Le Mahâbhârata (traduction Ballin)/Volume 2/Texte entier

Traduction par Ballin, L..
Paris E. Leroux (2p. ---462).
LE
MAHÂBHÂRATA

LIVRES X, XI, XII
SAUPTIKAPARVA
ou LIVRE DES ÉVÉNEMENTS ARRIVÉS PENDANT LE SOMMEIL

STRÎPARVA
ou LIVRE DES FEMMES

ÇÂNTIPARVA
OU LIVRE DE L’APAISEMENT


LE
MAHÂBHÂRATA

LIVRES X, XI, XII

SAUPTIKAPARVA
ou LIVRE DES ÉVÉNEMENTS ARRIVÉS PENDANT LE SOMMEIL
STRIPARVA
ou LIVRE DES FEMMES
ÇÂNTIPARVA
ou LIVRE DE L’APAISEMENT

TRADUIT DU SANSCRIT
PAR
Le Docteur L. BALLIN
LICENCIÉ ÈS SCIENCES, ANCIEN SOUS-INSPECTEUR DES FORÊTS
ÉLÈVE DE L’ÉCOLE FORESTIÈRE
Séparateur


PARIS
ERNEST LEROUX, ÉDITEUR
28, RUE BONAPARTE, 28
1899
* *

MAHÂBHÂRATA


LIVRE DES ÉVÈNEMENTS ARRIVÉS PENDANT LE SOMMEIL


Après avoir rendu hommage à Nârâyana et à Nara, le plus grand des hommes, ainsi qu’à la déesse Sarasvatî, on peut obtenir la Victoire.




CHAPITRE PREMIER


RÉFLEXIONS DU FILS DE DRONA


Argument : Kripa, Kritavarmam et le fils de Drona se sauvent dans une forêt d’aspect terrible. Dhritarâshtra demande à Sañjaya ce qu’ils ont fait. Récit de Sañjaya. Épisode des corneilles et du hibou. Sommeil de Kripa et de Kritavarmam. Le Dronide réfléchit à la conduite du hibou et songe à tuer par ruse les Pândouides. Il éveille ses deux compagnons et leur communique son dessein dont ils ont horreur. Discours du fils de Drona.


1. Sañjaya dit : Ensuite, ces héros s’avancèrent ensemble vers le midi. Ils arrivèrent près du camp, au coucher du soleil .

2. Ils abandonnèrent leurs véhicules et se hâtèrent, dans leur effroi, d’entrer dans un lieu boisé, dont ils se trouvaient proches.

3. Ils s’établirent à une légère distance du campement de l'armée. Tailladés de toutes parts par des armes aiguës, blessés et (comme) anéantis,

4. Après avoir soupiré longuement et fortement, ils pensaient aux fils de Pândou. Ayant entendu les cris terribles des Pândouides victorieux,

5. Ils se remirent à fuir vers l’est, de crainte de ce qui pourrait arriver. Quand ils eurent marché un certain temps, leurs chevaux étant fatigués et eux-mêmes tourmentés par la soif,

6. Ils s’arrêtèrent un instant. Ces grands archers, irrités du meurtre du roi, (qu’ils ne pouvaient) pardonner, étaient remplis d’impatience et de colère.

7. Dhritarâshtra dit : Ô Sañjaya, il est incroyable que Bhîma ait accompli cet exploit, d’abattre mon fils qui possédait l’énergie vitale de dix mille éléphants.

8. Mon fils, (encore) jeune, aussi résistant que le diamant, incapable d’être tué par tous les êtres, a succombé sous les coups des fils de Pândou, ô Sañjaya !

9. Ô Gâvalganien (Sañjaya), les hommes ne sauraient aller au-delà de ce qui a été fixé par (le destin), puisque mon fils a été abattu par les fils de Prithà, qui s’étaient rencontrés avec lui dans le combat.

10. Assurément, ô Sañjaya, mon cœur est de fer, puisqu’il n’a pas éclaté en cent morceaux, en apprenant que mes cent fils avaient été tués.

11. Car, qu’adviendra-t-il du vieux ménage dont les fils ont été tués. Je n’ose pas, en vérité, habiter dans le royaume de Youdhishthira.

12. Père de roi, ayant été moi-même roi, comment pourrais-je, ô Sañjaya, devenir un serviteur aux ordres du fils de Pândou,

13. Qui, (à lui) seul, a fait tuer tous mes cent fils, bien que j’aie commandé toute la terre et que j’aie été placé à la tête (des hommes), ô Sañjaya ?

14. Pourquoi la parole de ce magnanime Vidoura a-t-elle été vérifiée par ce fils qui n’écoutait pas les conseils qu’il lui donnait, ô Sanjaya ?

15. Comment deviendrais-je un serviteur dont la tâche n’a pas de terme ? Comment pourrais-je entendre les paroles de ce Bhîma ?

16. Sañjaya, mon ami, quand mon fils Douryodhana eut été tué irrégulièrement, que firent Kritavarman, Kripa et le fils de Drona ?

17. Sañjaya dit : roi, les tiens, après être partis, (n’allèrent) pas très loin (et) s’arrêtèrent en voyant une forêt terrible formé de diverses sortes d’arbres et de lianes.

18. Ils s’approchèrent du grand bois au coucher du soleil, avec leurs excellents chevaux qui avaient trouvé de l’eau, et s’arrêtèrent un instant.

19. (Ce bois) renfermait diverses sortes de gibier et d’oiseaux, il était habité par diverses espèces d’animaux carnassiers et peuplé d’arbres et de lianes de plusieurs sortes.

20. Il était orné de toutes sortes de fleurs. (On y) trouvait plusieurs réservoirs d’eau, des centaines d’étangs à lotus ; il était embelli de fleurs de nymphœa cyana.

21. Étant entrés dans ce bois terrible et regardant de toutes parts, ils virent un figuier indien, couvert d’un millier de branches.

22. Alors ces grands guerriers, les premiers des hommes, s’étant approchés du figuier indien, contemplèrent cet arbre magnifique.

23. Ils descendirent de leurs chars, dételèrent leurs chevaux, et, après avoir touché l’eau selon la loi, accomplirent les cérémonies religieuses du crépuscule.

24. Puis, l’astre du jour s’étant couché derrière la meilleure des montagnes (le mont Asta), la nuit, conservatrice du monde entier, arriva.

25. Orné de toutes les étoiles et des constellations visibles, le ciel brillait de toutes parts, (comme) un admirable vêtement.

26. Les êtres qui errent pendant la nuit faisaient de tous côtés entendre des cris. Ceux qui se promènent pendant le jour étaient endormis.

27. Il se fit un grand bruit, produit par les animaux rôdant dans la nuit. Les carnassiers étaient réjouis et la nuit devint effrayante.

28. Au commencement de cette nuit terrible, Kritavarman, Kripa et le fils de Drona, tristes et malheureux, s’assirent ensemble les uns auprès des autres.

29. Assis près de ce figuier, ils donnèrent cours à la douleur (que leur causait) ce désastre, (qui était) la ruine complète des Kourouides et des Pândouides.

30. Accablés de sommeil et de fatigue, blessés par différentes sortes de flèches, ils se laissèrent tomber sur le sol.

31. Vaincus par le sommeil, les deux grands guerriers, qui n’avaient pas mérité de souffrir, (s’arrangèrent pour) passer une bonne nuit et s’endormirent sur la terre.

32. grand roi, ces deux (hommes habitués) à des lits magnifiques, s’endormirent sur le terrain, comme des (malheureux) sans protecteurs.

33. Mais, ô Bharatide, le fils de Drona, en proie à la colère et à l’impatience, n’avait pas envie de dormir et soufflait comme un serpent.

34. La rage dont il brillait l’empêcha de s’abandonner au sommeil. Le grand guerrier examina ce bois à l’aspect terrible.

35. En inspectant les régions de la forêt habitées par les divers animaux, le guerrier aux grands bras vit le figuier indien entouré par des corneilles.

36. Des milliers de corbeaux y passaient la nuit. Ils y dormaient à l’aise, perchés séparément, ô Kourouide.

37. Pendant que ces corbeaux confiants étaient endormis de tous côtés, il vit venir un horrible hibou,

38. Brun rougeâtre, aux cris effroyables, ayant un grand corps, des yeux fauves, un bec puissant et de grandes serres, rapide comme Souparna.

39. Poussant un doux murmure, comme celui d’un oiseau qui se couche, il s’approcha des branches du figuier indien.

40. L’oiseau, l’Antaka des corneilles, descendit sur une branche du figuier, atteignit et tua un grand nombre de ces animaux.

41. Il coupa les ailes à quelques-uns, la tête à quelques autres, et, avec ses serres, il brisa les jambes à d’autres.

42, 43. En un instant, le fort (oiseau) eut tué ceux qui étaient à portée de sa vue. Tout le terrain entourant le figuier, fut jonché de cadavres et de tronçons (de corps), ô maître des hommes. Après avoir tué les corbeaux, le hibou était joyeux

44. D’avoir détruit ses ennemis, en les traitant à sa fantaisie. Après avoir vu cet acte déloyal, accompli pendant la nuit par le hibou,

45. Le Dronide, solitaire, appliquant son esprit à comprendre ce que cela pouvait signifier, pensait : « Cet oiseau m’enseigne la conduite que je dois tenir dans la bataille.

46. Je crois que le moment propice pour la destruction des ennemis est arrivé. Fiers de leurs victoires, les Pândouides ne sauraient être tués par moi (dans les conditions ordinaires).

47. Ces guerriers sont forts, habiles à atteindre le but (qu’ils se proposent). Ils ont prouvé leur valeur. Mais j’ai juré leur mort en présence du roi.

48. Je mourrai sans aucun doute, si je les combats loyalement. Je me suis engagé dans une affaire aussi (dangereuse), que le feu pour un insecte (qui s’y précipite), et où je trouverai ma perte.

49. Une ruse pourrait (me permettre) de réussir et (amener) une grande destruction des ennemis. Le succès d’une entreprise douteuse deviendrait certain.

50. Les hommes qui sont au fait des traités (sur ces matières), vantent (ces moyens). Ce qui est blâmé et même maudit par le monde,

51-56. Peut être accompli par l’homme soumis au devoir des kshatriyas. Les impurs Pândouides ont constamment, et à chaque pas, commis des actes blâmés et maudits. Les vers (qui suivent), dont le sens est véritable, ont été chantés jadis par des hommes ayant souci des devoirs et connaissant la vérité : « Quand elle est fatiguée ou quand elle est vaincue, au moment où elle mange, au moment du départ, au moment de l’arrivée, aussi bien qu’au milieu de la nuit, quand elle est endormie, ou quand son chef est perdu, ou quand les guerriers sont écrasés. ou quand elle est coupée en deux, l’armée ennemie doit être attaquée par ses adversaires. » Voilà (ce qu’on a dit). Le majestueux fils de Drona prit ainsi la résolution de tuer pendant la nuit les Pândouides et les Pâñçâlas endormis. Après avoir formé ce cruel projet et y avoir longuement réfléchi,

57. Il éveilla ses deux (compagnons), son oncle maternel et Bhoja. Quand ces deux magnanimes et très forts (guerriers), Kripa et Bhoja, furent éveillés (et eurent entendu sa proposition),

58. Pleins de honte, ils n’y firent pas une réponse conforme (à ses désirs). Ayant réfléchi un instant, (Açvatthâman) dit, d’une voix entrecoupée par les larmes :

59. « Le très puissant roi Douryodhana, ce héros unique (dans le monde), pour l’amour duquel nous sommes devenus les ennemis des fils de Pandou, a été tué.

60. Le maître de onze armées, dont l’héroïsme était parfait, (resté) seul au combat contre de nombreux et vils (adversaires), a été abattu par Bhîmasena.

61. L’infâme Vrikodara a commis cette action horrible, de fouler de son pied la tête de celui qui avait été sacré par l’aspersion.

62. Les Pâñcâlas, par centaines, rôdent de côté et d’autre en riant, en poussant des rugissements, en soufflant dans leurs conques et en battant leurs tambours doundoubhis.

63. Le son discordant des instruments de musique se mêle à celui des conques, (d’une manière) terrible. Transporté par le vent, il remplit en quelque sorte l’espace.

64. On entend aussi un très grand bruit produit par le hennissement des chevaux, le barrissement des éléphants et les clameurs des héros.

65. On entend le roulement des roues des chars des (guerriers) très joyeux, qui se dirigent vers la région orientale. (Ce bruit) fait hérisser le poil (de terreur),

66. Nous trois seulement avons échappé à ce grand massacre et à la destruction des Dhritarâshtrides, qu’ont accomplie les fils de Pândou.

67, 68. Quelques-uns avaient la vigueur de centaines d’éléphants. Quelques-uns étaient habiles à toutes les armes de jet. Ils ont été tués par les fils de Pândou. Je pense que, réellement et sûrement, cette entreprise (que je vous propose), peut amener un changement dans (notre) destinée, de façon que, cette tentative difficile étant menée à bien, la conclusion soit telle (que nous la désirons).

69. Si l’égarement (dans lequel) votre esprit (est tombé) ne vous a pas enlevé la sagesse, voyons ce que nous devons faire. »




CHAPITRE II


CONVERSATION DU DRONIDE ET DE KRIPA


Argument : Discours de Kripa.


70. Kripa dit : puissant, nous avons entendu ce que tu nous as dit. Maintenant, ô homme aux grands bras, écoute à ton tour quelques paroles que j’ai à t’adresser.

71. Tous les hommes réunis sont soumis à deux impulsions, le destin et l’effort humain. Il n’y a rien au-delà de ces deux (forces).

72. Car, ô très grand, isolés, le destin ni les efforts humains ne font pas réussir les entreprises. Mais la réunion des deux (amène les œuvres humaines à leur) perfection.

73. Toutes les affaires, les infimes comme les plus grandes, sont soumises à ces deux (influences), qu’on voit partout les mettre en mouvement ou les empêcher de s’exécuter.

74. Le nuage verse la pluie dans la montagne. Pourquoi y a-t-il des fruits ? De même, quand il pleut sur un champ labouré, pourquoi ne donne-t-il pas de récolte ?

75. Certes, l’effort (seul) du destin, aussi bien que l’absence d’effort du destin n’aboutit à rien. Il faut une détermination préalable.

76. Il en est de la réussite des choses humaines, comme (de ce fait), qu’une bonne pluie, envoyée par les dieux, (tombant) sur un champ convenablement cultivé, la semence devient féconde.

77. Quand, de ces deux (agents), le destin a pris sa détermination, il agit de lui-même ; mais les sages s’attachent avec ardeur à l’action humaine .

78. Certes, ô homme excellent, toutes les affaires des hommes s’exécutent ou ne s’exécutent pas, par le concours de ces deux (facteurs).

79. Quand l’effort humain est produit, il réussit avec le concours du destin, et le fruit de l’action se développe pour son auteur,

80. On voit ici-bas l’effort des hommes actifs, quoique convenablement produit, ne pas porter des fruits, s’il est privé du concours du destin.

81. Il y a des hommes paresseux et inintelligents qui blâment l’effort ; mais ce n’est pas l’avis des sages.

82. Ordinairement, on ne voit pas un acte accompli, rester sans résultat sur la terre, mais l’absence d’action semble produire de très fâcheuses conséquences.

83. On voit rarement ces deux choses : un homme qui n’a rien fait obtenir quelque chose, et un homme qui a fait (un effort) sans rien obtenir.

84. L’homme actif peut supporter la vie. Celui qui éprouve de vifs désirs goûte le plaisir. Dans ce monde on voit, en général, les gens actifs rechercher leur bien.

85. L’homme actif, ou bien obtient le fruit de ses œuvres, ou bien, s’il échoue dans ses entreprises, il n’est pas à blâmer.

86. Celui qui, ici-bas, sans avoir agi, recueille un fruit, encourt le blâme et devient le plus souvent odieux.

87. Celui qui, n’ayant pas égard à cette (prescription de déployer des efforts), se comporte autrement, se fait du tort à lui-même ; la manière d’agir (que j’ai indiquée) est propre à l’homme sage.

88. Les entreprises deviennent stériles pour ces deux causes : quand elles sont privées de l’action de l’homme ou de celle du destin.

89, 90. Rien ne réussit ici-bas, sans que les hommes s’y appliquent. Mais l’homme actif et pieux qui, après avoir rendu hommage aux dieux, recherche convenablement des résultats, n’a pas à redouter l’inutilité de ses entreprises. Or, voici celui qui a des désirs convenables : celui qui honore les vieillards,

91. Leur demande ce qu’il est préférable (de faire) et suit un bon conseil. Chaque fois qu’on entreprend quelque chose, ceux qui ont adopté les opinions des vieillards doivent être consultés.

92. Car en eux repose l’origine des entreprises et le point de départ du résultat. Celui qui déploie ses efforts après avoir écouté la parole des vieillards,

93. Finit par en obtenir un bon résultat. L’homme qui recherche passionnément ses intérêts avec colère, crainte et cupidité,

94, 95. Qui (ne veut pas reconnaitre) de maître, qui dédaigne (les bons conseils), tombe rapidement (du faite de sa) prospérité. Cette affaire mauvaise, entreprise par l’avide Douryodhana à la vue courte, qui n’a eu aucune considération pour les hommes dont le jugement était bon, et qui n’a pris conseil que des méchants, a été follement conçue.

96. (Malgré ce qu’on a pu faire pour) l’en empêcher, il a engagé la guerre avec les fils de Pândou, dont les qualités étaient supérieures (aux siennes). Ayant eu jusque là un très mauvais caractère, il ne pouvait pas se maîtriser.

97. Certes, l’entreprise étant en mauvais état, il (en) a gémi. Il n’a pas écouté les conseils de ses amis. Quant à nous, pour avoir suivi ce méchant homme,

98, 99. Nous avons partagé sa très fâcheuse manière d’agir. Ce malheur trouble ma pensée, et j’ai beau réfléchir, je ne vois pas ce que nous avons de mieux (à faire). L’homme dont l’esprit est égaré, doit consulter ses amis.

100. En cela consiste sa sagesse et sa prudence. Il voit par là ce qu’il y a de mieux (à faire) pour lui. Des (amis) sages ayant réfléchi avec sagesse, sur la cause de ses entreprises,

101. Étant interrogés (par lui), il convient alors de suivre leurs conseils. Allons donc trouver Dhritarâshtra et Gândhârî.

102. Lorsque nous serons arrivés (auprès d’eux), nous les interrogerons, ainsi que le très sage Vidoura. Consultés par nous, ils nous indiqueront de suite ce que nous avons de mieux (à faire).

103. Nous ferons (ce qu’ils nous diront). C’est ma résolution définitive. Une affaire ne saurait avoir d’issue convenable, si on ne la commence pas.

104. Mais quand un homme a fait ce qu’il devait faire, si ses entreprises ne réussissent pas, c’est un coup du destin. Il n’y a pas à discuter là-dessus.




CHAPITRE III


DISCOURS DU FILS DE DRONA


Argument : Discours du fils de Drona.


105. Sañjaya dit : Après avoir entendu les bonnes, vertueuses et utiles paroles de Kripa, ô grand roi, Açvatthâman, consumé de peine et de douleur,

106. Brûlé par le chagrin comme par un feu ardent, conçut une pensée cruelle, sous l’effet de laquelle il dit à ses deux (compagnons) :

107. Tout homme trouve que sa propre pensée, quelle qu’elle soit est la meilleure. Tous les hommes sont individuellement satisfaits de leur sagesse, quelle qu’elle soit.

108. Chacun pense qu’il est (l’homme) le plus sage (qui soit) au monde. Le moi de tout homme s’accorde à lui-même la plus grande estime et toute louange.

109. Car la sagesse de chacun est fondée sur l’approbation qu’il se donne à lui-même. On blâme incessamment la manière de penser des autres et on glorifie la sienne propre.

110. Ceux qui se conduisent de la même manière dans une conjoncture (déterminée, quoique) pour des raisons particulières (à chacun d’eux), sont satisfaits les uns des autres et s’estiment constamment beaucoup.

111. Mais quand les pensées d’un même homme varient selon les circonstances, en aboutissant à des contradictions, elles se font échec les unes aux autres.

112. La variété des pensées des hommes fait que les résolutions sont instables, surtout quand l’esprit est affaibli.

113. De même qu’un médecin habile, après avoir reconnu scientifiquement la maladie, institue le traitement, en s’appliquant au but à atteindre, et cela en vue de la guérison, ô roi,

114. De même les hommes, aidés par leur propre sagesse, prennent une résolution qui s’applique à leur affaire, et les (autres) hommes les blâment.

115. Le mortel est abusé dans sa jeunesse par certaines idées, dans l’âge moyen par d’autres, et, quand il est vieux, il en adopte d’autres encore.

116. Ô Bhoja, l’homme change de manière de voir, quand il tombe dans un profond malheur, et aussi quand il jouit d’une prospérité extrême.

117. Chez un seul et même homme les pensées sont différentes à diverses époques ; par suite de son insuccès, les (idées qu’il avait jadis) ne lui plaisent plus (maintenant).

118. Après qu’un homme a adopté, dans sa sagesse, la résolution qu’il juge bonne, il la met à exécution pour accomplir son dessein, et elle lui fait faire un effort.

119. Car, ô Bhoja, tout homme qui a pris une résolution (en disant) : « Voilà qui est bien », se met allègrement à agir, (même) s’il est question de tuer.

120. Certes, tous les hommes faisant fond sur leur propre sagesse et sur leurs propres réflexions, agissent de diverses manières. Ils croient que c’est bien ainsi.

121. Je vais maintenant vous dire, à tous les deux, la pensée que (notre) malheur a fait naître (dans mon esprit), et qui est susceptible d’apaiser mes chagrins.

122. Prajâpati ayant créé les êtres et leur ayant accordé la faculté d’agir, attribua à chaque caste une qualité maîtresse.

123. Au brahmane, le véda (la science sacrée) ; c’est ce qu’il y a de mieux ; au kshatriya, la plus grande énergie ; au vaiçya, la diligence ; et la soumission pour toutes les (autres) castes fut imposée au çoûdra.

124. Le brahmane, qui n’a pas dompté ses sens (par l’ascétisme), n’est pas vertueux, (car il manque au premier des préceptes des védas). Un kshatriya sans énergie est vil, et on critique un vaiçya inactif et un çoûdra indocile.

125. Né dans la plus noble des races, celle des brahmanes, j’ai dû malheureusement suivre la loi des kshatriyas.

126. Ayant connu les devoirs du kshatriya, si je m’applique (maintenant) à ceux du brahmane, en accomplissant la très grande œuvre (du pardon à nos ennemis), on ne trouvera pas que ce soit bien de ma part.

127. Porteur, dans les combats, d’un arc divin et d’armes divines, après avoir vu tuer mon père, que diraije dans l’assemblée ?

128. Aujourd’hui, me renfermant dans le devoir des kshatriyas, je suivrai à mon gré la voie (tracée) par le roi et par mon magnanime père.

129. Aujourd’hui, les Pâñcâlas victorieux dormiront avec une joyeuse confiance, après avoir dételé leurs chars et détaché leurs cuirasses,

130. Fatigués et brisés par les efforts (qu’ils ont faits), en songeant à leur victoire. Quand la nuit (sera venue) et quand ils dormiront à leur aise dans leur camp,

131. J’entreprendrai la difficile attaque de (ce) camp, en tombant sur eux quand ils seront (comme) réduits à l’état de cadavres.

132, 133. Je les massacrerai, comme Maghavat (Indra, massacra) les dânavas, après les avoir attaqués. Après les avoir assaillis, je les détruirai avec leur chef Dhrishtadyoumna, comme le feu consume les broussailles. Ayant tué les Pâñcâlas, j’obtiendrai la paix du cœur, ô très grand.

134. Aujourd’hui, j’anéantirai dans le combat les Pâñcâlas, comme Roudra irrité, l’arc Pinâka en main, détruit les bestiaux.

135. Aujourd’hui, après avoir tué et taillé en pièces tous les Pâñcâlas, j’aurai aussi le plaisir de tourmenter les fils de Pândou dans la bataille,

136. Aujourd’hui, après avoir anéanti tous les Pâñcâlas les uns après les autres, et couvert la terre de leurs cadavres, je paierai la dette (contractée envers la mémoire) de mon père,

137. De Douryodhana, de Karna, de Bhîshma et du roi du Sindhou. Aujourd’hui, je ferai suivre aux Pâñcâlas un chemin pénible à parcourir.

138. Aujourd’hui, pendant la nuit, comme (fait) Çiva pour le bétail, je taillerai rapidement et violemment en pièces, Dhrishtadyoumna, roi des Pâñcâlas.

139. Aujourd’hui, ô Gotamide, avec un glaive aigu, je tuerai pendant la nuit, sur le champ de bataille, les enfants endormis des Pâñcâlas et des Pândouides.

140. Aujourd’hui, après avoir détruit dans son sommeil, pendant la nuit, cette armée des Pâñcâlas et avoir fait ce que je dois faire, ô homme aux grandes pensées, je serai heureux.









CHAPITRE IV


SUITE DU PRÉCÉDENT


Argument : Discours de Kripa. Réponse d’Açvatthâman.


141. Kripa dit : homme sans péché, grâce au ciel tu songes à payer nos dettes (de vengeance). Le porteur de la foudre, lui-même, n’est pas capable de t’arrêter.

142. Au point du jour, nous nous joindrons tous les deux à toi et te suivrons. Maintenant, délace ta cuirasse, abats ton étendard et repose-toi pendant la nuit,

143. Moi et le Sattvatide Kritavarman, revêtus de nos armures et montés sur nos chars, nous te suivrons quand tu marcheras contre les ennemis.

144. Ô le meilleur des maîtres de char, demain, avec le secours de nous deux, tu attaqueras les Pâncâlas avec leurs suivants, et tu tueras les ennemis dans le combat.

145. Les ayant attaqués à toi (seul), tu serais capable de les vaincre. Ô mon cher, repose-toi cette nuit. Il y a longtemps que tu veilles, consacre cette nuit au sommeil.

146. homme qui distribue les honneurs, quand tu seras reposé, quand tu n’auras plus sommeil et que tes pensées seront bien (lucides), ayant rencontré les ennemis dans la bataille, tu les tueras, ce n’est pas douteux.

147. Car, ô le meilleur des maîtres de char, jamais. parmi les dieux, Vâsava lui-même ne serait capable de te vaincre, quand tu as saisi tes excellentes armes.

148. Qui donc, fût-ce le roi des dieux, pourrait combattre le fils de Drona, enragé au combat, accompagné de Kripa et aidé par Kritavarman ?

149. Quand nous nous serons reposés pendant la nuit, quand nous n’éprouverons plus le besoin de dormir, et quand la fièvre (de fatigue qui nous dévore) nous aura quittés, quand (enfin) la nuit fera place au crépuscule, nous tuerons les ennemis.

150. Il est certain que tes astras et les miens sont divins. Le grand archer Sattvatide a aussi toujours été habile au combat.

151. Ô mon cher, nous tuerons de vive force les ennemis dans la bataille. Alors, notre satisfaction sera extrême.

152, 153. Repose-toi, ne songe qu’à dormir agréablement cette nuit, (et à la passer) sans trouble. Nous deux, Kritavarman et moi, porteurs de nos arcs, revêtus de nos armures, tourmenteurs de nos ennemis, nous nous réunirons à toi, qui es le plus éminent des hommes, et un guerrier pourvu d’un char, et nous te suivrons, lorsque, monté sur ton char, tu t’avanceras avec rapidité (contre les ennemis),

154. Tu iras vers leur camp, tu crieras à haute voix ton nom au milieu de la bataille, et alors tu feras un grand carnage des adversaires que tu auras à combattre.

155. Et, après en avoir fait un grand massacre au point du jour et en pleine lumière, tu te réjouiras, comme (le fit) Çakra après avoir tué les grands asouras.

156. Car tu es capable de vaincre l’armée des Pâñcâlas, comme le destructeur de tous les dânavas (était capable d anéantir), dans sa colère, l’armée des daityas.

157. Le puissant (Indra), la foudre à la main, lui-même, ne saurait remporter sur toi une victoire décisive, quand tu seras accompagné par moi et aidé par Kritavarman.

158. Ô mon ami, ni Kritavarman ni moi, n’irons jamais à (un autre) combat, (avant) d’avoir vaincu les Pândouides dans la bataille.

159. Nous reviendrons, après avoir tué dans le combat les Pâñcâlas furieux, ainsi que les Pândouides, ou, (si nous sommes) tués, nous irons au Svarga.

160. Ô guerrier aux grands bras, au point du jour, nous nous associerons à toi pour combattre, et nous ferons tous nos efforts (pour t’aider à détruire les ennemis). Ce que je te dis est la vérité, ô homme sans péché.

161. Ô roi, le fils de Drona, à qui son oncle maternel venait d’adresser de bonnes paroles, les yeux rouges de colère, répondit au frère de sa mère :

162. D’où l’envie de dormir pourrait-elle venir à un homme malade, à celui que l’impatience dévore, à celui qui réfléchit à ses entreprises, ou bien encore à celui qui est engagé dans des désirs (violents) ?

163. Vois. Ces quatre causes (d’insomnie) se trouvent réunies chez moi, et une d’elles seulement me priverait instantanément de sommeil.

164. Quel chagrin, en ce monde, que de se rappeler qu’on a eu son père tué ! (Cette peine) me broie le cœur et ne me laisse de repos ni jour ni nuit.

165. D’autant plus que mon père a été tué par des méchants, sous tes yeux même. Tout cela déchire mon cœur.

166. Comment un homme, dans ma situation, peut-il vivre un instant ici-bas ? « Drona est tué ! » cette parole des Pâñcâlas résonne (sans cesse) à mon oreille.

167. Je ne saurais vivre sans tuer Dhrishtadyoumna. Après avoir ôté la vie à mon père, il doit mourir, ainsi que (tous) les Pâñcâlas qui sont réunis.

168. Quel est (l’homme assez) dur pour n’avoir par le cœur brûlé par les lamentations du roi, dont les cuisses sont brisées, et que j’ai entendues ?

169. Qui serait assez impitoyable pour n’avoir pas les yeux remplis de larmes, après avoir entendu de telles paroles, prononcées par le roi aux cuisses rompues ?

170. Et, moi vivant, celui qui était du parti de mes amis est vaincu ! Cela accroit encore mon chagrin, comme les vagues des eaux (gonflent) la mer.

171, 172. D’où pourrait me venir le sommeil et le plaisir, à moi qui ai toujours l’esprit dirigé sur ce seul point ? Ô très puissants, je pense que les (ennemis), protégés par le Vasoudevide et par Arjouna, seraient irrésistibles pour (qui les attaquerait sans surprise), même pour le grand Indra, et je ne suis pas maître de maîtriser la colère qui s’élève (en moi).

173. Je ne vois pas, en ce monde, celui qui pourrait me détourner (de mon dessein). (Je vous ai dit) l’idée à laquelle je me suis arrêté, et ma résolution me semble bonne.

174. La défaite de mes amis et la victoire des fils de Pândou, qui m’ont été racontées par les messagers, me brûlent en quelque sorte le cœur.

175. Mais, quand j’aurai massacré les ennemis endormis, mon chagrin s’évanouira, je me reposerai et je dormirai.









CHAPITRE V


ARRIVÉE DU FILS DE DRONA


Argument : Discours de Kripa. Réponse d’Açvatthâman qui se dirige vers le camp des Pândouides, accompagné de Kripa et de Kritavarman.


176. Kripa dit : Un homme peu intelligent, même s’il est docile et a dompté ses sens, n’est pas en état de connaître tout (ce qui a rapport) au devoir et à l’utile.

177. Et même, tant qu’un homme intelligent n’a pas appris les règles d’une sage conduite, il ne sait pas distinguer le devoir et l’utile.

178. Un héros à l’esprit très lourd, même en se tenant longtemps près d’un homme habile, (n’apprend) pas plus à connaître le devoir, qu’une cuiller (ne connaît) le goût des sauces.

179. Il suffit au sage de se tenir un seul instant auprès d’un homme habile, pour connaître le devoir, comme la langue (connaît) le goût des bouillons.

180. Tandis que l’homme intelligent, qui a dompté ses sens et qui veut s’instruire, peut acquérir toutes les connaissances, et ne fait pas d’opposition (intempestive) à ce qui doit être saisi (par son esprit),

181. Le méchant, à l’âme perverse, qui méprise (les conseils qu’on lui donne), est incapable d’être guidé. Il laisse de côté le bien qu’on lui enseigne, pour faire beaucoup de mal.

182. Les amis détournent du mal celui à qui ils s’intéressent. Celui qui évite (la mauvaise voie sera) heureux, mais celui qui s’y engage, sera malheureux.

183. Car, de même que (l’acte mauvais qu’allait commettre un homme) distrait, peut être écarté par des paroles, (tantôt) douces, (tantôt) vives, de même, celui qui peut (être arrêté sur la pente du péché, l’est) par ses amis, et celui qui ne peut pas (être arrêté), succombe.

184. Aussi les sages consacrent-ils tous leurs efforts à arrêter un sage ami, en train de commettre une action mauvaise.

185. Ô mon ami, applique ton esprit au bien. Dompte-toi toi-même. Fais ce que je te dis. De cette façon on n’est pas exposé à être tourmenté (de remords), par la suite.

186. Dans ce monde, conformément aux règles du devoir, il est aussi déshonorant de tuer des gens endormis, que (de massacrer des ennemis) qui ont mis bas les armes, ou qui ont abandonné leurs chars et leurs chevaux .

187. Ceux qui disent : « Je suis ton (prisonnier) », ceux qui implorent (notre clémence), ceux dont les cheveux sont déliés (en signe de soumission), et aussi ceux dont les chevaux (ou les chars) sont détruits, (ne doivent pas être exterminés).

188. En ce moment, ô Puissant, les Pâñcâlas ont détaché leur cuirasse et dorment avec confiance. Pendant la nuit ils sont tous privés de sentiment et semblables à des cadavres.

189. L’homme sans droiture qui leur ferait du mal (quand ils sont) dans cet état, se plongerait manifestement dans l’enfer immense et sans fond, où il n’y a pas (le plus petit) bateau (pour en sortir).

190. Tu es réputé dans ce monde, comme le meilleur de tous ceux qui connaissent les armes ici bas. Tu n’as jamais commis la moindre faute.

191. Quand nous serons à demain, et que le soleil sera levé, (resplendissant) comme lui, tu vaincras les ennemis dans le combat, sous le regard de tous les êtres.

192. Mais l’acte (que tu médites), indigne de toi, serait blâmé, (et considéré) comme (une tache de) sang sur une (étoffe) blanche. Telle est ma pensée.

193. Açvatthâman répondit : Ce que tu as dit est incontestablement vrai, ô frère de ma mère. Mais cette digue (du devoir) n’a-t-elle pas tout d’abord été brisée en cent morceaux (par nos ennemis) ?

194. Sous vos yeux, et en présence de tous les (rois) protecteurs de la terre, mon père, qui avait déposé les armes, a été abattu par Dhrishtadyoumna.

195. Karna, le meilleur des maîtres de char, quand la roue de son char vint à tomber, et qu’il se trouva dans la plus grande détresse, fut tué par l’archer porteur de Gândîva,

196. De même Bhîshma, fils de Çântanou, après avoir déposé son épée et s’être désarmé, a été tué par (le même) archer porteur de Gândîva, abrité par Çikhandin.

197. Le grand archer Bhoûriçravas, dont la mort (volontaire) était prochaine, a été abattu par Youyoudhâna, (malgré) les cris [de réprobation) des (rois) protecteurs de la terre,

198. Sous les yeux desquels Douryodhana, engagé dans un combat à la massue avec Bhîmasena, a été abattu déloyalement (par ce dernier).

199. Entouré de nombreux ennemis, le tigre des hommes était seul. Il a été abattu par Bhîmasena d’une manière que les règles réprouvent.

200. Les lamentations, rapportées par les messagers, et que j'ai entendues moi-même, du roi dont les cuisses sont brisées, me rongent le cœur.

201. Tels sont les Pâñcâlas. Ils sont méchants, injustes, ne font aucun cas des lois. Pourquoi ne les blâmes-tu pas de fouler aux pieds la droiture ?

202. Il m’est égal, quand je renaîtrai (en vertu de la transmigration), de devenir un insecte ou un oiseau, après que j’aurai, pendant la nuit consacrée au sommeil, frappé les Pâñcâlas qui ont tué mon père.

203. J’ai hâte d’accomplir ce que j’ai résolu, et, dans mon impatience à cet égard, d’où pourrait me venir le plaisir ou le sommeil ?

204. Il n’est pas né et ne naîtra pas dans ce monde, celui qui pourrait me détourner de la résolution (que j’ai prise) de les tuer.

205. Sañjaya : Le majestueux fils de Drona, après avoir ainsi parlé, fit atteler ses chevaux à l’écart, ô grand roi, et s’avança vers les ennemis.

206. Bhoja et le Çarattvatide, ces deux magnanimes (guerriers), lui dirent : « Pourquoi ton char de guerre est-il attelé et que veux-tu faire ?

207. Ô taureau des hommes, nous marchons ensemble avec toi, indifférents au plaisir ou à la peine. Tu ne dois pas éprouver de méfiance à notre égard. »

208. Et Açvatthâman, plein de colère en se rappelant le meurtre de son père, leur déclara ce qu’il avait fermement résolu de faire pour le (venger).

209. Après avoir tué avec des flèches aiguës, (leur dit-il), des centaines et des milliers de combattants, mon père, qui avait déposé les armes, fut terrassé par Dhrishtadyoumna.

210. Sans souci de commettre une action coupable, je tuerai certainement aujourd’hui, de la même manière, le méchant fils du roi des Pâñcâlas, alors qu’il aura dépouillé son armure.

211. (Quand il aura été) assommé par moi comme (on tue) le bétail, comment le méchant Pâñcâla pourrait-il obtenir les mondes supérieurs, que l’on conquiert par les armes ? Telle est ma pensée.

212. Ô guerriers d’élite, tourmenteurs des ennemis, hâtez-vous d’attacher vos armures, de prendre vos épées et de saisir vos arcs. Approchez-vous, et ayez l’œil sur moi.

213. Après avoir ainsi parlé, et être monté sur son char, ô roi, il s’avança vers les ennemis. Kripa et le Sattvatide Kritavarman le suivirent.

214. En s’avançant vers les ennemis, ces trois (héros) resplendissaient comme des feux allumés pour le sacrifice et arrosés de libations.

215. Ô Puissant, ils allèrent au camp (des ennemis), où tous les hommes étaient endormis, et quand ils furent arrivés à la porte, le grand guerrier fils de Drona s’arrêta.






CHAPITRE VI


PENSÉES DU FILS DE DRONA


Argument : Le Dronide aperçoit à la porte (du camp) un fantôme d’aspect terrible, qui rend toutes ses armes impuissantes. Désarmé, il voit tout l’atmosphère rempli d’autres fantômes effrayants. Il réfléchit à son malheur et prend la résolution d’implorer le secours de Mahâdeva.


216. Dhritarâshtra dit : Ô Sañjaya, dis-moi ce que firent alors les deux (guerriers) Bhoja et Kripa, quand ils eurent vu le Dronide arrêté à la porte (du camp).

217. Sañjaya dit : Le grand guerrier fils de Drona, l’âme remplie de chagrin, ayant appelé Kritavarman et Kripa, se dirigea vers cette porte.

218. S’en étant approché, il la vit occupée par un Être de haute stature, brillant comme la lune et le soleil, et dont (la vue) faisait hérisser le poil (de terreur).

219. Cet (Être) était vêtu d'une peau de tigre, à travers laquelle du sang jaillissait en abondance. Il portait une peau (d’antilope) noire pour vêtement supérieur, et un serpent en guise de cordon sacré.

220. Il avait des bras grands et gros, qui brandissaient des armes de diverses sortes. Un grand serpent lui servait de bracelet. Un feu, disposé (autour de sa tête), lui formait une couronne de flammes.

221. Il était effrayant, avec la bouche baillante, armée de défenses terribles, et les milliers d’yeux dont il était pourvu.

222. On ne saurait décrire ni son corps, ni son habillement. Les montagnes (elles-mêmes) se seraient, de toutes parts, fendues (de terreur) à sa vue.

223. On voyait sortir de grandes flammes de sa bouche, de ses deux narines, de ses deux oreilles, et, de tous côtés aussi, de ses mille yeux.

224. De ces rayons de flamme, on voyait (sortir), par centaines et par milliers, des Hrishikeças porteurs de conques, de disques et de massues.

225. Le fils de Drona, sans crainte, à la vue de cet Être merveilleux capable de remplir le monde de terreur, le couvrit d’une pluie de traits divins.

226. Mais cet Être énorme dévorait les flèches lancées par le fils de Drona, comme le feu des bouches de Vadavâ engloutit les flots de l'Océan.

