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Géronimo

Ah ! c’est une autre chose ! Vous ne m’aviez pas dit cela.

Sganarelle

C’est une fille qui me plaît, et que j’aime de tout mon cœur.

Géronimo

Vous l’aimez de tout votre cœur ?

Sganarelle

Sans doute ; et je l’ai demandée à son père.

Géronimo

Vous l’avez demandée ?

Sganarelle

Oui. C’est un mariage qui doit se conclure ce soir ; et j’ai donné ma parole.

Géronimo

Oh ! mariez-vous donc ! Je ne dis plus mot.

Sganarelle

Je quitterais le dessein que j’ai fait ! Vous semble-t-il, seigneur Géronimo, que je ne sois plus propre à songer à une femme ? Ne parlons point de l’âge que je puis avoir, mais regardons seulement les choses. Y a-t-il homme de trente ans qui paraisse plus frais et plus vigoureux que vous me voyez ? N’ai-je pas tous les mouvements de mon corps aussi bons que jamais ; et voit-on que j’ai besoin de carrosse ou de chaise pour cheminer ? N’ai-je pas encore toutes mes dents les meilleures du monde ? (Il montre ses dents.) Ne fais-je pas vigoureusement mes quatre repas par jour, et peut-on voir un estomac qui ait plus de force que le mien ? (Il tousse.) Hem, hem, hem. Eh ! qu’en dites-vous ?

Géronimo

Vous avez raison, je m’étais trompé. Vous ferez bien de vous marier.

Sganarelle

J’y ai répugné autrefois ; mais j’ai maintenant de puissantes raisons pour cela. Outre la joie que j’aurai de posséder une belle femme, qui me fera mille caresses, qui me dorlotera[1], et me viendra frotter lorsque je serai las ; outre

  1. Le verbe dorloter est encore usuel dans le patois picard. On dit dorloter un enfant, dans le sens de le combler de petits soins. Sganarelle, en employant cette expression, veut donc dire que sa femme le traitera comme une mère tendre traite un enfant. Cette application exacte du mot dorloter, application qui n’a donc été remarquée, rend la prétention du personnage plus ridicule encore.