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NOTICE

comme il doit l’être, la représentation de la vie humaine ; on n’y voyait que de vils bouffons, qui étaient les modèles de nos jodelets, et on ne représentait que le ridicule de ces misérables, au lieu de jouer celui de leurs maîtres. La bonne comédie ne pouvait être connue en France, puisque la société et la galanterie, seules sources du bon comique, ne faisaient que d’y naître… Aussi ce ne fut qu’après avoir bien vu la cour et Paris, et bien connu les hommes, que Molière les représenta avec des couleurs si durables. »

Quoi qu’il en soit de ces critiques, lorsque l’Étourdi fut joué à Paris sur le théâtre du Petit-Bourbon, en 1658, il reçut du public l’accueil le plus favorable. « Il eut, dit Voltaire, plus de succès que l’Avare, le Misanthrope, les Femmes savantes n’en eurent depuis ; c’est qu’avant l’Étourdi on ne connaissait pas mieux, et que la réputation de Molière ne faisait point encore d’ombrage. Il n’y avait alors de bonne comédie au Théâtre français que le Menteur. » — M. Nisard, en comparant la pièce de Molière à celle de Corneille, n’hésite point à donner la préférence à la première. « Quoique cette création, dit M. Nisard, du même ordre que le Menteur, ne soit pas de force à porter tout le développement d’une comédie et à être un centre d’action, elle est plus vraie que celle du Menteur. Il y a plus d’étourdis qui ne sont qu’étourdis, que de menteurs de profession. »

L’Inavvertito du comédien Nicolo Barbieri a fourni à Molière l’idée première de cette pièce. Mais suivant M. Aimé Martin, « il faut chercher les principaux emprunts et la donnée de l’intrigue dans l’Emilia, comedia nova di Luigi Groto Cieco di Hadria, qui est elle-même une imitation des Adelphes de Térence. Les principaux personnages sont les mêmes dans les deux pièces, excepté celui de l’Étourdi, qui appartient à l’Inavvertito, et qui est à peine indiqué dans l’Émilie. Un esclave intrigant, copié sur les Daves de l’ancienne comédie, est le véritable modèle de Mascarille ; cet esclave, ainsi que le valet de Lélie, tient le fil de l’intrigue, et fait mouvoir toute la pièce : il escroque de l’argent au père pour servir les amours du fils. (Émilie, act. I, sc. IX.) La scène charmante où Mascarille persuade à Pandolfe qu’il doit acheter la belle esclave est encore imitée de la pièce italienne. Les scènes I et II de l’acte II d’Émilie, ont également fourni à Molière la scène Ire de son acte IV. »

Comme il importe au début même de cette carrière que notre auteur devait parcourir avec tant de gloire, de remonter à toutes les origines de ses inspirations, nous ajouterons que le théâtre espagnol n’a pas moins servi Molière que le théâtre italien. Voici ce qu’on lit à ce sujet dans les Études sur l’histoire des institutions et de la Littérature en Espagne, de M. Viardot (Paris, 1835, in-8o, peg. 366)