227. Le monstre dévorait les traits lancés par le Dronide. Açvatthâman, voyant l’inutilité de cette multitude de flèches,

228. Lui lança la hampe du drapeau de son char, brillante comme la flamme du feu. Cette arme à la pointe étincelante se brisa après avoir touché (son but),

229, 230. Comme un grand météore, tombé du ciel, après avoir frappé le soleil à la fin du youga (âge du monde). Il se hâta de tirer de son fourreau, pareil à un serpent brillant qui sort de son antre, un glaive divin à poignée d’or, ayant la couleur de l’éther. Puis le sage (Açvatthâman) frappa de cet excellent glaive, cet être (surnaturel).

231, 232. Cette (arme), ayant atteint le monstre, s’engagea (dans son corps, et disparut) comme un ichneumou dans une caverne. Alors, brûlant de colère, le fils de Drona lui lança une massue flamboyante, pareille à l’étendard d’Indra. Mais le fantôme la dévora. (Acvatthâman), n’ayant plus d’armes, regardant de côté et d’autre,

233. Vit l’atmosphère rempli de Janârdanas (Vishnou-Krishna, tourmenteur des hommes). À la vue de ce prodige, le fils de Drona, dépourvu d’armes,

234. Et très affligé, se rappela les paroles de Kripa, et dit : « Celui qui n’écoute pas les paroles désagréables, (mais) utiles, que ses amis lui adressent,

235. Le déplore quand il tombe dans le malheur, comme moi, qui n’ai pas eu égard aux conseils de mes deux amis. L’ignorant qui, ne s’en tenant pas (aux conseils de ceux qui) sont instruits des règles, veut tuer (ses ennemis)

236, 237. En sortant du chemin du devoir, trouve sa perte dans la mauvaise voie (où il s’est engagé). Il ne faut pas user de ses armes contre les vaches, les brahmanes, les rois, les femmes, contre sa mère, son ami, son gourou, contre ceux qui ont une faible constitution, contre les fous, les aveugles, ceux qui sont endormis, ceux qui sont effrayés, ceux qui viennent de s’éveiller, contre les hommes ivres, les insensés, et ceux qui ne sont pas sur leurs gardes.

238. Les gourous d’autrefois ont toujours enseigné aux hommes cette (règle de conduite). Moi, après avoir abandonné la voie éternelle enseignée par les préceptes (des sages),

239. Et m’être engagé ainsi dans une mauvaise direction, je suis tombé dans un malheur terrible. Les sages disent qu’il est très déplorable,

240. Qu’ayant commencé une importante entreprise, la crainte nous oblige à reculer, et que nous n’ayons pas la force nécessaire pour l’achever.

241. Certes, l’action humaine ne (saurait être) plus puissante que le destin. Si, par suite de la destinée, l’œuvre d’un homme ne réussit pas, (au gré de) celui qui l’accomplit,

242. Celui-ci, (s’il est) sorti de la voie régulière, tombe dans le malheur. Les sages disent que c’est (le résultat de sa) folie,

243. Si, quand (un homme) a commencé, ici bas, une action quelconque, la crainte l’empêche (de la terminer). C’est ma mauvaise conduite qui m’attire la crainte que (j’éprouve en ce moment).

244. Certes, le fils de Drona ne saurait, en aucune façon, tourner le dos dans le combat, et cet Être énorme me fait l’effet de la verge du Destin, levée (sur moi pour me châtier).

245, 246. J’ai beau y réfléchir de toutes les façons, (je ne puis pas arriver à) voir clair dans ce qui s’est passé. C’est assurément le fruit terrible de ma sotte idée, mise injustement en action, (le fantôme étant) destiné à la faire échouer. Aussi, si je recule dans le combat, c’est par l’ordre du Destin,

247. Sans le concours duquel on ne peut rien faire. (La situation étant telle), je vais implorer la protection du puissant Mahâdeva.

248. Il détournera (de ma tête) ce terrible bâton du Destin, (levé sur moi pour me châtier). Je m’adresserai à Kapardin (Çiva), dieu des dieux, époux d’Oumâ, à Anâmaya (Çiva sain),

249. À Roudra (Çiva), qui porte une couronne de crânes, à Hara (Çiva destructeur), à Bhaganetrahara (Çiva qui a le soleil pour œil), car ce dieu surpasse les (autres) dieux en ascétisme et en force.

250. C’est pourquoi j’implore la protection de Girîça (Çiva maître des montagnes), qui tient une lance à la main. »







CHAPITRE VII


ADORATION DE ÇIVA PAR LE FILS DE DRONA


Argument : Prière à Mahâdeva. Un autel apparaît, et, sur cet autel, un feu. Apparitions nombreuses et fantasques. Fermeté du fils de Drona, qui prépare un sacrifice et s’offre comme victime. Mahâdeva apparaît, donne à Açvatthâman un glaive merveilleux, et pénètre dans son corps.


251. Sañjaya dit : Après avoir fait ces réflexions, ô maître des hommes, le fils de Drona descendit de son char et s’inclina devant le maître des dieux.

252-261. Le Dronide dit : Avec ma faible intelligence, l'esprit purifié, je me sacrifie au moyen d’une offrande douloureuse au terrible Sthânou, Çiva, Roudra, Çarva, îçana, îçvara, au dieu Girîça, à Varada (qui comble les désirs), au maître qui apporte le salut ; à Çitikantha (qui a le cou bleu), à Aja (qui n’est pas né), à Çoukra (brillant), au ravisseur du sacrifice de Daksha, à Hara, à Viçvaroûpa (qui a toutes les formes), à Viroûpâksha (qui a des yeux de diverses formes), à Bahouroûpa (multiforme), à l’époux d’Oumâ, au farouche Çmaçânavâsin (habitant dans les cimetières), chef d’une nombreuse troupe, à Vibhou (le puissant), à Khatvângadhârin (porteur du bâton d’ascète mendiant), à Roudra Jatila (qui a des tresses de cheveux), à (celui qui vit en brahmaçârin (pratiquant les règles brahmaniques), à Tripouraghâtin (destructeur de la ville de Tripoura, triple, faite de fer, d’or et d’argent), à celui qui a été loué, qui mérite d’être loué et qui est loué, à Amogha (non vain), à Krittivâsas (qui a un habit de peaux), à Vilohita (rouge), à Nîlakantha (qui a le cou bleu), à celui auquel on ne peut résister, à celui qu’il est difficile de repousser, à Çakra, créateur des brahmanes, à Brahma (la prière), à Celui qui mène la vie de brahmacârin, qui est soumis à des vœux, qui pratique l’ascétisme, à Ananta la voie de ceux qui pratiquent l’ascétisme , à Bahouroûpa ( qui a plusieurs formes), à Ganâdyaksha (Ganeça maître des troupes), à Tryaksha (qui a trois yeux), cher à ceux qui l’accompagnent, maître des trésors (comme ami de Kouvera dieu des richesses), à Celui qui a pour face la terre, au favori de cœur de Gaurî (épouse de Çiva), au père de Koumâra, à Celui qui est rouge jaune, qui a pour monture préférée un taureau, à Celui qui est entièrement occupé de la parure d’Oumâ, à Celui qui est couvert d’un vêtement léger, (à Celui qui est) très terrible, supérieur, plus grand que les plus grands, auquel on ne connaît pas de supérieur, au maître du suprême astra des flèches, au protecteur du monde, au dieu à la cuirasse d’or, ayant la lune pour ornement de tête. Je m’approche du dieu protecteur, en me livrant à la méditation suprême.

262. Si je traverse aujourd’hui cette difficulté terrible et très difficile à surmonter, j’offrirai au pur Çiva une offrande de prière (formée) de tous les éléments.

263. (Le dieu) ayant connu, par l’application d’esprit de cet homme aux œuvres pieuses, que telle était sa volonté, un autel doré apparut devant ce magnanime.

264. Sur cet autel, ô roi, il s’éleva un feu, qui remplissait en quelque sorte de flammes les points cardinaux et les espaces intermédiaires.

265. (On y vit alors) des êtres ayant la bouche et les yeux flamboyants, des êtres ayant de nombreux pieds et de nombreuses mains, des porteurs de bracelets divers de pierres précieuses, qui tenaient les mains levées.

266. Il apparut aussi de nombreuses troupes (d’êtres) ayant l'aspect d’éléphants ou de rochers. Il y en avait qui avaient la forme de chiens, de sangliers, de chameaux, la tête de chevaux, de chacals, de bœufs,

267. Des visages d’ours ou de chat, des têtes de tigres, de corneilles, de singes, de perroquets,

268. De brillants avec des têtes de grands boas, ou de flamants, de grimperaux, de coracas indien, ô Bharatide,

269. De tortues et de crocodiles, de dauphins du Gange, de tourterelles et de plongeons,

270. De lions, de hérons kraunca, de pigeons, d’éléphants. Des (êtres) ayant la tête de grands makaras (monstres marins), de timi (gros poissons de proie),

271. Des oreilles aux mains, mille yeux, de grands ventres, de décharnés, d’autres avec des têtes de corneille ou de faucon, ô Bharatide,

272. D’autres n’ayant pas de têtes ou ayant des têtes d’ours, ô roi, ou avec les yeux et la langue de feu, ô Bharatide, (ou bien) avec des oreilles de flammes,

273. Des chevelures de flammes, le poil du corps et les quatre membres formés de flammes, ô Indra des rois, d’autres avec des têtes de béliers ou de chèvres, ô roi,

274. D’autres pareils à des conques, ayant des têtes (formées par) des conques, ayant pour oreilles des guirlandes de conques, des troupes (d’êtres) dont la voix ressemblait au son des conques,

275. Des porteurs de tresses, de cinq toupets, (ou) ayant la tête rasée, des (êtres) ayant le ventre mince, (d’autres avec) quatre défenses, quatre langues, des oreilles en forme de) chevilles, des diadèmes.

276. Des porteurs de ceintures d’herbe mouñja, ô Indra des rois, (ou) avec des cheveux bouclés, des porteurs de turbans et de cimiers, des (êtres) à la figure agréable, de bien parés,

277. Des porteurs de guirlandes de lotus et de fleurs de lotus, ainsi que des porteurs de cimiers. Des centaines et des milliers (d’êtres) majestueux.

278. Des êtres ayant à la main la çatghni ou la foudre, ou portant des pilons dans leurs mains, ou bien des cordes, des bhouçoundis (sorte d’arme), ou des bâtons, ô Bharatide .

279. Des (êtres) portant sur le dos des carquois attachés, garnis de flèches diverses. Des porteurs de grelots et de haches,

280. Des (êtres) brandissant de grandes cordes, des bâtons ferrés, ayant à la main des poteaux ou des glaives, ou couronnés de diadèmes hérissés de serpents,

281. Des porteurs de grands serpents en guise de bracelets , des porteurs d’ornements variés , d’étendards couverts de poussière ; des êtres souillés de boue, tous (ceux) qui ont des vêtements et des guirlandes de couleur blanche,

282-283. Des êtres au corps bleu sombre ou jaunâtre, étaient rassemblés ; joyeux, ayant l’éclat de l’or, ils chantaient en faisant résonner des conques et des tambours jharjaras, (ou) anakas, ou des gomoukhas (instruments de musique) ; d’autres dansaient.

284. De grands guerriers sautaient, nageaient, agitaient leurs membres, couraient, ayant la tête rasée ou la chevelure flottante au vent,

285. Terribles, d’aspect effrayant, rugissant incessamment comme de grands éléphants en rut, portant à la main des piques ou des lances tranchantes,

286. Couverts de vêtements de diverses couleurs, parés de guirlandes et d’onguents brillants, de bracelets resplendissants, de pierres précieuses, les mains levées.

287. Héros à la force indomptables, destructeurs de leurs ennemis, s’abreuvant de flots de sang et de graisse, se nourrissant de chair,

288. Ayant une touffe de cheveux sur le sommet de la tête, ayant des ornements d’oreilles de jais ; (quelques-uns) avaient des pots pour ventre. (Il s’en trouvait) de très longs et de très courts, de pendants, d’effroyables

289. De longs, (d’autres) avec la lèvre inférieure noire et pendante, (ou) le pénis et les boules testiculaires développées ; (quelques-uns) avec la tête rasée, d’autres avec des tresses.

290. Ces (êtres), qui auraient été capables d’anéantir l’ensemble des créatures, qui est de quatre sortes, auraient pu également faire tomber sur le sol de la terre, le ciel avec le soleil, la lune, les planètes et les maisons lunaires.

291. Inaccessibles à toute crainte, ils auraient été capables (de supporter) le froncement des sourcils de Hara. Doués de mains qui accomplissaient tous leurs désirs, maîtres suprêmes des trois mondes.

292. Amusés par des plaisirs continuels, éloquents, exempts d’envie, possédant les huit (grandes) qualités, ils ne s’abandonnaient pas à l’orgueil.

293. L’adorable Hara ne cesse jamais d’être étonné de leurs actes, et il est constamment favorable à leurs pensées, leurs paroles et leurs actions.

294. Il protège (ces êtres qui lui sont) dévoués en pensées, en paroles et en actions, comme (il protégerait) ses propres fils. (Parmi ces êtres), d’autres, irrités, boivent constamment le sang et la graisse des ennemis de Bratima.

295-298. Ils boivent sans cesse le soma, qui est de quatre sortes. S’étant, par l’étude des védas, la chasteté (état de brahmacarya), l’ascétisme et le fait de se dompter, rendu favorable Celui qui a une lance pour signe, ils sont parvenus à l’union avec Çiva. Avec cette grande troupe d’êtres, devenus partie intégrante de lui-même, et avec Pârvati (Dourgâ), Maheçvara (le grand maitre), maître du passé, de l’avenir et du présent, goûte le soma.

Ils entourèrent Açvatthâman, en faisant trembler tout (l’univers), avec le son de divers instruments de musique, avec des rires, des grognements, de grands cris et des rugissements, glorifiant Mahâdeva, et produisant une lumière très éclatante,

299. Désireux de faire un grand honneur au fils de Drona, de s’assurer de son énergie, et d’être témoins (de l’attaque) qui devait avoir lieu pendant le sommeil (de ses adversaires).

300. Tenant dans leurs mains de fortes et terribles barres de fer, des tisons, des piques et des lances tranchantes, ces multitudes d’êtres de formes effrayantes, s’approchèrent de toutes parts.

301. Leur vue était capable de remplir de crainte l’ensemble des trois mondes. En les voyant, le très fort (Açvatthâman) ne ressentit aucune frayeur.

302. Le fils de Drona, ayant à la main son arc auquel il avait mis la corde, et ayant attaché l’angoulitra (gant protecteur), se présenta lui-même comme offrande.

303. Des arcs furent le combustible, des flèches aiguës devinrent les libations, et son âme fut l’offrande, ô Bharatide.

304. Alors, avec un excellent mantra (incantation), le majestueux fils de Drona, enflammé d’une grande colère, se présenta lui-même comme oblation.

305. Ayant glorifié cet impérissable Roudra, que ses œuvres formidables rendent terrible, et ayant fait l’añjali, il s’adressa en ces termes au magnanime Mahâdeva,

306. Le Dronide dit : Ô Adorable, je verse sur le feu (du sacrifice), cette âme qui est la mienne, à moi né dans la famille d’Angiras. Accepte-moi présentement en qualité d’offrande.

307. Ô Mahâdeva, âme universelle, je me présente devant toi dans cette adversité, par dévotion pour toi, et l’esprit livré à la méditation la plus profonde.

308. En toi sont tous les êtres, et tu es dans tous les êtres. On trouve en toi la réunion des qualités les plus éminentes.

309. Étant donné que mes ennemis ne peuvent pas (être vaincus) par moi, ô Puissant, refuge de tous les êtres, accepte-moi pour offrande.

310. Après avoir ainsi parlé, le fils de Drona monta sur cet autel, où le feu était allumé. Ayant fait l'abandon de lui-même, il monta sur cet autel et s’assit dans le feu.

311. En le voyant les bras levés, immobile, et passé à l’état d’offrande, Mahâdeva lui dit en souriant, et en se montrant (à lui) :

312, 313. « J’ai été vraiment honoré par la fermeté dans l’action, la véritable pureté, le renoncement, l’ascétisme, les austérités, la patience, les pensées, la sagesse et les paroles de Krishna. Aussi, je ne vois pas un autre homme qui me soit plus cher que lui.

314. Pour lui faire honneur et pour t’éprouver, je viens de protéger les Pâñcâlas, et de produire à plusieurs reprises, des prestiges magiques (en leur faveur).

315. En protégeant les Pâñcâlas, je l’ai honoré, mais ils sont vaincus par le destin, et il n’y a plus à espérer de vie pour eux. »

316. Après avoir ainsi parlé au magnanime (Açvatthâman), l’adorable (Mahâdeva), lui donna un grand et excellent glaive, et pénétra dans son corps.

317. Pénétré par Bhagavant (l’adorable), il brilla d’une plus grande énergie engendrée par le dieu, et qui le rendit impétueux (dans les combats).

318. De toutes parts, des êtres invisibles et des rakshasas se rassemblèrent autour de lui, alors qu’il ressemblait au roi des dieux et qu’il se dirigeait vers le camp des ennemis.





CHAPITRE VIII


COMBAT NOCTURNE


Argument : Questions de Dhritarâshtra. Kripa et Kritavarman se tiennent à l’entrée du camp pour empêcher les ennemis d’échapper. Açvatthâman pénètre dans le camp. Mort de Dhrishtadyoumna. Terreur des femmes, des gardiens et des kshatriyas. Mort d’Outtamaujas, de Youyoudhâna et d’autres Pâñcâlas. Mort des fils de Draupadi, Prativindhya, Soutasoma, Çatânika, Çroutakarman, Çroutakirti. Mort de Çikhandin, des Prabhadrakas, et des soldats de Virâta. Massacre général. Description du tumulte et du désordre dont le camp est le théâtre. Kripa et Kritavarman mettent le feu au camp. Gémissements des soldats que l’on massacre. Joie des noctivagues et des carnassiers. Départ joyeux de Kripa, de Kritavarman et du Dronide. Dhritarâshtra demande pourquoi Açvatthâman n’a pas agi ainsi plus tôt. Sañjaya répond que c’est par crainte de la force des fils de Pàndou. Les trois Dhritarâshtrides se rendent auprès de Douryodhana, qui est en train de mourir.


319. Dhritarâshtra dit : Quand le grand guerrier fils de Drona fut arrivé au camp, est-ce que Kripa et Bhoja ne reculèrent pas, remplis de crainte ?

320. Quoique n’étant ni arrêtés ni surpris par des yeux vils, ces deux grands guerriers ne se désistèrent-ils pas de leur entreprise, en se disant : « C’est une chose impossible ? »

321. Ou bien, est-ce que, après avoir cruellement traité le camp, et tué les Somakas et les Pândouides, ils suivirent la voie très honorable, que Douryodhana leur avait tracée ?

322. Ou bien (enfin), ces deux héros furent-ils tués par les Pâñcâlas endormis à terre, (quand ils les eurent assaillis) ? Accomplirent-ils leur entreprise ? Raconte-moi cela, ô Sañjaya,

323. Sañjaya dit : Le fils magnanime de Drona étant arrivé au camp, Kripa et Kritavarman se tinrent à l’entrée.

324. Açvatthâman, ô roi, joyeux de voir ces deux grands guerriers (disposés à) faire tous leurs efforts (pour favoriser son projet), leur adressa d’une voix caressante les paroles suivantes :

325. « Si, à vous deux, vous êtes capables d’exterminer la caste entière des Kshatriyas, à plus forte raison (pourrez-vous venir à bout) de ce (misérable) reste de combattants, endormis pour la plupart.

326-327. Je vais entrer dans le camp et j’y agirai comme (le dieu de) la mort (en personne). Vous devez faire en sorte que nul homme vivant n’échappe (par la fuite). Telle est ma pensée. » Après avoir ainsi parlé, le fils de Drona entra dans le camp des fils de Prithâ,

328. En (y) sautant par un endroit où il n’y avait pas de porte. Sans crainte pour lui-même, ce grand guerrier, qui connaissait les lieux, une fois entré,

329. S’avança doucement vers la tente de Dhrishtadyoumna. Les grands guerriers, très fatigués des exploits qu’ils avaient accomplis dans la bataille,

330. Écrasés de lassitude après avoir couru de côté et d’autre, s’étaient endormis ; et, ô Bharatide, étant entré dans la tente de Dhrishtadyoumna,

331. Le fils de Drona vit près de lui le Pâñcâlien, endormi sur un grand lit de lin blanc, entouré de tapis précieux,

332-333. Orné de magnifiques guirlandes, parfumé à l’aide de fumigations et de poudres (odorantes). Il réveilla du pied ce magnanime qui, exempt de toute crainte, reposait avec confiance sur son lit. S’étant reveillé au contact du pied (de son ennemi) et s’étant levé, ce (héros) que le combat enivrait,

334-335. À la grandeur d’âme incommensurable, reconnut le grand guerrier, fils de Drona. Au moment où il s’élançait hors de son lit, le très fort Açvatthâman le prit avec les deux mains par les cheveux, et l’écrasa à terre ; jeté violemment sur le sol par cet (adversaire), ô Bharatide, la crainte

336. Et le sommeil le mirent dans l’impossibilté de bouger. Ô roi, (Açvatthâman), lui foulant avec les pieds la gorge et la poitrine,

337. Le fit mourir comme on tue les bestiaux, alors que sa victime criait et tremblait. Dhrishtadyoumna, en le frappant avec ses ongles, disait au fils de Drona, d’une voix à peine intelligible :

338. « Ô fils du précepteur, vaincs-moi avec une épée et ne me fais pas longtemps (souffrir). Ô le plus grand des hommes, que, poussé par ton aide, je (puisse) atteindre les mondes heureux. »

339. Après avoir ainsi parlé, le tourmenteur des ennemis, fils du roi des Pâñcâlas, violemment saisi par son robuste (adversaire), se tut.

340. Après avoir entendu ses paroles à peine intelligibles, le fils de Drona lui dit : « Ô opprobre de la terre, les mondes (supérieurs) ne sont pas faits pour ceux qui tuent leurs précepteurs .

341-342. Tu ne mérites donc pas de périr par l’épée, ô insensé. » En parlant ainsi, dans sa colère, il frappait très cruellement ce héros à coups de pied, dans les parties vitales. (Il le tua), comme un lion tue un éléphant affolé. Aux cris de ce héros mourant sous sa tente,

343. Ô grand roi, ses femmes et ses gardes s’éveillèrent. En voyant cet (homme) à la force surhumaine, qui portait à leur maître des coups mortels,

344. Supposant que c’était plus qu’un homme, la crainte les rendit silencieux. Après avoir envoyé (Dhrishtadyoumna), de la manière qui a été dite, au séjour d’Yama,

345. L’héroïque (Açvatthâman) retourna vers son char, sur lequel il monta, et s’éloigna de ce lieu, en faisant résonner l’espace, ô roi.

346. Le robuste fils de Drona, désireux de tuer les ennemis, monté sur son char, s’avança dans le camp. Quand ce grand guerrier fut parti,

347. Toutes les femmes, extrêmement désolées, se mirent à pousser des cris, ainsi que tous les gardes réunis, en voyant le roi privé de vie.

348. Ô Bharatide, tous les kshatriyas de Dhrishtadyoumna poussèrent de grands cris. Au bruit fait par ces femmes, tous les excellents kshatriyas qui se trouvaient dans le voisinage,

349. Se hâtèrent de s’équiper et vinrent demander ce qui s’était passé. Ces femmes, ô roi, épouvantées à la vue du Bharadvâjide,

350. Leur dirent d’une voix empreinte de chagrin : « Courez rapidement après le (meurtrier). Nous ne savons pas si c’est un homme ou un rakshasa.

351. Après avoir tué le roi des Pâñcâlas, il est monté sur son char et s'y tient. » Alors ces hommes (qui étaient) les premiers des guerriers, entourèrent immédiatement (le Dronide).

352. Il tailla en pièces avec l’arme de Roudra, tous ces kshatriyas qui fondaient sur lui. Après avoir tué Dhrishtadyoumna et ses compagnons,

353-354. Il vit Outtamaujas endormi près de là sur un lit. S’en étant approché, il fit, comme il l’avait fait (pour le roi des Pâñcâlas), mourir ce dompteur des ennemis rugissant, (en lui appuyant), avec force, le pied sur la gorge et sur la poitrine. Youdhyamanyou (étant arrivé), et croyant (Outtamaujas) tué par un rakshasa,

355. Leva sa massue et frappa violemment le fils de Drona (dans la région) du cœur. (Celui-ci), ayant couru sur lui, le saisit et le jeta à terre

356. Malgré sa résistance ; il le fit périr comme (on tue) un animal. Après l’avoir tué, ce héros attaqua d’autres

357. Grands guerriers qui venaient de s’endormir çà et là, et qui, (réveillés en sursaut), tremblaient et criaient, ô Indra des rois, comme, dans un sacrifice, le combustible (consume) les bestiaux,

358. Puis, ayant tiré son épée, dont il était habile à se servir, il tua isolément d’autres (ennemis), en parcourant successivement les rues du camp.

359. Ayant aperçu deux goulmas (petites troupes), il écrasa sur le champ les soldats qui les composaient et qui, fatigués, avaient déposé leurs armes et se livraient au sommeil.

360. Ayant tout le corps baigné de sang, jouant le rôle de la mort comme Antaka, il taillait en pièces, avec cette excellente épée, les combattants, les chevaux et les éléphants.

361. Le fils de Drona était couvert du sang de ces malheureux qui se débattaient, etpar (reflfet) des grands coups de trois sortes différentes, de son glaive et de son épée 2

362. L’aspect, en quelque sorte surhumain, et très effrayant, de ce guerrier rouge de sang, porteur d’un glaive brûlant, resplendissait (de majesté).

363. Ceux qui s’éveillaient, ô Kourouide, affolés par le bruit, se regardaient les uns les autres, et tremblaient de terreur à chaque coup d’œil qu’ils échangeaient entre eux.

364. Ces kshatriyas, en voyant l’aspect de ce destructeur de ses ennemis, fermaient les yeux (d’effroi), le prenant pour un rakshasa.

365. (Le fils de Drona), dont l’aspect était terrible, parcourant le camp de côtés et d’autres, à la manière de la mort, aperçut les fils de Draupadî, et les Somakas qui restaient encore.

366. Ô maître des hommes, les grands guerriers fils de Draupadî, l’arc à la main, effrayés par le bruit, ayant entendu dire que Dhrishtadyoumna était tué,

367, 368. Couvrirent intrépidement le Bharadvâjide d’une multitude de traits. Alors, les Prabhadrakas et Çikhandin, réveillés par le tumulte, blessèrent le fils de Drona, avec des flèches çilîmoukhas. Ce Bharadvâjide les voyant l’arroser d’une pluie de flèches,

369. Ce grand et vigoureux guerrier, désireux de les tuer, poussa un cri (retentissant). Puis, très excité en se rappelant le meurtre de son père,

370. Il descendit du siège de devant de son char et se hâta de les attaquer. Ayant saisi, pour combattre, son bouclier blanc, orné de mille lunes,

371. Et son glaive divin et sans tache, orné d’or, le fort (Açvatthâman) ayant attaqué les fils de Draupadî, les dispersa avec ce glaive.

372. Puis, ô roi, dans ce grand combat, il frappa au ventre le tigre des hommes Prativindhya (fils de Youdhishthira), qui tomba mort.

373. Mais le majestueux Soutasoma (fils de Bhîma), ayant atteint le fils de Drona d’un javelot, courut sur lui l’épée haute.

374. Le taureau des hommes, ayant coupé le bras de Soutasoma qui tenait l’épée, le frappa aussi dans le côté. Ce (prince) tomba (à terre), le cœur percé.

375. L’héroïque Çatânîka, fils de Nakoula, ayant levé à deux mains une roue de char, en frappa avec violence (le fils de Drona) dans la poitrine,

376. Ce brahmane s’attaqua à Çatânika, qui avait lâché sa roue et qui tomba défaillant à terre ; après quoi il lui enleva la tête.

377. Çroutakarman, ayant saisi une barre de fer, courut attaquer le fils de Drona et l’atteignit au bras gauche, qui portait le bouclier.

378. Mais celui-ci frappa au visage, de son excellente épée, Çroutakarman qui, défiguré, tomba à terre sans connaissance et mourut.

379. Le grand guerrier, le brave Çroutakîrti (fils d’Arjouna), attiré par le bruit, ayant (à son tour) attaqué Açvatthâman, le couvrit d’une pluie de flèches.

380. Celui-ci s’en garantit avec son bouclier, et lui enleva du tronc la tête ornée de brillantes boucles d’oreille.

381. Le fort (Açvatthâman) frappa de toutes parts, avec différentes armes, le héros meurtrier de Bhîshma, avec tous les Prabhadrakas,

383. Il lui fixa entre les deux sourcils une seconde flèche çilîmoukha. Dans sa colère, le très fort fils de Drona,

383. Ayant attaqué Çikhandin, le coupa en deux avec son épée. Puis, le tourmenteur des ennemis, plein de colère, après avoir tué Çikhandin,

384. Attaqua avec violence tous les Prabhadrakas et courut avec impétuosité sur ce qui restait de l’armée de Virâta,

385, 386. Le très fort fils de Drona, habile (à manier) l'épée, tailla en pièces avec son glaive, après les avoir successivement envisagés et assaillis, les fils, les petits-fils et les amis de Droupada, et en fit un massacre terrible.

387, 388. Ces (Pândouides) virent une femme noire, ayant la bouche et les yeux rouges, des guirlandes et des collyres rouges, des vêtements rouges. C’était la nuit de la mort qui, ayant attaché avec de terribles chaînes les hommes, les chevaux et les éléphants, chantait et s’avançait solitaire.

389. Emportant, liés avec la corde (qui sert à entraîner les défunts dans l’empire d’Yama), divers fantômes sans cheveux, et aussi de grands guerriers qui avaient déposé les armes.

390. Les plus éminents des guerriers, pendant d’autres nuits, ô vénérable, avaient vu en songe (ce fantôme) entraînant les gens endormis. (Ils avaient également vu) le Dronide frappant sans interruption.

391. Depuis le commencement de la guerre entre les Kourouides et les Pândouides, ils voyaient, (dans leurs rêves), cette femme et le Dronide.

392. Le fils de Drona abattait maintenant ceux qui avaient d’abord été condamnés par le Destin, faisant trembler par ses cris tous les êtres, (et même les guerriers) formidables dans les combats.

393. Ces héros, en butte aux rigueurs du sort, se souvenant de ce qu’ils avaient vu en songe, se disaient : « C’est cela même. »

394. Alors, dans le camp des Pândouides, des centaines et des milliers d’archers, éveillés par le tumulte (du combat, s’efforcèrent) de s’opposer (au fils de Drona).

395. Celui-ci coupa, aux uns les deux pieds, aux autres les parties postérieures (du corps). Pareil à Antaka, auquel le temps permet d’accomplir son œuvre destructrice, il en coupa d’autres en travers.

396. Ô roi, la terre était couverte (de guerriers) cruellement broyés, (de ceux qui) poussaient des cris violents et désespérés, et des autres qui étaient écrasés par les chevaux et par les éléphants.

397. Le fils de Drona était devenu l’Antaka de ces guerriers qui s’écriaient : « Qu’y a-t-il ? Quel est celui-ci ? Quoi donc ? D’où vient ce bruit ? »

398. Le fils de Drona, le meilleur des combattants, envoya au monde de la mort les Pândouides et les Sriñjayas, (qui auraient dû être) armés, mais qui avaient déposé leurs armes et leurs cuirasses.

399. Alors, inconscients, malades de peur, engourdis par le sommeil, épouvantés par l'épée (d’Açvatthâman), ils s’affaissaient à l’endroit même où ils s’étaient éveillés.

400. Extrêmement épouvantés, les membres paralysés par la terreur, l’effroi leur enlevait leurs forces ; ils criaient (et) s’attaquaient les uns les autres.

401. Alors, le fils de Drona, monté sur son char qui produisait un bruit terrible, prit son arc et envoya les uns, avec ses flèches, au séjour d'Yama.

402. (Pendant) que, de loin, il désignait pour la nuit de la mort, d’autres héros, les plus grands des hommes, qui venaient de se lever (de leur lit) et qui couraient sur lui.

403. Il parcourait (le camp), écrasant sous son char les ennemis, qu’il arrosait de pluies de traits de toutes sortes.

404. Il courut de nouveau parmi eux, avec son bouclier brillant, orné de cent lunes, et son épée couleur de l’éther.

405. Ô Indra des rois, ce fils de Drona, irrésistible dans les combats, mettait le trouble dans le camp des (Pândouides), comme un éléphant (trouble) un grand étang.

406. Ô roi, les soldats s’éveillaient au bruit (qu’il causait) ; hors d’eux-mêmes, encore engourdis par le sommeil et remplis de crainte, ils couraient de côté et d’autre.

407. Les uns criaient d’une manière discordante et prononçaient des paroles dépourvues de sens, sans être munis, ni de leurs armes, ni de leurs vêtements ;

408. D’autres, les cheveux détachés, ne se reconnaissaient plus entre eux. Quelques-uns, en se levant (de leur couche), retombaient, vaincus par la fatigue, ou couraient de côté et d’autre, (sans motif).

409. Des éléphants et des chevaux, ayant brisé leurs entraves, rendaient leurs excréments ou évacuaient leurs urines.

410. D’autres aussi couraient çà et là, causant un grand désordre. Quelques-uns, effrayés, se couchaient à terre,

411. Et les éléphants et les chevaux les écrasaient. Au milieu de ce tumulte, ô taureau des hommes, des rakshasas

412-414. Joyeux, poussaient de grands cris de plaisir, ô taureau des Bharatides. Ces cris, renforcés par (ceux) d’une multitude d’êtres réjouis (du carnage, faisaient) un bruit qui remplissait le ciel et les (différentes) directions de l’espace. Les éléphants et les chevaux lâchés dans le camp, effrayés par les cris de douleur, écrasaient les hommes en s’enfuyant de côté et d’autre. La poussière soulevée par leurs pieds, pendant qu’ils couraient ainsi çà et là,

415. Produisait dans le camp des (Pândouides), une obscurité qui accroissait celle de la nuit, et rendait de tous côtés les hommes perplexes.

416. Les pères ne reconnaissaient plus leurs fils ni les frères leurs frères. Les éléphants, (dans leur course), dépassant les éléphants, les chevaux sans cavalier dépassant les chevaux,

417. Les frappaient, les écrasaient et les broyaient. Ceux-ci, écrasés, tombaient à la suite de chocs mutuels, ô Bharatide.

418. Ils en faisaient tomber d’autres, qu’ils écrasaient. Les hommes, hors de leur bon sens, engourdis par le sommeil, enveloppés par l’obscurité,

419. Attirés par le bruit et, aussi, poussés par le Destin, se frappaient (les uns les autres). Les portiers ayant abandonné leurs portes, les hommes des goulmas désertant leurs goulmas,

420. Couraient (droit) devant eux, s’enfuyaient hors d’eux-mêmes, éperdus, et ne se reconnaissaient pas les uns les autres.

421. L’esprit égaré par le Destin, ils criaient : « Mon père ! Mon fils ! » Tout en fuyant, ayant abandonné leurs postes,

422. Les hommes se demandaient mutuellement du secours, (en se désignant les uns les autres) par leurs noms de familles. D’autres tombaient à terre, en poussant les cris de : Ah ! Ah !

423-425. Le fils de Drona, les entendant au milieu du combat, les arrêtait (en les tuant). D’autres kshatriyas, hors d’eux-mêmes, transis de peur (en se voyant) massacrer sans répit, s’enfuyaient du camp. Mais Kritavarman et Kripa tuaient à la porte ces guerriers effrayés qui s’y précipitaient, les cheveux déliés, ayant laissé tomber leurs armes et leurs cuirasses et faisant l’añjali.

426. Ils ne laissaient passer aucun de ces (hommes) effrayés et se lamentant. Aucun ne leur échappa en sortant du camp.

427. Et même, ô grand roi, Kripa et Kritavarman, tous les deux furibonds, désirant faire ce qui était agréable au fils de Drona, et même davantage (si c’était possible),

428-431. Mirent le feu au camp en trois endroits. Alors, ô grand roi, le camp étant éclairé, Açvatthâman, qui réjouissait (ainsi les mânes de) son père, put, en voyant ce qu’il faisait, le parcourir l’épée à la main. Le plus grand parmi les meilleurs des brahmanes, priva de la vie, avec son glaive, de nombreux héros qui couraient çà et là, et d’autres qui s’enfuyaient, ô grand roi. Cet héroïque fils de Drona, enragé de colère, abattit un grand nombre de soldats, en les coupant avec son glaive comme des tiges de sésame. Les meilleurs d’entre les hommes, les chevaux et les éléphants, harassés et criant,

432. Abattus, couvraient la terre de leur corps, ô taureau des Bharatides. Et, dans ces milliers d’hommes abattus et tués,

433-435. De nombreux corps sans tête (auxquels il restait encore un peu de vie), se relevaient et retombaient après s’être relevés. Le magnanime fils de Drona trancha des bras portant leurs armes ou ornés de bracelets, des têtes, des cuisses semblables à des trompes d’éléphants, des mains et des pieds, ô Bharatide. Il perça (de son glaive) les uns par le dos, les autres par les flancs. Il enleva la tête à d’autres. Il en coupa quelques-uns (en deux), par le milieu du corps, ou dans la région des oreilles. Il en mit d’autres en fuite.

436. En ayant atteint d’autres dans la région de l’épaule, il leur fit rentrer la tête dans le corps. Ô roi, pendant qu’il parcourait (le camp) ainsi, faisant de très nombreuses victimes,

437. L’obscurité rendait (plus) horrible (encore) cette terrible nuit. Les hommes n’ayant plus qu’un reste de vie, des milliers d’autres tués,

438, 439. De nombreux éléphants et de nombreux chevaux (morts ou mourants), rendaient la terre effrayante à voir. Ceux que le fils de Drona taillait en pièces dans sa colère, s’affaissaient sur le sol couvert de yakshas et de rakshasas, et que des (débris) de chars, de chevaux et d’éléphants, rendaient terrifiant.

440. Quelques-uns disaient : « Ce qui nous arrive pendant notre sommeil n’est pas l’œuvre guerrière des Dhritarâshtrides irrités, mais celle de cruels rakshasas.

441-442. Certes, c’est seulement à raison de l’absence des fils de Prithâ, que nous sommes (ainsi) massacrés. Le fils de Kountî, qui a pour protecteur Janârdana, ne saurait être vaincu, ni par les asouras, ni par les gandharvas, ni par les yakshas, ni par les rakshasas. Pieux, vérace, ayant ses sens domptés, rempli de sympathie pour toutes les créatures,

443. Le fils de Prithâ, Dhanañjaya, ne frapperait pas un homme endormi, ni un homme désarmé, ni (celui qui se soumet) en faisant l’añjali, ni celui dont les cheveux sont déliés et qui s’enfuit.

444. Ce traitement horrible nous est infligé par les rakshasas aux œuvres cruelles. » En parlant ainsi, de nombreux hommes se jetaient à terre.

445. Puis, bientôt, ce grand et tumultueux bruit d’hommes, dont les uns criaient et dont les autres rugissaient, s’apaisa.

446. En un instant, ô roi, la poussière qui s’était élevée, disparut, la terre étant complètement couverte de sang.

447. Ce (héros) irrité abattait par milliers les hommes terrifiés et découragés, comme (Roudra) maître des troupeaux (tue) les bestiaux.

448. Le fils de Drona broyait tous ceux qui s’étaient couchés à terre, ceux qui se tenaient accrochés les uns aux autres, ceux qui couraient, ceux qui s’étaient cachés et ceux qui combattaient.

449. Ce (brahmane), qui était à ton service, conduisait alors au séjour d’Yama, les uns et les autres, les guerriers qu’il avait tués et ceux que le feu consumait.

450. Ô Indra des rois, pendant la moitié de cette nuit, le fils de Drona envoya dans l’empire de la mort, la grande armée des Pândouides.

451. Cette nuit terrible, qui apportait la ruine complète des hommes, des éléphants et des chevaux, comblait de joie les noctivagues.

452. On voyait diverses sortes de rakshasas et de piçâcas, manger les chairs et boire le sang des hommes.

453. (Ils étaient) formidables, avaient le teint basané, des dents (dures) comme la pierre, de gros ventres. En forme de conques allongées, ils étaient couverts de poussière, portaient des tresses et avaient cinq pieds.

454. Ils avaient les doigts en arrière, étaient rudes, difformes, effrayants ; ils avaient le cou bleu et y portaient suspendus des multitudes de grelots.

455. Accompagnés de leurs femmes et de leurs enfants, cruels, sans aucune pitié, ils étaient affreux à voir. On y apercevait des rakshasas ayant des formes diverses.

456, 457. D’autres êtres carnassiers, vivant de nourriture animale, dévorant la chair des ennemis et buvant leur sang, joyeux et bien rassasiés, disaient, en parlant de la lymphe, du sang, de la moelle et de la graisse : « Ceci est excellent, succulent, agréable au goût. »

458. D’autres terribles carnivores de diverses formes, se nourrissant de chairs, le ventre gros, couraient çà et là, après avoir dévoré la graisse des (cadavres).

