m'est venu conter cette affaire à moi-même! Bien que mon autre nom le tienne dans l'erreur, Étourdi montra-t-il jamais tant de fureur? Mais, ayant tant souffert, je devois me contraindre Jusques à m'éclaircir de ce que je dois craindre, A pousser jusqu'au bout son caquet indiscret, Et savoir pleinement leur commerce secret. Tâchons à le rejoindre; il n'est pas loin, je pense: Tirons-en de ce fait l'entière confidence. Je tremble du malheur qui m'en peut arriver, Et l'on cherche souvent plus qu'on ne veut trouver •,

' Cttte pensée se retrouve dans Amphitryon, :cte II, scène ni:

La foiblesse humaine est d'avoir

Des curiosités d'apprendre

Ce qu'on ne voiidroil pas savoir.

FIN DU PREMIER ACTE.

• 25.

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l'ÊCOLE DES FEMMES.

ACTE SECOND.

SCÈNE I. — ARNOLPHE, seul.

n m'esl, lorsquo j'y pense, avantageux sans doute D'avoir perdu mes pas, et pu manquer sa route : Car enfin de mon cœur le trouble impérieux N'eût pu se renfermer tout entier à ses yeux; Il eût fait éclater l'ennui qui me dévore, Et je ne voudrois pas qu'il ^ût ce qu'il ignore. Mais je ne suis pas homme à gober le morceau, Et laisser un champ libre aux yeux du damoiseau *. j'en veux rompre le cours, et, sans tarder, apprendre Jusqu'oïl l'intelligence entre eux a pu s'étendre • J'y prends pour mon honneur un notable intérêt; Je la regarde en femme, aux termes qu'elle en est; Elle n'a pu faillir sans me couvrir de honte. Et tout ce qu'elle fait enfin est sur mon compte. Éloignement fatal! voyage malheureux!

(Il Trappe à sa porU.)

SCÈNE II. - ARNOLPHE, ALAIN, GEORGETTE.

ALAIN.

Ah! monsieur, cette fois...

ARNOLPHE.

Paix. Venez çè tous deux. Passez là, passez là. Venez là, venez, dis-je.

GEORGETTE.

Ah! vous me faites peur, et tout mon saug se fige.

ARNOLPHE.

C'est donc ainsi qu'absent vous m'avez obéi?

Et tous deux, de concert, vous m'avez donc trahi?

GEORGETTE, tfimbant aux genoux d'Arnolphe.

Hé! ne me mangez, pas, monsieur, je vous conjure.

ALAIN, à pari.

Quelque chien enragé l'a mordu, je m'assure.

'TAt. El laisser un cbaDap 1 bre aux vaux du damorscas. [Prem^s'e éJi'ion.)

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ACTE II, SCÏÇNE II. 443

ARNOLPHE, à part.

Ouf! je lie puis parler, tant je suis prévenu; Je suffoque, et voudrois me pouvoir mellre nu.

(à Alain et à Georgette.)

Voua avez donc souffert, ô canaille maudite,

(à Alain qui veut s'e: fuir.)

Qu'un homme soit venu...? Tu veux prendre la fuite!

(à Georgette.)

Il faut que sur-le-champ... Si tu bouges... Je veux

(à Alain.)

Que vous me disiez... Euh ! oui, je veux que tous deux...

(Alain el Georgette se lèvent, et veulcol encore s'enfuir.)

Quiconque remuera, par la mort! je l'assomme. Comme est-ce que chez moi s'est introduit cet homme? Hé! pariez. Dépêchez, vite, promptement, tôt, Sans rêver. Veut-on dire?

ALAIN ET GEORGETTE.

Ahl ah!

GEOBGETTE, retoniliant aux genoux d'Arnolphe.

Le cœur me faut'f

ALAIN, retombanl aui genoux d'Arnolphe.

ie meurs.

AUNOLPIIE, à part.

Je suis en eau : prenons un peu d'haleine; Il faut que je m'évente et que je me promène. Aurois-je deviné, quand je l'ai vu petit, Qu'il cioîlroit pour cela? Ciel I que mon cœur pâtiti Je pense qu'il vaut mieux que de sa propre bouche Je tire avec douceur l'affaire qui me touche. Tâchons à modérer noire resseu liment. Patience, mon cœur, doucement, doucement.

(a Alain el a Georgette.)

Levez-vous, et, rentrant, faites qu'Agnès descende.

(à part.)

Arrêtez. Sa surprise en deviendroit moins grande: Du chagrin qui me trouble ils iroieut l'avertir,

' Faut, de faillir. De même de défaillir, défaut :

« Que si la frayeur nous saisit de sorte une le sang se glace si fort que tout | > coK^s tombe en défaillance, l'àme défaut eu même temps. > (Bossuet.)

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444 L'ÉCOLE DES FEMMES.

Et moi-même je veux l'aller faire sortir.

(:i Alain et à Georgette.)

Que l'on m'attende ici.

SCÈNE IIL — ALAIN, GEORGETTE.

GEORGETTE.

Mon Dieu, qu'il est terrible! Ses regards m'ont fait peur, mais une peur horriblej Et jamais je ne vis un plus hideux chrétien.

ALAIN.

Ce monsieur l'a fâché; je te le disois bien.

GEORGETTE.

Mais que diantre est-ce là, qu'avec tant de rudesse Il nous fait au logis garder notre maîtresse? D'où vient qu'à tout le monde il veut tant la cacher, Et qu'il ne sauroit voir personne en approcher?

ALAIN.

C'est que celte action le met en jalousie.

GEORGETTE.

Mais d'où vient qu'il est pris de cette fantaisie?

ALAIN.

Cela vient... Cela vient de ce qu'il est jaloux.

GEORGETTE.

Oui; mais pourquoi l'est-il? et pourquoi ce courroux?

ALAIN.

C'est que la jalousie... entends-lu bien, Georgette, Est une chose... là... qui fait qu'on s'inquiète... Et qui chasse les gens d'aulour d'une maison. Je m'en vais te bailler une comparaison, Afin de concevoir la chose davantage. Dis-moi, n'est-il pas vrai, quand tu tiens loa potage, Que si quelque affamé venoit pour en manger Tu serois en colère, et voudrois le charger?

GEORGETTE.

Oui, je comprends cela.

ALAIN.

C'est justement tout comme. La femme est en effet le potage de l'homme; Lil quand un homme voit d'autres hommes parfois Çui veulent dans sa soupe aller tremper leurs doigt»,

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ACTE II, SCÈNE IV. 44,'

n en montre aussitôt une colère extrême.

CEORGETTE.

Oui; mais pourquoi chacun n'en fait- il pas de même, Et que nous en voyons qui paroissent joyeux Lorsque leurs fenunes sont avec les biaux inousieux?

ALAIN.

C'est que chacun n'a pas cette amitié goulue Qui n'en veut que pour soi.

GEORGETTE.

Si je n'ai la berlue, Je le vois qui revient.

ALAIN.

Tes yeux sont bons, c'est lui.

GEORGETTE.

Vois comme il est chagrin.

ALAIN.

C'est Qu'il a de l'ennui. SCÈNE IV. - ARNOLPHE. ALAIN, GEORGETTE.

ARNOLrUE, à part.

Un certain Grec disoil à l'empereur Auguste, Comme une instruction utile autant que juste. Que lorsqu'une aventure en colère nous met. Nous devons, avant tout, dire notre alphabet. Afin que dans ce temps la bile se tempère. Et qu'on ne fasse rien que l'on ne doive faire*. J'ai suivi sa leçon sur le sujet d'Agnès, El je la fais venir dans ce lieu tout exprès. Sous prétexte d'y faire un tour de promenade, Afin que les soupçons de mon esprit malade Puissent sur le discours la mettre adroitement, Et, lui sondant le cœur, s'éclaircir doucement.

' € Atfeenodonis le philosophe estant fort vieil, Iiiy demanda congé ( à Au- » gutte) ie se pouvoir retirer en sa maison pour sa vieilles?e. Il luy donna; mais » en luy disant adieu, Athenodorus luy dit : Quand lu te sentiras courroucé, sire,

> nî dy r.y ne fais rien que premièrement tu n'ayes recité les vingt et quatre let-

> très de i'alphabel en toy niesme. C*sar ayant ony cest advertistement, le prd

> par la main, et luy dit : J'ay encore aOaire d« ta présence ; et le r«tiDt eneoi* » tpwt uo an, en luy disant •

» San' péril est 'e )oyor de silence. >

(Plut., Apoph- île- Rom.)

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450 L'ÉCOLE DES FEMMES.

SCÈNE V. - ARNOLPHE, AGNÈS, ALAIN. GEORGETTK.

ARNOLPHE.

enez, Agnès.

(4 Aiain et Georgcllc.)

Rentrez. SCÈNE VL — ARNOLPHE, AGNÈS.

AIîNOLPHE.

La promenade est belle.

AGNÈS.

Fort belle.

Le beau jour

ARNOLPHE.

AGNÈS.

Fort beau.

ARNOLPHE.

Quelle nouvelle?

AGNÈS.

Le petit chat est mort.

ARNOLPHE.

C'est dommage; mais quoil Nous sommes fous mortels, et chacun est pour soi. Lorsque j'élois aux champs, n'a-t-il point fait de pluie?

AGNÈS.

Non.

ARNOLPHE.

Vous ennuyoit-il?

AGNÈS.

Jamais je ne m'ennuie.

ARNOLPHE.

Qu'avez- vous fait encor ces neuf ou dix jours-cî?

AGNÈS.

Six chemises, je pense, et six coiffes aussi.

ARNOLPHE , après avoir un peu rivé.

Le nronde, chère Agnès, est une étrange chose I Voyez la médisance, et comme cliacun cause! Quelques voisins m'ont dit qu'un jeune homme inconnu Éto.t, on mon absence, à la maison venu; Que vous avita souffert sa vue et ses harangues

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ACTE II, SCENE V.'. 44"

Mais jo n'ai poinl pris foi sur ces méchantes langues, El l'ai voulu gager que c'cioii faussement...

ACNi:s. Mon Dieu I ne gagez pas, vous perdriez vraimeat.

ARNOLPIIE.

Quoi! «'est la vérité qu'un homme...?

AGNÈS.

Chose sûre. Il n'a presque bougé de thez nous, je vous jure.

AKNOLPIIE, bas, à part. Cet aveu qu'elle fait avec sincérité Me marque pour le moins son ingcnuilé.

(liant.)

Mais il me semble, Agnès, si ma mémoire est bonne, Que j'avois défendu que vous vissiez personne.

AGNÈS.

Oui; mais, quand je l'ai vu, vous ignoriez pourquoi; Et vous en auriez fait, sans doute, autant que moi.

AKNOLPnE.

Peut-être. Mais enfin contez-moi celte histoire.

AGNÈS.

Elle est fort étonnante, et difficile à croire.

J'élois sur le balcon à travailler au frais,

Lorsque je vis passer sous les arbres d'auprès

Un jeune homme bien fait, qui, rencontrant ma vue.

D'une humble révérence aussitôt me salue :

Moi, pour no" point manquer à la ci\ilité,

Je fis la révérence aussi de mon côté.

Soudain il me refait une autre révérence;

Moi, j'en refais de même une autre en diligence;

Et lui d'une troisième aussitôt reparlant.

D'une troisième aussi j'y repars à l'instant.

Il passe, vient, repasse, et, toujours de plus belle^

Me fait à chaque fois révérence nouvelle :

Et moi, qui tous ces tours fixement regardois,

Nouvelle révérence aussi je lui rendois :

Tant que, si sur ce point la nuit ne fût venue,

Toujours comme cola je me serois tenue.

Ne voulant point céder, ni recevoir l'ennui

Qu ij me pût estimer moins civile que lui.

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448 L'ÉCOLE DES FEMMES.

ARNOLPHE.

Fort bien.

ACNftS.

Le lendemain, étant sur noire porte, Une vieille m'aliorcle, en parlant de lu sorte : - « Mon enfant, le bon Dieu puisse-l-il vous bénir*, » Et dans tous vos attraits longtemps vous maintenir! » H ne vous a pas faite une belle personne, I Afin de mal user des choses qu'il vous donne; » Et vous devez savoir que vous avez blessé » Un cœur qui de s'en plaindre est aujourd'hui forcé. »

ARNOLPHE, -à part.

Ah ! suppôt de Satan! exécrable damnée!

AGNÈS.

Moi, j'ai blessé quelqu'un? fis-je tout étonnée.

« Oui, dit-elle, blessé, mais blessé tout de bon;

» Et c'est l'homme qu'hier vous vîtes du balcon. »

Hélasl qui pourroit, dis-je, en avoir été cause?

Sur lui, sans y penser, fis-je choir quelque chose?

(I Non, dit-elle; vos yeux ont fait ce coup fatal,

» Et c'est de leurs regards qu'est venu tout son mal. •

Hé! mon Dieu! ma surprise est, fis-je, sans seconde,

Mes yeux ont-ils du mal, pour en donner au monde?

« Oui, fit-elle, vos yeux, pour causer le trépas,

1» Ma fille, ont un venin que vous ne savez pas.

N En un mot, il languit le pauvre misérable;

» Et s'il faut, poursuivit la vieille charitable,

» Que votre cruauté lui refuse un secours,

» C'est un homme à porter en terre dans deux jours. •

Mon Dieu! j'en aurois, dis-je, une douleur bien grande.

Mais pour le secourir qu'est-ce qu'il me demande?

« Mon enfant, me dit-elle, il ne veut obtenir

« Que le bien de vous voir et vous entretenir;

' Ce vers est imité d"^ Rpgnier. Dans sa seizième satire, la vieille UaceUe, q^ »ent corrompre la maîtresse du poOle. débute amsi :

Ha lille, Dieu vous garde, et vous veuille bénir I Il y a dans le discours de Macetf! un autre trait imité par Molière, dix>«ept ers pliu loin :

Vous ne pouvez savoir tous les coups que vous faites;

Et les traits «le vos yeux, haut et bas élancés,

Belle, ne vo>cnl pas tous ceux que vous blessez. (BreU)

I

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ACTE II, SCENE VI. 449

» Vos yeux peuvent eux seuls empêcher sa ruine, » El du mal qu'ils ont fuit éire la médecine. » Hélas! volontiers, dis-je; et, puisqu'il est ainsi, Il peut, tant. qu'il voudra, me venir voir ici*.

AUNOLPHE, à part.

Ahl sorcière maudite, empoisonneuse d'ames, Puisse l'enfer payer tes charitables trames!

AGNÈS.

Voilà comme il me vit, eî reçut guérison. Vous-même, à votre avis, n'ai-jc pas eu raison? Et pouvois-je, après tout, tivoir la conscience De le laisser mourir faute d'une assistance? Moi qui compatis tant aux gens qu'on fait souffrir, El ne puis, sans pleurer, voir un poulet mourir !

ARNOLPIIE, bas, à part.

Tout cela n'est parti que d'une aine innocente; Et j'en dois accuser mon absence imprudente, Qui sans guide a laissé celte bonté de mœurs Exposée aux aguets des rusés séducteurs. Je crains que le pendard, dans ses vœux téméraires, Uii peu plus fort que jeu n'ait poussé les affaires.

AGNÈS.

Qu'avcz-vous? Vous grondez, ce me semble, un petil". Est-ce que c'est mal fait ce que je vous ai dit?

AUNOLPHË.

Non. J^ais de cette vue apprenez-moi les suites,

' CetlG scène et quelques-uns de ses principaux traits sont imite's d« Scarron. Une femme dans le genre de celle lionl il est ici qucblinn, débute en cherchant à attendrir la personne qu'elle veut séduire. Elle lui oITie îles pierreries. < Ah I

> madame, lui dit Lame, j'ai tout ce que vous dites, que je neiaisou le mettre. > — Puis(iuc cela est, ropmidil l'ambassadrice de Satan, et que vous ne vous

> souciez pas qu'il vous régale, souiïrez au moins qu'il vous visite. — Qu'il U

> fasse, à la bonne heure, dit Laiire; personne ne l'en empêche. Alora la vieilla

> lui prit les mains, et les lui baisa ci nt fois, lui disant qu'elle alloit donner la

> vie à ce pauvre gentilhomme, qu'elle avoit laissé demi-mort. — Et pourquoiT

> s'ccria Laure tout eiïrayée. — C'est vous qui l'avez lué, lui dit alors la vieille

> Lame devint pâle comme si on l'eût convaincue d'un meurtre, et alloit pro- » lester de son innocence, si la niëcbanle femme, qui ne jugea pas à propot

d'éprouver davantage son ignorance, ne se fût sépa ée d'elle, lui jetant les Lrat

au cou, et l'assurant que le malade n'en mnurioit pas. > (Scarron, Précaution

tiutile, p. 83.) — On peut voir pour le déxeloppcmint complet du caractère i'une ambassadrice de Satan, d'une exécrable damnée, comme disei.t Scarron et Molière, le rôle à'Apollonie, àins l'Eniremelteuie maladroite (MACHIAVEL, OËupres Ji(Jiiraj>M, Paris, Cliarpenlier, 18.M, page 115).

' Un petit, c'est-a-dire ui» peu. On dit encore un petit peu.

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ihO L'ECOLE DES FEMMES.

Et comme le jeune homme a passé ses visites.

AGNES,

Hélas! si vous saviez comme il éloit ravi, Comme il perdit son ma! sitôt que je le vi, Le présent qu'il m'a fait d'une belle cassette, Et l'argent qu'en ont eu notre Alain et Georgette, Vous l'aimeriez sans doute, et diriez comme nous'a^

ARNOLPHE.

Oui ; mais que faisoit-il étant seul avec vous?

AGNÈS.

Il disoit qu'il m'aimoit d'une amour sans seconde^, Et me disoit des mots les plus gentils du monde, Des choses que jamais rien ne peut égaler, El dont, toutes les fois que je l'entends parler, La douceur me chatouille, et là-dedans remue Certain je ne sais quoi dont je suis tout émue.

ARNOLPHE, bas, à part.

fâcheux examen d'un mystère fatal. Où l'examinateur souffre seul tout le mal!

(haut.)

Outre tous ces discours, loules ces gentillesses, Ne vous faisoit-il point aussi quelques caresses?

AGNÈS.

Oh tant! il me prenoit et les mains et les bras, Et de me les baiser il n'étoit jamais las.

ARNOLPIIE.

Ne vous a-t-il point pris, Agnès, quelque autre chose?

(la voyant interdite.) Ouf!

AGNÎ'S.

Hél il m'a...

ARNOLPHE.

Quoi?

AGNÈS.

Pris...

ARNOLPHE.

Euh !

AGNÈS.

Le...

Ce Irait est encore 'mile de Scarron. [Précaution inutile, p. ••) ' Var. Il jurait qu'il m'aiinnit d'une amour sans secpo-le.

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ACTi: iJ, SCKNE VI, At)i

ARNOLPIIE

Plaît-il?

AGNÈS.

Je Q^ose, Et vous vous fâcherez peut-être contre moi,

ARNOLPHE.

Non.

AGNÈS.

Sif^»

ARVOLPIIE.

Vrn» T)iou I non.

AGNÈS.

Jurez donc votre foi*.

ARNOLPHE.

Ma foi, soit.

AGNÈS.

Il m'a pris... Vous serez en colère.

ARNOLPIfE.

Noo.

AGNÈS.

Si.

ARNOLPHE.

Non, non, non, non. Diantre! que de mystère! Qu'est-ce qu'il vous a pris?

AGNÈS.

II...

ARNOLPHE, ipïrt.

Je souffre en danmé.

AGNÈS.

11 m'a pris le ruban que vous m'a\icz donné^.

' Dans le Jaloux d'Estramaiiure, nouvelle de Cervantes imitée par Scarron, la jeune Lconore consent à recevoir un joneur (l'instrument, à conOilion qu'il \»Tcra de ne prétendre à rien de e.e qui pourrait déplaire; car^ dit-elle, quand il aura juré, nous U tiendrons. Celte naïveté 3 peut être inspire à Molière l'idée du serment ([n'Agnes exige d'Arnolphe. (Aime Martin.)

' < Je ne vois rien de si riilicule que celte délicatesse d'honneur qui prend ■

> tout en mauvaise p:irl, donne un sens criminel aux plus innocentes paroles, et » s'olTense de l'ombre des choses. Il y avoit l'autre jour des femmes à cette co' » mcdv', v?s-à-vis de la lope où nous étions, qni, par les mines qu'elles affec.

  • tèrent durant tonte la pièce, leurs délournemenls de tête et leurs cachcmenti

» de visage, lirent dire de tous cotés cent s"Uises de leur cnniluite, que l'oo

> n'auroit pas ditrs sans cela; et quelqu'un même des la^iais cria tout haut

> qu'ellosclfijent plus chastes des oreilles que de tout ler«su du corBs.> (MOLIÈRE, CrittQut de l'ÉcoU des Femmes, sccae m.)

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452 L'ECOLE DES FEMMES.

A vous dire le vrai, je n'ai pu m'en dcfendre.

Ar.NOLPIIE, reprenant lialeine.

Passe pour le ruban. Miiis je voulois apprendre S'il ne vous a rien fait que vous baiser les brasu

AGNÈS.

Commentl esl-ce qu'on fait d'autres choses?

ARNOLPHE.

Non pas* Mais, pour guérir du mal qu'il dit qui le possède, N"a-t-il point exigé de vous d'autre remède?

AGNÈS.

Non. Vous pouvez juger, s'il en^eûl demandé, Que pour le secourir j'aurois tout accordé.

ARNOU'HE, bas, à part.

Grâce aux bontés du ciel, j'en suis quitte à bon compte: Si j'y retombe plus, je veux bien (ju'on m'affronte.

(haut.)

Chut. De votre innocence, Agnès, c'est un effet; Je ne vous en dis mot. Ce qui s'est fait est fait. Je sais qu'en vous flattant le galant ne désire Que de vous abuser, et puis après s'en rire.

AGNÈS.

Ohl point. Il me l'a dit plus de vingt fois à moi.

ARNOLPHE.

Ah ! vous ne savez pas ce que c'est que sa foi. Mais enfin apprenez qu'accepter des cassettes, Et de ces beaux blondins écouter les sornettes; Que se laisser par eux, à force de langueur, Baiser ainsi les mains et chatouiller le cœur. Est un péché mortel des plus gros qu'il se fasse.

AG^ÈS.

Un péché, dites-vous? Et la raison, de grâce?

ARNOLPHE.

La raison? La raison est l'an et prononcé Que par ces actions le ciel est courroucé.

AGNÈS.

Courroucé! Mais pourquoi faut-il qu'il s'en courroucef C'est une chose, hélas! si plaisante et si douce! J'admire quelle joie on goûte à tout cela; Et je ne savois point encor ces choses-là.

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ACTE II, SCÈNE VI. 4.')3

ARNOLPHE.

Oui, c'esl un grand plaisir que toutes ces tendresses, Ces propos si gentils, et ces douces caresses; Mais il faut le goûter en toute honnêteté, Et qu'en se mariant, le crime en soit ôlé.

AGNÈS.

N'esl-ce plus un péché lorsque l'on se marie?

ARNOLPHE.

Non.

AGNÈS.

llariez-moi donc proniptement, je vous prie.

ARNOLPHE.

Si VOUS le souhaitez, je le souliaite aussi; Et pour vous marier on me rexoit ici.

AGNÈS.

Elst-il possible?

ARNOLPHE.

Oui.

AGNÈS.

Que vous me ferez aisel

ARNOLPHE.

Oui, je ne doute point que l'hymen ne vous plaise.

AGNÈS.

Vous nous voulez, nous deux...

ARNOLPHE.

Rien de plus assuré.

AGNÈS.

Que, si cela se fait, je vous caiesserai! "

ARNOLPHE.

Hél la chose sera de ma part réciproque.

AGNiîS.

Je ne reconnois point, pour moi, quand on se moque, Parlez- vous tout de bon?

ARNOLPHE.

Oui, \ous le pourres voir.

AGNES.

Nous serons mariés?

AUfOLPHE.

Oui.

Ar.NÈS.

Mais quand?

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434 L'ECOLE DES lEilMES.

ARNOLPHE.

Dès ce soir.

AGNÈS, riant.

Dès ce soir?

ARNOLPHE.

Dès ce soir. Cela vous fait donc rire?

AGNÈS.

Oui.

ARNOLPHE.

Vous voir bien contente est ce que je desir«.

AGNÈS.

Hélas I que je vous ai grande obrigation, Et qu'avec lui j'aurai de salisfaclion I

ARNOLPHE.

Avec qui?

AGNÈii,

Avec... Là...

ARNOLPHE.

Là... Là n'est pas mon connpte A choisir un mari vous êtes un peu prompte. C'est un autre, en un mot, que je vous tieus tout prêt. Et quant au monsieur là, je prétends, s'il vous plaît, Dût le mettre au tombeau le mal dont il vous berce, Qu'avec lui désormais vous rompiez tout commerce; Que, ■venant au logis, pour votre compliment. Vous lui fermiez au nez la porte honnêtement; Et lui jetant, s'il heurte, un grès par la fenêtre, L'obligiez tout de bou à ne plus y paroître. M'entendez-vous, Agnès? Moi, caché dans un coin,, De votre procédé je serai le témoin.

AGNÈS.

Lasl il est si bien fait! C'est...

ARNOLPHE.

Ahl que de langage!

AGNÈS.

Je n'aurai pas le cœur...

ARNOLPHE.

Point de briut davantage. Montez là-haut.

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ACTE III, SCENE I. 455

AGNÈS.

Mais quoi 1 voulez- vous...

ABNOLPUE.

C'est assei. Je suis maître, je parle ; allez, obéissez.

rlN DU SECOND ACTE.

\

ACTE TROISIÈME.

SCÈiSE I. - ARNOLPHE, AGNÈS, ALAIN, GEORGETTR.

ARNOLPUE.

Oui, tout a bien été, ma joie est sans pareille :

Vous avez là suivi mes ordres à merveille,

Confondu de tout point le blondin séduclcur;

Et voilà de quoi sert un sage directeur.

Votre innocence, Agnes, a\oit été surprise:

Voyez, sans y penser, où vous vous étiez mise.

Vous enfiliez tout droit, sans njon instruction.

Le grand chemin d'enfer et de perdition.

De tous ces damoiseaux on sait trop les coutumes :

lis ont de beaux canons, force rubans et plumes,

Grands cheveux, belles dents, et des propos fort douxj

Mais, comme je vous dis, la gi iffe est là-dessous;

Et ce sont vrais salans, dont la gueuie altérée

De l'honneur féminin cherche à faire curée :

Mais, encore une fois, grâce au soin apporté,

Vous en êtes sortie avec honnêteté.

L'air dont je vous ai vu lui jeter cette pierre.

Qui de tous ses desseins a mis l'espoir par terre,

Me confirme encor mieux à ne point différer

Les noces où je dis qu'il vous faut préparer.

Mais, avant toute chose, il est bon de vous faire

Quelque petit discours qui vous soit salutaire.

(à Georgette et à A laie.)

Un siège au frais ici. Vous, si jamais en rien..»

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4L6 L'ÉCOLE DES FEiMMES.

GEORCETTE.

De toutes vos leçons nous nous souviendrons bien. Cet autre monsieur-là nous en faisoil accroire; Mais...

ALAIN.

S'il entre jamais, je veux jamais ne boire. Aussi bien est-ce un sot; il nous a l'aulre i'ois Donné deux écus d'or qui n'étoieiit pas de poids.

ARNOLPHE.

Ayez donc pour souper tout ce que je désire; El pour notre contrat, comme je viens de dire, Faites venir ici, lun ou l'autre, ^u retour, 1*4 notaire qui loge au coin de ce carfour.

SCÈNE II. — ARNOLPHE, AGNÈS.

ARNOLPHE, assis.

Agnès, pour m'écou ter, laissez là votre ouvrage: Levez un peu la télé, et tournez le visage :

(Mitlaiu le doigt sur son fropt.)

Là, regardez-moi là durant cet entretien;

El, jusqu'au moindre mot, imprimez-le-vous bien.

Je vous épouse, Agnès ; et, cent fois la journée,

Vous devez bénir l'heur de votre destinée,

Contempler la bassesse où vous avez été,

El dans le même temps admirer ma bonté,

Qui, de ce vil état de pauvre villageoise,

Vous fait mouler au rang d'houorable bourgeoise,

Lt jouir de la couche et des embrassemenls

D'un homme qui fuyoit tous ces engagements,

Et dont à vingt partis, fort capables de plaire.

Le cœur a relusé l'honneur qu'il veut vous faire.

Vous devez toujours, dis-je, avoir devant les yeux

Le peu que vous étiez sans ce nœud glorieux,

Afin que cet objet d'autant mieux vous instruise

A mériter l'elat où je vous aurai mise,

A toujours vous coniioitre, et faire qu'à jamais

Je puisse me louer de lacté que je fais.

Le mariage, Agnès, n'est pas un badinagc :

A d'austères devoirs le rang de fennne engage';

' Don PeOrc se ni.t dans uiU' ctialse, 6l teair sa lemine debout, et lui M CM

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ACTE III, SCENE II. 457

Et TOUS n'y montez pas, à ce que je prétends,

Pour être libertine et prendre du bon temps.

Voire sexe n'est là que pour la dépendance :

Du tôle do la barbe est la foute-puissance.

Dien qu'on soit deux moitiés de la société,

Ces deux moitiés pourtant n'ont point d'égalité :

L'une est moitié suprême, et l'autre subalterne;

L'uiîe en tout est soumise à l'autre qui gouVeriK ;

Ll ce que le soldai, dans son devoir instruit,

Montre d'obéissance au chef qui le conduit,

Le valet à son maître, un enfant à son père,

A son supérieur le moindre petit frère,

N'approche point encor de la docilité.

Et de l'obéissance, et de l'humilité.

Et du profond respect où la femme doit être

Pour son mari, son chef, son seigneur, et son maître*.

Lorsqu'il jette sur elle un regard sérieux,

Son devoir aussitôt est de baisser les yeux, "^

Et de n'oser jamais le rej.arder on face.

Que quand d'un doux regard il lui veut faire grâce.

C'est ce qu'entendent mal les femmes d'aujourd'hui;

Mais ne vous gâtez pas sur l'exemple d'autrui.

Gardez-vous d'imiter ces coquettes vilaines

Dont par toute la ville on chante les fredaines,

Et de vous laisser prendre aux assauts du malin.

C'est-à-dire d'ouir aucun jeune bloudin.

Songez qu'en vous faisant moitié de ma personne,

C'est mon honneur, Agnès, que je vous abandonne,

Que cet honneur est teudre, et se blesse de peu.

Que sur un tel sujet il ne faut pouit de jeu;

paroles, ou d'autres encore plus impeitinouies : >t Vous êtes ma femme, dont |'es-

> pcrc que j'aurai njel de louer Die , tant que unus vivrons en^olllb|p. Metlez-

> vous hiuDdans I' ««prit ce que je oi'eu vais vous dire, et l'observezoxacleineiil tant » que vous vivrei, et dt peur d'olleuser Diku, et de peur de me déplaire. A toiilet

> ces paroles dorées, rinoncente Laiire ra:»oil de grandes réveieuce» a propos ou

> non, et regardoit son mari entre deux )eui, aussi tiinideuient qu'un écolier

> DOiivea» fait un pédant impérieux. Savez-vous, couliniia don Pedre, la vie que

  • doivent mener les personnes mariées? Je ne !a sais pas, lui repnndit Lame, lai-

> sant une révérence plus ba-;se que toutes les aiilies; mais apprenez-la-moi, el

> je la retiendrai comme Atei Maria. £l puis, autre révérence. > (Scarron, la Précaution ir.uf«7e.)

' * Lesdevoiib de la femme sont de rendre Uonnonr, révérence el respect à sou mari, comme à son malslre et bon teii;neur. > (Chahkon, De la Sayetse, liv. lli, «liap. XII, Du Devoir de» mariiu'i

1. 2G

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4o8 L'ECOLE DEb FEMMES.

Et qu'il est aux enfers dos cliaudièros houilltintcs

Où l'on plonge à jamais les feniines mal vivantes*.

Ce que je vous dis là ne sonl point des chansons;

Et vous devez du cœur dévorer ces leçons.

Si votre ame les suit, et fuit d'être coquette,

Elle sera toujours, comme un lis, blanche et nette;

Mais s'il faut qu'à l'honneur elle fasse un faux bood,

Elle deviendra lors noire comme un charbon;

Vous paroîtrez à tous un objet effroyable,

Et \ous irez un jour, vrai partage du diable,

Bouillir dans les enfers à toute éternité,

Dont veuille vous garder la céleste bonté!

Faites la révérence. Ainsi qu'une novice

Par cœur dans le couvent doit savoir son office,

Entrant au mariage il en faut faire autuit;

Et voici dans ma poche un écrit iinporlant.

Qui vous enseignera l'office de la fenmie.

J'en ignore lauleur : mais c'est quelque bonne ame;

Et je veux que ce soit votre unique entretien.

(Il se lève.)

Tenez. Voyons un peu si vous le lirez bien.

AGNÈS lil.

LES MAXIMES DU MARIAGE, OU LES DEVÛIttS DE L.4 FEMME MARIÉE,

AVEC SON EXERCICK JOURNALIER '*. PREMIÈRE UAXIME.

Celle qu'un lien honnête Fait entrer au lit d'autrui

■ IfoK^e a répondu lui-même, dans la Crt(t9u« dt V École de» Femmu, à ceui ^ai l'accusoient de tourner, dans ce discours, la religion en ridicule. < Pour ie • discours moral, dit-il, qne vous appelez un sermon, il est certam que de vraii

> dévots, qui l'ont ouï, n'ont pas trouvé qu'il choquât ce que vous dites ; et uni

> doute que ces parolu d'enfer et de chaudière» bouillantes soûl tsscï justinées

> par l'extravagance d'ArnolpIie, et par l'innocence de celle à qui il parle. »

' Dans l'Évangile des quenouilles, petit livre du quinzième siècle, Fauteur r*» piesenie plusieurs dames, tonnes voisities et amte$, assemblées pour li'cr pendant 61 jouruées, et qui tiennent des propos joyeui sur toutes les matières. Dame Tsangrine commence la première journée par plusieurs maximes sur la conJuile f ue \è\ maris doiveul tenir avec leurs femmes. Il csl possib'c que ce livre ail in> spire i Uuliere l'idée des maximei du mariage. (A'me Martin.)

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ACTE m, SLE^E If.

Doit se mettre dans la tète,

Malgré le train d'aujourd'liui, Que riiomme qui la prend ne la prend que pour lui.

ARNOLPUE.

Je vous expliquerai ce que cela veut dire;

Mais pour l'heure présente il ne faut rien que lire.

AGNES poursuit.

DEUMÈHE MAXIME.

Elle ne se doit parer

Qu'autant que peut désirer.

Le mari qui la possède : C'est lui que touche seul le soin de sa beauté; Et pour rien doit être compté Que les autres la trouvent laide.

TROISIÈ.ViE MAXIME.

Loin ces études d'œillades, Ces eaux, ces blancs, ces pommades, Et mille ingrédients qui font des teints tlcuris : A l'honneur, tous les jours, ce sont drogues mortelles j Et les soins de paroitre belles Se prennent peu pour les maris.

QVATRKÈMI MAXIME.

Sous sa coiffe, en sortant, comme l'honneur l'ordoone^ Il faut que de ses yeux elle étouffe les coups;

Car, pour bien plaire à son époux.

Elle ne doit plaire à personne.

CINQUIÈHS MAXIME.

Hors ceux dont au mari la visite se rend, La bonne règle défend De recevoir aucune ame : Ceux qui de galante humeur N'ont affaire qu'à madame N'accommodent pas monsieur.

SIXIÈME MAXIMB.

«U faut des présents des homtnet

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46U L'ECOLE DES FEMMES.

Qu'elle se défende bien ;

Car, dans le siècle où nous somme*.

On ne donne rien pour rien.

SEPTIÈME MAXIME.

Dans ses meubles, dût-elle en avoir de l'ennui, V ne faut écriloire, encre, papier, ni plumes:

Le mari doit, dans les bonnes routumeSi

Écrire tout ce qui s'écrit chez lui.

HUITIEME MAXIME.

Ces sociétés déréglées, Qu'on nomme belles assemblées, Des femmes tous les jours corrompent les e&prits. En bonne politique on les doit interdire; Car c'est là que l'on conspire Contre les pauvres maris.

NEUVIÈME MAXIME.

Toute femme qui veut à l'honneur se vouer Doit se défendre de jouer. Comme d'une chose funeste;

Car le jeu, fort décevant,

Pousse une femme souvent

A jouer de tout son reste.

DIXIÈME MAXIUK.

Des promenades du temps. Ou repas qu'on donne aux champs, Il ne faut point qu'elle essaie. Selon les prudents cerveaux, Le mari, dans ces cadeaux', Est toujours celui qui paie.

ONZIÈME MAXIME

ARNOLPHE.

Vous achèverez seule; et, pas à pas, tantôt

'Dîners de campagne, comme Molière l'explique lui-môme dans lef denxpr^ miers vers de celle dixirro<- maxime. Ce mot revient plusieur* foi* duu >otrt tuteur. (Voir F. Gênin, Lexique, etc.]

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ACTE III, SCÈNE III.

Je vous expliquerai ces choses comme il faut.

Je me suis souvenu d'une petite affaire :

Je n'ai qu'un mot à dire, et ne tarderai guère.

Rentrez, et conservez ce livre chèrement.

Si le notaire vient, qu'il m'attende un momeuL

SCÈNE III. — ARNOLPHE, seuL

Je ne puis faire mieux que d'en faire ma femme.

Ainsi que je voudrai je tournerai cette ame;

Comme un morceau de cire entre mes mains elle est.

Et je lui puis donner la forme qui me plait.

Il s'en est peu fallu que, durant mon absence,

On ne m'ait attrapé par son trop d'innocence;

Mais il vaut beaucoup mieux, à dire >érité,

Que la femme qu'on a pèche de ce côté.

De ces sortes d'erreurs le leujède est facile.

Toute personne simple aux leçons est docile;

Et, si du bon chemin on l'a fait écarter,

Deux mots incontinent l'y peu\ent rejeter.

Mais une femme habile est bien une autre bêle:

Notre sort ne dépend que de sa seule tèle,

De ce qu'elle s'y met rien ne la fait gauchir*.

Et nos enseignements ne font là que blanchir;

Son bel esprit lui sert à railler nos maximes,

 se faire souvent des vertus de ses crimes.

Et trouver, pour venir à ses coupables Ocs,

Des détours à duper l'adresse des plus fins.

Pour se parer du coup en vain on se fatigue :

Une femme d'esprit est un diable en intrigue;

Et, dès que son caprice a prononcé tout bas

L'arrêt de notre honneur, il faut passer le pas :

Beaucoup d'honuètes gens en pourroient bien que dire.

EnOa mon étourdi n'aura pas lieu d'en rire,

Par son trop de caquet il a ce qu'il lui faut.

Voilà de nos François l'ordinaire défaut :

Dans la possession d'une bonne fortune.

Le secret est toujours ce qui les importune;

Et la vanilé sotte a pour eux tant d'appas,

Qu'ils se pendroient plutôt que de ne causer pat.

'Gatie^tr, au piopre. allorà gauche; au figuré, s'écarter, «e détiartlr.

26.

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46^2 I/ÈCOLE DES FEMMES.

Oh! que les femmes sont du diable bien teniét-s. Lorsqu'elles vont choisir ces tètes éventées! El que... Mais le voici... Cachons-nous toujours bien. Et découvrons un peu quel chagrin est le sien.

SCÈNE IV. — HORACE, ÂRNOLPHE.

HORACE-

Je reviens de chez vous, et le destin me montre

Qu'il n'a pas résolu que je vous y rencontre.

