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Non, non, n'espérez rien après un tel outrage :
Je ne suis plus à moi ; je suis tout à la rage ;
Trahi de tous côtés, mis dans un triste état,
Il faut que mon amour se venge avec éclat,
Qu'ici j'immole tout à ma fureur extrême,
Et que mon désespoir achève par moi-même.

Done Elvire
Assez paisiblement vous a-t-on écouté.
Et pourrai-je à mon tour parler en liberté ?

Dom Garcie
Et par quels beaux discours que l’artifice inspire…

Done Elvire
Si vous avez encor quelque chose à me dire,
Vous pouvez l'ajouter : je suis prête à l'ouïr ;
Sinon, faites au moins que je puisse jouir
De deux ou trois moments de paisible audience.

Dom Garcie
Hé bien j’écoute. Ô Ciel, quelle est ma patience !

Done Elvire
Je force ma colère, et veux sans nulle aigreur
Répondre à ce discours si rempli de fureur.

Dom Garcie
C’est que vous voyez bien…

Done Elvire
C’est que vous voyez bien… Ah ! j'ai prêté l'oreille
Autant qu'il vous a plu : rendez-moi la pareille.
J'admire mon destin, et jamais sous les cieux
Il ne fut rien, je crois, de si prodigieux,
Rien dont la nouveauté soit plus inconcevable,
Et rien que la raison rende moins supportable.
Je me vois un amant qui, sans se rebuter,
Applique tous ses soins à me persécuter,
Qui dans tout cet amour que sa bouche m'exprime
Ne conserve pour moi nul sentiment d'estime.
Rien au fond de ce cœur qu'ont pu blesser mes yeux
Qui fasse droit au sang que j'ai reçu des Cieux,