459. Il y avait là des myriades, des millions et des centaines de millions de grands rakshasas, aux formes effrayantes et aux œuvres cruelles.

460. Joyeux et satisfaits de ce grand carnage. Il s’y trouvait aussi un grand nombre (d’autres) êtres (terribles), qui s’y étaient réunis, ô maitre suprême des hommes.

461, 462. À l’aube, (Açvatthâman) songea à sortir du camp. Ô roi, la poignée de l’épée du fils de Drona était couverte de sang humain et soudée à sa main, avec laquelle elle ne semblait plus faire qu’un (membre) unique. Il avait parcouru une voie difficile à suivre. La destruction des hommes lui donnait un éclat (incomparable),

463. Ainsi qu’à la fin d’un youga, le feu qui a réduit tous les êtres en cendres. Ô roi, après avoir accompli cet exploit selon sa promesse, le fils de Drona,

464. Qui avait adopté une résolution difficile à exécuter, sentit s’évanouir la souffrance (que lui causait le souvenir du meurtre) de son père. Et, comme il était entré de nuit dans le camp (silencieux), dont les habitants étaient endormis,

465. De même, le taureau des hommes en sortit au milieu du silence, après avoir tué (ses ennemis). L’héroïque Açvatthâman, s’étant réuni à ses deux (compagnons) et étant sorti du camp,

466. Joyeux (lui-même), les réjouit en leur racontant ses exploits, ô Puissant. Alors, ces deux (autres guerriers, qui avaient à cœur) de faire ce qui lui était agréable, lui firent un récit qui lui plut.

467. (À savoir que) les Pâñcâlas et lesSrinjayas avaient, par milliers, été taillés en pièces (par eux). Ils poussaient des cris de joie et battaient des mains.

468. Certes, cette nuit fut aussi rendue terrible par le massacre des Somakas endormis, et qui ne se tenaient pas sur leurs gardes.

469. Sans aucun doute (dirent les trois Dhritarashtrides), il est difficile d’échapper aux vicissitudes du temps, puisque de tels hommes, après avoir consommé notre ruine, sont tués (à leur tour).

470. Dhritarâshtra dit : Pourquoi le grand guerrier, fils de Drona, ferme dans son (désir d’assurer) la victoire de mon fils, n’accomplit-il pas plus tôt ce grand exploit ?

471. Et pourquoi l’a-t-il exécuté après la mort du vil (Douryodhana) ? J’attends de toi que tu m’en apprennes la raison.

472. Sañjaya dit : Ô descendant de Kourou, la crainte (de la supériorité des ennemis) l’empêcha d’agir plus tôt. C’est par suite de l’absence des fils de Prithâ et du sage Keçava,

473. Ainsi que du Satyakide, que cet exploit a pu être accompli par le fils de Drona. Qui, fût-ce (Indra), le maître des Marouts (vents), eût été capable (d’exécuter) (un tel) massacre, en présence de ces (sept héros) ?

474. Ô roi, les choses ne se sont passées ainsi, que parce que les hommes étaient endormis. À la suite de ce cruel massacre des Pândouides,

475. Et après que les grands guerriers se furent réunis, ils se félicitèrent mutuellement. Puis le fils de Drona, félicité joyeusement par ses deux (compagnons), les embrassa

476. Et prononça dans sa joie ces excellentes paroles : « Tous les Pâñcâlas et les fils de Draupadî ont été tués partout où ils étaient.

477. Les Somakas et ceux qui survivaient parmi les Matsyas ont été exterminés par moi. Maintenant que la tâche que nous nous étions imposée est accomplie, hâtons-nous d’aller à l’endroit même (où se trouve) Douryodhana.

478. Si notre roi vit (encore), nous lui raconterons (ce que nous avons fait). »







CHAPITRE IX


MORT DE DOURYODHANA


Argument : Les (Dhritarâstrides) arrivent près de Douryodhana. Description de son agonie. Douleur qu’en ressentent les trois guerriers. Discours de Kripa. Lamentations et récit d’Açvatthâman. Réponse et mort de Douryodhana. Départ des trois Dhritarâshtrides.


479. Sañjaya dit : Après avoir détruit, où ils se trouvaient, le restant des Pâñcâlas et les fils de Draupadî, les (trois guerriers) se dirigèrent ensemble vers le lieu où Douryodhana (avait été) frappé à mort.

480. En arrivant, ils virent le roi, qui avait (conservé) une étincelle de vie. Ils sautèrent (alors) à bas de leurs chars et entourèrent ton fils,

481. Ô Indra des rois, qu’ils trouvèrent les cuisses brisées, privé de sentiment, (étendu) sur le sol et sur le point d’expirer.

482. Il était entouré de près par de nombreuses bêtes féroces, par des loups et par des chacals s’apprêtant à le dévorer,

483. Écartant avec peine ces bêtes carnassières qui voulaient en faire leur proie, alors qu’il se roulait sur la terre en (éprouvant) de grandes douleurs.

484-486. Le voyant tout baigné de sang et gisant à terre, Açvatthâman, Kripa et le Sattvatide Kritavarman, ces trois héros, (seuls) restes (de tes armées) détruites, dévorés par le chagrin, vinrent se placer autour de lui. Environné par ces trois grands guerriers couverts de sang et gémissants, ce roi ressemblait à l’autel (d’un sacrifice) entouré des trois feux. En voyant ce roi dans une situation si différente de celle à laquelle il était accoutumé,

487. Tous les trois, avec une douleur indescriptible, versèrent des larmes (en abondance). Ayant, avec leurs mains, essuyé le sang (qui sortait) de sa bouche,

488. Ils déplorèrent douloureusement l’état dans lequel se trouvait le roi, gisant à l’endroit du combat.

489. Kripa dit : Rien n’est difficile pour le Destin, puisque Douryodhana, (jadis) maître de onze armées complètes, gît (ici), frappé à mort et arrosé de son sang.

490. Vois la massue ornée d’or, de ce (prince) qui avait la splendeur de l’or ! Elle est tombée près de lui qui aimait à s’en servir .

491. Elle n’abandonnait pas ce héros quand il allait au combat. Elle n’abandonne pas (davantage) ce héros glorieux, (au moment où) il s’achemine vers le Svarga.

492. Vois, auprès de ce héros, cette (arme) ornée d’or. Elle est pareille à une épouse affectueuse, reposant dans le palais sur le lit (de son époux).

493. Ce tourmenteur des ennemis, né pour être le chef de ceux qui ont été sacrés rois par l’aspersion de l’eau sur la tête, est abattu et mord la poussière ! Vois le changement produit par le temps !

494. Ce roi des Kourouides qui, (jadis), frappant ses ennemis dans les combats, les couchait privés de vie sur la terre, gît (à son tour) sur le sol, frappé par ses ennemis !

495. Celui-ci, devant qui des foules de rois s’inclinaient avec crainte, repose sur une couche de héros, entouré par des animaux carnassiers !

496. Jadis, les brahmanes s’approchaient de ce roi pour (en obtenir) des largesses. Aujourd’hui, les bêtes de proie s’approchent de lui pour (se repaître de) sa chair. »

497. Sañjaya dit : Alors, ô le plus excellent des Bharatides, en voyant ce roi, le plus grand des Kourouides, étendu à terre, Açvatthàman exprima tristement ses plaintes (en ces termes) :

498. Ô tigre des rois, on a dit que tu étais le premier de tous les archers et que, disciple de Çankarshana (Balarâma), tu étais, dans les combats, pareil à Dhanâdhyaksha (Kouvera).

499. Comment, ô homme sans péché, Bhîmasena aperçut-il en toi un endroit vulnérable ? C’est un pervers et tu (étais) fort et toujours adroit, ô roi 4.

500. Assurément, ô grand roi, le temps est très puissant en ce monde, puisque nous sommes témoins de ta mort et que tu as été frappé par Bhîmasena.

501. Comment le méchant et furieux Bhîmasena, (qui était) sans force, a-t-il pu te tuer, toi qui étais au fait de toutes les règles du devoir ? Assurément le sort est insondable.

502. Bhîmasena, qui t’avait provoqué à un combat loyal, t’a traîtreusement brisé les deux cuisses avec sa massue !

503. Honte au furieux Krishna, honte à Youdhishthira qui a souffert que, sur le champ de bataille, la tête d’un héros frappé déloyalement fût foulée aux pieds !

504. Il est certain que, tant que les êtres vivants subsisteront, les guerriers blâmeront Vrikodara, car tu as été vaincu par trahison.

505. L’héroïque Râma descendant d’Yadou n’a-t-il pas dit de toi : « Douryodhana n’a pas son égal au combat à la massue ? »

506. Ô Bharatide, le Vrishnien (Râma) te glorifie dans les assemblées, ô roi, en disant : « Ce Kourouide est mon disciple pour combattre à la massue. »

507. Tu es arrivé à ce (lieu de) refuge, que les rishis suprêmes ont dit être assigné à ceux qui sont tués sur le champ de bataille, la face tournée vers l’ennemi.

508. Je ne pleure pas sur toi, ô Douryodhana, mais je pleure (sur ces deux vieillards) dont les fils sont tués, Gândhârî et ton père.

509. Ils parcourront la terre en pleurant et en mendiant. Honte au Vrishnien Krishna, ainsi qu’au pervers Arjouna,

510. Qui, se considérant comme connaissant le devoir, ont été témoins de ta mort (sans s’y opposer). Et, que diront tous les autres Pândouides, ô maitre suprême des hommes ?

511. Comment, (malgré) leur manque de pudeur, oseront-ils avouer que Douryodhana a été tué par eux ? Ô fils de Gândhârî, tu es heureux, toi qui as été frappé sur le champ de bataille,

512, 513. La face tournée vers l’ennemi selon la règle. Mais quel sera le refuge de Gândhârî, dont les fils, les parents et les amis sont tués, et du Prajnâcakshien (Dhritarâshtra) difficile à affronter ? Honte à Kritavarman, à moi et au grand guerrier Kripa,

514. Qui ne sommes pas allés au Svarga, (en suivant le chemin tracé par) un prince (comme) toi, libéral pour tous ceux qui sollicitaient (ta générosité), protecteur de tes sujets dont tu faisais le bonheur !

515-519. Honte à nous, les plus vils des hommes, qui ne te suivons pas ! Par ton héroïsme, les demeures de Kripa, de mon père et la mienne, ainsi que celles de nos serviteurs, ont été riches en choses précieuses. Grâce à toi, nous, nos parents et nos amis, nous avons pu célébrer de grands et nombreux sacrifices, aux offrandes abondantes, ô tigre des hommes. D’où partirons-nous, pour gagner un séjour pareil à celui vers lequel tu es allé, après avoir envoyé tous les princes te préparer la voie ? Certes, si, nous trois, ô roi, nous ne te suivons pas, alors que tu vas au refuge suprême, ayant manqué notre but (principal), nous nous consumerons de chagrin, en nous souvenant de tes grandes actions.

520. Qu’avons-nous donc fait (de mal), pour ne pas (pouvoir) te suivre ? Maintenant, ô le plus grand des Kourouides, nous parcourrons péniblement cette terre.

521. Où seront, pour nous privés de toi, le contentement et la paix du cœur ? Ô grand roi, en rencontrant à ton arrivée même (dans le Svarga), les grands guerriers (qui t’y ont précédé),

522. Je te prie de les honorer (par tes hommages), selon leur âge et selon leurs mérites. Quand tu auras rendu hommage à ton (vieux) précepteur, le plus grand des archers,

533. Raconte-lui qu’aujourd’hui j’ai mis à mort le roi Dhrishtadyoumna, embrasse le très grand guerrier, le roi Vâhlikien.

524. Le roi du Sindhou, Somadatta, Bhoûriçravas et les autres excellents princes qui t’ont précédé au Svarga.

525. Quand tu les auras embrassés de ma part, demande leur comment ils se trouvent (de leur nouvel état).

526. Sañjaya dit : Après avoir adressé ces mots au roi dont les cuisses étaient brisées, bien qu’il fût privé de connaissance, et l’avoir considéré, Açvatthâman continua en ces termes :

527. Douryodhana, tu vis (encore). Écoute un récit qui sera agréable à tes oreilles. Du côté des Pândouides, il reste sept (chefs). Quant à nous, nous sommes les seuls Dhritarâshtrides survivants.

528. Ce sont, pour les Pândouides, les cinq frères, le Vasoudevide et le Satyakide. (De notre côté), moi, Kritavarman et le Sattvatide Kripa.

529. Tous les fils de Draupadî ont été tués, ainsi que ceux de Dhrishtadyoumna. Tous les Pâñcâlas et ceux qui restaient parmi les Matsyas, ont péri, ô Bharatide.

530. Vois quelle revanche (nous avons prise du mal qu’ils nous) avaient fait ! Les fils de Pândou ont eu leurs fils tués pendant la nuit, alors qu’ils se livraient au sommeil, et leur camp, avec les hommes et les animaux (qu’il contenait), a été détruit

531. Par moi ; et, après avoir pénétré de nuit dans le camp, j’ai tué ce Dhrishtadyoumna aux œuvres mauvaises, comme on tue les bestiaux, ô maître de la terre.

532. En entendant ces paroles agréables à son cœur, Douryodhana reprit ses sens et répondit :

533. « Ni (Bhîshma), le fils de la Gangâ, ni Karna, ni ton père, n’ont faitpourmoi ce dont tu es venu à bout aujourd’hui, avec l’aide de Kripa et de Bhoja.

534. Ce vil chef de l'armée des (Pândouides) est tué, avec Çikhandin ! (En y pensant), je m’imagine être l’égal de Maghavant (Indra) lui-même.

535. Soyez heureux. Nous nous retrouverons dans le Svarga. » Après avoir ainsi parlé, ce roi des Kourouides, au grand cœur, se tut.

536. Le héros laissa s’exhaler sa vie. Abandonnant les peines à ses amis, il éleva (son âme) vers le ciel, tandis que son corps restait gisant à terre.

537. Voilà, ô roi, comment ton fils Douryodhana a succombé. Il a été tué par ses ennemis, dans un combat qu’il avait engagé.

538. Ces (trois héros), après avoir été embrassés (par le roi), l’embrassèrent (à leur tour), et l’ayant longuement considéré, ils remontèrent sur leurs chars.

539. Ayant entendu les lamentations du fils de Drona dévoré par le chagrin, ils se dirigèrent au point du jour vers la ville.

540. C’est ainsi, ô roi, que par suite de ta mauvaise politique, a eu lieu cette catastrophe terrible, meurtrière et épouvantable, qui entraîna la perte des Kourouides et des Pândouides.

541. Quand ton fils fut monté au Svarga, cette intuition divine qui est donnée aux rishis, (et qui les fait voir à distance), cessa de (m’illuminer) ; j’étais dévoré de chagrin, ô homme sans péché.

542. Vaiçampâyana dit : Après avoir entendu ainsi (le récit de) la mort de son fils, ce roi poussa de longs et profonds soupirs et resta pensif.

MAHÂBHÂRATA


SECTION II, (ASTRAS PRODUITS) AVEC DES ROSEAUX




CHAPITRE X


VISITE DE YOUDHISHTHIRA À SON CAMP


Argument : Le cocher de Dhrishtadyoumna vient raconter à Youdhishthira les événements qui ont eu lieu. Désespoir et plaintes de Youdhishthira. Il compatit aux peines de Krishna, qu’il envoie chercher par Nakoula. Il va au camp. Il manifeste de nouveau son désespoir à la vue du massacre dont son camp a été le théâtre.


543. Vaiçampâyana dit : Quand cette nuit fut passée, le cocher de Dhrishtadyoumna alla raconter à Dharmarâja le massacre qui avait eu lieu, pendant que (le camp) était endormi.

544. Le cocher dit : « Ô roi, les fils de Draupadî et ceux de Droupada, qui n’avaient pas pris leurs précautions et qui dormaient sans méfiance, ont été tués dans le camp, pendant la nuit.

545. Votre camp a été détruit pendant la nuit, par l'impitoyable Kritavarman, par le Gotamide Kripa et par le méchant Açvatthâman.

546. Ton armée a été terrassée, et des milliers d’hommes, d’éléphants et de chevaux ont été taillés en pièces par eux, au moyen de javelots, de lances et de haches.

547. Ô Bharatide, on entendit dans ton armée un grand bruit, pareil à celui d’une vaste forêt que l’on abat avec des haches.

548. Ô homme aux grandes pensées, je suis le seul (survivant) de cette armée. Je me suis échappé à grand peine, pendant que Kritavarman était occupé (ailleurs). »

549. Après avoir entendu ces funestes paroles, le fils de Kountî, Youdhishthira, difficile à affronter (pour ses ennemis), rempli de douleur (en apprenant la mort) de ses fils, tomba à terre (évanoui).

550. Le Satyakide s’étant approché avec Bhîmasena, Arjouna et les deux Pândouides fils de Mâdrî, l’entoura (de ses bras) au moment où il tombait.

551. Ayant repris connaissance, le fils de Kountî se lamenta douloureusement (en prononçant ces) paroles, que le chagrin (rendait) indistinctes : « Après avoir vaincu les ennemis, je suis vaincu à mon tour.

552. La suite des entreprises est difficile à prévoir, même (pour ceux) dont la vue est douée d’une puissance divine. Nos ennemis, vaincus (d’abord), nous vainquent (à leur tour), et nous qui étions vainqueurs, nous voilà vaincus !

553. Après avoir tué les frères, les amis, les pères, les petits-fils et les troupes des rois alliés, après avoir vaincu les parents, les petits-fils, et leurs ministres, nous subissons la défaite (à notre tour).

554. Le dommage (d’aujourd’hui) est semblable au profit (d’autrefois), et ce qui avait l’apparence du profit finit en un dommage. Notre victoire ressemble à la victoire d’Yama, et, (avec le temps), devient la victoire de nos ennemis.

555. S’il doit être plus tard tourmenté et malheureux, comment un insensé songerait-il à (remporter) la victoire, si, après (l’avoir obtenue), il doit être plus (gravement) défait par ses ennemis (qu’ils ne l’avaient été par lui) ?

556. Ceux qui étaient fiers d’une victoire qu’ils avaient remportée, en commettant le péché de tuer leurs amis, sont vaincus (à leur tour) par ceux qu’ils avaient défaits, et qui étaient pleins de soin.

557, 558. Ceux qui avaient échappé à ce furieux lion des hommes, Karna, qui, dans le combat, avait, en guise de dents, des flèches nâlikas à oreilles, une épée en guise de langue, que son arc, qui figurait sa bouche baillante, rendait formidable, dont le rugissement était le bruit de la corde de son arc contre son gant protecteur, qui ne tournait jamais le dos dans les combats, ont été tués par suite de leur négligence !

559, 560. Ces fils de rois ont péri victimes de leur négligence, eux qui avaient traversé, grâce à leurs différentes armes en guise de navires, l’Océan de Drona, dont le char (jouait le rôle d’un) étang. Couvert de joyaux, cet (Océan) avait des pluies de flèches pour vagues, et, pour navires les chevaux (du héros) ; pour poissons, il avait des lances et des épées, pour crocodiles et pour serpents l’étendard (de Drona), son arc pour tourbillons, et ses grandes flèches pour écume. Le combat, (semblable) à un lever de lune, donnait l’élan aux marées de cet (Océan), dont le bruit (dés flots était figuré par celui) des roues (du char, et par celui) de la paume de la main contre la corde de l’arc de ce (guerrier).

561. Ici bas, dans le monde des vivants, il n’y a pas, pour les hommes, de meurtrier plus redoutable que la négligence. L’homme négligent perd ses avantages, et les malheurs le visitent de toutes parts.

562, 563. Ces fils de rois ont été tués par suite de leur négligence. Eux qui avaient supporté, dans la grande bataille, la brûlure du feu de (l’ardent) Bhîshma, (feu) décelé par une fumée qui s’élevait (dans les airs, figurée) par la pointe de son grand étendard, et dont des flèches étaient les flammes, (feu) excité par le grand vent de sa colère, dont le crépitement était (le bruit) de la paume de la main contre la corde du grand arc (du héros), et (celui) des roues de son char ; (sur lequel on déposait en guise de combustible) des cuirasses et des armes diverses, et allumé pour consumer, comme des broussailles, de grandes armées !

564. Il est impossible qu’un homme négligent (obtienne) la science, l’ascétisme ou une grande gloire. Vois, le grand Indra n’a atteint le bonheur qu’après s’être appliqué avec grand soin à anéantir tous ses ennemis !

565. Vois ces fils et ces petits-fils de rois semblables à Indra ! Ils, ont succombé par suite de leur négligence, pareils à des marchands enrichis qui, après avoir traversé l’Océan, font naufrage en naviguant sans précaution sur un cours d’eau insignifiant.

566. Ceux qui gisent, tués (par leurs ennemis) irrités, sont sans doute allés au Tridiva (triple ciel). (Il n’en est pas moins vrai) qu’à la vue de ses frères et de ses fils, immolés ainsi que son vieux père, le roi des Pâñcâlas,

567. Cette malheureuse Krishnâ, dont le corps est émacié par le chagrin, va tomber à terre inconsciente, et se dessécher ; habituée aux plaisirs, incapable de supporter la souffrance que lui occasionne le chagrin, que va-t-elle devenir ?

568. Écrasée par (la douleur que vont lui causer) la destruction de ses fils et le meurtre de ses frères, elle sera pareille à une (plante) consumée par le feu. » C’est ainsi que gémissait ce roi des Kourouides. Il dit ensuite à Nakoula :

569. « Va. Amène ici cette malheureuse fille de roi, avec sa mère et ses amis. » Le fils de Mâdrî, après avoir reçu l’ordre que, comme il le devait, (lui donnait) le roi aussi (vertueux que son père) Dharma (le devoir),

570. Se rendit sur son char à la demeure de la reine, là où se trouvaient les épouses du roi des Pâñcâlas. Après avoir chargé de ce soin le fils de Mâdrî, l’Ajamîdhien (Youdhishthira), dévoré de chagrin, accompagné de ses amis,

571. Se dirigea, en poussant de grands cris, vers le champ de bataille où ses fils (avaient péri), (et) qui était rempli d’une multitude d’êtres (divers et effrayants). Étant arrivé dans ce (lieu) funeste et terrible, il vit ses amis et ses alliés

572-573. Gisants à terre, les membres humides de sang, les corps brisés, les têtes coupées. En apercevant cet horrible spectacle, Youdhishthira, le chef des Kourouides, le plus excellent des hommes affligés, poussa des cris de douleur et tomba à terre, privé de sentiment.





CHAPITRE XI


DÉPART DE BHÎMA, QUI S’EN VA POUR TUER LE FILS DE DRONA


Argument : Les amis de Youdhishthira le rappellent à la vie. Arrivée de Nakoula avec les reines. Désespoir de Draupadî. Elle s’évanouit et Vrikodara la ranime. Elle demande à Youdhishthira la mort du Dronide. Youdhishthira lui répond, et elle lui répond à son tour. Elle implore le secours de Bhîma, qui se met en route pour aller tuer le fils de Drona.


574. Vaiçampâyana dit : Ce (prince), à la vue de ses fils, de ses petits-fils et de ses amis gisant sans vie sur le sol, eut l’àme remplie d’une grande douleur, ô Janamejaya.

575. Un profond chagrin s’empara du magnanime, à la pensée (du sort subi par) ses fils, ses petits-fils, ses amis et ses soldats.

576. Ses amis, extrêmement émus (eux-mêmes), réconfortèrent ce (roi) qui se lamentait, les yeux remplis de larmes et qui avait perdu connaissance. 577. Dans ce moment, l’adroit Nakoula arriva, sur son char brillant comme le soleil, avec la très affligée Krishna ;

578. Réfugiée à Oupaplavya, la grande et terrible nouvelle de la mort de ses enfants, l’avait accablée de douleur.

579. Agitée comme un (arbre) kadâlî (musa sapientum), que le vent secoue, Krishnâ, en s’approchant du roi, tomba à terre, vaincue par le chagrin.

580. Le visage de cette femme aux yeux de lotus, s’altéra instantanément par l'effet de la douleur, comme le soleil quand il cède devant l’obscurité.

581. Alors Vrikodara à l’héroïsme véritable, en la voyant tombée ainsi, se leva plein de colère et l’entoura de ses deux bras.

582. Krishnâ irritée, et que Bhîmasena avait fait revenir à elle, dit, en pleurant, au fils de Pândou accompagné de ses frères :

583. « Par bonheur, ô roi, ayant conquis toute cette terre, tu en jouiras, (mais), à la vérité, après avoir donné (en échange) tes propres fils à Yama, selon le devoir des kshatriyas.

584. Par bonheur, ô fils de Prithâ, tu es sauf. Ayant conquis cette terre entière, tu ne te souviendras plus du fils de Soubhadrâ (Abhimanyou), à la démarche pareille à celle d’un éléphant furieux.

585. Par bonheur, après avoir entendu dire que tes fils ont péri selon le devoir des kshatriyas, de retour à Oupaplavya, tu oublieras (leur perte).

586. Comme le feu consume une demeure, le chagrin me dévore, moi qui ai entendu raconter le meurtre de mes (malheureux enfants) endormis, (tués) par le fils de Drona aux œuvres scélérates, ô fils de Prithâ.

587. Si vous n’engagez pas un combat dans lequel vous lui enlèverez la vie, avec cet artisan de crimes, le fils de Drona assisté de ses compagnons,

588. Si le fils de Drona ne subit pas, ici même, la punition de ses méfaits, je me laisserai mourir (de faim), sachez-le, ô fils de Pândou. »

589. Après avoir ainsi parlé, la glorieuse Krishnâ, fille de Yajnasena, s’assit en face de Youdhishthira Dharmarâja, fils de Pândou.

590. Le vertueux râjarshi, fils de Pândou, qui était assis, en voyant sa chère reine dans cet état, dit à sa belle Draupadî.

591. « Ô belle qui connais la vertu, tes fils et tes frères ont reçu la mort conformément à leur devoir (de kshatriyas). Tu ne dois pas les pleurer.

592. Ô femme vertueuse, le fils de Drona s’est enfui dans un bois éloigné et d’un accès difficile. Comment, ô femme brillante, (si nous l’attaquons), sauras-tu qu’il a succombé dans le combat ? »

593. Draupadî répondit : « J’ai entendu raconter que le fils de Drona portait sur la tête un joyau qu’il avait apporté en naissant. Je veux voir ce joyau, dont vous vous emparerez, après avoir tué ce méchant en lui livrant bataille.

594. Je placerai ce joyau sur ta tête, ô roi, et je pourrai, (désormais, supporter) la vie. Voilà ma pensée. » Après avoir parlé en ces termes au roi fils de Pândou, la belle Krishnâ

595. S’approcha de Bhîmasena et lui adressa (ces) excellentes paroles : « Bhîma, en te rappelant les devoirs des kshatriyas, tu dois me protéger.

596. Triomphe de cet (homme) aux œuvres coupables, comme Maghavant triompha de Çambara, car il n’y a pas, ici-bas, d’homme dont l’héroïsme soit égal au tien.

597. On sait dans tous les mondes que, dans la ville de Vâranâvata, tu fus une île (de refuge) pour les fils de Prithâ (tombés) dans une suprême adversité.

598. Tu fus aussi notre soutien, dans la visite (que nous rendit) Hidimba, et quand je fus cruellement tourmentée par Kicaka, dans la ville de Virâta.

599. Tu (m’y) sauvas d’un (grand) danger, comme Maghavant (Indra, fit) pour Paulomî (son épouse). Ô fils de Prithâ, de même que tu as accompli jadis ces grands exploits,

600. De même, après avoir tué le fils de Drona, qui a détruit ses ennemis, sois heureux. » En entendant les plaintes réitérées qu’elle exprimait sur son infortune,

601. Le fils de Kountî, le très fort Bhîmasena, ne put les supporter. Étant monté sur son grand char orné d’or,

602-605. Ayant fait de Nakoula son cocher, décidé à tuer le fils de Drona, il prit son grand arc brillant, accompagné d’une multitude de traits, le banda, y mit une flèche et excita la vitesse de ses coursiers. Ainsi poussés, ô tigre des hommes, ces chevaux, légers comme le vent, à la course rapide, se hâtèrent de partir à toute vitesse. En quittant son camp, cet héroïque et inébranlable guerrier se hâta de suivre, avec la même vitesse, la trace du char du fils de Drona.






CHAPITRE XII


ENTRETIEN DE YOUDHISHTHIRA ET DE KRISHNA


Argument : Krishna engage le roi à aller au secours de Bhîma, parce que le Dronide possède l’astra de la tête de Brahma, qui le rend redoutable. Récit des tentatives d’Açvatthâman, pour obtenir le disque de Krishna.


606. Vaiçampâyana dit : Quand ce (héros) terrible à affronter fut parti en avant, le chef des Yadouides (Krishna) Poundarîkâksha (aux yeux de lotus), dit à Youdhishthira, fils de Kountî :

607. Ô fils de Pândou, ce (guerrier), ton frère, ne songeant qu’au chagrin causé par la mort de (vos) fils, s’est mis en marche seul, pour combattre et tuer le fils de Drona.

608. De tous tes frères, Bhîma est celui qui t’est le plus cher, ô taureau des Bharatides. Pourquoi ne vas-tu pas à son secours, quand il est en danger ?

609. L’astra que Drona, ce vainqueur des villes ennemies, transmit à son fils, et qu’on appelle la tête de Brahma, est en état de consumer la terre entière.

610. Le magnanime et heureux précepteur, le chef de tous les porteurs d’arcs, le donna à Dhanañjaya (dont) il était satisfait.

611. Son fils unique, (dans) son impatience (habituelle). le lui demanda, et, quoique un peu à contre-cœur, (Drona) lui enseigna (la manière de s’en servir).

612. Car l’inconséquence de son méchant fils lui était connue. Le précepteur, qui connaissait tous ses devoirs, lui dit à ce sujet :

613. « Mon ami, tu ne dois pas employer cet astra dans les combats, surtout contre les hommes, quand bien même tu le trouverais réduit à la dernière extrémité. »

614. Voilà ce que lui dit le gourou. Drona dit ensuite à son fils : « Tu ne suis pas la voie des gens de bien. » (C’est) ainsi (qu’il lui parla), ô taureau des hommes.

615. Le méchant, ayant entendu ces dures paroles de son père, désespérant de rien (obtenir) d’avantageux, (se mit), dans son chagrin, à parcourir la terre.

616. Alors, ô Bhâratide, pendant que tu habitais les bois, il vint à Dvârakâ et y demeura, très respecté des Vrishniens,

617. Habitant tout près de Dvârâkâ, sur le bord de la mer. Un jour, nous nous rencontrâmes seul à seul, et il me dit en souriant :

618,619. « Ô Krishna, cet astra, appelé la tête de Brahma, respecté des dieux et des gandharvas, qu’en se livrant à un ascétisme terrible, mon père, à l’héroïsme véritable, précepteur des Bharatides , reçut d’ Agastya, est devenu ma propriété, aussi bien que celle de mon père, ô Dâçârhien.

620. Ô le plus grand des Yadouides, reçois de moi cet astre divin, et donne-moi (en échange) pour arme, le disque qui tue les ennemis dans les combats. »

621. Ô roi, ce fou ayant fait l’añjali, me demandait cette arme avec persistance. Je lui dis d’un ton bienveillant, ô taureau des Bharatides :

622. « Les dieux, les dânavas, les gandharvas, les hommes, les oiseaux, les serpents, réunis, n’ont pas même la centième partie de ma force.

623. Ô insensé, si tu désires l'une quelconque de mes armes, cet arc, cette lance, ce disque, cette massue, je te la donne .

624. Prends celle que tu pourras soulever et employer dans les combats, (et cela) sans me donner l'astra que tu désirais me communiquer. »

625. Ce fou, tout heureux, et (voulant) rivaliser avec moi, choisit le disque de fer aux mille rayons et au bel ombilic de diamant.

626. Quand je lui eus dit : « Prends le disque », il se leva aussitôt et le saisit sans tarder, de la main gauche.

627. Mais il ne put pas même le faire changer de place. Il s’approcha ensuite pour le prendre aussi de la main droite.

628, 629. Le saisissant ainsi, en y employant toute sa force et en faisant tous les efforts (dont il était capable), il ne put, ni le lever, ni même le mouvoir. Le fils de Drona, extrêmement affligé (de son insuccès), fatigué des efforts auxquels il s’était livré, se retira, ô Bharatide.

630. Quand il eut renoncé à son entreprise, je saluai Açvatthâman troublé et hors de lui, et je lui dis :

631. Ce héros qui a toujours obtenu les plus grands honneurs parmi les hommes, l’archer porteur de l’arc Gândîva, qui a un attelage de chevaux blancs et qui (porte) un singe sur son excellente bannière,

632. Qui, désireux de le vaincre en combat singulier, satisfit (par ses hommages) Çankara à la gorge noire, époux d’Oumâ, maître des maîtres des dieux, en présence de qui (il se trouvait),

633. Celui qui m’est le plus cher de tous les hommes, celui à qui je ne saurais rien refuser de ce que j’ai, fût-ce mes femmes et mes enfants,

634. Ce fils de Prithâ, aux œuvres incomparables et qui est mon ami, ô brahmane, ne m’a jamais tenu un langage semblable au tien.

635, 636. Celui que, me tenant sur les pentes de l’Himalaya, j’ai acquis au prix d’un ascétisme (terrible), en pratiquant le genre de vie de brahmacârin, ce fils engendré par moi dans (le sein de) Roukminî (mon épouse) qui se livrait à des austérités semblables aux miennes, Sanatkoumâra, appelé (aussi) Pradyoumna,

637. Ne m’a jamais demandé ce disque divin, incomparable dans les combats, que tu voulais obtenir de moi, ô insensé.

638. La demande que tu m’as faite ne m’a été adressée ni par le très fort Râma (mon frère aîné), ni par (mon jeune frère) Gada, ni par (mon fils) Çamba.

639. La demande que tu m’as faite ne m’avait jamais été soumise (non plus), par aucun des grands guerriers de Vrishni et d’Andhaka, qui habitent Dvârakâ.

640. Tu es le fils du précepteur des Bharatides, tu es honoré par tous les Yadouides. Qui donc veux-tu combattre avec le disque, ô le meilleur des maîtres de char ?

641. Après que je lui eus ainsi parlé, le fils de Drona me répondit : « Après t’avoir rendu hommage, ô Krishna, je comptais combattre contre toi.

642. Je t’ai demandé le disque respecté des dieux et des dânavas (en me disant) : « Je serai invincible. » Je te dis la vérité, ô Puissant.

643. N’ayant pas obtenu de toi (la satisfaction) d’un désir irréalisable, ô Keçava, je m’en irai (d’ici). Je te souhaite une bonne chance, ô Govinda.

644. Nul autre que toi, le possesseur de cette arme incomparable, ne peut posséder ici-bas le disque redoutable que tu portes, ô le plus terrible des hommes. »

645. Après m’avoir parlé en ces termes et avoir pris ses chevaux propres au joug et ses joyaux, le fils de Drona s’en alla à propos.

646. Il était sujet à l’irritation, méchant, cruel et inconsidéré. Il connait l’astra de la tête de Brahma ; Vrikodara doit être protégé contre lui.






CHAPITRE XIII


PRODUCTION DE L’ASTRA DE LA TÊTE DE BRAHMA


Argument : Arrivée des Pândouides. Description du char de Krishna. Ils rejoignent Bhîma. Présence de Nârada et de Vyâsa. Bhîma se dispose à attaquer le Dronide, qui donne naissance à l’astra de la tête de Brahma.


647. Vaiçampâyana dit : Après avoir tenu ce langage, le plus grand des guerriers, qui remplissait de joie tous les Yadouides, monta sur son char garni de toutes les meilleures armes,

648, 649. Et attelé des plus excellents chevaux du Kamboja, parés de couronnes d’or. Caibya (le cibien) portait le joug droit du meilleur des chars, de couleur du soleil à son lever ; Sougriva (qui a un beau cou) était à gauche. Les deux autres chevaux extérieurs étaient Meghapoushpa (la grêle), et Balâhaka (orage).

650. On voyait, élevée sur le char, pareille à un objet magique, la hampe d’une bannière divine, ornée de pierres et de métaux précieux.

651. Le fils de Vinatâ (Garouda), resplendissant d’une couronne de rayons de lumière, était placé sur cette hampe ; l’ennemi des serpents figurait l’étendard de cet excellent (héros).

652. Hrishikeça, le premier de tous les archers, monta (sur ce char), avec Arjouna aux œuvres sincères et avec Youdhishthira, roi des Kourouides.

653. Placés de chaque côté du Dâçârhien porteur de l’arc Çârnga, qui se tenait sur son char, les deux magnanimes brillaient comme les deux Açvins (aux côtés de) Vâsava.

654. Le Dâçârhien, les ayant fait monter sur ce char respecté dans le monde (entier), excita de l’aiguillon les excellents et rapides coursiers.

655. Ces chevaux s’élancèrent immédiatement, entraînant l’excellent char, sur lequel étaient montés les fils de Pândou et le taureau des Yadouides.

656. Il s’éleva un grand bruit, pareil à celui d’un vol d’oiseaux, (produit) par les chevaux à la course rapide, qui emportaient celui qui a pour arc Çârnga.

657. Ô taureau des Bharatides, ces tigres des hommes s’étant hâtés de poursuivre le grand archer Bhîmasena, l’atteignirent en un instant.

658. Mais, même après l’avoir rejoint, les grands guerriers ne purent pas arrêter le fils de Kountî excité contre son ennemi.

659. Sous les yeux mêmes de ces grands et illustres archers, il pressa la course de ses chevaux vers la rive de la Bhâgîrathî,

660. Où (se faisait) entendre le fils de Drona, le meurtrier des enfants des magnanimes (fils dePândou). Il vit, au bord de l’eau, le magnanime et glorieux

661, 662. Krishnadvaipâyana Vyâsa assis avec les rishis. Il aperçut aussi le fils de Drona aux œuvres mauvaises, couvert de poussière, enduit de beurre fondu, revêtu de vêtements de kouça, qui se tenait près de là. Le fils de Kountî, ayant saisi son arc, courut sur lui.

663, 664. Bhîmasena aux puissants bras lui cria : « Arrête-toi, arrête-toi. » Le fils de Drona ayant aperçu l’archer Bhîma, qui avait saisi son arc, et, derrière lui, ses deux frères sur le char de Janârdana, eut l’esprit troublé, et pensa : « C’en est fait. »

665. Sans perdre courage, le fils de Drona songea à cet astra divin et suprême. Il prit de la main gauche un roseau,

666. Et, tombé dans une telle détresse, qu’il ne pouvait résister à ces héros porteurs d’armes surnaturelles, il produisit l’astra divin.

667. (Selon la formule consacrée), il prononça dans sa colère ces paroles cruelles : « Pour la destruction des fils de Pândou. » Après avoir ainsi parlé, ô tigre des hommes, le majestueux fils de Drona

668. Lança cet astra capable d’égarer l’esprit du monde entier. Alors, dans ce roseau, il se développa un feu

669. Pareil à celui qui, (à la fin du monde), détruit tout, (feu) capable, à ce qu’il semblait, de consumer les trois mondes.







CHAPITRE XIV


ARJOUNA LANCE SON ASTRA


Argument : Poussé par Krishna, Arjouna lance son astra. Description des deux astras. Intervention de Nàrada et de Vyàsa, qui reproclient aux deux guerriers d’avoir donné naissance à ces astras.


670. Vaiçampâyana dit : Dès le début, le Dâçârhien, comprenant, à ses gestes, ce que le fils de Drona voulait faire, dit à Arjouna :

671. « Arjouna, Arjouna, c’est maintenant, ou jamais, le moment de produire cet astra divin, dont Drona t’a enseigné l’usage, ô Bharatide.

672. Pour protéger tes frères et toi-même, lance dans la bataille, ô Bharatide, l’astra qui détourne les astras. »

673. Ayant entendu ces paroles de Keçava, le fils de Pândou, tueur des héros ennemis, se hâta de descendre de son char, muni de son arc et de ses flèches.

674. Ayant d’abord souhaité le bonheur au fils de Drona et, immédiatement après, (se l’étant également souhaité) à lui-même ainsi qu’à tous ses frères, le tourmenteur des ennemis,

675. Après avoir rendu hommage à toutes les divinités et aux gourous, et médité sur Çiva, dit : « Que l’astra soit apaisé par l’astra. »

676. Puis, quand cet astra eut été lancé par l’archer porteur de Gândîva, il s’alluma tout d’un coup un grand feu, pareil à celui qui, à la fin d’un youga, dévore le monde,

677. De même, l’astra du fils de Drona à l’énergie brûlante, s’alluma en produisant un grand feu, entouré d’un cercle de flammes,

678. De nombreux tourbillons de feu apparurent. Des météores tombaient par milliers, et une grande terreur s’empara de tous les êtres.

679. Le ciel parut entièrement rempli de bruit et de girandoles de feu. La terre trembla, avec ses montagnes, ses bois et ses arbres.

