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DU THÉÂTRE EN FRANCE

mirable éclair de génie comique, présageant à la France à deux siècles d’intervalle Tartuffe et la gloire de Molière. »

Les soties étaient des pièces satiriques dirigées contre les grands, nobles ou prêtres. Les rois eux-mêmes n’y étaient pas épargnés. Marmontel, qui admirait beaucoup quelques-unes de ces compositions, cite justement comme un petit chef-d’œuvre celle qui a pour titre : Sotie à huit personnages ; c’est à sçavoir : le Monde abuz, Sot dissolu, Sot glorieux, Sot corrompu, Sot trompeur, etc.[1]. L’auteur de cette sotie est Pierre Gringore, qui, joignant le génie du vrai poëte à une critique mordante et à une moralité sévère, avait pris pour devise : Raison partout, rien que raison. On doit encore à Pierre Gringore une pièce allégorique intitulée : Le Prince des Sots et la Mère Sotte. Composée à la demande de Louis XII, qui était alors en guerre avec Jules II, et qui voulait ridiculiser son ennemi, cette pièce fut représentée avec un succès inouï à la Halle, le mardi gras 1511. Gringore y joua le rôle de la Mère Sotte dont il conserva le nom. Le jeu du Prince des Sots et de la Mère Sotte est divisé en quatre parties ; le cri ou l’annonce de la représentation, la sotie ou le drame proprement dit, la moralité, la farce. Nous mentionnerons encore dans un genre différent, et à une date beaucoup plus reculée, le Jeu du Mariage d’Adam ou de la Feuillée, par Adam de la Halle, dit le Bossu d’Arras, et le Jeu de Robin et Marion, du même auteur[2]. Ce jeu, qui peut être considéré comme notre premier opéra, était accompagné de musique composée par l’auteur des paroles ; et comme la musique de l’Église exerçait alors une grande influence sur la composition, Adam s’en inspira.

Les diverses pièces que nous venons de citer ne dépassent guère les proportions de nos pièces modernes. Elles n’étaient pas, comme les mystères, jouées par toutes les classes de la société ; mais chaque genre, suivant les temps et les lieux, avait ses acteurs particuliers, tels que les jongleurs qui étaient tout à la fois poëtes, chanteurs et acteurs ; les Baso-

  1. Voir pour l’analyse de cette pièce, Sainte-Beuve, Tableau historique et critique de la Poésie française et du Théâtre, p. 303.
  2. Voir pour le texte de ces deux pièces et la Biographie d’Adam de la Halle, Théâtre français au Moyen Âge, de Monmerqué et Fr. Michel, p. 49, 55, 102.