Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 1.djvu/189

Cette page n’a pas encore été corrigée


Lélie

Tu ranimes par là mon espérance morte.

Mascarille

Toujours de ma colère on me voit revenir ;
J’ai beau jurer, pester, je ne m’en puis tenir.

Lélie

Aussi crois, si jamais je suis dans la puissance,
Que tu seras content de ma reconnaissance,
Et que quand je n’aurais qu’un seul morceau de pain…

Mascarille

Baste ! songez à vous dans ce nouveau dessein.
Au moins, si l’on vous voit commettre une sottise,
Vous n’imputerez plus l’erreur à la surprise ;
Votre rôle en ce jeu par cœur doit être su.

Lélie

Mais comment Trufaldin chez lui t’a-t-il reçu ?

Mascarille

D’un zèle simulé j’ai bridé le bon sire (23) ;
Avec empressement je suis venu lui dire,
S’il ne songeait à lui, que l’on le surprendroit ;
Que l’on couchait en joue, et de plus d’un endroit,
Celle dont il a vu qu’une lettre en avance
Avait si faussement divulgué la naissance ;
Qu’on avait bien voulu m’y mêler quelque peu ;
Mais que j’avais tiré mon épingle du jeu,
Et que, touché d’ardeur pour ce qui le regarde,
Je venais l’avertir de se donner de garde.
De là, moralisant, j’ai fait de grands discours
Sur les fourbes qu’on voit ici-bas tous les jours ;
Que pour moi, las du monde et de sa vie infâme,
Je voulais travailler au salut de mon âme,
À m’éloigner du trouble, et pouvoir longuement
Près de quelque honnête homme être paisiblement ;
Que, s’il le trouvait bon, je n’aurais d’autre envie
Que de passer chez lui le reste de ma vie ;
Et que même à tel point il m’avait su ravir,
Que, sans lui demander gages pour le servir,
Je mettrais en ses mains, que je tenais certaines,
Quelque bien de mon père, et le fruit de mes peines,
Dont, avenant que Dieu de ce monde m’ôtat,
J’entendais tout de bon que lui seul héritât.