680, 681. Alors, les deux maharshis, Nârada, l’âme de toutes les créatures, et (Vyâsa), le grand-père des Bharatides, réunis en ce lieu, contemplaient ces deux astras dont les éclats consumaient les mondes. Ils méditaient d’apaiser les deux héros, le Bharadvâjide et Dhanañjaya.

682. Ces deux mounis, au fait de tous les devoirs, souhaitant le bien de tous les êtres, doués d’une énergie suprême, (étaient) placés dans l’intervalle (qui séparait) ces deux astras brûlants.

683. Les deux glorieux et excellents rishis, s’étant approchés, se tenaient, (indemnes), au milieu (de cet embrasement général), irrésistibles, et pareils à deux feux allumés,

684. Incapables d’être offensés par les êtres vivants, respectés des dieux et des dânavas, pour apaiser la violence des astras dans l’intérêt du monde.

685. Les deux rishis dirent : « Les grands guerriers qui connaissent (l’usage) des diverses armes, n’ont jamais, même dans leur défaite, employé cet astra contre les hommes.

686. Pourquoi ces deux (héros) ont-ils eu recours à ces moyens violents, ce qui est un grand péché ? »







CHAPITRE XV


APPLICATION DE L’ASTRA DE LA TÊTE DE BRAHMA AUX
ENFANTS À NAITRE DES PÂNDOUIDES


Argument : Arjouna retire à grand’peine son astra du combat. Açvatthâman ne peut pas retirer le sien. Son discours aux deux rishis. Discours de Vyâsa. Il demande le joyau du Dronide. Discours d’Açvatthâman. Réponse de Vyâsa. Açvatthâman lance son astra sur les enfants à naître des fils de Pàndou.


687. Vaiçampâyana dit : Ô tigre des hommes, en voyant ces deux (rishis) éclatants comme le feu, Dhanañjaya se hâta de retirer son trait divin.

688. le plus excellent des Bharatides, après avoir fait l’añjali, il dit alors à ces deux rishis : « J’ai employé (cette arme surnaturelle) en disant : « Que l’astra soit neutralisé par l’astra.

689. Assurément, cette arme suprême étant retirée, le méchant fils de Drona nous consumera tous par la force de son astra.

690. Vous deux, ô vénérables, qui êtes semblables aux dieux, vous devez vouloir ici notre bien de toutes façons, de même que (vous voulez) celui de toutes les créatures. »

691. Sur ces paroles il retira son astra, ce qui, dans les combats, est difficile pour les dieux même.

692. Nul autre que le fils de Pândou, fût-ce même Çatakratou, ne pouvait retirer l’astra suprême, après l’avoir introduit dans le combat.

693. Vois ! La manifestation de l’énergie de Brahma, une fois produite, ne peut plus être maîtrisée par quelqu’un qui n’a pas l’esprit purifié. Elle ne peut l’être que par un homme qui suit les règles d’un brahmacârin.

694. Lorsqu’un (homme) qui ne remplit pas les devoirs de brahmacârin, a lancé l’astra et veut le ramener en arrière, (cette arme) lui coupe la tête et détruit sa postérité.

695. Après avoir obtenu cet astre difficile à manier, Arjouna, fidèle aux vœux de brahmacârin, quoique dans le plus grand danger, ne le lançait pas.

696. Le héros fils de Pândou, aux vœux sincères, s’était astreint aux pratiques (de l’état de) brahmacârin. Il était docile envers les gourous. Aussi put-il retirer son astra.

697. Mais le fils de Drona, ayant considéré, de son côté, les deux rishis qui se tenaient devant lui, n’eut pas le pouvoir de retirer son arme terrible.

698. Incapable de retirer l’astra suprême produit par lui dans le combat, le fils de Drona dit tristement à Dvaîpâyana :

699. « Ô mouni, j’ai décoché cet astra par peur de Bhîma, pour sauver ma vie, quand je me trouvais dans la plus grande adversité (et dans le plus grand) danger.

700. Ô adorable, un acte déloyal a été commis dans le combat par Bhîmasena à la conduite perverse, qui voulait tuer le fils de Dhritarâshtra.

701. C’est pour cela, ô brahmane, que, sans avoir l'âme purifiée, j’ai lancé cet astra. Maintenant, je ne suis plus en état de le retirer.

702. Car cette arme divine et terrible a été préparée par moi, en prononçant les formules (qui mettent en action) l’énergie de Brahma, (et) en disant : « Pour la destruction des fils de Pândou. »

703. Je l’ai destiné à les faire périr. Maintenant, elle chassera tous les fils de Pândou (du monde des) vivants.

704. Ô brahmane, l’âme remplie de colère, j’ai commis le péché de lancer cet astra dans le combat, en souhaitant la mort des fils de Prithâ. »

705. Vyâsa dit : « Ô mon ami, le fils de Prithâ qui le possédait, n’a pas lancé dans le combat l’astra de la tête de Brahma, par colère et pour ta destruction.

706. Mais, introduit dans le combat par Arjouna, qui voulait opposer un autre astra au tien, il a été (ensuite) retiré (par lui).

707. Le guerrier aux puissants bras, Dhanañjaya, à qui ton père avait enseigné l’astra de Brahma, ne s’est pas écarté des devoirs de kshatriyas.

708. Pourquoi veux-tu tuer, avec ses frères et ses parents, cet homme ferme, vertueux et connaissant tous les astras ?

709. Pendant douze ans, les nuages ne versent pas de pluie Sur un royaume, où l’astra de la tête de Brahma a été détruit par l’astra suprême.

710. Pour cette raison, et mû par le désir de faire le bonheur des créatures, le fils de Pândou aux grands bras ne devait pas détruire l’astra (lancé par toi), alors même qu’il le pouvait.

711. Les fils de Pândou doivent être protégés, ainsi que le royaume et toi-même. Retire donc du combat cet astra divin, ô guerrier aux puissants bras.

712. Renonce à la colère, Que les fils de Prithâ soient épargnés, car le râjarshi, fils de Pândou, ne cherche pas la victoire par des moyens irréguliers.

713. Et maintenant cède le joyau que tu as sur la tête. Après l’avoir obtenu, les fils de Pândou t’accorderont la vie. »

714. Le Dronide dit : « Ce joyau, qui m’appartient, est préférable à tous les bijoux gagnés par les Pândouides et aux autres richesses conquises par les Kourouides.

715. Quand on l’a sur la tête, on n’a plus à craindre aucun danger provenant des armes, des maladies, de la faim, des dieux, des dânavas ou des serpents.

716. On n’a plus à craindre les rakshasas ni les voleurs. Je ne saurais donc, en aucun cas, abandonner cet excellent joyau.

717. Mais ce que l’adorable mouni m’a prescrit, je dois l’exécuter sur-le-champ. Voici ce bijou, et me voici. Cependant (l’effet) de ce roseau, (dont je me suis servi pour produire mon astra), tombera

718. Sur les enfants (enfermés dans le sein des épouses) des fils de Pândou, car cet astra est puissant et infaillible, et je ne suis pas capable de le retirer (du combat), après l’avoir mis en œuvre.

719. Je le lance donc sur les enfants (à naître). De cette façon, je ne désobéirai pas aux ordres de l’adorable grand mouni. »

720. Vyâsa dit : « Agis ainsi, ô homme sans péché. Tu ne dois pas nourrir d’autre pensée. Arrête-toi après l’avoir lancé sur les enfants à naître des fils de Pândou. »

721. Vaiçampâyana dit : Après avoir entendu les paroles de Dvaipâyana, le fils de Drona lança sur les enfants à naître des Pândouides, l'astra suprême qu’il avait introduit dans le combat.










CHAPITRE XVI


APAISEMENT DE DRAUPADÎ


Argument : Krishna prédit la naissance de Parikshit. Réponse du Dronide. Krishna le maudit. Sa malédiction est confirmée par Vyâsa. Réponse d’Açvatthâman. Retour des Pândouides. Ils racontent à Draupadi ce qui est arrivé et lui donnent le joyau d’Açvatthâman. Réponse de Draupadi.


722. Vaiçampâyana dit : En voyant que (l’astra) était lancé, par ce méchant, sur les fœtus (que les femmes) des fils de Pândou (devaient porter dans leur sein), Hrishikeça, joyeux, répondit en ces termes au fils de Drona :

723. « Celle qui était jadis la fille de Virâta, est maintenant la bru de Tarcher (porteur) de Gàndîva. Un brahmane fidèle à ses vœux la vit, quand elle était à Oupaplavya, et lui dit :

724. « Quand les Kourouides seront détruits, il naîtra de toi un fils. Dans le temps qu’il sera dans tes flancs, il recevra le nom de Parikshit. »

725. La parole de cet homme vertueux, (qui parla ainsi à la fille de Virâta), se réalisera, car ce fils, Parikshit, renouvellera la race des (Pândouides). »

726. Le fils de Drona, extrêmement irrité, fit alors cette réponse à Govinda, le plus éminent des Sattvatides, qui venait de tenir ce langage :

727. « Keçava, les choses ne se passeront pas comme tu viens de le dire, dans ta partialité (pour les fils de Pândou), et mes paroles ne seront pas vaines, ô Poundarîkâksha.

728. L’astra que j’ai lancé tombera certainement sur l’enfant de cette fille de Virâta, que tu as l’intention de protéger. »

729. Le vénérable Bhagavant répondit : « La chute de cet astra terrible et suprême aura lieu. Mais, une fois mort, l’enfant renaîtra et aura une longue vie.

730. Tous les sages t’ont connu pour un méchant et un poltron, faisant continuellement le mal et ravissant la vie des enfants.

731. Reçois donc la récompense de tes mauvaises actions. Tu parcourras cette terre pendant trois milliers d’années,

732. N’ayant, nulle part, commerce avec qui que ce soit. Dépourvu de tout compagnon, tu erreras dans les lieux déserts.

733. Il n’y aura pour toi aucun établissement possible au milieu des hommes. Répandant l’odeur de pus et de sang, tu auras pour asile les forêts épaisses et les lieux d’accès difficile.

734, 735. Dans la perversité de ton âme, tu erreras assiégé par toutes les maladies. Le héros Parikshit, ayant atteint l’âge (convenable), pratiquant les devoirs prescrits par les védas, obtiendra du Çaradvatide Kripa (la connaissance) de tous les astras. Observant la loi des kshatriyas,

736, 737. Doué d’une âme vertueuse, il protégera la terre pendant soixante ans, et, par surcroît, ce guerrier aux puissants bras appelé Parikshit, sera roi des Kourouides. Il régnera sous tes yeux, ô insensé. Je ferai revivre ce (prince), brûlé par l’ardeur et le feu de ton astra.

738. Ô le plus vil des hommes, vois la force de mon ascétisme, et de la vérité (à laquelle je m’applique). »

739. Vyâsa dit : « Sans respect pour nos (ordres), tu as commis une action cruelle ; quoique tu sois un brahmane,

740. Tu as adopté la loi des kshatriyas. Pour ces motifs, la parole que le fils de Devakî a prononcée, s’accomplira pour toi sans aucun doute. »

741. Açvatthâman répondit : « Grâce à toi, ô brahmane, j’habiterai toujours parmi les hommes. Que la parole de cet adorable, qui est le plus grand des mortels, s’accomplisse. »

742. Vaiçampâyana dit : Le fils de Drona, plein de tristesse, après avoir donné le joyau aux magnanimes, se dirigea sous leurs yeux vers la forêt.

743. Et les fils de Pândou, dont les ennemis étaient détruits, ayant mis à leur tête Govinda, Krishnadvaipâyana et le grand mouni Nârada,

744. Et pris le joyau que le fils de Drona (avait apporté avec lui) en naissant, se hâtèrent de retourner vers la sage Draupadî, qui se laissait mourir de faim (en observant le vœu de prâya).

745. Vaiçampâyana dit : Alors ces tigres des hommes, avec leurs chevaux rapides comme le vent, retournèrent au camp avec le Dâçârhien.

746. Ces grands guerriers, s’étant hâtés de descendre des deux chars, aperçurent la triste Krishnâ Draupadî. Eux-mêmes, plus affligés (qu’elle),

747. S’étant approchés de cette (femme) privée de bonheur et accablée par l’adversité et le chagrin, les fils de Pândou s’arrêtèrent en l’entourant.

748. Puis le très fort Bhîmasena, avec l’agrément du roi, lui donna le divin bijou, en disant :

749. « Ô la meilleure des femmes, ce bijou est à toi. Le meurtrier de tes fils est vaincu. Lève-toi et chasse le chagrin. Souviens-toi du devoir des kshatriyas.

750. Ô femme aux yeux noirs, (voici) les paroles que tu as adressées au meurtrier de Madhou, quand le Vasoudevide se mit en voyage pour négocier la paix :

751. « Le roi désirant l’apaisement (des hostilités), je n’ai plus ni époux, ni fils, ni frères, pas même toi, ô Govinda. »

752. Tu as adressé au plus grand des hommes, ces aigres paroles, bien conformes à la règle des kshatriyas, tu dois te les rappeler.

753. Le méchant Douryodhana, qui nous disputait la royauté, est tué. J’ai bu le sang de Dousçâsana palpitant.

754. Par notre victoire, nous nous sommes libérés (de la dette de vengeance contractée par nous), à cause de l’hostilité (qu’on nous avait témoignée). Nous ne serons plus des objets de blâme pour ceux qui aiment à médire (des autres). Par (égard) pour sa qualité de brahmane et par respect pour sa dignité, le fils de Drona a obtenu d’avoir la vie sauve.

755. Ô reine, sa renommée est détruite, il est privé de son joyau. On a fait tomber ses armes. Son corps seul a été épargné. »

756. Draupadî répondit : « J’ai obtenu le paiement intégral (des injures que j’avais subies). Ô Bharatide, (je dois respecter comme) le gourou, (Açvatthâman) fils du gourou (Drona). Que le roi fixe ce joyau sur sa tête ! »

757. Puis, suivant les paroles mêmes de Draupadî, le roi le prit et le plaça sur sa tête, (en disant) : « C’est une relique du gourou. »

758. Alors, portant sur la tête le divin et excellent joyau, le roi brilla comme une montagne couronnée par la lune.

759. Puis Krishna, dévorée du chagrin (que lui causait) la mort de ses fils, se leva, et Dharmarât (Youdhishthira) aux grands bras interrogea Krishna.








CHAPITRE XVII


ENTRETIEN D’YOUDHISHTHIRA ET DE KRISHNA


Argument : Youdhishthira demande à Krishna l’explication de ses malheurs. Krishna lui expose comment eut lieu la création des êtres, pour lui faire comprendre la grandeur de Mahàdeva, et lui dit que c’est grâce à la faveur que ce grand Dieu a accordée au fils de Drona, que le meurtre de ses fils et de son armée a pu avoir lieu.


760. Vaiçampâyana dit : Tous les soldats ayant été tués pendant leur sommeil, par trois (héros montés sur leurs) chars, le roi Youdhishthira dit, en pleurant, au Dâçârhien :

761. « Comment donc, ô Krishna, tous les très grands guerriers, mes fils, ont-ils été tués par le fils de Drona, cet (homme) méchant, vil et maladroit ?

762. Comment les fils de Droupada, ainsi que des centaines et des milliers de guerriers courageux, exercés à l’usage des armes, ont-ils été abattus par le fils de Drona ?

763. Comment donc (celui-ci a-t-il pu) tuer Dhrishtadyoumna, le meilleur des maitres de char, auquel le grand archer Drona ne montra pas son visage dans le combat" ?

764. Ô taureau des hommes, quelle œuvre méritoire avait donc été accomplie par le fils du gourou, pour qu’il pût, à lui seul, hier tous les nôtres ? »

765. Çrîbhagavant (le vénérable Krishna) répondit : Assurément, le fils de Drona avait imploré la protection du maître des dieux, de l’immuable (Mahâdeva), puisqu’à lui seul il tua de nombreux (adversaires).

766. Car, quand il est favorable, Mahâdeva est capable de donner, même la qualité de dieu. Giriça (Mahâdeva, maître des montagnes) peut douer (un homme) d’une force suffisante, pour briser Indra lui-même.

767. Certes, ô taureau des Bharatides, je connais réellement Mahâdeva, ainsi que les différents exploits qu’il a accomplis jadis.

768. Il est le commencement, le milieu et la fin des êtres, ô Bharatide. C’est par son impulsion (seule), que ce monde entier se meut.

769. Jadis (Brahma), le puissant ancêtre du monde, voulant procéder à la création des êtres, le vit et lui dit : « Hâte-toi de créer les êtres. »

770. Le grand ascète aux cheveux fauves, qui connaissait les défauts (futurs) des créatures, ayant répondu : « Soit », se plongea dans l’eau et s’y livra longtemps à l’ascétisme.

771. Puis, Pitâmaha, après l’avoir considéré pendant un temps très long, donna, par la pensée, naissance à l’immortel créateur de tous les êtres.

772. Celui-ci, en voyant Giriça endormi dans l’eau, dit a son père (Brahma) : « S’il n’existe pas un autre (dieu) créé avant moi, je donnerai naissance aux créatures. »

773. Le père lui répondit : « Ton aîné n’existe pas. Ce Sthânou (Çiva) plongé dans l’eau, (s’y tient) immobile. Exécute le développement du (monde). »

774. Il créa les êtres, (et d’abord) les sept Prajâpatis dont Daksha est le premier, à l’aide desquels il fit tout cet ensemble des créatures, qui sont de quatre sortes.

775. À peine créées, elles coururent, affamées, sur Prajâpati, pour le dévorer, ô roi.

776. Celui-ci, voyant qu’il allait être dévoré, courut implorer la protection de Pitâmaha. « Que Bhagavant, (dit-il), me protège contre elles, et leur accorde la subsistance. »

777. Il leur assigna alors, pour nourriture, les végétaux et les plantes, et les animaux faibles pour les plus forts.

778. Les êtres créés, joyeux qu’on leur eût accordé leur nourriture, s’en allèrent comme ils étaient venus, et se multiplièrent par voie de génération.

779. L’ensemble des êtres s’étant accru, le gourou du monde fut satisfait. (Roudra), l’aîné des êtres, sortit de l’eau et vit ces créatures.

780. Les êtres de différentes sortes avaient été créés et s’étaient accrus par leur propre énergie. L’adorable Roudra s’irrita et agita son phallus,

781. Qui, planté dans la terre, s’y tint immobile. L’immuable Brahma, voulant l’apaiser par de (bonnes) paroles, lui tint ce discours :

782. « Pourquoi, après être resté longtemps dans l’eau, fais-tu (tout) ce bruit ? Pourquoi, après avoir dressé ce phallus, l’enfonces-tu dans la terre ? »

788. Ce gourou du monde, dont la colère était excitée, dit à son (propre) gourou : « Qu’en ferais-je, (puisque) les êtres ont été créés autrement que par lui ?

784. C’est par mon ascétisme, ô Pitâmaha, que la nourriture a été obtenue pour les êtres (vivants). De même que les plantes, les créatures (vivantes) se développeront continuellement. »

785. Sur ces paroles, le grand ascète Bhava (Roudra) alla se livrer à l'ascétisme, au (pied du) mont Mouñjavant.









CHAPITRE XVIII


SUITE DU PRÉCÉDENT


Argument : Les dieux offrent un sacrifice où ils n’invitent pas Roudra, qui s’en irrite et se fabrique un arc. Il frappe d’une flèche le sacrifice des dieux. Ce sacrifice s’élève au ciel, accompagné par Rendra. Roudra mutile plusieurs dieux. Les dieux s’enfuient, affolés, mais il les arrête. Les dieux brisent la corde de son arc et viennent demander sa protection, qu’il leur accorde. Il leur rend les membres qu’il leur avait enlevés. C’est grâce à la protection de ce dieu que le Dronide a pu venir à bout de son entreprise.


786. Çrîbhagavant dit : Après que le Devayouga (âge des dieux) fut passé, les dieux se disposèrent à faire un sacrifice, selon les règles établies par les védas.

787. Ils réunirent les matériaux, les offrandes et les objets propres au sacrifice, et désignèrent les divinités dignes d’y prendre part.

788. Mal informés sur Roudra, ces dieux ne firent pas la part de Sthânou (Çiva immobile), ô maître suprême des hommes.

789. Ce (dieu), revêtu d’une peau de bête, ayant été oublié dans la répartition, faite par les immortels, (des dons) de sacrifice, et désirant le détruire, créa d’abord un arc.

790. Il y a le Lokayajña (sacrifice en vue d’obtenir les mondes), le Kriyayajña (sacrifice consistant en ses œuvres), le Grihayajña (sacrifice domestique) qui est éternel, le Pañcabhoûtanriyajña (sacrifice de l'homme dans ses rapports avec les cinq sortes d’êtres). Du sacrifice provient tout ce monde.

791. Kapardin (Çiva chevelu) créa (son) arc au moyen du Lokayajna et du Nriyajna (sacrifice des hommes), l'arc créé mesurait cinq kishkous (coudées).

792. Ô Bharatide, le cri de Vashat ! en était la corde. Les quatre parties du sacrifice formaient sa garniture.

793. Alors Mahâdeva, irrité, se dirigea vers l’endroit même où les dieux offraient leur sacrifice.

794. En voyant cet immuable brahmacârin qui tenait son arc, la desse Terre chancela et les montagnes tremblèrent.

795. Le vent cessa de souffler, le feu allumé cessa de briller, les étoiles épouvantées se mirent à errer çà et là dans le ciel.

796. Le soleil cessa de briller, ainsi que Soma (la lune), qui avait perdu son disque magnifique. Le ciel entier fut troublé et plongé dans l’obscurité.

797. Les dieux, rendus perplexes, ne reconnaissaient plus les objets (qui les entouraient). Le sacrifice cessa de brûler et les divinités tremblèrent.

798. Alors (Mahâdeva) atteignit, d’une flèche au cœur, le sacrifice qui, s’étant transformé en une gazelle, s’enfuit avec le feu .

799. Sous cette forme il atteignit le ciel et y resplendit, suivi par Roudra à la voûte céleste, ô Youdhishthira.

800. Puis, quand le sacrifice fut parti, l’intelligence n’éclaira plus les dieux qui, privés d’intelligence, ne connurent plus rien.

801. Tryambaka (Roudra, qui a trois yeux) coupa les deux bras de Savitar, et, dans sa colère, creva les deux yeux de Bhaga et brisa les dents de Poûshan, avec l’extrémité recourbée de son arc.

802. Alors, les dieux et les parties différentes du sacrifice s’enfuirent de toutes parts. Quelques-uns chancelaient, comme s’ils eussent perdu le souffle vital.

803. Mais (Roudra) Çitikantha (qui a le cou noir), après avoir tout dispersé, se mit à rire. À l’aide de l’extrémité recourbée de son arc, il retint les dieux.

804. Alors un grand cri (poussé) par les immortels fit rompre la corde de cet arc, qui se mit immédiatement à vibrer (en se détendant).

805. Les dieux, accompagnés du sacrifice, s’approchèrent ensuite du plus grand des dieux, qui n’avait plus d’arc, pour lui demander sa protection, qu’il leur accorda.

806. Alors Bhagavant, (apaisé), jeta dans l’Océan sa colère, qui, ô roi, s’étant transformée en feu, dessèche constamment (l’excédent des eaux) de la mer.

807. Il rendit ses deux yeux à Bhaga, ses deux bras à Savitar et ses dents à Poûshan. (Il rendit aussi aux dieux) leur sacrifice, ô fils de Pândou.

808. Tout rentra alors dans l’ordre, et les dieux lui assignèrent pour sa part la totalité du sacrifice.

809. Quand il est irrité, le monde entier est en désordre, et quand (Mahâdeva) est apaisé, l’ordre renaît. Le dieu héroïque était favorable au (fils de Drona).

810. C’est pour cela que tous les grands guerriers tes fils, et les autres héros en grand nombre, qui suivaient le roi des Pâñcâlas, ont été tués.

811. Il ne faut plus y penser. Cet exploit n’est pas le fait du fils de Drona, (mais) c’est à la faveur de Mahâdeva qu’il faut en attribuer la cause. (Cesse d’en gémir) et reviens à tes affaires.


Fin du livre des événements arrivés pendant le sommeil






NOTES RELATIVES


AU LIVRE DES ÉVÈNEMENTS QUI EURENT LIEU PENDANT LE SOMMEIL




1. Çl. 288. Le texte porte Karnikârâçca. On ne trouve dans Bôhtlingk le mot karnikâra qu’avec des significations qui ne conviennent pas ici. Sous le n° 3, il donne ce mot comme adjectif, en renvoyant à ce passage, mais avec un point d’interrogation. Il n’en indique au reste pas la traduction. Le traducteur anglais dit : « ayant des anneaux aux oreilles », et j’ai suivi son exemple.

2. Çl. 361. Il semble qu’il y ait ici une répétition et que le glaive et l’épée du fils de Drona soient une seule et même chose. Mais le texte présente deux mots différents : nistrimça et asi. J’ai voulu les rendre tous les deux. Peut-être l’auteur a-t-il voulu faire allusion au glaive que Mahâdeva avait donné à Açvatthâman, et à l’épée qui devait faire partie de son armement primitif.

3. Çl. 381. Le texte porte sabhadrakais. J’ai traduit comme s’il y avait prabhadrakais, le traducteur anglais a fait de même.

4. Çl. 499. Au second demi çloka 499, je suppose une légère anacoluthe. Je supplée le mot tvâm, et je traduits comme si les accusatifs balinam, kritinam, nityam, étaient des nominatifs.

5. CI. 539. Le traducteur anglais dit : « Après avoir entendu les lamentations du fils de Drona, plein de chagrin, je me dirigeai vers la ville. » Les mots çokârttâs et prâdravan sont au pluriel et ne peuvent se rapporter qu’aux trois Dhritarâshtrides. Cependant l’idée requise justifie la traduction anglaise. En fait, c’est bien Sañjaya qui se dirige vers la ville et va trouver Dhritarâshtra. Quant aux trois Dhritarâshtrides, (au moins Açvatthâman), ils vont

d’un tout autre côté.
LE
MAHÂBHÂRATA




XI
STRÎPARVA
OU
LIVRE DES FEMMES
MAHÂBHÂRATA


STRIPARYA OU LIVRE DES FEMMES




SECTION I, DU DON DE L’EAU


Après avoir rendu hommage à Nârâyana et à Nara, le plus grand des hommes, ainsi qu’à la déesse Sarasvatî, on peut obtenir la victoire.




CHAPITRE PREMIER


CONSOLATIONS DONNÉES À DHRITARÂSHTRA


Argument : Janaraejaya demande la suite du récit fait par Sañjaya à Dhritarâshtra. Sañjaya conseille de faire les cérémonies funéraires des morts. Suite des lamentations de Dhritarâshtra. Des consolations lui sont données par Sañjaya.


1. Janamejaya dit : mouni, que fit le grand roi Dhritarâshtra, quand il eut appris que Douryodhana était tué et que l’armée était entièrement exterminée ?

2. (Que fit aussi) le roi au grand cœur, descendant de Kourou, Dharmapoutra (fils de Dharma) ? Que firent les trois (Dhritarâshtrides), Kripa et les autres ?

3. J’ai entendu (le récit) des exploits d’Açvatthâman. Raconte-moi les événements qui suivirent cette malédiction réciproque, (en un mot) ce que Sañjaya dit à (Dhritarâshtra).

4, 5. Vaiçampâyana dit : S’étant approché du grand roi Dhritarâshtra maître de la terre, triste parce que ses cent fils avaient été tués, tourmenté par le chagrin (que lui causait la mort) de ses enfants, qui méditait en silence, pareil à un arbre dont les branches ont été coupées, Sañjaya lui adressa ces paroles :

6. « Ô grand roi, pourquoi pleures-tu ? Le chagrin ne sert à rien, ô maître des hommes. Dix-huit armées complètes ont péri.

7. Cette terre est maintenant sans habitants ; elle est vide et déserte. Les rois des hommes des divers pays, venus des différents points de l’horizon,

8, 9. Ont tous trouvé la mort avec ton fils. Fais faire, dans l’ordre régulier, les cérémonies funèbres pour les pères, les fils, les petits-fils, les amis et les gourous. »

10. Vaiçampâyana dit : En entendant ces tristes paroles, le roi, difficile à affronter (dans les combats), tourmenté de la mort de ses fils et de ses petits-fils, tomba à terre, comme un arbre abattu par le vent.

11. Dhritarâshtra dit : « Mes fils, mes ministres et tous mes amis étant tués, je serai maintenant réduit à errer, tristement, sur cette terre.

12. En vérité, à quoi la vie peut-elle être bonne pour moi, dépourvu de parents, rongé par la vieillesse, pareil à un oiseau dont les ailes sont coupées.

13. Privé de mon royaume et de mes proches qui ont été tués, ayant les yeux éteints, je ne brillerai pas, ô grand sage, plus que le soleil dont les rayons seraient détruits.

14. Je n’ai pas suivi les conseils amicaux du Jamadagnide, du devarshi Nârada et de Krishnadvaipâyana.

15. Certes, ce qui m’était le plus profitable m’a été dit par Krishna au milieu de l’assemblée. « Ô roi », dit-il, « assez d’hostilité ; que (la cupidité) de ton fils soit reffrénée. »

16. Insensé (que je suis), pour n’avoir pas suivi ce conseil, je souffre de grands chagrins ! Certes, je n’écoutai pas (davantage) les sages paroles de Bhîshma !

17. Ayant entendu raconter le meurtre de Douçsâsana et (celui) de Douryodhana, qui tomba comme un taureau beuglant (dans son agonie), ainsi que le malheur de Karna,

18. À l’éclipsé de ce soleil (qui était) Drona, mon cœur est déchiré. Ô Sañjaya, je ne me rappelle pas avoir commis jadis aucune faute

19. Dont le (malheur) que j’éprouve, dans mon égarement, soit la conséquence. Certainement, dans les existences antérieures que j’ai traversées, quelque péché a été commis par moi.

20. C’est pour (l’expier) que le créateur m’a engagé dans des entreprises, dont la conséquence est le malheur. La vieillesse, la destruction de tous mes parents,

21. La ruine de mes amis et de mes partisans proviennent de la destinée. Est-il, sur la terre, un homme plus malheureux que moi ?

22. Que les Pândouides, aux vœux fermes me voient, aujourd’hui, appliqué à suivre ouvertement le long chemin (qui conduit) au monde de Brahma, (l’ascétisme) . »

23. Viçampâyana dit : Sañjaya adressa des paroles propres à calmer sa douleur, à ce roi qui se lamentait en exposant ses grands chagrins.

24. Chasse la peine, ô roi, dit-il. Tu as entendu de la bouche des vieillards, les conclusions des védas, les diverses sortes de traditions sacrées contenues dans les çastras,

25. (Et) ce que les mounis dirent jadis à Sriñjaya, dévoré de chagrin à cause de son fils. De même, quand ton fils s’entêtait dans son orgueil juvénile,

26. Tu n’as pas écouté les conseils que te donnaient tes amis. À l’affût du profit, dans ton avidité, tu n’as pas (su) faire (ce que commandait) ton intérêt personnel.

27. Tu as agi d’après tes propres idées, comme une épée qui tranche d’un seul coup. En général, les hommes qui n’avaient pas une bonne conduite, ont toujours été honorés (par toi).

28-31. Ô Bharatide, les conseils du vieux Kourouide Bhîshma, de Gândhârî, de Vidoura, ô grand roi, de Drona, ô grand roi, du Çaratvatide Kripa, de Krishna, ô grand roi, du sage Nârada, des autres rishis, et de Vyâsa à la splendeur incommensurable, n’ont pas été suivis par ce (Douryodhana) ton fils, ô Bharatide, qui avait pour conseillers Dousçâsana, le téméraire fils de Ràdhà (Karna), le pervers Çakouni, l’insensé Citrasena, et Çalya dont le monde entier a eu à souffrir.

32. (Il avait) peu de sagesse, il était égoïste, cruel, d’un commerce difticile, toujours insatiable, et (cependant) héroïque. Il ne savait dire que « bataille ».

33. Tu es intelligent, instruit ; tu dis toujours la vérité. Des gens de bien de ta sorte, et aussi sages que toi, ne laissent pas leur esprit s’égarer.

34. Quand il disait : « Toujours la guerre », il ne respectait aucun devoir. (En conséquence), tous les kshatriyâs sont détruits et la gloire de nos ennemis s’est accrue.

35. Tu étais placé entre (les deux partis). Tu n’as pas compris (ton rôle d’arbitre). Tu n’as pas dit ce qu’il fallait dire. Incapable de réfréner tes passions, tu ne les a pas pesées avec la balance (de la justice).

36. Dès le principe, l’homme doit faire son possible pour que, son but venant à n’être pas atteint, il n’éprouve pas de regret (de ses actions).

37. Ô roi, dans ton ambition pour ton fils, tu as voulu faire ce qui lui était agréable. (L’affaire ayant mal tourné) pour toi, tu t’en repens. Il ne faut pas t’abandonner à tes regrets.

38. Celui qui ne voit que le miel seul, (sans considérer) l’abîme (qu’il faut franchir pour s’en emparer), quand il est tombé (dans cet abîme), par suite de sa convoitise pour le miel, se lamente comme toi (en vain) .

39. Ce n’est pas en pleurant qu’on obtient les richesses. Ce n’est pas en pleurant qu’on obtient le fruit (de ses efforts). Ce n’est pas en pleurant qu’on obtient ce que l’on désire. Ce n’est pas en pleurant qu’on atteint le but suprême (la délivrance finale).

40. Celui qui, ayant allumé un feu et l’ayant enveloppé de son vêtement, en est brûlé et s’en repent, manque de sagesse, (car il devait prévoir ce qui lui arrive).

41. Vous avez, toi et ton fils, soufflé le vent de vos paroles sur le feu (de la colère) des fils de Prithâ. Vous l’avez arrosé de votre cupidité, (en guise de beurre âjya), et il s’est allumé.

42. Tes fils sont tombés, comme des papillons de nuit, dans ce (brasier) enflammé. Tu ne dois pas te lamenter parce qu’ils ont été consumés par le feu des flèches (de l’ennemi).

43. Ô roi, les sages ne sauraient te louer d’avoir le visage couvert de larmes. C’est contraire aux préceptes (de la sagesse).

44. En vérité, ces (larmes) brûlent, comme des étincelles (de feu), les hommes (que tu pleures). Que la réflexion triomphe de ta colère. Réconforte-toi toi-même. »

45. Vaiçampâyana dit : Il fut ainsi rappelé à lui-même par le magnanime Sañjaya. Vidoura lui dit encore des choses qui avaient la sagesse pour base.







CHAPITRE II


SUITE DU PRÉCÉDENT


Argument : Discours de Vidoura.


46. Vaîçampayana dit : Écoute ce que dit ensuite Vidoura, pour ramener, par des paroles pareilles à l’ambroisie, la joie chez le taureau des hommes, le fils de Vicitravirya.

47. Vidoura dit : Ô roi, léve-toi. Pourquoi es-tu étendu (sur le sol) ? Appelle ton courage à ton aide. (La mort), cette fin de toutes les créatures, est le (but final) suprême des maîtres du monde.

48. Tous les amas ont pour fin la dissolution. Les assemblages se désagrègent. Les réunions ont pour fin la séparation, et la mort est la fin de la vie.

49. Ô Bharatide, ô le plus grand des kshatriyas, parce que Yama attire à lui le héros comme le lâche, (faudra-t-il) que les kshatriyas se privent de combattre (et se conduisent comme des poltrons) ?

50. Celui qui ne combat pas trouve la mort, (alors que, souvent), celui qui combat survit. Ô grand roi, personne, quand son heure est arrivée, n’évite (son sort).

51. Ô Bharatide, les êtres commencent par ne pas exister, puis ils existent, et, finalement, ils rentrent dans le néant. Pourquoi te lamenter (qu’il en soit) ainsi ?

52. Ce n’est pas en pleurant qu’on se réunit aux morts, ce n’est pas en pleurant qu’on trouve la mort. Pourquoi pleures-tu, puisque tel est l’arrangement naturel du monde ?

53. Le temps attire à lui tous les êtres, quelle que soit leur nature. Pour le temps, il n’y a ni ami ni ennemi, ô le plus excellent des Kourouides.

54. De même que le vent abat de tous côtés les extrémités des brins d’herbe, les êtres vivants sont soumis au pouvoir du temps, ô taureau des Bharatides.

55. Pourquoi se lamenter sur celui que le temps atteint le premier, alors que tous les êtres s’acheminent ensemble vers la mort, comme les membres d’une même caravane ?

56. Ô roi, tu ne dois pas non plus pleurer sur ceux qui ont été tués en combattant. Si les çâstras (écritures), sont dignes de foi, ils ont atteint le refuge suprême.

57. Car tous se livraient à l’étude des védas, tous observaient des vœux sévères et tous sont morts, la face tournée en avant. Pourquoi donc se lamenter (sur leur sort) ?

58. Arrivés (d’un lieu) où ils n’étaient pas visibles (avant leur naissance), ils sont retournés (dans un lieu) où ils ne le sont pas davantage. Ils ne t’appartenaient pas et tu ne leur appartenais pas .

59. Si l’on est tué, on obtient le Svarga, si l’on a tué (on acquiert) la gloire. Les deux choses sont très avantageuses, et le combat n’est jamais sans profit.

60. Indra créera, pour ceux (que tu pleures), des mondes où leurs désirs seront comblés. Certainement ils deviendront les hôtes d’Indra, ô taureau des hommes.

61. Ni par des sacrifices aux riches dakshinâs (offrandes), ni par l’ascétisme, ni par la science, les mortels ne parviennent aussi sûrement au Svarga, que les héros tués dans le combat.

62. Ils versèrent des offrandes de flèches sur les feux (figurés par) les corps des héros (ennemis), et, de même, (ces hommes) énergiques eurent à supporter, de leur côté, les flèches qui furent versées sur eux (par les ennemis, en guise de libations).

63. Je t’indique par là, ô roi, la meilleure voie (à suivre) pour obtenir le Svarga. Pour le kshatriya, on n’en connaît pas ici-bas de meilleure que les batailles.

64. (Ceux qui sont tombés) étaient de magnanimes kshatriyas, des héros brillants dans les assemblées. Ils ont obtenu le comble de leurs désirs ; il ne faut pas les pleurer.

65. Ô taureau des hommes, ne te lamente pas. Reprends courage (en ayant recours) à toi-même. Il ne faut pas, maintenant, que le chagrin qui t’accable t’empêche d’accomplir ce que tu dois faire.

66. Il y a, dans les mondes où l’on transmigre, des milliers de pères et de mères, des centaines de fils et d’épouses. À qui sont-ils et à qui sommes-nous nous-mêmes ? (En réalité les liens de parenté sont chose changeante.)

67. Des milliers de sujets de chagrin et des centaines de motifs de crainte, assiègent chaque jour le sot, (mais n’affectent pas) le sage.

68. le plus excellent des Kourouides, personne n’est ni chéri, ni détesté du temps. Le temps n’est jamais neutre ; le temps attire tout à lui.

69. Le temps mûrit les êtres, le temps moissonne les créatures. Le temps veille sur les gens endormis. Certes, on ne lui échappe pas.

70. La jeunesse, la beauté, la vie, la richesse, la victoire, la santé, la société de ceux qui nous sont chers, ne durent pas toujours. Le sage ne doit pas être avide de ces (biens périssables).

71, 72. Ne te désole pas, seul, sur un malheur qui frappe le royaume (tout entier). Si on s’écarte de l’héroïsme, en pleurant, on n’empêche rien. On meurt quand même et on n’évite pas ce (qu’on redoutait). Le remède à ce malheur est de n’y pas penser.

73. Le (mal) auquel on pense, ne nous quitte pas. Bien plus, il s’accroît. Quand il leur arrive quelque chose de désagréable, ou quand ils sont privés de ce qu’ils désirent,

74. Les hommes de peu de jugement sont consumés par les douleurs humaines. En pleurant, tu ne favorises ni l’intérêt, ni le devoir, ni le plaisir.

75. (En agissant comme tu le fais), on s’éloigne du but à atteindre et on manque les trois fins (de l’homme, intérêt, devoir, plaisir). Quel que soit l’état de fortune particulier auquel les hommes soient arrivés,

76. Les sages s’en contentent, et ceux qui ne s’en contentent pas ont l’esprit égaré. On guérit les peines mentales par la sagesse, et les douleurs corporelles par les médicaments.

77-80. Telle est l’efficacité de la science. On ne saurait obtenir l’égalité d’âme par d’autres (moyens). Les œuvres que l’homme a accomplies jadis (dans une existence antérieure), l’entourent quand il est couché, se tiennent près de lui quand il est debout, courent après lui quand il court. Dans quelque situation qu’il se trouve, s’il l’ait quelque chose de bien ou de mal, il en recueille le fruit dans une même situation. Celui qui fait une action quelle qu’elle soit, avec un corps quel qu’il soit, en recueille le fruit avec ce même corps. Chacun est son propre ami, et chacun est son propre ennemi.