Mais j'irai tant de fois, qu'enfin quelque moment...

ARNOLPHE.

Hé! mon Dieu, n'entrons point dans ce vam complimenll Rien ne me fâche tant que ces cérémonies; Et, si Ton m'en croyoit, elles seroient bannies. C'est un maudit usage, et la plupart des gens Y perdent sottement les deux tiers de leur temps.

(Il se couvre.)

Mettons donc sans façon ^ Hé bien ! vos ai.iourettes ?

Puis-je, seigneur Horace, apprendre où vous en êtes?

Tétois tantôt distrait par quelque vision;

Mais depuis là-dessus j'ai fait réflexion.

De vos premiers progrès j'admire la vitesse,

Et dans l'événement mou ame s'intéresse^.

HORACE.

Ma f(H, depuis qu'à vous s'est découvert mon cœur, Q ect à moD amour arrivé du malheur.

ARNOLPHE.

Ohl oh! comment cela?

q*RACE.

La fortune cruelle A ramené des champs le patron de la belle.

ARNOLPHE.

Quel malheur I

HORACE.

Et de plus, à mon très grand regret,,

  • Mutont donc tan» ^of on, ponr m$Uon$ ttont notrt chapeau. On :o '.rouv« ua

MCond exemple daoi la sc^oe U du Mariagt forte.

  • Ici Molière t'inspire en m^me temps, pour les situations, de Scarron rt M

Knp&role. Voir le* Facétieuses nuits du docteur Straparole, IV' nuit, t. I» I^.SS4> L* FouUiM a luiv uue doouee analogue daot le A'ailr* «n dr^tt

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ACTE III. SCENE IV. 46a

U a su de nous deux le coinincrce secret'.

ARNOLPnE.

D'où diantre a-t-il sitôt appris celte aventuref

nORACE.

Je ne sais ; mais enfin c'est une chose sûre.

Je pensois aller rendre, à mon heure à peu pré»,

Ma petite visite à ses jeunes attraits,

Lorsque, changeant pour moi de ton et de visage,

Et servante et valet m'ont bouché le passage,

Et (l'un « Retirez-vous, vous nous importunez, »

M'ont assez rudement fermé la porte au ne*.

ARNOIPHE.

La porte au nezC

HORACE.

Au nez.

ARNOI-PllE.

La chose est un peu forte.

nORACE.

Tai voulu leur parler au travers de la portej Mais à tons mes propos ce qu'ils ont répondu, C'est, (I Vous n'entrerez point; monsieur l'a défendu. »

ARNOLl'HE.

Ils n'ont donc point ouvert?

HORACE.

Non. El de la fenêtre Agnès m'a confirmé le retour de ce maître, En me chassant de là d'un ton plein de fierté, Accompagné d'un grès que sa main a jeté.

ARNOLPIIE.

Comment I d'un grès?

HORACE.

D'un grès de taille non petite, Dont on a par ses mains régalé ma visite^.

ARNOI.PIIE.

Dianlrel ce ne sont pas des prunes que cela!

'Le commerce de nous, pour notre eommerit^

• Les gens ili> ipialité clisinnl de c<lle scouc : < U» s<'s dans une comcdic, » ma foi, cola est bmi. Cnmiiifiil dialiir com|)iondro <ni*mio jriino lillo jclle m « girs? car ce «iit'oii appillo iin gros rsl mi pavé (pi'iiiio fciniiio peiil à pc:iio sou- > le\er. Aniolplicotoil bien des amis du ci>niiniss:iii(>, de f;iiio pleuvoir impiiiit- » ment ilesures par la lenèlre en pi' in jour! D [La Guerre ivmiqu*, ou la l>c«  fenst de rÉcol'i :>'Femrr.es, oar le sieur de ta Croix, p. 33 ,' (4ia« Marlia.)

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464 L'ECOLE DES FEMMES.

Et je Irouve fâcheux l'état où vous voilà.

HORACE.

Il est vrai, je suis mal par ce retour funeste.

AUNOLPHE.

Certes, j'en suis fâché pour vous, je vous prétest*»

HORACE.

Cet homme me rompt tout.

ARNOLPHE.

Oui ; mais cela u'est riea, Et de vous raccrocher vous trouverez moyen.

HORACE.

Il faut bien essayer, par quelque Tn tel licence, De vaiucre du jaloux l'exacte vigilance.

ARKOLIMIË.

Cela vous est facile; et la fille, après tout, Vous aime?

HORACE.

Assurément.

ARNOLPHE,

Vous en viendrei à bout.

HORACE.

Je l'espère.

ARNOLPHE.

Le grès vous a n>is en déroute; Mais cela ne doit pas vous étonner.

HORACE.

Sans doute; Et j'ai compris d'abord que mon homme éloit là, Qui, sans se faire voir, conduisoit tout cela. Mais ce qui m'a surpris, et qui va vous surpreudr». C'est un autre incident que vous allez entendre; Un trait hardi qu'a fait cette jeune beauté, Et qu'on n'attendroit point de sa simplicité. îl le faut avouer, l'Amour est un grand maître : Ce qu'on ne fut jamais, il nous enseigne à l'être; Et souvent de nos mœurs l'absolu changement Devient par ses leçons l'ouvraye d'un moment. De la nature en nous il force les obstacles, Et ses effets soudains ont de l'air des miracles. D'un avare à l'instant il fait un libéral, Un vaillant d'un poltron, un civil d'un brutal;

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ACTE m. SCENE IV.

Il rend agile ft tout l'âme la plus pesnnte, Et donne de l'espiit à la plus innocente*. Oui, ce dernier iniiacle éclate dans Agnès; Car, tranchant avec moi par ces termes exprèS; « Retirez-vous, mon ame aux visites renonce; » Je sais tous vos discours, et voilà ma répons*]. Cette pierre ou ce grès dont vous vous étonniei Avec un mol de lettre est tombée à mes pieds; Et j'admire de voir celte lettre ajustée Avec le sens des mots, et la pierre jetée. D'une telle action n'êtes-vous pas surpris? L'Amour sait-il pas l'art d'aiguiser les esprits? Et peut-on me nier que ses flammes puissantes Ne fassent dans un cœur des choses étonnantes? Que dites-vous du tour et de ce mot d'écrit? Euh! n'admirez-vous point cette adresse d'esprit? Trouvez-vous pas plaisant de voir quel persounage A joué mon jaloux dans tout ce badinage? Uilcs.

ARNOLPHE.

Oui, fort plaisant.

HORACE.

Riez-en donc un peu.

(Arnolpbe rit d'uo air force.)

Cet homme, gendarmé d'abord contre mon feu. Qui chez lui se retranche, et de grès fait parade. Comme si j'y voulois entrer par escalade; Qui, pour me repousser, dans son bizarre effroi. Anime du dedans tous ses gens contre moi, El qu'abuse à ses yeux, par sa machine même. Celle qu'il veut tenir dans l'ignorance extrême! Pour moi, je vous l'avoue, encor que son retour En un grand embarras jolie ici mon amour, Je tiens cela plaisant- autant qu'on sauroit dire:

  • Lt Fontaine a dit aprè« (Tôlière I

Le jeune Amour, bien qu'il ait la façoo

D'un dieu qui n'est encor qu'à sa leçon,

Fut de tout icm|is grand faiseur de miracle! :

En gens coquets il change les Calons;

Par lui les sots deviennent des oracles;

Par lui les loups deviennent des moutons:

U fait si bieo qu Vun o'eH »lus te même, elo.

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466 L'ËCOLE DLiS FKAIJiES.

Je ne puis y songer sans de bon oœur eu rire; Et vous n'en riez pas assez, à mon avis.

ARKOLPHE, avec un rii foroé.

Pardonnez-moi, j'en lis lout autant que je puifl.

HOnACE.

Mais il faut qu'en ami je vous montre sa lettre. Tout ce que son cœur sent, sa main a su l'y mettre, Mais en termes touchants et tout pleins de bonté, De tendresse innocente, et d'ingénuilc; De la manière enfin que la pure nature *

Exprime de l'amour la première blessure.

ARNOLPIIE, bat, à part.

Voilà, friponne, à quoi l'écrilure te sert;

Et, contre mon dessein, l'art t'en fut découvert.

HORACE lit.

« Je veux vous écrire, et je suis bien en peine par où je » m'y prendrai. J'ai des pensées que je desirerois que vous » sussiez; mais je ne sais comment faire pour vous les dire, 1) et je me défie de mes paroles. Comme je commente à con- » noîlre qu'on m'a toujours tenue dans l'ignorance, j'ai peur 1) de mettre quelque chose qui ne soit pas bien, et d'en dire » plus que je ne devrois. En vérité, je ne sais ce que vous » m'avez fait, mais je sens que je suis fâchée à mourir de M ce qu'on me fait faire contre vous, que j'aurai toutes les » peines du monde à me passer de vous, et que je serois bien » aise d'être à vous. Peut-être qu'il y a du mal à dire cela; » mais enfin je ne puis m'empccher de le dire, et je vou- » drois que cela se put faire sans qu'il y en eût. On me dit » fort que tous les jeunes hommes sont des trompeurs, qu'il » ne les faut point écouter, et que (oui ce que vous me dites

■ n'est que pour m'abuser; mais je vous assure que je n'ai I pu encore me figurer cela de vous, et je suis si touchée de

■ vos paroles, que je ne saurois croire qu'elles soient men-

• teuses. Dites-moi franchement ce qui en est : car enfin,

• comme je suis sans malice, vous auriez le plus grand tort

• du monde si vous me Irompirz ; et je pense que j'en mour- » rois de déplaisir*. »

ARSOLPilE, i jiart.

HonI chienne!

' Comparei tettî lettre à ceUe d'Uabelle <<ao> rÉcoU des Maris.

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ACTE 111, SCEiNE V, iO:

nORiCE.

Qu'avez- vous?

ARXOLPHE.

Moi ? rien. C'est que je tousse.

HORACE.

Avez vous jamais vu d'expression plus douce? iialgi'é les soins maudits d'un injuste pouvoir, Un plus beau naturel se peul-il faire voir? Et n'est-ce pas sans doute un crime punissable. De gâter njéchammeiit ce fond d'ame admirable; D'a\oir, dans l'ignorance et la stupidité, Voulu de cet esprit étouffer la clarté? L'amour a connnencé d'en déchirer le voile; Et si, par la faveur de quelque bonne étoile, Je puis, comme j'espère, à ce franc animal, Ce traître, ce bourreau» ce faquin, ce brutal...

ARNOLPBE.

Adieu.

HORACE.

Comment] si vile!

ARNOLPHE.

Il m'est dans la peosév Venu tout maintenant une affaire pressée.

HOUACE.

Mais ne sauriez-vous point, comme on la tient de pré%

Qui dans celle n»aison pourroit avoir accès?

J'en use sans scrupule; et ce n'est pas merveille

Qu'on se puisse, entre amis, servir à la pareille'.

Je n'ai plus là-dedans que gens pour m'observer;

Et servante et valet, que je viens de trouver,

N'ont jamais, de quelque air que je m'y sois pu prendre,

(Vdouci leur rudesse à me vouloir entendre.

l'avois pour de tels coups certaine vieille en maii ^

D'un génie, à vrai dire, au-dessus de l'humain :

Kilo m'a dans l'abord servi de bonne sorte;

àlais, depuis quatre jours, la pauvre femme est morte.

Ne me pourriez-vous point ouvrir quelque moyen?

ARNOLPHE.

Non vraiment; et sans moi vous en trouvères bien.

^ À la pareille, c'esl-à-dire d'uDe façon pareille, ù charge de rfyanche

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168 L'ÉCOLE DES FEMMES.

HORACE.

Adieu donc. Vous voyez ce que je vous conûe.

SCÈNE V. — AUNOLPHE. «ni.

Comme il faut devant lui que je me niorlifiel Quelle peine à cacher mon déplaisir cuisant 1 Quoi! pour une innocente un esprit si présent! Elle a feint détre telle à mes yeux, la traîlress*^ Ou le diable à son ame a soufllé cette adresse. Enfin, me voilà mort par ce funeste écrit. Je vois qu'il a, la traître, empaurné son esprit, Qu'à ma suppression il s'est ancré chez elle; Et c'est mon désespoir et ma peine mortelle. Je souffre douhlement dans le vol de son cœur; Et l'amour y pâtit aussi bien que l'honneur. J'enrage de trouver celte place usurpée, Et j'enrage de voir ma prudence trompée. Je sais que, pour punir son amour libertin, Je n'ai qu'à laisser faire à son mauvais destioj Que je serai \engé d'elle par elle-même : Mais il est bien fâcheux de peidre ce qu'on airnt,^ Ciel! puisque pour un choix j'ai tant philosophé. Faut-il de ses appas m'étre si fort coiffé! Elle n'a ni parents, ni suppoit, ni richesse; Elle trahit mes soins, mes boutés, ma temlresse; Et cependant je l'aime, après ce lâche tour, Jusqu'à ne me pouvoir passer de cet amour. Sot, n"as-lu point de honte? Ah! je crève, j'enrage Et je souffletlerois mille fois mon visa^je. Je veux entrer un peu, mais seulement pour voir Quelle est sa contenance après un trait si noir. Ciel ! faites que mon front soit exempt de disgrâce; Ou bien, s'il est écrit qu'il faille que |'y passe, Donnez-moi tout au moins, pour de tels accident^ JLa constance qu'on voit à de certaines geusl

ru DD TKOUIKMS àCt*.

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ACTli: iV, SCENE ï.

ACTE QUATRIÈME.

SCÈNE I. — ARNOLPIIE, 8«i.

J'ai peine, je l'avoue, à demeurer en place,

Et de mille soucis mon esprit s'embarrasse,

Pour pouNoir mettre un ordre et dedans et dehor».

Qui du godelureau rompe tous les efforts.

De quel œd la Irailiesse a soutenu ma vue!

De tou' ce qu'elle a fait elle n'est point émue;

Et, bi-^d quelle me mette à deux ddij^ls du trépas.

On diroit, à la \oir, qu'elle n'y louche pas.

Plus, en la regaidant, je la voyois tranquille,

Plus je senlois en moi s'écliaufler une bile;

Et ces bouillants transports dont s'endannuoit mon cœur

Y sembloient ledoubler mon amoureuse ardeur.

J'élois aigri, fàclie, désespéré conlie elle;

Et cependant jamais je ne la vis si belle,

Jamais ses yeux aux miens n'ont paiu si perçants,

Jamais je n'eus pour eux des desiis si pressants;

El je sens là-dedans qu'il faudra (|Uf j<' crève.

Si de mou triste sort la disgrâce sacliéve.

Quoi! j'aurai dirigé son éducalion

Avec tant de tendresse et de prccaulion;

Je l'aurai fait passer cl ez moi dés son enfance,

Et j'en aurai chéri la plus tendre espérance;

Mou cœur auia bâti sur ses attraits naissants,

Et cru la mitonner pour moi durant tieize ans,

Afin qu'un jeune fou dont elle s'amourache

Me la vienne enle\er jusque sur la moustache,

Lorsqu'elle est avec moi mariée à demi !

Non, parbleu! non, parbleu! Petit sot, mon ami,

Vous aurez beau tourner, ou j'y perdrai mes peines

Du je rendiai, ma foi, vos espérances vaines,

£t de moi tout à fait vous ue vous rirez point.

27

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4T0 L'ECOLE DES FEMMES.

SCENE IL — UN NOTAIRE, ARNOLPHE.

LE NOTAIRE.

Ah! le voilà! Bonjour. Me voici tout à point Pour dresser le contrat que vous souhaitez faire.

AltNOLPHE , se croyant seul, et sans voir di entendre le noUtat.

Comment faire?

LE NOTAIRE.

Il le faut dans la forme ordinaire.

ARNOLPHE, se croyant seul.

A mes précautions je veux songer de près.

LE NOTAIRE.

Je ne passerai rien contre vos intérêts.

ARNOLPHE, se croyant seul.

Il se faut garantir de toutes les surprises.

LE NOTAIRE.

Suffit qu'entre mes mains vos affaires soient mise» Il ne vous faudra point, de peur d'être déçu. Quittancer le contrat que vous n'ayez reçu.

ARNOLPHE, se croyant seul.

J'ai peur, si je vais faire éclater quelque chose, Que de cet incident par la ville on ne cause.

LE NOTAIRE.

Hé bien! il est aisé d'empêcher cet éclat, Et l'on peut en secret faire volfe contrat.

ARNOLPHE, se croyant seul.

Mais comment faudra-t-il qu'avec elle j'en sorte?

LE NOTAIRE.

Le douaire se règle au bien qu'on vous apporte.

ARNOLPHE, se croyant seul.

Je l'aime, et cet amour est mon grand embarras.

LE NOTAIRE.

On peu! avantager une femme en ce cas.

ARNOLPHE, se croyant seul.

Quel traitement lui faire en pareille aventure?

LE NOTAIRE.

L'ordre est que le futur doit douer la future

Du tiers du dot qu elle a '; mais cet ordre n'est rien.

' Cela signifie que si usefomme apporte soixante mille livres de dot, «lie 4e. »ïo r vingl mille livres r^ douaire.

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ACTE IV, SCÈNE II. 47*

Et Ton va plus avant lorsque l'on le veut bien.

ARNOLPHE, se et 3) anl seul.

Si...

(Il aperçoit le aotain.) lE NOTAIRE.

Pour le préciput, il les regarde ensemble. Je dis que le futur peut, comme bon lui semble, Douer la fulure.

ARNOLPHE.

Hé?

LE NOTAIRE.

Il peut l'avankiger Lorsqu'il l'aime beaucoup, et qu'il veut l'obliger; Et cela par douaire, ou prélix qu'on appelle*, Qui demeure perdu par le trépas d'icelle; Ou sans retour, qui va de ladite à ses boirs; Ou coutumier, selon les différents vouloirs; Ou par donation dans le contrat formelle, Qu'on fait ou pure ou simple, ou qu'on fait mutuelle Pourquoi hausser le dos? Est-ce qu'on parle en fat, Et que l'on ne sait pas les formes d'un contrat? Qui me les apprendra? personne, je piésume. Sais-j{' pas qu'étant joints on est par la coutume Communs en meubles, biens, immeubles et conquèts, A moins que par un acte on n'y renonce exprès? Sais-je pas que le tiers du bien de la fulure Entre en ccmmuuauté pour...?

ARNOLPHE.

Oui, c'est chose sûre, Vous savez tout cela; mais qui vous en dit mot?

LE NOTAIRE.

Vous, qui me prétendez faire passer pour sot, En me haussant l'épaule et faisant la grimace.

ARNOLPHE.

La peste soit fait l'homme, et sa chienne de facel Adieu. C'est le moyen de vous faire finir.

LE NOTAIRE.

Pour dresser un contrat m'a-t-on pas fait venir?

' L" diiiiaire prolix est celui que chaque conjoint assigne à sa volonlé. La Jouïiix^ Kutumiur est celai qui est orduuneet élabli par la coulume.

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L'ECOLE DES FEMMES.

AUNOr-PME.

Oui, je vous ai mandé ; mais la chose est remise, Et l'on vous mandera quand l'heure sera prise. Voyez quel dia<ble dlioinme avec son entrelien I

LE NOTAIRE, «eul.

Je pense qu'il en tient; et je crois penser bien,

SCÈNE III. — LE NOTAIRE, ALAIN. GEORGETTE.

LE NOTAIRE, allant au-devant d'Alaio et de Georgette.

M'êles-vous pas venu quérir [)oiir votre maître?

ALAIM

Oui.

LE NOTAIRE.

J'ij^nore pour qui vous le pouvez conaoitre; Mais allez de ma part lui dire de ce pas Que c'est un fou lieffé.

CrORGETTE.

Nous n'y manquerons pas. SCÈNE IV. — ARNOLPHE, ALAIN, GEORGETTE.

ALAIN.

Monsieur...

ARNOLPHE.

Approchez-vous; vous êtes mes fidèles, Mes bons, mes vrais amis; cl j'en sais des nouvelles.

ALAIN.

Le notaire...

ARNOLPHE.

Laissons, c'est pour quelque autre jour. On veut à mon honneur jouer d'un mauvais tour; Et quel affront pour vous, mes enfants, pourroil-ce être. Si l'on avoit ôte Ihonneur à votre maître! Vous n'oseriez après paroîlre en nul endroit; El chacun, vous voyant, vous monlrcroit au doigt. Donc, puisque autant que moi l'affaire vcus regarde, 11 faut de votre part faire une telle garde, Que ce galant ne puisse en aucune façon., ,

GEORGETTE.

Vous noua avez tantôt montré notre leçon.

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ACTE iV, SCÏ-NE IV. 473

ARNOLPIIE.

Mais à ses beaux discours gaulez bien de vous rendre.

ALAIN.

Oh vraiment...!

GEORr.PTTr.

Nous savons comme i! faut s'en défendre.

ARNOLPHE.

S'il venoit doucement: Alain, mon pauvre cœur, Par un peu de secours soulage ma langueur!

ALAIN.

Vous êtes un sot.

ARNOLPnE.

(à GenrjjeUe.)

Bon. Geoigede, ma mignonne, Ta me parois si douce et si bonne personne.. .

GEOIiGITTE.

Vous êtes un nigaud.

ARNOU'HE. (à Alnin.)

Bon. Quel ma! trouve*-ta Dans un dessein honnête et tout plein de vertu?

ALAIN,

Vous êtes un fripon.

AnNOLT'nr.

(à Georgetle.)

Fort bien. Ma mort est sûre, Si tu ne prends pitié des peines que j'endure.

GEOnOETTE.

Vous êtes un benêt, un impudent,

ARNOLPHE

Fort bien

(à Alain.)

Je ne suis pas un homme à vouloir rien pnur rien; Je sais, q'iaiid on me sert, en garder la mémoire : Cependant, par avance, Alain, voilà pour boire; Et voilà pour t'avoir, fieorgelle, un colilion,

(Ils tendent tniis deux la main, et prennent l'argenL)

Ce n'est de mes bienfaits qu'un simple échantillou. Toute la courtoisie enfin dont je vous presse. C'est que je puisse voir votre belle maîtresse.

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474 L'ÉCOLE DES FEMMES.

GEORGETTE, le pouvant

A d'autres.

ARNOLPHE

Bon cela.

ALAIN, le poussant Hors d'ici.

ARNOLPHE.

Bon.

GEORGETTE, le poussant.

Mais (ôt.

ARNOLPHE.

Bon. Holàl c'est assez.

GEORGETTE.

Fais-je pas comme il faut?

ALAIN.

Est-ce de la façon que vous voulez l'entendre?

ARNOLPHE.

Oui, fort bien, liors l'argent qu'il ne falloit pas prendre»,

GEORGETTE.

Nous ne nous sommes pas souvenus de ce point.

ALAIN.

Voulez-vous qu'à l'instant nous recommencions?

ARNOLPHE.

Point Suffit. Rentrez tous deux.

ALAIN.

Vous n'avez rien qu'à dire.

ARNOLPHE.

Non, vous dis-je; rentrez, puisque je le désire; Je vous laisse l'argent. Allez : je vous rejoins. Ayez bien l'œil à tout, et sicondez mes soins.

SCÈNE V. — ARNOLPHE, teai.

le veux, pour espion qui soit d'exacte vue, l'renilie le savetier du coin de notre rue. Dans la maison toujours je prétends la tenir, Y faire bonne garde, et surtout en bannir

' Molière doit l'idée de celte scène à une pièce Italienne intitulée Pantalon, faloux. (Cailbavu.)

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ACTE IV, SCKtml VI. 4

Vptitlciises de rubans, perruqnières, coiffeuses. Faiseuses de mouchoirs, ganlièies, ie\_.. Icuses, Tous ces gens qui sous main lra\ailli'nt chaque jour A faire réussir les mystères d'amour'. Enfin j'ai vu le monde, et j'en sais les finesses. II faudra que mon honmie ail de giandos adresses, Si message ou poulet de sa part peut entrer.

SCÈNE VI. — HORACE, ARNOLPHE.

HORACE.

La place m'est heureuse à vous y rencontrer.

Je viens de l'échapper bien belle, je vous jure.

•Au sortir d'avec nous, sans prévoir l'aventure,

Seule dans son balcon j'ai vu paroître Agnès,

Qui des arbres prochains prenoit un peu le frais.

Après ni'avoir fait signe, elle a su faire en sorte,

Descendant au jardin, de m'en ouvi ir la porte;

Mais à peine tous deux dans sa chambre étions-nous,

Qu'elle a sur les degrés entendu son jaloux;

Et tout ce qu'elle a pu, dans un tel accessoire'*,

C'est de me renlérmcr dans une grande armoire.

Il est entré d'abord : je ne le voyois pas,

Mais je l'oyois marcher, sans rien dire, à grands pas.

Poussant de temps en temps des soupirs pitoyables,

Et donnant quelquefois de grands coups sur les tables,

Frappant un petit chien qui pour lui s'émouvoit,

Et jetant brusquement les bardes qu'il Irouvoit.

Il a même cassé, d'une main mutinée,

Des vases dont la belle ornoit sa cheminée;

Et sans doute il faut bien qu'à ce becque cornu*

Du Irait qu'elle a joué quelque jour soit venu.

Enfin, ôprès cent tours, ayant de la manière

Sur ce qui n'en peut mais* déchargé sa colère,

' Ces détails sont emprunids à Scorron : « Sa principale profession ëtoit d'étr* » conciliatrice des volontés, possédant éminemment tontes les ronditioDS requises

> à celles qui veulent s"en acquitter, comme d'èlie perruqiiiere. revendeuse, dis-

> tillatrice, d'avoir quantité de secrets pour l'embellissement du corps hu-

> main, etc. >

' Être en accessoire, suivant Nicot, signifie être en danger.

' Becque eorriu est une imilation du mot italien heecn, qui signifie boue. (Bret.1

• Mats, du latin mayis, plus, davantage; vieux mol dont on se sert encore

dans quelques provinces : je n'en puis mais ; je l'aime mais que loi. (Ménaae.l

— Holière s'est encore servi de ce mot dans la grande icène du cinquième acte

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476 L'ECOLE DES FEMMES.

Mon jaloux inquiet, sans dire son ennui,

Est sorti de la chambre, et moi, de mon étui*.

Nous n'avons point voulu, de peur du personnage,

Risquer à nous tenir cnseuibie davantage;

C'éloit trop iiasarder : mais je dois, cetle nuit,

Dans sa cliambre un peu lard m'introduire sans bruit.

En toussant par trois fois je me ferai connoître;

Et je dois au signal voir ouvrir la fenêtre,

Dont, avec une échelle, et secondé d'Agnès,

Mon amour tâchera de me gagner l'accès.

Comme à mon seul ami je veux bien vous l'apprendre.

L'allégresse du ccpur s'augmente à Iji répandre;

Et, goùtât-on cent fois un bonheur tout parfait,

On n'en est pas content si quelqu'un ne le sait.

Vous prendrez part, je pense, à l'heur de mes affaire».

Adieu. Je vais songer aux choses nécessaires.

SCÈNE VIL — ARNOLPIIE, «eul.

Quoi 1 l'astre qui s'obstine à me désespérer

Ne me donnera pas le temps de respirer!

Coup sur coup je verrai, par leur intelligence,

De mes soins vigilants confondre la prudence!

Et je serai la dupe, en ma maturité,

D'une jeune innocente et d'un jeune éventé !

En sage philosophe on m'a vu, vingt années,

Contempler des maris les tristes destinées,

El m'inslruire avec soin de tous les accidents

Qui font dans le malheur tomber les plus prudents;

Des disgrâces d'autrui profilant dans mon ame,

J'ai cherché les moyens, voulant prendre une femme,

5)e pouvoir garantir mon front de tous affronts.

Et le tirer de pair d'avec les autres fronts;

Pour ce noble dessein, j'ai cru mettre en pratique

Tout ce que peut trouv-er l'humaine politique;

Et, comme si du sort il étoit arrêté

Que nul homme ici-bas n'en sennt exempté,

Après l'expérience et toutes les lumières

Que j'ai pu m'acquérir sur de telles matière»,

Après vingt ans et plus de méditation

' Ce récit est imité de Straparole, IV* Buit.

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ACTE ÎV, SCENE VlII.

PtHir nip condiiire en tout avec précaution, De tant d'aulies maris j'amois quille la trace, Pour nie trouver après dans la même disjjrace! Ah 1 bourreau de destin, \ous en aurez menti. De l'objet qu'on poursuit je suis encor nanti; Si son cœur m'est volé par ce blondin funeste. J'empêcherai du moins qu'on s'empare du reste; Et cette Quit, qu'on prend pour cc> gabinl exploit, Ne se passera pas si doucement qu'on croit. Ce m'est quelque plaisir, parmi tant de tristesse, Que l'on me donne a\is du piège qu'on me dresse, Et que cet étourdi, qui veut m'eire fatal, Fasse son confident de son propre rival.

SCÈNE VHI. — GHRYSALDE, ARNOLPHE.

ciinYSAi.nE. Hé bien ! souperons-nous avant la promenade?

ARNOLPHE.

Non. Je jeûne ce soir.

CHUYSALDE.

D'où vient celle boutade?

ARNOLPHE.

De grâce, excusez-moi, j'ai quoique au Ire embarras.

CniîYS't.UE.

Votre hymen résolu ne se fera-t~il pas?

ARNOLPHE.

C'est trop s'inquiéter des affaiies des autres.

CHRYSALOE.

Ohl oh! si brusquement I ^ufls chagrins sont les vôtres?

Seroit-il point, compère, à votre passion

Arrivé quelque peu de tribulation?

Je le jurerois presque, à voir votre visage.

ARNOLPHE.

Quoi qu'il m'arrive, au moins aurai-je l'avantage

De ne pas ressembler à de certaines gens

Qui soulfrent doucement l'approche des galants.

CnRYSALDE.

C'est un étrange fait, qu'avec tant de lumières Yous vous effarouchiez toujours sur ces matières, Qu'en cela vous mettiez le souverain bonheur,

27.

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47h L'ÉCOLE TES FEMMES.

Et ne conceviez point au monde d'autre honneur.

Être avare, brutal, fourbe, méchant, et lâche.

N'est rien, à votre avis, auprès de cette tache;

Et, de quelque façon qu'on puisse avoir vécu,

On est homme d'honneur quand on n'est point cocu.

A le bien prendre au fond, pourquoi voulez-vous croire

Que de ce cas fortuit dépende notre gloire,

Et qu'une aine bien née ait à se reprocher

l/injusiice d'un mal qu'on ne peut empêcher?

Pourquoi voulez-vous, dis-je, en prenant une femnw,

Qu'on soit digne, à son choix, de louange ou de blânne,

Kt qu'on saille former un monstre plein d'effroi

De l'affront que nous fait son mairquement de foi?

iMeltez-vous dans l'esprit qu'on peut du cocuage

Se faire en galant homme une plus douce image;

Que, des coups du hasard aucun n'étant garant,

Cet accident de soi doit èlre indifférent,

Et quenfin tout le mal, quoique le monde glose,

N'est que dans la façon de recevoir la chose :

Et, pour se bien conduire en ces difficultés,

Il y faut, comme en tout, fuir les extrémités.

N'imiter pas ces gens un peu trop débonnaires

Qui tirent vanité de ces sortes d'affaires.

De leurs femmes toujours vont citant les galants,

En font partout l'éloge, et prônent leurs talents,

Témoignent avec eux d'otioites sympathies,

Sont de tous leurs cadeaux, de toutes leurs parties,

Et font qu'avec raison les gens sont étonnés

De voir leur hardiesse à montrer là leur nez.

Ce procédé, sans doute, est tout à fait blâmable;

Jlais l'aulre extrémité n'est pas moins condamnable.

Si je n'approuve pas ces amis des galants,

Je ne suis pas aussi pour ces gens turbulents

Dont l'imprudent chagrin, qui tempête et qui gronde,

Attire au bruit qu'il fait les yeux de tout le monde,

El qui, par cet éclat, semblent ne pas vouloir

Qu'aucun puisse ignorer ce qu'ils pouvent avoir.

Entre ces deux pai lis il en csl un honnête,

Où, dans l'occasion, l'homme prudent s'arrête;

Et, quand on le sait prendre, on n'a point à rougir

Du pis dont une feiniuû avec nous Duisse agir.

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ACTE IV, SCÈNE VIII. 47d

Quoi qu'on en puisse dire enfin, le cociinge Sous des tiails mofns affreux aiséinenl s'euvisagej Et, comme je vous dis, toute l'habileté Ne va qu'à le savoir tourner du bon côté.

ARNOLPHE.

Après ce beau discours, toute la confrérie Doit uu reniercienjenl à votre seigueuiie; Et quiconque voudra vous entendie parler Montrera de la joie à s'y voir eniôlcr.

CURVSAI.DE.

Je ne dis pas cela ; car c'est ce que je blâme : Mais comme c'est le sort qui nous donne une femme, Je dis que Ton doit faire ainsi qu'au jeu de dés, Où, s'il ne vous \icnt pas ce que vous domaudei, il faut jouer d'adresse, et d'une ame réduite, Corriger le hasard par la bonne conduite.

ARNOLPUE.

C'est-à-dire dormir et manger toujours bien, Et se persuader que tout cela n'est rien.

CHUVSALDE.

Vous pensez vous moquer; mais, à ne vous rien feindre.

Dans le monde je vois cent choses plus à craindre,

El dont je me ferois un bien plus grand malheur

Que de cet accident qui vous fait tant de pour.

Pensez-vous qu'à choisir de deux choses prescrites,

Je n'aimasse pas mieux être ce que vous dites,

Que de me voir mari de ces femmes de bien

Dont la mauvaise humeur fait un procès sur rien,

Ces dragons de vertu, ces honnêtes diablesses,

Se retianchant toujours sur leurs sages prouesses.

Qui, pour un peljt tort qu'elles ne nous fout pas,

Prennent droit de traiter les gens de haut en bas,

Et veulent, sur le pied de nous être fidèles,

s^ue nous soyons tenus à tout endurer- d'elles?

Ëncoio un coup, conjpère, apprenez (juen effet

Le cocuage n'est que ce que l'on li^ fait;

Qu'on peut le souhaiter pciur de certaines causes,

El, qu'il a ses plaisirs connue les autres choses',

• Ces plai^aiilcrips, (|iii oiitéli- spvfri-incfa bl:'llllop^, se lioiivpnl. ((iidul a l'idét pivmicie, ilaiis Italielais ut lîr.iiiluM.e. « Il ii'r.i |ia>, ilii Kabi'Iais, coqiiu qui » \ciill ; si lu es coijuu, enjo la I. imiie sera belle; eryo lu sera* bien traictf

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480 L'ECCLE DES FEMMES;

ATîNOLPIFE,

Si vous êles d'humeur à vous en contenter, Quant à moi, ce n'est pas la mienne d'en tâter; Et, plutôt que subir une telle aventure...

cnnvsALDE. Mon Dieul ne jurez point, de peur d'être parjura» Si le sort l'a réglé, vos soins sont siiperdus, Et l'on ne prendra pas voire avis là-dessus.

ARNOLPHE.

Moi, je serois cocu ?

CHRYSALDE.

Vous voilà l)ien malade I Mille gens le sont bien, sans vous lairo bravade. Qui de mine, de cœur, do biens et de maison, Ne feroient avec nous nulle comparaison.

ARNOLPHE.

Et moi, je n'en voudrois a\ec eux faire aucuoA. Mais cette raillerie, en un mol, m'importune; Brisons là, s il vous plail.

CHRYSALDE.

Vous êles en courroux 1 Nous en saurons la cause. Adieu. Souvenez-vous, Quoi que sur ce sujet voire honneur vous inspire. Que c'est être à demi «e que Ton vient de dire, Que de vouloir jurer qu'on ne le sera pas.

ARNOLà'HE.

Moi, je le jure encore, et je \ais de ce pas Contre cet accident trouver un bon remède.

(Il court heurter à n porto.)

SCÈNE IX. — ARNOLPHE. ALAIN, GEORGETTE.

ARNOLPHE.

Mes amis, c'est ici que j'implore votre aide.

Je suis édifié de voire allirlion;

Mais il faut qu'elle éclahM'n celte occasion ;

> d'elle ; ergo lu auras des ami> iiiviiicmip ; ergo m si-ras sauve. » — « Quand bm V femme, dit à son Uinr Biam.imr, .-si un peu calante, elle se reud plus aisée, » plus siiliiecle, plus dneili-, i-iainli' e. .1 de plus itniic. el agrealile titiinour, plui

> buiJible el plus pniiiipli- a lanr inii ce (pie Ih mari leiil, el lui ccnnlescend en

> tout, comme j'en al M-n phiN.rni'. iriU'» .pu irnsi-iii nnnnler, ni cner, ni faira

> des caricatures, <|i- pein que l(iii> nui is »e les uicuaceiil de leur» fiutet : Ivaâ

> elles fout ce t)UC leurs nuiris vein lent. »

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ACTE IV, SCÈNE IX. 48i

Et, SI vous m'y servez selon ma confiance, Vous êtes assures de votre recompense. L'homme que vous savez (n'en faites point de bruit) Veut, comme je l'ai su, m'altraper celle nuit, Dans la chambre d'Agnès entrer par escalade; Mais il hii faut, nous trois, dresser une embuscade. Je veux que vous preniez chacun un bon bâlon. Et, quand il sera près du dernier éciielon (Car dans le temps qu'il faut j'ouvrirai la fenêtre), Que tous deux à l'envi vous me chargiez ce traître. Mais d'un air dont son dos (yaide le souvenir, Et qui lui puisse apprendre à n'y plus revenir; Saus me nommer poui tant en aucune manière, Ni faire aucun semblant que je serai derrière. Aurez-vous bien l'esprit de seivir mon courroux?

ALVIN

S'il ne tient qu'à frapper, mon Dieu ! tout est à nous. Vous verrez, quand je bats, si j'y vais de main morte.

GEORGETTE.

La mienne, quoique aux yeux elle semble moins forte, N'en quitte pas sa part à le bien étriller.

ARNOLPHE.

Rentrez donc ; et surtout gardez de babiller.

(seul.) Voilà pour le prochain une leçon utile; Et si tous les maris qui sont en celle ville De leurs femmes ainsi recevoienl le galact, Le nombre des cocus ne seroit pas si grané.

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482 L'ÉCOLE DES FEMMES.

ACTE CINQUIÈME.

SCÈNE I. — ARNOLPHE, ALAIN, GEORGETTl.

ARNOLPnE.

l'raîircs! qu'avez-vous fait par celte violence?

ALAIN.

Nous VOUS avons rendu, monsieur, obéissance.

ARNObPHE.

De cette excuse en vain vous voulez vous armer; L'ordre étoit de le battre, et non de l'assommer; Et c'éfoit sur le dos, et non pas sur la télé, Que j'avois commandé qu'on fît choir la fompête. Ciel! dans quel accident me jelle ici le sort! Et que puis-je résoudre à voir cet homme mort? Rentrez dans la maison, et gardez de rien dire De cet ordre innocent que j'ai pu vous prescrire.

(seul.)

Le jour s'en va paroître, et je vais consuKer Comment dans ce malheur je me dois comporter. Hélas! que deviendrai-je? et que dira le père, Lorsque inopinément il saura cette affaire?

SCÈNE IL — HORACE, ARNOLPHE.

HORACE, à part.

H faut que j'aille un peu reconnoîtie qui c'est

ARNOLPHE, se croyant seuJ.

Eût-on jamais prévu..

(Heurté par Horace, qu'il ne reconnoU pM)

Qui va là, s'il vous plaît?

HORACE.

C'est vous, seigneur Arnolphe?

ARNOLPHE.

Oui. Mais vous...?

HORACE.

