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que Molière n’a point été suffisamment apprécié, nous ne dirons pas comme le réformateur de la langue, mais comme le défenseur de sa clarté, de sa force, de sa logique et de sa justesse. Et s’il est convenu d’après l’autorité de Boileau, que Malherbes eut le premier la gloire d’enseigner le pouvoir d’un mot mis à sa place, Molière ne doit pas avoir une gloire moins grande pour avoir enseigné le premier le ridicule d’un mot mal placé.

Quelques historiens littéraires, Voltaire entre autres, ont dit que les Précieuses avaient été jouées pour la première fois en province. C’est une erreur ; cet ouvrage, suivant la remarque de Geoffroy, ne pouvait avoir de sel et de succès que dans la capitale, qui était le siège du mal. C’est là en effet qu’il fut donné, le 18 novembre 1659. Le succès fut immense ; tout l’hôtel de Rambouillet assista à la première représentation, et dès le lendemain, les acteurs doublèrent le prix des places, et donnèrent deux représentations par jour. Cette vogue se soutint pendant quatre mois. La pièce fut envoyée au roi, qui se trouvait alors au pied des Pyrénées, et la cour ratifia pleinement le jugement de la ville. Il en fallait beaucoup moins pour exciter la colère et l’envie ; aussi l’auteur fut-il accusé, par les uns, d’avoir tiré le canevas de sa pièce des Mémoires de Guillot Gorju, mémoires qu’il avait achetés, disait-on, de la veuve de ce célèbre joueur de farces ; par les autres, d’avoir tout simplement copié l’abbé de Pure. « Déjà — nous citons M. Bazin — les comédiens italiens avaient représenté sur leur théâtre une pièce écrite en leur langue par l’abbé de Pure, et ayant pour titre les Fausses Précieuses. Que Molière n’ait pas eu besoin de copier l’abbé de Pure, comme ses ennemis le dirent, c’est ce dont nous sommes pleinement certain ; mais toujours est-il que, sur cette partie des mœurs de son temps, la première qu’il ait osé aborder, une autre moquerie avait précédé, avait encouragé la sienne. »

Deux anecdotes relatives à la première représentation des Précieuses, ont été rapportées dans la plupart des éditions de Molière. L’une est relative à un vieillard, qui se serait écrié du milieu du parterre : « Courage, Molière, voilà la bonne comédie ! » — L’autre est relative à Ménage, qui en sortant du théâtre, aurait dit à Chapelain : « Monsieur, nous approuvions, vous et moi, toutes les sottises qui viennent d’être critiquées si finement et avec tant de bon sens ; mais, pour me servir de ce que saint Rémi dit à Clovis, il nous faudra brûler ce que nous avons adoré, et adorer ce que nous avons brûlé. »

L’authenticité de ces deux faits a été révoquée en doute ; et comme ils n’ont en définitive que très-peu d’importance, nous les mentionnons seulement pour mémoire, sans les discuter. Ce qui paraît plus certain, c’est que Molière, éclairé par le grand succès qu’il venait d’obtenir aurait dit : «Je n’ai plus que faire