81. Chacun est le propre témoin de ses œuvres et de ses négligences. Le bonheur vient des bonnes actions et le malheur des mauvaises.

82, 83. On subit toujours (les conséquences) de ce qu’on a fait. On n’obtient jamais (de récompense) pour ce qu’on n’a pas fait. Les sages comme toi ne s’attachent donc pas à des actions très mauvaises, en opposition avec la science, et radicalement pernicieuses.








CHAPITRE III


SUITE DU PRÉCÉDENT


Argument : Suite du discours de Vidoura.


84. Dhritarâshtra dit : « Ô grand sage, (tes) bonnes paroles ont fait disparaître le chagrin qui me consumait, mais je désire entendre encore (tes) discours conformes à la vérité.

85. Comment les sages se délivrent-ils des peines mentales, en évitant, (à la fois), ce qui plaît et ce qui déplaît ? »

86. Vidoura dit : À partir du moment, quel qu’il soit, où il s’est détaché des peines et des plaisirs de son intelligence, et où il a réprimé (les sensations qu’il en peut ressentir), le sage obtient l’apaisement.

87. Ô taureau des hommes, cet (univers) n’est pas considéré comme éternel. Le monde est semblable au kadali (musa sapientium, arbre qui n’a pas de moelle). Son essence (réelle) n’est pas connue.

88. Puisque les sages et les fous, les riches et les pauvres, quand ils ont atteint le cimetière, (y) dorment tous, délivrés de soucis,

89, 90. Avec des membres décharnés, (où il ne reste) guère que des os liés par des tendons, comment les autres hommes, considérés isolément, (pourraient-ils) apercevoir entre eux une différence, distinctive de leur race et de leur beauté ? Comment les hommes ont-il l’esprit (assez) abusé, pour se porter envie les uns aux autres ?

91. Les sages ont dit que les corps des mortels étaient semblables à des demeures. Le temps les dissout. L’esprit seul est éternel.

92. Quand un homme a mis de côté un vêtement usé ou non usé, il en choisit un autre. Il en est de même des corps des êtres vivants.

93. Ô fils de Vicitravîrya, les créatures obtiennent, ici-bas, le bonheur ou le malheur qu’elles ont mérité par leurs actes.

94. Par l’œuvre, ô Bharatide, le Svarga, le bonheur, ou le malheur sont obtenus. Qu’il le veuille, ou qu’il ne le veuille pas, (l’homme) porte le fardeau (de ses actions).

95-97. De même qu’un vase d’argile périt, soit qu’on le brise en le faisant, quand il est monté sur la roue (du potier), ou quand il vient d’être fait en le descendant (de la roue), ou, après avoir été descendu, s’il est brisé (encore) humide, ou, sec, quand il est en train de cuire, soit que, ô Bharatide, on le fasse tomber quand il est retiré du four, ou bien quand on s’en sert, de même (se passent les choses) pour les corps des êtres vivants.

98, 99. La mort frappe celui qui est dans le sein de sa mère, (celui) qui nait, (celui qui est) au premier jour de sa vie, (celui qui) est âgé d’un demi mois, d’un mois, d’un an, de deux ans, (celui qui) a atteint la jeunesse, la moitié de la vie, la vieillesse.

100. C’est en vertu de leurs actes (dans des vies antérieures), que les êtres existent ou n’existent pas. Le monde étant ainsi organisé, pourquoi s’en affliger ? 101. Et de même ô roi, qu’une créature quelconque, suivant (le fil) de l’eau pour son plaisir, (tantôt) plonge et (tantôt) revient à la surface,

102. De même, dans le gouffre profond de la transmigration, (les créatures) plongent ou émergent. Les hommes de peu de sagesse en souffrent les conséquences (dans les existences successives).

103. Mais les sages qui, dans ce cours de la transmigration, sont fixés dans le vrai, qui désirent le bien et qui connaissent l’évolution d’ensemble des êtres, atteignent le but suprême (la délivrance finale, qui fait cesser les transmigrations).







CHAPITRE IV


SUITE DU PRÉCÉDENT


Argument : Suite du discours de Vidoura.


104. Dhritarâshtra dit : « Ô le plus éloquent des hommes, comment peut-on connaître le gouffre de la transmigration ? Je désire rapprendre. Dis-moi ce qu’il en est réellement ; je (te le) demande. »

105. Vidoura dit : (Tu vas) être renseigné sur tout ce qui concerne les êtres, à partir de leur naissance. Tout d’abord, il y a quelque chose, (l’âme), au milieu des éléments confus (qui se trouvent dans le sein de la mère).

106. Puis, le cinquième mois étant passé, (l’âme) a façonné (le corps) sa demeure. Quand ce fœtus a tous ses membres complets, il nait.

107. Il réside au milieu de l’impureté, dans une enveloppe de chair et de sang. Puis, les pieds en haut, et la tête en bas, par la force des esprits vitaux,

108. Étant arrivé à l’orifice de la matrice, par suite des contractions de cet (organe), il rencontre les nombreuses peines de la vie, suivi par ses œuvres antérieures.

109. Délivré de cette (phase) de la transmigration, il aperçoit d’autres maux. Les grahas (démons qui personnifient les peines de la vie) s’approchent de lui, comme les (chiens) fils de Saramâ s’approchent d’une proie.

110. Quand il a atteint un âge plus avancé, les maladies envahissent aussi ce vivant, en butte aux peines qui résultent de ses actes antérieurs.

111. Ô maître suprême des hommes, des malheurs de différentes sortes fondent sur lui, enchaîné qu’il est par les liens des sens, et entouré de l’appât des plaisirs (qu’ils procurent).

112. Continuellement tourmenté par eux, il n’est jamais satisfait, et alors, en agissant, il ne distingue pas le bien du mal.

113. Cependant, ceux qui s’adonnent à la méditation (religieuse), se garantissent (de ces maux). Mais, (en général, le nouvel être) ne se réveille pas jusqu’à ce qu’il ait atteint le monde d’Yama.

114. Entraîné par les envoyés de ce dieu, il meurt (par l’effet du) temps. Privé de ce qui constituait son corps matériel, (à commencer par) la parole, il ne lui reste plus que ce qu’il avait fait de bien ou de mal auparavant.

115. Il se voit de nouveau enchaîné par lui-même. Hélas, le monde est trompé et subjugué par la concupiscence !

116. Celui qui est égaré par la cupidité, la colère ou la crainte, ne se connaît pas lui-même. Il se complaît dans la noblesse (de sa race), et méprise ceux de basse extraction.

117. Celui que l’orgueil de la richesse rend arrogant, méprise les pauvres. On dit des autres qu’ils sont stupides, et on ne veille pas sur soi-même.

118. On abreuve autrui de reproches, et on ne cherche pas à se châtier soi-même. Puisque les sages, les sots, les riches, les pauvres,

119. Ceux de noble race, ceux de basse extraction, les fiers, les humbles, quand ils ont atteint le cimetière, dorment tous, ayant mis de côté leurs préoccupations,

120, 121. Avec des membres décharnés, dont il ne reste plus que des os liés par des tendons, les autres hommes, en les considérant un à un, (ne sauraient) apercevoir entre eux de différence, décelant leur race ou leur beauté ; puisque tous dorment ensemble, déposés dans le sein de la terre,

122-124. Pourquoi les insensés cherchent-ils à se tromper les uns les autres ? Or, celui qui, depuis sa naissance, se conduit intérieurement et extérieurement en ayant égard à la çrouti (révélation), obtiendra le but suprême. Certes, celui qui, ayant ainsi connu tout (ce qu’il faut savoir), suit la vérité, rend sûres pour lui toutes les voies, ô maitre des hommes.







CHAPITRE V


SUITE DU PRÉCÉDENT


Argument : Parabole du brahmane égaré dans une forêt épouvantable et tombé dans un puits de cette forêt.



125. Dhritarâshtra dit : « Indique-moi eu détail ce chemin étroit du devoir, que la sagesse enseigne à suivre. (Explique-moi) tout ce qui concerne cette voie. »

126. Vidoura dit : Après avoir rendu hommage à Svayambhou (l’Être existant par lui-même), je vais dérouler (devant) tes (yeux), ce que les suprêmes rishis disent de la voie, difficile à suivre à travers ce monde.

127. Un certain brahmane, qui se trouvait dans ce vaste monde où l’on transmigre, atteignit un jour une grande forêt, d’un parcours difficile, remplie d’animaux carnassiers,

128. Où abondaient les lions, les tigres et les éléphants, qui, de toutes parts, par leurs puissants rugissements, remplissaient (l’espace de bruit) et rendaient ce séjour épouvantable. À la vue de (ce lieu), il est certain que Yama lui-même eût frissonné (de terreur).

129. En voyant ce bois, le cœur du (brahmane) fut extrêmement troublé. Il défaillit, et ses poils se hérissèrent, ô tourmenteur de l’ennemi.

130. Errant dans ce bois, courant de côté et d’autre, inspectant tous les points de l’horizon, il se demandait où (il pourrait trouver) un refuge.

131. Rempli de terreur, il se hâta (de tâcher de mettre) en défaut ces (bêtes terribles). Mais il ne (pouvait aller) bien loin et s’en délivrer.

132. Il vit ce bois effrayant couvert de toutes parts par un filet, et entouré par les deux bras d’une femme (à l’aspect des plus) terribles.

133. Cette vaste forêt fourmillait de grands et épouvantables serpents à cinq têtes, et qui (semblaient) toucher le ciel.

134. Au milieu du bois se trouve un puits caché, couvert de lianes solides, avec des herbes épaisses.

135. Le brahmane tomba dans ce puits, dont l’ouverture était ainsi dissimulée, et y resta étendu au milieu des lianes qui le remplissaient.

136. Il y demeura suspendu, les pieds en haut, et la tête en bas, comme un fruit volumineux de l’arbre à pain (jaka), qui tient encore à son pédicule.

137. Il lui arriva encore d’autres circonstances fâcheuses. Il aperçut au milieu du puits un grand et puissant serpent.

138. Il vit au bord de la couverture du puits un énorme éléphant, noir de couleur, ayant six têtes, et marchant sur six paires de pieds,

139. S’approchant lentement, couvert par un vallivriksha (shorea robusta), contre les branches duquel il s’appuyait. Dans les branches de cet (arbre),

140. Diverses sortes d’abeilles d’aspect terrible, et inspirant la crainte, ont jadis fixé leurs demeures, et elles y ont entassé leur miel.

141. Ô taureau des Bharatides, elles désirent constamment (goûter) ce miel, à la saveur agréable pour (tous) les êtres, et qui attire les enfants.

142. Les gouttes de ce miel s’écoulent sans cesse et sont sucées par cet homme suspendu (dans le puits).

143. Il a beau les boire, sa soif n’est pas apaisée, et, n’étant pas rassasié, il cherche continuellement à en aspirer.

144. Ô roi, le dégoût de la vie ne pénètre pas dans son âme, et dans cette (triste situation), cet homme espère fermement conserver son existence.

145, 146. Des souris noires et blanches coupent, (avec leurs dents, les racines de) l’arbre. (Plusieurs dangers menacent le brahmane), (soit) de la part des bêtes féroces, (soit) de celle de la femme effrayante placée à la limite des chemins difficiles de la forêt, (soit de la part) du serpent qui est au fond du puits, (soit de la part) de la trompe de l’éléphant qui se tient près de la couverture (de la fontaine). Un cinquième sujet de crainte est (la perspective) de la chute de l’arbre (rongé) par les souris.

147, 148. L’avidité des abeilles pour le miel lui présente un sixième grand danger. Tel est, établi dans une (semblable) demeure, l’homme précipité dans l’océan de la transmigration, qui n’en éprouve pas de dégoût, et dont les espérances ont la vie pour but.






CHAPITRE VI


CONSOLATIONS DONNÉES À DHRITARÂSHTRA


Argument : Explication de la parabole précédente.




149. Dhritarâshtra dit : Hélas, en vérité, la peine de cet (homme était) grande, et le lieu où il se trouvait était pénible à habiter. Comment, ô le plus éloquent des hommes, (pouvait-il) y (trouver) du plaisir et de la satisfaction ?


150. Où donc (est situé] le pays où cet (homme) se trouve, dans une telle situation, qui rend (l’accomplissement) du devoir (si) difficile ? Comment pourrait-il être délivré de ce grand danger ?

151. Renseigne-moi sur tout cela, et alors nous ferons (ce qui sera) convenable. Car une grande compassion s’est emparée de moi, et je (souhaite) la délivrance de cet (homme).

152. Vidoura dit : Ô roi, c’est une allégorie imaginée par ceux qui connaissent (la doctrine) de la délivrance (finale), pour (faire saisir comment), dans les autres mondes, l’homme recueille (le fruit de) ses bonnes actions.

153. Ce qu’on désigne par la forêt, c’est le cours de la transmigration. Le bois pénible à traverser est le dédale de cette transmigration.

154, 155. Ce que l'on appelle les bêtes féroces, ce sont les maladies. Les sages figurent la vieillesse destructive de la beauté, sous les traits de la grande femme qui se tient là, (entourant le bois avec ses bras). Le puits qui s’y trouve, ô roi, est le corps des êtres vivants.

156. Le grand serpent qui y demeure, est le temps. Il est l’Antaka (destructeur) de tous les êtres, le ravisseur général de toutes les créatures qui ont un corps.

157. Les lianes nées au milieu du puits, et dans le fourré desquelles cet homme est suspendu, (représentent l’espoir de la vie (que nourrissent) tous les êtres corporels.

158. L’éléphant à six têtes qui s’approche de l’arbre, sur la couverture du puits, représente l’année.

159. Ses six têtes sont les saisons, et ses douze pieds, les mois. Les souris qui rongent l’arbre, ainsi que les serpents,

160. Sont les jours et les nuits, aux yeux de ceux qui réfléchissent sur (la condition des) êtres. Les abeilles qui se trouvent là, sont les désirs.

161. Les gouttes du miel qui se répandent en jets de tous côtés, représentent la saveur des plaisirs dans lesquels les hommes se plongent.

162. Les sages reconnaissent que telle est la révolution de la roue de la transmigration, et, grâce à cette connaissance, ils coupent les liens (qui les attachent) à cette roue.






CHAPITRE VII


SUITE DU PRÉCÉDENT


Argument : Suite du discours de Vidoura.


163. Dhritarâshtra dit : Ah ! toi qui es au fait de la vérité, (tu viens de me) raconter une allégorie ! Mais (j’aurais encore) du plaisir à goûter l’ambroisie de ta voix.

164. Vidoura dit : Écoute, je vais continuer à développer (les enseignements que comporte) cette question. Les sages qui ont entendu (ce que je vais te dire), sont délivrés des transmigations.

165. De même qu’un homme qui a à parcourir un long chemin, ô roi, fait halte de temps en temps, quand il est vaincu par la fatigue,

166. De même, ô Bharatide, sur ce chemin de la transmigration, ceux qui n’ont pas (cette) sagesse, font des haltes dans les matrices (où ils prennent leurs naissances successives). Les sages s’affranchissent de cette (nécessité).

167. Pour cette raison, les hommes au fait des çâstras ont dit que (la suite des transmigrations) était un chemin (qu’il fallait parcourir), et ont comparé le dédale des transmigrations à un bois.

168. Ô taureau des Bharatides, ce monde est constitué par le retour (indéfini) des êtres périssables, tant mobiles qu’immobiles. Ce n’est pas ce que le sage peut désirer.

169. Visibles ou invisibles, les maladies corporelles ou mentales, auxquelles les mortels (sont sujets) sur la terre, sont comparées à des bêtes féroces.

170. (Quoique) continuellement tourmentés et arrêtés par ces grandes bêtes féroces, qui sont leurs propres œuvres, les gens dont l’intelligence est faible, ne tremblent pas.

171. Cependant, ô roi, l’homme échappe-t-il à ces maladies, la vieillesse, destructive de la beauté, l’enveloppe aussitôt après.

172. (Plongé) de toutes parts, et sans support, dans le grand bourbier de la moelle (des os) et de la chair, avec les poisons de diverses sortes qui sont : les sons, les formes, le goût et le (sens du) tact,

173. (Il voit) les intervalles des années, des mois, des demi mois et des jours, consumer graduellement sa beauté et sa vie.

174. Ce sont les stations du temps (qui détruit tout). Les insensés n’y font pas attention. On a dit que les êtres avaient (leur sort) tracé d’après leurs œuvres.

175. Le corps des êtres est un char, dont l’âme, dit-on, est le cocher. Les sens figurent les chevaux. Le karmabouddhi (organe intellectuel qui dirige les actes) représente la bride .

176. Celui qui suit l’élan de ces chevaux emportés, roule, à la manière d’une roue, dans le cercle de la transmigration.

177. Celui qui s’est vaincu lui-même, et qui a dompté ses sens par la sagesse, ne s’arrête pas ; il roule (aussi, mécaniquement) comme une roue, dans le cercle de la transmigration.

178. Il roule dans la transmigration (mais, en roulant), il n’est pas soumis à l’aveuglement, qui est le malheur de ceux qui roulent dans les transmigrations, (sans être éclairés par la sagesse).

179. Aussi faut-il que le sage s’applique à faire cesser (cet état fâcheux). Il ne doit rien négliger pour cela, car (l’obligation des transmigrations) a cent modes de développement.

180. Ô roi, l’homme qui a vaincu ses sens, qui n’est enclin ni à la colère, ni à la cupidité, qui est satisfait (de tout), qui dit la vérité, obtient l’apaisement.

181. Ce char, (qui figure le corps de l’homme), par qui ceux qui manquent de sagesse (se laissent) séduire, est dit (le char) d’Yama. (L’homme dépourvu d’intelligence) obtiendrait (le sort) que tu as obtenu toi-même, ô maître suprême des hommes.

182. Ô Bharatide, gémir sur la perte d’un royaume, de ses fils, de ses amis, dont on vient d’entendre le récit, voilà (un vrai) malheur.

183. Pour les grandes peines, que le sage ait recours à la médecine de la sagesse, en se servant du médicament qui est la science. C’est là le grand remède, (mais) d’acquisition difficile.

184. L’homme qui a dompté son esprit, se délivre de la grande maladie de la douleur. Ni l’héroïsme, ni les intérêts, ni les alliés, ni les amis,

185. Ne délivrent aussi bien de la peine, qu’une âme qui se maîtrise avec fermeté. C’est pourquoi, ô Bharatide, quand on cultive l’amitié (pour tous les êtres), et quand on pratique la vertu,

186. Le fait de se dompter (soi-même), le renoncement, et l’application sont les trois chevaux de la science sacrée (brahman). Celui qui, monté sur le char de son esprit, le dirige avec les rênes des (bonnes) habitudes,

187. Ayant abandonné la crainte de la mort, s’achemine vers le monde de Brahma. Celui qui, ô maître de la terre, laisse tous les êtres en sécurité,

188, 189. Celui-là va au séjour suprême de Vishnou, (ce qui est) la félicité la plus grande. Ce résultat, qu’il obtient en délivrant les êtres de la crainte (du mal qu’il pourrait leur faire), l’homme ne l’obtiendrait pas par des milliers de sacrifices, et par des jeûnes continus. Certes, les êtres n’ont rien de plus cher qu’eux-mêmes.

190. La mort est redoutée de toutes les créatures, ô Bharatide. Le sage doit donc avoir compassion de tous les êtres.

191. Ceux qui sont sans intelligence, dont la vue n’est pas perçante, (qui sont) en proie aux diverses erreurs, couverts et enveloppés du filet de leurs pensées (peu sages), s’égarent de côté et d’autre.

192. Ô roi, ceux dont la vue est pénétrante, vont vers l’éternel Brahma.







CHAPITRE VIII


SUITE DU PRÉCÉDENT


Argument : Plaintes du roi. Discours de Vyâsa. Il explique que ce qui est arrivé est le résultat d’un décret des dieux, et il exhorte Dhritarâshtra à la patience. Réponse de Dhritarâsytra, qui déclare qu’il supportera la vie.


193. Vaiçampâyana dit : Après avoir entendu ces paroles de Vidoura, le plus excellent des Kourouides, dévoré de chagrin, à cause (de la mort) de ses fils, tomba à terre, évanoui.

194. En le voyant tomber à terre, sans connaissance, ses parents, ainsi que Krishnadvaipâyana et le kshattar Vidoura,

195, 196. Sañjaya et ses autres amis, ceux qui se tenaient aux portes et ceux qu’il honorait (de sa confiance, l’aspergèrent) d’eau fraiche, lui (donnèrent de l’air) avec des éventails) et lui frictionnèrent vivement le corps (avec leurs mains). Après qu’ils eurent (essayé de) consoler, pendant un temps (assez long), Dhritarâshtra tombé dans cet état,

197. Et plongé dans la douleur que lui causait (la mort de) ses fils, le roi, après être resté longtemps sans reprendre connaissance, se lamenta ensuite longuement (en ces termes) :

198. « En vérité, fi sur l’état d’homme et sur tout ce qui s’y rapporte ! C’est la source de peines qui se réitèrent incessamment.

199. Ô Puissant, très grande et comparable à (celles que causent) le poison et le fer, est la douleur produite par la perte des parents et des amis, ainsi que par la ruine de son royaume.

200. Elle brûle les corps, anéantit les intelligences. L’homme atteint par elle songe vivement à la mort.

201. Tel est le malheur dans lequel je suis tombé, et qui a succédé à la félicité (dont j’avais joui jadis). Je n’en trouverai la fin qu’en me délivrant de la vie.

202. Ô le plus excellent des brahmanes, c’est ce que je vais faire aujourd’hui même. » Après avoir ainsi parlé à (son) magnanime père, très versé dans la science sacrée,

203. Dhritarâshtra, envahi par le plus extrême chagrin, devint (comme) stupide, et ce roi se plongea dans une méditation silencieuse, ô maître de la terre.

204. Après avoir entendu les paroles qu’il (venait de prononcer), le puissant Krishnadvaipâyana adressa ces mots à son fils, tourmenté de la douleur (que lui causait la mort) de ses enfants.

205. Vyâsa dit : Ô Dhritarâshtra aux puissants bras, écoute ce que je vais te dire : Tu es, ô roi, intelligent, et instruit en ce qui concerne l’honnête et l’utile ;

206. Ô tourmenteur des ennemis, on n’a négligé de t’apprendre rien de ce qui devait être enseigné. Tu sais, sans aucun doute, que les hommes ne sont pas éternels.

207. Que le monde vivant est périssable, mais qu’il y a un lieu de séjour sans fin, et que la vie a la mort pour terme. Pourquoi pleures-tu (donc), ô Bharatide ?

208. Ô Indra des rois, l’origine de cette guerre est (présente) devant tes yeux. Elle a été préparée par le destin, qui s’est servi de ton fils comme de cause.

209. Ô roi, puisque la destruction des Kourouides devait nécessairement arriver, pourquoi pleurer ces héros, qui ont atteint le refuge suprême ?

210. Ô guerrier aux puissants bras, le magnanime Vidoura, qui savait (tout ce qui devait arriver), s’est efforcé (d’amener) l’apaisement (de la querelle), ô maître des hommes.

211. J’estime que nul être, même en y appliquant longtemps ses efforts, ne peut diriger (d’un autre côté) la voie tracée par le destin.

212. J’ai entendu de mes propres oreilles, ce que les dieux (avaient résolu) de faire. Je vais te le raconter, pour affermir ton esprit.

213. Je me dirigeai jadis, dans une course rapide et sans fatigue, vers la cour d’Indra ; j’y vis alors les habitants du ciel qui y étaient rassemblés.

214. Ô homme sans péché, j’y vis tous les devarshis ayant Nârada à leur tête. La Terre y était aussi, ô maître de la terre,

215. Comme si elle y fût venue dans un but déterminé. Alors, la Terre, s’étant approchée des dieux, dit aux immortels assemblés :

216. « Ô Bienheureux, que ce qui doit être fait pour moi, et ce à quoi vous avez consenti dans le séjour de Brahma, s’exécute rapidement. »

217. Après avoir entendu ces paroles, Vishnou, à qui les mondes rendent hommage, parla (ainsi) à la Terre, dans l’assemblée des dieux :

218. « L’aîné des cent fils de Dhritarâshtra, appelé Douryodhana, accomplira ce qui doit être fait pour toi.

219. Quand tu l’auras obtenu pour roi, tes desseins seront accomplis. Les (rois) protecteurs de la terre, réunis à Kouroukshetra dans l’intérêt de Douryodhana,

220. Se détruiront les uns les autres, en se frappant avec des armes puissantes. Sache, ô déesse, que, dans ce combat, tu seras déchargée du fardeau (que tu as à porter).

221, 222. Hâte-toi de retourner à ta place. Supporte le monde, ô belle. » Ô roi, ce prince (qui était) ton fils, né du sein de Gândhârî pour la destruction du monde, était une portion de Kali (déesse de la discorde). Il était impatient, insatiable, colère, et d’un commerce difficile.

223. Le destin lui donna des frères semblables à lui, et, pour principaux amis, Çakouni son oncle maternel, et Karna.

224. Des rois nés pour la destruction furent réunis sur la terre. Tel est le roi, tel devient son peuple.

225. L’injustice se transforme en justice, si le maître est juste. Il n’y a aucun doute que les serviteurs n’aient les qualités et les défauts du maître.

226. Ô roi, tes fils sont morts pour s’être approchés d’un roi pervers. Ô guerrier aux grands bras, Nârada qui est au fait de la vérité, connut bien cette affaire.

227. Ô maître de la terre, tes fils ont péri en (expiation) de leurs propres fautes. Ô Indra des rois, ne les pleure pas, car il n’y a pas (en cela) de motifs de chagrin.

228. Les fils de Pândou ne t’ont, en vérité, pas causé le plus petit dommage. Tes fils, destructeurs de cette terre, étaient des méchants,

229. Et, s’il te plaît, il n’est pas douteux que, dans l’assemblée lors du sacre de Youdishthira, (Nârada) n’ait prédit jadis (ce qui devait arriver).

230. « Ô fils de Kountî » (dit-il), « tous les Pândouides et les Kourouides s’attaqueront les uns les autres et cesseront (ensuite) d’exister. Fais ce que tu dois faire. »

231. En entendant cette parole de Nârada, les Pândouides furent affligés. L’éternel secret des dieux t’est ainsi dévoilé.

232. (Je t’ai fait voir) comment ton chagrin peut disparaître, (comment tu dois) endurer la vie et (prendre) de l’affection pour les fils de Pândou, en reconnaissant que (ce qui est arrivé) était un décret de la destinée.

233. Ô guerrier aux grands bras, cette révélation, faite lors du sacrifice suprême du râjasoûya (sacre) de Dharmarâja, avait été entendue par moi.

234. Quand je lui eus fait connaître ce décret, Dharmapoutra s’efforça d’éviter la guerre avec les Kourouides, mais le destin est plus puissant (que tous les efforts des hommes).

235. Les décrets de la fatalité, ô roi, ne sauraient en aucune façon être évités, ni par les êtres mobiles, ni par les êtres immobiles.

236. Toi qui mets le devoir au-dessus de tout, ce qui (prouve) que ta sagesse est supérieure, tu es égaré, (même) après avoir connu la voie que les êtres vivants doivent suivre, et celle qu’ils doivent éviter.

237. Si le roi Youdhishthira savait que tu es accablé par le chagrin, et que tu as constamment l’esprit troublé, il renoncerait lui-même à la vie.

238. Il est toujours sensible et compatissant, même pour les petits des animaux. Comment, ô Indra des rois, n’aurait-il pas compassion de toi ?

239. Ô Bharatide, supporte (le fardeau de) la vie, tant pour m’obéir, que parce que l’ordre des choses ne peut changer son cours, et aussi par affection pour les fils de Pândou.

240. Si tu te conduis ainsi, ta renommée s’étendra dans le monde (entier). Ô mon ami, le profit que l’on retire du devoir est très grand, et tu pourras pratiquer longtemps l’ascétisme.

241. Éteins toujours avec l’eau de la sagesse, dont je viens de te rappeler les règles, le chagrin (que te cause la mort) de tes fils, comme (tu éteindrais) un feu allumé (et flambant).

242. Vaiçampâyana dit : Après avoir entendu ce discours de Vyâsa à l’éclat incommensurable, et réfléchi un instant, Dhritarâshtra dit :

243. « Ô le plus grand des brahmanes, je suis assailli par une multitude de chagrins ; mon esprit est constamment en proie à l’égarement, et je ne me reconnais pas moi-même.

244. Mais après t’avoir entendu m’exposer ce qui est ordonné par le destin, je supporterai l’existence et je m’efforcerai d’échapper au désespoir. »

245. Ô Indra des rois, quand il eut entendu ces paroles de Dhritarâshtra, Vyâsa, fils de Satyavatî, disparut de ce lieu.






CHAPITRE IX


SUITE DU PRÉCÉDENT


Argument : Janamejaya interroge Vaiçampâyana, qui lui dit que Sañjaya conseilla au roi de faire les obsèques des morts. Évanouissement de Dhritarâshtra. Conseils que lui donne Vidoura.


246. Janamejaya dit : Il faut que tu me dises, ô viprarshi, ce que fit le roi Dhritarâshtra, quand l’adorable Vyâsa se fut éloigné.

247. Que fit aussi le magnanime descendant de Kourou, Dharmapoutra, ainsi que les trois (guerriers), Kripa et les (deux) autres.

248. J’ai entendu le récit de l’exploit d’Açvatthâman, et comment il y eut réciprocité de crimes. Rapporte-moi les dernières nouvelles, dont Sañjaya fit part à (Dhritarâshtra) .

249. Vaiçampâyana dit : Quand Douryodhana eut été tué et que l’armée entière eut été anéantie, Sañjaya, qui avait perdu l’intuition (surnaturelle qui lui faisait connaître, même, ce qu’il ne pouvait pas voir), revint vers Dhritarâshtra.

250. Sañjaya dit : Les rois des différents peuples, qui s’étaient rassemblés (en venant) de diverses régions, sont tous allés, avec ton fils, au séjour des mânes.

251. Toute la terre a été ravagée, par (la faute de) ton fils, dont (Youdhishthira), qui désirait la fin de la guerre, avait continuellement imploré (en vain la justice).

252. Ô roi, fais, (je t’en prie), accomplir, dans l’ordre et la forme régulière, les cérémonies funèbres de tes fils, petits-fils et pères.

253. Vaiçampâyana dit : En entendant ces terribles paroles de Sañjaya, le roi tomba à terre (et y resta immobile), comme si la vie feût quitté.

254. Vidoura, au courant de tous les devoirs, s’approcha de ce maître de la terre qui gisait sur le sol, et lui adressa ces mots :

255. « Ô roi, lève-toi. Pourquoi rester (ainsi) couché à terre ? Le pas (que tes fils ont franchi), est la fin suprême de toutes les créatures, ô maitre des hommes.

256. Ô Bharatide, les êtres commencent par ne pas exister, puis il existent, et, finalement, rentrent dans le néant.

257. Ce n’est pas en pleurant qu’on suit les morts, ce n’est pas en pleurant que l’homme trouve la mort. Pourquoi pleures-tu, puisque tel est l’arrangement (naturel) du monde ?

258. Celui qui ne combat pas, n’en est pas moins exposé à mourir, (tandis que, parfois), celui qui combat conserve la vie. Nul ne saurait dépasser (la mesure) du temps (qui lui est assigné), ô grand roi.

259. Le temps subjugue tous les êtres, quelle que soit leur nature. Pour le temps, il n’y a ni ami ni ennemi, ô le plus excellent des Kourouides.

260. De même que le vent abat de tous côtés les extrémités des brins d’herbes, les êtres sont soumis au pouvoir du temps, ô taureau des Bharatides.

261. Pourquoi se lamenter sur celui que le temps atteint le premier, alors que tous les êtres s’acheminent ensemble vers la mort, comme les membres d’une même caravane ?

262. Tu gémis, ô roi, sur ceux qui ont péri dans le combat ! (Pourtant) ces magnanimes ne doivent pas être pleurés, car ils sont allés au Tridiva.

263. Ni par des sacrifices aux riches dakshinâs (offrandes), ni par l’ascétisme, ni par la science, les mortels ne parviennent aussi sûrement au Svarga, que les héros tués (dans le combat).

264. (Ceux qui sont tombés) étaient des héros connaissant les védas. Tous se livraient à l’ascétisme. Tous ont péri la face tournée (vers l’ennemi). Y a-t-il (donc) à s’en lamenter ?

265. Ils versèrent des offrandes de flèches sur les feux (figurés par) les corps des héros (ennemis), et, de même, ces hommes eurent à supporter, de leur côté, les flèches qui furent versées sur eux (par les ennemis, en guise de libations) .

266. Je t’indique par là, ô roi, la meilleure voie (à suivre) pour obtenir le Svarga. Pour le kshatriya, on ne connaît pas, ici-bas, de meilleure voie que les batailles.

267. Ces kshatriyas magnanimes étaient des héros brillants dans les assemblées. Ils ont obtenu le comble de leurs désirs ; certes, aucun d’eux ne doit être pleuré.

268. Ô taureau des Bharatides, ne te lamente pas. Reprends courage, (en ayant recours) à toi-même. Il ne faut pas, maintenant, que le chagrin qui t’accable t’empêche d’accomplir ce que tu dois faire. »



CHAPITRE X


ARRIVÉE DE DHRITARÂSHTRA


Argument : Dhritarâshtra, avec toute sa cour et les femmes qui en font partie, se dirige vers le champ de bataille. Désolation générale.


269. Vaiçampâyana dit : Après avoir entendu ces paroles de Vidoura et ordonné qu’on lui préparât son char, le taureau des hommes dit encore ces mots :

270. « Hâtez-vous d’amener Gândhârî et toutes les épouses des Bharatides, ainsi que Kountî et les autres femmes qui sont en ce lieu. »

271. Après avoir ainsi parlé à Vidoura, qui était très au courant des devoirs, cet homme vertueux, dont l’esprit était abattu par le chagrin, monta sur son char.

272. Gândhâri, dévorée de chagrin au sujet de ses fils, accompagnée de Kountî et des (autres) femmes, accourut sur l’ordre de son époux, à l’endroit (où se trouvait le roi).

273. Ces (femmes) très affligées s’approchèrent du roi. Elles s’avancèrent, se saluèrent les unes les autres et poussèrent de grands cris de douleur.

274. Le kshattar (Vidoura), bien qu’il fût lui-même plus affligé qu’elles, (s’efforça) de les consoler. Après avoir fait monter (sur des chars, ces femmes) qui avaient des larmes dans la voix, il se mit en marche.

275. Alors, on entendit un grand bruit dans toutes les demeures des Kourouides. Tous, jusqu’aux enfants, étaient dévorés de chagrin.

276. Ces femmes qui, jadis, n’étaient pas même visibles aux troupes divines, maintenant que leurs maîtres étaient morts, (se laissaient) voir par le bas peuple.

277. Leurs splendides cheveux épars, ayant dépouillé leurs ornements, les femmes, revêtues d’un seul vêtement, couraient de côté et d’autre, à la manière de ceux qui ont perdu leurs protecteurs.

278. Elles abandonnaient leurs demeures aussi belles que Çvetaparvata (la montagne blanche), pareilles à des gazelles dont le chef du troupeau est tué, qui quittent les cavernes des montagnes.

279. Alors, ô roi, ces nombreuses troupes de femmes, excitées, en proie à la douleur, couraient comme des bandes de pouliches dans un enclos.

280. Étendant les bras, poussant des gémissements sur leurs fils, sur leurs frères et sur leurs pères, elles figuraient en quelque sorte la (scène de désolation de) la destruction du monde, à la fin du youga ;

281. Se lamentant, pleurant et courant de côté et d’autre, le chagrin leur ayant enlevé le jugement, elles ne discernaient plus ce qu’il convenait de faire.

282. Les jeunes femmes qui, jadis, rougissaient de pudeur (devant) leurs amies mêmes, se présentaient sans honte, couvertes d’un seul vêtement, devant leurs belles-mères.

283. Elles s’encourageaient (jadis) mutuellement dans leurs petits chagrins ; (mais) maintenant, agitées par la douleur, elles évitent même de jeter les yeux les unes sur les autres.

284. Triste, entouré de ces milliers de femmes en pleurs, le roi se hâta de quitter la ville (pour se diriger) vers le champ de bataille.

285. Tous les artisans, marchands, vaicyas, vivant de leur travail, sortirent de la ville, ayant le prince à leur tête.

286. Un grand bruit, faisant trembler le monde, fut produit par ces femmes qui, dans leur douleur, se lamentaient sur la destruction des Kourouides,

287. (Bruit) pareil à celui qui est produit au moment de la fin d’un youga, (par les cris) des créatures qui se consument. Les êtres (aussi) conçurent cette pensée : « L’anéantissement serait-il arrivé ? »

288. Les citoyens, dont le cœur était extrêmement affligé de la ruine des Kourouides, auxquels ils étaient fidèlement attachés, poussèrent de grands cris, ô puissant roi.







CHAPITRE XI


RENCONTRE DE KRIPA, D'AÇVATTHÂMAN ET DE KRITAVARMAN


Argument : Le cortège royal rencontre Açvatthâman, Kripa et Kritavarman. Discours que ces trois guerriers tiennent au roi et à la reine. Ils se séparent et vont chacun de leur côté.


289. Vaiçampâyana dit : Quand le (cortège) se fut avancé à la distance d’un kroça, il vit ces trois grands guerriers, le Çaradvatide Kripa, le Dronide et Kritavarman.

290. Aussitôt qu’ils eurent aperçu le roi Prajnâcakshousa (Dhritarâshtra aveugle, et ne voyant que par les yeux de la sagesse), ces (héros) ayant des larmes dans la voix, poussèrent des soupirs et dirent à ce prince qui pleurait :

291. « Ô grand roi, après avoir accompli des exploits très difficiles, ton fils est monté avec tous ses compagnons, au monde de Çakra ô prince, maître de la terre.

292. Nous sommes les trois seuls (maîtres) de chars de l’armée de Douryodhana, qui ayons échappé. Tout le reste de ton armée est détruit, ô taureau des Bharatides. »

293. Après avoir parlé au roî en ces termes, le Çaradvatide Kripa adresse ces mots à Gândhârî, dévorée du chagrin de (la mort de) ses fils :

294. « Tes fils intrépides ont trouvé la mort en combattant, en tuant de nombreuses troupes d’ennemis et en accomplissant des exploits héroïques.

295. Ils ont assurément atteint les mondes sans tache, que l’on conquiert par les armes. Ils ont revêtu des corps brillants et sont maintenant comme des immortels.

296. Car aucun (de ces) héros n’a trouvé, dans le combat, la mort par l’épée, après avoir tourné le dos, ou fait l’añjali (en signe de soumission).

297. Les plus grands (sages) ont dit que la mort dans le combat, par les armes, procurait le bonheur suprême à un kshatriya. Tu ne dois donc pas te lamenter.

298. Leurs ennemis aussi, ô reine, les fils de Pândou, ne sont pas heureux. Écoute ce que nous avons fait sous la conduite d’Açvatthâman.

299. Ayant appris que ton fils avait été frappé déloyalement par Bhîmasena, nous sommes entrés dans leur camp endormiet nous avons massacré tous les Pândouides.

300. Tous les Pâñcâlas, Dhrishtadyoumma en tête, sont tués. Les fils de Droupada et ceux de Draupadî sont abattus.

301. Après avoir tué les ennemis de ton fils, nous nous enfuyons, parce que nous sommes incapables de résister aux cinq frères dans un combat,

302, 303. Car ces grands archers, les fils de Pândou, sont braves. Ces tigres des hommes, ces héros, excités en apprenant que leurs fils sont tués, désireux de se venger (du mal que nous venons de leur faire), s’empresseront de suivre nos traces ô glorieuse (reine).

304. Après avoir fait ce carnage des leurs, nous redoutons de les rencontrer ; ô reine, donne-nous notre congé et n’abandonne pas ton esprit à la douleur.

305. Ô roi, toi aussi, congédie-nous, conserve la plus grande fermeté, et considère seulement la fin et le devoir des kshatriyas. »

306, 307. Après avoir ainsi parlé au roi et être passés à sa droite, les magnanimes Kripa, Kritavarman et le fils de Drona poussèrent, avec rapidité, leurs chevaux vers la Gangà (le Gange), (tout en) considérant le sage roi.

308. Ces trois grands guerriers, ô roi, étant partis, prirent congé les uns des autres et, dans leur effroi, s’en allèrent de trois côtés différents.

309. Le Çaradvatide Kripa alla à Hastinapoura, le Hridikien dans son propre royaume, et le fils de Drona à l'ermitage de Vyâsa.

310. Ces héros, en se regardant les uns les autres (aussi longtemps qu’ils purent se voir), remplis de la crainte que leur causaient les magnanimes fils de Pândou, auxquels ils avaient fait offense, s’avancèrent ainsi (chacun dans la direction qu’il avait choisie).

311. Après leur rencontre avec le roi, ô grand prince, le soleil n’étant pas (encore) levé, ces héros dompteurs de leurs ennemis se séparèrent et se rendirent où ils projetaient d’aller.

