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J.-B. POQUELIN DE MOLIÈRE.

joies toujours ouvertes ? et vois-tu rien de plus impertinent que les femmes qui rient à tout propos ?

« — Mais enfin, elle est capricieuse autant que personne du monde.

« — Oui, elle est capricieuse, j’en demeure d’accord ; mais tout sied bien aux belles, on souffre tout des belles… »

Malgré sa tendresse pour sa femme et malgré son génie, Molière n’échappa point au malheur dont il avait donné de si folâtres peintures. « Don Garcie était moins jaloux que Molière ; George Dandin et Sganarelle étaient moins trompés. À partir de la Princesse d’Élide, où l’infidélité de sa femme commença de lui apparaître, sa vie domestique ne fut plus qu’un long tourment. Averti des succès qu’on attribuait à M. de Lauzun auprès d’elle, il en vint à une explication. Mademoiselle Molière, dans cette situation difficile, lui donna le change sur Lauzun en avouant une inclination pour M. de Guiche, et s’en tira, dit la chronique, par des évanouissements et par des larmes. Tout meurtri de sa disgrâce, notre poëte se remit à aimer mademoiselle de Brie, ou plutôt il venait s’entretenir auprès d’elle des injures de l’autre amour. Alceste est ramené à Éliante par les rebuts de Célimène. Lorsqu’il donna le Misanthrope, Molière, brouillé avec sa femme, ne la voyait plus qu’au théâtre, et il est difficile qu’entre elle qui jouait, en effet, Célimène et lui qui représentait Alceste, quelque allusion à leurs sentiments et à leur situation réelle ne se retrouve pas : ajoutez, pour compliquer les ennuis de Molière, la présence de l’ancienne Béjart, femme impérieuse, peu débonnaire à ce qu’il semble. Le grand homme cheminait entre ces trois femmes, aussi embarrassé parfois, comme le lui disait agréablement Chapelle, que Jupiter au siège d’Ilion entre les trois déesses[1]. » Molière, du reste, ne s’abusait pas sur

  1. Sainte-Beuve, Portraits littéraires, — Molière. — Paris, 1844,