C'est Horacflb Je m'en allois chez vous vous prier d'une grâce.

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ACTE V, SCENF. 11. i85

Vous sortez bien matin !

ARNOI.PHE.

Quelle confusion! Est-ce un enchantement? est-ce une illusion f

HORACE.

J'étois, h dire vrai, dans une grande peine;

Et je bénis du ciel la boulé souveraine

Qui fait qu'à point nommé je vous rencontre aiuil*

Je viens vous avertir que tout a roussi,

Et même beaucoup plus que je n'eusse osé dire,

Et par un incident qui devoit tout détruire.

Je De sais point par oii l'on a pu soupçonner

Cette assignation qu'on m'a voit su donner;

Mais, étant sur le point d'atteindre à la fenêtre,

l'ai, contre mon espoir, vu quelques gens paioîlr*,

Qui, sur moi brusquement levant chacun le bras,

M'ont fait manquer le pied et tomber jusqu'en bas,

Et ma chute, aux dépens de quelque meurtrissure,

De vingt coups de bâton m'a sauvé l'aventure.

Ces gens-là, dont étoit, je pense, mon jaloux

Ont imputé ma chute à leffoi t de leurs coups;

Et comme la douleur, un assez long espace,

M'a fait sans remuer demeurer sur la place.

Ils ont cru tout de bon qu'ils m'avoient assommé,

Et chacun d'eux s'en est aussitôt alarmé.

J'entendois tout leur bruit dans le profond silence :

L'un l'autre ils s'accusoient de cette violence;

Et, sans lumière aucune, en querellant le sort,

-Sont venus doucement tâter si j'étois mort.

le vous laisse à penser si, dans la nuit obscnre,

J'ai d'un vrai trépassé su tenir la figure.

Ils se sont retirés avec beaucoup d'effroi;

Et, comme je songeois à me retirer, moi,

Oe celte feinte mort la jeune Agnès émue

Avec empressement est devers moi venue :

Car les discours qu'entre eux ces gens avoient tenu

Jusques à son oreille éloient d'abord venus;

Et, pendant tout ce trouble étant moins observée.

Du logis aisément elle s'étoit sauvée;

Mais, me trouvant sans mal, elle a fait éclater

Un transport difficile à bien représenter.

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L ECOLE l)Lb FEMMES.

Que vous dirai-jc riifin? Celle aimable personn»

A suivi les conseils que son amour lui donne,

N'a plus voulu songer à retourner chez soi,

El de (oui son destin s'est commise à ma foi.

Considérez un peu, par ce liait d'innocence,

Où l'expose d'un fou la haute impertinence.

Et quels fâcheux périls elle pourroit courir,

Si j'étois maintenant homme à la moins chérir.

Mais d'un trop pur amour mon ame est embrasée;

J'aimerois mieux mourir que l'avoir abusée :

Je lui vois des appas dijjues d'un autre sort,

Et rien ne m'en sauroit séparer que la mort.

Je prévois là-dessus l'emportement d'un père;

Mais nous prendrons le temps d'apaiser sa colère.

A des charmes si doux je me laisse emporter,

Et dans la vie enfin il se faut contenler.

Ce que je veux de vous, sous un secret fidèle,

C'est que je puisse mettre eu vos mains celte belle;

Que dans votre maison, en faveur de mes feux,

Vous lui donniez retraite au moins un jour ou deux.

Outie qu'aux yeux du mande il faut cacher sa fuite,

Et qu'on en pourroit faite une exacte poursuite,

Vous savez qu'une fille aussi de sa façjon

Donne avec un jcu.ie homme un étrange soupçon;

Et comme c'est à vous, sûr de voire prudence.

Que j'ai (ut de mes feux entière confidence,

C'est à vous seul aussi, comme ami généreux,

Que je puis confier ce dépôt amoureux.

ARNOLI'HE.

Je suis, n'en doutez point, tout à votre senrioe.

IIOIIACE.

Vous voulez bien me rendie un si charmant office?

ARNOLIMIE.

Très volontiers, vous dis-je; et je me sens ravir De cette occasion que j'ai de vous servir. Je rends gra'es au ciel de ce qu'il me l'envoie, Et n'ai jamais rien fait avec si grande joie.

HORACE.

Que je suis redevable à toutes nos bontés! J'avois de votre part craint des difficultés: Mais vous êtes du monde; et, dans votre sagesse,

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i^CTr T, SCENE IHr 48.1

Vous savez excuser le feu do la jeunesse.

Vn de mes Rcns la parde au coin de ce détour.

AUNOLPIIE.

Mais comment ferons-nous? car il fait un peu jour Si je la prends ici, l'on me veira peul-èire; Et, s'il faut que chez moi vous veniez à paroître, Des valets causeront. Pour jouer au plus sûr, 11 faut me l'amener dans un lieu pins obscur. Mon allée est commode, et je l'y vais attendre,

HORACE.

Ce sont précautions qu'il est fort bon de prendre. Pour moi, je ne ferai que vous la melire en main, El chez moi sans éclat je retourne soudain.

ARNOI.PME, seul.

Ah! fortune, ce trait d'aventure propice Mépare tons les maux que m'a faits ton caprice!

(Il s'enveloppe le nez de son manteca.)

SCÈNE m. — ÀGNÊS, ARNOLPHE, HORACE.

nORACE, à Agnès.

Ne soyez point en peine où je vais vous mener; C'est un lojjement sûr que je vous fais donner. Vous loger avec moi, ce seroit tout di Iruire : Entrez dans cette porte, et laissez-vous conduire.

(Amolphe lui prend la main sans qu'elle le reconnoisse.) AGNES, à Horace.

Pourquoi me quittez- vous?

HORACE.

Chère Agnès, il le faut.

AGNÈS.

Songez donc, je vous prie, à revenir bientôt.

HORACE.

J'en suis assez pressé par ma flamme amoureuse.

AGNÈS.

Quand je ne vous vois pouit, je ne suis point joyeuse.

noiiACE. Hors de votre présence, on me voit triste aussi.

AGNi.S.

Hélas! s'il étoit vrai, vous le feriez ici.

HORACE.

Quoi I vous pourriez douter de mon amour extiènid

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48d L'ÉCOLE DES FEMMES.

AGNÈS.

Non, vous ne m'aimez pas autant que je vous aimet

(Arnolplie la tire.)

Ah ! l'on me tire trop.

HORACE.

C'est qu'il est danj^ereux, Chère Agnès, qu'en ce lieu nous soyons vus fous deas| Et ce parfait ami rie qui la main vous presse Suit le zèle prudent qui pour nous l'intéresse.

AC.Nr.S,

Mais suivre un inconnu que...

H0RAC«.

N'appréhende» rient Entre de telles mains vous ne serez que bien,

AGNÈS.

Je me Irouverois mieux entre celles d'Horace^ Et j'aurois...

[h Arnolphc qui la tire encore.)

Attendez.

HORACE,

Adieu. Le jour me chasM^

AGNÈS.

Quand vous verraî-je donc ?

HORACE.

Bientôt, assurément*

AGNÈS.

Que Je vais m'ennuyer jusques à ce momentt

II0r>ACE, en «'en allant.

Grâce au ciel, mon bonheur n'est plus en concurrent} Et je puis maintenant dormir en assurance.

SCÈNE IV. - ARNOLPHE, AGNÈS.

ARNOLPHE, cache dans son manteau, et dftguisant n vols»

Venez, ce n'est pas là que je vous logerai, Et votre gîte ailleurs est par moi préparé. Je prélends en lieu sin- mettre votre personne*

(^e laisanl connoîlre.j

Me connoissfz-vous?

AGRES Uaiî

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ACTE V, SCÈNK I V. 487

ARNOLPHF.

Mon visage, friponne, Dans cotte occasion rend vos sens effrayés, El c'est à contre-cœur qu'ici vous me voyez; Je trouble en ses projets l'amour qui vous possède.

(Agnes regarde si elle ne verra point HoraMJ!

N'appelez point des yeux le galant à votre aide; Il est trop éloigné pour vous donner secours. Ah ! ah ! si jeune encor, vous jouez de ces tours! Votre simpliciié, qui semble sans pareille, Demande si l'on fait les enfants par l'oreille; Et vous savez donner des rendez-vous la mut, Et pour suivre un galant vous évader sans bruit f Tudieu! comme avec lui votre langue cajole! Il faut qu'on vous ait mise à quelque bonne écolel Qui diantre tout d'un coup vous en a tant appris? Vous ne craignez donc plus de trouver des esprits? Et ce galant, la nuit, vous a donc enhardie? Ah I coquine, en venir à celte perfidie! Malgré tous mes bienfaits former un tel dessein! Petit serpent que j'ai réchauffé dans mon sein, Et qui, dès qu'il se sent, par une humeur ingrate Cherche à faire du mal à celui qui le flatte!

AGNÈS.

Pourquoi me criez-vous'?

ARNOLPHE.

J'ai grand tort en effet!

Af.NÈS.

Je n'entends point de mal dans tout ce que j'ai fait.

ARNOI.PME.

Suivre un galant n'est pas une action infâme?

AGNiS.

J'esl un homme qui dit qu'il me veut pour sa femme: f'ai suivi vos lei^ims, et vous m'avez prêché „ti il se faul marier pour ôler le péché!

ARNOLPHE.

Oui. Milis pour femme, moi, je piétendois vous prendre; ï.i je vous l'avois fait, me semble, assez entendre.

' Dans 1? SPDS de ; me grondfz-vnus.

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488 L'ECOLE DES FEMMES.

ACNES.

Oui. Mais à vous parler fiaiiclieinent entre nous. Il esl plus pour cela selon mon goût que vous. Chez vous le mariage esl fâcheux et pénible, El vos discours en l'ont une image terrible; Mais, las! il le fait, lui, si iem|)li de plaisirs, Que de se marier il donne des désirs

ARNOLPHE.

Ah! c'esl que vous l'aimez, liaitresse!

AG^ÈS.

Oui, je l'aioM*

ABNUIPITt.

Et VOUS avez le front de le due à moi-mêmel

ACNES.

Et pourquoi, s'il esl vrai, ne le dirois-je pas?

ARNOI.PIIE.

Le deviez-vous aimrr, imp -rtuienlt?

ACNES

He:asî Est-ce que j'en puis mais? Lui seul en est la cause? Et je n'y songeois jas lorsque se fit la chose.

AliNOÙPIIE.

Mais il falloit chasser cet amoureux désir.

AGNÈS.

Le moyen de chasser ce qui fait du plaisir?

AllNOI.PHE.

Et ne savez-vous pas que ccloil me déplaire?

ACNl's.

Moi? point du tout. Quel mal cela vous peut-il fairef

ARNOI.PIIE.

Il est vrai, j'ai sujet d'eu êlie réjoui 1 Vous ne m'aimez donc pas, à ce compte?

AGNÈS.

ARNOLPHE. AGNÈS.

iléiast non.

ARNOLPHE.

Comment, non !

Vous? Oui.

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ACTE V, SCÈNE IV.

489

AGNES.

Voulez-vous que je meute?

AIÎNOLI'IIF..

Pourquoi ne m'ainier pas, rDiulame rinipudeote?

AT. NÉS.

Mou Dieu I ce n'est pas moi que vous devez blâmer : Que ue vous ètes-vous, comme lui, fait aimer! Je ne vous en ai pas enipociié, que je pense.

ARNOLPME.

Je m'y suis efforcé de toute ma puissance; Mais les soins que j'ai pris, je les ai perdus tous.

Af.Ni';s. Vraiment, il en sait donc là-dessus plus que vous; Car à se faire aimer il n'a point eu de peine.

ARNOLPME, a i>arl.

Voyez comme raisonne et repond la vilaine! Peste! une précieuse en diioil-elle plus? Ah! je l'ai mal connue; ou, ma foi, là-dessus Une sotte en sait plus que le plus habile homme.

(à Agnes.)

Puisqu'en raisonnenienls voti-e esprit se consomme, La belle raisonneuse, est-ce qu'un si long temps Je vous aurai pour lui nourrie à mes dépens?

AGNÈS.

Non. 11 \ous rendra tout ju^ques au dernier double*.

ARNOI.riIE, bas. à part.

l'Ile a de certains liiots où mon dépit redouble.

(haiil.)

Me rendra-t-il, coqunie, avec tout son pouvoir, Les obligations que vous pomez m'a\oir?

AfiNÏîS.

Je ne vous en ai pas de si grandes qu'on pense.

AltM)l,PIIE.

PTest-ce rien que les soins d'éle\er votre enfance?

ACNÉS.

Vous avez là-dedans bien opéré viaiment, Et m'a\ez fait en tout instruire joliment! Croit-on que je me dalle, et <]u"en(iii, dans ma tète, \_ Je no juge pas bien qqe je suis une béto?

Pièce du uiouùnieaui valoil deux dfin

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L'ECOLE DES FEMMES.

Moi-même j'en ai houle; et, dans l'âge où je suis. Je ne veux plus passer pour soUe, si je puis.

AKNOLPHE.

Vous fuyez l'ignorance, et voulez, quoi qu'il coûte» Apprendre du blondiu quelque chose/

AGNks.

Sans doute. C'est de lui que je sais ce que je puis savoir; Et beaucoup plus qu'à vous je pense lui devoir.

AUNOLI'HE.

Je ne sais qui me tient qu'avec une gourmade Ma main de ce discours ne venge ha bravade. J'enrage quand je vois sa picpiante froideur; Et quelques coups de poing salisferoient mou cdMir.

AGiNi;s. Hélas 1 vous le pouvez, si cela peut vous plaire.

ARNOLPHE, à part.

Ce mot et ce regard désarme ma colère.

Et produit un retour de tendresse de cœur.

Qui de son action efface la noirceur.

Chose étrange d'aimer, et que, pour ces traîtresse».

Les hommes soient sujets à de telles folblesses !

Tout le monde connoit leur impei fection ;

Ce n'est qu'extravagance et qu'indiscrétion;

Leur esprit est méchant, et leur ame fragile;

Il n'est rien de plus foihie et de plus imbécile,

Rien de plus inQdèle ; et, malgré tout cela,

Dans le monde on fait tout pour ces animaux-là.

(à Agnes.)

Hé bien I faisons la paix. Va, petite traîtresse, Je le pardonne tout, et le rends ma tendresse*; Considère par là l'amour que j'ai pour toi, Lt, me voyant si bon, en i es anche aime-moi.

AGNÈS.

Du meilleur de mon cœur i" voudrois vous complaire :

' Molière, en parlant à Cliapellc iIp ses chagrins domestiques, disoit ; « Te», V l« chagrin de voir qn'une persnnnc sans beauté, qui dnit le peu d'esprit qu'os » lui ininve s l'c-'lncaiion (|m' je lui ai iloniiee, délmisoii en un momeul toute ma ï plr.l(isi>|ihie. Sa présence me lit nulihcr mes résolutions; et les premières pa- » rôles ipiClie médit poursa ilt leiise uie laissers~t si convaincu que mes souikmiui » cl"i<'nt mal fondés, que je lui deiiiainlai pard»_ d'avoir été crédule.» Entre les piaiuli's du mari et les vers du poète l'aiiulogio est assez grande pour être remarquée.

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ACTE V, SCÈiNE V. ^f

Que me coûleroit-il, si je le pouvois faire?

AUNOLPHE.

Mon pauvre petit cœur, tu le peux si (u veux.

Écoute seulement ce soupir amoureux,

Vois ce regard mourant, contemple ma pcrsonncp

Et quitte ce morveux, et l'amour qu'il te donne.

C'est quelque sort qu'il faut qu'il ait jeté sur toi,

Et tu seras cent fois plus heureuse avec moi.

Ta forte passion est d'être brave et leste.

Tu le seras toujours, va, je te le proteste;

Sans cesse, nuit et jour, je le caresserai,

Je te bouchonnerai, baiserai, mangerai;

Tout comme tu voudias tu pourras te conduire :

Je ne m'explique point, et cela c'est tout dire.

(I)as, à paît.)

Jusqu'où la passion peut-elle faire allerM

(haut.)

Enfin, à mon amour rien ne peut s'égaler : Quelle preuve veux-tu que je t'en doune, ingrate? We veux-tu voir pleurer? veux-tu que je me batte? Veux-tu que je m'arrache un coté de cheveux? Veux-tu que je me tue? Oui, dis si tu le veux, Je suis tout prêt, cruelle, à le prouver ma flamme.

AGNÙS.

Tenez, tous vos discours ne me touchent point Tame : Horace avec deux mots en feroit plus que vous.

ARNOLPHE.

Ah ! c'est trop me braver, trop pousser mon courroux. Je suivrai mon dessein, bête trop indocile; Et vous dénicherez à l'instant de la ville. Vous rebutez mes vœux, et me mettez à bout, Mais un cul de couvent me vengera de tout *.

SCÈNE V. - ARNOLPHE, AGNÈS, ALAIN.

ALAIN.

Je ne sais ce que c'est, monsieur; mais il me semble

'Molière a répondu lui-même à ceiii qui aacusoient cette scène d'exageraliiiij « Je voudrois bien savoir, disoit-il, avec une réticence très-significative, si c« 

> o'esl pas faire la satire des amants, et si les lionnêtes gens mêmes, et les plus

> sérieux, en part^ille occasion, ne font pas des choses... >

' Comme cul-de-ba$se-fosse, cul-de-sac, c'est-à-dire sac, fosse, et couvent sans itsue par l'extrémité opposé,, d rentrée. {F. Giiuiii.j

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L LUOLË DES FEMMES. Qu'Agnès et le corps mort s'en sont allés ciisembi*.

ARNOLPHE.

La voici. Dans ma chambre allez me la nicher.

(à pari.)

Ce ne sera pas là qu'il la viendra chercher; Et puis, c'est seulement pour une demi-heuro. Je vais, pour lui donner uoe sûre demeure,

(à Alamj

Trouver une voiture. Enfeimez-vous des mieux, Et surtout gardez-vous de la quitter des yeux.

(set.l.)

Peut-être que son anie, étant dq)ay£ée, Pourra de cet amour être désabusée.

SCÈNE VI. - AKNOLPHE, HORACE.

nORACE.

Ah! je viens vous trouver, accablé de douleur.

Le ciel, seigneur Arnolphe, a conclu mon malheur;

Et, par un trait fatal d'une injustice exliéme,

On me veut arracher de la beauté que j'aime.

Pour arriver ici mon père a pris le frais * ;

J'ai trouvé qu'il meltoit pied à terre ici près:

Et la cause, en un mot, d'une telle venue.

Qui, comme je disois, ne m'éloil pas connue,

C'est qu'il m'a marié sans m'en écrire rien,

Et qu'il vient en ces lieux célébrer ce lien.

Jugez, en prenant part à mon inquiétude,

S'il pouvoit m'arriver un contre-temps plus rude.

Cet Enrique, dont hier je m'informois à vous.

Cause tout le tnaliieur dont je ressens les coups :

11 vient avec mon père achever ma ruine.

Et c'est sa fille unique à qui l'on me destine.

l'ai, dès leurs premiers mots, pensé m'évanouir :

Et d'abord, sans vouloir plus longtemps les ouïr.

Mon père ayant parlé de \ous rendre visite,

L'esprit plein de fraveur. je l'ai devancé vite.

De grâce, gardez-vou> de lui rien découvrir

Df' mon engagement qui le pourioit ;iigrir;

Et làciiez, connue eu vous il prend grande créance,

' C'est-à-iiire i piv)fiié de la iiaklifui Je ia nuit. (Aime Uartis^

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ACTE V, SCÈNE VU. 4f>5

De le dissuader de cette autre alliance.

AKNOLPUE.

Oui-dà.

HORACE.

Coiiseillez-Iui de dilfcrer un peu, Et rendez, en ami, ce service à mon feu.

AnNOLPlIE.

Je n'y manquerai pas.

HORACE.

C'est eu vous que j'espère.

ARNOLPHI .

Fort bien.

HORACE.

Et je vous liens mou véritable père. Dites-lui que mon âge... Ah! je le vois venir! Ecoutez les raisons que je vous puis fournir.

SCÈNE VII. — ETRIQUE, ORONTE, CHRYSALDE, HORACE, ARiNOLPHE.

(Horace et Aroolphe se retirent dans un coId du lliéàtre, et parlent bas ensemble.) ENRIQUE, àChrysalde.

Aussitôt qu'à mes yeux je vous ai vu paroître,

Quand on ne m'eût rien dil, j'aurois su vous connoîlre.

Je vous vois tous les Irails de celte, aimable sœur

Dont l'hymen autrefois m'avoil fait possessem";

Et je serois heureux, si la parque cruoUe

M'eût laissé ramener celte épouse fniéle,

Pour jouir avec moi des sensibles douceurs

De revoir tous les siens après nos longs mallieura.

Mais, puisque du destin la fatale puissance

Nous prise pour jamais de sa chère présence,

Tâchons de nous résoudre, et de nous loutenter

Du seul fiuit amoureux qui m'en ail pu rester.

11 vous touche de près; et, sans vi»tre suffrage,

J'aurois tort de vouloir disposer de ce gage.

Le choix du fils d'Oroute est glorieux de soi;

Mais il faut que ce choix vous pln'se comme à moi.

CHRYSALDE.

C'est de mon jugement avoir mau\aise eslnne, Que douter si j'approuve un chois si légitime.

>• 23

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494 L'ÉCOLE DES FEMMES.

ARNOLPHE, à part, à Horace.

Oui, je veux vous servir de la bouae façon.

HORACE, à pari, à Arnolphe.

Gardez, «ocore un coup...

AUNOLPHE, à Hi'race.

N'ayez aucun soupçon

(ArDolpbc quille Horace pour aller embrasser Or* OKOM'E, à Aniolphe.

Ah! que cette embrassade est pleine de tendresse I

ARNOLPHE.

Que je sens à vous voir une giande allégresse!

ono?sTE^ Je suis ici venu...

ARNOLPHE.

Sans m'en faire récit, Je sais ce qui vous mène.

ORONTE.

On vous l'a déjà dit?

ARNOLPHE.

Oui.

ORONTE.

Tant mieu\.

ARNOLPHE.

, Votre fils à cet hymen résiste,

Lt son cœur prévenu n'y voit rien que de irisle : 11 m'a même prié de vous en détourner; Et moi, tout le conseil que je vous puis donner, C'est de ne pas souffj ir que ce nœud se diffère, Lt de faire valoir l'autorité de père. Il faut a\ec vigueur ranger les jeunes gens. Et nous faisons contre eux à leur être indulgents.

HORACE, à part.

Ail! traître!

CHRYSALDE.

Si son cœur a quelque répugnance. Je tiens qu'on ne doit pas lui faire résislauce*. Mon frère, que je crois, sera de mon avis.

ARNOLPHE.

Quoi! se laisscra-t-il gou\erner par son fils?

Yak. Je tiens <iu'ou ne doit pas lui faire «uilence. {Prem. édition.1

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ACTE V, SCENE VlII. . i95

Est-ce que vous voulez qu'un père ait la mollesse

De ne savoir pas faire obéir la jeunesse?

U seroit beau, vraiment, qu'on le vît aujourd'hui

Prendre loi de qui doit la recevoir de lui!

Non, non : c'est mon intime, et sa gloire est la mienne;

Sa parole est donnée, il faut qu'il la maintienne.

Qu'il fasse voir ici de fermes senlimenls,

Et force de son fils tous les attachements-

OnONTE.

C'est parler comme il faut, et, dans cette alliance, C'est moi qui vous réponds de son obéissance.

CIIRVSALOE, à Arnolphe.

Je suis surpris, pour moi, du grand empressement Que vous me faites voir pour cçt engagement, Et ne puis deviner quel motif vous inspire...

AUNOLPIIE.

Je sais ce que je fais, et dis ce qu'il faut dire.

ORONTE.

Oui, oui, seigneur Arnolphe, il est...

CIIRVSALDE.

Ce nom Taigritj C'est monsieur de la Souche, on vous l'a déjà dit.

ARNOLPHE.

n n'importe.

HORACE, à part.

Qu'en Icnds-je?

ARNOLPHE, se reloiirnant v-ert Horace.

Oui, c'est là le mystère; Et vous pouvez juger ce que je devois faire.

HORACE, à part.

En quel trouble...

SCÈNE VIII. -ENRIQUE. ORONTE, CHRYSALDE. HORACE, ARNOLPHE, GEORGETTE.

CrORGETTE.

Monsieur, si vous n'êtes auprès, Nous aurons de la peine à retenir Agnès; Elle veut à tcu>^ coups s'éch.ippei% et peut-être Quelle se pourroil bien jelcr par la fenêtre.

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496 ' L'ECOLE DES FEMMES.

ATtKOLPIIE.

Faitcs-la-iaoi venir; aussi J)ien de ce pas

(à Horace.)

Prclends-je "l'emmener. ISe vous en fàclioz pas; Un bonheur continu rendroil l'homme supeibe; Et chacun a son (our, comme dit le proverbe.

IIORACr:, à part.

Quels maux peuvent, ô ciel, égaler mes ennuisf Et s'est on jamais vu dans l'abîme où je suis?

AnKOLPHE, à Oronte.

Pressez vite le jour de la céiémonje;

J'y prends part, et déjà moi-même je m'en prie.

ORONTE.

C'est bien là mon dessein

SCÈNE IX. — AG.NÈS, ORONTE, ENRIQLE, ARNOLPHE, HORACE, CHRYSALDE, ALAIN, GEORGETTE.

ARNOLPHE, à Agnes.

Venez, belle, venez, Qu'on ne sauroit tenir, et qui vous mutinez. Voici votre galant, à qui, pour récompense. Vous pouvez faire une humble et douce révérence, (à Horace.)

Adieu. L'événement trompe un peu vos souhaits; Mais tous les amoureux ne sont pas satisfaits.

ACNi;s. Me laissez- vous, Horace, emmener de la sorte?

HORACE.

Je ne sais on j'en suis, tant ma douleur est fort«.

ARNOLPHE.

Allons, causeuse, allons.

AGNÈS.

Je veux rester ici.

OROME.

Dites-nous ce que c'est que ce mystère-ci.

Nous nous regardons tous, sans le pouvoir comprendre.

ARNOLPHE.

Avec plus de loisir je poui rai vous l'apprenire. Jusqu'au revoir.

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ACTE V, SCÈiM' IX. 497

orontf:. Où donc pié(iMi(k>z-\ous nl!cr? Vous no nous j)ni kz point comme il nous faul parler»

Ar.NOLl'IlC.

Je vous ai conseille, malgré toul son murmurCj D'achever liiyménée.

ORONTC.

Oui. Mais pour le conclure, Si l'on vous a dil tout, ne \ous a-t-on pas dit Que vous avez chez \ous celle doni il s'agit, La fille quauliefois, de l'aimable Angélique, Sous des liens secrets, eut le seigneui' Linique? Sur quoi voire discours é(oil-il donc fondé?

ClIUVSALIlE.

Je ni'étonnois aussi de voir son procédé.

ARNOLPIIE.

Quoi!

CIIIIYSALDE.

D'un hymen secret ma sœur cul une fille, Dont on cacha le sort à toute la famille.

OliONTE.

Et qui, sous de feints noms, pour ne rien découvdffj Par son époux, aux champs (ut donnée à nouriir.

ciinvsALO!;. Et dans ce temps, le sort, lui déclarant la guerre, L'obligea de sortir de sa natale terre.

ORONTE.

Et d'aller essuyer mille périls divers,

Dans ces lieux séparés de nous par tant de nier§.

curvsalde. Où ses soins ont gagné ce que dans sa patrie Avoient pu lui ravir l'imposture et l'envie.

onoNTF. Et, de retour en France, il a cherché d'abord Celle à qui de sa fille il confia le sort.

ciirysal:)E. El celte paysanne a dit avec fianchise Qu'en vos mains à qualie ans elle l'avoit remis©.

ORONTE.

Et qu'elle l'avoil fait sur volie charité Par un accableiuenl d'exlrémei>auvrelé.

■28.

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498 L'ÉCOLE DES FEMMES.

CJRVSALnE.

El lui, plein de transport, et l'allégresse en Tamef A fait jusqu'en ceo lieux conduire cette femme.

ORONTE.

Et vous aile?- enfin la voir venir ici,

Pour rendre aux yeux de tous ce inystère éclairci.

CIlUYSALIlE, à Ainolphe.

Je devine à peu près quel est voire supplice; Mais le sort en cela ne vous est que propice. Si n'être point cocu vous semble un si grand bien, Ne vous point marier en est le vrai moyen.

ARiS'OLPnE, s'en allant loul liànmoflé, et De pouvant parler.

Ouf!

SCÈNE X. — ENRIQUE , ORONTE, CHRYSALDE, AGNÈS, HORACE.

ORONTE.

D'où vient qu'il s'enfuit sans rien dire?

HORACE.

Ah I mon père.

Vous saurez pleinement ce surprenant inystcre.

Le hasard en ces lieux a\oit exécuté

Ce que votre sagesse avoil prémédite.

J'ëtois, par les doux nœuds d'une amour mutuelle,

Engagé de parole avecque celte belle;

Et c'est elle, en un mot, que vous venez chercher,

Et pour qui mon refus a pensé vous fâcher.

E?<R1QLE.

Je n'en ai point douté d'abord que je l'ai vue, Et mon ame depuis n'a cessé d'être émue. Ah I ma fille, je cède à des transports si doux.

CHRYSALDE.

J'en ferois de bon cœur, mon frère, autant que vous; Mais ces lieux et cela ne s'accommodent guères. Allons dans la maison débrouiller ces mystères, Payer à notre ami ses soins officieux, Et rendre grâce au ciel, qui fait tout pour le mieux.

FIN DE l'école des FEMMES'

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LA CRITIQUE

DE

L'ÉCOLE DES FEMMES.

COMÉDIE EN UN ACTE

NOTICE.

Celle pièce fut représentée, pour la première fois, sur le théâtre du Palais-Royal, le le^ juin 1663. «L'idée m'en vint, dit Molière ', après les deux ou trois premières représentations de ma pièce {l'Ecole des Femmes). Je la dis, cette idée, dans une maison où je me trouvai un soir ; et d'abord ime personne de qualité, dont l'esprit est assez connu dans le monde, et qui me fait l'honneur de m'ainier, trouva le projet assez à son gré, non- seulement pour me solliciter d'y mettre la main, mais encore pour l'y mettre lui-même ; et je fus étonné que deux jours aprèi il me montra toute l'affaire exécutée dune manière à la vérité beaucoup plus galante et plus spirituelle que je ne puis faire, mais où je trouvai des choses trop avantageuses pour moi; et j'eus peur que, si je produisois cet ouvrage sur notre tliéàtrej on ne m'accusât d'abord d'avoir mendié les louanges qu'on m'j donnoit. » Cette personne de qualité qui offrait ainsi à Molière de prendre sa défense, était, suivant de Visé, l'abbé du Buisson, que Somaize appelle grand inlroducteur des belles ruelles. L'obli- geant abbé proposait naïvement à Molière de travailler à son propre éloge ; mais le poète avait un sentiment trop élevé des choses littéraires, pour accepter cette proposition qui eût donné beau jeu à ses adversaires. Cependant, comme les rumeurs des coteries devenaient de jour en jour plus menaçantes, il sentit qu'il fallait prendre l'offensive avec l'arme toujours redoutable du ridicule , et pour se défendre en attaquant, il donna la Cri"

' Préface de i'Écok det Fenkmes.

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500 NOTICE.

tique de l'École des Femmes; mais W ne se contenta point de faire rire aux dépens de ses adversaires. Le grand poëte comique re- pariit sons l'auteur oiïensé. Tout ea groupant, dans un canevas sans intrigue, quelques personnages rapidement esquisses , il présenta le tableau fidèle des coteries mondaines de son temps. « Cette critique, dit avec raison M. Aimé Martin, n'est qu'un simple dialogue, mais dans ce dialogue tout est vivant, tout marche au but que se propose l'auteur. Voyez avec quel bon- heur, avant de commencer à se défendre, l'auteur fait compa- roître à son tribunal les dinérentes cabales liguées contre lui ! Cliviéne, qui fait des mots nouveaux, et qui a les oreilles ■plus chastes que tout le reste du corps, représente à elle seule toute la coterie des précieuses Le marquis est le patron de ces merveilleux du jour qui jugent une pièce avant de l'avoir vue, et qui pronon- cent en mailres sur les choses qu'ils ne sauroient comprendre. Lysidas, qui ne veut pas qu'en juge un ouvrage par le plaisir qu'il donne, mais bien par les règles de la grammaire et de la rhétorique, représente au naturel ces pédants qui emploient le peu d'esprit qu'ils ont à cacher leur médiocrité sous un faux sa- voir, et l'envie qui les ronge sous une modération affectée. Pire «spcce, auroit dit la Fontaine, fléaux du génie et de la société. A ces caractères, qui sont placés là pour représenter toutes les passions d'une coterie, Molière a soin d'opposer quelques carac- tères particuliers qui représeiitcTit la raison publique, qui n'est d'aucune coterie, et qui finit toujours par les- écraser toutes. Tels sont ici les personnages d'Uranie, d'EIise et de Dorante. »

La Critique de l'École des Femmes, que M. Anger appelle un « monument ingénieux d'une juste vengeance; l'image piquante et fidèle d'une conversation où la raison et la folie, l'esprit et la sottise, l'instruction polie et le savoir pédantesque, semblent étaler à l'envi leurs grâces et leurs ridicules pour se faire valoir mutuellement par le contraste ; » la Critique, disons-nous, ob- lint un grand succès; mais par ce succès même, elle ne fit qu'exciter pins vivement encore la colère et la jalousie des ad- versaires de l'auteur, et elle devint le signal d'une polémique où Molière, placé, comme nous le verrons plus loin, dans le cas de légitime défense, reparut armé de toute sa verve et de tonte son ironie.

Quelques-uns des caractères esquissés dans la pièce qu'on va lire ont été développés dans les Femmes savantes, suprême et der- nier combat d'une guerre où les Précieuses et la Critique n'étaient en quelque sorte que des escarmouches. Le Lysidas tii' In Critique, en se dédoublant dans les Femmes savantes, deviendra Trissotin et Vadius; Climène annonce déjà Philaminte, comme Dorante annonce Clitandre, comme Elise annonce Henriette. Du reste, il lie faut point s'étonner ^ue Molière ait insisté complaisam-

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ÉPITRE DÉDICATOIUE. ov\

Bien» et à trois reprises diiïérciitcs, sur tics travers qui au fond font à peu près les mêmes ; car, en attaquant les pédants, les prudes, leurs sentiments afTectés, et, conmic le dit la Bruyère, leurs prononciations con?rca'7î?, il défendait aussi sps propres ou vrages, dont la cause était inséparable de la cause du bon goû et du bon sens.

A LA HEINE MERE •.

Madame,

Je sais bien que Vothe Majesté n'a que faire de toutes nos dédicaces, et que ces prétendus (le\oirs, dont on lui dit élégam- ment qu"ou s'acquitte envers Elle, sont des liommages, à dire vrai, dont Elle nous dispcnseroit très volontiers. Mais je ne laisse pas d'avoir l'audace de lui dédier la Critique de l'École des Femmes; et je n'ai pu refuser cette petite occasion de pouvoir témoigne? ma joie à Votre Maje>;té, sur cette heureuse convalescence, qui redonne à nos vœux la plus grande el la meilleure princesse du monde, et nous promet en Elle de longues années d'une santé vigoureuse. Comme cliacnn regarde les clioses du côté de ce qui le touche, je me réjouis, dans cette allégresse générale, de pouvoir eniore obtenir l'honneur de divertir V'otre Majesté; Elle, MADAME, qui prouve si bien que la véritable dévotion n'est point contraire aux honnêtes divertissements; qui, de ses hautes pensées et de ses importantes occupations, descend si humainement dans le plaisir de nos spectacles, et ne dédaigne pas rire de cette même bouche dont Elle prie si bien Dieu. Je flatte, dis-je, mon esprit de l'espérance de cette gloire; j'en attends le moment avec toutes les impatiences du monde; el quand je jouirai de ce bonheur, ce sera la plus grande joie que puisse recevoir,

MADAME,

DE VOTRE majesté.

Le très liuml)le, 1res obéissant, el très obligé scrvileiir,

Molière.

■ AoDe d'AulricIie, Bile oînée de Philippe III, roi d'Espagne, femms dt louis XIII, msre de Louis XIV. morte le 20 janvier I66S.

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502 LA CRITIQUE DE L'ÉCOLE DES FEMMES.

PERSONNAGES.

URANIE '.

ÉLISE'.

CLI.MÈXE'.

LE MARQUIS •.

DORANTE, ou LE CHEVALIKB «.

LYSIDAS, [locle '

GALOPIN, laquais.

La scène est à Paris, ilans la maison d'Uran».

SCENE L — UR.4NIE, ELISE.

DRAME.

Quoi! cousine, personne ne fesl venu rendre visite ?

ÉLISE.

Personne du monde.

l'RAME.

Vraiment, voilà qui m'étonne, que nous ayons été seules îdne et l'autre tout aujouriihui.

ILISE.

Cela m'étonne aussi, car ce n'est guère notre coutume ; et votre maison, Dieu merci, est le refuge ordinaire de tous les fainéants de la cour.

UR.iNIE.

L'après-dînée, à dire vrai, m'a semblé fort longue.

ÉLISE.

Et moi, je l'ai trouvée fort courte.

(RAME.

C'est que les beaux esprits, cousine, aiment la solitude.

1 LISE.

Ah ! très humble servante au bel esprit ; vous savez q(4 ce n'est pas là que je vise.

Acteurs de la trfuipe de Molière : ' Mademoiselle DE Brie. — ' Armande BÉJART, femme de Molière. — ' Uademoiselle DuPARC. — * La Grange. — 'BRÉfODRT. — 'Do Croisï.

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SCENE 1. 505

URANIE.

Pour moi, j'aime la coinpngiiie, je i avoue.

fXISK.

Je l'aime aussi, mais je l'aime choisie; el la qiiaïUKo de* sottes visites qu'il vous faut essuyer paimi les autres, est cause bien souvent que je preuJs plaisir d'être seule

IRANIE.

La délicatesse est trop grande de ne pouvoir souffrir que des gens triés.

ÉLISE.

Et la complaisance est trop {Générale de souffrir indiffé- remment toutes sortes de personnes.

DHAME.

Je goûte ceux qui sont raisonnables , et me divertis des extravagants.

ÉLISE.

Ma foi, les extravagants ne vont guère loin sans vous en- nuyer, eUa plupart de ces gens-là ne sont plus plaisants dès la seconde vi^ite. Mais, à propos d'extraxsgants, ne voulez- vous pas me défaire de votre marquis incommode? l'ensez- vous me ie laisser toujours sur les bras, et que je puisse durer à ses lurlupinades perpétuelles?

UltAME.

Ce langage est à la mode, el l'on le tourne en plaisauteris a la cour.

ELISE.

Tant pis pour ceux qui le font, et qui se tuent tout le jour L parler ce jargon obscur. La belle chose de faire entrer, auîk conversations du Louvre, de Meilles équivoques ramassées parmi les boues des Halles el de la place MaubertI La jolie façon de plaisanter pour des courtisans, et qu'un hoiuini montre d'esprit lorsqu'il vient vous dire : Madame, vous èles dans la place Royale, el tout le monde vous voit de tn>i.s lieues de Paris, car chacun \ous >oit de bon œil; à caust qur Bonneuil esl un village à trois lieues d'ici ! Cela n'esl-il pas bien galant et bien spirituel? Et ceux qui trouvent ces belles rencontres n'ont-ils pas lieu de s'eir gloriûer ?

IRAM!;.

On ne dit pas cela aussi comme une chose spirituelle; ( t la plupart de ceux qui affectent ce langage savent bien euii- mèmes uu'il est ridicule

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uiiA LA GAllIQUE DE I/EliOLE UL3 FEMMES.