312. Ensuite, les grands guerriers fils de Pândou, partis de suite (après le massacre du camp à la poursuite du fils de Drona), l’attaquèrent et le vainquirent dans le combat.






CHAPITRE XII


LA STATUE DE FER DE BHÎMA EST BRISÉE


Argument : Les Kourouides, en marche, rencontrent les Pândouides. Dhritarâshtra écrase contre sa poitrine une statue de fer de Bhîma, qu’il avait prise pour Bhîma lui-même. Discours de Krishna à Dhritarâshtra.


313. Vaiçampâyana dit : Après que ces armées eurent été détruites, Dharmarâja Youdhishthira entendit dire que son vieux père (Dhritarâshtra) était parti de la (ville) qui tire son nom des éléphants (Hastinapoura).

314. Ô grand roi, rempli de chagrin au sujet de ses fils, il alla avec ses frères vers (son oncle Dhritarâshtra), qui se lamentait (également), sous le coup de la douleur (que lui causait la mort) de ses fils.

315. (Il était) suivi du magnanime héros Dâçârhien, de Youyoudhâna et de Youyoutsou.

316. Draupadî, tourmentée par la douleur que lui faisait éprouver (la mort de) ses enfants, le suivait avec les jeunes femmes Pâñcâlas qui se trouvaient là.

317. Il aperçut le long de la Gangâ les troupes de femmes (Kourouides), qui criaient comme des femelles d’orfraies, ô le plus excellent des Bharatides.

318. Le roi fut entouré par ces milliers d’affligées, les bras levés (au ciel), pleurant et (poussant des cris) bienveillants et malveillants.

319. « Que penser maintenant, (disaient-elles), de la connaissance du devoir et de la bienveillance du roi, puisqu’il a fait mourir pères, frères, gourous, fils et amis ?

320. Après avoir fait tuer Drona et ton grand oncle Bhîshma, ainsi que Jayadratha, quel est (l’état de) ton cœur, ô grand roi ?

321. Que feras- tu de la royauté, ô Bharatide, en ne voyant plus (près de toi) tes pères, tes frères, l’invincible Abhimanyou, et les fils de Draupadî ? »

322. Dharmarâja Joudhishthira passa devant ces (femmes), qui criaient comme des orfraies, et le guerrier aux grands bras alla saluer (le frère aîné) de son père.

323. Puis, quand le tourmenteur de ses ennemis eut salué, selon la règle, (le frère de) son père, les (autres) fils de Pândou (se présentèrent eux-mêmes) de toutes parts, en énonçant leurs noms.

324. Le père, plein de chagrin, tourmenté par la douleur que lui causait la mort de ses fils, embrassa, sans (grand) plaisir, le fils de Pândou, cause de leur trépas.

325. Après avoir embrassé Dharmapoutra et lui avoir adressé des paroles de consolation, le scélérat (de Dhritarâshtra), pareil à un feu brûlant, chercha (des yeux) Bhîma, ô Bharatide.

326. Enflammé contre ce (héros), du feu d’une colère excitée par le vent de son chagrin, il avait l’air de consumer Bhîma, comme l’incendie dévore une forêt.

327. Hari (Krishna), s’apercevant de ses mauvais desseins à l’égard de Bhîma, retira celui-ci d’entre ses mains et lui substitua une (statue de) fer de Bhîma.

328. Hari, doué d’une grande sagesse, avait, à sa mine, instantanément deviné (ses intentions). Le grand sage Janârdana avait, (en conséquence), pris ses précautions à cet égard.

329. Le roi, plein de force, saisissant à l’instant le Bhîma de fer avec ses deux mains, le brisa, croyant que c’était Vrikodara.

330. Doué de la force de dix mille éléphants, ce roi, ayant brisé le Bhîma de fer, (s’était) écrasé la poitrine (contre cette statue), et il vomissait le sang par la bouche.

331. Puis il tomba à terre, baigné de sang, pareil à un (arbre) parijàta (eritrica indica), à la cime et aux branches fleuries.

332. Alors, le savant cocher (Sañjaya), fils de Gavalgani, le saisit, et lui dit, en l’apaisant et le réconfortant : « Change cette manière d’agir. »

333. Ayant exhalé sa fureur et réprimé sa colère, ce roi au grand cœur s’écria, plein de chagrin : « Ah Bhîma ! Ah ! »

334. Voyant que sa colère était calmée et qu’il regrettait d’avoir tué Bhîma, le Vasoudévide, le plus grand des héros, lui adressa ces paroles :

335. « Ne te lamente pas, ô Dhritarâshtra, Bhîma, que voici, n’est pas tué, et tu n’as anéanti, ô roi, que cette image de fer.

336. Ô taureau des Bharatides, en m’apercevant que tu étais en proie à la fureur, j’ai écarté (du danger) le fils de Kountî, qui était (déjà) entre les dents de la mort.

337. Car, ô tigre des rois, nul ne t’égale en force (corporelle). Qui pourrait, ô guerrier aux grands bras, supporter ton embrassement ?

338. Nul ne saurait, pas plus qu’après avoir rencontré Antaka, en sortir vivant. Personne ne saurait survivre à l’étreinte de tes deux bras.

339. Aussi, ô Kourouide, avais-je apporté, à ton intention, cette image de fer de Bhîma, que ton fils avait donné l'ordre de faire.

340. Ton esprit, dévoré du chagrin (de la mort) de tes fils, s’est écarté du devoir, et c’est pour cela, ô Indra des rois, que tu as voulu tuer Bhîma.

341. roi, il ne te profiterait en rien de tuer Vrikodara. Ô grand roi, cela ne rendrait, en aucune façon, la vie à tes fils.

342. Approuve tout ce que nous avons fait, en songeant à la paix, et n’abandonne pas ton esprit au chagrin. »







CHAPITRE XIII


DHRITARÂSHTRA APAISE SA COLÈRE


Argument : Discours de Krishna, Réponse de Dhritarâshtra. Il embrasse les fils de Pândou.


343. Vaîcampâyana dit ensuite : Les serviteurs s’approchèrent de Dhritarâshtra) pour les ablutions. Quand il eut été purifié, le meurtrier de Madhou lui dit encore :

344. « Ô roi, tu as appris les védas, les diverses sortes de castras (préceptes), les çroutas (révélations), les pouranas (anciens récits) et tous (les traités sur) les devoirs des rois.

345. Puisque tu es un grand sage, un savant, étant ainsi au fait du fort et du faible, pourquoi te livres-tu à une telle colère, à la suite des (malheurs) causés par ta propre faute ?

346. Ô Bharatide, (non seulement) moi, (mais encore) Bhîshma, Drona, Vidoura et Sañjaya, nous t’avons averti. Mais alors, ô roi, tu ne suivis pas nos conseils.

347. Détourné par nous (de la guerre), tu ne te conformas pas à notre avis, (quand nous te disions) que les fils de Pândou t’étaient supérieurs en force et en héroïsme, ô Kourouide.

348. Certes, le roi à la ferme sagesse, qui voit lui-même ses fautes, et qui sait discerner (les obligations "diverses, que lui imposent les) lieux et les temps, obtient la plus haute fortune.

349. Celui qui, au contraire, étant averti de ce qu’il y a de mieux, ne saisit pas (la différence) entre le bien et le mal, suit une mauvaise voie. Il se lamente quand les malheurs ont fondu sur lui.

350. Ô Bharatide, considére-toi donc comme (obligé à suivre) une conduite différente. Ton esprit, qui aurait du être tenu en bride (par toi), était tombé au pouvoir de Douryodhana.

351. Enfoncé dans le malheur par ta propre faute, pourquoi veux-tu tuer Bhîmasena ? Réprime donc ta colère, en te remémorant tes fautes.

352. Ce méchant qui, par jalousie, conduisit la Pâñcâlienne (Krishna) au milieu de l'assemblée, a été tué par Bhîmasena désireux de venger l’hostilité (dont on avait fait preuve à son égard).

353. Considère tes mauvaises actions, et celles de ton méchant fils, (consistant en ce) que les fils de Pândou, malgré leur innocence, ont été abandonnés (par toi), ô tourmenteur des ennemis. »

354. Vaiçampâyana dit : Après que Krishna lui eut ainsi exposé toute la vérité, le maître de la terre, Dhritarâshtra, dit au fils de Devakî :

355. « Ô Madhavide aux grands bras, tout ce que tu m’as dit est vrai. L’affection que je portais à mon fils, ô homme vertueux, m’a enlevé ma fermeté.

356. Grâce au ciel, protégé (par toi), ô Krishna, le tigre des hommes au véritable héroïsme, Bhîma, a échappé à mon embrassement.

357 Maintenant, ma colère s’est évanouie, ma fièvre a disparu, et je n’ai plus qu’un désir, ô Keçava, c’est d’interroger le second fils de Pândou.

358. Les Indras de la terre étant tués, mes fils étant abattus, mon refuge et ma joie reposent certainement dans les fils de Pândou.

359. Alors, fondant en larmes, il embrassa, en touchant leurs corps, Bhima, Dhananjaya, les deux fils de Mâdrî, (considérés comme des) héros parmi les hommes. Après avoir soupiré, il adressa des paroles agréables à ces hommes aux beaux corps.






CHAPITRE XIV


APAISEMENT DE GÂNDHÂRÎ


Argument : Les fils de Pândou s’approchent de Gândhârî. Elle veut les maudire. Vyâsa l’en empêche, son discours. Réponse de Gàndhâri.


360. Vaiçampâyana dit : Ensuite, les (cinq) frères, ces Kourouides fils de Pândou, en compagnie de Keçava, s’approchèrent de Gândhârî, avec l’agrément de Dhritarâshtra.

361. Alors, oppressée par le chagrin (que lui causait la mort) de ses fils, l’irréprochable Gândhârî, sachant que Youdhishthira Dharmarâja avait tué tous ses ennemis, voulait le maudire.

362. Connaissant ses mauvais desseins à l’égard des fils de Pândou, le rishi fils de Satyavatî prévit instantanément (ce qu’elle voulait faire).

363. Ce très grand rishi (Vyâsa, capable de se transporter d’un lieu à un autre) avec la rapidité de la pensée, s’étant baigné dans l’eau pure de la Gangâ, arriva en ce lieu.

364. Doué d’une intuition divine, il connaissait à leurs pensées, et à leurs murmures (inarticulés), l’état d’esprit de touts les êtres vivants.

365. Cet homme au grand ascétisme, dont les paroles étaient bienveillantes, parla au (bon) moment à sa belle-fille ; en lui enlevant l’occasion (de lancer) une malédiction, il fit naître chez elle celle de la patience.

366. « Il ne faut pas être irritée contre les fils de Pândou, (dit-il). Calme-toi, ô Gândhârî. Que les paroles (que tu allais prononcer) ne s’échappent pas (de tes lèvres). Écoute ce que j’ai à te dire.

367. Pendant dix-huit jours, ton fils qui désirait vaincre, t’a dit : « Tu souhaites le bonheur (de ton enfant) combattu par les ennemis, ô ma mère. »

368. En entendant celui qui désirait la victoire te parler ainsi à chaque instant, tu lui répliquais, ô Gândhârî : « Là où est la vertu, là est la victoire. »

369. Ô Gândhârî, je ne me souviens pas qu’une parole de toi, qui étais (alors) heureuse, ait été fausse ou excessive. Assurément, tu étais bienfaisante pour les êtres vivants.

370. Les fils de Pândou, ayant incontestablement atteint la limite suprême (de l’héroïsmej, dans ce combat tumultueux des rois, ont remporté la victoire dans la guerre. Assurément donc, la vertu est supérieure (chez eux).

371. Tu étais jadis patiente. Pourquoi, aujourd’hui, ne pardonnes-tu pas ? toi, qui connais les devoirs, dompte l’injustice. Là où est la vertu, là est la victoire.

372. Ô femme vertueuse, souviens-toi de ta propre vertu et des paroles que tu as prononcées. Réprime ta colère, ne sois pas (ce que tu sembles vouloir être). »

373. Gândhârî dit : « Ô adorable, je ne m’irrite pas et je ne souhaite pas la perte (des fils de Pândou). Mais, presque malgré moi, mon esprit est troublé par le chagrin de la mort de mes fils.

374. Je dois protéger les fils de Kountî, aussi bien que Kountî elle-même, et Dhritarâshtra doit les protéger aussi bien que moi.

375. Cette destruction des Kourouides provient des fautes de Douryodhana, du Soubalide Çakouni, de Karna et de Dousçâsana.

376. Bîbhatsou ne nous a fait aucune offense, pas plus que Vrikodara, fils de Prithâ, Nakoula, Sahadeva, ni même Youdhishthira.

377. Les Kourouides, dont l’arrogance était excitée, en combattant les uns contre les autres, ont péri avec ceux qui les accompagnaient (dans leur entreprise). Je n’en conçois plus de peine.

378. Mais, comment (qualifier) l’acte commis par Bhîma, sous les yeux du Vasoudevide. Le magnanime avait défié Douryodhana à un combat à la massue.

379. Ayant reconnu que, grâce à son habileté, (celui-ci) lui était bien des fois supérieur dans le combat, il le frappa au-dessous du milieu du corps. Voilà ce qui accroît ma colère.

380. Pourquoi donc les héros pourraient-ils, dans le combat, et pour sauver leur vie, s’écarter du devoir, (tel qu’il a été) défini par les (hommes) magnanimes, qui le connaissaient (réellement) ? »






CHAPITRE XV


PRITHÂ VOIT SES FILS


Argument : Bhîma et Gândhârî échangent des discours. Youdhishthira implore le pardon de Gândhârî. Petite vengeance de cette dernière. Effroi des fils de Pândou. Ils s’approchent de leur mère. Douleur de celle-ci en les voyant blessés. Douleur de Draupadî. Discours tenu par Gândhârî pour les consoler.


381. Vaiçampâyana dit : Après avoir entendu ce que Gândhârî venait de dire, Bhîmasena, un peu effrayé, lui adressa ces paroles courtoises :

382. « Que mon action soit juste ou injuste, j’ai agi sous l'empire de la terreur, et pour protéger ma vie ; tu dois me pardonner.

383. Ton fils, dont la force était très grande, n’a pu être terrassé régulièrement. Il ne pouvait être tué par personne dans un combat conforme aux règles de la loyauté.

384. (Je me suis dit) : « Il ne faut pas que (ce guerrier) héroïque, resté seul de son armée, nous ravisse la royauté dans ce combat à la massue. » J’ai alors fait (ce que tu me reproches.

385. Jadis, Youdhishthira aussi a été déloyalement vaincu, et (nous avons) toujours été humiliés par (Douryodhana). C’est pour cela que j’ai commis cette action déloyale.

386. Tu sais toutes (les injures) que ton fils a adressées à la princesse Pâñcâlienne lorsque, dans la saison critique de son mois, elle (n’était couverte que) d’un seul vêtement.

387. Sans nous être rendus maîtres de Douryodhana, nous ne pouvions pas jouir (en paix) de la terre et des mers. C’est pour cela que j’ai agi ainsi.

388. Ton fils faisait (tout) ce qui pouvait nous être désagréable. C’est ainsi qu’au milieu de l’assemblée, il découvrait publiquement la cuisse gauche de Draupadî.

389. Alors même, ton fils devait être tué par nous, et, cependant, sur l’ordre de Dharmarâja, nous nous renfermâmes dans la convention (réciproquement consentie).

390. Ô reine, cette grande hostilité a été suscitée par ton fils, qui nous a continuellement maltraités dans les bois. C’est pourquoi j’ai agi ainsi.

391. Youdishthira a eu raison de cette hostilité, en tuant Douryodhana dans la bataille. Il a conquis la royauté et notre colère s’est calmée. »

392. Gândhârî dit : « Ce genre de mort n’était pas celui qui convenait à mon fils, puisque tu le loues, quoiqu’il ait commis toutes les fautes que tu m’as dites.

393. Mais, quand Nakoula eut ses chevaux tués par Vrishasena, ô Bharatide, en buvant dans le combat le sang qui sortait du corps de Dousçâsana,

394. Tu commettais une action terrible, cruelle, blâmée par les gens de bien, (qui ne pouvait être) accomplie que par un homme vil. (Cette manière d’agir) n’était pas convenable, ô Bharatide. »

395. Bhîmasena dit : « Il ne faut pas boire le sang d’un autre, à plus forte raison le sien. Un frère est, (à cet égard), à considérer comme soi-même. Il n’y a aucune différence.

396. Mais, ô ma mère, le sang ne dépassa pas mes lèvres et mes dents. Ne te désole pas. (Karna), fils de Vivasvant (le soleil), l’a vu ; mes deux mains (seules) furent baignées de sang.

397. Quand je vis Nakoula perdre ses chevaux, tués dans la bataille par Vrishasena, je fis trembler (de peur) les frères de (Douryodhana, qui étaient) pleins de joie.

398. J’ai conservé dans mon esprit, (et je me rappelle) ce que j’exprimais (jadis) avec colère quand, à la suite du jeu de dés, (tes fils) arrachèrent les tresses de cheveux de Draupadî.

399. Ô reine, je serais, pendant une suite ininterrompue d’années, (considéré comme) ayant abandonné mes devoirs de kshatriya, si je n’avais pas accompli la promesse (que je fis alors). C’est pour cela que j’ai accompli cette action.

400, 401. ô Gândhârî, tu ne dois pas me reprocher cette faute. Toi qui n’as pas réprimé la malice de tes fils envers nous, qui ne les offensions pas, comment peux-tu m’accuser d’un crime ? »

402. Gândhârî répondit : « Tu as tué, sans avoir été vaincu, les cent fils d’un vieillard ! (Mais) pourquoi n’en as-tu pas laissé un sans le condamner,

403. Pour continuer la race du vieux couple qui avait perdu son royaume, ô mon ami ? Pourquoi, pas un seul bâton (de vieillesse) n’a-t-il été laissé à ce vieux couple (dont le chef) est aveugle ?

404. Certes, ô mon ami, je n’éprouverais pas de douleur à ce que tu restasses (seul) à jouir de la tranquillité. toi qui (pourtant) as été le meurtrier de mes fils, si tu t’étais astreint (aux obligations que t’imposait ton) devoir (de kshatriya). »

405. Vaiçampâyana dit : Après avoir ainsi parlé, tourmentée par la douleur que lui causait la mort de ses fils et de ses petits fils, Gândhârî s’enquit de Youdhishthira et demanda où était le roi.

400. L’Indra des rois, Youdhishthira, s’approcha d’elle en pleurant, en faisant l’añjâli, et lui adressa ces douces paroles :

407. « Ô reine, voici ce Youdhishthira, le meurtrier de tes fils ; devenu la cause de la ruine de la terre, je suis digne de malédiction. Maudis-moi.

408. Après avoir tué de tels amis, quel intérêt trouverait dans la vie, dans la royauté, dans la richesse, un fou tel que moi, qui ai fait le malheur de ceux qui me sont chers ? »

409. Gândhârî, poussant de grands soupirs, ne répondit rien à ce roi qui, après s’être approché d’elle, lui parlait ainsi avec crainte .

410. 411. Cette reine à la vue perçante et au fait des devoirs, aperçut, par un interstice entre les plis de son voile royal, les extrémités des orteils de ce roi qui, le corps courbé, se disposait à tomber à ses pieds. Alors, les ongles de ce roi, qui étaient beaux à voir, devinrent (subitement) laids, (brûlés par les regards de la reine).

412-415. À cette vue, Arjouna se retira derrière le Vasoudevide. Gândhârî, dont la colère était évanouie, parla doucement et maternellement aux (fils de Pândou), qui erraient sans repos de côté et d’autre, ô Bharatide. Après en avoir obtenu la permission de cette (reine), ces (guerriers) à la vaste poitrine s’approchèrent de leur mère Prithâ, qui avait engendré tant de héros. Plongée dans les soucis à cause de ses fils, en les apercevant après une longue (séparation), elle se couvrit la figure avec son vêtement et versa (d’abondantes) larmes. Puis Prithâ, après avoir pleuré avec ses fils,

416, 417. S’aperçut qu’ils avaient été blessés de beaucoup de manières, par une multitude d’armes (différentes). Les touchant les uns après les autres, et à plusieurs reprises, elle répandit de (nouvelles) larmes, (que lui arrachait) la douleur dont elle était atteinte. Puis elle considère la Pâñcâlienne Draupadî, dont les fils étaient tués, et qui pleurait, étendue à terre.

418. Draupadî prononça ces mots : « Que sont devenus ces nobles enfants, ainsi (qu’Abhimanyou) fils de Soubhadrâ ? (Pourquoi) ne s’approchent-ils pas de toi, qu’ils n’ont pas vue depuis longtemps, ô (grande) ascète ?

419. Privée de mes enfants, que ferai-je de la royauté ? » Prithâ aux grands yeux lui adressa alors des paroles de consolation.

420. Après avoir relevé la Yajnasénienne (Draupadî), en proie au chagrin, qui versait (d’abondantes) larmes, ô roi, accompagnée par elle et suivie de ses fils,

421. Elle s’approcha, plus triste qu’elle, de la triste Gândhârî. Mais Gândhârî parla en ces termes à cette glorieuse (femme) et à sa belle fille :

422. « Ô ma fille, ne sois pas ainsi. Le chagrin t’accable, mais vois comme je suis affligée moi-même. Je pense que ce combat, (où tant de gens ont succombé), est le résultat des vicissitudes du destin.

423. (Cette ruine), qui fait hérisser le poil (d’horreur), était fatale par sa nature même. Elle est accomplie, cette grande parole que Vidoura

424. Aux très (sages) pensées prononça, quand Krishna n’eut pas réussi à amener la réconciliation. Cette affaire était inévitable, et dès l’instant, surtout, où c’est un fait accompli,

425. Ne te désole pas. Ceux qui ont trouvé la mort dans le combat, ne doivent pas être pleurés. Je suis dans la même situation que toi. Qui nous consolera toutes les deux ?

426. C’est certainement par ma faute, à moi seule, que la plus grande des races est détruite. »





MAHÂBHÂRATA


LIVRE DES FEMMES




SECTION II, DES LAMENTATIONS DES FEMMES

'




CHAPITRE XVI


VISITE DES FEMMES AU CHAMP DE BATAILLE


Argument : Gândhârî voit intuitivement le massacre des Kourouides. La cour se dirige vers le champ de bataille. Désolation générale à la vue du tableau qu’il présente. Discours de Gândhârî à Krishna. Elle lui décrit, en gémissant, l’aspect du champ de bataille. Elle lui dépeint la douleur des femmes.


427. Vaiçampâyana dit : Quand elle eut ainsi parlé, Gândhârî, de l’endroit où elle se trouvait, aperçut à distance, par la vue divine (de l’intuition), le massacre des Kourouides.

428. Fidèle à son époux, cette femme (jadis) fortunée, qui accomplissait avec zèle les vœux qu’elle s’était imposés), se livrant à un ascétisme rigoureux, menant continuellement la vie de brahmacârinî (étudiante de la science sacrée),

429. Possédaut une science et une puissance divine grâce à un don excellent, dont l’avait gratifiée le maharshi Krishna aux œuvres pieuses, poussa de longs gémissements.

430. Cette sage (reine) vit, de loin, comme s’il eût été proche (d’elle), le merveilleux champ de bataille des héros, qui faisait hérisser le poil (d’horreur),

431. Couvert d’os et de cheveux, baigné de flots de sang, jonché de toutes parts de plusieurs milliers de cadavres,

432. Couvert de corps souillés de sang d’éléphants, de chevaux, de guerriers combattant sur leurs chars, de corps sans tête et de multitudes de têtes sans corps.

433. Rempli des cris des éléphants, des chevaux, des hommes et des femmes, parcouru par les chacals, les grues, les corbeaux, les hérons et les corneilles,

434. Comblant de joie les rakshasas qui dévorent les hommes, couvert d’orfraies, rempli des cris sinistres des femelles des chacals, peuplé par les vautours.

435. Alors, avec l’agrément de Vyâsa, Dhritarâshtra le maître de la terre, et tous les fils de Pândou, Youdhishthira en tête,

436. Ayant mis en avant le Vasoudevide et le roi (Dhritarâshtra) dont les parents étaient tués, accompagnés des femmes des Kourouides, se dirigèrent vers le champ de bataille.

437. Ces femmes, dont les maris étaient morts, s’étant approchées de Kouroukshetra, y virent, tués, leurs frères, leurs fils, leurs pères et leurs époux,

438. En train d’être dévorés par les carnassiers, les chacals, les corbeaux et les corneilles, par les piçâcas, les rakshasas, et différentes sortes d’êtres noctivagues.

439. Et alors, à la vue d’un (lieu) de carnage qui donnait l’idée d’un (cimetière), endroit de plaisance de Roudra, ces femmes descendirent en pleurant de leurs magnifiques chariots.

440. En contemplant un spectacle (qu’elles n’avaient (jamais) vu auparavant, les femmes des Bharatides, remplies de douleur, se laissèrent tomber, les unes sur les cadavres (des morts), les autres à terre.

441. Et parmi ces jeunes femmes Pâñcâliennes et Kourouides fatiguées (par leur émotion), il en était d’autres qui avaient perdu toute connaissance ; ce spectacle inspirait une grande compassion.

442. La vertueuse fille de Soubala, en voyant le champ de bataille terrible retentir de toutes parts, (des cris) de ces (femmes) dévorées de chagrin,

443. Ayant salué le plus grand des hommes, Poundarîkâksha (Krishna, aux yeux de lotus), lui dit avec douleur, à la vue de la destruction des Kourouides :

444. « Ô Poundarikâksha, vois ces (femmes), mes brus, dont les maris ont été tués. Les cheveux épars, elles crient comme des orfraies, ô Madhavide.

445. Après t’avoir accompagné, se souvenant de ces tigres des Bharatides, elles courent chacune de leur côté, à la recherche de leurs fils, de leurs frères, de leurs pères et de leurs époux.

446-451. Vois à quoi ressemble ce champ de bataille, couvert, (d’une part), de mères dont les fils sont tués, ô guerrier aux puissants bras, et, d’autre part, d’épouses de héros, dont les maris sont exterminés, paré du (corps) des tigres des hommes, Bhîshma, Karna, Abhimanyou, Drona, Droupada, Çalya, (qui étaient) pareils à des feux embrasés ; (champ de bataille orné) des cuirasses d’or et des joyaux divins (dont se paraient) les magnanimes, moucheté de leurs bracelets et des anneaux qu’ils portaient aux mains, (couvert) des lances abandonnées par les bras des héros, de leurs masses d’armes, de leurs glaives aigus, de leurs arcs avec leurs flèches, de troupes de carnassiers de diverses sortes, dont (les uns) se tiennent debout, réunis par places, dont (les autres) se jouent ensemble, et dont d’autres sont couchés, ô puissant. Quant à moi, ô Janârdana, je suis consumée par le chagrin.

452. Ô meurtrier de Madhou, (la vue) de ce carnage des Pâñcâlas et des Kourouides, me (fait) penser à la dissolution des cinq éléments.

453. Les souparnas (oiseaux de proie) et les vautours, arrosés de sang, ayant saisi les pieds (des morts), les déchirent ; les vautours les dévorent par milliers.

454, 455. Après avoir vu des héros invincibles, anéantis et devenus la proie des vautours, des hérons, des grues, des aigles, des chiens et des chacals, (je me demande) qui aurait pu croire (possible) la destruction de Jayadratha, de Karna, de Drona, de Bhîshma et d’Abhimanyou.

456. Vois, pareils à des feux éteints, ces tigres des hommes pleins de présomption, qui étaient placés sous l’autorité de Douryodhana !

457. Tous étaient habitués à des lits moelleux et sans tache. Aujourd’hui, morts, ils reposent sur la terre nue !

458. (Ils étaient) jadis constamment salués par les courtisans qui les glorifiaient ; les cris sinistres et terribles des chacals raisonnent (maintenant) de toutes parts à leurs oreilles !

459. Ces héros glorieux qui, jadis, le corps oint (de pâte) de santal et d’aloës, reposaient sur leurs lits (magnifiques), gisent maintenant dans la poussière !

460. Devenus, (en quelque sorte), leurs ornements, ces sinistres et cruels ennemis aux cris incessants, les vautours, les chacals, et les corneilles déchirent (leurs corps) !

461. Ces (hommes, courageux dans les combats, portent (encore) avec satisfaction, comme s’ils étaient vivants, leurs flèches aiguës, leurs épées imbibées de sang et leurs massues brillantes.

462. De nombreux (guerriers), aux beaux corps et aux belles couleurs, parés de chaînes d’or, pareils à des taureaux (indomptables), gisent tiraillés par les animaux, carnassiers.

463. Mais d’autres, aux bras pareils à des barres de fer, la face tournée (vers l’ennemi), sont étendus, tenant leurs massues embrassées, comme (si c’étaient) des épouses bien-aimées.

464. D’autres carnassiers, ô Janârdana, (n’osent pas) offenser ceux qui portent des cuirasses et des armes sans tache. « Ils vivent encore, » (semblent se dire ces animaux).

465. Les magnifiques guirlandes d’or (qui paraient) d’autres magnanimes (héros), déchirées par les carnassiers, sont dispersées de toutes parts.

466. Ces milliers de chacals craintifs, arrachent les colliers que les magnanimes morts portaient autour du cou.

467, 468. Ô tigre de Vrishni, ces femmes de très haute origine, dévorées de douleur et de chagrin, entourent tristement ces (héros) que, pendant les nuits d’autrefois, d’habiles flatteurs réjouissaient, en leur prodiguant de (grandes) louanges et des hommages suprêmes.

469. Les visages altérés de ces puissantes femmes sont brillants et resplendissent comme des fleurs de lotus.

470. Dans leur affliction, ces femmes des Kourouides ayant, (d’épuisement), cessé leurs lamentations, plongées dans une profonde méditation, errent de côte et d’autre.

471. Les faces de ces femmes des descendants de Kourou, qui, (habituellement), avaient l’éclat du soleil et rivalisaient (de splendeur) avec l’or, s’assombrissent sous l’effet de la colère et des larmes.

472. En entendant leurs lamentations, dont le sens n’est pas complètement perceptible, ces femmes (sont incapables de distinguer les plaintes les unes des autres.

473. (Quelques-unes de) ces matrones, après avoir soupiré en vain longuement et profondément, se lamentent sans relâche et se débattent, abandonnant la vie (par l’excès de leur) douleur.

474. Beaucoup d’entre elles, à la vue des corps, crient et se lamentent ; d’autres se frappent la tête de leurs mains délicates.

475. La terre parait couverte de têtes abattues, de mains et de tous les autres membres entrelacés les uns dans les autres et entassés en monceaux.

476. À la vue inaccoutumée des corps sans tête, effrayants, (mais dans lesquels) elles avaient mis leur joie (autrefois), et des têtes sans corps, ces femmes perdent l’esprit.

477. Dans leur égarement, après avoir réuni une tête à un corps, n’en voyant pas une autre qui était (à côté), elles disent avec douleur : « Ce n’est pas la sienne ! »

478. En rassemblant des bras, des cuisses, des pieds (qui ont appartenu) à différents (corps), ces (femmes) remplies de douleur s’évanouissent à chaque instant.

479. Certaines femmes des Bharatides, en soulevant par la tête des cadavres qui avaient été dévorés par les oiseaux de proie, ne reconnaissent plus leurs époux, même en les voyant.

480. D’autres, ô meurtrier de Madhou, se frappent la tête de leurs mains, en voyant leurs frères, leurs pères, leurs fils et leurs époux, tués par les ennemis.

481. Couverte d’une boue de chair et de sang, la terre est rendue impraticable à la marche, (jonchée qu’elle est) par les bras (des morts) tenant encore leurs glaives, et par leurs têtes ornées de boucles d’oreilles.

482. Ces femmes irréprochables qui, naguère, n’étaient pas habituées à la douleur, en font l’apprentissage sur ce champ, couvert de leurs frères, de leurs pères et de leurs fils.

483. Ô Janârdana, vois ces nombreuses troupes de brus de Dhritarâshtra, semblables à des troupeaux de cavales aux belles crinières.

484. Keçava, quel (spectacle) peut me sembler plus pénible, que les différentes attitudes que présentent toutes ces femmes ?

485. Assurément, j’ai dû pécher dans mes existences antérieures, puisque je vois, tués (ainsi), mes fils, mes petits-fils et mes frères. »

486. Dans son affliction, elle contempla, en se lamentant, le (corps de son) fils tué.






CHAPITRE XVII


DÉCOUVERTE DU CADAVRE DE DOURYODHANA


Argument : Gândhârî aperçoit Douryodhana et s’évanouit. Elle reprend connaissance. Sa douleur. Discours qu’elle tientà Krishna. Elle lui montre la mère de Lakshmana, pleurant son époux et son fils.


487. Vaiçampâyana dit : Alors, ayant aperçu (le corps de) Douryodhana, Gândhârî, pâmée de douleur, s’affaissa subitement à terre, comme un kadalî (musa sapientum) (dont les racines sont) coupées.

488. Mais, ayant repris connaissance, elle se mit à pousser de longs cris, à la vue de Douryodhana gisant à terre et baigné dans son sang.

489. Après l’avoir embrassé, elle se lamenta tristement : Les sens agités, dévorée de chagrin elle exhala ses plaintes (en disant) : « Hâ, Hâ, mon fils ! »

490. Tourmentée par la douleur, arrosant de ses larmes la vaste poitrine (de son enfant), dont les clavicules étaient bien couvertes (par les chairs, et qui était) ornée de parures d’or et d’un collier de perles. 491. Elle s’adressa en ces termes à Hrishikeça, qui se tenait près d’elle : « Ô puissant, quand ce combat (qui devait amener) la complète extermination de (ses) parents, fut devenu imminent,

492. Ô Vrishnien, celui-ci, le plus grand des rois, ayant fait l’añjali, me dit : « Que dans cette bataille entre des parents, ma mère me souhaite la victoire ! »

493. Quand il eut ainsi parlé, ô tigre des hommes, moi qui connaissais tous les malheurs qui allaient fondre sur nous, je lui dis : « Là où est le devoir, là est la victoire.

494. Et comme, ô mon fils, tu ne perds pas ton sang froid dans la bataille, tu obtiendras certainement les mondes que l’on acquiert par les armes, (pour en jouir) à la manière des immortels. »

495. Voilà ce que je lui dis jadis ; et je ne pleure pas sur ce fils, mais sur le malheureux Dhritarâshtra, dont les parents sont tués.

496. Ô Madhavide, vois, étendu sur une couche de héros, mon impétueux fils, le plus excellent des guerriers, que le combat enivrait !

497. Ce tourmenteur des ennemis, qui, (jadis), marchait à la tête des (rois) sacrés par l’aspersion de l’eau sur la tête, celui-là même repose maintenant dans la poussière ! Vois les changements (apportés par) le temps !

498. Assurément, l’héroïque Douryodhana a atteint un refuge auquel il est difficile de parvenir, (puisque), la face tournée vers (l’ennemi), il repose sur une couche honorée par les héros.

499. De sinistres chacals tiennent (maintenant), pour le (roi) endormi sur sa couche de héros, la place (qu’occupaient) (jadis) les plus belles femmes, qui le divertissaient on l’environnant.

500. Les vautours entourent ce (prince), gisant privé de vie sur le sol de la terre, et qui, jadis, était réjoui par (la présence) des sages, qui se pressaient autour de lui.

501. Les oiseaux (de proie) donnent maintenant de l’air, avec leurs ailes, à celui que jadis, les plus belles femmes rafraîchissaient avec les plus excellents éventails.

502. Ce puissant guerrier aux grands bras, véritablement héroïque, git, abattu par Bhîmasena dans le combat, comme un éléphant (vaincu) par un lion.

503. Vois, ô Krishna, Douryodhana gisant baigné de sang, tué par Bhîmasena avec sa massue, ô Bharatide !

504. Keçava, sa mauvaise conduite a causé le trépas de ce guerrier aux grands bras, qui menait jadis aux combats onze armées complètes.

505. Ce grand archer, Douryodhana, ce grand guerrier, git abattu par Bhîmasena, comme un tigre (vaincu) par un lion.

506. Ce malheureux et fol enfant, ayant méprisé (les conseils) de Vidoura et de son père lui-même, est tombé au pouvoir de la mort, par suite de son manque de respect pour les gens âgés.

507. Le maître de cette terre qui, pendant treize années, ne lui avait pas offert d’ennemi, mon fils, repose sur le sol, privé de vie !

508. Ô Krishna, j’ai vu la terre gouvernée par le Dhritarâshtride, couverte d’éléphants, de bœufs et de chevaux, mais cela n’a pas duré longtemps, ô Vrishnien 1

509. guerrier aux gands bras, je la vois aujourd’hui gouvernée par un autre, vide d’éléphants, de bœufs et de chevaux ! Pourquoi donc suis-je (encore) vivante, ô Madhavide ?

510. Vois, ce qui est encore plus pénible que la mort même de mes fils : Ces femmes entourent les héros tués dans la bataille !

511. Vois, ô Krishna, pareille à un autel d’or, échevelée, la mère aux belles hanches de Lakshmana. Elle s’est jetée sur le beau sein de Douryodhana (son mari).

512. Assurément, jadis, quand le guerrier aux grands bras vivait, cette belle et sage jeune femme aimait à se réfugier entre les bras de ce héros.

513. Comment mon cœur n’éclate-t-il pas en cent morceaux, quand je vois mon fils tué, avec son fils, dans la bataille ?

514. (Cette femme) irréprochable flaire son fils baigné de sang. (Cette épouse) aux belles cuisses essuie aussi, de la main, (le sang) qui souille Douryodhana.

515. Comment cette sage (princesse) ne pleurerait-elle pas son époux et son fils ? Assurément, elle paraît se tenir en contemplation devant son enfant !

516. Ô Madhavide, cette femme aux grands yeux se frappe la tête de ses deux mains, et s’incline sur la poitrine de l’héroïque roi des Kourouides .

517. Cette (femme aux pratiques) ascétiques, qui a l’éclat de la fleur de lotus, brille comme cette fleur, en essuyant la face de son époux et celle de son fils.

518. Si les âgamas (recueils de préceptes) et les çroutis (révélations) sont véridiques, il est certain que ce roi a atteint les mondes où l’on n’arrive que (grâce) à la force de ses bras. »






CHAPITRE XVIII


DISCOURS DE GÂNDHÂRÎ (Suite)


Argument : Gândhârî montre à Krishna le chagrin de ses belles filles et lui rappelle les conseils qu’elle a donnés à son fils. Rappel des circonstances relatives à Dousçâsana.


519. Gândhârî dit : Vois, ô Madhavide, mes cent fils, inaccessibles à la fatigue, ont été tués, pour la plupart, par la massue de Bhîmasena !

520. Ce qui est le plus pénible pour moi, c’est (de voir que) mes brus, les cheveux épars, (quoique) jeunes (encore), ayant leurs fils tués dans le combat, courent maintenant de côté et d’autre.

521. C’est (de voir ces princesses) qui foulaient jadis le sol du palais, avec leurs pieds garnis d’ornements (précieux), tombées dans l’adversité, toucher maintenant la terre humide de sang,

522. Et, dévorées par le chagrin, chancelantes comme des personnes ivres, errer en (s’efforçant) de chasser les vautours, les chacals et les corneilles.

523. Celle-ci, au corps sans défaut, dont on entourerait la taille avec la main, s’affaisse de douleur à la vue de cet horrible carnage.

524. Certes, ô guerrier aux puissants bras, mon esprit ne (saurait se) calmer, quand je vois (dans cet état) la mère de Lakshmana, cette princesse qui est fille de roi.

525. Ces (femmes) aux beaux bras, en apercevant, tués dans le combat, les unes leurs frères, les autres leurs époux, d’autres leurs fils, se précipitent sur eux et étendent les bras.

526. Ô homme invaincu, écoute les cris de douleur des femmes d’âge moyen et des vieilles qui ont perdu leurs parents, tués dans cette lutte cruelle .

527. Vois, ô homme puissant, celles qui, accablées de fatigue et en proie à l’égarement, sont allées s’arrêter, (soit) contre les chars, (soit) contre les corps des éléphants et des chevaux tués.

528. Vois, ô Krishna, cette (autre) qui se tient debout, après avoir saisi la tête au nez busqué, ornée de belles boucles d’oreilles, et séparée du corps, d’un de ses parents.

529. Je pense, ô homme sans péché, que, dans des existences antérieures, ces femmes irréprochables, ainsi que moi dont l’intelligence est faible, nous avons commis de graves péchés,

530. Ô Janârdana, puisque Dharmarâja a fait tomber sur nous un pareil désastre. Car, ô Vrishnien, les œuvres, autant les bonnes que les mauvaises, ne périssent pas (et il faut en supporter les conséquences).

531, 532. Vois, ô Madhavide, renversées à (terre), égarées par la peine et le chagrin, poussant des cris pareils à ceux des grues, ces jeunes (femmes) à la belle poitrine et au beau ventre, nées de (nobles) familles, modestes, aux cils, aux yeux et aux cheveux noirs, à la voix aussi douce que le gazouillement du cygne !

