Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 1.djvu/46

Cette page a été validée par deux contributeurs.
xxxiv
PRÉCIS DE L’HISTOIRE

devilles, et ces chiffres parlent assez haut pour n’avoir pas besoin de commentaires. Cette tendance au gaspillage du talent et de l’esprit est d’autant plus regrettable, qu’on a souvent dépensé en pure perte, dans les pièces les plus légères, véritables improvisations que les auteurs eux-mêmes n’estiment qu’au prorata de ce qu’elles rapportent, plus de verve, d’observation fine, de mordante ironie, qu’il n’en eût fallu à des écrivains plus patients et plus soucieux des véritables intérêts de l’art pour produire des œuvres durables, et cependant, malgré cette prodigalité folle et ce mercantilisme éhonté, c’est encore notre répertoire comique qui défraye aujourd’hui les théâtres des peuples civilisés. La plupart de nos vaudevilles et de nos comédies-vaudevilles ont amusé l’Europe après avoir amusé Paris, et ici, comme toujours, nous régnons encore par nos futilités.

VI

Dans la route si longue que nous venons de parcourir, l’art dramatique, on le voit, a traversé chez nous des phases bien diverses. À l’origine, il est, comme chez les Grecs, un enseignement religieux, et le drame embrasse la création tout entière. Exclusivement guidé par la foi qui l’inspire, il marche au hasard à travers l’infini. Quand le mysticisme a replié ses ailes, il redescend sur la terre, et semble même se convertir au paganisme. Il demande ses modèles à l’Italie, et non-seulement à l’Italie de Plaute, de Sénèque et de Térence, mais à l’Italie toujours païenne de Boccace, du Pogge, de Machiavel et de Bibbiena. Dans cette grande époque du scepticisme et de l’érudition, il est érudit et railleur, sans idéal, sans originalité, et toujours effacé par ceux qu’il reproduit et qu’il imite. Au dix-septième siècle il imite encore, mais original et créateur à la fois, il s’ouvre à tous les grands sentiments : il est romain, grec, chrétien, profondément vrai, profondément humain, et c’est là ce qui fait sa grandeur. Transformé, au dix-huitième siècle, en organe de prédication philosophique, il