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J.-B. POQUELIN DE MOLIÈRE.

des soupçons, et détruire ce qu’on a si bien imaginé. On la tiendra donc à l’écart, de telle sorte qu’on ne sache pas même qu’elle existe, et que la Béjart, malgré les précautions prises, ne soit pas soupçonnée d’être sa mère.

« Quand, tout étant disposé, la troupe, que le retour de M. de Modène rappelait à Paris, put elle-même se mettre en route, la petite fille ne fut pas du voyage. On la laissa prudemment dans le pays où elle était née, en des mains d’ailleurs bien choisies. La Béjart, nous en aurons d’autres preuves, n’était pas mauvaise mère. « Armande, dit l’auteur de la Fameuse comédienne, a passé sa plus tendre jeunesse en Languedoc, chez une dame d’un rang distingué dans la province. »

« À la fin de 1644, la Béjart est à Paris, tâchant de reprendre sur M. de Modène un empire un peu affaibli par l’absence. En attendant, il faut vivre. Que fait-elle ? Nous l’avons dit, elle joint sa troupe à celle de Molière qui déjà, sans doute, l’avait connue et aimée avant qu’elle partit de Paris, vers 1641. »

Ces explications nous paraissent jeter beaucoup de lumière sur la controverse ; et ce qui en résulte, en définitive, c’est que Molière, après avoir été l’amant de la mère, devint le mari de la fille, mais que cette fille n’était pas à lui.

Molière, on l’a vu, au moment de son mariage, avait quarante ans, et sa femme dix-sept. « Cette femme, dit M. Génin, était charmante, remplie de grâce et de talents, chantait à merveille le français et l’italien ; excellente actrice et sachant animer la scène lors même qu’elle ne faisait qu’écouter, mais d’une coquetterie indomptable, qui fit le désespoir et le malheur de Molière, car il en fut, jusqu’à la fin de sa vie, éperdument amoureux. Madame, ou plutôt mademoiselle Molière, comme on disait alors, n’était pas cependant une beauté accomplie : mademoiselle Poisson nous la représente petite, avec une très-grande bouche et de très-