ÉLiSE.

Taiil pis encore de prendre peine à dire des sottises, et d'être mauvais plaisants de dessein formé. Je les en liens moins excusables; et si j'en clois juge, je sais bien à quoi je ■:ondamnerois tous ces messieurs les lurlupius*.

CRAME.

Laissons cette matière qui t'éehauffe un peu trop, et di- sons que Dorante vient bien tard, à mon avis, pour le sou- per que nous devons faire ensemble.

ÉLISE.

Peut-être Ta-t-il oublié, et que...

SCÈNE II. — URANIE, 'ÉLISE, GALOPIN.

GALOPIN.

Voilà Climène, madame, qui vient ici pour vous voir.

IJRANIE.

Hé! mon Dieu, quelle visite!

ÉLISE.

Vous vous plaigniez d'élrp ««nie- aussi l« ciel vous C3 puuit.

IRAMK.

Vile, qu'on aille dire que je n'y suis pas.

GALOPIN.

On a déjà dit que vous y étiez.

ijiîA.ME

El qui est le sot aui l'a dit?

GALOPIK.

Moi, madame.

LRANIE.

Diantre soif le petit vilahi! Je vous apprendrai bien à fairs vos réponses de vous-ir»ème.

GALOPIN.

Je vais lui dire, madame, que vous voulez être sortie.

' Celle critique fit une telle impression, que le» marquis, pour échapper au ri- dicule, imaginérenl de se .lonner enlre eux le nom de lurlupins. C'est ce <|ii(> nniij îpprsnd l'auteur de Zilinde àsns le passage suivant « Pôiirciimi les rL^rquij s fiiii -i!s SI biinne mine à Hjliere? cl pourquoi ceux qu'il depL-.nl le mie ix 5 rtiiil'i;ijsent-ils tnus lorsqu'ils le rencontrent' — C'est parcequ il leur donne 5 s'.ijct de rire les uns îles aulrcs, el de s'appeler enlre eux tïrlupms, comme li] ^ font à la cour depuis que ilolieie a 'oué sa Criiiaue. » 'Aime Ibilio.)

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SCENE II. 505

URANIE.

Ariétoz, animal, et la laissez monter, puisque la sotlis" si faite.

GALOPm.

Elle parle encore à un homme dans la rue.

URAME.

Ah I cousine, que cette visite m'embarrasse à l'heure qu'il st!

ÉLISE.

Il est vrai que la damt- est un peu embarrassante de son naturel; j'ai toujours eu pour elle une furieuse aversion; et, n'en déplaise à sa qualité, c'est la plus solte bête qui se soit jamais mêlée de raisonner.

URAME.

L'épilhète est un peu forte.

ÉI.ISE.

Allez, allez, elle mérite bien cela, et quelque chose de plus, si on lui faisoit justice. Est-ce qu'il y a une personne qui soit plus véritablement qu'elle ce qu'on appelle prccic use, à prendre le mot dans sa plus mauvaise signification'?

URAME.

Elle se défend bien de ce nom, pourlanf.

ÉLISE.

Il est vrai, Elle se défend du nom, mais non pas de la chose : car enfin elle Test depuis les pieds jusqu'à la lc(e, et la plus grande façonnière du monde. Il semble que tout son corps soit démonté, et que les mouvements de ses hanches, de ses épaules et de sa tète, n'aillent que par ressorts. Klle affecte toujours un ton de vois languissant et niais, fail la moue pour montrer une petite bouche, et roule les yeux pour les faire paroître grands.

l'RAME.

Doucement donc. Si elle venoit à entendre...

ÉLISE.

Point, point, elle ne monte pas encore. Je me souvie oujours du soir qu'elle eut envie de voir Damon, sur la ré- ulation qu'on lui donne, et les choses que le public a vues

' Avanl la comédie des Précieuses ce mot signilioil une femme d'uti mjrife distingué et de très bonne djmparjnie. .\7.rps ctUe comédie, ce mol changea ils MgDihcatioD, el u'exp:ima plas oun ridicule. (La Harpe.)

!• 29

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•■;0'â LA CRITIQUE DE L'ÉCOLE DES FEMMES.

de lui. Vous connoissez l'homme, et sa naluielle paresse à soulenir la conversation. Elle l'avoit inyilé à souper comme bel esprit, et jamais il ne parut si sot, parmi une dcmix douzaine de gens à qui elle avoit fait fcle de lui, et qui le regardoicut avec de grands yeux, comme une personne qui ne devoit pas être faite comme les autres. Ils pensoient tous qu'il eloit là pour défrayer la compagnie de bons mots; que chaque parole qui sortoit de sa bouche devoit être extraor- dinaire; qu'il devoit faire des impromptus sur tout ce qu'on disoil, et ne demander à boire qu'avec une pointe. Mais il les trompa fort par son silence; et la dame fut aussi mal satis- faite de lui que je le fus délie. -

DP.ANIE.

Tais-loi, je vais la recevoir à la porte de la chambre.

ÉUSE.

Encore un mot. Je voudrois bien la voir mariée avec 1«  îiarquis dont nous avons parlé. Le bel assemblage que ce croit d'une précieuse et d'un turlupin!

CUANIE,

Veux-tu le taire? La voici.

SCÈNE in. — CLIMÈNE, URANIE, ÉLISE, GALOPIN.

CnANIE.

Vraiment, c'est bien lard que...

CLIMÈNE.

Hé ! de grâce, ma chère, faites-moi vite donner un .st.?g9

CRAME, à GalKW.

Un fauteuil promptemenl.

CLIMÈNE

Ah! mon Dieu!

CRAMIE

Qu'est-ce donc?

CLIMÈNE.

Je n'en puis plus.

CRANIE.

Qu'avez- vous?

CLIMÈNE.

Le cœur me manque.

CRANIE.

Sont-ce vapeurs qui vous ont pris'/

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SCENE III. 507

<;UMÈNE.

Non.

CRANIC.

VoiiK i-vous que l'on vous délacet

CLIMF.NE.

lion Mcu, non. AIi 1

«r.AME.

Quoi csl donc votre mal, et depuis quand vous a-t-il pris?

CLIMKNC.

11 y a plus de trois hciires, et je l'ai apporté du Palais- fioyal'.

URANIE.

Conimcot?

CLTMÈNE.

Je viens de voir, pour mes péchés, celle méchante rapso- die de l'École des Femmes. Je suis encore en défaillance du mal de cœur que cela m'a donné, et je pense que je n'en re- viendrai de plus de quinze jours.

ÉLISE.

Voyez un peu comme les maladies arrivent sans qu'on y se Fige !

URANIE.

Je ne sais pas de quel tempérament nous sommes, ma cou- sine et moi; mais nous fûmes avant-hier à la même pièce, et nous en revînmes toutes deux saines et gaillardes.

CLIMÈNE.

Quoi ! vous l'avez vue ?

DRANIE.

Oui ; et écoutée d'un bout à Tautre.

CLIMÈNE,

El vous n'en avez pas été jusques aux convulsions, ma ihère?

tIRANIE.

Je ne suis pas si délicate, Dieu merci; et je trouve, pour moi, que cette comédie seroit plutôt capable de guérir les gens, que de les rendre malades.

CLIMÈNE.

Ah! mon Dieu, que dites-vous là? cette proposition peut- elle être avancée par une personne qui ait du revenu en sess

' Lt Uoup; de Molière juDit nJoM Mir le théàlre du Pâlais-Roval.

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o08 LA CRITIQUE DE L'ECOLE DES FEMMES.

commun? Peut-on impunément, comme vous faites, rompre en visière à la raison? Et, dans le vrai de la chose, esl-il ua esprit si affamé de plaisanterie, qu'il puisse tâter des fadaises dont celte comédie est assaisonnée? Pour moi, je vous avoue que je n'ai pas trouvé le moindre grain de sel dans tout cela. Les enfants par l'oreille m'ont paru d'un goût détestable; la tarte à la crème m'a affadi le cœur; et j'ai pensé vomir au potage.

ÉLISE.

Mon Dieu, que tout cela est dit élégamment! J'aurois cru que cette pièce étoit bonne; mais madame a une éloquence si persuasive, elle tourne les choses il'une manière si. agréa- ble, qu'il faut être de son sentiment, malgré qu'on en ait.

CRAME.

Pour moi, je n'ai pas tant de complaisance; et, pour dire ma pensée, je tiens cette comédie une des plus plaisantes que l'auteur ait produites.

CLIMÈNE.

Ah! vous me faites pitié, de parler ainsi; et je ne sau- rois vous souffrir cette obscurité de discernement. Peut-on, ayant de la vertu, trouver de l'agrément dans une pièce qui tient sans cesse la pudeur en alarme, et salit à tout moment l'imagination?

ÉLISE.

Les jolies façons de parler que voilà I Que vous êtes, ma- dame, une rude joueuse en critique, et que je plains le pau- vre Molière de vous avoir pour ennemie l

CLIMÈNE.

Croyez-moi, ma chère, corrigez de bonne foi votre jugt ment; et, pour votre honneur, n'allez point dire par le monde que cette comédie vous ait plu.

CRAME.

Moi , je ne sais pas ce que vous y avez trouvé qui blesse (a pudeur.

CLIMÈNE.

Hélas! tout; et je mets en fait qu'une honnête femme ne la sauroit voir sans confusion, tant j'y ai découvert d'or- dures et de saletés.

CRANIE.

Il faut donc que pour les ordures vous ayez des lumières» que les autres n'ont pas; car, pour moi, je n'y en ai pouit vu.

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SCEiNE m. 509

C'e«l que vous ne voulez pas y eu avoir vu, assurément; car enfiu toutes ces ordures, Dieu merci, y sont à visage dé- couvert. Elles n'ont pas la moindre enveloppe qui les couvre, ^t les yeux les plus hardis sont effrayés de leur nudité.

ÉLISE.

Ahl

CLIMENE.

Hai. hai, liai.

UnANIE.

Mais encore, s'il vous plaît, marquez-moi une de ce» cf» dures que vous dites.

CLlMÈNE.

Hélas! est-il nécessaire de vous les marquer?

CRAME.

Oui. Je vous demande seulement un endroit qui vous ail fort choquée.

CUMÈNE.

En faut-il d'autre que la scène de celte Agnès, lorsqu'elle dit ce que l'on lui a pris?

UKANIE.

Et que trouvez-vous là de sale?

CLlMÈNE.

Ahl


De grâce? Fi!

URANIE. CLIMENE.

Mais encore.

CRANIE.

CLIMENE.

le n'ai rien à vous dire.

URANIE.

^our moi, je n'y entends point de mal.

CLlMÈNE.

Tant pis pour vous.

UUANIE.

Tant mieux plutôt, ce me semble. Je regarde les choses du côté qu'on me les montre, cl ne le? tourne point pour y chercher ce qu'il ne faut pas voir. •

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5111 LA CUrnuUE DK L'ÉCOLE DES FEMMES.

CLIMÈ:,E.

L'honnêlelc d'une femme...

CRANIE.

L'honnêfelé d'une femme n'est pas dans les grimaces. A sied mal de vouloir être plus sage que celles qui sont sages. L'affeclation en celle matière est pire qu'en toute autre; et je ne vois rien de si ridicule que cette délicatesse d'honneur qui prend tout en mauvaise part, doune un sens criminel aux plus innocentes paroles, et s'offense de l'ombre des choses. Croyez-inoi, celles qui font tant de façons n'en sont pas estimées plus femmes de bien. Au contraire, leur sévé- rité mystérieuse, et leurs grimaces affectées, irritent la cen- sure de tout le monde contre les actions de leur vie. On est ravi de découvrir ce qu'il y peut avoir à redire; et, pour tomber dans l'exemple, il y avoit l'autre jour dés femmes à cette comédie, vis-à-vis de la loge où nous étions, qui, par les mines qu'elles affectèrent durant toute la pièce, leurs dé- tournements de tète, et leurs cachemenls de visage, firent dire de tous côtés cent soUises de leur conduite , que l'on n'auroit pas dilcs sans cela; et quelqu'un même des laquais cria tout haut qu'elles étoient plus chastes des oreilles que de tout le reste du corps.

CLIMEKE.

Enfln il faut être aveugle dans cette pièce, et ne pas faire semblant d'v voir les choses.

CRANIE.

Il ne faut pas y vouloir voir ce qui n'y est pas.

CLIMÈNE.

Ah! je soutiens, encore un coup, que les saletés y crèvent les yeux.

URANIE.

Et moi, je ne demeure pas d'accord de cela.

CLIMÈNE.

Quoi I la pudeur n'est pas visiblement blessée par ce que lit Agnès da'is l'endroit dont nous parlons?

URANIE.

Non, vraiment. Elle ne dit pas un mol qui de soi ne soit ort houucle; et si vous voulez enlendre dessous quelque ulrc dtoiio, c'est vous qui faites l'ordute, et non pas elle, )uib(iii'el!e parle seulement d'un ruban qu'on lui a priy.

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atENE III. :,ll

CLIHÈNE.

Ah! ruban tant qu'il vous plaira; mais ce le, où elle s'ar- irête, n'est pas mis pour des prunes. Il vient sur ce le d'étranges pensées. Ce le scandalise furieusement; et, quoi que vous puis- siez dire, vous ne sauriez défendre l'insolence de ce le.

ÉLISE.

Il est vrai, ma cousine, je suis pour madame contre ce le. Ce le est insolent au dernier point, et vous avez tort de dé- fendre ce le.

CLIMÊNE.

Il a une onscenite qui n'est pas supportable.

ÉLISE.

Comment dites-vous ce mot-là, madame?

CUMÈNE.

Obscénité, madame.

ÉLISE.

Ah! mou Dieu, obscénité. Je ne sais pas ce que ce mot veut dire; mais je le trouve le plus joli du monde'.

CLIMÈNE.

Enfin, vous voyez comme votre sang prend mon parti.

CRANIE.

Hé! mon Dieu, c'est une causeuse qui ne dit pas ce qu'elle pense. Ne vous y fiez pas beaucoup, si vous m'en voulei croire.

ÉLISE.

Ahl que vous êtes méchante, de me vouloir rendre sus- pecte à madame! Voyez un peu où j'en serois, si elle alloit croire ce que vous dites! Serois-je si malheureuse, madame, que vous eussiez de moi cette pensée?

CLIMÈNE.

Non, non. Je ne m'arrête pas à ses paroles, et je vous crois plus sincère qu'elle ne dit.

ÉLISE.

Ah! que vous avez bien raison, madame, et que vous me rendrez justice quand vous croirez que je vous trouve la plus engageante personne du monde, que j'entre dans tous vos sentiments, et suis charmcc de toutes les expressions qui 'ortent de votre bouche!

CLIMÈNE.

Helas ! je paile sans affectation.

Le mot obs^iW^ àimt. ooï >eau. sans doulc, el de la création les prccieuie»,

IBrcl.)

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ul2 LA CRITIQUE DE L'ÉCOLE DES FEMMES.

ÉLISE.

On le voit bien, madame, et que tout est hanirel en rous. Vos paroles, le ton de votre voix, vos regards, vos pas, votre action, et votre ajustement, ont je ne sais quei air de qua- lité qui enchante les gens Je vous étudie des yeux et des oreilles; cl je suis si remplie de vous, que je tâche d'être votre singe, et de vous contrefaire en tout.

CLIMÈNE.

Vous vous moquez de moi, madame.

ÉLISE. •

Pardonnez-moi, madame. Qui voudroil se moquer de vous ?

CLIMÈNE.

Je ne suis pas un bon modèle, madame.

ÉLISE.

Oh que si, madame!

CLIMÈNE.

Vous me flattez, madame.

ÉLISE.

Point du tout, madame.

CLIMÈNE.

Épargnez-moi, s'il vous plaît, madame.

ÉLISE.

Je vous épargne aussi, madame, et je ne dis paî '.i noitié de ce que je pense, madame.

CLIMÈNE.

Ah! mon Dieu, brisons là, de grâce. Vous me jetteriez dans une confusion épouvantable, (a Uranie.) Enfin, nous voilà lieux contre vous; et l'opiniàlrclé sied si mal aux personnes spirituelles...

SCÈNE IV. — LE MARQUIS, CLIMÈNE, URANIE, ÉLISE.

GALOPIN.

GALOPIN , à la porte de la chambre.

Arrîloz, s'il vous plaît, monsieur.

LE MAUQUIS.

Tu ne me connois pas, sans doute.

CALOriN.

Si fait, je vous connois; mais vous n'entrerez pas.

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SCÈNE IV. ol3

LE MARQUIS.

Ab! que de bruil, petit laquais!

GALOPIN.

Cela n'est pas bien de vouloir entrer malgré les gens.

LE MARQUIS.

Je veux voir la maîtresse.

GALOPIN.

Elle n'y est pas, vous dis-je.

LE MARQUIS.

La voilà dans sa chambre.

GALOPIN.

Il est vrai, la voilà; mais elle n'y csl pas.

ORANIE.

Qu'est-ce dour qu'il y a là?

LE MARQUIS.

C'est votre laquais, madame, qui fait le sot.

GALOPIN.

Je lui dis que vous n'y êtes pas, madame, et il ne veut pas laisser d'entrer.

URANIE.

Et pourquoi dire à monsieur que je n'y suis pas?

CALOPIN.

Vous me grondàtcG l'autre jour de lui avoir dit que vous y étiez.

URANIE.

Vovez cet insolent! Je vous prie, monsieur, lif ne pas croire ce qu'il dit. C'est un petit éccr\elé, qui vous a pris pour un autre.

LE MARQUIS.

Je l'ai bien vu, madame; et, sans votre respcd, je lui au- rois appris à connoîlre les gens de qualilc.

ÉLISE.

Ma cousine vous est fort obligée de cette dcfcionce.

URANIE, à Galopin.

Un siège donc, impertinent.

GALOPIN.

N'en voilà-t-il pas un?

URAME.

Approcbe-le,

(Galopin pousse le siège rudemeo*., el sort.

29.

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.ili LA CRITIQUE DE L'ÉCOLE DES FEMMES. SCÈAE V — LE MARQUIS, CLIMÈNE, URANIE, ÉLISE.

LE MARQUIS.

Voire petit laquais, madame, a du mépris pour ma per sonne.

ÉLISE,

Il auroit tort, sans doute.

LE M.VRQL'IS.

C'est peut-être que je paie l'iulérét de ma mauvaise mine, (il rit.) hai, liai, hai, hai.

ÉLISE. "

L'âge le rendra plus éclairé en honnêtes gens.

LE MARQUIS.

Sur quoi en éticz-vous, mesdames, lorsque |e vous ai ia- terrompues ?

UKANIE.

Sur la comédie de l'École des Femmes.

LE MARQUIS.

Je ne fais que d'eu sortir.

CLIMÈNE.

lié bien! monsieur, comment la trouvez-vous, s'il voua plaît?

LE MARQUIS.

Tout à fait impertinente.

CLIMÈNE.

Ah! que j'en suis ravie!

LE MARQUIS.

C'est la plus méchante chose du monde. Comment, diable I h peine ai-jc pu trouver place. J'ai pensé être étouffé à la porte, et jamais on ne m'a tant marché sur les pieds. Voyez comme mes canons et mes rubans en sont ajustés, de grâce.

ÉLISE.

Il est vrai que cela crie vengeance contre l'Ecole des Femmes, et que vous la condamnez avec justice.

LE MARQUIS.

II ne s'est jamais fait, je pense, une si méchante comédie.

URANIE.

Ahl voici Dorante, que nous attendions.

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SCÈNE VI. 51S

SCÈNE VI. — DORANTE, CLIIMÈNE, URANIE, ÉLISE, LE MARQUIS.

DORANTE.

Ne bougez, de grâce, et n'interrompez point votre dis- eurs. Vous êtes là sur une matière qui, depuis quatre jours, fait presque l'entretien de toutes les maisons de Paris; et jamais on n'a rieu vu de si plaisant que la diversité des ju- gements qui se font là-dessus. Car enfin j'ai oui condamner cette comédie à certaines gens, parles mêmes choses que j'ai vu d'autres estimer le plus. cnAKiE.

Voilà monsieur le marquis qui en dit force mal.

LE MARQLIS.

II est vrai. Je la trouve détestable, morbleu! détestable, du dernier détestable, ce qu'on appelle détestable.

DORAÎNTF.

Et moi, mon cher marquis, je trouve le jugement détes- table.

LE MARQDIS.

Quoi! cfievalier, est-ce que tu prétends soutenir cette pièce?

DORANTE.

Oui, je prétends la soutenir.

LE MARQUIS.

Parbleu! je la garantis détestable.

DORANTE.

La caution n'est pas bourgeoise. Mais, marquis, par quelle raison, de grâce, cette comédie est-elle ce que tu dis?

LE MARQDIS.

Pourquoi elle est détestable?

DORANTE.

Oui.

LE MARQUIS.

Elle est détestable, parcequ'elle est détestable.

DORANTE.

Après cela, il n'y a plus rien à dire ; voilà son procès fait. Mais encore instruis-nous, et nous dis les défauts qui y sont,

LE MARQUIS.

Que sais-je, moi? je ne me suis pas seulement doLXié la peine de l'écouter. Mais enfin je sais bien que je n'ai jamais

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5IG LA CRITIQUE DE L'ÉCOLE DES FEMMES.

rien vu de si méchanl, Dieu me sauve! et Dorillas, conlre qui j'étois, a élé de mon avis.

DOUANTE.

L'autorité est belle, et le voilà bien appuyé!

LE MARQUIS.

Il ne faut que voir les continuels éclats de rire que le pai> terre y fait. Je ne veux point d'autre chose pour témoigner qu'elle ne vaut rien.

DORANTE.

Tu es donc, marquis, de ces messieurs du bel air, qui ne veulent pas que le parterre ait du sens commun, et qui se- roient fâchés d'avoir ri avec lui, fût-ce de la meilleure chose du monde? Je vis l'autre jour sur le théâtre un de nos amis, qui se rendit ridicule par-là. Il écouta toute la pièce avec un sérieux le plus sombre du monde; et tout ce qui égayoit les autres ridoit son front. A tous les éclats de risée, il haussoit les épaules, et rcgardoil le parterre en pitié; et quelquefois aussi , le regardant avec dépit , il lui disoit tout haut : Rii donc, parterre, ris donc. Ce fut une seconde comédie, que le chagrin de notre ami. 11 la donna en galant homme à toute l'assemblée, et chacun demeura d'accord qu'on ne pou- voit pas mieux jouer qu'il fit'. Apprends, marquis, je te prie, el les autres aussi, que le bon sens n'a point de place déter- minée à la comédie ; que la différence du demi-louis d'or, et de la pièce de quinze sols^, ne fait rien du tout au bon goût; que, debout ou assis, l'on peut donner un mauvais jugement; et qu'enfin , à le prendre en général , je me ficrois assez à l'approbation du parterre, par la raison qu'entre ceux qui le composent , il y en a plusieurs qui sont capables de juger d'une pièce selon les règles, et que les autres en jugent par la bonne façon d'en juger, qui est de se laisser prendre aux choses, et de n'avoir ni prévention aveugle, ni complaisance affectée, ni délicatesse ridicule.

LE MARQUIS.

Te voilà donc, chevalier, le défenseur du parterre? Par- bleu ! je m'en réjouis , et je ne manquerai pas de l'avertir que tu es de ses amis. Hai, bai, hai, bai, hai.

■ Ce personnage se nommoit Plapisson.

' Le louis d'or, ou lis d'or, éloii de 7 livres. Les premières places d'un demi» loais étoienl donc de 3 livres 10 sou». (Brel.J

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SCENE VI. Si7

DOUANTE.

Ris tant que lu voudras. Je suis pour le bon sens , et ne laurois souffrir les ébulli lions de cerveau de nos marquis de Mascariile. J'enrage de voir de ces gens qui se traduisent en ridicule, malgré leur qualité; de ces gens qui décident tou- jours, cl parlent hardiment de toutes ciioses, sans s'y con- Doître; qui, dans une comédie, se récrieront aux nicchants endroits, cl ne branleront pas à ceux qui sont bons; qui, voyant un tableau, ou écoutant un concert de musique, blâ- ment de même et louent tout à contre-sens, prennent par où ils peuvent les termes de l'art qu'ils attrapent, et ne man- quent jamais de les estropier, et de les mettre hors de place. Hé, morbleu! messieurs, taisez-vous. Quand Dieu ne \ous a pas donné la conuoissance d'une chose, n'appiclez point à rire à ceux qui vous entendent parler, et songez qu'en ne disant mot, on croira peut-être que vous êtes dhabiles gens.

LE MARQCIS.

Parbleu ! chevalier, tu le prends là...

DORANTE.

Mon Dieu, marquis, ce n'est pas à loi que je parle. C'est à une douzaine de messieurs qui déshonorent les gens de cour par leurs manières extravagantes, et font croire parmi le peuple que nous nous ressemblons tous. Pour moi, je m'en \qu\ justifier le plus qu'il me sera possible; el je les dauberai tant en toutes rencontres, qu'à la fin ils se ren- dront sages.

LE MARQUIS.

Dis-moi un peu, chevalier, crois-lu que Lysandre ait de l'esprit?

DOUANTE

Oui sans doute, cl beaucoup.

URANIE.

C'est une chose qu'on ne peut pas nier.

LE MAUQUIS.

Demandez-lui ce qu'il lui semble de l'École des Fcmmet^i vous verrez qu'il vous dira qu'elle ne lui plaît pas.

DORANTr.

Hi! mon Dieu, il y en a beaucoup que le trop d'esprit gâte, qui voient mai les choses à force de lumière, et ivième

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518 LA CRITIQUE DE L'ÉCOLE DES FEMMES.

qui seroient bien fAcbés d'être de l'avis des autres, pour avoir la gloire de décider*.

URANIE.

II est vrai. Notre ami est de ces gens-là, sans doute. Il feut être le premier de son opinion, et qn'on allcnde par respect son jugement. Toute approbation qui marche avant la sienne est un attentat sur ses lumières, dont il se venge hautement en prenant le contraire parti. II veut qu'on le consulte sur toutes les affaires d'esprit; et je suis sûre que, si l'auteur lui eût montré sa comédie avant que de la faire voir au public, il rcût trouvée la plus belle du monde.

LE MARQUIS.

Et que direz-vous de la marquise Araminte, qui la public partout pour épouvantable, et dit qu'elle n'a pu jamais souf- frir les ordures dont elle est pleine.

DORANTE.

Je dirai que cela est digne du caractère qu'elle a pris ; et qu'il y a des personnes qui se rendent ridicules, pour vouloir avoir trop d'honneur. Bien qu'elle ait de l'esprit, elle a suivi le mauvais exemple de celles qui, étant sur le retour de làge, veulent remplacer de quelque chose ce qu'elles voient qu'elles perdent, et prétendent que les grimaces d'une pruderie scru- puleuse leur tiendront lieu de jeunesse et de beauté. Celle-ci pousse l'affaire plus avant qu'aucune; et l'habileté de son scrupule découvre des saletés, où jamais personne n'en avoit vu. On tient qu'il va, ce scrupule, jusques à défigurer notre langue, et qu'il n'y a point presque de mois dont la sévérité de cette dame ne veuille retrancher ou la léte ou la queue, , pour les syllabes déshonnètes qu'elle y IrouNe^

UKANIE.

ous êtes bien fou, chevalier.

LE MARQUIS.

Enfin, chevalier, tu crois défendre ta comédie, en faisant ia satire de ceux qui la condamnent.

DORANTE.

Kon pas, mais je tiens que celte dame se scandalise b tort...

• Voyez dans le Misanthrope, aclc II, scène ¥, le portrait que fait Célimèje d'un c(>ilain Dnmis, qui est de ses amis.

' Celte idée se lelioine dans la Comtesse d'Escarbagnas, et Taiiteur Va dé- veloppée une truisième fois UaQS les Femmes savantes ,acte 111, scêoe II).

(Peiilul.)

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SCEi^E Vil. 519

ÉI.ISF.

Fout boa», monsieur le chevalier! il pourroit y eii avoir d'aulios qu'elle qui seroieiil dans les niènies senlinicnts.

DORANTE.

Je sais bien que ce n'est pas vous, au moins; et que lors- que vous avez \a cette représentation...

ÉLISE.

Il est vrai; mais j'ai cliangé d'avis; (montrant ciimpue) et ma» dame sait appuyer le sien par des raisons si convaincantes, qu'elle m'a entraînée de son côté.

DOHAMn, à Climène.

Ail! madame, je vous demande pardon; et, si vous le voulez, je me dédirai, pour l'amour de vous, de tout ce que j'ai dit.

eu MÈNE.

Je ne veux pas que ce soit pour l'amour de moi, mais pour l'amour de la raison : car enfin cette pièce, à le bien prendre, est tout à fait indéfendable; et je ne conçois pas..

tRANIE.

Ah 1 voici l'auteur, monsieur Lysidas. Il vient tout à pro- pos pour celle matière. Monsieur Lysidas, prenez un siège vous-même, et vous mêliez là.

SCÈNE VII. — LYSIDAS, CLIMÈNE, URANIE, ÉLISE, DORANTE, LE MARQUIS.

LYSIDAS.

Madame, je viens un peu lard; mais il m'a fallu lire ma pièce chez madame la marquise dont je vous avois parlé; cl les louanges qui lui ont été données m'ont retenu une heura plus que je ne croyois.

ÉLISE.

C'est un charme que les louanges pour arrêter un auteur.

UIUNIE.

Asseyez-vous donc, monsieur Lysidas; nous lirons voliS pièce après souper.

LYSIDAS.

Tous ceux qui étoient là doivent venir à sa première re«  présenlalicu, et m'ont promis de faire leur devoir comme il faut.

URANIE.

Je le crois. Mais, encore une fois, asseyez-vous, s'il voua

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520 LA CRITIQUE DE L'ÉCOLE DES FEMMES.

plaît. Nous sommes ici sur une matière que je serai bien aise que nous poussicns.

LYSIDAS.

Je pense, madame, que vous letiendrez aussi une loge pour ce jour-là.

DRAME,

Nous verrons. Poursuivons, fie grâce, notre discours.

LYSIDAS.

Je vous donne avis, madame, qu'elles sont presque toutes retenues.

DRAME.

Yoilà qui est bien. Enfin, j'avois'besoin de vous, lorsque vous êtes venu; et tout le monde étoit ici contre moi.

ÉLISE, à Uranie, montrant Dorante.

Il s'est mis d'abord de votre côté ; mais maintenant (moo- tr»nt ciimène) qu'il Sait que madame est à la têle du parti con- traire , je pense que vous n'avez qu'à chercher un autre secours.

CLnii.NE.

Non, non. Je ne voudrois pas qu'il fil mal sa cour auprès de madame votre cousine, et je permets à son esprit d'être du parti de son cœur.

DORANTE.

Avec cette permission, madame, Je prendrai la hardiesse de me défendre.

URANIt.

Mais, auparavant, sachons un peu les sentiments de mon- sieur Lysidas.

LYSIDAS.

Sur quoi, madame?

DRAME.

Sur le sujet de l'École des Femmes.

LYSIDAS.

Ah, ah!

DORANTE.

Que VOUS en semble?

LYSIDAS.

Je n'ai rien à dire là-dessus; et vous savez qu'entre nous autres auteurs, nous devons parler des ouvrages les uns des autres avec beaucoup de circonspcclion '.

' Buursault, qui avoit cru se rocoonoitre c'ani le portrait de Lyiidas, 6t jouei

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SCÈNE VIL 52^

DOUANTE.

Mais encore, entre nous, que penspz-vous de celle comédie?

LYSIDAS.

Moi, iiioiisiour?

URANIE.

De bonne foi, diles-nous volie avis.

LYSIDAS.

Je la trouve fort belle.

DORANTE.

Assurément ?

LYSIDAS.

Assurément. Pourquoi non? N'est-elle pr,s en effet la plus belle du monde?

DORANTE.

Hon, lion, vous êtes un méchant diable, monsieur Lysidas, vous ne dites pas ce que vous pensez.

LYSIDAS.

Pardonnez-moi.

DORANTE.

Mon Dieu ! je vous connois. Ne dissimulons point.

LYSIDAS.

Moi, monsieur?

DORANTE.

Je vois bien que le bien que vous dites de cette pièce n'est

pie par honnêk lé, et que, dans le fond du cœur, vous êtes

de l'avis de beaucoup de gens qui la trouvent mauvaise.

LYSIDAS.

Hai, bai, bai.

DORANTE.

Avouez, ma foi, que c'est une méchante chose que cette comédie.

LYSIDAS.

L est vrai qu'elle n'est pas approuvée par les connoisseurs.

LE MARQUIS.

Ma foi, chevalier, tu en tiens, c l te voilà payé de ta rail- lerie. Ah, ah, ah, ah, ah!

mr le théâtre de l'hôlel de Bourgogne, le Portrait du Peintre, ou la Contre-Crt- ti^ue e l'École des Femmes, yièce froide, lourde, sans comique et sans verve. L'auteur y avança que Molière faisoit courir une clef de VÉcole des Femmes. Mo- licre, outré qu'on os.ît lui prêter une pareille infamie, en marqua tout haut son indignation ; Louis XIV lui permit, lui ordonna même, de se venger : ce qu'il fil iia. l'Impromptu de Vertaillet. (Cailliava-J ^

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5-22 LA CRITIQUE DE L'ÉCOLE DES FEMME

DORANTE.

Pousse, mon cher marquis, pousse.

LE MARQUIS.

Tu vois que nous avons les savants de notre côté.

DORANTE.

Il"est vrai. Le jugement de monsieur Lysidas est quelque chose de considérable. Mais monsieur Lysidas veut bien que je ne me rende pas pour cela ; et, puisque j'ai bien l'audace de me défendre (montram ciimène) contre lessenlimonls de ma- dame, il ne trouvera pas mauvais que je combatte les siens.

ÉLISE.

Quoi ! vous voyez contre vous ma:dame, monsieur le mar- quis, et monsieur Lysidas, et vous osez résister encore? Fil que cela est de mauvaise grâce !

CLIMÈNE.

Voilà qui me confond, pour moi, que des personnes rai- sonnables se puissent mettre en tète de donner prolectioQ aux sottises de cette pièce.

LE MARÎJDIS.

Dieu me damne! madame, elle est misérable depuis le commencement jusqu'à la fln.

DORANTE.

Cela est bientôt dit, marquis. II n'est rien plus aisé que de trancher ainsi; et je ne vois aucune chose qui puisse être h couvert de la souveraineté de tes décisions.

LE MARQDIS.

Parbleu ! tous les autres comédiens qui étoient là pour la voir en ont dit tous les maux du monde.

DORANTE.

Ah! je ne dis plus mot; lu as raison, marquis. Puisque les autres comédiens en disent du mal, il faut les en croire assurément. Ce sont tous gens éclairés, et qui parlent sans intérêt. Il n'y a plus rien à dire, je me rends.

CLIMÈNE.

Rendez-vous, ou ne vous rendez pas, je sais fort bien que vous ne me persuaderez point de souffrir les immodesties de cette pièce, non plus que les satires désobligeantes qu'on y voit contre les femmes.

CRANIE.

Pour moi, je me garderai bien de m'en offenser, et de prendre rien sur mon compte de t'ut ce qui s'y dit. Ces sortes

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SCENE VII. 525

de satires lombent directement sur les mœurs, cl ne fiopin-nt !os personnes que par réflexion. N'allons point nous appli- quer nous-mêmes les Iraits d'une censure générale ; cl pro- fitons de la leçon, si nous pouvons, sans faire semblant qu'on parle à nous. Toutes les peintures ridicules qu'on expose sur les théâtres doivent être regardées sans chagrin de tout le monde. Ce sont miroirs publics, où il ne faut jamais (émoi- gner qu'on se voie; et c'est se taxer haulement d'un défaut, que se scandaliser qu'on le reprenne.

CLIMÈNE.

Pour moi , je ne parle pas de ces choses par la part que j'y puisse avoir, et je pense que je vis d'un air dans le monde à ne pas crair^dre d'être cherchée dans les peintures qu'on fait là des femmes qui se gouvernent mal.

ÉLISE.

Assurément, madame, on ne vous y cherchera point. Votre conduite est assez connue, et ce sont de ces sortes de choses qui ne sont contestées de personne.

URANIE, à Climène.

Aussi, madame, n'ai-je rien dit qui aille à vous; ei mes paroles, comme les satires de la comédie, demeurent dans la thèse générale.

CLIMENE.

Je n'en doute pas, madame. Mais enfin passons sur ce chapitre. Je ne sais pas de quelle façon vous recevez les in- jures qu'on dit à notre sexe dans un certain endroit de la [ièce; et, pour moi, je vous avoue que je suis dans une co- lé e épouvanhible, de voir que cet auteur impertinent nous ppelle des animaux.

UnANIE.

Ne voyez-vous pas que c'est un ridicule qu'il fait parler?

DOUANTE.

Et puis, madame, ne savez-vous pas que les injures des amants n'offensent jamais; qu'il est des amours emportés aussi bien que des doucereux; et qu'en de pareilles occasions les paroles les plus étranges, et quelque chose de pis en- core, se prennent bien souvent pour des marques d'affection, par celles mêmes qui les reçoivent?

ÉLISE.

Dites tout ce que vous voudiez* ie ne saurois diçérer cela,

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û24 LA CRITIQUE DE L'ECOLE DES FEMMES.

non plus que le polageei la larle à la crème, dont niada a parle lanlôt.

LE MARQUIS.

Ah! ma foi, oui, larle à la crème! voilà ce que j'avois re- marqué tantôt; tarte à la crême^l Que je vous suis obligé, madame, de m'avoir fait souvenir de larle à la crème l ¥ a-t-il assez de pommes en Normandie pour tarte à la crcme"^ f Tarie à la crème, morbleu ! tarte à la crème

DORANTE.

Hé bien! que veux-tu dire? Tarte à la crème!

LE MAUÇUIS.

Parbleu ! tarie à la crème, chevalier.

DOUANTE.

Mais encore?

LE MARQUIS.

Tarie à la crème!

DORANTE.

Dis-nous un peu tes raisons.

LE MARQUIS.

Tarte à la crème!

CRANIE.

Mais il faul expliquer sa pensée, ce me semble.

Ce passage n'est que la reproduction scénique d'un fail rcol. Voici ce que Ko» racoDle : Le duc de la Feulllade ne fui pas un des moins zclcs censeurs de l'ÉcoU dct Femmes: € Qu'y trouvez-vous à redire d'essentiel? lui dit un connaisseur. — Ah , parbleu ! ce que j'y trouve à redire est plaisant, s'eciia le duc : Tarte à la crème... — Mais tarte à la crêine n'est point un défaut, repondit le Lcl esprit, pour la décrier comme vous le faites. — Tarte à la crème est exécrable, répliqua le courtisan. Tarie à la crème, bun Dieu I avec du sens commun peut-on soutenir une pièce où l'on a mis tarte a la crème? » Celte expression fut bienlot répétée par tout le monde. Molière fit jouer peu de temps après ta Cnu'gue de l Écolt det Femmes : la tarte à la crème n'y fut pas onbliéc, et quoique ce moi fùl déjà devenu proverbe, la raillerie que Molière en fil dans sa critique fui partagée entre ceux qui l'avaient employé. Le seigneur, qui en était roriginal, fut si vivement piqué d'être mis sur la scène qu'il s'avisa d'une vengeance aussi indigne de a» qualité qu'elle était imprudente. Ul ^our qu'il vil Molière passer dans un appar- tement où il était, il l'aborda avec les démonstialionsd'un liomme qui voulait lui faire une caresse. Molière s'étant incliné, il lui prit la tèle en disant: Tarit à la crème, Molière, tarte à la crème. 11 lui frotta le visa;;e contre ses b^uloni qui, élan durs cl trancliants, le mirent en sang. Le roi qui vit ïlolière le incmi jour apprit la chose avec indignation, et le marqua au duc d'une manière asseï vive. (Taiilefcr.)

