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LA CRITIQUE DE L’ÉCOLE DES FEMMES.

rien vu de si méchant, Dieu me sauve ! et Dorillas, contre qui j’étais, a été de mon avis.

Dorante

L’autorité est belle, et te voilà bien appuyé !

Le Marquis

Il ne faut que voir les continuels éclats de rire que le parterre y fait. Je ne veux point d’autre chose pour témoigner qu’elle ne vaut rien.

Dorante

Tu es donc, marquis, de ces messieurs du bel air, qui ne veulent pas que le parterre ait du sens commun, et qui seraient fâchés d’avoir ri avec lui, fût-ce de la meilleure chose du monde ? Je vis l’autre jour sur le théâtre un de nos amis, qui se rendit ridicule par là. Il écouta toute la pièce avec un sérieux le plus sombre du monde ; et tout ce qui égayait les autres ridait son front. À tous les éclats de risée, il haussait les épaules, et regardait le parterre en pitié ; et quelquefois aussi, le regardant avec dépit, il lui disait tout haut : Ris donc, parterre, ris donc. Ce fut une seconde comédie, que le chagrin de notre ami. Il la donna en galant homme à toute l’assemblée, et chacun demeura d’accord qu’on ne pouvait pas mieux jouer qu’il fit. Apprends, marquis, je te prie, et les autres aussi, que le bon sens n’a point de place déterminée à la comédie ; que la différence du demi-louis d’or, et de la pièce de quinze sols, ne fait rien du tout au bon goût ; que, debout ou assis, l’on peut donner un mauvais jugement ; et qu’enfin, à le prendre en général, je me fierais assez à l’approbation du parterre, par la raison qu’entre ceux qui le composent, il y en a plusieurs qui sont capables de juger d’une pièce selon les règles, et que les autres en jugent par la bonne façon d’en juger, qui est de se laisser prendre aux choses, et de n’avoir ni prévention aveugle, ni complaisance affectée, ni délicatesse ridicule.

Le Marquis

Te voilà donc, chevalier, le défenseur du parterre ? Parbleu ! je m’en réjouis, et je ne manquerai pas de l’avertir que tu es de ses amis. Hai, hai, hai, hai, hai.