533. Ô Poundarîkâksha, le soleil vient de brûler les visages irréprochables, semblables à des lotus fleuris, (de ces) belles femmes.

534. Ô Vasoudevide, les gens du commun contemplent maintenant le harem de mes fils, qui (pourtant) étaient jaloux, et dont l’orgueil était semblable à celui d’éléphants en rut !

535, 536. Vois, ô Govinda, (gisants) sur le sol, brillants comme des feux sur lesquels on a versé d’abondantes oblations, les boucliers aux cent lunes, les étendards resplendissants comme le soleil, les armures et les ornements d’or, ainsi que les (casques) destinés à protéger la tête de mes fils.

537. Vois Dousçâsana ! Il repose (sur le champ de bataille), abattu dans le combat par Bhîma. Le sang de tous ses membres a été bu par ce (héros), meurtrier de ses ennemis.

538. Ô Madhavide, vois mon fils abattu par la massue de Bhîmasena, qui, se souvenait des tourments (qu’on lui avait fait subir à l’occasion) du jeu de dés, et qui était excité par Draupadî.

539. Voulant être agréable à son frère (aîné) et à Karna, (Dousçâsana) dit, au milieu de l’assemblée, à la Pâñcâhenne (qui venait d’être) gagnée au (jeu de) dés :

540. « Ô Pâncâlienne, tu es l’épouse d’esclaves. Entre vite dans nos demeures, avec Sahadeva, Nakoula, et Arjouna. »

541. Je dis alors au roi Douryodhaua : « Ô mon fils, écarte Çakouni (de tes conseils). Il est (déjà) entouré par le lien de la mort.

542. Sache que ton oncle maternel aime les querelles, et que son esprit est très faux. Hâte-toi de l’abandonner, ô mon enfant, et d’apaiser les fils de Pândou.

543. Insensé ! Ne sais-tu pas que Bhîmasena est impatient, que tu le frappes de paroles aiguës comme des nârâcas, ainsi que (l’on excite) un éléphant avec des tisons (allumés) ?

544. Dans ta colère, c’est ainsi que tu te sépares (de tes cousins), après leur avoir lancé des paroles (aussi blessantes) que des pointes de flèches ! » (Mon fils) exhala contre eux le venin (de sa fureur), comme un serpent (exhale le sien) contre un taureau.

545. Tué par Bhîmasena, comme un grand éléphant (est vaincu) par un lion, ce Dousçâsana gît à terre, ses deux grands bras écartés.

546. L’irrité et très impétueux Bhîmasena, fit une chose horrible au-delà de toute expression, en buvant le sang de Dousçâsana dans la bataille.







CHAPITRE XIX


DISCOURS DE GÂNDHÂRÎ (Suite)


Argument : Gândhârî rappelle les circonstances relatives à Vikarna, Dourmoukha, Citrasena, Vivimçati, Doussaha.


547. Gândhârî dit : Ô Madhavide, voici mon fils Vikarna, estimé des sages. Tué et brisé en cent morceaux par Bhîmasena, il repose à terre.

548. Ô meurtrier de Madhou, Vikarna, tué, repose au milieu des éléphants (morts), pareil à l’astre des nuits entouré de nuages noirs, en automne.

549. Sa large main, rendue calleuse à force de tirer (la corde de) l’arc, et munie d’un gant protecteur, n’est déchirée qu’avec peine par les vautours désireux de s’en repaître.

550. Sa jeune épouse, appliquée à l’ascétisme, s’efforce sans cesse, mais sans succès, d’écarter ces vautours, avides de la proie qu’ils convoitent.

551. Ô taureau des hommes, le jeune et beau héros Vikarna, plongé (jadis) dans les plaisirs dont il était digne, repose (maintenant) dans la poussière, ô Madhavide.

552. La beauté, même en ce moment, n’a pas abandonné (le corps de) cet excellent Bharatide, (quoiqu’il ait eu), dans le combat, les parties vitales offensées par des nâlikas à oreilles et par des nârâcas.

553. Ce destructeur des troupes ennemies, Dourmoukha, la face détournée, repose (à terre), tué dans le combat par (Bhîma), le héros des batailles, jaloux d’accomplir ses promesses (de vengeance).

554. Son visage, à demi dévoré par les carnassiers, ô mon ami Krishna, resplendit d’un très grand éclat, comme la lune au septième jour du mois.

555. Vois, ô Krishna, sur le champ (de bataille), dans quel état est la face du héros ! Pourquoi ce (prince) mon fils, tué par les ennemis, a-t-il mordu la poussière ?

556. Ô mon ami, commentée Dourmoukha qui (n’avait, jusque-là), pas rencontré (d’adversaire) qui pût lui tenir tête dans les combats, (a-t-il été) tué par les ennemis, (et a-t-il) conquis les mondes des dieux 2 ?

557. Ô meurtrier de Madhou, vois Citrasena gisant à terre privé de vie ! Contemple ce Dhritarâshtride, le modèle des archers !

558. Dévorées de chagrin, de jeunes femmes en pleurs, ayant pour compagnie des bandes de bêtes féroces, entourent (ce prince, dont le corps est) orné de guirlandes brillantes.

559. Les pleurs et les lamentations (des femmes) se mêlent aux rugissements des carnassiers ! De là, ô Krishna, un spectacle aux aspects variés (et terribles).

560. Ce jeune et très beau Vivimçati, (qui était) constamment servi par de belles femmes, git dans la poussière.

561. Vingt vautours l’ont entouré, et se tiennent sur le héros Vivimçati, dont la cuirasse a été brisée par des flèches et qui a péri dans ce massacre

562. Ce brave, qui avait pénétré, pendant la bataille, dans le camp des Pândouides, repose avec grandeur sur une couche de héros, selon la coutume des gens de bien.

563. Contemple, ô Krishna, pareil à la lune, le splendide et souriant visage au beau nez et aux beaux sourcils de Vivimçati,

564. Ce vasou, que des jeunes femmes (pareilles) à celles de la suite de Vâsava entouraient, comme les filles célestes (entourent) par millier un gandharva se livrant à ses ébats .

565. Qui eût pu (naguère) résister à Doussaha, ce héros brillant dans les assemblées, ce destructeur des troupes de braves, ce destructeur des ennemis ?

566. Le corps de Doussaha, couvert de flèches, paraît une montagne parsemée de lotus fleuris, à la croissance spontanée.

567. Avec ses guirlandes d’or et sa ceinture dorée, Doussaha, que la vie a quitté, est semblable à une montagne brillante, sur (laquelle) un feu (est allumé).






CHAPITRE XX


DISCOURS DE GÂNDHÂRÎ (Suite)


Argument : Gândhâri fait mention d’Abhimamyou et de la douleur de sa femme. Elle signale ensuite Virâta, Outtara. Soudakshina. le prince de Kamboja et Lakshmana.


568. Gândhârî dit : Ô Keçava, celui que l’on a dit posséder une fois et demie la force et l'héroisme, tant de son père que de toi, ô Dâçârhien, qui était puissant comme un orgueilleux lion,

569. Qui, seul, brisa l’armée, difficile à vaincre, de mon fils, est tombé lui-même au pouvoir de la mort, après avoir causé la mort des autres.

570. À ce que je vois, ô Krishna, la splendeur de cet Abhimanyou à l’éclat démesuré, fils de Krishna (Arjouna), ne s’est pas évanouie, même après son trépas.

571. Cette irréprochable fille de Viràta, bru de l’archer porteur de Gândiva, en voyant (le cadavre) du jeune héros son époux, pleure de douleur.

572. Ô Krishna, cette épouse, fille de Virâta, s’étant approchée de son époux, l’essuie avec la main.

573. Ayant embrassé la face, pareille à un lotus épanoui, (supportée par) un cou (ayant trois plis comme) une conque, de ce fils de Soubhadrâ, la vertueuse

574. Et belle jeune femme, à l’aspect charmant, qui jadis rougissait, (même) sous l’influence du mâdhvika (sorte de liqueur spiritueuse), le serre dans ses bras.

575. Après avoir détaché sa cuirasse ornée d’or et couverte de sang, ô héros, elle aperçoit le corps.

576. En le voyant, ô Krishna, cette enfant te dit : « Ô Poundarîkâksha, celui-ci, qui avait des yeux aussi beaux que les tiens, est abattu !

577. Ô homme sans péché, il était ton égal en force, en héroïsme et en énergie, ainsi que par son extrême beauté. »

578. « Est-ce que ton corps très délicat », (lui dit-elle), « habitué à coucher sur des peaux d’antilope rourou, ne souffre pas maintenant (d’être étendu) sur la terre (nue) ? »

579. Ses deux grands bras, (semblables) à des trompes d’éléphants, dont la peau a été rendue calleuse par le contact (fréquent) de la corde de l’arc, ornés de bracelets d’or, sont étendus. Il repose,

580. Plongé maintenant, (dirait-on), dans un profond sommeil, comme s’il était fatigué après avoir livré différents combats. « Tu ne me réponds pas, à moi qui, affligée, gémis (auprès de toi) !

581. Je ne me souviens pas de t’avoir (jamais) fait aucune offense. Pourquoi ne me réponds-tu pas ? Jadis, quand tu m’apercevais, (même) de loin, ne me parlais tu pas ?

582, 583. Je ne me souviens pas que tu m’aies (jamais) offensée. Pourquoi ne me réponds-tu pas ? Où iras-tu, ô noble (héros), après m’avoir abandonnée, moi qui suis de noble (race), et (après avoir abandonné) Soubhadrâ, ainsi que ces (illustres) parents, semblables aux dieux ? » Soulevant, avec la main, les cheveux souillés de sang, (de son mari),

584, 585. Appuyant sa tête contre son sein, elle l'interroge comme s’il était encore vivant. « Comment », (dit-elle), « ces grands guerriers t’ont-ils tué, toi qui étais le fils de la sœur du Vasoudevide et le fils de l’archer porteur de Gândiva, alors que tu te trouvais au milieu de la bataille ? Honte à ces cruels, Kripa, Karna, Jayadratha.

586. Ainsi qu’à ces deux (guerriers), Drona et son fils, par qui ta perte a été consommée ! Quel était alors l’état d’esprit de tous ces maîtres des hommes,

587. Qui, après t’avoir entouré, toi qui étais un enfant, et qui étais seul, t’ont tué pour mon malheur ? Comment donc, sous les yeux des Pândouides et des Pâñcâlas,

588, 589. Ô héros, toi qui avais de (nombreux) protecteurs, as-tu pu trouver la mort, comme un homme que nul ne protège ? Et comment ô héros, en te voyant tué dans le combat par de nombreux (adversaires), ton père, ô tigre des hommes, cet héroïque fils de Pândou, (peut-il) vivre encore ? Ni la conquête considérable de la royauté, ni la défaite de leurs ennemis,

590, 591. Ne satisferont, sans toi, les fils de Prithâ, ô guerrier aux yeux de lotus. Par l’observation du devoir, et en domptant (mes sens par l’ascétisme), je vais me hâter de te suivre aux mondes que tu as conquis par les armes. Prête-moi ton aide. Mais il est difficile à quelqu’un de mourir, quand il n’a pas conquis les mondes (supérieurs),

592, 593. Puisque moi, malheureuse, je reste vivante, après t’avoir vu tuer dans la bataille. Maintenant, ô tigre des hommes, à quelle autre (femme) rencontrée dans le monde des pitris, adresseras-tu, en souriant, de belles paroles comme à moi ? Assurément, dans le Svarga, tu raviras les cœurs des apsaras.

594. Après avoir par tes actions d’éclat, conquis les mondes (supérieurs), tu épouseras dans le ciel les apsaras séduites par tes (douces) paroles, et surtout par tes sourires.

595. Ô fils de Soubhadrâ, jouissant (là-haut) d’une heureuse vie, tu te souviendras de mes bons procédés. Ton union avec moi, ici-bas, a été limitée

596, 597. À six mois (puisque) tu as trouvé la mort au septième. » Après qu’elle eut ainsi parlé, les femmes de la maison du roi des Matsyas entraînèrent la triste Outtarâ, dont les désirs étaient (désormais) sans but. Quand, très affligées elles-mêmes, elles eurent emmené la malheureuse Outtarâ,

598. Elles s’abandonnèrent à des cris et à des gémissements, à la vue de Virâta mis en pièces par les astras de Drona, et qui gisait baigné dans son sang.

599, 602. Les vautours, les chacals, et les corneilles poussaient des cris autour de Virâta, et ces (femmes) aux yeux noirs, affligées et sans force, ne pouvaient éloigner le corps de ce roi, que ces oiseaux (de proie) menaçaient de leurs cris. La fatigue et les efforts (qu’elles faisaient), avaient altéré les visages, décolorés et brûlés par le soleil, de ces malheureuses.

Vois aussi, ô Madhavide, Outtara, Abhimanyou, et le Kambojien Soudakshina, ainsi que le beau Lakshmana, gisant sur le champ de bataille.



CHAPITRE XXI


DISCOURS DE GÂNDHÂRÎ (Suite)


Argument : Mention est faite de Karna et de la douleur de son épouse.


603. Gândhârî dit : Ce Vikartanien (Karna, fils du soleil) qui brillait comme un feu dans les combats, repose (pour jamais) : L’énergie du fils de Prithâ a éteint (son ardeur).

604. Vois, tombé et gisant à terre, baigné dans des flots de sang, le corps du Vikartanien, sous les coups duquel de nombreux ennemis sont tombés (de leur côté).

605. Ce héros, impatient, à la longue colère, ce grand archer, ce puissant guerrier à char, repose, tué dans le combat par le porteur de l’arc Gândîva.

606. Les grands guerriers, mes fils, quand ils allaient au combat, le plaçaient à leur tête, par crainte des fils de Pândou, comme des éléphants (mettent en avant) le protecteur du troupeau.

607, 608. Ses épouses en pleurs, les cheveux épars, réunies auprès de lui, ô tigre des hommes, entourent le héros privé de vie, abattu par l’ambidextre dans le combat, pareil à un tigre (vaincu) par un lion, ou à un éléphant terrassé par un rival en rut.

609. C’est à cause de lui que Youdhisthira, tout à l’inquiétude, ne put pas, pendant treize ans, trouver le sommeil.

610. Invincible pour ses ennemis, comme Maghavat pour les siens, pareil au feu qui mettra fin au monde, inébranlable comme l’Himalaya,

611. Ce héros, ô Madhavide, après avoir été le protecteur des Dhritarâshtrides, a perdu la vie et git à terre comme un arbre abattu par le vent.

612. Vois, pleurant et se lamentant tristement, réponse de Karna, la mère de Vrishasena, tombée à terre.

613 « Maintenant, dit-elle, la malédiction du précepteur s’est accomplie, puisque la terre a englouti ta roue, et qu’ensuite Dhanañjaya t’a, d’une flèche, enlevé la tête. »

614. Hélas ! Hélas ! Malheur ! La mère de Soushena est tombée, privée de sentiment, à la vue du joyeux Karna, aux grands bras, porteur d’une ceinture d’or.

615. Il n’y a plus que quelques restes du magnanime, dont le corps est en proie aux carnassiers qui s’en repaissent. Nous ne verrons plus celui qui faisait notre joie ! (il a paru) comme la lune au quatorzième jour de sa période noire !

616. Tombée à terre, (l’épouse du héros) s’est relevée, et embrassant Karna, elle pousse de grands cris, que lui arrache la douleur de la mort de ses fils.







CHAPITRE XXII


DISCOURS DE GÂNDHARÎ (Suite)


Argument : Mention est faite de l’Avantien, de Bâhlika, de Jayadratha. Désespoir de Dousçalâ.


617. Gândhârî dit : Les vautours et les chacals dévorent, comme un homme dénué d'amis, l’Avantien abattu par Bhîmasena, lui qui (cependant) avait de nombreux parents.

618. Vois, ô meurtrier de Madhou, ce (roi) qui, après avoir massacré des ennemis, git sanglant sur une couche de héros !

619. Aussi les chacals, les hérons et les divers autres carnassiers le déchirent-ils ! Vois les changements (apportés par) le temps !

620. Les femmes, réunies, entourent le héros Avantien qui (jadis) poussait son cri de guerre, et qui (maintenant) repose sur une couche de héros.

621. Vois, ô Krishna, l’intelligent et grand archer Bâhlika, fils de Pratîpa, pareil à un tigre endormi, tué par une (flèche) bhalla.

622. Même dans la mort, la couleur de son visage est aussi brillante que celle de Soma (la lune) dans son plein, pendant la nuit (de chaque mois), où elle a pris sa croissance.

623. Le Vardhakshattrien (Jayadratha) a été abattu dans le combat par Pànkaçâsana (Arjouna, qui était) dévoré de chagrin à cause de (la mort de) son fils, et qui voulait exécuter la promesse (qu’il avait faite).

624. Vois Jayadratha tué par le magnanime qui l’avait (jadis) protégé 5 et qui, après avoir détruit onze armées, voulait réellement faire (ce qu’il avait promis, en vengeant son fils).

625. De sinistres vautours, ô Janârdana, dévorent Jayadratha, roi de Sindhou et de Souvira, (qui était) intelligent, (mais) rempli d’orgueil,

626. Que gardent ses épouses affectionnées, ô impérissable. Elles l’environnent et l’entraînent dans un fourré profond (qui se trouve) dans le voisinage .

627. Ces femmes du Kamboja et de Yavana entourent, en le protégeant, ce guerrier aux grands bras, roi du Sindhou et de Souvîra.

628. Au moment même où, après avoir enlevé Krishna Jayadratha s’enfuyait avec les Kekayas, il aurait dû être tué par les fils de Pândou, ô Janârdana.

629. Pourquoi donc ceux-ci n’ont-ils plus égard à Dousçalâ, puisque, la tenant en grande estime, (après avoir jadis, à cause d’elle), laissé la vie à Jayadratha, (ils viennent de le tuer maintenant) ?

630. Très affligée, ma fille se lamente, crie et se meurtrit le corps de ses propres mains, en blâmant les fils de Pândou 6.

631. Ô Krishna, que peut-il m’arriver de plus cruel dans l’avenir ? Ma fille, jeune encore, est veuve, et mes brus (ont perdu) leurs époux, (qui sont) tués !

632. Hélas ! Hélas ! Malheur ! Voilà Dousçalâ qui. n’ayant pas trouvé la tête de son époux, court de côté et d’autre, comme si le chagrin et la crainte l’avaient abandonnée !

633. Celui qui, après avoir détruit une grande armée, arrêta tous les fils de Pândou désireux (de sauver) leur fils, est à son tour tombé au pouvoir de la mort !

634. Ces femmes, dont le visage rivalise de beauté avec la lune, ont entouré, en pleurant, ce héros qui était aussi difficile à vaincre qu’un éléphant en rut.







CHAPITRE XXIII


DISCOURS DE GÂNDHÂRÎ (Suite)


Argument : Mention est faite de Çalya, de Bhagadatta, de Bhîshma, de Drona. Désespoir de Kripî.


635. Gândhârî dit : « Voici Çalya qui gît privé de vie ! L’oncle maternel de Nakoula a été, à la vue de tous, frappé dans le combat par Dharmarâja, qui connaît les devoirs.

636. Ô tigre des hommes, le grand guerrier roi de Madra qui, partout et toujours, rivalisait avec toi, a été tué et repose (à terre).

637. Lui qui dirigeait, dans le combat, le char de l’Adhiratien (Karna, fils du cocher), pour (le mener à) la victoire, a été cause de l’obscurcissement de l’éclat des fils de Pândou.

638. Hâ ! Hâ ! Malheur ! Vois la tête de Çalya, (jadis) aussi agréable à voir que la pleine lune, aux yeux pareils à des pétales de lotus, (naguère encore) intacte, et que dévorent les corbeaux !

639. Krishna, les oiseaux (de proie) rongent la langue resplendissante comme l’or fondu, qui sort de la bouche de cet homme (autrefois) aussi éclatant que l’or !

640. Les femmes de sa famille entourent, en pleurant, Çalya, roi de Madra, brillant dans les assemblées, qu’a tué Youdhishthira.

641. Parées de très beaux vêtements, ces femmes de (la classe des) kshatriyas, se sont approchées en poussant des cris, du roi de Madra, ce taureau des hommes, ce taureau des kshatriyas.

642. Elles environnent le héros Çalya abattu ; elles se tiennent autour de lui, comme des femelles en rut (entourent) un éléphant plongé dans la boue.

643. Contemple cet excellent maitre de char, le héros Çalya, mis en pièces par les flèches, abattu et gisant sur une couche de héros !

644. Ce roi, le majestueux Bhagadatta, dont la demeure se trouvait dans les montagnes, le meilleur de ceux qui se servent d’aiguillons pour conduire les éléphants, gît à terre !

645. La couronne brille sur sa tête, illuminant en quelque sorte ses cheveux, pendant que les bêtes de proie le dévorent !

646. Le combat, qui eut lieu entre lui et le fils de Prithâ, fut terrible et horripilant, comme celui de Çakra contre Bali.

647. Ce guerrier aux grands bras, après avoir combattu le Prithide Dhanañjaya et l’avoir mis en grand danger, a été abattu par le fils de Kountî.

648. Voici Bhîshma qui, dans les combats, était le fléau de ses ennemis et qui n’avait pas d’égal, dans le monde, en force et en héroïsme. Il a été tué, (lui aussi), et repose (à terre).

649. Ô Krishna, vois le fils de Çântanou, qui avait l’éclat du soleil, gisant, tel, à la fin du youga, le soleil (abattu) par le temps, et tombé du ciel.

650. Keçava, ce soleil humain, après avoir, dans le combat, consumé ses ennemis à laide du feu de son épée, est allé à sa (dernière) demeure, comme le soleil à sa couche.

651. Vois le héros, aussi ferme dans le devoir que Devâpi, couché sur un lit de flèches, gisant sur une couche de héros, et comme il convient à un héros !

652. Ayant préparé sa couche suprême avec des nâlikas et des nàrâcas à oreilles, il s’y est étendu et y repose, comme l’adorable Skanda, dans une forêt de roseaux.

653. Après s’être placé sur le plus excellent des coussins, garni, en guise de coton, de trois flèches fournies par le porteur de Gândiva, le fils de la Gangâ,

654. Le très glorieux fils de Çântanou, incomparable dans les combats, qui est resté chaste pour obéir aux ordres de son père, repose sur cette couche, ô Madhavide !

655. Homme de bien à tes yeux, connaissant entièrement (son) devoir quand il s’agissait d’une détermination (à prendre), (quoiqu’il ne fût qu’un) simple mortel, il a traversé la vie à la manière des immortels.

656. Maintenant que Bhîshma fils de Çântanou, gît tué par les ennemis, (on peut dire qu’il) n’y a plus personne d’habile au combat, de savant, ni d’héroïque.

657. Interrogé par les fils de Pândou, ce héros à la parole vraie, et qui connaissait ses devoirs, avait lui-même annoncé sa mort dans la bataille.

658. Cet homme très sage, qui avait relevé la race de Kourou qui s’éteignait, a été vaincu avec les Kourouides 7.

659. Qui donc les Kourouides consulteront-ils sur leurs devoirs, maintenant que (le pieux) Devavrata (Bhîshma), qui était semblable aux dieux, est monté au Svarga ?

660. Vois, à terre, Drona, le plus excellent des brahmanes, le précepteur des Kourouides, d’Arjouna et du Satyakide.

661. De même (qu’Indra) maître du Tridaça (l’ensemble des trente grands dieux) et que le très héroïque (Çoukra) descendant de Bhrigou, il connaissait les quatre sortes d’astras.

662. Grâce à lui, Bibhatsou fils de Pândou a accompli des exploits difficiles. (Maintenant), il gît, tué, sans que ses astras l’aient protégé.

663. Ce Drona, le plus grand des guerriers, orné de ses armes, lui que les Kourouides mirent à leur tête pour aller au combat contre les Pândouides,

664. Lui dont la démarche, quand il consumait les ennemis, était pareille à celle d’un incendie (dévorant), est tué et gît à terre, comme un feu dont la flamme est éteinte !

665. (L’aspect) de Drona, tué, mais dont la main, couverte de son gant protecteur, n’a pas lâché l’arc, est le même que quand il était vivant, ô Madhavide.

666. Ô Keçava, les quatre védas, et toutes ses armes n’ont pas plus abandonné ce héros, (qu’ils n’ont abandonné) jadis Prajâpati.

667. Les chacals lui déchirent ces deux beaux pieds, dignes des louanges que leur ont données les poètes et les disciples (du maître).

668. Ô meurtrier de Madhou, Kripî (son épouse), l’esprit dévoré par le chagrin, se tient tristement près de Drona, tué par le fils de Droupada.

669. Considère cette affligée qui, les yeux baissés, échevelée, se tient auprès du cadavre de Drona son mari, le plus excellent des guerriers !

670. Porteuse de tresses d’ascète, la brahmacârinî se tient sur le champ de bataille, près de Drona, dont la cuirasse a été brisée par les flèches de Dhrishtadyoumna.

671. (Très) affligée, la délicate et glorieuse Kripi s’efforce tristement de rendre les derniers devoirs à son époux, qui a péri dans la bataille.

672. Après avoir préparé le feu selon la règle et enflammé le bûcher de toutes parts, elle y place Drona, et les chantres sacrés chantent les trois sâmans.

673. Ces brahmacârins, aux tresses (réglementaires) de cheveux, construisent le bûcher avec des arcs, des lances, des intérieurs de chars, ô Madhavide,

674. Et diverses sortes d’armes, pour consumer (le corps) de cet homme à la grande énergie. Après avoir ainsi disposé Drona, ils proclament ses louanges en se lamentant,

675. Et chantent, en son honneur, les trois autres sâmans de la fin. « Après avoir consumé Drona sur le bûcher, en mettant dans le feu (cet homme qui était lui-même comme) un feu,

676. Les brahmanes disciples de Drona, ayant mis Kripi à leur tête, se dirigèrent vers la Gangâ, en laissant le bûcher à leur gauche.






CHAPITRE XXIV


DISCOURS DE GÂNDHÂRÎ (Suite)


Argument : Mention est faite de Bhoûriçravas, de Somadatta, de Cala, de Çakouni.


677. Gândhârî dit : Madhavide, vois, déchiré par une troupe d’oiseaux (de proie), ce fils de Somadatta abattu par Youyoudhâna.

678. Ô Janârdana, Somadatta (dévoré) du chagrin (que lui cause le trépas) de son fils, semble, (quoique mort), maudire le grand archer Youyoudhâna.

679. Voici l’irréprochable mère de Bhoûriçravas. (Quoique) très affligée (elle-même), elle essaie de consoler (l’âme) de son époux Somadatta.

680. Grâce au ciel, ô grand roi, il ne voit pas cette terrible destruction des Bhâratides, ce cruel combat entre les Kourouides, (qui ressemble à) la fin d’un youga.

681. « Grâce au ciel, » (dit-elle), « tu ne vois pas aujourd’hui, immolé, ton fils, ce héros qui avait pour enseigne le poteau sacrificatoire, qui offrait de nombreux sacrifices, et (qui distribuait) d’abondantes offrandes !

682. Grâce au ciel, ô grand roi, pendant que tes brus poussent des cris de douleur et font entendre de bruyantes et effrayantes lamentations, pareilles à celles (que poussent) des grues femelles sur la mer,

683. (Et que) couvertes d’un seul vêtement, échevelées, tes belles filles, dont les cheveux (sont ordinairement bien) attachés, désolées de la mort de leurs enfants et de leurs époux, errent de côté et d’autre,

684. Ah ! grâce au ciel, tu ne vois pas le tigre des hommes, dont le bras est coupé, abattu par Arjouna, et que les bêtes féroces sont en train de dévorer !

685. Grâce au ciel, tu ne vois plus maintenant toutes tes brus, qui ont aperçu Cala et Bhoûriçravas, tués dans la bataille !

686. Grâce au ciel, tu ne vois pas abandonné, sur le siège du Somadattide, le parasol doré du magnanime Yoûpaketou (Bhoûriçravas, qui a pour enseigne le poteau du sacrifice) !

687. Ces épouses aux yeux noirs, de Bhoûriçravas, entourent en pleurant, leur époux tué par le Satyakide.

688. Tourmentées par le chagrin (que leur cause la mort) de leur époux, poussant des gémissements répétés, elles tombent tristement la face contre terre, devant toi, ô Keçava.

689. Comment Bîbhatsou (a-t-il pu) commettre cette action très méchante, de couper le bras d’un héros qui n’était pas sur ses gardes, et qui offrait de nombreux sacrifices ?

690. Puis le Satyakide commit aussi une action très mauvaise, en s’avançant contre un homme à l’esprit purifié, disposé à se laisser mourir d’inanition.

691. Seul, en présence de deux (ennemis), tu as été tué irrégulièrement. » C’est ainsi, ô Madhavide, que se lamentent ces (femmes) de celui qui avait pour enseigne le poteau du sacrifice.

692. Cette épouse du (héros) qui avait pour enseigne le poteau du sacrifice, cette (femme) dont on pourrait mesurer la ceinture avec les mains, se lamente amèrement en appuyant sur son cœur le bras de son époux.

693. « Cette main, quæ mammas pingues unguihus rodebai, quæ umbilicam, femora et clunes palpabat quæ auferebat cingula,

694. Cette main, qui tuait les ennemis, qui faisait évanouir la terreur des amis, qui distribuait des milliers de vaches, qui donnait la mort aux kshatryas,

695. A été abattue par l’infatigable fils de Prithâ, pendant qu’elle était engagée dans un combat avec un autre (adversaire).

696. Que diras-tu ô Janârdana, quand tu raconteras dans les assemblées le grand exploit d’Arjouna, ou que dira-t-il lui-même ? »

697. Après avoir exhalé ces reproches, cette belle femme se tait. Les autres épouses de son mari s’associent à sa douleur, comme si elle était leur bru.

698. Le roi de Gândhâra, le puissant et véritablement héroïque, Çakouni, a été tué par Sahadeva ; l’oncle maternel a péri sous les coups du fils de sa sœur !

699. Lui à qui, (jadis), deux éventails aux manches dorés donnaient de l’air, est (maintenant) gisant (à terre), éventé par les ailes des oiseaux (de proie) !

700. Les tromperies artificieuses de cet homme qui savait se déguiser de cent et de mille manières, ont été consumées (et déjouées) par l’intelligence du fils de Pândou !

701. Ce (fourbe) qui, foulant aux pieds la sagesse, dans l’assemblée, gagna par fraude à Youdishthira son vaste royaume, fa fini par) perdre la vie !

702. Krishna, les vautours entourent Çakouni de toutes parts. La fourberie (qu’il a) enseignée à mes fils, a causé leur ruine.

703. Il a occasionné cette grande guerre avec les fils de Pândou, dont le résultat a été la mort de mes enfants, de ses partisans et de lui-même.

704. puissant, cet insensé a conquis par l'épée, ces mêmes mondes (heureux) que l’on acquiert par les armes, et qui sont le partage de mes fils !

705. Puisse ce fourbe, ô meurtrier de Madhou, ne pas provoquer, au (ciel) même, la discorde entre mes fils à l’âme droite, et leurs frères !







CHAPITRE XXV


MALÉDICTION PRONONCÉE PAR GÂNDHÂRÎ


Argument : Mention est faite du Kambojien du roi de Kalinga, de Vrihadbala, des fils de Dhrishtadyoumna, des cinq frères Kekayens, de Droupada, de Dhrishtaketou et de son fils, de Vinda et d’Anouvinda. Gândhârî décrit en même temps la douleur des femmes de ces héros ; puis elle s’évanouit de douleur. Ayant repris connaissance, elle maudit Krishna pour n’avoir pas empêché la guerre et lui prédit que les Yadouides se détruiront les uns les autres. Réponse de Krishna.


706. Gândhârî dit : Vois le roi du Kamboja, habitué aux couches de son pays, le Skanda des taureaux des hommes ! Vois-le tué, gisant dans la poussière, ô Madhavide !

707. Vois comment, en apercevant ses deux bras (jadis) parés de santal, (maintenant) couverts de sang, (ses) épouses très affligées se lamentent tristement !

708. Vois ces deux bras, pareils à des barres de fer, (terminés par des mains) dont la paume et les doigts sont charmants. « Quand je me réfugiais entre ses deux (bras), les plaisirs ne m’abandonnaient (jamais), » (dit chacune d’elles) !

709. Tremblante, sans protecteur, une femme à la voix douce, dont le mari est tué, (dit) : « Privée de toi, où irai-je, ô maître des hommes ? »

710. Malgré la fatigue (que leur cause leur chagrin), la beauté n’abandonne pas le corps de (ces) femmes, comme (cela a lieu) pour les guirlandes de fleurs qui se flétrissent sous l’ardeur du soleil.

711. Vois, ô meurtrier de Madhou, couché près (d’ici), le héros de Kalinga, aux grands bras entourés d’une paire de bracelets brillants,

712. Vois, ô Janârdana, les belles Magadhiennes, qui entourent, en pleurant, Jayatsena, roi du peuple de Magadha !

713. Ô Janârdana, les cris de ces femmes aux grands yeux et à la voix douce me font en quelque sorte perdre l’esprit !

714. Pleurant, ayant éparpillé sur le sol toutes leurs parures, tourmentées par la douleur, les Magadhiennes gisent à terre, où elles ont trouvé un lit tout préparé.

715. Ces (autres) femmes pleurent séparément leurs époux qu’elles entourent, le râjapoutra (fils de roi) Vrihadbala, roi de Koçala.

716. Dévorées par le chagrin (qui les fait) à chaque instant s’évanouir, elles arrachent les flèches que la force des bras du fils de Krishna (Abhimanyou, fils de Krishna Arjouna), lui a enfoncées dans le corps.

717. Ô Madhavide, les visages de ces femmes, qui, toutes sont irréprochables, paraissent, par suite de la fatigue, pareils à des fleurs de lotus ternies par le soleil.

718. Parés de bracelets brillants et de couronnes d’or, tous les héros fils de Dhrishtadyoumna, (encore) enfants, reposent, tués par Drona,

719. Consumés comme des papillons de nuit, en s’approchant de Drona, (qui était) un feu dont le char était le foyer, l’arc les flammes, les pluies de flèche et les massues le combustible.

720. De même, les cinq frères Kekayens, héros porteurs de bracelets brillants, reposent la face tournée vers Drona qui les a tués.

721. Couverts de cuirasses d’or fondu, avec leurs cimbales, leurs étendards, leurs chars et leurs guirlandes, pareils à des feux enflammés, ils font resplendir la terre par leur éclat.

722. Ô Madhavide, vois, abattu par Drona dans la bataille, Droupada, pareil à un grand éléphant tué dans la forêt par un puissant lion !

723. Ô Poundarikâksha, le parasol jaune pâle et sans tache du roi des Pâñcâlas brille comme l’astre des nuits en automne !

724. Ses brus et ses épouses, très affligées, après avoir brûlé le (corps du) vieux Droupada, roi des Pâñcâlas, font de gauche à droite le tour de son bûcher pour lui faire honneur.

725. (Ses) femmes, qui ont perdu l’esprit (de douleur), emportent le grand archer Dhrishtaketou, le taureau des Cedins, le héros tué par Drona.

726. Ô meurtrier de Madhou, Drona, l’ayant frappé dans le combat, ce grand archer, tué, gît comme un arbre déraciné par une rivière.

727. Après avoir tué des milliers d’ennemis, le roi des Cedins, le héros Dhrishtaketou, ce grand guerrier, a succombé dans la bataille et repose (à terre).

728. Ô Hrishikeça, ses épouses se tiennent près du roi des Cedins qui, (malgré) ses beaux vêtements et ses magnifiques bagues, est en train d’être dévoré par les oiseaux (de proie).

729. Ces belles femmes pleurent, après avoir soulevé sur leur sein le héros à l’héroïsme vrai gisant à terre, le roi des Cedins né d’un descendant de Daçârha.

730. Ô Hrishikeça, vois son fils aux beaux cheveux et porteur d’anneaux charmants, déchiqueté et (réduit) en morceaux dans le combat, par les flèches de Drona.

731. Ô meurtrier de Madhou, il n’abandonne pas plus maintenant (qu’il ne l’abandonnait) jadis, son héroïque père luttant contre les ennemis dans la bataille.

732. C’est ainsi, ô guerrier aux grands bras, que le destructeur des héros ennemis, Lakshmana, fils de mon fils, accompagnait son père Douryodhana !

733. Vois, ô Keçava, pareils à deux çâlas ( vâtica robusta) fleuris, abattus par le vent pendant la saison froide, les deux Avantiens Vinda et Anouvinda, tombés (à terre),

734. Et gisants, eux qui avaient des yeux semblables à ceux des taureaux et qui portaient au combat des cuirasses d’or, des glaives, des arcs et des couronnes sans tache.

735. Ô Krishna, toi et les fils de Pândou, vous êtes invulnérables, vous qui avez échappé à Drona, à Bhîshma, au Vikartanien Karna, à Kripa,

736. À Douryodhana, au fils de Drona, au grand guerrier roi du Sindhou, à Somadatta, à Vikarna, et au héros Kritavarman !

737. Les taureaux des hommes, qui auraient pu tuer, même les dieux, par la force de leurs armes, ont eux-mêmes tous subi la mort. Vois les changements apportés par le temps !

738. Assurément, ô Madhavide, rien n’est difficile pour le destin, puisque ces héros, ces kshatriyas, ces taureaux des kshatriyas, ont été tués.

739. Dès que, ô Krishna, tu t’en retournas à Oupaplavya sans avoir mené à bien ton désir (de pacification), dès lors, à mes yeux, mes vaillants fils étaient tués.

740. Le sage fils de Çântanou et Vidoura me dirent alors : « Ne concentre pas ton affection sur tes fils. »

741. Ô mon ami, la prévision de ces deux hommes ne pouvait pas être fausse ! Bientôt, ô Janârdana, mes fils ont été réduits en cendres.

742. Vaiçampâyana dit : Après avoir ainsi parlé, Gândhârî s’affaissa à terre, évanouie par l'effet du chagrin, la douleur lui ayant enlevé la connaissance et la fermeté l’ayant abandonnée, ô Bharatide.

743. Puis, saisie de colère, plongée dans le chagrin (que lui causait la mort) de ses fils, les sens (encore) troublés, Gândhârî accusa le Çaurien (Krishna descendant de Çauri), des malheurs qui lui étaient arrivés.

744. Gândhârî dit : « Ô Krishna, les Pândouides et les Dhritarâshtrides se sont détruits les uns les autres. Pourquoi es-tu resté (simple) spectateur, pendant qu’ils périssaient, ô Janârdana ?

745. Tu es puissant, tu as de nombreux serviteurs, une grande armée, tu étais capable (d’agir). Tes paroles étaient écoutées par les deux (partis).

746. Ô meurtrier de Madhou, puisque, (impassible), tu as regardé la destruction des Kourouides, désirée par toi, reçois-en la récompense ; ô guerrier aux grands bras,

747. Si, en obéissant à mon mari, j’ai acquis quelque (mérite) par un ascétisme diffîcile à pratiquer, (j’en profiterai pour) te maudire, ô porteur du disque et de la massue.

748. Govinda, puisque tu as été le spectateur (impassible) du massacre violent de tes parents, les Kourouides et les Pândouides, tu tueras toi-même tes parents (les Yadouides).

749. Dans la trente-sixième à venir, toi aussi, ô meurtrier de Madhou, après avoir tué tes parents, après avoir tué tes ministres, après avoir tué tes fils, errant dans les bois (en ascète),

750, 751. Tu subiras à ton tour la mort, dans des conditions indignes. Tes femmes, dont les fils, les parents et les amis seront tués, seront, à leur tour, affligées, comme le sont (maintenant) les femmes des Bharatides. »

752. Vaiçampâyana dit : Après avoir entendu ces paroles, le très sage Vasoudevide, avec un léger sourire, répondit à la reine Gândhârî :

753. « Nul autre que moi, ici-bas, ne (saurait) détruire la puissance des Vrishniens. Je sais que cela (doit) être. De cette façon, ô femme de kshatriya, tu m’affermis (dans ma croyance).

754. Incapables d’être tués par d’autres hommes, ni même par les dieux et les dânavas, les Yadouides doivent se détruire les uns les autres. »

755. Quand le Dâçârhien eut ainsi parlé, les fils de Pândou eurent l’esprit terrifié. Extrêmement troublés, ils désespérèrent de la vie.





MAHÂBHÂRATA




LIVRE DES FEMMES


SECTION III, DES CÉRÉMONIES FUNÈBRES




CHAPITRE XXVI


PRÉPARATIFS POUR L’AUTRE VIE EN FAVEUR DES KOUROUIDES


Argument : Suite de la réponse de Krishna à Gândhârî. Dhritarâshtra interroge Youdliisbthira. Réponse de ce dernier. Nouvelle question de Dhritarâshtra. Youdhishthira lui répond et donne les ordres pour les cérémonies funèbres. Ils sont exécutés. Désespoir général.


756. L’adorable Krishna dit : « Lève-toi, lève-toi, ô Gândhârî, n’abandonne pas ton esprit au chagrin. Certes, pour ta seule faute, de nombreux héros ont trouvé la mort.

