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Il donne en ses États un asile à mon frère.
Quatre lustres entiers, il y cache son sort
Aux barbares fureurs de quelque lâche effort ;
Et pour rendre à son front l’éclat d’une couronne,
Contre nos ravisseurs vous marchez en personne.
N’êtes-vous pas content, et ces soins généreux
Ne m’attachent-ils point par d’assez puissants nœuds ?
Quoi ! Votre âme, Seigneur, serait-elle obstinée
À vouloir asservir toute ma destinée,
Et faut-il que jamais il ne tombe sur nous
L’ombre d’un seul bienfait qu’il ne vienne de vous ?
Ah ! souffrez dans les maux où mon destin m’expose,
Qu’aux soins d’un autre aussi, je doive quelque chose ;
Et ne vous plaignez point de voir un autre bras
Acquérir de la gloire, où le vôtre n’est pas.

Dom Sylve
Oui, Madame, mon cœur doit cesser de s’en plaindre :
Avec trop de raison vous voulez m’y contraindre,
Et c’est injustement qu’on se plaint d’un malheur,
Quand un autre plus grand s’offre à notre douleur.
Ce secours d’un rival m’est un cruel martyre ;
Mais, hélas ! de mes maux, ce n’est pas là le pire,
Le coup, le rude coup, dont je suis atterré,
C’est de me voir par vous ce rival préféré.
Oui, je ne vois que trop que ses feux pleins de gloire
Sur les miens dans votre âme emportent la victoire ;
Et cette occasion de servir vos appas,
Cet avantage offert de signaler son bras,
Cet éclatant exploit qui vous fut salutaire,
N’est que le pur effet du bonheur de vous plaire,
Que le secret pouvoir d’un astre merveilleux,
Qui fait tomber la gloire où s’attachent vos vœux ;
Ainsi tous mes efforts ne seront que fumée,
Contre vos fiers tyrans je conduis une armée.
Mais je marche en tremblant à cet illustre emploi,
Assuré que vos vœux ne seront pas pour moi,
Et que s’ils sont suivis, la fortune prépare
L’heur des plus beaux succès aux soins de la Navarre.
Ah ! Madame, faut-il me voir précipité
De l’espoir glorieux dont je m’étais flatté ;
Et ne puis-je savoir quels crimes on m’impute,