' AllusiM à ;'(iSDge de jeter des pommes cuites, et quelquefois même de* ^ nmes crues, à la tète des acteurs, quand on étoit mécoutest de leur joa os 1« 

i pièce.

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SCÈNE Vlî. 52S

l.r, MAHQIIS.

Tarte à la crème, madame!

t'r.ANii- Que (rouvcz-vous là à rcdiie?

Le MAUQL'IS.

Moi, rien. Tarte à la crcmc!

UU.VN4E.

Ah ! je le quille •.

ÉLISE.

Monsieur le marquis s'y prend bien, el vwus bourre de la belle manière. Mais je voudrois bien que monsieur l.ysidas voulût les acheter, et leur donner quelques petits coups de la façon.

LYSID.VS.

Ce n'est pas ma coutume de rien blâmer, et je suis asseï indulgent pour les ouvrages des autres. Mais enfin, sans choquer l'amitié que monsieur le chevalier témoigne pour l'auteur, on m'avouera que ces sortes de comédies no sont pas piopicmcnl dos comédies, et qu'il y a une grande diffé- rence de loulos ces bagafcHos à la beauté des pièces sérieuses. Cependant lout le monde donne là-dedans aujourd'hui ; on ne cour! plus qu'à cela, et l'on voit une solitude effroyable aux grands ouvrages, lorsque des sottises ont lout Paris. Je vous avoue que le cœur m'en saigne quelquefois; et cela est honteux pour la France.

CLIMÈNE.

Il est vrai que le goût des gens est étrangement gâté là- dessus, et que le siècle s'encanaille furieusement.

ÉLISE.

Celui-là est joli encore, s'encanaille ! Est-ce vous qui l'avez invenlé, madame '^ ?

CLlMÈXr.

lié!

ELISE.

le m'en suis bien doutée.

DORANTE.

/ous croyez donc, monsieur l.ysidas, que lout l'esprit el

'Dans le sens de : J'en ai assez, j'y renonce.

' Le inol encanatl'tr, «uivanl Somaise, fui inventé par la marquise de Mnny. 'îîells <lame, dil Is même auteur, n'aime pas les gens de basse naissance; el lei ymots qu'elle a ioTentcs pour marque.- son aversion en «ont des témoins forl > fi0Bvsi.ncant». » (Aimé Slariio.)

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52S LA CRITIQUE DE L'ÉCOLE DES FEMMES.

(ouïe la beauté sont dans les poëuies sérieux, et que 'ès péccs couiiques sont des niaiseries qui ne méiilent aucu'je louange ?

URANIE.

Ce n'est pas mon sentiment, pour moi. La tragédie, sans doute, est quelque chose de beau quand elle est bien tou- chée ; mais la comédie a ses charmçs, et je tiens que l'une n'est pas moins difficile que l'aulre.

nORANTE.

Assurément, madame; et quand, pour la difficulté, vous meltriez un peu plus du côlé de la comédie peut-être que vous ne vous abuseriez pas. Cor enfin, je trouve qu'il est bien plus aisé de se guinder sur de grands senliments, de braver en vers la fortune, accuser les destins, et dire des injures aux dieux, que d'entrer comme il faut dans le ridi- cule des hommes, et de rendre agréablement sur le théâtre les défauts de tout le monde. Lorsque vous peignez des hé- ros, vous faites ce que vous voulez. Ce sont des portraits à plaisir, où l'on ne cherche point de ressemblance; et voui«- n'avez qu'à suivre les traits d'une imagination qui se donne l'essor, et qui souvent laisse le vrai pour attraper le mer- veilleux. Mais lorsque vous peignez les hommes, il faut peindre d'après nature. On veut que ces portiails ressem- blent; et vous n'avez rien fait, si vous n'y faites reconnoî Ire •es gens de votre siècle. En un mot, dans les pièces sérieuses, il suffit, pour n'être point blâmé, de dire des choses qui soient de bon sens et bien ccrilcs; mais ce n'est pas assez dans les autres, il y faut plaisanter; et c'est une étrange entreprise que celle de faire rire les honnêtes gens.

CLIMÈNF.

Je crois être du nombre des honnêtes gens; et cependant je n'ai pas trouvé le mol pour rire dans tout ce que ^'ai vu.

LE JIAr.QUIS.

Ma foi, ni moi non plus.

DORANTE.

Pour toi, marquis, je ne m'en étonne pas. C'est que lu n'y as point trouvé de lurlupinades.

LYSIDAS.

Ma foi, monsieur, ce qu'on y rencontre ne vaut guère mieux; et toutes les plaisanterie* y sont assez froides, «  mon avis.

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SCÈNE VII. 527

DORANTE.

La cour n'a pas trouvé cela.

LYSIDAS.

Ahl monsieur, la cour!

DORANTE.

Achevez, monsieur Lysidas. Je vois bien que vous voulei dire que la cour ue se connoît pas à ces choses; et c'est le refuge ordinaire de vous autres messieurs les auteurs, dans le mauvais succès de vos ouvrages, que d'accuser l'injustice du siècle et le peu de lumière des courtisans. Sachez, s'il vous plaît, monsieur Lysidas, que les courtisans ont d'aussi bons yeux que d'autres; qu'on peut être habile avec un point de Venise i et des plumes, aussi bien qu'avec une per- ruque courte et un petit rabat uni ; que la grande épreuve de toutes vos comédies, c'est le jugement de la cour; que c'est son goût qu'il faut étudier, pour trouver l'art de réussir; qu'il n'y a point de lieu où les décisions soient si justes; et, sans mettre en ligne de compte tous les gens savants qui y sont, que, du simple bon sens naturel et du commerce de tout le beau monde, on s'y fait une manière d'esprit qui, sans comparaison, juge plus finement des choses que tout le savoir eurouillé des pédants.

CRANIE.

Il est viai que, pour peu qu'on y demeure, il vous passe là tous les jours assez de choses devant les yeux, pour ac- quérir quelque habitude de les connoîlre, et surtout pour ce qui est de la bonne et mauvaise plaisanterie.

DORANTE.

La cour a quelques ridicules, j'en demeure d'accord, et je suis, comme on voit, le premier à les fronder. Mais, ma foi, il y en a un grand nombre parmi les beaux esprits de profession ; et si l'on joue quelques marquis, je trouve qu'il y a bien plus de quoi jouer les auteurs, et que ce seroit une chose plaisante à mettre sur le théâtre, que leurs grimaces savantes et leurs raffinements ridicules, leur vicieuse cou- tume d'assassiner les gens de leurs ouvrages, leur friandise de louanges, leurs ménagements de pensées, leur trafic de réputation, et leurs ligues offensives et défensives, aussi bien

' On appeloit point de Teoise. les denlfilles fabnouâes dans celle ville. Le pr'. en étoit exorhilant.

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528 LA CRITIQUE DE L'e^COLE DES FEMMES.

que leurs guerres d'esprit, et leurs combats de prose et de vers.

LYSIDAS.

Moiicre est bien heureux, monsieur, d'avoir un prolecleur aussi cbaud que vous. Mais enfin, pour venir au fait, il est question de savoir si sa pièce est bonne, et je m'offre d'y montrer partout cent défauts visibles.

URANIE.

C'est une étrange chose de vous autres messieurs les poêles, que vous condamniez toujours les pièces où tout le monde court, et ne disiez jamais du bien que de celles où personne ne va '. Vous montrez pour les unes une haine bvincible, et pour les autres une tendresse qui n'est pas concevable.

DORANTE.

C'est qu'il est généreux de se ranger du côté des affiigés.

CRANIE.

Mais, de grâce, monsieur Lysidas, faites-nous voir ces dé- fauts, dont je ne me suis point aperçue.

LYSlDAS.

Ceux qui possèdent Arislole et Horace voient d'abord, madame, que celte comédie pèche contre toutes les règles de l'art.

t'RANIE.

Je vous avoue que je n'ai aucune habitude avec ces mes- sieurs-là, et que je ne sais point les règles de l'art.

DORANTE.

Vous êtes de plaisantes gens avec vos règles dont vous embarrassez les ignorants, et nous étourdissez tous les jours. Il semble, à vous ouïr parler, que ces règles de l'art soient les plus grands mystères du monde; et cependant ce ne sont que quelques observations aisées, que le bon sens a faites sur ce qui peut ôter le plaisir que l'on prend à ces sortes de pocmcs; et le même bon sens qui a fait autrefois ces obser- vations les fait aisément tous les jours, sans le secours d'Ho- race et d'Arislole. Je voudrois bien savoir si la grande règle de toutes les règles n'est pas de plaire, et si une pièce de théliire qui a attrapé son but n'a pas suivi un bon chemin.

la Bruyère a dit, dans le même sens: < Si un poêle loue les vers d'u» autre » poète, il y a à paner qu'ils sont mauvais, et sans coDséaacnce. »

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SCElNE VII. 529

Veul-on que tout un public s'abuse sur ces sortes de choses, et que chacun ne soit pas juge du plaisir qu'il y prend?

URANIE.

J'ai remarqué une chose de ces messieurs-là : c'est qu? ceux qui parlent le plus des règles, et qui les savent mieux que les autres, font des comédies que personne ne trouve belles *.

DORANTE.

Et c'est ce qui marque, madame, comme on doit s'arrèler peu à leurs disputes embarrassées. Car enfin, si les pièces qui sont selon les règles ne plaisent pas, et que colles qui plaisent ne soient pas selon les règles, il faudroit, de néces- sité, que les règles eussent été mal faites. Moquons-nous donc de cette chicane, où ils veulent assujettir le goût pu- blic, et ne consultons dans une comédie que l'effet qu'i41e fait sur nous. Laissons-nous aller de bonne foi aux choses qui nous prennent par les entrailles, et ne cherchons point de raisonnements pour nous empêcher d'avoir du plaisir.

DUANIE.

Pour moi, quand je vois une comédie, je regarde seule- ment si les choses mo louchent; et, lorsque je m'y suis bien divertie, je ne vais point demander si j'ai eu tort, et si les règles d'Aristole me défendoient de rire.

DORANTE.

C'est justement comme un homme qui auroit trouvé une sauce excellente, et qui voudroit examiner si elle est bonne, sur les préceptes du Cuisinier frayiçois.

URANIE.

Il est vrai; et j'admire les raffinements de certaines gens ur des choses que nous devons sentir par nous-mêmes.

DORANTE.

Vous av-cz raison, madame, de les trouver étranges, tons ces raffinements mystérieux. Car enfin, s'ils ont lieu, nous voilà réduits à ne nous plus croire; nos propres sens seront esclaves en toutes choses ; et, jusques au manger et au boire, nous n'oserons plus trouver rien de bon, sans le congé de messieurs les experts.

' < Je sais Lon gré à l'abbé d'Auhignac d'avoir si biep viivi les rpgl.'sd'Aristotej taais je ne pardonne point aux règles d'Ariàlote d'av <f fail faire à l'alibé d' ^u bignac une si méclianle tragédie. > (le grand Condc.)

1. 30

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550 LA CRITIQUE DE L'ÉCOLE DES FEMMES.

LYSIDAS.

Eufin, monsieur, toute votre raison, c'est que l'Ecole de» Femmes a plu ; et vous ne vous souciez point qu'elle ne soit pas dans les régit s, pourvu

DOUANTE.

Tout beau, monsieur Lysidas, je ne vous accorde pas cela. Je dis bien que le grand art est de plaire, et que cette co- médie ayant plu à ceux pour qui elle est faite, je trouve que c'est assez pour elle, et qu'elle doit peu se soucier du reste. Mais, avec cela, je soutiens qu'elle ne pèche contre aucune des règles dont vous parlez. Je les ^ lues. Dieu merci, autant qu'un autre ; et je ferois voir aisément que peut-êlre n'avons- nous point de pièce au théâtre plus régulière que celle-là.

éusB. Courage, monsieur Lysidas ! nous sommes perdus si vous reculez.

LYSIDAS.

Quoi! monsieur, la protase, l'épitase, et la péripétie

DOUANTE.

Ah ! monsieur Lysidas, vous nous assommez avec vos grands mots. Ne paroissez point si savant, de grâce ! Huma- nisez voire discours, et parlez pour être entendu. Pensez- vous qu'un nom grec donne plus de poids à vos raisons? Et ne trouveriez-vous pas qu'il fût aussi beau de dire, l'esposi- tion du sujet, que la profase; le nœud, que l'épilase; et le lénoûment, que la péripétie?

LYSIDAS.

Ce sont termes de l'art dont il est permis de se servir. Mais puisque c^s mots blessent vos oreilles, je m'expliquerai d'une aulre façon; et je vous prie de répondre positivement à Iroisou quatrechosesqueje vais dire. Peut-on souffrir une pièce qui pèche contre le nom propre des pièces de théâtre? Car enfin le nom de poëme dramatique vient d'un mot grec qui signifie agir, pour montrer que la nature de ce poëme consiste dans l'action; et dans celle comédie-ci il ne se passe point d'actions, et tout consiste en des récits que vient faire ou Agnès ou Horace.

LE HABQUIS.

Ah ! ah ! chevalier.

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SCÈNE VIL 53t

CLI.MÈNE.

Voilà qui est spirituellement remarqué, et c'est prendre le fia des choses.

LYSIDAS.

Est-il rien de si peu spirituel, ou pour mieux dire, rien de 81 bas, que quelques mots où tout le monde rit, et surtout celui des enfants par l'oreille ?

CLIMÈNE.

Fort bien.

ÉLISE.

Âh!

LYSIDAS.

La scène du valet et de la servante au-dedans de la maison n'est-elle pas d'une longueur ennuyeuse, et tout à fait im- pertinente ?

LE MARQUIS.

Cela est vrai. Assurément. Il a raison..

CLIMENE.

ÉLISE.

LYSIDAS.

Arnolplie ne donnc-t-il pas trop librement son argent à Horace? Et puisque c'est le personnage ridicule de la pièce, falloit-il lui faire faire l'aclion d'un honnête homme?

lE MARQUIS.

Bon. La remarque est encore bonne.

CLIMÈNE.

Admirable!

ELISE.

Merveilleuse I

LYSIDAS.

Le sermon et les maximes ne sont-elles pas des choses ridicules, et qui choquent même le respect que l'on doit i nos mystères?

LE MAr.QUîS.

C'est bien dit.

CLIMÈNE.

Voilà parlé comme il faut.

ÉLISE.

11 ne se peut rien de mieui.

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532 LA CRITIQUE DE L'ÉCOLE DES FEMMES.

LYSIDAS.

Et ce monsieur de la Souche, enfin, qu'on nous fait un homme d'esprit, el qui paroît si sérieux en tant d'endroits, ne descend-il point dans quelque chose de trop comique et de trop ouli3 au cinquième acte, lorsqu'il explique à Agnès la violence de son amour, avec ces roulements d'yeux extrava- gants, CCS soupirs ridicules, et ces larmes niaises qui font rire tout le monde?

LE MARQUIS.

Morbleu 1 merveille.

CLIMÈNE.

Miracle!

ÉLISE.

Vivat! monsieur Lysidas.

LTSIDAS.

Je laisse cent mille autres choses, de peur d'être ennuyeui

LE MARQUIS.

Parbleu I chevalier, te voilà mal ajusté,

DORANTE.

Il faut voir.

LE MARQUIS.

Tu as trouvé ton homme, ma foi.

DORAME.

Peut-être.

LE MARQUIS.

Réponds, réponds, réponds, répondJ.

noiUMii. Volontiers. II...

LE MARQUIS..

Réponds donc, je te prie.

DORANTE.

Laisse-moi donc faire. Si...

LE MARQUIS.

Parbleu ! je te défie de répondre.

nORANTE.

Oui, si tu parles toujours.

CLIMÈNE.

De grâce, écoutons ses raisons,

DORANTE.

Premièrement, il n'est pas vrai de dire que toute la pièce Q'esl qu'en récits. On y voit beaucoup d'actions qui se pas-

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SCÈNE VII, 553

ienl bur la scène ; et les récils eux-mêmes y sont des actions, suivant la constitution du sujet; d'autant qu'ils sont lous faits innocemment, ces récils, à la personne intéressée, qui, par-là, entre à tous coups dans une confusion à réjouir les specta- teurs, et prend, à chaque nouvelle, toutes les mesures qu'il peut, pour se parer du mall'.eur qu'il ciainl.

URANIE.

Pour moi, je trouve que la beauté du sujet de l'Ecole des Femmes consiste dans celte oontidence perpétuelle ; et ce qui nie pareil assez plaisant, c'est qu'un liomme qui a de l'es- prit, et qui i-sl a^erti de toul par une innocenle qui est sa niailrcsse, et par un étourdi qui est son rival, ne puisse avec cela éviter ce qui lui airi\e.

LE MARQUIS..

Bagatelle, bagatelle.

eu MÈNE.

Foible réponse.

ÉLISE.

Mauvaises raisons.

DORANTE.

Pour ce qui est des enfanlx par l'oreille, ils ne sont plai- sants que par réflexion à Ar[.oIphe; et l'auteur n'a pas mis cela pour être de soi un bon mot, mais seulement pour une chose qui caractérise l'homme *, et peint d'autant mieux son estrovasance, puisqu'il rapporte une sottise triviale qu'a dite Agnès, comme la chose la plus belle du monde, et qui lui donne une joie inconcevable.

LE MARQUIS.

C'est mai répondre.

CUMÈNE.

Cela ne satisfait point.

ÉLISE.

C'est ne rien dire.

DORANTE.

Quant à l'argent qu'il donne librement, outre que la lettre de son meilleur ami lui est une caution suffisante, il nest pas incompatible qu'une personne soit ridicule en de cer- taines choses, et honnête homme en d'autres. Et pour la

' Od a rcfflarqué avec raison que loute la poétique de Molière cloil rPnfen.iiM. dans ceUe phrase. Molière en effet ne vise jamais à l'esprit, el il l'allcint îmiion'-s k force de naturel et de simplicité.

au.

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334 LA CRITIQUE DE L'ÉCOLE DES P»:.j1MES

scène d'Alain et de Georgelte dans le logis, que quelques uns ont trouvée longue et froide, il est certain qu'elle n'est pas sans raison; et de même qu'ArnoIphe se trouve attrape pendant son voyage par la pure innocence de sa maîtresse, il demeure au relour longtemps à sa porte par l'innocence de ses valets, afin qu'il soit partout puni par les choses dont il a cru faire la sûreté de ses précauliona.

LE MAr.QCIS.

Voilà des raisons qui ne valent rien.

CLIMÈNE.

Tout cela ne fait que blanchir.

ÉLISE. " Cela fait pit'è.

DOUANTE.

Pour le discours moral que vous appelez un sermon, il est certain que de vrais dévots qui l'ont oui n'ont pas trouvé qu'il choquât ce que vous dites; et sans doute que ces paroles d'enfer et de chaudières bouillantes sont assez justifiées par l'extravagance d'ArnoIphe, et par l'innocence de celle à qui il parle*. Et quant au transport amoureux du cinquième acte, qu'on accuse d'être trop outré et trop comique, je vou- drois bien s. voir si ce n'est pas faire la satire des amants, et si les honnêtes gens même, et les plus sérieux, en de pa- reilles occasions, ne fout pas des choses...

LE MARQUIS.

Ma foi, chevalier, tu feiois mieux de te taire.

DOUANTE.

Fort bien. Mais enfin si nous uous rt gardions nous-mêmes, quand nous sommes bien amoureux...

LE MAUQllS.

Je ne veux pas seulement t'écouter.

DOllAME.

Écoute-moi si tu veux. Est-ce que, dans la violence de la passion...

LE MARQUIS.

La, la, la, la, lare, la, la, la, la, la, la.

(Il châDie.) DORANTE.

Quoi.. I

' Ce fut là la première dispule c^uc Molière eut avec les faux dévot*.

(Pet ilôt.)

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SCÈNE VII. S55

LE MAr.QUIS.

La, ia, là, la, lare, la, la, la, In, la, la.

DOUANTE.

Je ne sais pas si...

LE MARQl'tS.

La, la, la, la, lare, la, la, la, la, la, la.

UKANIE.

Il me semble que...

LE MARQl'IS.

La, la, la, lare, la, la, la, la, la, la, la, la, la, la.

UP.ANIE.

II se passe des choses assez plaisantes dans notre dispute. Je trouve qu'on en pourroil bien faire une petite comédie, et que cela ne sei oit pas trop mal à la queue de l'Ècolt de* Femmes.

DORANTE.

V'ous avez raison.

LE MARQUIS.

Parbleu ! che\alier, tu jouerois là-dedans un rôle qui ne te seroit pas avantageux.

DORANTE.

Il est vrai, marquis.

CLIMÈNE.

Pour moi, je souliaiterois que cela se fît, pourvu qu'où Uailât l'affaire coniine elle s'est passée.

ÉLISE.

Et moi, je foiirnirois de bon cœur mon personnage.

LYSIDAS.

Je no refuserois pas le mien, que je pense.

«RANIE.

Puisque chacun en seroit content, chevalier, faites un mé- iviolre de tout, et le donnez à Molière, que vous connoissez, pour le mettre eu comédie.

CLIMÈNE.

n'auroit garde, sans doute, et ce ne seroit pas des vers ë sa louange.

URAKIE.

Point, point; je connois son humeur : il ne se soucie pas qu'on fronde ses pitres, pourvu qu'il y vienne du monde.

DOUANTE.

Oui. Mais quel liénoùmenl pourreit-il trouver à cet- s? Car

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S36 LA CRITIQUE DE L'ÉCOLE DES FEMMES.

il ne sauroil y avoir ni mariage, ni reconnoissance; et je n«  sais point par où Ton pourroit faire finir la dispute.

URANIE.

n faudroit rêver quelque incident pour cela.

SCÈNE Vin. — CLIMÈNE, URANIE, ÉLISE, DORANTK, LE MARQUIS, LYSIDAS, GALOPIN.

GALOPIN.

Madame, on a servi sur table.

DORANTE.

Ahl T)ilà justement ce qu'il fayt pour le dénoûment que nous cherchions, et l'on ne peut rien trouver de plus naturel. On disputera fort et forme de part et d'autre, comme nous avons fait, sans que personne se rende; un petit laquais TÛDdra dire qu'on a servi, on se lèvera, et chacun ira souper.

DRANIE.

La comédie ne peut pas mieux finir, et nous ferons bien d'en demeurer là.

ri*i SB tiA CUTI90B Bl t ftCOU SSfl IZMMES.

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L'IMPROMPTU DE VERSAILLES.

COMÉDIE EN UN ACTE.

1663.

NOTICE.

Les adversaires de Molière avaient reçu dans la Critique de l'École des Femmes une tro;) rude leçon pour ne point essayer de rendre à l'auteur satire pour satire. 11 y eut donc dans le camp ennemi une véritable prise d'armes. De Visé composa sous le dtre de Zêlinde , ou la véritable Critique de l'École des l'-mmes, et Critique de la Critique, une comédie en un acte et en [.rose, im- primée chez Barhin en lti(l'3, mais qui ne paraît pas avoir été représentée. De plus, Boursault, qui pensait se reconnaître dans le personnage de Lysidas, crut se venger en compo ant et en an- nonçant une autre comédie en un acte et en vers : le Portrait du Peintre , ou la Contre-Critique de l'Ecole des Femmes. Non content de cette menace, il fit courir le bruit, sans doute dans le but de sus- citer des ennemis à Molière, que ceUii-ci faisait circuler une clef imprimée des personnages qu'il avait voulu ridiculiser dans la Critique. Les prudes, les précieuses et les courtisans qui leur fai- saient cortège, prirent parti pour de Visé et Boursault. Le roi lui-même, si l'on en croit un biographe, qui assure tenir le fait d'un témoin oculaire, engagea Molière à évoquer de nouveau sur la scène ses ennemis titrés et non titrés'. L'auteur de la Cri- tique obéit volontiers. Et pour se venger par anticipation de Boursault, et se moquer des gens de qualité qui se moquaient de sa pièce, il composa et fit représenter dans l'espace de huit jours l'Impromptu, qui fut joué entre le 15 et le 21 octobre 1663, à Versailles, jur le théâtre Royal. « Là, dit M. Bazin, parurent Molière et ses camarades, non pas figurant des personnages, mais agissant et parlant pour leur compte, ainsi que cela se pratique aux répétitions intimes, quand l'huis de la salle est

' Vie de Moliire. en tête îles OEuvres. Aœ^lerdana, 1725. Tome I, page 25 ci iuivanles.

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538 NOTiCE.

clos, quand les chandelles ne sont pas allumées, quand il n'y a de spectateurs ni aux loges, ni au parterre. Cette révélation de la comédie derrière le rideau, faite en un tel lieu et devant un pareil monde, pouvait sembler déjà passablement hasardée. » •

Quoi qu'il en soit, et peut-ôtre même parce qu'elle était ha- sardée, la nouvelle comédie enleva tous les suffrages, et peu de temps après, lorsqu'elle fut jouée à Paris, elle obtint le même succès.

jf Ces portraits des marquis ridicules, dit M. Aimé Martm, produisirent un effet surprenant. De Visé raconte qu'étant au spectacle, à la représentation de l'Impromptu de Versailles, il y avait auprès de lui une jeune fille qui disait qu'on voulait lui faire épouser un marquis, mais que depuis qu'elle les avait vu jouer, elle n'en voulait point. Ils sont toiîlefois bien mignons et bien propres, ajoute de Visé; et il faut qu'elle soit bien dégoûtée, car enfin c'est une jolie chose qu'un marquis. »

Le seul reproche sérieux qu'on ait adressé à l'Impromptu de Versailles, c'est que Molière y nomme en toutes lettres son ad- versaire Boursault. Voltaire dit que jamais la licence de l'an- cienne comédie grecque n'est allée plus loin; Palissot est du même avis, et Chamfort, exagérant encore sur Voltaire et Palis- sot, dit que cette personnalité contre Boursault est la seule ac- tion blâmable de la vie de Molière.

A la comédie de Molière, on répondit, comme à la Critique de l'École des Femmes, par des comédies nouvelles. De ViUiers fit jouer la Vengeance des Marquis, et Montdeury, comédien de l'Hôtel de Bourgogne, dont la troupe n'avait guère été mieux traitée que Boursault, opposa, mais sans succès, à l'Impromptu de Ver- sailles, l'Impromptu de l'Hctel de Condé. Quant à de Visé, il s'en tint à la Zclinde, en essayant toutefois de soulever toute la no- blesse de France contre Molière, et en l'accusant du crime de lèse-majesté.

Ici se présente une question que sans doute quelques-uns d- nos lecteurs se sont adressée déj\! Comment Louis XIV lais sait-il ainsi un simple comédien attaquer devant lui ce qu'au déclin de son règne, l'un de ses ministres, dans une ordoifiiance revêtue du nom même du roi, appelait « le corps sacré de la noblesse? » La réponse est toute simple. C'est que comme homme, et comme homme d'esprit, Louis XIV aimait à rire des ridicules , que, mieux que personne, il était à même d'étudier des hauteurs de son rang, et que, comme roi, en cette période ascendante et glorieuse do sa vie, il continuait l'œavre de Ri- chelieu el *« souvenait encore de la fronde.

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REMERCIEMENT AU ROI.

?*CT PAl J.-B. P. DE MOLIÈRE EN l'ANNÉE 1663, APRES AVOIR ÉVt C'UNE PENSION PAR SA HAJESTS.

Votre paresse enfin me scandalise, Ma muse, obéissez-moi; Il faut ce malin, sans remise, Aller au lever du roi.

Vous savez bien pourquoi; Et ce vous est une honte De n'avoir pas été plus piompte h le remercier de ses fameux bienfaits :

Mais il vaut mieux tard que jamais; Faites donc votre compte D'aller au Louvre accomplir mes souhaits. Gardez- vous bien dèlre en muse bâlie; Un air de muse est choquant dans ces lieusj On y veut des objets à réjouir les yeux; Vous en devez être avertie : Et vous ferez votre cour beaucoup mieux Lorsqu'en marquis vous serez travestie. Vous savez ce quil faut pour paroîlre marquis;

N oubliez rien de l'air ni des habits; Arborez un chapeau chargé de trente plumes Sur une perruque de prix; Que le rabat soit des plus grands volume»^ Et le pourpoint des plus petits. Mais surtout je vous recommande Le manteau , d'un ruban sur le dos retroussé;

La galanterie en est grande, Et parmi les marquis de la plus haute bande C'est pour être placé. Avec vos brillantes hardes, Et votre ajustement, Faites tout le trajet de la salle des gardes ; Et, vous peignant galammeul,

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54v REMERCIEMENT

Portez (le fous côtés vos regards brusquement^^ El ceux que vous pourrez counoiire,

Ne manquez pas, d'un haut Ion, De les saluer par leur nom, De quelque rang qu'ils puissent être. Cette familiarité Donne; à quiconque en use, un air de qualité» Grattez du peigne à la porte

De la chambre du roi; Ou si, comme je prévoi, La presse s'y trouve forte, Montrez de loin votre clfapeau,

Ou montez sur quelque chose Pour faire voir votre museau. Et criez sans aucune pause, D'un ton rien moins-que nature! : Monsieur l'huissier, pour le marquis un te' Jetez-vous dans la foule, et tranchez du notable^ Coudoyez un chacun, point du tout de quartier; Pressez, poussez, faites le diable Pour vous mettre le premier; Et quand même l'huissier, A vos désirs inexorable, Vous trouveroit en face un marquis repoussfttls- Ne démordez point pour cela, Tenez toujours ferme là ; A déboucher la porte il iroit trop du votre;

Faites qu'aucun n'y puisse pénétrer, \t qu'on soit obligé de vous laisser entrer

Pour faire entrer quelqi e autre. Quand \ous serez entré, ne vous relâchez pas; Pour assi(ger la chaise il faut d'autres combats \ Tâchez d'en être des plus proches,. En y gagnant le terrain pas à pas; Et fii des assiigoants le prévenant amas En bouche toutes les approcher Prenez le parti doucement D'attendre le prince au passag»i Il coniioîtra votre visage, Malgré votre déguisement; Et lorsj sans tarder davanlags^

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AU ROI.

Faites-lui votre compliment. Vous pourriez aisément l'étendre, £.t parler des transports qu'en vous fout éclater Les surprenants bienfaits que, sans les méjiter, Sa libérale main sur vous daigne répandre, Et des nouveaux efforts oiî s'en va vous porter L'excès de cet honneur où vous n'osiez prétendre;

Lui dire comme vos désirs Sont, après ses bontés qui n'ont point de pareilleÊ, D'employer à sa gloire, ainsi qu'à ses plaisirs, Tout voire art et toutes vos veilles; Et là-dessus lui promettre merveilles. Sur ce chapilre on n'est jamais à sec. Les Muscs sont de grandes prometteuses; Et, comme vos sœurs les causeuses, Vous ne manquerez pas, sans doute, par le bec. Mais les grands princes n'aiment guèrci Que les compliments qui sont courta; Et ie nôtre surtout a bieo d'autres affaires Que d'écouter tous vos discours. La louange et l'encens n'est pas ce qui le louche Dès que vous ouvrirez la bouche Pour lui parler de grâce et de bienfait, n comprendra d'abord ce que vous voulez dire;

Et, se ineltant doucement à sourire H'uQ air qui sur les cœuis fait un charmant cffeî. Il passera comme un trait; Et cela vous doit suffire : Voilà voire compliment fait.

31

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542 L'IMPROMPTU DE VERSAILLES.

PERSONNAGES

MOtlÈRE, marquis ridicule.

BRÉCOURT, homme de qualité.

DE LA GRANGE, maniais ridicule. .

DU CROIST, Puële.

LA THORILLIÈRE, marquis fàchew.

BÉJART, homme qui fait le oocossaire.

Mademoiselle DU PARC, marquise façonnière.

BÉJART, prude.

DE BRIE, sage coquette.

MOLIÈRE, satirique spirituelle.

DU CROISY, pesledoucereuse.

HERVÉ, servante précieuse.

QUATRE NÉCESSAIRES.

La scène est à Versailles, dans la salle de la comédie.

SCÈNE L — MOLIÈRE, BRÉCOURT, LA GRANGE. Dû CROISY; MESDEMOISELLES DU PARC, BÉJART, DE BRIE, MOLIÈRE, DU CROISY, HERVÉ.

MOLIERE, seul, parlant à ses camarades, qui sont derrière le théâtre.

Allons donc, messieurs et mesdames ; vous moquez- vous avec votre lojigueur, et ne voulez-vous pas tous venir ici? La peste soit des gens! Holà! ho! monsieur de Brécourt.

BRÉCOURT, derrière le théâtre.

Quoi?

MOLIÈRE.

Monsieur de La Grange?

LA GRANGE, derrière le Ihéàlr*.

Qu'est-ce?

MOLIERE.

Monsieur du Ci oisy !

DU CROISY , derrière le théâtre.

Plaîl-il?

MOLIÈRE.

Mademoiselle du Parc!

MADEMOISELLE DO PARC, derrière le ihé&tre.

Hé bien?

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SCENE I. 54a

SIOLIÈRE

feîatlcmoiselle lîéjarl!

MADEMOISELLE BÉJAUT, derrière le ihéàlre.

Qu'y a-t-.r?

MOLIÈRE.

Mademoiselle de Brie!

JIADEMOISELLE DE BRIE, derrière le lliéàlra.

Que veul-oii?

MOLIÈRE.

Mademoiselle du Croisyl

MADEMOISELLE DC CUOISY , derrière le Ihéàtr».

Qu'est-ce que c'esl?

MOLIÈRE.

Mademoiselle Hervé I

MADEMOISELLE HERVÉ, derrière le théâtre.

On y va.

MOLIÈRE.

Je crois que je deviendrai fou avec tous ces gens-ci. Ilél

(Brécourt, La Grange, du Cmisy, entrent.)

Télcblcu! messieurs, me voulez-vous faite enrager au- jourd'hui?

BRÉCOURT.

Que voulez-vous qu'on fasse? Nous ne savons pas nos rôles; et c'est nous faire enrager vous-même, que de nous obliger à jouer de la sorte.

MOLIÈRE.

Ah! les étranges animaux à conduire que des comédiens!

{MesdemoistUes Béjait, du Pa:c, de Brio, ÎIi>lière, du Croisy et Hervé arrivecl.) MADEMOISELLE BÉJART.

Hé bien! nous voilà. Que prétendez-vous faire?

MADEMOISELLE DU PARC.

Quelle est votre pensée?

MADEMOISELLE DE BRIE.

De quoi est-il question?

MOLIÈRE.

grâce, mettons-nous ici; et puisque nous voilà tous ha- billés, et que le roi ne doit venir de deux heures, employons ce temps à répéler notre affaire , et voir la manière dont il faut jouer les choses.

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.•5^ L'IMPROMPTU DE VERSAILLES

>iâ GRANGE.

Le moyeu de jouer ce qu'on ne sait pas?

MADEMOISELLE DU PAnC.

Pour moi, je vous déclare que je ne me souviens pas d'uQ mol de mon personnage.

MADEMOISELLE DE BRIE.

Je sais bien qu'il me faudra souffler le mien d'un bout & • aulre.

MADEMOISELLE BÉJART.

E( moi , je me prépare fort à tenir mon rôle à la main.

MADEMOISELLE MOLIERE.

Et moi aussi.

MADEMOISELLE HERVÉ.

Pour moi, je n'ai pas grand' chose à dire.

MADEMOISELLE DD CROIST.

Ni moi non plus; mais avec cela, je ne répondrois pas de Èè point manquer.

DC CROISY.

J'en voudrois être quitte pour dix pistoles.

BRÉCOURT.

Et moi, pour vingt bons coups de fouet, je vous assure.

MOLIÈRE.

Vous voilà tous bien malades, d'avoir un méchant rôle i jouer l Et que Icricz-vous donc si vous étiez en ma place?

MADEMOISELLE BÉJART.

Qui, vous? vous n'êtes pas à plaindre; car, ayant fait la pièce, vous n'avez pas peur d'y manquer.

MOLIÈRE.

Et n'ai-je à craindre que le mdnquement de mémoire? Ne fomplcz-vous pour rien l'inquiétude dun succès qui ne re- garde que moi seul? El pensez-vous que ce soit une petite affaire, que d'exposer quelque chose de comique devant une as>emblce comme celle-ci; que d'entreprendre de faire rire dos personnes qui nous impriment le respect, cl ne rienl qie quand ils veulent? Est-il auteur qui ne doive trembler lorsqu'il 01) vient à celte épreuve? Et n'est-ce pas à moi de (lire que je voudrois en él"e quille pour toulos les choses du monde?

MADEMOISELLE BÉJART.

Si cela vous faisoit (rembler, vous prendriez mieux vot

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RCENE I. 553

précautions, et n'auriez pas entrepris en liait jours ce que vous avez fait.

MOLIËRE.

Le moyen de m'en défendre , lorsqu'un roi me l'a com- mandé?

MADEMOISELLE CFJART.

Le moyen? Une respectueuse excuse fondée sur l'impossi- bilité de la chose, dans le peu de temps qu'on vous donne; et tout autre, en votre place, ménagcroit mieux sa réputa- tion , et se seroit bien gardé de se commettre comme vous faites. Où eu serez-vous, je vous prie, si l'affaire réussit mal; et quel avantage pensez-vous qu'en prendront tous vos en- nemis?

MADEMOISELLE DE BRIE,

En effet, il falloil s'excuser avec respect envers le roi, ou demander du temps davantage.

MOLIÈRE.

Mon Dieu! mademoiselle, les rois n'aiment rien tant qu'une prompte obéissance, et ne se plaisent point du tout à trouver des obstacles. Les choses ne sont bonnes que dans le temps qu'ils les souhaitent; et leur en vouloir reculer le divertisse- ment, est en ôlor pour eux toute la grâce. Ils veulent des plaisirs qui ne se fassent point attendre, et les moins prépa- rés leur sont toujours les plus agréables, îs'ous ne devons jamais nous regarder dans ce qu'ils, désirent de nous; nous ne sommes que pour leur plaire ; et, lorsqu'ils nous ordon- nent quelque chose, c'est à nous à profiter vile de l'envie où ils sont. 11 vaut mieux s'acquitter mal de ce qu'ils nous de- mandent, que de ne s'en acquitler pas assez tôt; et, si l'on a la honte de n'avoir pas bien réussi, on a toujours la gloire d'avoir obéi vite à leurs commandenr.ents..Mais songeons à ré- péter, s'il vous plaît.

MADEMOISELLE BIiJART.

Comment prétendez-vous que nous fassions, si nous ne savons pas nos rôles?

MOLIERE.

Vfus les saurez, vous dis-je; et, quand même vous ne les sauriez pas tout-à-fait, pou\ez-vous pas y suppléer de votre esprit, puisque c'est de la prose, et que vous savez votre sujet?

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ài6 L'LMPROMPTU DE VERSAILLES.

MADEMOISELLE BÉJART.

Je suis votre servante. La prose est pis encore que les vers.

MADEMOISELLE MOLIERE.

Voulez-voùs que je vous dise? vous deviez faire une comé- die où vous auriez joué tout seul.

MOLIÈRE.

Taisez-vous, ma femme, vous êtes une bêle.

MADEM0(SELLE MOLIERE.

Grand merci, monsieur mon mari. Voilà ce que c'est 1 Le mariage change bien les gens, et vous ne m'auriez pas dit cela il y a dix-huit mois.

MOLIÈRE.

Taisez-vous, je vous prie.

MADEMOISELLE MOLIERE.

