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Mon jaloux inquiet, sans dire son ennui,
Est sorti de la chambre, et moi de mon étui.
Nous n’avons point voulu, de peur du personnage,
Risquer à nous tenir ensemble davantage :
C’était trop hasarder ; mais je dois, cette nuit,
Dans sa chambre un peu tard m’introduire sans bruit.
En toussant par trois fois je me ferai connaître ;
Et je dois au signal voir ouvrir la fenêtre,
Dont, avec une échelle, et secondé d’Agnès,
Mon amour tâchera de me gagner l’accès.
Comme à mon seul ami, je veux bien vous l’apprendre :
L’allégresse du cœur s’augmente à la répandre ;
Et, goûtât-on cent fois un bonheur trop parfait,
On n’en est pas content, si quelqu’un ne le sait.
Vous prendrez part, je pense, à l’heur de mes affaires.
Adieu. Je vais songer aux choses nécessaires.


Scène 7



Arnolphe


Arnolphe.

Quoi ? l’astre qui s’obstine à me désespérer
Ne me donnera pas le temps de respirer ?
Coup sur coup je verrai, par leur intelligence,
De mes soins vigilants confondre la prudence ?
Et je serai la dupe, en ma maturité,
D’une jeune innocente et d’un jeune éventé ?

En sage philosophe on m’a vu, vingt années,
Contempler des maris les tristes destinées,
Et m’instruire avec soin de tous les accidents
Qui font dans le malheur tomber les plus prudents ;
Des disgrâces d’autrui profitant dans mon âme,
J’ai cherché les moyens, voulant prendre une femme,
De pouvoir garantir mon front de tous affronts,
Et le tirer de pair d’avec les autres fronts.
Pour ce noble dessein, j’ai cru mettre en pratique
Tout ce que peut trouver l’humaine politique ;
Et comme si du sort il était arrêté
Que nul homme ici-bas n’en serait exempté,
Après l’expérience et toutes les lumières
Que j’ai pu m’acquérir sur de telles matières,
Après vingt ans et plus de méditation
Pour me conduire