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LA CRITIQUE DE L’ÉCOLE DES FEMMES.

commun ? Peut-on impunément, comme vous faites, rompre en visière à la raison ? Et, dans le vrai de la chose, est-il un esprit si affamé de plaisanterie, qu’il puisse tâter des fadaises dont cette comédie est assaisonnée ? Pour moi, je vous avoue que je n’ai pas trouvé le moindre grain de sel dans tout cela. Les enfants par l’oreille m’ont paru d’un goût détestable ; la tarte à la crème m’a affadi le cœur ; et j’ai pensé vomir au potage.

Élise

Mon Dieu, que tout cela est dit élégamment ! J’aurais cru que cette pièce était bonne ; mais madame a une éloquence si persuasive, elle tourne les choses d’une manière si agréable, qu’il faut être de son sentiment, malgré qu’on en ait.

Uranie

Pour moi je n’ai pas tant de complaisance ; et, pour dire ma pensée, je tiens cette comédie une des plus plaisantes que l’auteur ait produites.

Climène

Ah ! vous me faites pitié, de parler ainsi ; et je ne saurais vous souffrir cette obscurité de discernement. Peut-on, ayant de la vertu, trouver de l’agrément dans une pièce qui tient sans cesse la pudeur en alarme, et salit à tous moments l’imagination ?

Élise

Les jolies façons de parler que voilà ! Que vous êtes, madame, une rude joueuse en critique, et que je plains le pauvre Molière de vous avoir pour ennemie !

Climène

Croyez-moi ma chère, corrigez de bonne foi votre jugement ; et, pour votre honneur, n’allez point dire par le monde que cette comédie vous ait plu.

Uranie

Moi, je ne sais pas ce que vous y avez trouvé qui blesse la pudeur.

Climène

Hélas ! tout ; et je mets en fait qu’une honnête femme ne la saurait voir sans confusion, tant j’y ai découvert d’ordures et de saletés.

Uranie

Il faut donc que pour les ordures vous ayez des lumières que les autres n’ont pas : car, pour moi, je n’y en ai point vu.