C'est une chose étrange, qu'une petite cérémonie soit ca- pable de nous ôter toutes nos belles qualités, et qu'un mari et un galant rogaident la même personne avec des yeux si différents.

MOLIÈRE.

Que de discours!

MADEMOISELLE MOLIERE.

Ma foi, si je faisois une comédie, je la ferois sur ce sujet. Je justitlerois les femmes de bien des choses dont on les ac- cuse; et je ferois craindre aux maris la différence qu'il y a de leurs manières brusq^ues, aux civilités des galants.

MOLIÈRE.

Ah ! laissons cela. Il n'est pas question de causer mainte- nant; nous avons autre chose à faire.

MADEMOISELLE BÉJART.

Mais puisqu'on vous a commandé de travailler sur le sujet de la critique qu'on a faite contre vous ', que n'avez-vous fait celte comédie des comédiens, dont vous nous avez parlé il y a longtemps? C'étoit une affaire toute trouvée, et qui venoit fort bien à la chose, et d'autant mieux qu'ayant entrepris de vous peindre, ils vous ouvroicnl l'occasion de les peindre aussi, et que cela auroit pu s'ap]>eler leur portrait, à bien plus juste titre que tout ce qu'ils ont fait ne peut être appelé

' L'ordre donné par Louis ÎIV à ïlciiére de se venger dcvoil être bien positif, puisque celui-ci le rcpèlc deux fois dans cette scène, et le rappelle encore dam la suivante, lorsqu'en parlant de sa comédie, il fait dire à un marquis fâcheux s Ce$t k roi qui vous l'a fait faire ■: «îJ 'lu'il répond s Oui, monsieur. (BreUJ

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SCENK I. 547

le yôlre. Car vouloir contrefaire un comédien dans un rôle comique, ce n'est pas le peindre lui-même, c'est peindre d'après lui les personnages qu'il représente, et se seivir des mêmes traits et des mêmes couleurs qu'il est oMigé d'em- ployer ans différents tahleaox des caractères i-idicules qu'il imite d'après naUire; mais contrefaire un comédien dans des rôles sérieux, c'est le peindre par des défauts qui sont en- lièrement de lui, puisque ces sortes de personnages ne veulent ni les gestes, ni les tons de voix ridicules dans lesquels on le reconnoît.

MOLIERE.

Il est vrai ; mais j'ai mes raisons pour ne le pas faire, et je n'ai pas cru, entre nous, que la chose en valût la peine; et puis il falloit plus de temps pour exécuter cette idée. Comme leurs jours de comédie sont les mêmes que les nôtres*, à peine ai-je été les voir que trois ou quatre fois depuis que nous sommes à Paris; je n'ai attrapé de leur manière de réciter que ce qui nj'a dabord sauté aux yeux, et j'aurois eu besoin de les étudier davantage pour faire des portraits bien ressemblants.

MADr.MoisrLi.r du PAno.

Pour moi, j'en ai reconnu quelques uns dans votre bouche.

MADEMOISELLE DE BRIE.

Je n'ai jamais ouï parler de cela.

MOLIÈRE.

C'est une idée qui m'avoit passé une fois par la tète, et que j'ai laissée là comme une bagatelle, une badinerie, qui peut-être n'auroil pas fait rire.

MADEMOISELLE DE BUIE.

Diles-Ia-moi un peu, puisque vous l'avez dite aux autres.

MOLiin'.E. Kous n'avons pas le- temps maintenan

MADEMOISELLE DE BRIE.

Seulement deux mots.

MOLlÈnE.

J'avois songé une comédie oîi il y auroit eu un poclc, que j'aurois représenté moi-même, qui seroit venu pour offrir

' Los jours de reprcspinarinn de la troupe du faluis-r.'val ol de colle d» rhôlel de Bnlirgogne étoii'iU les itianlis. lus vendredis cl les diinaticlios, c'est- i-dire les icèiiies ioiirs qui obI élé depuis ceux de l'Oiicra. (Au^ei-]

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S48 L'IMPROMPTU DE VERSAILLES.

une pièce à une troupe de comédiens nouvellement arrivés de la campagne. Avez-vous, auroit-il dit, des acteurs et des actrices qui soient capables de bien faire valoir un ouvrage? Car ma pièce est une pièce... Hé! monsieur, auroient lé- pondu les comédiens, nous avons des hommes et des femmes qui ont été trouvés raisonnables partout où nous avons passé. — Et qui fait les rois parmi vous? — Voilà un acteur qui s'en démêle parfois. — Qui? ce jeune homme bien faiti Vous m«quez-vous? Il faut un roi qui soit gros et gras comm«  quatre; un roi, morbleu! qui soit entripaiUé* comme il faut; un roi d'une vaste circonférence, et qui puisse remplir un trône de la belle manière^, La bille chose qu'un roi d'une taille galante! Voilà déjà un grand défaut; mais que je l'en- tende un peu réciter une douzaine de vers. Là-dessus le co- médien auroit récité, par exemple, quelques vers du roi, de Nicomède :

Te le dirai-je, Araspe ? il m'a trop bien servi. Augmentant mon pouvoir...,

le plus naturellement qu'il lui auroit été possible. Et le poète ; Comment! vous appelez cela réciter? C'est se railler : il faut dire les choses avec emphase. Écoutez-moi :

(Il conlrefail Monllleury, comédien de l'hôtel de Bourgogne.)

Te le dirai-je, Araspe r etc.

Voyez-vous cette posture? Remarquez bien cela. Là, appuyez comme il faut le dernier vers. Voilà ce qui attire l'approba- tion, et fait faire le brouhaha. Mais, monsieur, auroit répondu le comédien, il me semble qu'un roi qui s'entretient tout seul avec son capitaine des gardes parle un peu plus humaine- ment, et ne prend guère ce ton de démoniaque. — Vous ne savez ce que c'est. Allez-vous-en réciter comme vous faites

' Bntripaillé paroU être un mot de la création de Molière.

' Allusion à l'énorme corpulence de Monllleury, ancien page du duc de Guise, et comédien de l'hôtel de Bourgogne, qui éloit oblige de resserrer son veotr dans un cercle de fer pour en souieuir le poids. Cyrano de Bergerac disoit d lui : < A cause que ce coquin est si gros qu'on ne peul le bàlonner tout entier ei nn jour, il fait le lier. > (Aimé Martin.) — Monllleury, paiir se venger de U façon dont Molière l'avoit traité dans l Impromptu ds Versnilles, présenta en 1663, à Louis XIV, une dénonciation dans laquelle il accusoit Molière d'avoir épousé sa propre fille. Cette dénonciation fut méprisée par le grand loi, qui, quelques mois plus tard, tint sur les fonts de Iwplêmc le premier enfi.nt de Mo- lière, auquel il donna le nona de Louis.

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h CENE I. 549

vous verrez si vous ferez faire aucun ahl Voyons un peu une scène tlamanl et d'amante. Là-dessus une comédienne et un comédien auroient fait une scène ensemble, qui est celle de Camille et de Curiace ;

Iras-tu, ma chère ame? et ce funeste lionneur Te plaît-il aux dépens de tout notre bonheur? Hélas! je vois trop bien, etc.,

fout de même que l'autre, et le plus naturellement qu'il» auroient pu. El le poêle aussitôt : Vous vous moquez, vous ne faites rien qui vaille; et voici comme il faut réciter cela:

(Il imite mademoiselle de Beaiicliileau, comédienne do l'hôtel de Bourgogne'.)

Iras-tu, ma chère ame, etc. N'on^ jo te connois mieux, etc.

Voyez-vous comme cela est naturel et passionné? Admirez ce visage riant qu'elle conserve dans les plus grandes afflic- tions. — Enfin, voilà l'idée; et il auroit parcouru de mémo tous les acteurs et toutes les actrices.

MADEMOISELLE DE nUIE.

Je trouve celle idée assez plaisante, et j'en ai reconnu là dès le premier vers. Continu: z, je vous prie.

MOLIERE, imilanl Beauchàlcau, comédien de l'hôtel de Bourgogne, daps lei stances <lu Ciil.

Percé jusques au fond du cœur, etc.

Et celui-ci, le reconnoîlrez-vous bien dans Pompée, de Ser- torius ?

(Il coiitrefail naulcroche, comédien de l'Iiôlel de BourgogQe.j

L'inimitié qui règne entre les deux partit N'y rend pas de l'honneur, etc.

MADEMOISILLE DE BRIE.

Je le reconnois un peu, je pense.

' Madeleine du lîougct, femme de Beaucliàlcau, fui une des bonnes ictrice le son temps : elle cloil IjcHe, spirituelle, et jonoil également bien les rôleide princesse dans le tragique, et les amoureuses dans le coniiiue. Elle moMrut Tcrsailles le 6 anv-cr 1683. (Friires Pa'fai', îomc IX, page 413.}

31.

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550 L'IMPROMPTU DE VERSAILLES.

MOllÈRE.

Et celui-ci ?

(Imilant de Villiers, comédien de l'hôtel de BoorfOgneV)

Seigneur, Polybe est mort, etc.

MADEMOISELLE DE BRIT.

Oui, je sais qui c'est; mais il y en a quelques uns d'entre eus, je crois, que vous auriez peine à contrefaire.

MOLIÈRE.

Mon Dieu , il n'y en a point qu'on ne pût attraper par quelque ondioit, si je les avois bien ■éludiés^l Mais vous me faites perdre un temps qui nous est cher. Songeons a nous, de grâce, et ne nous amusons point davantage à discourir, (à La Grange.) Yous, prenez garde à bien représenter avec moi votre rôle de marquis.

MADEMOISELLE MOUERE.

Toujours des marquis I

MOLIÈRE.

Oui, toujours des marquis. Que diable voulez-vous qa*on prenne pour un caractère agréable de théâtre? Le marquis aujourd'hui est le plaisant de la comédie; et comme, dans toutes les comédies anciennes, on voit toujours un valet bouffon qui fait rire les auditeurs, de même, dans toutes nos pièces de maintenant, il faut toujours un marquis ridicule qui divertisse la compagnie.

MADEMOISELLE BÉJART.

Il est vrai, on ne s'en sauroit passer.

MOLIÈRE.

Pour vous, mademoiselle...

MADEMOISELLE DU PARC.

Mon Dieu! pour moi, je m'acquitterai fort mal de mon personnage; et je ne sais pas pourquoi vous m'avez donné te rôle de façonnière.

De Villicrs avoil attaque Molière dans la Zilinde. ou la Yérila!de critque de l'École des Femmes, cl aprcs la reprrsrntali.^n de la picce ci-dossiis il lal- laqiia de nouveau dans la VeUjeancc des Maïquis, ou Réponse à l'Impromptu de Versailles.

' Dans celle revue des comédiens de l'hôtel de Bourgogne, Molière n'en épar- jne qu'un seul, Floridor, le même qui a été ioué par IloUin dans le Traiié de* ttudt$, (Aimé Haïti D.)

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SCLiNE 1. Sol

MOLIÈRE.

Mon Dicii! mailcmoisclle, voilà comme vous disiez, lorsque Ton vous doiinn coliii do la CrUique de l'École des Femmes^; fepond.iiil vous vous en clés acquillée à mcMveiile, et (oui le monde os( doniouré d'accord qu'on ne peut pas mieux faire que vous avez fait. Croyez-moi, celui-ci sera de même; et vous le jouerez mieux que vous ne pensez.

MADEMOISELLE DD PARC.

Comment cola se pourroil-il faire? Car il n'y a point de personne au monde qui soit moins façonnière que moi.

Moi.ii:RE. Cela est vrai; et c'est en quoi vous faites mieux voir que vous êtes exccileu^le comédienne, de bien représenter un per«  sonnaçe qui est si contraire à votre humeur. Tâchez donc de bien prendre, tous, le caractère de vos rôles, et de vous figurer que vous êtes ce que vous représentez.

(à du Croisy.)

Vous faites le poëte, vous, et vous devez vous remplir de ce personnage, marquer cet air pédant qui se conserve paroii je commerce du beau mande, ce Ion de voix sentencieux, el cette exactitude de proncncialion qui appuie sur toutes les syllabes , et ne laisse échapper aucune lettre de la plus sé- vère orlhogiaphe.

(à Biccourt.)

Pour vous, ^ous faites un honnête homme de cour, comme TOUS avez doja fait dans la Critique de l'École des Femmes. c'est-à-dire que vous devez prendre un air posé, un ton de Toix naturel, el gesticuler le moins qu'il vous sera possible.

(à La Grange.)

Pour vous, je n'ai rien à vous dire.

(à mademoiselle Bcjart.)

Vous, vous représentez une de ces femmes qui, pourvu 4u'elles ne fassent point l'amour, croient que tout le reste leur est pernxs; de ces femmes qui se retranchent toujours fièrement sur leur pruderie, regardent un chacun de haut en bas, et veulent que toutes les plus belles qualités que pos- sèdent les autres ne soient rien en comparaison d'un misé- rable honneur d'ul personne ne se soucie. Ayez toujours

' Mademoisellp du Par ouoil dans ceUe pièce le rô'e de ClimèM.

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55-2 L IMPROMPTU DE VERSAILLES.

earaclère devant les yeux, pour en "bien faire les grimaces.

(à mademoisplle rie Brie.)

Pour vous, vous failcs une de ces femmes qui pensent être les plus vertueuses personnes du monde, pourvu qu'elles sau- vent les apparences; de ces femmes qui croient que le péché n'est que dans le scandale, qui veulent conduire doucement les affaires qu'elles ont sur le pied d'allachcmenl honnête, et appellent amis ce que les autres nomment galants. Entrez bien dans ce caractère.

(à mademoiselle Molière.)

Vous, vous faites le même personnage que dans la Cri- tique, et je n'ai rien à vous dire, non plus qu'à mademoiselle du Parc.

(à mademoiselle du Croisy.)

Pour vous, vous représentez une de ces personnes qui prêtent doucement des charités à tout le monde', de ces femmes qui donnent toujours le petit coup de langue en passant, et seroient bien fâchées d'avoir souffert qu'on eût dit du bien du prochain. Je crois que vous ne vous acquitte- rez pas mal de ce rôle.

(à mademoiselle Hervé.)

Et pour vous, vous êtes la soubrette de la précieuse, qui 8€ mêle de temps en temps dans la conversation, et attrape, comme elle peut, tous les termes de sa maîtresse. Je vous dis tous vos caractères, afin que vous vous les imprimiez fortement dans l'esprit. Commençons maintenant à répéter, et voyons comme cela ira. Ahl voici justement un fâcheux! U ne nous falloit plus que cela.

SCÈNE II. — LA THORILLIÈRE, MOLIÈRE, BRÉCOURT, LA GRANGE, DU CROISY, mesdemoiselles DU PARC, BÉJART, DE BRIE, MOLIÈRE, DU CROISY. HERVÉ.

LA THOBIU.IÈRE.

B^jUpur, monsieur Molièi c.

MOLIÈRE.

Monsieur, votre serviteur, (à pan.) La peste soit de l'homme!

LA THORILLIÈRE.

Comment vous en va?

Par antiphrase méJirede quelqu'un, lui donner de» lolS».

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SCÈNE IL 333

MOLIÈRE.

Fort bien , pour vous servir, (aux aciricei.) Mesdemoiselles , ne...

LA THORILLIÈRE.

Je Tiens d'un lieu où j'ai bien dit du bien de vous.

MOLIÈRE.

Je vous suis obligé, (à pan) Que le diable t'emporte l (ta cieurs.) Ayes un peu soin...

LA TIIOniLf.lÈRE.

Vous jouez une pièce nouvelle aujourd'hui?

sroLiÈr.E. Oui, monsieur, (a x acuices.) N'oubliez pas.,,

LA THORILLIÈRE.

\sl le roi qui vous l'a fait faire?

MOLIÈRE.

Oui, monsieur, (aux acuurs.) De grâce, songei...

LA THORILLIÈRE.

Comment rappclcz-vous?

MOLIÈRE.

Oui, monsieur.

LA THORILLIÈRE.

Je vous demande comment vous la nommez.

MOLIÈRE.

Ah ! ma foi, je ne sais, (aux actrices.) Il faut, s'il vous platl, [Le vous...

LA THORILLIÈRE.

Comment serez^vous habilles?

MOLIÈRE.

Comme vous voyez, (aux acteurs.) Je vous prie...

LA THORILLIÈRE.

Quand commenccrez-vous?

MOLIÈRE.

Quand le roi sera venu, (à part.) Au diantre le quesUoa* aeur!

LA THORILLIÈRE.

Quand croyez-vous qu'il vienne?

MOLIÈRE.

La peste m'étouffe, monsieur, si je le sais.

LA THORILLIÈRE.

8tfai*Tous point...?

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SS4 L'IMPROMPTU DE VERSAILLES.

MOLlÈnE.

Tenez, monsieur, je suis le plus ignora:it homme du monde. Je ne sais rien de (out ce que vous pourrez me de- mander, je vous jure, (à pan.) J'enrage! Ce bourreau vient avec un air tranquille vous faiie des questions, et ne se sou- cie pas qu'on ait en tète d'autres affaires.

LA TIIORILLIÈRE.

Mesdemoiselles, votre serviteur.

MOLIÈRE.

Ah ! bon, le voilà d'un autre côté.

LA TIIORILLIÈRE, à mademoiselle du Croijy.

Vous voilà belle comme un pelit ange. Jouez-vous toutes

deux aujourd'hui? (en regardant mademoiselle Hervé.) MADEMOISELLE DU CUOIST.

Oui, monsieur.

LA TnORILLiÈUE.

Sans vous, la comédie ne vaudroit pas ^land chose.

MOLIERE, bas, aux actrices.

Vous ne voulez pas faire eu aller cet homme-là

MADEMOISELLE DE ERIE, à La Th .rilliere.

Monsieur, nous avons ici quelque chose à répéter en- ^mble.

LA TIIORILLIERE.

Ahl parbleu, je ne veux pas vous empêcher; vous n'avei qu'à poursuivre.

MADEMOISELLE DE BRIE.

Mais...

LA TIIORILLIÈRE.

Non, non, je serois fâché d'uicommoder personne. Faitci librement ce que vous avez à faire.

MADEMOISELLE DE BRIE.

Oui; mais...

LA TIIORILLIÈRE.

Je suis homme sans cérémonie, vous dis-je; et vous pou- vez répéter ce qui vous plaira.

MOLIÈRE.

Monsieur, ces demoiselles ont peine à vous dire qu'elles souhaitcroient fort que personne ne fiit ici pendant celte ré- pétition.

LA TUORILLIÈrE.

Pourquoi? il n'y a point de langer pour moi.

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SCENE m. 355

MOLIÙRE.

Monsieur, c'est une coulume qu'elles observent; et vous aurez plus de plaisir quand les choses vous surprendront.

LA THOltlLLlÈRE.

Je m'en vais donc dire que vous èles prêts.

MOLIÈRE.

Point du tout, monsieur; ne vous hàfez pas, de grâce.

SCÈNE III. — MOLIÈRE, BRÉCOURT, LA GRANGE, DU CROISY; jiESDEMOisELLES DU PARC, BÉJART, DE BRIE, niOLlÈliE, DU CROISY, HERVÉ.

MOLli.RE.

Ah! que le monde est plein d'imperlinenls! Or sus, com- mençons. Figurez-vous donc prcmièremenl que la scène est dans l'anlichambre du roi; car c'est un lieu où il so passe tous les jours des choses assez plaisantes, il est aisé de faire venir là loules les personnes qu'on veut, cl on peut trouver des raisons même pour y autoriser la venue des femmes que j'introduis. La comédie s'ouvre par deux marquis qui se ren- conlrenl.

(à La Grange.)

Souvenez-vous bien, vous, de venir, comme je vous ai dit, là, avec cet air qu'on nonimc le bel air, peignant votre perruque, et grondant une petite chanson entre vos dents. La, la, la, la, Id, la. Rangez-vous donc, vous autres, car ii faut du terrain à deux marquis; et ils ne sont pas gens à te- nir leur personne dans un petit espace, (à La Grange.) Allons, parlez.

LA GRANGE.

« Bonjour, marquis. »

MOLIÈRE.

Mon Dieu, ce n'est point là le Ion d'un marquis; il faut. le prendre un peu plus haut; et la plupart de ces messieurs affeclcnl une manièie de parler parliculiére, pour se distin gucr du connnun : Bonjour, marquis, llecoiiimencez doue.

LA CHANGE.

« lionjour, marquis.

MOLIÈRE.

• Ahl marquis, ton serviteur.

LA GRANGE.

Que lais-tu là?

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L'IMPROMPTU DE VERSAILLES.

MOLIÈRE.

I) Parbleu, tu vois; j'allends que tous ces messieurs aient D débouché la perle, pour présenler là mon visage.

LA GRANGE.

» Télebleu, quelle foule! Je n'ai garde de m'y aller frot- " (er, et j'aime bien mieux entrer des derniers.

MOLIÈRE.

» Il y a là vingt gens qui sont fort assurés de n'entrer » point, et qui ne laissent pas de se presser, et d'occuper » loules les avenues de la porte.

LA GRANGE.

" Crions nos deux noms à l'huissier, afin qu'il nous ap- » pelle.

MOLIÈRE.

Il Cela est bon pour loi; mais pour moi, je ne veux pas • { tre joué par iMolicrc.

LA GRANGE.

Il Je pense pourtant, marquis, que c'est loi qu'il joue dans » ta Crilique.

MOLIÈRE.

» Moi? Je suis ton valet; c'est loi-même en propre per- » sonne.

LA GRANGE.

Il Ah! ma foi, tu es bon de m'appliquer ton personnage.

MOLIÈRT.

Il Parbleu ! je te trouve plaisant de nie donner ce qui l'ap-

i< parlient.

LA GRANGE, riant.

» Ah, ah, ah ! cela est drôle.

MOI.li'RE, riant.

11 Ah, ah, ah! cela csl Ijouffon.

LA GRANGE,

B Quoi! lu veux soutenir que ce n'est pas toi qu'on joue » dans le marquis de la Crilique?

MOLIÈRE.

Il II est vrai, c'est moi. Dclcslablc , morbleu! dcLcslabh! » tarie à la crâne I C'est moi, c'est moi, assurcnicnt c'est 1 moi.

LA GRANGE.

» Oui, parbleu! c'est toi, lu n'as que faire de railler; et,

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SCENE III. -i-'»'

  • si tu veux, nous gagerons, et verrons qui a raison de»

» deux.

MOLIÈRE.

» Et que veus-tu gager encore?

LA GRANGE.

» Je [[ajje cent pisloles que c'est toi.

MOLIfRE.

» Et moi, cent pisloles que c'est toL

LA GRANGE.

> Cent pistoles comptant?

MOLIÈRE.

• Comptant. Quatre-vingt-dix pisloles sur Amyotas, et dis I pistoles comptant.

LA GRANGE.

• Je le veux.

MOLIÈRE.

» Cela est fait.

LA GRANGE.

• Ton argent court grand risque.

MOLIERE.

» Le tien est bien aventuré.

LA GRANGE.

I A qui nous en rapporter?

MOLli.RE, à Brécourt.

■ Voici un homme qui nous jugera. Chevalier...

BRÉCOURT.

■ Quoi? »

MOLIÈRE.

Bon. Voilà l'autre qui prend le ton de marquis. Vous ai-je pas dit que vous faites un rôle où l'on doit parler nalurelle- menl?

BRÉCOLRT.

II est vrai.

MOLIÈRE.

Àllo.:is donc. « Chevalier...

BRÉCOURT.

» Quoi?

alOLlÈRE.

• Juge-nous un peu sur une gageure que nous avons faite.

BRÉCOURT.

• Et quelle.

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Ô58 L'IMPROMPTU DE VEUSAILLES.

MOLlÈRr.

Il Nous disputons qui est le marquis de la Critique de » Molière; il gage que c'est moi, et moi je gage que c'est lui.

BRÉCOURT.

» El moi je ju[;e que ce n'est ni l'un m l'autre. Vous êtes ■ fous tous deux de vouloir vous appliquer ces sortes de » choses; et voilà de quoi j'ouïs l'autre jour se plaindre » Molière, parlant à dos personnes qui le cliargeoient de » même chose que vous. Il disoit que rien ne lui donnoit du » déplaisir comme d'être accusé de regarder quelqu'un dans M les portraits qu'il fait; que so» dessein est de peindre les » mœurs sans vouloir toucher aux personnes, et que tous les » personnages qu'il représente sont des personnages en l'air, » et dos fantômes proprement, qu'il habille à sa fantaisie, » pour réjouir les spectateurs; qu'il seroit bien fâché d'y 1) avoir jamais marqué qui que ce soit; et que si quoique chose étoit capable de le dégoûter de faire des comédies, » c'étoit les ressemblances qu'on y vouloit toujours trouver, » et dont ses ennemis lâchoient malicieusement d'appuyer » la pensée, pour lui rendre de mauvais offices auprès de » certaines personnes à qui il n'a jamais pensé *. Et, en effet, » je trouve qu'il a raison: car pourquoi vouloir, je vous » prie, appliquer tous ses gestes et loulos ses paroles, et cher- » cher à lui faire dos afiaires en disant hautement, II joue » un tel, lorsque ce sont des choses qui peuvent convenir à » cent personnes? Comme l'affaire de la comédie est de re- » présenter en général tous les défauts des hommes et prin- » cipalcmenl des hommes de notre siècle, il est impossible M à Molière de faire aucun caractère qui ne rencontre qucl- » qu'un dans le monde; et s'il faut qu'on l'accuse d'avoir songé toutes les personnes où l'on peut trouver les dé- fauts qu'il point, il faut sans doute qu'il ne fasse plus de comédies.

MOLIÈRE.

» Ma foi, chevalier, tu veux justifier Molière, et épargne » notre ami que voilà.

' Boursault, dans son Portrait du Peintre, avoil acciije Mnliére d'avoir fait knpnnier une clef de la Critique de l'École des Femmes. En répcnùant id i'uoe manière iodirecte i celle accasatioD>llolicre évite avec adresse toutes le* fersonnalilés (Aimé Mariin.)

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SCENE IIÎ. SS9

LA GRANGE.

1» Point du tout. C'est loi qu'il épargne, et nous trouverons » d'autres juges.

MOLIÈRE.

» Soit. Mais dis-moi, chevalier, crois-tu pas que Ion Mo- , lière est épuisé maintenant , et qu'il ne trouvera plus de „ matière pour...

BRÉCOURT.

I) Plus de matière? Hé! mon pauvre marquis, nous lui » en fournirons toujours assez, et nous ne prenons guère le » chemin de nous rendre sages pour tout ce qu'il fait et tout » ce qu'il dit. »

MOLIÈRE.

Attendez; il faut marquer davantage tout cet endroit. Ecoutez-le-moi dire un peu. « Et qu'il ne trouvera plus de » matière pour... — Plus de matière? Hé! mon pauvre » marquis, nous lui en fournirons toujours assez, et nous I) ne prenons guère le chemin de nous rendre sages pou; •» tout ce qu'il fait et tout ce qu'il dit. Crois-tu qu'il ait épuisé » dans ses comédies tout le ridicule dos hommes? El, sans I) sortir de la cour, n'a-t-il pas encore vingt caractères de » gens où il n'a point touché? N'a-l-il pas, par exemple, » ceux qui se font les plus grandes amitiés du monde , et » qui , le dos tourné, font galanterie de se déchirer l'un 1) l'autre? N'a-l-il pas ces adulateurs à outrance , ces llat- » tours insipides, qui n'assaisonnent d'aucun sel les louanges » qu'ils donnent , et dont toutes les flatteries ont une dou- » ceur fade qui fait mal au cœur à ceux qui les écoutent? » N'a-t-il pas ces lâches courtisans de la faveur, ces perfides 1) adorateurs de la fortune, qui vous encensent dans la pro- » spérilé, et vous accahlcnl dans la disgrâce? N'a-t-il pas » ceux qui sont toujours mécontents de la cour, ces suivants » mutiles, ces incommodes assidus, ces gens, dis-je, qui pour » services ne peuvent compler que des imporltuiités, et qui » veulent que l'on les récompense d'avoir obsédé le prince » dix ans durant? N'a-l-il pas ceux qui caressent également » tout le monde, qui promènent leurs civilités à droite et à » gauche, cl courent à tous ceux qu'ils voient, avec les H mêmes embrassades et les mêmes protestations d'amitié? » — î\lonsieur, votre très bumblc serviteur. Monsieur, je 1) suis tout à votre service. Tenez-moi des vôtres, mon cher.

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5SÔ L'IMPROMPTU DE VERSAILLES.

B Faites état de rnoi , monsieur, comme du plus chaud de, » vos amis. Monsieur, je suis ravi de vous embrasser. Ah! ') monsieur, je ne vous voyois pas! Faites-moi la grâce de » m'employer. Soyez persuadé que je suis entièrement à » vous. Vous êtes l'homme du monde que je révère le plus. » II n'y a personne que j'honore à l'égal de vous. Je vous n oonjure de le croire. Je vous supplie de n'en point douter. K Serviteur. Très humble valet. Va, va, marquis, Molière » aura toujours plus de sujets qu'il n'en voudra; et tout ce » qu'il a touché jusqu'ici n'est rien que bagatelle, au prix de

• ce qui reste. » Voilà à peu orès comme cela doit être joué

BntCOURt.

C'est assez.

MOLIÈRE.

Poursuivez.

BRECOURT

« Voici Climène et Élise. »

MOLIERE, à mesdemoiselles du Parc et Holière.

Là-dessus vous arriverez toutes deux, (à mademoiselle du farc) Prenez bien garde, vous, à vous déhancher comme il faut, et à faire bien des façons. Cela vous contraindra un peu ; mais qu'y faire? Il faut parfois se faire violence.

MADEMOISELLE MOLIERE.

exprès un auteur sans répulalion.

'C'est-à-dire mettre du fard, recourir, pour parailie jolie, aux artiûces de k toilette.

' On sait que Boursault crut se reconnoUre aaus le Ljsidas de la Critique d* f École des Femmes. Il se vengea par {( Portrait du Peintrt, et fut puni pai l'Impromptu de YersaillU (Aime Martin.)

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MADEMOlSrLl.F, Cl) PARC.

» Pour moi, je vous avoue que jeu ai toutes les joies ima- • ginables.

MOLliiUE.

» Et moi aussi. Par la sambieu! le railleur sera raillé, il » aura sur les doigts, ma foi.

MADEMOISELLE DU PARC.

» Cela lui apprendra à vouloir saliriser tout. Comment, » cet impei tiiient ne veut pas que les femmes aient de l'es- » prit! Il condamne toutes nos expressions élevées, et pré- » tend que nous parlions toujours terre à terre!

MADEMOISELLE DE BRIE.

» Le langage n'est rien; mais il censure tous nos altaehe- » ments, quelque innocents qu'ils puissent être; et, de la » façon qu'il en parle, c'est être criminelle que d'avoir du » mérite.

MADEMOISEUE DU CROISY.

» Cela est insupportable. Il n'y a pas une femme qui » puisse plus rien faire. Que ne laisso-t-il en repos nos ma- » ris, sans leur ouvrir les yeux, et leur faire prendre garde » à des choses dont ils ne s'avisent pas?

MADEMOISELLE BÉJART.

» Passe pour tout cela; mais il satirise même les femmes » de bien, et ce méchant plaisant leur donne le titre d'hon- » néles diablesses '.

MADEMOISELLE MOLIERE.

» C'est un impertinent. Il faut qu'il en ait tout le soûl.

DU CROISY.

1) La représenlalion de celle comédie, madame, aura be- » soin d'être appuyée; et les comédiens de l'hôtel...

MADI MOISELLE DU PARC.

» Mon t)ieu , qu'ils n'appréhendent rien ! Je leur garantii 1 le succès de leur pièce, corps pour corps.

MADEMOISELLE MOLIERE.

» Vous avez raison , madame. Trop de gens sont intéres- » ses à la trouver belle. Je vous laisse à penser si tous ceux » qui se croient safirisés par Molière ne prendront pas l'occa-

  • sion de se venger de lui en applaudissant à celte comédie.

• AUusion au vers de i'icou des Femmes :

Ces .Ira},' :< ' '1 m .lu, ces UonnêLes diablesMt,

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364 L'IMPROMPTU DE VERSAILLES.

BRÉCOURT, iroDiqucmenl.

» Sans doute; et pour moi, je réponds de douze marquis, i de six précieuses, de vingt coquettes, et de trente cocus, » qui ne manquèrent pas d'y battre des mains.

MADEMOISELLE MOLIERE.

» En effet. Pourquoi aller offenser toutes ces personnes-là, » et particulièrement les cocus, qui sont les meilleures gen«  » du monde?

MOLIÈRE.

» Par la sambleul on m'a dit qu'on le va dauber, lui et » toutes ses comédies, de la belle manière; et que les co- » médiens et les auteurs, depuis Ig cèdre jusqu'à l'hysope, » sont diablement animés contre lui.

MADEMOISELLE MOLIIRE.

  • Cela lui sied fort bien! Pourquoi fait-il de méchantes

D pièces que tout Paris va voir, et où il peint si bien les » gens, que chacun s'y connoît? Que ne fait-il des comédies I) comme celles de monsieur Lysidas? Il n'auroit personne » contre lui , et tous les auteurs en diroient du bien. Il est I) vrai que de semblables comédies n'ont pas ce grand cou- u cours de monde; mais, en revanche, elles sont toujours » bien écrites, persoiuie nécrit contre elles, et tous ceux qui » les voient meurent d'envie de les trouver belles.

DD CROISY.

» Il est vrai que j'ai l'avantage de ne me point faire d'en » nemis, et que tous mes ouvrages oot l'approbation des

• savants.

MADEMOISELLE MOLIERE.

I) Vous faites bien d'être content de vous. Cela vaut mieux } que tous les applaudissements du public, et que tout l'ar- > gcnt qu'on sauroit gagner aux pièces de Molière. Que vous

• importe qu'il vienne du monde à vos comédies, pourvu

• qu'elles soient approuvées par messieurs vos confrères?

LA GRANGE.

» Mais quand jouera-t-on le Portrait du Peintre?

DC CROIST.

» Je ne sais; mais je me prépare fort à paroître des pre- I) iniers sur les rangs, pour crier : Voilà qui est beau!

MOLIÈRE.

• Et moi de même, parbleu I

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SCElNE m. 565

LA GRANGE.

» Et moi aussi, Dieu me sauve!

MADEMOISELLE Dll PARC.

» Pour moi, j'y paierai de ma personne comme il faut; » et je réponds d'une bravoure d'approbalioil, qui mettra co

déroule tous les jugements ennemis. C'est bien la moindre » cbosc que nous devions faire, que d'épauler de nos louan- ,) ges le vengeur de nos intérêts!

MADEMOISELLE MOLIERE.

» C'est fort bien dit.

MADEMOISELLE DE BRIE.

I» Et ce qu'il nous faut faire toutes.

MADEMOISELLE BÉJART,

» Assurément.

MADEMOISELLE DU CROIST.

» Sans doute.

MADEMOISELLE HEaVÉ.

1) Point de quartier à ce conirefaiseur de gens.

MOLlÈnK

Il Ma foi , chevalier, mon am , il faudra que ton Molière » se cache.

BilÉCOCKT.

I) Qui, lui? Je te promets, marquis, qu'il fait dessein d'al- I) 1er sur le théâtre, rire avec tous les autres du portrait a qu'on a fait de lui '.

MOLIÈRE.

» Parbleu! ce sera donc du bout des dents qu'il rira.

PRÉCOURT.

1) Va, va, peut-être qu'il y trouvera plus de sujets de rire » que tu ne penses. On m'a montré la pièce; et, comuie » tout ce qu'il y a d'agréable sont elieclivement les idées qui » ont été prises de Molièie'^, la joie que cela pourra donner » n'aura pas lieu de lui déplaire, sans doute; car, pour l'en-

' Molière tint parole. Il alla voir jouer le Portrait du Peir.tre sur le lliiiàlre même de lliôtel de Bourgogne, où son arrivée excita un broubalia, et il [i.ir.iU q'i'il y fit assez bonne contenance; c'est du moins ce qu'on peut Cùncl.re duo passage de la Vengeance des Marquis, par de Villiers, où il est dit tjiie Mu.i.M'» |i< tout ce qu'il put pour rire, mais qu'il n'en avait pas beaucoup d'encie,

(Auger.J ' Le Portrait du Peintre n est en effet qu'une imitation maladroite de la Cri' tUjue de l'Écoh des Femmes, avec celte différence que Molière y est attaque par ID homme raisoûuable.el défendu par un comte ridicule. (Aimé Jlartiu.)

• 33

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5G6 L'IMPROMPTU DE VERSAILLES.

« droit où Ton s'efforce de le noircir, je suis le plus trompé K du monde, si cela est approuvé de personne; et quant à » tous les gens qu'ils ont lârhé d'animer contre lui, sur ce » qu'il fait, dit-on, des portraits trop ressemblants, outre » que cela est de fort mauvaise grâce , je ne vois rien de » plus ridicule et de plus mal repris; et je n'avois pas cru » jusqu'ici que ce fût un sujet de blâme pour un comédien, I) que de peindre trop bien les hommes.

LA GRANGE.

» Les comédiens m'ont dit qu'ils l'attendoient sur la ré- » ponse, et que...

BRÉCOURT.

I) Sur la réponse? Ma foi, je le Irouverois un grand fou, » s'il se metloit en peine de répondre à leurs invectives. » Tout le monde sait assez de quel motif elles peuvent par- » lir; et la meilleure réponse qu'il leur puisse faire, c'est » une comédie qui réussisse comme toutes ses autres. Voilà « le vrai moyen de se venger d'eux comme il faut; et, de I) l'humeur dont je les connois, je suis fort assuré qu'une » pièce nouvelle qui leur enlèvera le monde les fâchera bien » plus que toutes les satires qu'on pourroit faire de leurs M personnes.

MOLIÈRE

» Mais, chevalier... »

MADEMOISELLE BÉJART.

Souffrez que j'interrompe pour un peu la répétition. (à Molière.) Voulez-\ous que je vous die? Si j'avois été en votre place ; j'aurois poussé les choses autrement. Tout le monde atlenii de vous une réponse vigoureuse; et, après la manière dont on m'a dit que vous étiez traité dans cette comédie , vous étiez en droit de tout dire contre les comédiens, el vous deviez n'en épargner aucun.

MOLIÈRE.

J'enrage de vous ouïr parler de la sorte; et voilà votre manie à vous autres femmes. Vous voudriez que je prisse feu d'abord contre eux, et qu'à leur exemple, j'allasse écla- ter promptement en invectives et en injures. Le bel hon- neur que j'en pourrois tirer, et le grand dépit que je leur feroisl Ne se sont-ils pas préparés de bonne volonté à ces sortes de choses? Et lorsqu'ils ont délibéré s'ils joueroient le Portrait du Peintre^ sur la crainte d'une riposte, quelques

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SCENE m. ^ei

uns d'entre eux n'oiil-ils pas répondu : Qu'il nous rende toutes les injures qu'il voudra, pourvu que nous ('.agnions de l'argent? iN'esl-ce pas là la marque d'une îîine fort sen- sible à la honte? cl ne nie venjjerois-je pas bien d'eux, en leur donnant ce qu'ils veulent bien recevoir?

MADEMOISELLE DE BUTE.

Ils se sont fort plaints, toutefois, de trois ou quatre mot? que vous avez dits d'eux dans la Crilique et dans vos Pré- cieuses.

MOMÈnE.

