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Sans qu’un peu d’intérêt touchât pour lui mon âme :
Je voulois que Lucile aimât son entretien,
Je blâmois ses rigueurs, et les blâmai si bien,
Que moi-même j’entrai, sans pouvoir m’en défendre,
Dans tous les sentiments qu’elle ne pouvoit prendre.
C’étoit, en lui parlant, moi qu’il persuadoit ;
Je me laissois gagner aux soupirs qu’il perdoit ;
Et ses vœux, rejetés de l’objet qui l’enflamme,
Étoient, comme vainqueurs, reçus dedans mon âme.
Ainsi mon cœur, Frosine, un peu trop foible, hélas !
Se rendit à des soins qu’on ne lui rendoit pas,
Par un coup réfléchi reçut une blessure,
Et paya pour un autre avec beaucoup d’usure.
Enfin, ma chère, enfin l’amour que j’eus pour lui
Se voulut expliquer, mais sous le nom d’autrui :
Dans ma bouche, une nuit, cet amant trop aimable
Crut rencontrer Lucile à ses vœux favorable ;
Et je sus ménager si bien cet entretien,
Que du déguisement il ne reconnut rien.
Sous ce voile trompeur, qui flattoit sa pensée,
Je lui dis que pour lui mon âme étoit blessée,
Mais que voyant mon père en d’autres sentiments,
Je devois une feinte à ses commandements ;
Qu’ainsi de notre amour nous ferions un mystère
Dont la nuit seulement seroit dépositaire,
Et qu’entre nous de jour, de peur de rien gâter,
Tout entretien secret se devoit éviter ;
Qu’il me verroit alors la même indifférence
Qu’avant que nous eussions aucune intelligence ;
Et que de son côté, de même que du mien,
Geste, parole,