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PRÉCIS DE L’HISTOIRE

vigne ne tarda point à être dépassé par les véritables révolutionnaires. La réaction contre les trois unités commença, en 1825, par une comédie-vaudeville, Julien ou Vingt-cinq ans d’entr’acte ; elle se continua par un mélodrame célèbre, Trente ans ou la Vie d’un Joueur ; enfin, en 1829, M. Hugo, dans la préface de Cromwell, proclama l’avénement d’un nouveau poëme dramatique dans lequel le laid et le beau, le grotesque et le sublime, l’observation et la fantaisie, le rire et les larmes devaient se mêler comme ils se mêlent dans ce monde, et donner une exacte représentation de la vie humaine, avec tous ses accidents et ses contrastes. Ce fut là le véritable signal de cette guerre des classiques et des romantiques qui rappela, par son ardeur, la guerre des gluckistes et des piccinistes. La tragédie classique fut oubliée pendant près de dix ans. En 1829 elle avait encore donné onze pièces nouvelles ; elle n’en donna que sept en 1830, deux seulement en 1832, et en 1835 elle avait disparu à peu près complétement[1]. Lucrèce Borgia, Hernani, Henri III, la Tour de Nesle, galvanisèrent le public pendant quelques années, en le blasant par l’excès même des émotions ; mais on ne tarda point à reconnaître qu’en voulant élargir les horizons de l’art, on avait fini par en violer toutes les règles. En effet, on appela l’attention des spectateurs, dans les vieux temps, sur les classes maudites ou dégradées, dans les temps modernes, sur des êtres avilis par le vice ou le crime. À défaut de vrai talent pour émouvoir le public, on le séduisit par des artifices de scène et on l’étonna par un cynisme brutal. La morale, la vérité, le naturel, la noblesse des sentiments, furent mis de côté avec indifférence, on pourrait dire avec mépris[2]. On s’adressa aux plus mauvais instincts ; on caressa les passions les plus dan-

  1. Déjà en 1831, notre ancien répertoire était tellement en défaveur auprès du public, qu’un spectacle composé du Tartuffe et du Legs, de Marivaux, fit entrer dans la caisse la somme de 68 francs et quelques centimes.
  2. Dans dix pièces seulement le drame a mis en scène huit femmes adultères, cinq filles perdues d’un étage plus ou moins élevé, six filles séduites, deux jeunes filles de bonne maison qui accouchent dans une pièce voisine du théâtre, trois femmes qui se déshabillent à moitié devant le public, quatre mères éprises de leurs fils, six bâtards qui déclament contre la société, onze amants ou maîtresses qui commettent des assassinats.