11 est vrai , ces trois ou quatre mots sont fort offensants, et ils ont grande raison de les citer. Allez, allez, ce n'est pas cela. Le plus grand mal que je leur aie fait, c'est que j'ai eu le bonheur de plaire un peu plus qu'ils n'auroienl voulu; et tout leur procédé, depuis que nous sommes venus à Paris , a trop marqué ce qui les touche. Mais laissons-les faire tant qu'ils voudront; toutes leurs entreprises ne doi- vent point m'inqiiiéler. Ils critiquent mes pièces, tant mieux; et Dieu me g;u'de d'en faire jamais qui leur plaisent! ce se- roit une mauvaise affaire pour moi.

MADEMOISELLE DE BRIE.

n n'y a pas grand plaisir pourtant à voir déchirer ses ou- vrages.

MOLIERE.

Et qu'est-ce que cela me fait? N'ai-je pas obtenu de ma comédie tout ce que j'en voulois obtenir, puisqu'elle a eu le bonheur dagréei' aux augustes personnes à qui particulière- ment je m'efforce de plaire? N'ai-je pas lieu d'clre satisfait de sa destinée, et toutes leurs censures ne viennent-elles pas trop laid? Est-ce moi, je vous prie, que cela regarde main- tenant? et lorsqu'on attaque une pièce qui a eu du succès, n'est-ce pas attaquer plutôt le jugement de ceux qui lonl approuvée, que l'art de celui qui Ta faite? mademoisi:lle d:: brie.

Ma foi, j'aurois joué ce petit monsieur l'auteur, qui se mêle d'écrire contre des gens qui ne songent pas à lui. moliÈ;re.

Vous êtes folle. Le beau sujet à divertir la cour, que mon- sieur Doiirsault! Je voudrois bien savoir de quelle façon on pourroit l'ajuster pour le rendre plaisant, et si, quand on le berneroit sur un théâtre, il seroit assea heureux pour faire

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5G8 L'IMPROMPTU DE VERSAILLES.

rire le monde. Ce lui seroit trop d'honneur que d'être joué devant une auguste asseniljlée; il ne demandeioit pas mieux; et il m'attaque de gaieté de cœur, pour se faire connoîlro, de quelque façon que ce soit. C'est un homme qui n"a rien à perdre, et les comédiens ne me l'ont déchaîné que pour m'engager à une sotte guerre, et me détourner, par cet ar- tifice, des autres ouvrages que j'ai à faire; et cependant vous êtes assez simples pour donner toutes dans ce panneau. Mais enfin j'en ferai ma déclaration publiquement. Je ne pré- tends faire aucune répoiise à toutes leurs critiques et leurs contre-criliques. Qu'ils disent tous les maux du monde de mes pièces, j'en suis d'accord. Qu'ils s'en saisissent après nous; qu'ils les retournent comme un habit pour les mettre sur leur théâtre, et lâchent à profiter de quelque agrément qu'on y trouve, et d'un peu de bonheur que j'ai; j'y con- sens, ils en ont besoin, et je serai bien aise de contribuer à les faire subsister, pourvu qu'ils se contentent de ce que je puis leur accorder avec bienséance. La coui loisie doit avoir des bornes; et il y a des choses qui ne font rire ni les spec- tateurs, ni celui dont on parle. Je leur abandonne de bon cœur mes ouvrages, ma figure, mes gesles, mes paroles, mon ton de voix , et ma façon de réciter, pour en faire et dire tout ce qu'il leur plaira, s'ils en peuvent tirer quelque avantage. Je ne m'oppose point à toutes ces choses, et je se- rai ravi que cela puisse )éjouir le monde; mais, en leur abandonnant tout cela, ils me doivent faire la grâce de me laisser le reste, et de ne point toucher à des matières de la nature de celles sur lesquelles on m'a dit qu'ils m'altaquoient dans leurs comédies. C'est de quoi je prierai civilement cet honnête monsieur qui se mêle d'cciire pour eus, et vcil» toute la réponse qu'ils auront de moi.

MADEMOISCLLr CÉJART.

Mais enfin...

MOULUK.

Mais enfin vous me feriez devenir fou. Ne pailons point de cela davantage; nous nous amusons à faire des discours, au lieu de répéter nohe comédie. Où en étions-nous? Je Qû m'en souviens plus.

MADIMOISELLE DE BRIE.

Vous en étiez à l'cndroil.^

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SCilNE IV. SCO

MOLÎEDE.

Mon Dieu! j'cnlcnds du bruit; c'est le roi qui arrive assu- rément; et je vois bien que nous n'aurons pas le temps de passer outre. Voiia ce que c'est de s'aniustr. Oh bien ! faites donc, pour le reste, du mieux qu'il vous sera possible.

MAnEMOlSCLLE BÉJART.

Par ma foi , la frayeur me prend , et je ne saurois aller ouer mon rôle, si je ne le répèle tout eniier.

MOUÈRE.

Commeul, vous ne sauriez aller jouer votre rôle?

MADEMOISELLE BÉJART.

Non.

MADEMOISELLE DU PARC.

Ni moi, le mien.

MADEMOISELLE DE BRIE.

Ni moi non plus.

MADEMOISELLE MOLIERE.

Ni moi. Ni moi. Ni moi.

MOLIÈRE.

Que pensez- vous donc faire? Vous moquez-vous toutes de moi?

SCÈNE IV. — BÉJART, MOLIÈRE, LA GRANGE, DU CROISY; MESDEMOISELLES DU PARC, BÉJART, DE BRIE, MOLIÈRE, DU CROISY, HERVÉ.

BÉJART.

Messieurs, je viens vous avertir que le roi est venu, et qu'il attend que vous commenciez.

MOLIÈRE.

Ah! monsieur, vous me voyez dans la plus grande peine du monde: je suis désespéré, à l'heure que je \ous parle I Voici des femmes qui s'effraient, et qui disent qu'il leur fauJ répéter leurs rôles avant que d'aller commencer. Nous de- mandons, de grâce, encore un moment. Le roi a de la bonté, et il sait bien que la chose a été précipitée.

3i.

MADEMOISELLE HERVE. MADEMOISELLE DU CROISY.

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570 L'IMPROMPTU DE VERSAILLES.

SCÈNE V. — MOLIÈRE, LA GRANGE, DU CROISY; mes- demoiselles DU PARC BÉJART, DE BRIE, MOLIÈRE, DU CROISY, HERVÉ.

MOLIÈRE.

Hé I de grâce , lâchez de vous remettre , prenei courage , '6 vous prie.

MADEMOISELLE DD PARC.

Vous devez vous aller excuser.

MOLIÈRE.

Comment m'excuser? ,

SCÈNE VI. — MOLIÈRE , LA GRANGE , DU CROISY ; mes- demoiselles DU PARC, BÉJART, DE BRIE, MOLIÈRE, DU CROISY, HERVÉ; UiN NÉCESSAIRE».

CN NÉCESSAIRE.

Messieurs, commencez donc.

MOLIÈRE.

Toul-à-riieure, monsieur. Je crois que ]'i perdrai l'esprit de cette affaire-ci, eL..

SCÈNE VIL — MOLIÈRE, LA GRANGE, DU CROISY; mes- demoiselles DU PARC, BÉL\RT. DE BRIE, MOLIÈRE, DU CROISY, HERVÉ- UN NÉCESSAIRE, UN SECOND NÉCESSAIRE.

LE SECOND NÉCESSAIRE.

Messieurs, commencez donc.

MOLIÈRE.

Dans un moment, monsieur, (à ses caaarade».) Hé, quoi doncl ulez-vous que j'aie l'affront ..

SCÈNE VIII. — MOLIÈRE, LA GRANGE, DU CROISY; mes- demoiselles DU PARC, BÉJART, DE BRIE, MOLIÈRE, DU CROISY, HERVÉ; UN NÉCESSAIRE, UN SECOxNI NÉCESSAIRE, UN TROISIÈME NÉCESSAIRE.

LE TROISIÈME NÉCESSAIRE.

Messieurs, commencez donc.

' Un nécessaire, pour : un homme empresse de te mêler de tout, même d« M fui ne le regarde pas.

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SCENE X. 571

Moi.irur. Oui, monsieur, nous y allons. Hél que de gens se font de fête, et viennent dire : Commencez donc, à qui le roi ne l'a pas commandé !

SCÈNE IX. — MOLIÈRE. LA GRANGE, DU CROISY; mes- DEMOISELLES DU PARC, BÉJART , DE BRIE, MOLIÈRE, DU CROISY, HERVÉ; UN NÉCESSAIRE, UN SECOND NÉCESSAIRE, UN TROISIÈME NÉCESSAIRE, UN QUA- TRIÈME NÉCESSAIRE.

LE QUATRIÈME NÉCESSAIRE.

Messieurs, commencez donc.

MOLIÈRE.

Voilà qui est fait, monsieur, (à ses camarade».) Quoi donc, re- cevrai-je la confusion...?

SCÈNE X. — BÉJART, MOLIÈRE, LA GRANGE, DU CROISY; MESDEMOisEi.LEs DU PARC, BÉJART, DE BRIE, MOLIÈRE, DU CROISY, HERVÉ.

MOLIÈRE.

Monsieur, vous vencï pour nous dire de commencer; mais...

BÉJART.

Non, messieurs; je viens pour vous dire qu'on a dit au roi l'embarras où vous vous trouviez, et que, par une bonté toute particulière, il remet votre nouvelle comédie à une autre fois, et se contente, pour aujourd'hui, de la première que vous pourrez donner.

M0Lli:BE-

Ahl monsieur, vo.;s me redonnez la vie! Le roi nous fait la plus grande grâce du monde de nous donner du temps pour ce qu'il a\oil souliailé; cl nous allons tous le remercier des extrêmes bontés qu'il nous fait paroilre.

na DE t.'lUBROUfTV BF V£RS.\ILL£«.

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LE MARIAGE FORGÉ,

COMÉDIE EN UN ACTK,

1664.

NOTICE.

D'après quelques commentateurs, une aventure arrivée au comte de Grammont aurait fourni à Molière le sujet de cette pièce. « Ce seigneur, pendant son séjour à la cour d'Angleterre, dit Taillcfcr, avait aimé mademoiselle Hamilton. Leurs amours même avaient fait du bruit. Il repassait en France, sans avoir rien conclu avec elle. Les deux frères de la demoiselle le joi- gnirent à Douvres, dans le dessein de faire avec lui le coup de pistolet. Du plus loin qu'ils l'aperçurent, ils lui crièrenl : « Comte de Grammont, n'avez-vous rien oublié à Londres? — Pardonnez-moi, répondit le comte qui devinait leur intention: j'ai oiiblié d'épouser votre sœur, et j'y retourne avec vous pour finir cette affaire. »

Bret, tout en admettant l'authenticité de l'anecdote, conteste qu'elle ait inspiré à Molière l'idée de sa comédie. Suivant ce com- mentateur, « c'est voir une ressemblance de trop loin, et le sujet de la pièce conduisoit naturellement l'auteur à la manière plaisante dont il la termine. Le Mariage de Fanurge (liv. III, ch. xxxv) a fourni à Molière l'idée principale sur laquelle il a établi, non l'intrigue, car il n'y en a pas, mais le fond de sa co- médie. Molière étoit plein de son Rabelais, et, comme la Fon- taine, il s'est plu souvent à donner une nouvelle vie aux plai- sanicries du curé de Meudon. »

Le Mariage forcé fut joué au Louvre, en trois actes, avec des intermèdes, sous le titre de Ballet du Roi, parce que Louis XIV y dansa, le 29 janvier 1664, et en un acte, avec quelques chan- gements, sur le théâtre du Palais-Royal , le 15 février suivant.

« Celte petite pièce contient deux scènes, celle? de Sganarelle avec les philosophes Pancrace et Marphurius, qui ne paraissent à beaucoup de lecteurs que deux pitoyables parades. Mais qui- conque se reporte au fanatique aristotéhsme du temps comprend

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LE MARIAGE ! ORCE. AT5

bientôt que les coups de bSton donni5s par Sganarelle ne sont pas là seulement pour nous faire rire. Molière se proposait un but bien plus important ; et il l'atteignit, car l'Université de Paris, frénétique champion des doctrines du philosophe de Sta- gyre, allait obtenir la confirmation d'un arrêt du parlement de Paris, en date du 4 septembre 1624, qui prononçait jieine de mort contre ceux qui oseraient combattre le système des Pancrace et des Marphurius. Le ridicule que le Mariage forcé jeta sur ces principes contribua sans doute à lui faire suspendre ses pour- suites. »

Au passage qu'on vient de lire, et que r •■ 5 empruntons à M. Taschereau, on peut ajouter que l'attaqv contre Pancrace et Marpluirius se rattachait évidemment, dans l'esprit de Mo- bère, à tout un ensemble d'observations philosophiques; car les PrccieufCA, les Femmes savantes, Ti-issotin et Yadius, Fancrace t^ Marihvrius, sont de la même lignée.

PERSONNAGES.

fGANABFXlE '.

GÉROXIMO'.

DOniMÈNE, jeune co.iueUe, promue à SganMellB •.

ALCANTOR père de Dorimène*.

ALCIDAS, frère de Dorimcne ••

LTCASTE, amanl de Dorimène.

PANCRACE, iloclenr anstolclicien'.

IIARPHI'RIUS, ilocleur pjrrhonien'.

DEUX ÉGYPTIENNES*.

La scène est dans une place publiquBt

SCÈNE l. •^- SGAXARELLE, parlant à ceux qui sont dans sa maison.

Je suis de relour dans un momenl. Que l'on ait bien soin du logis, el que tout aille comme il faut. Si l'on m'apporte de l'argent, que Ton me vienne quérir vite chez le seigneui Gcronimo; et si l'on vient m'en demander, qu'on dise qiu je suis sorti, et que je ne dois revenir de toute la journée.

Aoleurs de la troupe de Molière : 'Molière. — 'La Tuorillière. — 'l!i demoiselle bu Pasc. — «liÉi.'.BT. — > La Grange. — 'Brécourt. — « » Di Çaoïs». — 'Hescomoiseilcs Béjart et DE Erîe.

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574 LE MARIAGE FORCÉ.

SCÈNE II. — SGANARELLE, GÉROMMO.

GÉRONIMO, ayant entenda les dernières paroles de SganarellC'

Voilà un ordre fort prudent.

SGANABlELLE.

Ah ! seigneur Géronimo, je vous trouve à propos; et j'ai- lois chez vous vous chercher.

GÉRONIMO.

Et pour quel sujet, s'il vous plaît?

SGANARELLE.

Pour vous communiquer une affaire que j'ai en tête , et tous prier de m'en dire votre avis.

GÉRONIMO.

Très volontiers. Je suis bien aise de oette rencontre, «t nous pouvons parler ici en toute liberté.

SGANARELLE.

Mettez donc dessus *, s'il vous plaît. Il s'agit d'une chose de conséquence que Ton m'a proposée; et il est bon de ne rien faire sans le conseil de ses amis.

GÉRONLMO.

Je vous suis obligé de m'avoir choisi pour cela. Vous n'a- vez qu'à me dire ce que c'est.

SGANARELLE.

Mais, auparavant, je vous conjure de ne me point tlatter du tout, et de me dire nettement votre pensée.

GÉRONIMO.

Je le ferai, puisque vous le voulez.

SGANARELLE.

Je ne vois rien de plus condamnable qu'un ami qui ne nous parle pas franchement.

GÉRONIMO.

^ ous avez raison.

SGANARELLE.

Et dans ce siècle on trouve peu d'amis sincères.

GÉRONIMO.

Cela est vrai.

SGANARELLE.

Promcllez-moi donc, seigneur Géronimo, de me parler avec foute sorte de franchise.

' C'eàt-à-d're s meltex voire cliapeau sur votre lîte; comme on dit aujour 4'liui couvrez-voas, en sout-enteodaui encore ta tête.

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SCEJNE li. 576

GEKOINIMO.

Je vous le ptouiets.

8GANAKELLE.

Jurez-eo voire fci.

GÉRONIMO.

Oui, foi d'auii. Diles-inoi seulement votre affaire.

SGANARELLE.

C'est que je veux savoir de vous si je ferai bien de me marier.

GÉRONIMO.

Qui, vous?

SGANARELLE

Oui, moi-uiéuie, en propre personne. Quel est voir© airis Ut-dessus?

GÉRONIMO.

Je vous prie auparavant de nie dire une chose.

SCANARELLE.

Et quoi?

GÉnONIMO.

Quel âge pouvez-vous bien avoir niaio tenant?

SCANARELLE.

Moi?

GLRONIMO.

Oui.

SCANARELLE.

Ma foi, je ne sais, mais je nie porte bien.

GÉRONIMO.

Quoil vous ne savez pas à peu piés voire âge?

SCANARELLE.

Non : est-ce qu'on songe à cela ?

GÉRONIMO.

Hél dites-moi un peu, s'il vous plaît : combieu aviei-vofes d'années lorsque nous finies connoissance ?

SCANARELLE.

Ma foi, je n'avois que vingt asis alors.

GÉKOMMO.

Combien fûmes-nous ensemble à Home?

SCANARELLE.

Huit ans.

GÉRONIMO,

Quel temps avez-vous demeuré en Angleterre?

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LE MARIAGE RGE.

SGANARELLB.

Sept ans

■ GÉRONIMO.

Et en Hollande, où vous fûtes ensuilet

SGANARELLE.

Cinq ans et demi.

CKRONIMO.

Combioa y a-t-il que vous êtes revenu ici 5

SCANAUELLE.

Je revins en cinquante-deux *.

GÉRONIMO.

De cinquante-deux à soixante-quatre 2, il y a douze ans^ ce me semble. Cinq en Hollande (ont dix-sept ; sept en An- gleterre font vingt-quatre; liuit dans notre séjour à Rom» font trente-deux; et vingt que vous aviez lorsque nous nous connûmes, cela fait justement cinquante-deux. Si bien, sei- gneur SganarcUe, que, sur votre propre confession, vous êtes environ à votre cinquante-deuxième ou cinquante-troi- sième année.

SGANARELLE.

Qui, moi? cela ne se peut pas.

GÉRONIMO.

Mon Dieu! le calcul est juste; et là-dessus je \ous diiai franchement et en ami, comme vous m'avez fait promelire de vous pailer, que le mariage n'est guère votre fait. C'est une cfiose à laquelle il faut que les jeunes gens pensent bien mûrenient avant que de la faire; mais les gens de votre âge n'y doivent point penser du tout; et si l'on dit que la plus grande de toutes les folies est celle de se marier, je ne vois rien de plus mal à propos que de la faire, cette folie, dans la saison où nous devons être plus sages. Enfin, je vous en dis nettement ma pensée. Je ne vous conseille point de son- ger au mariage; et je vous trouverois le plus ridicule du monde si, ayant été libre jusqu'à cette heure, vous alliez vous charger maintenant de la plus pesante des chaînes.

SGANARELLE.

Et moi, je vous dis que je suis résolu de me marier, et que je ne serai point ridicule en épousant la fille que je re- cherche.

  • VAm. Vr cinquante-sjx. (Première édition.)
  • fàM. De riQquaiUe>six à soixante-iiait. iPnmière eiiition.j

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SCENE II. 577

f.ÈllONIMO.

Ah! c'est une autre chose! Vous ne m'aviez pas dit cela.

SCANAUELLE.

C'est une fille qui me plaîl, et que j'aime de tout mon

|S3Ul\

CÊUOMMO.

Vous l'aimez de tout votre cœur?

SCANARELLE.

Sans doute, el je i'ai demandée à son père.

CÉRONIMO.

Vous l'avez demandée?

SCANARELLE.

Oui. C'est un mariage qui se doit conclure ce soir; et j'ii (ïouué ma parole.

GERONIMO.

Oh ! mariez-vous donc I Je ne dis plus mot.

SCANARELLE.

Je quitlcrois le dessein que j'ai fait! Vous semble-t-il, seigneur Géronimo, que je ne sois plus propre à songer à une femme? Ne parlons point de l'âge que je puis avoir, mais regardons seulement les choses. Y a-t-il homme de trente ans qui paroisse plus fiais et plus vigoureux que vous me voyez? N'ai-je pas tous les mouvements de mon corps aussi bons que jamais ; el voit-on que j'aie besoin de car- rosse ou d-? chaise pour cheminer? N'ai-je pas encore toutes mes dents les meilleures du monde? [\i montre ses dwus.) Ne fais-je pas \igoureu5ement mes quatre repas par jour, el peut-on voir un csloniac qui ait plus de force que le mien? (Il tousse.) llem, hem, hem. Eh ! qu'en dites-vous?

CERONIMO.

Vous avez raison, je m'étois trompé. Vous ferez bien de vous marier.

SCANARELLE.

J'y ai répugne autrefois; mais j'ai maintenant de puis- ante» i-aisons pour cela. Outre la joie que j'aurai de poss» er une belle femme, qui me fera mille caresses, qui me dorlotera ', et me viendra frotter lorsque je serai las; outre

' Le verbe dorloter est encore usuel dans le patois picard. Oq J't dorloter n> fnfdnt, dans le sens de le combler de petits soins. Sganarelle, en employant ieUe t]i|Mession, veut donc dire que sa femme le traitera comme une mère lendie Iriile uu entant. Celle application exacte du mot dorloter, applicaliuii qui o'* f 'ni élc remarquée, rend la préteDlioD du personnage plus ridicule encore. I. 33

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578 LE MARIAGE FORCE.

celte joie, c!is-je, je considère qu'en deinruranl comme je suis je laisse péril' dans le monde la race des Sganarelles; fct qu'en me mariant je pourrai me voir revivre en d'autres moi-même; que j'aurai le plaisir de voir des créatures qui seront sorties de moi, de petites figures qui me ressemble- ront comme deux gouttes d'eau, qui se joueront continuelle- ment dans la maison, qui m'appelleront leur papa quand je seviendrai de la ville, et me diront de petites folies les plus agréables du monde. Tenez, il me semble déjà que j'y suis, et que j'en vois une demi-douzaine autour de moi *.

CÉRONIMO.

Il n'y a rien de plus agréable que éela, et je vous conseille de vous marier le plus vite que vous pourrez.

SGANARCtLE.

Tout de bon, vous me le conseillez?

CÉRONlMO.

Assurément. Vous ne sauriez mieux faire.

' Panurge consulte Pantagruel, comme Sganarelle consulte Géronimo. Il dit : « Je n'aurois jamais aullreiiienl fils ne filles légitimes, esciuels j'eusse espoir » mon nom et armes perpétuer, esquels je puisse laisser mes lueritaiges et ac-

> quesls .. avec lesquels je me puisse esbaudir, quand d'ailleurs seroys mesliaigné

> (chagrin)... comme je vois journellement vostre tant bening et débonnaire » père faire avecq vous, et font touts gens de bien en leur serrail et privé. —

> Mariei-vous doncques de par Dieu, respondit Pantagruel.» [Pantagruel, liv. III, cbap. IX.) — Molière, en écrivant cette scène, s'est évidemment souvenu de Rabelais; mais la donnée de la célèbre consultation matrimoniale du curé de Meudon est elle-même empruntée à quelque conte qui avait cours parmi le peuple. On la retrouve en elTel dans les sermons de Jean Raullin. — Iline- rarium paradisi. Parisiis, 1524, Sermo de viduilate, fol. 148 v°. — Voici le pas- sage du vieux sermonnaire, traduit par M. Aimé Murtin ; « Une certaine veuve,

> désirant se remarier, vint consulter son cure. Elle lui exposa comment elle

> éloit restée sans appui, et comment elle avoit un valet fort habile dans la pro- » fcssion du défunt — Eh bien! lui dit le curé, prenez votre valet. — Maig , » ajouta la veuve, si je '.e prends, il deviendra mon maître. — Ne le pienez donc • pas, répondit le curé. — Ilélas ! repartit la veuve, comment pourrai-je, saaj » mari, soutenir le poids de ma maison î — Il faut donc prendre votre valet, » dit encore le curé. — C'est bien aussi mon ioteution, dit la veuve; mais s'il

> étoit méchant, et ne cherchoilque ma ruine? — Ne le prenez donc pas, dit le r le curé, qui se plioit toujours à son avis. Cependant, comme il s'aperçut qu'elle

> ne demandoit qu'une bonne raison pour se marier, il lui dit d'écouter les clo-

> ches, et de suivre leur conseil. Or, les cloches venant à sonner, la veuve » s'écria qu'elles disoient clairement : Prends ton valet, prends ton valet. Elle » le prit, et devint servante, de maîtresse qu'elle éloit. Alors, maudissant l'heure

> de son mariage, elle court se plaindre à son curé. — Il y a quelque méprise, » dit celui-ci ; sans doute vous n'aurez pas bien compris les cloches : elles voni » sonner, écoi tons. La mariée prêta l'oreille; mais quelle fut sa surprise! celU » foii, les cloches disoient disliDcicmeot : N« It pnnds pat) ne le prends pa«« >

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SCENE il. 579

SGANARILLF.

Vraiment, je suis ravi que vous me donniez ce conseil en léritable ami.

GÉRONIMO.

Hé! quelle est la personne, s'il vous plaît, avec qui voua tous allez marier?

SGANARELLE.

Dorimèae

GÉRONIMO.

Celle jeune Dorimène, si galanle et si bien parée?

SCANARILLE.

Oui.

GÉROMMO.

Fille du seigneur Alcantor?

SGANARELLE.

Justement

GÉRONIMO.

El sœur d'un certain Alciuas, qui se mêle de porter l'épée?

SGANARELLE.

C'est cela.

GÉROMMO.

Verlu de ma viel

SGANARELLE.

Qu'eu diles-vous?

GEROMMO.

Bon parti! Mariez-vous promptoment.

SGANARELLE.

N"ai-je pas raison d'avoir fait ce choix?

GÉROMMO.

Sans doute. Ah! que vous serez bien marié I Dépêchez- ?ous de l'èlre.

SGANARELLE.

Vous me comblez de joie de me dire cela. Je vous remer- cie de votre conseil , et je vous invile ce soir à mes notes.

GÉRONIMO.

Je n'y manquerai pas ; et je veux y aller en masque, aOa de les mieux honorer.

SGANARELLE.

tjervileur.

GÉRONIMO, à pari.

La jeune Dorimène, fille du seigneur Alcantor, avec I« 

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580 LE MARIAGE FORCE.

seigneur Sganaiullc, qui n'a que cinquaulc-lrois ans! le beau mai iage I ô le beau mariage I

(Ce qu'il rcpcle plusieurs fois en s'en allant.!

SCÈNE III. — SGANARELLE, seul.

Ce mariage doil èiro heureux, car il donne de la joie h tout le monde, et je fais rire tous ceux à qui j en parle. M«  ?oilà inainlcnanl le plus coulent des hommes.

SCÈNE IV. — DORIMÈNE, SGANARELLE.

DORIMENE, dans le fond du lliC?lrc, à uc petit laquais qui la suit.

Allons, polil garçon, qu'on (ienne bien ma queue, et qu'on ne s'amuse pas à badiner.

SCANAUELLE, à part, apercevant Doriii-cne.

Voici ma maîtresse qui vient. Ah! qu'elle est agréable! Quel air et quelle taille! Peul-il y avoir un homme qui n'ait, en la voyant, des démangeaisons de se marier? (a Dorinnène.) Oi'i ailcz-\ous, belle mignonne, chère épouse future de votre époux futur?

DORIMENE.

Je vais faire quelques emplettes.

SGAN.iRELLE.

lié bien! ma belle, c'est maintenant que nous allons être heureux l'un et l'autre. Vous ne serez plus en droit de me rien refuser; et je pourrai faire avec vous tout ce qu'il me plaira, sans que personne s'en scandalise. Vous allez être à moi depuis la Icle jusqu'aux pieds, et je serai maître de tout: de vos petits yeux éveillés, de votre petit nez fripon, de vos lèvres appétissantes, de vos oreilles amoureuses, de voire petit menton joli, de vos petits tétons rondelets, do voire... Enfin, toute votre personne sera à ma discrétion, cl je serai à même pour vous caresser comme je voudrai. K'èles-vous pas bien aise de ce mariage, mon aimable pouponne?

DORIMÈNE.

Tout-à-fait aise, je vous jure. Car enfin la sévérité de mon père m'a tenue jusques ici dans une sujétion la plus fâcheuse du monde. 11 y a je ne sais combien que j'enrage du peu de Uberté qu'il me donne, et j'ai cent fois souhaité qu'il me

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SCEiNE V.

mariât, pour sorlir prompienicnt de la contrainle où \'éUV\i avec lui, et me voir en état de faire ce que je voudrai. Dieu merci, vous è'es venu heureusement pour cela, et je me pré- pare désormais à me donner du divertissement, et à réparer, comme il faut, le temps que j'ai perdu. Comme vous êtes un fort galant homme, et que vous savez comme il faul vivre je crois que nous ferons le meilleur ménage du monde ensemble, et que vous ne serez point de ces maris incom- modes, qui veulent que leurs femmes vivent comme des loups-garous. Je vous avoue que je ne m'accommodeiois pas de cela, et que la solitude me désespère. J'aime le jeu, les visites, les assemblées, les cadeaux, et les promenades; en un mot, toutes les choses de plaisir : et vous devez être ravi d'avoir une femme de mon humeur. Nous n'aurons jamais aucun démêlé ensemble; et je ne vous contraindrai point dans vos aciions, comme j'espère que , de votre côté, vous ne me contraindrez point dans les miennes ; car, pour moi, je tiens qu'il faut avoir une complaisance mutuelle, et qu'on ne se doit point marier pour se faire enrager l'un l'autre. Enfin, nous vivrons, étant mariés, comme deux personnes qui savent leur monde. Aucun soupçon jaloux ne nous trou- blera la cervelle; et c'est assez que vous serez assuré de ma fidélité, comme je serai persuadée de la vôtre. Mais qu'avez- vous? je vous vois tout changé de visage.

SGANARELLE.

Ce sont quelques vapeurs qui me viennent de monter à la tète.

DORIMÈNE.

C'est un mal aujourd'hui qui attaque beaucoup de gcn»; mais notre mariage vous dissipera tout cela. Adieu. Il mo tarde déjà que je n'aie des habits raisonnables, pour quitter vite ces guenilles. Je m'en vais de ce pas achever d'acheter toutes les choses qu'il me faut, et je vous enverrai les mar- chands.

SCÈNE V. — GÉRONIMO, SGANARELLE.

CÉRONIMO.

Ah ! seigneur Sganarelle, je suis ravi de vous trouver en- core ici; et j'ai rencontré un orfèvre, qui, sur le bruit que vous cherchez quelque beau diamant en bague pour faire

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582 LE MARIAGE FORGÉ.

un présent à voire épouse, m'a fort prié de vous venir par- ler pour lui, et de vous dire qu'il en a un à vendre, le plus parfait du monde.

SGANARELIE.

Mon Dieu! cela n'est pas pressé.

GÉnONIMO.

Comment! Que veut dire cela? Où est l'ardeur que tou3 montriez tout à l'heure?

SGANABELLE.

11 m'est venu, depuis un moment, de petits scrupules sur le mariage. Avant que do passer plus avant, je voudrois bien agiter à fond cette matière, et que lorf m'expliquât un songe que j'ai fait celte nuit, et qui vient tout à l'heure de me re- venir dans l'esprit. Vous savez que les songes sont comme des miroirs , où l'on découvre quelquefois tout ce qui nous doit arriver. Il me scmbloit que j'étois dans un vaisseau, sur une mer bien agitée, et q;ic...

GÉr.ONIMO.

Seigneur Sganarelle. j'ai maintenant quelque petite affaire qui m'empêche de vous ouïr. Je n'entends rien du tout aux songes; et quant au l'aisonnement du mariage, vous avez deux savants, deux philosophes, vos voisins, qui sont gens à vous débiter tout ce qu'on peut dire sur ce sujet. Comme ils «ont de sectes différonles, vous pouvez examiner leurs di- verses opinions là-dessus. Pour moi, je me contente de ce que je vous ai dit tantôt, et demeure votre serviteur.

SGANARELLE, seul.

Il a raison. 1! faut que je consulte un peu ces gens-là sur l'incertitude où je suis.

SCÈNE VI. — PANCRACE , SGANAREf.LE.

PANCRACE, se tournant du côté où il est entré, et sans voir Sganarelle.

Allez, vous êtes un impertinenl, mon ami, un homme ignare de toute bonne discipline, bannissable de la répu- blique des le lires.

SGANARr:LLE.

Ah! bon, en voici un fort à propos.

PANCRACE, de ra6me, sans voir Sganarelle.

Oui, je te soutiendrai par vives raisons, je le montrerai par Arislotc* le l^liiiosoi^he des i>hilosophes, que tu es un

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SCENE VI. 588

ignorant, un ignorantissinie , ignoranlifiant et ignorantifié, par tous les cas et modes imaginables.

SGANARELLF, à part.

Il a pris querell»; contre quelqu'un, (à Pancrace.) Soigneur...

l' ANCRAGE, de même, sans voir Sganarelle.

Tu veux te mêler de raisonner, et tu ne sais pas seule- ment les éléments de la raison.

SGANARELLE, à part,

La colère l'empêche de me voir, (à pancrace.) Seigneur...

PANCRACE , de même, sans voir Sganarolle.

C'est une proposition condair.nalile dans toutes les terres de la philosophie.

SGANARELLE , à part.

Il faut qu'on l'ait fort irrité, (à Pancrace.) Je...

PANCRACE , de même, sans voir Sganarelle.

7'oto cœlo, tota via aberras.

Sr.ANAUr.LLE.

Je baise les mains à monsieur le docteur.

PANCRACE.

Serviteur.

SGANARELLE,

Peut-on ..?

PANCRACE , se reloiimant vers l'eodroit par où il est entr<.

Sais-lu bien ce que tu as fait? un syllogisme in Balorâo.

SGANARELLE.

Je vous...

PANCRACE, de même.

Lt majeure en est inepte, la mineure impertinente, et la conclusion ridicule.

SGANARELLE.

Je...

PANCRACE, de même.

Je cièvcrois plutôt que d'a\ouor ce que tu dis; el je sou- tiendrai mon opinion jusqu'à la dcrnièie goutte de mon encre.

SCANARTLLE.

Puis-jc...

PANCRACE, de même.

Oui, je défenihai cette proposition, puanis et calcibus, unguibus cl rosira.

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584 LE MARIAGE FORCE.

SGANARELLE.

Seigneur Aristolc, peut-on savoir ce qui vous met si fo/l en colère?

PANCRACE.

Un sujet le plus juste du monde.

SGANARELLE.

Et quoi, encore?

PANCRACE.

Un ignorant m'a voulu soutenir une proposition erronée, une proposition épouvanlal)!e, effroyable, exécrable.

SCANARIILLE.

Puis-je demander ce que c'est?

PANCRACE.

Ah! seigneur Sganarelle, tout est renversé aujourd'hui, et le monde est tombé dans une corruption générale. Une licence épouvanlable règne partout; et les magistrats, qui sont établis pour mainlenir l'ordre dans cet État, devroient mourir * de honle, en souffrant un scandale aussi intolérable que celui dont je veux parler.

SGANARELLE.

Quoi donc?

  • PANCRACE.

N'est-ce pas une chose horrible, une chose qui crie ven- geance au ciel , que d'endurer qu'on dise publiquement la forme d'un chapeau?

SGANARELLE.

Comment!

PANCRACE.

Je soutiens qu'il faut dire la tigfire d'un chapeau , et non pas la forme ; d'autant qu'il y a celte différence entre la forme et la figure, que la forme est la disposition exlLTieure des corps qui sont animés, el la figure la disposition exté- rieure des corps qui sont inanimés : et puisque le chapeau est un corps inanimé, il faut dire la figure d'un chapeau, et

OOn pas la forme, (se retournant encore du côté par où il est entré.) Oui,

ignorant que vous êtes, c'est ainsi qu'il faut parler; et ce «ont les toimes exprès d'Arislote dans le chapitre de la qua- lité.

' ?AB. Devroient lougir. (Premt'èi t édition.]

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bLfSNE VL 58a

sGA^AnrLLE, à part.

Je pensois que tout fût perdu, (à Pancrace.) Sifigneur doc- leur, ne songez plus à fout cela. Je...

PANCRACE.

Je suis dans une colère, que je ne me sens pas.

SGANAUïïLLE.

Laissez la forme et le chapeau en paix. J'ai quelque cbOM à vous communiquer. Je...

PANCRACE.

Impertinent fieffé ' !

SCANARCLLE.

De grâce, remellcz-vous. Je...

PANCRACE.

IgnorantI

SCANARELLE.

Eh! mon Dieu. Je...

PANCRACE.

Me vouloir soutenir une proposition de In sorte!

SCANARILLE.

Il a tort. Je...

PANCRACE,

Une proposition condamnée par Arlstotef

SCANARELLE.

Cela est vrai. Je...

PANCRACE.

Eu termes exprès!

SCANARELLE. Vous avez raison, (se loumanl du côté par où Pancrace esl cnlri?.) Oui,

vous cles un sol et un impudent, de vouloir disputer contre un docteur qui sait lire et écrire. Voilà qui est fait : je vous prie de m'écoutcr. Je viens vous consulter sur une affaire qui m'embarrasse. J'ai desseisi de prendre une femme, pour me tenir compagnie dans mon ménage. La personne est belle et bien faite; elle me plait beaucoup, et est ravie de m'épouser. Son père me l'a accordée; mais je crains un peu ce que vous savez, la disgrâce dont on ne plaint personne;

' Ce root esl emprunté à la féodalité. Il y avoit (tes nobles sans terre et dei nobles avec terre. Le noble qui possédoit une lerrc ctoil un noble fieiïo, c'est» à-dire un noble qui avoil à la fois litre et pr(priclc. C'ëloil donc un nol)le qui réuniESOit tous les avantages de la noblesse. Par aiialc^gie, un impertinem fieffé, HB /bu /ie/frf, est celui qui rcnnil tous les désagrcinents de l'imperlincpce ou d«  la foi:«.

33

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S8fl LE MARIAGE FORCE.

et je voudrois bien vous prier, commo philosophe, de me dire votre sentiment. Eh! quel est votre avis là-dessus?

PANCRACE.

Plutôt que d'accorder qu'il faille dire la forme d'un cha- peau, j'accorderois que dalur vacuum in rerum nalura, et que je ne suis qu'une bêle.

SOANARELLE, à part.

La peste soil de Thonimc I (à Pancrace.) Eh ! monsieur le docteur, écoulez un peu les gens. On vous parle une heure durant, et vous ne répondez point à ce qu'on vous dit.

PANCRACE.

Je vous demande pardon. Une juste colère m'occupe l'es- prit.

SGANARELLE.

Eh! laissez tout cela, et prenez la peine de m'écouter,

PANCRACE.

Soit. Que voulez-vous me dire?

SGANARELLE.

Je veux vous parler de quoique chose.

PANCRACE.

Et de quelle langue voulez-vous vous servir avec moi?

SGANARELLE.

De quelle langue?

PANCRACE.

Oui.

SGANARTLLE.

Parbleu ! de la langue que j'ai dans ma bouche. Je crois lue je n'irai pas emprunter celle de mon voisin.

PANCRACE.

Je vous dis, de quel idiome, de quel langage?

SGANARELLE.

Ah ! c'est une autre affaire.

PANCRACE..

Voulez-vous me parler italien?

SGANARELLE.

Non.

PANCRACE*

Espagnol?

SGANARELLE.

Non.

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SCÈNE VI.

PANCRACE. 8GANARELLB,

PANCRACE. SGANARELLB.

PANCRACE. SCANARELLB.

PANCRACE. SGANARELLE.

PANCRACE. SGANARELLB.

PANCRACE. SCANARELLE.

lANCRACE SC\^■AR^LLE.

PANCRACE.

087

allemand?

Non.

Anglois?

Non.

Latinr

Non.

Grec?

Non.

Hébreu?

Non.

Syriaque ?

Non.

TufX!?

Non.

Arabe?

SCA>ARni.LE.

Non, non, fiançois, finnrnis, françoj»',

PANCRACE.

