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SCÈNE II


Uranie

Arrêtez, animal, et la laissez monter, puisque la sottise est faite.

Galopin

Elle parle encore à un homme dans la rue.

Uranie

Ah ! cousine, que cette visite m’embarrasse à l’heure qu’il est !

Élise

Il est vrai que la dame est un peu embarrassante de son naturel ; j’ai toujours eu pour elle une furieuse aversion ; et, n’en déplaise à sa qualité, c’est la plus sotte bête qui se soit jamais mêlée de raisonner.

Uranie

L’épithète est un peu forte.

Élise

Allez, allez, elle mérite bien cela, et quelque chose de plus, si on lui faisait justice. Est-ce qu’il y a une personne qui soit plus véritablement qu’elle ce qu’on appelle précieuse, à prendre le mot dans sa plus mauvaise signification ?

Uranie

Elle se défend bien de ce nom, pourtant.

Élise

Il est vrai. Elle se défend du nom, mais non pas de la chose : car enfin elle l’est depuis les pieds jusqu’à la tête, et la plus grande façonnière du monde. Il semble que tout son corps soit démonté, et que les mouvements de ses hanches, de ses épaules et de sa tête, n’aillent que par ressorts. Elle affecte toujours un ton de voix languissant et niais, fait la moue pour montrer une petite bouche, et roule les yeux pour les faire paraître grands.

Uranie

Doucement donc. Si elle venait à entendre…

Élise

Point, point, elle ne monte pas encore. Je me souviens toujours du soir qu’elle eut envie de voir Damon, sur la réputation qu’on lui donne, et les choses que le public a vues