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De savoir prier Dieu, m’aimer, coudre et filer.

Chrysalde.

Une femme stupide est donc votre marotte ?

Arnolphe.

Tant que j’aimerois mieux une laide bien sotte
Qu’une femme fort belle avec beaucoup d’esprit[1].

Chrysalde.

L’esprit et la beauté…

Arnolphe.

L’esprit et la beauté…L’honnêteté suffit.

Chrysalde.

Mais comment voulez-vous, après tout, qu’une bête
Puisse jamais savoir ce que c’est qu’être honnête ?
Outre qu’il est assez ennuyeux, que je croi,
D’avoir toute sa vie une bête avec soi,
Pensez-vous le bien prendre, et que sur votre idée
La sûreté d’un front puisse être bien fondée ?
Une femme d’esprit peut trahir son devoir ;
Mais il faut, pour le moins, qu’elle ose le vouloir ;
Et la stupide au sien peut manquer d’ordinaire,
Sans en avoir l’envie et sans penser le faire[2].

Arnolphe.

À ce bel argument, à ce discours profond,
Ce que Pantagruel à Panurge répond :
Pressez-moi de me joindre à femme autre que sotte,
Prêchez, patrocinez[3] jusqu’à la Pentecôte ;
Vous serez ébahi, quand vous serez au bout,
Que vous ne m’aurez rien persuadé du tout.

Chrysalde.

Je ne vous dis plus mot.

  1. La dispute qui s’établit entre Chrysalde et Arnolphe, est empruntée à une nouvelle de Scarron, la Précaution inutile. « J’aimerois mieux, dit un des personnages, une femme laide fort sotte, qu’une belle qui ne le seroit pas. »
  2. On lit encore dans la Précaution inutile : « Je n’ai jamais vu d’homme raisonnable qui ne s’ennuie cruellement s’il est seulement un quart d’heure avec une idiote. Comment une sotte sera-t-elle honnête femme ? Si elle ne sait ce que c’est que l’honnêteté, et n’est pas même capable de l’apprendre, elle manquera à son devoir, sans savoir ce qu’elle fait ; au lieu qu’une femme d’esprit, quand même elle se défieroit de sa vertu, saura éviter les occasions où elle sera en danger de la perdre. »
  3. Patrociner, du latin patrocinari, plaider, faire l’avocat ; en style populaire, avocasser.