Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 1.djvu/524

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ture en assujettissant à leurs caprices tout ce qui les environne. Tel est le caractère d’Arnolphe ; et il faut remarquer que le développement de ce caractère fait tout le sujet et toute l’intrigue de la pièce. La simplicité d’Agnès, la sottise des valets, les confidences d’Horace, les raisonnements de Chrysalde, tendent à faire ressortir le travers d’esprit de ce singulier personnage ; son ridicule système met tout en mouvement ; lui seul porte le poids de l’action. Toujours en scène pendant les cinq actes, il va, il vient, s’agite, combine, gronde, s’adoucit ; et, quoique toujours averti, il ne peut rien empêcher : tout est déception, ruse, adresse, dans sa conduite ; tout est simplicité, innocence, naïveté, dans celle d’Agnès. Veut-il la surprendre, la séduire, la tromper, lui exagérer ses bienfaits, elle oppose la vérité au mensonge ; et c’est en montrant le fond de son cœur qu’elle punit son tyran. Mais ce qui rend la situation plus vive et la leçon plus frappante, c’est que les précautions d’Arnolphe ne servent qu’à assurer son malheur ; sa punition ressort de l’accomplissement de tous ses vœux ; il a voulu des valets imbéciles, les siens le sont à l’excès ; il a voulu qu’Agnès ne fût qu’une sotte, elle a toute la sottise que donne l’ignorance. Elle avoue avec la même naïveté son amour pour Horace, son indifférence pour Arnolphe, et son goût pour le mariage ; enfin elle se sauve avec son amant,

Et ne voit pas de mal à tout ce qu’elle a fait.

Quelle profondeur dans ce vers ! il résume la pièce, il justifie Agnès, il confond Arnolphe, il commence son châtiment ; car enfin la voilà telle qu’il l’a souhaitée. Mais la justice ne seroit pas entière si chaque travers de ce personnage ne recevoit sa punition. Arnolphe s’est moqué des maris trompés, il sera moqué par Chrysalde ; il s’est joué de la confiance d’Horace, il le verra triompher ; il a sacrifié le bonheur d’Agnès au sien, il sera le plus malheureux des hommes. Faire recueillir à chacun le fruit de ses œuvres, c’est la morale du théâtre ; et jamais Molière n’a mieux atteint ce but que dans l’École des Femmes. »

Le passage que l’on vient de lire résume ce qui a été dit de plus saillant par les commentateurs pour justifier l’École des Femmes, on verra plus loin comment Molière a lui-même défendu son œuvre, en se moquant de ceux qui l’attaquaient.

La Précaution inutile, de Scarron, le Jaloux, de Cervantes, ont été utilisés dans le premier et le second acte de la comédie qu’on va lire. La Quatrième nuit de Straparole a fourni quelques données aux actes trois et quatre. Quant au cinquième acte, il est tout entier de création originale.