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Sans craindre d’être ouïs, y discourir ensemble.
Voulez-vous qu’en ami je vous ouvre mon cœur ?
Votre dessein pour vous me fait trembler de peur ;
Et de quelque façon que vous tourniez l’affaire,
Prendre femme est à vous un coup bien téméraire.

Arnolphe.

Il est vrai, notre ami. Peut-être que chez vous
Vous trouvez des sujets de craindre pour chez nous ;
Et votre front, je crois, veut que du mariage
Les cornes soient partout l’infaillible apanage.

Chrysalde.

Ce sont coups du hasard, dont on n’est point garant,
Et bien sot, ce me semble, est le soin qu’on en prend.
Mais quand je crains pour vous, c’est cette raillerie
Dont cent pauvres maris ont souffert la furie :
Car enfin vous savez qu’il n’est grands, ni petits,
Que de votre critique on ait vus garantis ;
Que vos plus grands plaisirs sont, partout où vous êtes,
De faire cent éclats des intrigues secrètes…

Arnolphe.

Fort bien : est-il au monde une autre ville aussi
Où l’on ait des maris si patients qu’ici ?
Est-ce qu’on n’en voit pas, de toutes les espèces,
Qui sont accommodés chez eux de toutes pièces ?
L’un amasse du bien, dont sa femme fait part
À ceux qui prennent soin de le faire cornard ;
L’autre, un peu plus heureux, mais non pas moins infâme,
Voit faire tous les jours des présents à sa femme,
Et d’aucun soin jaloux n’a l’esprit combattu,
Parce qu’elle lui dit que c’est pour sa vertu.
L’un fait beaucoup de bruit qui ne lui sert de guères,
L’autre en toute douceur laisse aller les affaires,
Et, voyant arriver chez lui le damoiseau,
Prend fort honnêtement ses gants et son manteau.
L’une, de son galant, en adroite femelle,
Fait fausse confidence à son époux fidèle,
Qui dort en sûreté sur un pareil appas,
Et le plaint, ce galant, des soins qu’il ne perd pas[1] ;
L’autre, pour se purger de sa magnificence,

  1. L’auteur a résumé dans ces quatre vers tout le sujet de l’École des Maris.