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débiter les beaux sentiments, pousser le doux[1], le tendre et le passionné, et que sa recherche soit dans les formes. Premièrement, il doit voir au temple, ou à la promenade, ou dans quelque cérémonie publique, la personne dont il devient amoureux ; ou bien être conduit fatalement chez elle par un parent ou un ami, et sortir de là tout rêveur et mélancolique. Il cache un temps sa passion à l’objet aimé, et cependant lui rend plusieurs visites, où l’on ne manque jamais de mettre sur le tapis une question galante qui exerce les esprits de l’assemblée. Le jour de la déclaration arrive, qui se doit faire ordinairement dans une allée de quelque jardin, tandis que la compagnie s’est un peu éloignée ; et cette déclaration est suivie d’un prompt courroux, qui paroît à notre rougeur, et qui, pour un temps, bannit l’amant de notre présence. Ensuite il trouve moyen de nous apaiser, de nous accoutumer insensiblement au discours de sa passion, et de tirer de nous cet aveu qui fait tant de peine. Après cela viennent les aventures, les rivaux qui se jettent à la traverse d’une inclination établie, les persécutions des pères, les jalousies conçues sur de fausses apparences, les plaintes, les désespoirs, les enlèvements, et ce qui s’ensuit. Voilà comme les choses se traitent dans les belles manières et ce sont des règles dont, en bonne galanterie, on ne sauroit se dispenser[2]. Mais en venir de but en blanc à l’union conjugale, ne faire l’amour qu’en faisant le contrat du mariage, et prendre justement le roman par la queue ; encore un coup, mon père, il ne se peut rien de plus marchand que ce procédé ; et j’ai mal au cœur de la seule vision que cela me fait.

Gorgibus

Quel diable de jargon entends-je ici ? Voici bien du haut style.

Cathos

En effet, mon oncle, ma cousine donne dans le vrai de la chose. Le moyen de bien recevoir des gens qui sont tout à

  1. Molière a dit encore dans l’École des Maris :

    Héroïnes du temps, mesdames les savantes
    Pousseuses de tendresse et de beaux sentiments

  2. Ici Molière ne fait pas seulement de la comédie, mais de l'histoire. La célèbre Julie d'Angennes eut les mêmes répugnances que Cathos pour un mariage précipité, quoiqu'il lui convînt parfaitement, puisque c'étoit Montausier qui la recherchoit ; elle éprouva pendant quinze ans la fidélité de cet amant, lui fit souffrir tous les tourments, et ne l'épousa qu'au moment où elle commençoit à n'être plus jeune.