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Et si par un mari je me voyais contrainte,
J’aurais fort grande pente à confirmer sa crainte.

Sganarelle
Voilà, beau précepteur, votre éducation,
Et vous souffrez cela sans nulle émotion.

Ariste
Mon frère, son discours ne doit que faire rire.
Elle a quelque raison en ce qu’elle veut dire :
Leur sexe aime à jouir d’un peu de liberté ;
On le retient fort mal par tant d’austérité ;
Et les soins défiants, les verrous et les grilles
Ne font pas la vertu des femmes ni des filles.
C’est l’honneur qui les doit tenir dans le devoir,
Non la sévérité que nous leur faisons voir.
C’est une étrange chose, à vous parler sans feinte,
Qu’une femme qui n’est sage que par contrainte.
En vain sur tous ses pas nous prétendons régner :
Je trouve que le coeur est ce qu’il faut gagner ;
Et je ne tiendrois, moi, quelque soin qu’on se donne,
Mon honneur guère sûr aux mains d’une personne
À qui, dans les desirs qui pourraient l’assaillir,
Il ne manquerait rien qu’un moyen de faillir.

Sganarelle
Chansons que tout cela.

Ariste
Soit ; mais je tiens sans cesse
Qu’il nous faut en riant instruire la jeunesse,
Reprendre ses défauts avec grande douceur,
Et du nom de vertu ne lui point faire peur.
Mes soins pour Léonor ont suivi ces maximes :
Des moindres libertés je n’ai point fait des crimes.
À ses jeunes desirs j’ai toujours consenti,
Et je ne m’en suis point, grâce au ciel, repenti.
J’ai souffert qu’elle ait vu les belles compagnies,
Les divertissements, les bals, les comédies ;
Ce sont choses, pour moi, que je tiens de tout temps
Fort propres à former l’esprit des jeunes gens ;
Et l’école du monde, en l’air dont il faut vivre
Instruit mieux, à mon gré, que ne fait aucun livre.
Elle aime à dépenser en habits, linge et noeuds :
Que voulez-vous ? Je tâche à contenter ses voeux ;