Ah! françois!

SCANARELLE.

Fort bien.

PANCRACE.

Passez donc de Taulie côlé; car celle oreilîe-ci esî deaU*

' D;ins sa piemière entrevue avec Panurge, Pantagruel essaie de lui pariei ei ionie langues dilTérentes fvanl de lui parler fraiiçois. Ce passage lii- Rabelaid fm donner à Uoliéie l'idée de ce dialogue- Toyez Pantagruel, eliap. tx.

(Aimé Hanio.)

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588 LE MARIAGE FORCE.

née pour les langues scientifiques et étrangères , et l'autre est pour la vulgaire et la ninternelle.

SCANARCLLE, à part.

II faut bien des cérémonies avec ces sortes de gens-ci!

PANCRACK.

Que voulez-vous?

s f"' N ART- LIE.

Vous consulter sur une pelite difficulté*

PANCHACE.

Ahl ah! sur une difficuilé de philosophie, sans doute?

SCANAHELLE.

Pardonnez-moi. Je... '

PANCRACE.

Vous voulez peut-être savoir si la subslance et l'accident sont termes synonymes ou équivoques à l'égard de l'être f

SGANARELLE.

Point du tout. Je...

PANCRACEo

Si la logique est un art ou une science?

SGANARELLE.

Ce n'est pas cela. Je..

PANCRACE.

Si elle a pour objet les trois opérations de l'esprit, ou la troisième seulement.

SGANARELLE.

Non. Je...

PANCRACE.

S'il y a dix catégories, ou s'il n'y en a qu'une?

SGANARELLE.

Point. Je...

PANCRACE.

Si la conclusion est de Tessence du syllogisme?

SGANARELLE

Nenni. Je...

PANCRACE.

Si l'essence du bien est mise dans l'appétibilité , ou dans U convenance?

SGANARELLE.

Non. Je...

PANCRACE.

Si le bien se réciproque avec la On?

M

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SCENE VI. 589

SCANAUELLE.

Hé! non. Je...

PANCRACE.

Si la fin nous peul émouvoir par son êlre réel, ou par son être iiUciilionnel'?

SGANAKELI.K.

Non, non, non, non, non, de par tous les diables, non.

PANCUACE.

Expliquez donc votre pensée, car je ne puis pas la deviner.

SCANARELLE.

.fe vous la veux expliquer aussi; mais il faut m'écoutcr. (Peodanique Sganareiie dii:) I/nffairc que j'ai à VOUS dire, c'est que j'ai envie de me marier avec une fille qui est jeune et belle. Je l'aime fort, et l'ai demandée à son père; mais, lomme j'appréhende...

PANCRACE dit en même temps, sans écoiitei- Sgaiiarclle :

La parole a été donnée à l'homme pour expliquer sa pen- sée; et tout ainsi que les pensées sont les portraits des choses , de même nos paroles sont-elles les poilraits de nos pensées.

(Sganarelle, iiTipatleotë, ferme la boache du docteur avec sa main à plu- aieurs reprise-, et le docteur contioue de parler d'abord que Sganarcile 6te sa maÎD.)

Mais ces portraits diffèrent des autres portraits en ce que les autres portraits sont distingués partout de leurs origi- naux , et que la parole renferme en soi son original, puis- qu'elle n'est aiitie chose que la pensée expliquée par uc signe extérieur; doù vient que ceux qui pensent bien sont aussi ceux qui parient le mieux. Expliquez-moi doue votre pensée par la parole, qui est le plus intelligible de tous les lignes.

SCANARELLE pousse le docteur dans sa maison, et tire la porte poui l'empêcher de «ortir*.

Peste de l'homme I

PANCRACE, ati-dedaosde ta maison

Oui, la parole est animi index et spéculum. C'est le tru*

'Uolière, qui avoit fait de la philosopliie une étude très sérieuse, se moque Ml avec beaucoup de raison dn pédantisme de l'école, qui balissoit la «cienca inr des mots. Eu frappant la scolastique avec l'arme du ridicule, il combattoit •ous la même bannière que Bacon et Descartes.

• Tout le reste de la scène, à partir de cet endroit, se trouve, pour la pre«  miére fois, dans l'édition posthume de 1682, {Aimé Martin.)

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590 LE MARIAGE FORCE.

«hement du cœur, c'est l'image de rame, (il monte à la «oneire, et continue.) Osl iiii miioir qui nous présente naïvcmenl les secrets les plus arcanes' de nos individus; et, puisque vous avez la faculté de raliociner, et de parler tout ensemble, à quoi tient-iî que vous ne vous serviez de la parole pour me f ire entendre voire pensée?

SCANARELLE.

C'est ce que je veux faire ; mais vous ne voulez pas m'é- «ouler.

PANCRACE.

Je vorus écoule, parlez.

SCANARELLIJ.

Je dis donc, monsieur le docteur, que...

PANCRACE.

Mais surtout soyez bref.

SCANARELLE.

Je le serai.

PAN'CRACE.

Évitez la prolixité,

SCANARELLE.

Ilél monsi...

PANCRACE.

Tranchez-moi votre discours d'un apophthegme & la laco- Dienne.

SCANARELLE.

Je vous...

PANCRACE.

Point d'ambages, de circonlocution.

(SganarcUe, de doprt de ne point parler, ramasse des picrret pour «fi casser la icte du ductem.)

PANCRACE.

Hé quoil vous vous omporlez, au lieu de vous expliquer? Allez, vous clos plus impertinent que celui qui m'a voulu soutenir qu'il faut diic la forme d'un chapeau; et je vous prouverai, en toute rencontre, par raisons démonstratives et convaincantes, el par arguments in Barbara, que vous n'êtes et ne sei oz jamais qu'inie pécore, et que je suis et serai tou- jours, in utroque jurc'^, le docteur Pancrace,

SCANARELLE.

Quel diable de babillard I

'Les plus arcanr^, c'est-à-dire les pins mystcrieul

  • C'est-à-dire le droit civil et le droit caDoo,

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SCENL: y [II. 591

PANCRACE, en lenli-anl sm' le ihëàtre.

Homme do lollies, lioninie J\riidilion.

SGANARELLE.

Encore ?

PANCRACE.

Homme de surfisance , homme do capacité; (^en allant.) homme consommé dans toutes les sciences naturelles, mo- rales, et politiques; (revenant.) homme savant, savanlissime, pcr omnes modos et casus ; (s'en aibni.) homme qui possède tuperlativè, fahles, mythologies, et histoires, (revenim.) gram- maire , poésie, rhétorique, dialectique, et sophistique, (t'en allant.) mathématique, arithmétique, opîique, onirocri- tique', physique, et mathématique, (rev.nar.t.) cosniométrie, géométrie, architecture, spéculoire^etspéculaloiie3, (s'en allant.) médecine, asliouomie, astrologie, physionomie, méloposco- pie^, chiron>ancie^, géomancie^, etc.

SCÈNE VII. - SGANARELLE, seul

Au diable les saxanls qui ne veulent point écouter les gens! On me l'avoil bien dit que son maître Aristole n'étoit rien qu'un bavard. Il faut que j'aille trouver Taulre; peut- être qu'il sera' plus posé, et plus raisonnable. Holà!

SCÈNE VUI. — MARPIIURIUS, SGANARELLE.

MARPIlliRIUS.

Que voulez-vous de moi, seigneur Sganarelle?

SCANAr.ELI.E.

Seigneur docteur, j'aurois besoin de votre conseil sur une petite affaire dont il s'agit, et je suis venu ici pour cela.' (èpart.) Ah! voilà qui va bien. Il écoute le monde, celui-ci.

'L'interprPlalion dis sniigcs.

• Spéculoire, (ic s;.ccu/iu7i, miroir; parce que ceux qui se môloicnt de cett6 fcience, une des liranclics de l'an diTinatoire, avoient la prctenlion de faire apparoUre dans une ghice l'iiiioîje des personnes absente», et par cela oiême da îévéler ce qu'elles faisoienlà dislance.

  • Spéculatoiref sci€nce iulcrprctalive de l'avenir, pnr le tonnerre, les ëcl nrs

ei les météores.

"Art de tirer l'iiornscope par l'inspection du visa,e.

  • Chiromancie, divinatmn [lar l'inspection d.'S lis^nos de la main.

'Géomancie, divination par des lignes qu'on trace sur la terre, on les feotc* aalurelles qu'on remarque à sa surface. ' Va». Il est plus posé, [Prtmière édilion.\

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592 LE MARIAGE FORCÉ.

MARPIIURIDS.

Seigneur Sganarelle, chaivjez, s'il vous plaît, celle façon de parler. Noire philosophie ordonne de ne point énoncer de proposition décisive, de parler de louf avec incertitude, de suspendre toujours son jugement; et, parcelle raison, vous De devez pas dire, Je suis venu, mais, îl iDe seir>2>Ie que je suis venu.

SGANAREI.LE,

Il me semble?

Oui.

MARrnuusus.

SCANAUriiE.

Parbleu ! il faut bien qu'il me semble, puisque cela est.

MARPODRIDS.

Ce n'est pas une conséquence; et il peut vous le sembler, sans que la cl;osc soit véritable,

SGANARKLT.E.

Comment! il n'est pas viai que je suis venu?

MARi'HtRIUS.

Ce' a est incertain, et nous devons douter de tout.

SGANARELLE,

Quoi! je ne suis pas ici, et vous ne me par[ez pas?

MARPIiCRIlS. "

[1 m'appnroitque vous êtes là, et il me semble qi:ejc vous parle; mais il n'est pas assuré que cela .'«r.t.

SGANARELLE.

Hé! que diable! vous vous moquez. Me voilà, el vous voilà bien nettement, et il n'y a point de me semble à tout cela. Laissons ces subtilités, je vous prie, et parlons de mon af- faire. Je viens vous dire que j'ai envie de me marier.

MARPIIURIDS.

Je n'en sais rien. Je vous le dis, 11 se peut faire.

SGANARELLE.

La fille que je veux prendre est fort Jeune et fort belle,

MARPJ»««»HJS»

n o'esl pas impossibl»-

SGANARELLE.

MARpnunnis*

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SCÈNE VHl 593

SfiANARELLE.

Ferai-je bien ou mal de l'épouser?

MARPIIURIUS.

L'un ou Taiitre.

SGANARF.LLE, à part.

Ah I ahl V'jici une aulie musique, (à Marpliurius.) Je vous demande si je ferai bien d'épouser la fille dont je vous parle.

MARPHCRICS,

Selon la rencontre.

SGANARELLE.

Ferai-je mal?

MARPnCRIUS.

Par avenluie.

SCANARELLE.

De grâce, répondez-moi comme il faut.

MARPHDRILS,

C'est mon dessein.

SOANARELLE.

J'ai une grande inclination pour la fille.

MARPHIRII s.

Cela peut être.

SGANAREIXG.

Le père me l'a accordée.

MARPni'RIUS.

Il se pourroit.

SGANARELLE.

Mais, en l'épousant, je crains d'èlre co<?«i.

MARPniRIUS.

La chose est faisable.

SGANARELLE.

Qu'en pensez- vous?

MARP1IDRII'8« 

Il n'y a pas d'impossibilité.

Sr.ANARELLE.

Mais que feriez-vous si vous étiez à ma place '

MARPUIRIIS.

Je ne sais.

SGANARELLE.

Que me conseillez-vous de faire?

MARPIILRIliS.

Ce qu'il vous plaira.

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S&4

LE MARIAGE FORCE

SGANARELLE.

J'enrage!

MARPULRIUS.

Je m'en lave les mains.

SGANARELLE,

Au diable soit le vieux rêveur !

MARPllURILS.

11 en sera ce qui pourra '.

SGANARELLE, à part

La peste du bourreau! Je te forai changer de note, chien de philosophe enragé.

(Il donne des cnups de bàloD à Marpburius.) MARPIIURIUS.

Ah! ah! ahl

SGANARELLE.

Te voilà payé de ton galimalias, et nrie voilà content.

MARPiU RIIJS.

Comment! Quelle insolente! M'outrager de la sortel Avoir eu l'audace de battre un philosophe comme moi!

SGANARELLE.

Corrigez, s'il vous plaît, celle manière de parler. Il faut douter de toutes choses; et vous ne devez pas dire que je vous ai battu , mais qu'il vous semble que je vous ai battu. MARPianiLS.

Ah ! je m'en vais faire ma plainte au commissaire du quartier, des coups que j"ai reçus.

SGANARELLE.

Je m'en lave les mains,

MAIIPIILRIUS.

J'en ai les marques sur ma personne.

SGANARELLE.

Il se peut faire.

MARPHIRILS.

C'est loi qui m'as traité ainsi.

' Celle scène est imitée du chapitre de Pantagruel, dans lequel Pannrge cou. 5uUe Trouillogan, philosophe pynhonicn, snr le mariaice qu'il a projeVé. a Pa- » NURGE. Donciiiics me maricray-je? Truuili.ogan. Par advcnlure. Pan. MVn

> trouveray-je bien? Tn. Selon la rcnconlie. Pan. Aussi si je rcncoulrc bien.

> comme j'e^^pe^c, serawje heureux? Tb. Assez. Pan. Tunrnnns a contre-poib » El si je rencontre nul? Tr. Je m'en excuse. Pan. M;iis conseillez-moi} de

> grâce : qu^ dmljs-je f.iire? Tn. Ce que vou» voudrez Pan Que m'en con-

» geiUei-vous ? Tr. Rien, e:?., clc. »

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SCENE X. WS

SCANARELLE.

n'y a pas d'impossibilité.

MAKPHURItS,

J'aurai un décret con lie toi.

SGANAUrLLE.

Je n'en sais liiu,

MAiiPnrr.ius. Et tu seras condamné en justice

SGANAKttLJ:,.

Il en sera ce qui pourra.

MAUPU r.i! s. Laisse-moi faire.

SCÈNE IX. — SGANARELLE, «tl.

Comment! on ne sauroit tirer une piirole posilive de ce chien d'homine-là, et Ton est ausFJ savant à la fin qu'au com- mencement. Que dois-je faire dans l'incerlilude des suites de mon mariage? Jamais homme ne fut plus embarrassé que je suis. Ahl voici des Egyptiennes; il faut que je me fasse dirç par elles ma bonne aventure.

SCÈNE X. — DEUX ÉGYPTIENNES, SGANARELLE.

(Les ÉgyplienBes avec leurs tambours de basque enlient en cbaniant et «■ dansant.)

SGANARELLE.

Elles sont gaillardes. Ecoulez, vous autres, y a-l-il moyen de rae dire ma bonne fortune?

Pr.EMiÈRE ÉGYPTIENNE.

Oui, mon beau monsieur, nous voici deux qui te la dirons.

DEUXlblE ÉGYPTIENNE.

Tu n'as seulement qu'à nous donner ta main, avec la croix dedans', et nous te dirons quelque chose pour ton bon {>rofit.

SGANARELLE.

Tenez, les voilà tou'cs deux avec ce que vous demandez.

PREMIÈRE ÉGYPTIENNE.

Tu as une bonne physionomie , mon bon monsieur , une bonne physionom;e.

'C'csl-à-dire une pièce à la croix, par aiiusiou à la croix représciueesiir cer- taine pièce de Hiouuoie. lAimé MariinJ

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596 LE MARIAG'E FORCE.

DECXICME CCYPTIENNE.

Oui, une bonne pliysionoiiiie; physionomie d'un homme qui sera un jour quelque ciiose.

pnCMlfiHE ÉGYPTIENNE.

Tu seras marié avant qu'il soit peu, mon bon monsieur, seras marié avant qu'il soit peu.

DECXIÈME ÉGYPTIENNE.

Tu épouseras une femme gentille, une femme gentille.

PHEMIÈRE ÉGYPTIENNE.

Oui, une femme qui sera chérie et aimée de tout le monde.

Dl LXIÈME ÉGYPTIENNE.

Une femme qui le fera beaucoup d'amis, mon bon mon- sieur, qui le fera beaucoup d'amis.

PREMIÈRE ÉGYPTIENNE.

Une femme qui fera venir l'abondance chez toi.

DECMIME ÉGYPTIENNE.

Une femme qui te donnera une grande réputation.

PREMIÈRE ÉGYPTIENNE.

Tu seras considéré par elle, mon bon monsieur, tu serat considéré par elle.

SGANARELLE.

Voilà qui est bien. Mais dites-moi un peu : suis-je menacé d'être cocu?

DEDXIÈME ÉGYPTIENNE.

Cocu? Gai.

Cocu?

SGANARELLE. PREMIÈRï; ÉliYPTlENXE.

SGANARFLLE.

Oui, si je suis menacé détre cocû?

(Les deux Fp^ptiennei daDtent et cbuitent.) SGANARELLE.

Que diable! ce n'est pas là me répondre! Veniez ^ Je TOUS demande à toutes deux si je serai cocu?

DEUXIÈME ÉGYPTIENNE.

Cocu? vous?

SGANARELLE.

Oui, si je serai cocu ?

PREMIÈRE ÉfSYPTlEKNB. Vous? CWU?

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SCtNE XII. :>[)7

SGANABELLE.

Oui, si je le soi ai, ou non.

(Les d :ux Égyptiennes sortent en cbaiitaot «t en (Uuttttt.)

SCÈNE XI. — SGANARELLE, seul.

Peste soit des caiognes qui me laissent dans rinquiétudet I faut absolument que je sache la destinée de mon mariage; et pour cela je veux aller trouver ce grand magicien donl tout le monde parle tant, et qui, par sou art admirable, fait voir tout ce que l'on souhaite. Ma foi, je crois que je n'ai que aire d'aller au magicien, et voici qui me montre tout ce que je puis demander.

SCÈNE XII. — DORIMÈNE, LYCASTE, SGANARELLE, letm

dans un coin du tlicAtre sans clic vu. LYCASTF.

Quoi! belle Dorimène, c'est sans raillerie que vous parles?

D0RIMi;NE.

SaDS raillerie.

I.VCASTE.

Vous vous mariez tout de bon?

DORIMÈNE.

Tout de bon.

LYCASTE.

Et vos noces se feront dès ce soirf

DOniMÏ-.NE.

Dès ce soir.

LYCVSTE.

El vous pouvez, cruelle que vous éles, oiiblicr de la sorte l'amour que j'ai pour vous, et les obligeantes paiolcs que TOUS m'aviez données?

DORIMÈNE.

Moi? point du tout. Je vou» considère toujours do même, et ce mariage ne doit point vous inquiéter : c'est un homme que je n'épouse point par amour, et sa seule richesse me fait résoudre à l'accepter. Je n'ai point de bien, vous n'eu avez point aussi , et vous savez que sans cela on passe mal le temps au monde, et qu'à quelque prix que ce soit il faut tâcl'.er d'en avoir. J'ai embrassé celte occasion-ci de me mettre à mon aise; et je l'ai fait sur l'espérance de me voir

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598 LE MARIAGE FORCE.

bienlôl délivrée du barbon que je prends. C'est un bomma qui mourra avant qu'il soit peu, et qui n'a fout au plus que six mois dans le ventre. Je vous le garantis défunt dans le temps que je dis; et je n'aurai pas longuement à demander pour moi au ciel l'heureux éîat de veuve, (à Sgannrpiie, qu'elle sperçoiu) Ah! nous parlions de vous, et nous en disions tout le bien qu'où en sauroit dire.

LY CASTE.

Est-ce là monsieur.,.?

dorimène. Oui, c'est monsieur qui me prend pour femme.

LYCASTE.

Agréez, monsieur, que je vous félicite de votre mariage, et vous piésenfe en même temps mes très humbles services. Je vous assure que vous épousez là une très honnête per- sonne : et vous, mademoiselle, je me réjouis avec vous aussi de l'heureux choix que vous avez fait. Vous ne pouviez pas mieux trouver, et monsieur a toute la mine d'élre un fort bon mari. Oui, monsieur, je veux faire amitié avec vous, et lier ensemble un petit commerce de visites et de diver- tissements.

DORIMÈNE.

C'est trop d'honneur que vous nous faites à tous deux. Mais allons, le temps me presse, et nous aurons tout le loi- sir de nous entretenir ensemble.

SCÈ-\E XIII — SGA.NAUELLE, se..:.

Me voilà tout à fait dégoûté de mou mariage; et je crois que je ne ferai pas mal de m'allcr dégager de ma parole. 11 m'en a coulé quelque argent; mais il vaut encore mieux pei- re cela que de m'exposer à quelque chose de pis. Tâchons adroilemeiit de nous débarrasser de cette affaire. Holà I

(Il frappe à la poi le de la maison d'Alcantor

SCÈJNE XiV. — ALC.A>iTOK, SuANARELLE.

AI.CANTOR.

h! mon gendre, soyez le bien vcaul

SGANAUELLE.

Monsieur, votre se^^iteuf.

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SCÈNE'XIV. 599

iLCANTOR.

Vous veuez pour conclure le mariage?

SCANAREf.LE.

Excuscz-uioi.

ALCAMOR.

Je vous promets que j'en ai autant d'impatience que vous.

SGANAIUXLE.

e viens ici pour autre sujet.

ALCAiMOK.

ai donné ordre à toutes les ciïoses nécessaires pour cette fête.

SGANARELLE.

Il n'est pas question de cela.

AI.CA?iT0R.

Les violons sont retenus, le festin est commandé , et nn» Ollo est parée pour vous recevoir.

SGANARELLE.

Ce n'est pas ce qui m'amène.

ALCANTOK.

Enfin, vous allez être satisfait; et rien ne peut retarder votre contentement.

SaANARr.LLE.

Mon Dieu I c'est autre cho-e.

AiXAMOIl.

Allons, entrez donc, mon gendre.

SCAi\AUEI-LE.

J'ai un petit mot à vous dire.

AI.CANTOl!.

Ah! mon Dieu, ne faisons point decérémonie! Entrez viir s'il vous piait.

SGANARELI.E.

Kon, VOUS dis-jc, je vous veux parler auparavant.

ALCANTOR.

Vous voulez me dire quelque cl. ose?

SGANARELLE.

Oui.

ALCANTOR.

Et quoi?

SGANARELLE.

Seigneur Alcanlor, j'ai demandé votre (îlle en mariage, il est vrai, et >ous me l'avez accordée; mais je me trouve un

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600 LE MARIAGE FORCE.

peu avancé en âge pour elle , et je considère que je ne sui» point du tout son fait.

ALCAKTOR.

Pardonnez-moi , ma fille vous trouve bien comme vous êtes ; et je suis sûre qu'elle vivra fort contente avec vous.

SGANARELLE.

Point. J"ai parfois des bizarreries épouvantables, et elle auroit trop à souffrir de ma mauvaise humeur.

Ma fille a de la complaisance, et vous verrez qu'elle s'ac- commodera entièrement à vous.

SGANARELLlï.

J'ai quelques infirmités sur mon corps qui pourroient la

dogoûler.

AIXANTOR.

Cela n'est rien. Une honnête femme ne se dégoûte jamais de son mari.

SGANARELLE.

Enfin, voulez-vous que je vous dise? Je ne vous conseille pas de me la donner.

ALCANTOR.

Vous moquez-vous? J'aimerois mieux mourir que d'avoir manqué à ma parole.

SGANARELLE.

Mon Dieul Je vous en dispense, et je...

ALCANTOR.

Point du tout. Je vous lai ptoniise, et vous l'aurez en dé- pit de tous ceux qui y p: étendent.

SGANARELLE, à part.

Que diable!

ALCANTOR.

Voyez-vous, j'ai une estime et une amitié pour vous toute pai ticulicre; et je refuscrois ma fille à un prince pour vous la donner.

SGANARELLE.

Seigneur Alcantor, je vous suis obligé de l'honneur que vous nie faites; mais je vous déclare aue je ne me veux poinl marier.

ÀLCANTOB.

Qui, vous?

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Oui, moi. El la raison?

SCÈî^E XVI. 60J

SGANARELLE. ALCANTOR.

SGANAUELte.

La raison? C'est que je ne me sens point propre pour le mariage, et que je veux imiter mon père, et tous ceux de ma race, qui ne se sont jamais voulu marier*.

ALCANTOR.

Écoutez. Les volontés sont libres; et je suis homme k ne contraindre jamais personne. Vous vous êtes engagé avec moi pour épouser ma fille, et tout est préparé pour cela; mais, puisque vous voulez retirer votre parole, je vais voir ce qu'il y a à faire; et vous aurez bientôt de mes nouvelles.

SCÈNE XV. — SGANARELLE. .eui.

Encore est-il plus raisonnable que je ne pensois, et ji croyois avoir bien plus de peine à m'en dégager. Ma foi, quand j'y songe, j'ai fait fort sagement de me tirer de celle affaire; et j'allois faire un pas dont je me serois peut-être longtemps repenti. Mais voici le fils qui me vient ronlre réponse.

SCÈNE X>i. - ALCIDAS, SGANARELLE.

ALCIDAS, parlant d'un tOD doucereux.

Monsieur, je suis votre serviteur très humble.

SGANARELLE.

Monsieur, je suis le vôtre de tout mon cœur.

ALCIDAS, toujours avec le même Ion.

Mon père m'a dit, monsieur, que vous vous étiez venj dégager de la parole que vous aviez donnée.

SCANARtLLE.

Oui, monsieur, c'est avec regret; mais...

'Suivant Hénage, Holicre a imité cet endroit d'une epigramme de Uallevlllei Hais sais-tu ce que tu dois faire Peur mettre ton esprit en paix? Résous-loi d'imilcr ton peie, Tu ne le marieras jamais.

Menagiana, t.jme II, page 191. (Aimé Martin^

l- 31

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i60'2 LE MARIAGE FORCE.

ALCIDAS.

Oh! monsieur, i! n'y a pas de mal à cela.

SCANABELLE.

J'en suis fâché,' je vous assure; el je souhaiferois...

ALCIDAS. Cela n'est rien, vous dis-je. (Alcidas présente à Sganarelle deul

épées.) Monsieur, prenez la peine de choisir, de ces deux épees, laa.ueHe vous voulez.

SGANARELLE.

De ces deux épées? Oui, s'il vous plaît. A quoi bon?

ALCIDAS. SGANARELLE

ALCIDAS.

Monsieur, comme vous refusez d'épouser ma sœur après la parole donnée , je crois que vous ne trouverez pas mau- vais le petit compliment que je viens vous faire.

SGANARELLE.

Comment?

ALCIDAS.

D'autres gen-s feroient du bruit, et s'emporteroient contre vous; mais nous sommes personnes à traiter les choses dans la douceur; et je viens vous dire civilement qu'il faut, si vous le trouvez bon , que nous nous couplons la gorge en- semble.

SGANARELLE.

Voilà un compliment fort mal tourné.

ALCIDAS.

Allons, monsieur, choisissez, je nous prie.

SGANARELLE.

Je suis votre valet, je n'ai point de gorge à me couper, (i pan.) La vilaine façon de parler que voilai

ALCIDAS.

Monsieur, il faut que cela soit, s'il vous plaît.

SGANARELLE.

Hé I monsieur, rengainez ce compliment, je vous prie.

ALCIDAS.

Dépêchons vite, monsieur. J'ai un« petite affaire qui m'attend.

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SCENE XVI. 603

SCANARELLE.

Je ne veux point de cela, vous dis je.

ALCIDAS.

Vous ne voulez pas vous baltre?

SGANAUELLE.

Nenni, ma foi. Tout de bon?

ALCIDAS. SGANARELLE.

Tout de bon.

ALCIDAS, après lui avoir donne des coups de bàton^

Au moins, monsieur, vous n'avez pas lieu de vous plaindre; vous voyez que je fais les choses dans Tordre. Vous nous manquez de parole, je me veux battre contre vous; vous refusez de vous battre, je vous donne des coups de bâton : tout cela est dans les formes; et vous êtes trop honnête homme pour ne pas approuver mon procédé.

SGANARELLE, à part.

Quel diable d'homme est-ce ci?

ALCIDAS lui présente encore les deux épëes.

Allons, monsieur, faites les choses galamment, et sans vous faire tirer l'oreille.

SCANAKELLE.

£ncore?

ALCIDAS.

Monsieur, je ne contrains personne; mais il faut que vous vous battiez, ou que vous épousiez ma sœur.

SGANARELLE.

Monsieur, je ne puis faire ni l'un ni l'autre, je vous assure,

ALCIDAS.

Assurément?

SGANARELLE.

assurément.

ALCIDAS.

Avec votre permission donc...

(AlcidMs lui donne encore dei coups de bàtOB.) «GANARELLE.

Ahl ah! ah!

ALCIDAS.

Monsieur, j'ai tous les regrets du monde d'clre obligé d'en user ainsi avec vous; mais je ne cesserai point, s'il vous

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604 LE MARIAGE FORCÉ.

plaît, que vou3 n'ayez promis de vous ballre , ou d'épouser ma soeur.

lAleidai lève le biton.] SGANARELLE

Hé bieni j'épouserai, j'épouserai

ALCIDAS.

Ah! monsieur, ;e suis ravi que vous vous mettiez à la raison , et que les choses se passent doucement. Car enfin vous êtes l'homme du monde que j'estime le plus, je vous jure; et j'aurois été au désespoir que vous m'eussiez con- traint à vous maltraiter. Je vais appeler mon père, pour lui dire que tout est d'accord. '

(Il va frapper à la porte d'Alcantor.)

SCÈNE XVII. — ALCANTOR, DORIMÈNE, ALCIDAS, SGANARELLE.

ALCIDAS.

Mon père, voilà monsieur qui est tout à fait raisonnable. II a voulu faire les choses de bonne grâce , et vous pouvei lui donner ma sœur.

ALCAKXOR.

Monsieur, voilà sa main ; vous n'avez qu'à donner la vôtre. Loué soit le ciell m'en voilà déchargé, et c'est vous désor- mais que regarde le soin de sa conduite. Allons nous réjouir, st célébrer cet heureux mariage.

Ml BAaueK FObci.

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LE MARIAGE FOFxCE ',

BALLET DU ROI.

Dansé par Sa Majesté, le 29* jour de janvier 1664.

PERSv)NNAGES.

SGANAREILE'.

GÉRONTMO'.

DORIJIÈNE».

ALCANTOR*.

LTCANTE*».

PREMIÈRE BOHF.MIENKS*. SECONDE bohémienne'. PREMIER DOCTEUR*. •ECOND docteur'.

ARGUMENT.

Ooame il n'y a rien au monde qui soit si commun que la mariage, et que c'est une chose sur laquelle les hommes ordi- nairement se tournent le plus en ridicule , il n'est pas mer- reilleux que ce soit toujours la matière de la plupart des comédies aussi bien que des ballets, qui sont des comédies muettes ; et c'est par là qu'on a pris l'idée de cette comédie- mascarade.

ACTE PREMIER.

SCÈNE I. Sganarelle demande conseil au seigneur Géronimo s'il se

'Lors(|iie Molicie fit représenter le Mariage forcé »ur le théâtre du Palais' Royal, il supprima les récits et les entrées de ballet, et réduisit sa pièce en un acte. Nous rétablissons ici tous les morceaux supprimés.

Acteurs de la iroupe de Molière : 'Molière. — 'La Thorili.ière. — 'Ma-

demoisFlle du P.\rc. — ' Bêjart 'La Grangk. — • Mademoiselle Be'jart.

— ' Mademoiselle de Erie. — • Br^.couet. — 'Du Cnoisv.

  • Lycante est le même personnage <iui est appelé Alcidas dans la comédie ■

t'est !e lils d'Alcantor et le Trère de Doriinène.

I. 31.

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606 LE MARIAGE FORCE.

doit mafier ou non : cet ami lui dil franchement que le ma- riage n'est guère le fait d'un homme de cinquante ans; mnis Sganarelle lui répond qu'il est résolu au maringe; et l'autre, voyant cette extravagance de demander conseil après une ré- solution prise, lui conseille hautement de se marier, et l quitte eo riant.

SCÈNE II.

La maîtresse de Sganarelle arrive , qui lui dit qu'elle e ravie de se marier avec lui , pour pouvoir sortir promple- ment de la sujétion de son père, et ^.Yoir désormais toutes ses coudées franches; et làndessus elle lui conte la manière dont elle prétend vivre avec lui , qui sera proprement la naïve peinture d'une coquette achevée. Sganarelle reste soûl, assez étonné; il se plaint, après ce discours, d'une pesanteur de tète épouvantable; et, se mettant en un coin du théâtre pour dormir, il voit en songe une femme représentée par mademoiselle Hilaire, qui chante ce récit :

RÉCIT DE LA BEAUTÉ.

Si l'amour vous soumet à ses lois inhumaines. Choisissez, en aimant, un objet plein d'appas :

Portez au moins de belles chaînes; Et, puisqu'il faut mourir, mourez d'un beau trépa». Si l'objet de vos feux ne mérite vos peines, Sous l'empire d'Amour ne vous engagez pas :

Portez au moins de belles chaînes; Et, puisqu'il faut mourir, mourez d'un beau trépas.

PREMÈRE ENTRÉE.

LA JALOUSIE, LES CHAGRINS et LES SOUPÇONS.

La Jalousie, le sieur Dolivet.

Les Chagrins, les sieurs Saint-André et Desbrosses.

Les Soupçons, les sieurs De Lorge et Le Chantre.

SECONDE ENTRÉE. QUATRE PLAISANTS, ou GOGUENARDS.

Le eomte d'Armagnac, messieurs d'Heureux, Beauchamp, cl Des-Airs le jeune.

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BALLET, 6OT

ACTE SECOND.

SCENE L

Le seigneur Géronimo éveille Sganarelle, qui lui veut con- ter le songe qu'il vient de faire; mais il lui répond qu'il n'enfend rien aux songes, et que, sur le sujet du mariage, il peut consuKer deux savants qui sont connus de lui , dont l'un suit la philosophie d'Aristole, et l'autre est pyrrhonien.

SCÏNE IL

Il trouve le premier, qui l'étourdit de son caquet et ne l«  laisse point parler; ce qui l'oblige à le maltraiter.

SCÈNE m.

tnsuite il rencontre l'autre, qui ne lui répond, suivant sa doctrine, qu'en ternies qui ne décident rien; il le chasse avec colère, et là-dessus arrivent deux Egyptiens et quatre Égyptiennes.

TROISIÈME ENTRÉE.

DEUX ÉGYPTIENS, QUATRE ÉGYPTIENNES.

Dedx Égyptiens, le ROI, le marquis de Villeioy.

Égyptiennes, le marquis de Rassan, les sieurs Raynal,

Noblet et La Pierre.

fl prend fantaisie à Sganarello do se faire dire sa bonne aveniure, et rencontrant deux bolif miennes, il leur demande s'il sera heureux en son mariage: pour réponse, elles se meltent à danser, en se moquant de lui, ce qui l'oblige d'aller trouver un magicien,

RÉCIT DUN MAGICIEN.

CHANTÉ PAR M. DESTIVAI»

Holà!

Qui va là! Dis-moi vile quel souci Te peut amener ici.

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608

Mariage K

LE MARIAGE FOKCÉ.

Ce sont (le grands myslères Que cis soilcs d'affaires. Destinée.

Je te vais, pour cela, par mes charmes profond^i Faire venir quatre démons.

Ces gens~là.

Non, non, n'ayez aucune peur. Je leur ô ferai la laideur.

ff'effiayez pas.

Des puissances invincibles Rendent depuis lofiglcmps tous les démons mueto; Mais par signes intelligibles Ih répondront à tes souhaits.

QUATRIÈME ENTRÉE,

UN MAGICIEN, qui fait sortir QUATRE DÉMONS.

Le Magicien, M. Eeauchamp.

Quatre Démons, MM. d'Heureux, De Lorge, Des-Airs l'aîné^

et Le Mercier.

Sganarelle les interroge; ils répondent par signes, ei Kf- lont en lui faisant les cornes.

ACTE TROISIÈME.

SCÈNE I.

Sganarelle, effrayé de ce présage, veut s'aller dégnger «» père, qui, ayant oui la proposilion, lui répond qu'il n"a rien à lui dire, et qu'il lui va tout à l'heure envoyer sa réponse,

SCÈNE II.

Cette réponse est un brave doucereux, son fils, qui vien

'Il ne reste de* demandes de Sganarelle au mngicifo que ce qu'on appelle, • termes de tbéâ tre , les répliiuea. { L'éditeur de IG644

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BALLET. 609

ivec civilité à Sganarelie, el lui fait un petit compliment pom- se couper la gorge ensemble. Sganarelie Tayant refusé, il lui donne quelques coups de bà!on, le plus civilement du monde; et ces coups de bàlou le pmtent à demeurer d'accord d'épouser la fille.

SCÈNE IIL

Sganarelie touche les mains à la fille.

CINQUIÈME ENTRÉE.

Un maître à danser, représenté par M. Dolivet, qui vient enseigner une courante à Sganarelie,

SCÈNE IV.

Le seigneur Géronimo vient se réjouir avec son ami, et lui dit que les jeunes gens de la ville ont préparé une ma»- Btrade pour honorer ses noces.

CONCERT ESPAGNOL,

OANTÉ PAR LA SIGNOnA AN.NA BERGEROTII, BORDIGONI, CHIAUrB^ JON AGUSTIN, TAILLÀVACA, ANGELO MICHAEI..

Ciego me tienes, Belisa. Mas bien tus rigores veo. Porque es lu àesden tan claro, Que pueden verie los ciegos.

Aunque mi amor es tan grandei Como mi dolor no es menos, Si calla el uno dormido, Se que y a es el otro despierlo.

Favores tuyos, Belisa,

Tuvieralos yo secrètes;

Mas ya de dolores mios

No puedo hacer lo que quieroM

^ Voici la Iraduciicj de ces couplets :

« Tu prétends, Béliso, que je suis aveugle ; cependanl ]e vols bien le» rigùean.

> Ton dédain est si sensible qu'il ne faut pas d'yeux pour l'apercevoir.

> Mon amnur est Ijlcn grand ; mais ma douleur n'est pas moindre. Le sommtil » calme celle-ci ; rif n ne peut assoupir l'autre.

> Je saurcis, Belise, garder le secret de tes faveurs; mais je ne suis pai la

> maître d'empêcher mes douleurs d'éclater. » (Auger.)

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«JO LE MARIAGE FORCÉ.

SIXIÈftlE ENTRÉE.

DEUX ESPAGNOLS, et DEUX ESPAGNOLES.

MM. Du Pille et Tartas, Espagnols. MH. de La Lanne et de Saint-André, Espagnoles.

SEPTIÈME ENTRÉE.

DR CHABIVARI GROTESQUE.

H. Lulli, les sieurs Balthasard, Vagpac, Bonnard, La Pierve, Descousteaux, el les trois Oplerres, frères.

HUITIÈME ENTRÉE. QUATRE GALANTS, cajolant la femme de Sganarelle.

H. le Duc, M. le duc de Saint-Aignao, MM. Beauch&sip et Raynal.

^!^' ou BÂUM1 KT W TOME PËfHlr.R,

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TABLE DES MATIÈRES

DU PREMIER VOLUME.

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avis sur cette édition ..<.... i

Précis de THistoire du Thi^âlie en France v

Vie de J-B. Porjuelin de Molière xxxvii

La Jslousie du Barbouillé I

Le Médecin rolact f 7

L'Etourdi Sfl

Le Dépit amoureui. 118

Les Précieuses ridicules 19 1

Sganarelle, ou le Cocu in<a^jDaird ...•••••., ^~2

Don Garcie de Navarre, ou le FnBe« jsi«s« ;,.....,. 264

L'Ecole des Maris 326

Les Fâcheux -. 377

L'École des Femmes 4-20

La Critique de l'École des Femmes 409

L'Iinproniplu de Versailles 557

Le Mariage forcé 57:J

Fans. — L. Maretheux, imprimeur, 1, rue Cassette.

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