757. Puisque tu considères comme vertueux Douryodhana ton fils, (qui était) méchant, envieux, extrêmement vain, malfaisant,

758. Rude, l’hostilité faite homme, qui ne se soumettait pas aux injonctions des gens âgés, pourquoi veux-tu m’imposer la responsabilité (de ce qui est arrivé) ?

759. Celui qui pleure ce qui est mort, perdu ou passé, souffre deux fois. Un mal en produit un autre (le regret).

760. La femme brahmane engendre un enfant destiné à l’ascétisme, la vache un taureau, la jument un coursier, la çoûdrâ un esclave, la vaiçyâ un gardeur de troupeaux ; la fille de roi, comme toi, (enfante) un fils destiné à être tué. »

761. Vaiçampâyana dit : En entendant cette fâcheuse réponse du Vasoudevide, Gândhârî, les yeux égarés par le chagrin, resta silencieuse.

762. Le râjarshi Dhritarâshtra, à l'âme vertueuse, ayant triomphé de Terreur, dans laquelle son peu de sagesse lavait fait tomber, interrogea Youdhisthira Dharmarâja.

763. « Ô fils de Pândou, (dit-il), toi qui connais combien de soldats formaient les armées, (quand elles étaient) vivantes, dis-moi, si tu le sais, le nombre de ceux qui ont été tués. »

764. Youdhishthira dit : « Dix mille dizaines de mille, plus vingt mille, plus cent soixante dizaines de millions (d'hommes), ont été tués dans cette guerre.

765. Ô Indra des rois, voilà pour les hommes sans importance. Pour les héros, vingt quatre mille cent soixante-cinq ont péri. »

766. Dhritarâshtra dit : « Ô Youdhishthira, le plus excellent des hommes, quels buts ont-ils atteint ? Dis-le moi, ô guerrier aux bras puissants, car j’estime que tu sais tout. »

767. Youdhishthira dit : « Ces hommes, véritablement héroïques, qui ont, avec joie, fait le sacrifice de leurs corps dans le combat suprême, ont atteint les mondes qui sont le partage du roi des dieux.

768. Ô Bharatide, ceux qui sans enthousiasme, se sont dit : « Il faut mourir, » (et qui ont été) tués en combattant, sont réunis aux gandharvas.

769. Et ceux qui, sur le champ de bataille, ont trouvé la mort par les armes, en tournant le dos ou en demandant quartier, sont allés au monde des gouhyakas (demi-dieux de la suite de Kouvera).

770, 771. Mais les magnanimes qui, ayant pour but suprême le devoir des kshatriyas, (quoique) sans armes et abandonnés (par leurs camarades), (craignant) la honte (de fuir), ont continué à faire face (à l’ennemi) dans le combat, et ont été taillés en pièces par des armes aiguës, ces héros, après leur mort, sont allés, avec un grand éclat, au séjour de Brahma.

772. Ô roi, ceux qui ont purement et simplement été tués au milieu de la bataille, ont atteint (le séjour) des Outtarâkourous (Kourous du nord). »

773. Dhritarâshtra dit : « Ô guerrier aux bras puissants, dis-moi, si tu crois que je puisse l’entendre, par le moyen de quelle science excellente, tu vois ces choses comme les verrait un siddha. »

774. Youdhisthira dit : « J’ai obtenu cette faveur en visitant les tirthas, lorsque j’errais dans les bois par ton ordre.

775. J’ai vu le devarshi Lomaça. J’ai réfléchi (à ce qu’il m’a dit). J’ai acquis la vue divine (l’intuition), en étudiant la science sacrée. »

776, 777. Dhritarâshtra dit : « Ô Bharatide, il y a (des morts) qui n’ont pas d’amis ici, parmi ce peuple, et d’autres qui en ont. Brûlera-t-on selon les rites, les corps de ceux qui n’ont personne pour accomplir (les cérémonies de leurs funérailles), et qui n’ont pas de bûchers, préparés ? Quant à nous, de quelle cérémonie nous occuperons-nous (d’abord), en présence du grand nombre (de celles que nous avons à accomplir) ?

778. Ô Youdhishthira, ceux que les souparnas (oiseaux de proie) et les vautours dévorent çà et là, obtiendront les mondes (supérieurs) par l’effet de leurs exploits. »

779. Vaiçampâyana dit : Après avoir entendu ces mots, le grand sage Youdhishthira fils de Kountî, donna ses ordres (en ces termes) à Dhaumya, à Soudharman et au cocher Sañjaya,

780. Au très sage Vidoura, au Kourouide Youyoutsou, et à tous les autres serviteurs qui avaient à leur tête Indrasena :

781. « Faites exécuter, en observant tous les rites, les services funèbres de ces héros, de telle sorte qu’aucun corps ne se perde, faute d’amis (pour lui rendre les derniers devoirs). »

782. Sur l’ordre de Dharmarâja, le Kshattar (Vidoura), le cocher Sañjaya, Soudharman, Dhaumya, et ceux qui avaient à leur tête Indrasena,

783, 784. Ayant rassemblé des morceaux de bois de santal et d’agourou, de kâlîyaka (santal noir), du beurre fondu, de l’huile, des parfums, de précieux vêtements de lin, des monceaux de bois, des débris de chars et diverses armes,

785. Et ayant construit des bûchers avec grand soin, y brûlèrent, avec les rites prescrits, en commençant par les maîtres des hommes.

786. Le roi Douryodhana et ses cent frères, Çalya, Cala, le roi Bhoûriçravas,

787. Le roi Jayadratha et Abhimanyou, ô Bharatide, Lakshmana, le fils de Dousçâsana, et le prince Dhrishtaketou,

788. Vrihanta, Somadatta, des centaines de Sriñjayas, le roi Kshemadhauvâna, Virâta et Droupada,

789. Cikhandin le Pâñcâlien, Dhrishtadyoumna le Prishatide, le courageux Youdyamanyou, Outtamaujas,

790. Le Koçalien, les fils de Draupadî, Çakouni fils de Soubala, Acala, Vrishaka, et le prince Bhagadatta,

791. Le Vikartanieu Karna, qui était enclin à la colère, avec ses fils, les grands archers Kekayas, et les grands guerriers Trigartes,

792. Ghatotkaca roi des rakshasas, le frère de Baka, Alambousha roi des rakshasas, et le prince Jalasamdha.

793. On les fit brûler, ainsi que des centaines et des milliers d’autres princes, ô roi, à l’aide de feux ardents, arrosés, comme oblation, de gouttes de beurre fondu.

794. Les pitrimedhas (sacrifices aux mânes) se faisaient pour quelques-uns des magnanimes (héros) ; on leur chantait des sâmans, pendant que d’autres (assistants) se lamentaient.

795. Tous les êtres tombaient dans (le plus grand) étonnement (en entendant), pendant la nuit, le bruit (de la récitation) des sâmans et des versets du rigveda, et les gémissements des femmes.

796. Ces feux allumés, et flambant sans produire de fumée, semblaient, dans l’atmosphère (obscur), des planètes entourées de légers nuages.

797, 798. Par l’ordre de Dharmarâja, Vidoura fit aussi brûler, après les avoir entassés par milliers sur des bûchers de bois arrosé d’huile, tous ceux qui, (venus) de diverses contrées et réunis en ce lieu, s’y trouvaient dépourvus d’amis.

799. Après avoir fait accomplir les cérémonies funèbres, Youdhishthira, roi des Kourouides, ayant placé Dhritarâshtra en avant, se dirigea vers la Gangâ.







CHAPITRE XXVII


RÉCIT DE LA NAISSANCE SECRÈTE DE KARNA


Argument : Arrivée du cortège sur le bord de la Gangâ. Les femmes accomplissent la cérémonie de l'eau. Kountî dit à ses fils que Karna était leur frère. Désespoir des Pândouides à cette nouvelle. Youdhishthira reproche vivement à la mère de lui avoir caché cette circonstance.


800. Vaiçampâyana dit : Quand le cortège fut arrivé près de la pure Gangâ aux eaux limpides et sacrées, qui donne naissance à des lacs (nombreux), dont (le lit) est vaste, et qui coule avec une grande force,

801, 802. Après avoir été leurs parures, leurs vêtements de dessus et leurs diadèmes, les femmes des Kourouides accomplirent (les rites de) l’eau pour leurs pères, pour leurs frères, pour leurs petits-fils, pour leurs parents, leurs fils, leurs grands-pères et leurs époux.

803. Et ces femmes, au fait de leurs devoirs, accomplirent aussi les cérémonies de l’eau en faveur de leurs amis. Pendant que (les rites de) l’eau étaient remplis en faveur des héros, par leurs épouses,

804, 806. Le cours de la Gangâ devint facile (et moins rapide), et l’eau s’écoula plus abondamment, (pour faciliter leur tâche). Attristée (par les cérémonies funèbres), privée des fêtes (habituelles), couverte des épouses des héros, la rive de la Gangâ ressemblait à celle de l’Océan. Alors, ô grand roi, Kountî, tourmentée par le chagrin, dit tout d’un coup à ses fils, d’une voix douce et en pleurant : « Ce héros, qui était un grand archer, le conducteur des chefs (des troupes) de chars, qui,

807. Doué de tous les signes de l'héroisme, a été tué dans la bataille par Arjouna, que vous croyez, ô fils de Pândou, le fils du cocher et de Râdhâ (sa femme),

808. Qui brillait au milieu des armées comme le brillant astre du jour, qui, jadis, vous combattit tous, (quand vous étiez) à la tête de vos suivants,

809. Qui resplendissait en conduisant toute l’armée de Douryodhana, dont personne en ce monde n’égalait l’énergie,

810. Le héros qui, sur la terre, préféra toujours la gloire à la vie, le héros à la parole vraie, qui ne fuyait jamais dans les combats,

811. Était votre frère aine, engendré en moi par le Soleil. Accomplissez les rites de l’eau pour ce frère ferme dans ses œuvres.

812. Ce héros, (né) avec des boucles d’oreilles et une cuirasse, avait une splendeur égale à celle de l’astre du jour. » Tous les fils de Pândou, ayant entendu ces fâcheuses paroles de leur mère,

813-816. Pleurèrent Karna, et leur douleur s’en accrut encore. Alors ce tigre des hommes, le brave Youdhishthira, fils de Kountî, soufflant comme un serpent, dit à sa mère : « Comment ce (héros, pareil à un océan), ayant des flèches pour vagues et des étendards pour tourbillons, ayant pour monstres marins ses grands bras, pour mugissement le son (terrible du claquement) de ses mains, pour lac profond son grand char, dont nul autre que Dhanañjaya n’a pu affronter la chute des traits, dont, en toute occasion, l’énergie brûlante des bras nous a consumés, était-il ton enfant, et fils d’un dieu ?

817. Comment as-tu caché, comme quelqu’un qui couvrirait un feu de son vêtement, (la naissance de) cet (homme), dont la force des bras a toujours été louée par les Dhritarâshtrides,

818, 819. Comme celle du porteur de l’arc Gândiva est louée par nous ? Nul autre maitre de char que Karna, fils de Kountî, le premier des hommes énergiques, n’a affronté la force de tous les guerriers à chars, protecteurs de la terre. Cet (homme), le plus grand des guerriers, était notre frère !

820. Comment, jadis, engendras-tu ce (fils) à l’héroïsme merveilleux ? En différant de nous faire ce récit, tu nous as tous tués.

821. Nous et nos alliés, nous sommes tous désolés de la mort de Karna. La mort d’Abhimanyou et le meurtre des fils de Draupadî,

822. La destruction des Pâñcâlas et la ruine des Kourouides, me touchent cent fois (moins) que ce malheur.

823. Car, en pleurant Karna, je brûle (de douleur) comme (si j’étais) placé dans le feu. Certes, (sans ce désastre), rien n’eût été hors de notre portée, même dans le ciel,

824-828. Et ce massacre, qui a amené la fin des Kourouides, n’eût pas eu lieu. » Ô roi, après s’être ainsi longuement lamenté, le roi Youdhishthira Dharmarâja fit pour Karna les cérémonies de l’eau. Alors, les femmes qui, dans cette cérémonie de l’eau, se tenaient des deux côtés, se mirent de toutes parts à pousser des cris (lamentables). Le sage roi des Kourouides, Youdhish-Ihira, par affection pour son frère, fit amener les femmes de la maison de Karna. Aussitôt que cet homme vertueux eut, avec elles, accompli les cérémonies funèbres, il sortit, les sens troublés, de Teau de la Gangâ.



Fin du livre des Femmes





NOTES RELATIVES AU LIVRE DES FEMMES




1 Çl. 508. Ce çloka finit par ces mots : na tu tacciram. Ces mots sont susceptibles de deux interprétations. J’ai pensé que Gândhârî déplorait le peu de durée du bonheur de son fils. Mais on pourrait entendre aussi qu’il n’y avait pas longtemps que la chose était arrivée. C’est ainsi que l’a compris le traducteur anglais.

2 Çl. 556. J’ai pris l’expression : Vihudhalokajit, vainqueur du monde des dieux, pour un nominatif se rapportant à Dourmoukha ; mais on pourrait aussi en faire un vocatif se rapportant à Krishna, qui était Vishnou incarné.

3 Çl. 561. Il y a là, dans le texte, un de ces jeux de mots chers aux auteurs sanscrits, et qu’il est impossible de rendre en français. Le texte porte : parivimçadvivimçatim. Le mot parivmiçad veut dire : une vingtaine complète, et il n’est certainement là, que parce que vivimçatim, le nom du mort, le suit immédiatement.

4 Çl. 564. Le texte qualifie Vivimçati de vasou ; les vasous étaient des sortes de divinités inférieures. Il est probable que cette qualification n’est employée par l’auteur que pour faire un jeu de mots avec Vâsavayositâs, les femmes de la suite de Vâsava (Indra).

5 Çl. 624. Il est fait allusion ici à un épisode rapporté dans un livre précédent du Mahâbhârata, mais qu’il est peut-être bon de résumer ici, ne fût-ce que pour éviter au lecteur l’obligation de feuilleter les onze volumes précédents. Pendant que les fils de Pàndou étaient en exil dans les bois, Jayadratha essaya d’enlever Draupadi, mais les époux de cette princesse vinrent à son secours. Jayadratha fut vaincu, et fait prisonnier par Bhima et Arjouna. Ce dernier, par égard pour sa tante Gândhârî et pour sa cousine Dousçalâ, épouse de Jayadratha, empêcha son frère Bhiina de le tuer. Plus tard, Jayadratha fut un des principaux meurtriers d’Abhimanyou, fils d’Arjouna, qui jura de venger son fils en tuant Jayadrattia, ce qu’il fit en effet.

6 Çl. 630. J’ai adopté l'interprétation du traducteur anglais, basée sur une leçon qui diffère, dans l’édition de Bombay, de celle de l’édition de Calcutta.

7 Çl. 658. Le frère de Bhîshma, qui avait succédé à Çântanou leur père commun, était mort sans enfants. Bhîshma ne voulait pas rompre la promesse qu’il avait faite à son père de rester chaste et de ne pas régner.

Pour éviter que la race de Çântanou ne s’éteignit, il engagea l’ascète Vyâsa, fils illégitime de Satyavati, que celle-ci avait eu avant d’épouser Çântanou, et qui se trouvait par conséquent frère utérin des fils de ce roi, à avoir des enfants avec les femmes de son frère défunt. Les choses eurent lieu ainsi. Vyâsa eut d’une femme esclave, le sage Vidoura, incapable de régner à cause de la caste inférieure de sa mère, et, des deux épouses du feu roi, Dhritarâshtra qui naquit aveugle, et Pândou.




LE

MAHÂBHÂRATA


XII
ÇANTIPARVA
ou
LIVRE DE L’APAISEMENT
I
AVERTISSEMENT





Nous venons de donner, (tant dans le volume précédent que dans le commencement de celui-ci), la traduction des livres IX, X, XI du Mahâbhârata, et nous entamons le livre XII, Çântiparva, ou livre de l’ajpaisement. Ce livre est très étendu, et il formera la matière de plusieurs volumes. Il est en grande partie philosophique, et il renferme un grand nombre de mots sanscrits, dont le sens, très spécial, fera l’objet d’un index explicatif à la fin du volume. C’est le seul moyen d’éviter les longues périphrases, que nécessiterait autrement l’interpolation, dans le texte même, de ces expressions techniques.

Dans les trois livres précédents, nous avons bien trouvé un certain nombre d’expressions de ce genre, mais, en somme, elles étaient peu fréquentes, et on pouvait, à la rigueur, les employer telles quelles, en les faisant suivre de leur traduction. Ici, il n’en est plus de même, et un index explicatif est indispensable, ne fût-ce que pour éviter la nécessité de multiplier les notes outre mesure.

MAHÂBHÂRATA


LIVRE DE L’APAISEMENT




SECTION (I), DE L’ENSEIGNEMENT DES DEVOIRS DU ROI


Après avoir rendu hommage à Nârâyana et à Nara le plus grand des hommes, ainsi qu’à la déesse Sarasvati, on peut obtenir la victoire.




CHAPITRE PREMIER


SOUVENIR DE KARNA


Argument : Les brahmanes viennent trouver Youdhishthira et le félicitent de sa victoire. Réponse du roi, qui raconte ce que lui a dit Kountî et qui déplore la mort de Karna.


1. Vaiçampâyana dit : Les fils de Pândou, Vidoura, Dhritarâshtra et toutes les femmes des Bharatides, firent l’oblation de l'eau pour tous leurs amis.

2. Les très magnanimes fils de Pândou restaient en ce lieu, hors de la ville, pour accomplir (les cérémonies de) la purification.

3, 4. Les magnanimes siddhas (saints), les plus grands des brahmarshis (sages brahmanes), Dvaipâyana, le maharshi (grand rishi) Nârada, Devala, Devasthâna, Kanva, et leurs principaux disciples, s’approchèrent du roi Youdhishthira Dharmarâja, qui avait fait l'oblation de l’eau,

5. Ainsi que d’autres sages brahmanes connaissant les védas, grihasthas (maîtres de maison), ou snâtakas (ayant terminé leurs études sacrées et pris le bain final), qui désiraient voir le plus grand des Kourouides.

6. Ces magnanimes maharshis s’étant approchés et ayant été honorés selon la règle, s’assirent sur des sièges distingués.

7, 8. Puis, après avoir reçu les honneurs que la circonstance comportait, les prêtres, par centaines et par milliers, se tinrent près de Youdhishthira et l’entourèrent selon la règle, sur la rive de la Bhâgirathî (la Gangâ), consolant l’Indra des rois (roi des rois, le plus grand des rois), qui avait l’esprit troublé par le chagrin.

9. Après avoir conversé avec les mounis, dont Krishnadvaipâyana était le premier, Nârada dit au moment (opportun) à Dharmarâja Youdhishthira :

10. « Ô Youdhishthira, tu as justement conquis cette terre par l’héroïsme de ton bras et grâce à la faveur du Madhavide.

11. Grâce au ciel tu es sorti vivant de ce combat qui terrifiait le monde. Je ne doute pas que, attaché aux devoirs des kshatriyas, tu ne te réjouisses, ô fils de Pândou.

12. Après avoir tué tes ennemis, il n’est pas douteux que tu ne satisfasses tes amis (par tes libéralités), et, qu’ayant atteint une telle prospérité, tu ne sois exempt de chagrin. »

13. Youdhishthira dit : J’ai conquis toute cette terre par la protection des brahmanes et par la force des bras de Krishna, de Bhîma et d’Arjouna.

14. Mais j’ai constamment dans le cœur le grand chagrin d’avoir, par cupidité, causé la destruction de mes parents.

15. Après avoir fait tuer (Abhimanyou), fils de Soubhadrâ, et les chers fils de Draupadî, cette victoire prend pour moi l’apparence d’une défaite, ô adorable.

16. Que dira donc la Yrishnienne, ma parente, qui habite à Dvârakâ, à Hari (Vishnou) Krishna, son frère, meurtrier de Madhou, quand il s’en ira d’ici (pour retourner auprès d’elle) ?

17. Cette malheureuse Draupadî, dont les fils et les parents sont tués, et qui s’applique à ce qui m’est profitable, me tourmente en quelque sorte encore davantage.

18. Voilà (ce qui me chagrine), et aussi une autre chose que je vais te dire, ô Nârada. Je souffre de la douleur que me cause un avis que Kountî ne m’a pas donné (en temps utile).

19. Cet (homme), qui avait dans le monde la force de dix mille éléphants, qui ne trouvait pas, dans les combats, d’adversaire qui lui fût comparable, sage, libéral, ferme dans ses vœux, ayant l’orgueil et la démarche du lion,

20. Protecteur des Dhritarâshtrides, fier, impatient, à l’héroïsme brûlant, toujours irrité, qui nous dispersait dans toutes les rencontres,

21. Ce guerrier adroit, à la force merveilleuse, qui lançait rapidement ses traits, celui-là était un fils de Kountî, notre frère (par conséquent) !

22. Pendant que je faisais l’oblation de l’eau, Kountî m’a raconté que cet enfant, doué de toutes les qualités, était un fils (qu’elle avait eu) du Soleil, et que, jadis, elle avait abandonné sur les eaux .

23. Après l’avoir mis dans un panier, elle confia au courant de la Gangâ celui que le monde appela (plus tard) fils du cocher et fils de Râdhâ.

24. C’était le fils aîné de Kountî, notre frère maternel. Dans mon grand désir d’obtenir la royauté, j’ai fait tuer mon frère sans le connaître !

25. Cette idée me brûle les membres, comme le feu consume un tampon de coton. Le Prithide aux chevaux blancs ne connut pas ce frère,

26. Pas plus que moi, ni Bhîma, ni les deux jumeaux. Mais cet (homme) aux beaux vœux nous a connus (pour ce que nous étions). Nous avons entendu dire que Prithâ alla vers lui,

27. Désirant notre repos, et qu’elle lui dit : « Toi (aussi) tu es mon fils. (Mets-toi du côté de tes frères, ou reste neutre) », et que ce magnanime ne se rendit pas à ses désirs.

28. Nous avons appris ensuite qu’il adressa ces mots à sa mère : « Je ne puis pas, en vérité, abandonner le roi Douryodhana (sur le point d’aller) au combat.

29. Cela ne serait pas loyal de ma part ; (ce serait) une méchanceté et une ingratitude, si, suivant ton désir, je m’unissais à Youdhishthira.

30. Les hommes penseraient de moi : « Il a redouté (d’ affronter) dans les combats, le (guerrier aux coursiers blancs. Quand j’aurai vaincu dans la bataille Vijaya (Arjouna), accompagné de Keçava,

31. Je m’unirai avec Dharmapoutra. » Telles furent ses paroles ; mais Prithâ dit encore à (ce héros) à la large poitrine :

82. « Combats Phâlgouna à ta fantaisie, mais accorde-moi que les quatre (autres) soient exempts de (tout) danger de ta part. » Ce sage (guerrier), ayant fait l'añjali, répondit à sa mère qui pleurait.

33. « Je ne tuerai pas tes quatre (autres) fils, s’ils tombent en mon pouvoir. Ô reine, tu es certaine d’avoir toujours cinq fils,

34. Y compris Arjouna, si Karna périt, ou bien, y compris Karna, si Arjouna est tué. » Puis, cette mère, désireuse (de conserver) ses enfants, dit encore à son fils :

35. « Traite favorablement (ces) frères, à qui tu veux du bien. » Après avoir ainsi parlé, Prithâ le quitta et retourna chez elle.

36. Ce héros (qui était notre) frère utérin, a été tué par Arjouna son frère, et, ô puissant, ce secret, resté entre Prithâ et lui, ne fut pas divulgué.

37, 38. Et ce grand et héroïque archer fut abattu sur le champ de bataille par le fils de Prithâ ! Mais, ô le plus grand des brahmanes, les paroles de Prithâ m’apprirent ensuite que Karna était mon frère, et mon frère ainé, ce qui fait que ce fratricide brûle cruellement mon cœur.

39, 40. Avec Karna et Arjouna pour compagnons, j’eusse pu vaincre Vâsava lui-même. La colère qui s’était subitement élevée (en moi), dans l’assemblée, quand les méchants Dhritarâshtrides me tourmentaient, s’apaisa quand j’entendis les paroles, (quoiqu’elles fussent) rudes, (et qu’elles dussent avoir) de fâcheuses suites,

41. De ce (héros) qui désirait le bonheur de Douryodhana, et qui parlait, (au moment du) jeu de dés, au milieu de l’assemblée. A sa vue ma colère s’évanouit.

42. Voici quelle fut ma pensée : « Les deux pieds de Karna sont semblables à ceux de Kountî. « Et je recherchai la cause de cette ressemblance entre Prithâ et lui.

43. J’eus beau réfléchir, je ne pus en saisir la cause. Mais comment la terre dévora-t-elle sa roue ?

44. Comment mon frère fut-il maudit ? Tu dois me le dire, ô adorable. Je désire apprendre de toi tout ce qu’il en est.

45. Car, ô adorable prêtre, tu connais tout ce qui, dans ce monde, s’est fait et ne s’est pas fait.




CHAPITRE II


RÉCIT DE LA MALÉDICTION DE KARNA


Argument : Karna demande à Drona, qui le lui refuse, l’astra de Brahma. Karna va trouver Râma, descendant de Bhrigou, et s’insinue dans ses bonnes grâces. Il tue par mégarde la vache d’un vieux brahmane qui le maudit, sans avoir voulu accepter ses excuses.


46. Vaiçampayana dit : Le mouni Nârada, le plus éloquent des hommes, à qui (le roi venait de) faire ces questions, raconta tout (ce qui concernait) la malédiction encourue par le fils du cocher.

47. Nârada dit : Ô guerrier aux puissants bras, c’est comme tu le dis : nul n’eût pu résister à Karna et à Arjouna (réunis) dans la bataille.

48. Ô homme sans péché, je vais te raconter ce qui est caché, (même) aux dieux. guerrier aux grands bras, voici comment les choses ont eu lieu jadis.

49. Ô roi, (on pourrait se demander) comment la caste des kshatriyas, purifiée par les armes, (serait en état) d’aller au Svarga. C’est dans ce but que, né d’une mère (encore) fille, destiné à causer une guerre,

50. Cet énergique enfant, réduit à (passer pour) le fils d’un cocher, se livra à l’étude de la science de l’arc, (qui lui fut enseignée par) le gourou, le plus excellent des descendants d’Angiras.

51, 52. Réfléchissant à la force de Bhîmasena, à la légèreté (de main) de Phâlgouna, à ta propre sagesse, ô Indra des rois, à la bonne conduite des deux jumeaux, à l'amitié qui régnait dès l'enfance entre l’archer porteur de Gândiva et le Vasoudévide, et à l’affection que tes sujets te portaient, il était consumé (de jalousie).

53. Continuellement haï de vous, et aussi, par suite, (tant) de ses inclinations naturelles que de la destinée, il se lia d’amitié, dans son enfance, avec le roi Douryodhana.

54. Reconnaissant que Dhanañjaya était supérieur à tous dans la science de l’arc, il s’approche en secret de Drona et lui dit :

55. « Je désire connaitre l’astra de Brahma, avec le secret de le retirer. Je pourrai (alors) combattre avec Arjouna. Telle est ma pensée.

56. Assurément, tu as pour tes disciples la même affection que pour ton fils. (Fais que), grâce à toi, les gens habiles ne disent pas que je ne suis pas (bien) exercé à l’usage des armes. »

57. Quand il lui eut ainsi parlé, Drona, qui avait des égards pour Phâlgouna et qui, d’un autre côté, connaissait la méchanceté de Karna, lui dit :

58. « Nul autre qu’un brahmane qui accomplit fidèlement ses vœux, ou un kshatriya qui âe livre à l’ascétisme, ne saurait connaître l’astra de Brahma. »

59. Ayant entendu ces paroles, (Karna) salua le meilleur des descendants d’Angiras, lui rendit hommage et se hâta d’aller à la montagne Mahendra, vers Râma.

60. Étant arrivé vers Râma, il s’approcha de lui avec respect, la tête inclinée, et lui dit : « Je suis un descendant de Bhrigou. »

61. Râma layant interrogé sur toutes choses, et d’abord sur sa famille, le reçut (pour son disciple). Karna, à qui Râma avait dit : « Sois le bienvenu », fut très joyeux.

62. Pendant qu’il demeurait en ce lieu, à Mahendra (qui était) semblable au Svarga, Karna eut des rapports avec les gandharvas, les rakshasas, les yakshas et les dieux.

63. Il y étudiait l’astra des flèches, sous (la direction) du meilleur des Bhrigouides, et il était très cher aux dieux, aux dânavas et aux rakshasas.

64. Il se promenait parfois sur le bord de la mer, près de l’ermitage. Le fils du Soleil ayant l’arc et le glaive à la main, (s’y) promenait un jour seul.

65. Ô Prithide, il s’amusa à tuer, sans la connaître, la vache (qui fournissait le lait) de l’offrande à un certain (brahmane), qui récitait des vers sacres et offrait des agnihotras.

66. S’étant aperçu de sa méprise, Karna en informa le brahmane et, lui expliquant ce qu’il en était, lui dit :

67. « Ô adorable, j’ai tué ta vache sans préméditation. Fais-moi grâce pour cette (faute involontaire). » Il lui répéta cette prière à plusieurs reprises.

68. Le prêtre, irrité, lui dit en le menaçant : « Ô homme qu’il est fâcheux de fréquenter, tu es digne de mort, Portes en la peine.

69. La terre engloutira la roue de ton (char), quand tu seras aux prises avec celui avec qui tu es constamment en rivalité, et à cause de qui tu te donnes beaucoup de mal.

70. Alors, quand ta roue sera engloutie par la terre, ton ennemi s’avancera et fera tomber ta tête à l'improviste. Va-t-en, ô le plus vil des hommes.

71. Ô fou, de même que ma vache a été tuée par toi par suite de ton manque de prévoyance, de même ton ennemi t’enlèvera la tête, en un moment d’imprévoyance de ta part. »

72. Il essaya alors d’apaiser cet excellent brahmane, (en lui offrant) des vaches, des richesses, des joyaux ; mais celui-ci lui dit :

73. « Certes, le monde entier ne saurait rendre vaine la parole que j’ai prononcée. Va-t-en ou reste, mais que ton destin s’accomplisse. »

74. Et Karna, à qui le brahmane venait de tenir ce langage, effrayé en se rappelant ce qui lui avait été dit, s’en retourna tristement, et la tête basse, vers Râma.




CHAPITRE III


KARNA OBTIENT LES ASTRAS


Argument : Affection de Râma pour Karna. Sommeil de Râma. Episode du ver. Colère de Râma. Il prononce la condamnation de Karna.


75. Nârada dit : Le tigre des Bhrigouides fut satisfait de la force des bras de Karna, de l’affection (qu’il lui témoignait), de la manière dont il domptait ses sens, et dont il obéissait à son gourou.

76. Cet ascète expliqua en tout repos, à son disciple, voué (comme lui) aux pratiques ascétiques, tout (ce qui avait rapport à] l’astra de Brahma et à la manière de le retirer.

77. Puis Karna, à la force merveilleuse, n’étant pas rebuté par Bhrigou et se plaisant (chez lui), appliqua ses efforts (à la connaissance de) la science de l’arc.

78, 79. Un jour, affaibli par le jeûne, se promenant avec Karna près de l’ermitage, le sage Jamadagnien, dont l’esprit était fatigué, s’endormit tranquillement, parce qu’il avait son ami près de lui. Le gourou reposait sa tête sur le sein de Karna.

80. Mais un ver cruel, aux étreintes douloureuses, se nourrissant de la lymphe, de la moelle, de la chair et du sang, s’approcha de Karna.

81. Ce (reptile qui se nourrit de sang, attaqua la cuisse (de Karna et se mit à) la percer, sans que celui-ci pût ni le chasser, ni le tuer, de crainte de troubler le sommeil) du gourou.

82. Mais, ô Bharatide, ce fils du soleil, quoique mordu par le ver, n’y prenait nullement garde, dans la crainte d’éveiller le gourou.

83. Karna, qui éprouvait une douleur insupportable, eut la fermeté de soutenir le Bhrigouide, sans bouger et sans troubler sa quiétude,

84. Jusqu’à ce que le corps (de Râma) ressentit le contact du sang. Alors, l’ascète de la race de Bhrigou s’éveilla, et dit :

85. « Hélas, me voilà souillé ! Comment as-tu fait cela ? Mets de côté la crainte et raconte-moi exactement ce (qui est arrivé). »

86. Karna lui expliqua comment il avait été mordu par le ver, et Râma vit ce monstre, qui ressemblait à un cochon.

87. Il avait huit pieds, des dents aiguës, et son corps était entouré de poils semblables à des aiguilles ; son nom était Alarka.

88. À peine le ver eut-il été baigné de sang, et à peine Râma l’eut-il examiné, qu’il mourut. C’était comme un prodige.

89. Alors, on vit dans le ciel un rakshasa effrayant, multicolore, ayant le cou rouge et le corps noir, porté sur un nuage ;

90. Ayant l’esprit calmé (parce qu’il avait accompli son dessein), il dit à Râma, en faisant l’añjali : « Je te bénis, ô tigre de Bhrigou ; je vais m’en aller comme je suis venu.

91. Délivré par toi (d’une situation qui me faisait souffrir tous les tourments de) l’enfer, ô le plus grand des mounis. Sois heureux. Je te salue. Tu m’as rendu service. »

92. Le majestueux Jamadagnien aux puissants bras, lui dit : « Qui es-tu ? Et pourquoi étais-tu tombé dans l’enfer ? Raconte m’en la raison. « 

93. Le monstre lui dit : « J’étais autrefois un grand asoura appelé Damça. Jadis, dans l’âge des dieux, j’étais à peu près contemporain de Bhrigou,

94. Dont j’enlevai de force l’épouse bien-aimée. Devenu ver par l’effet de la malédiction du maharshi, je tombai sur la terre.

95. Car cet (homme), l’ancêtre de ta (race), me dit dans sa colère : « Tu iras en enfer, et tu auras pour nourriture de l’urine et de la lymphe. »

96. « Ô brahmane », lui dis-je, « (quand) se terminera la malédiction (que tu viens de lancer sur moi) ? » Bhrigou me dit : « C’est le Bhrigouide Râma qui la fera cesser. »

97. « Ô homme vertueux, je suis arrivé à ce résultat que, m’étant approché de toi, moi qui étais impur, je suis délivré de la cause de mon mal. »

98. Le grand asoura, après avoir ainsi parlé à Râma et lui avoir rendu hommage, s’en alla. Et Râma adressa, avec colère, ces paroles à Karna :

99. « Ô insensé, aucun brahmane n’eût pu supporter une épreuve aussi pénible ! Ta fermeté paraît celle d’un kshatriya. Dis-moi la vérité sans réticence. »

100. Alors Karna, craignant la malédiction (de Râma, et cherchant à) se le rendre favorable, lui dit : «  Bhrigouide, sache que je suis né soûta entre la caste des brahmanes et celle des kshatriyas.

101. Ô brahmane, sur la terre, les hommes me connaissent sous le nom de Karna, fils de Râdhâ. Ô descendant de Bhrigou, pardonne-moi (de t’avoir dissimulé mon origine). (J'ai agi ainsi) parce que je désirais les astras.

102. Le gourou, le maître qui nous communique la science des védas, est, sans aucun doute, un père. C’est pourquoi j’ai (pu) dire que j’étais ton parent. »

103. Le plus grand des Bhrigouides, souriant (malgré) sa colère, dit à (Karna) qui, courbé jusqu’à terre, pleurait en faisant l’añjali :

104. « Ô insensé, puisque ton désir excessif (d’obtenir) les astras, (t’a conduit à me) servir en employant la ruse, cet astra de Brahma ne se présentera pas à ton esprit, (quand tu en auras besoin) .

105. Quand, dans une autre circonstance, tu te rencontreras, au moment de ta mort, avec un (homme) aussi (terrible) que toi, la parole de Brahma, à laquelle (tu voudras) avoir recours, n’aura aucun effet en ta faveur, (car) tu n’es pas un brahmane.

106. Maintenant, va-t-en. Il n’y a pas de place ici pour un menteur comme toi. Nul kshatriya ne sera ton égal à la guerre. »

107. Ayant entendu ces paroles de Râma, Karna s’en alla comme il convenait, et, étant allé trouver Douryodhana, il lui dit : « Je suis exercé à l’usage des armes. »




CHAPITRE IV


DOURYODHANA ENLÈVE UNE FILLE DANS UN SVAYAMBAHA


Argument : Svayambara de la fille de Citrângada. Douryodhana y va avec Karna. Arrivée de la princesse, qui passe à côté de Douryodhana sans s’arrêter. Douryodhana l’enlève et la fait monter sur son char. Les autres rois le suivent pour la lui disputer, mais ils ne peuvent l’arrêter, et Douryodhana emmène son épouse à Hastinapoura.


108. Nârada dit : Ô le meilleur des Bharatides, après avoir obtenu des armes du descendant de Bhrigou, Karna s’en réjouit avec Douryodhana.

109. Alors, ô roi, un jour, les rois s’assemblèrent pour le svayambara (de la fille) du roi Citrângada, qui (régnait sur) la province de Kalinga,

110. Bharatide, dans la ville appelée la riche Râjapoura (ville royale). Des centaines de rois s’y donnèrent rendez-vous, en vue (d’obtenir) la princesse.

111. Ayant entendu dire que tous les princes étaient réunis en cet endroit, Douryodhana y alla avec Karna, sur un char orné d’or.

112. Alors, quand la grande fête du svayambara fut commencée, ô le plus grand des rois, les rois accoururent, pour (obtenir) la jeune fille. (C’étaient) :

113. Çiçoupâla, Jarâsandha, Bhishniaka, Vakra, Kapotaromau, Nîla, et le très héroïque Roukmin,

114. Le grand roi Çrîgâla, qui règne sur les femmes, Açoka, Çatadhanvan, et le héros appelé Bhoja.

115. Ceux-ci, et d’autres rois en grand nombre, habitant les contrées méridionales, les régions septentrionales et orientales, (celles) des barbares et des Ariens, ô Bharatide,

116. Tous brillant du pur éclat de l’or, porteurs de bracelets d’or, aux corps resplendissants, forts comme des tigres, (s’y trouvèrent rassemblés).

117. Alors, ô Bharatide, quand ces rois furent assis, apparut la jeune fille, accompagnée de sa nourrice et de ses eunuques.

118. Puis quand, ô Bharatide, les noms des rois eurent été proclamés, cette fille au bel aspect ne fit pas attention au fils de Dhritarâshtra.

119. Mais le Kourouide Douryodhana n’endura pas qu’elle passât (près de lui sans s’arrêter), et, sans respect pour les (autres) rois, il retint la jeune fille.

120. Affolé par l’amour et l’ardeur virile, comptant sur Bhîsma et sur Drona, il enleva cette jeune fille en la faisant monter sur son char ;

121. Y étant monté (à son tour), il prit son glaive et attacha (à sa main) le godha et l’angoulitra3. Karna, le meilleur des guerriers, le suivit par derrière, ô le plus excellent des hommes.

122. Alors un grand tumulte se produisit parmi ces rois, qui désiraient se battre, qui attachèrent leurs cottes de mailles et firent atteler leurs chars.

123. Pleins de colère, ils coururent contre les deux (héros), Karna et Douryodhana, en lançant sur eux des pluies de flèches, comme les nuages (répandent) des gouttes d’eau sur deux montagnes.

124-126. Karna, le meilleur des combattants, les déconcerta par son agilité. Il abattit sur le sol, chacun par une seule flèche, les arcs, les traits et les autres (armes) de ces rois. Il vainquit ces rois, dont les uns étaient privés de leurs arcs, tandis que d’autres les avaient (tout) préparés, dont d’autres brandissaient des traits, les hampes des drapeaux de leurs chars et des massues, et qui, pour la plupart, avaient leurs cochers tués.

127. Ces rois, (accélérant) la course de leurs chevaux, et disant (au ravisseur) : « Va-t-en, va-t-en », abandonnèrent le combat, le cœur brisé de douleur, et se dispersèrent.

128. Alors Douryodhana, protégé par Karna, joyeux d’avoir enlevé la jeune fille, se dirigea vers la ville qui tire son nom des éléphants (Hastinapoura).




CHAPITRE V


HÉROÏSME DE KARNA


Argument : Jarâsamdha provoque Karna et est vaincu par lui. Il lui donne la ville de Mâlini. Nârada fait allusion à la manière dont Indra fit renoncer Karna à ses armes défensives innées, et à la manière dont Karna fut tué par Arjouna.


129. Nârada dit : Le maître de la terre, Jarâsamdba, roi de Magadha, ayant entendu dire que la force de Karna était connue dans tout l’univers, le provoqua au combat des chars.

130. Un combat eut lieu entre ces deux (héros) habiles à manier les armes diverses, faisant tomber l’un sur l’autre dans la bataille des coups de différentes sortes.

131. (Ces) deux très forts (guerriers), privés de leurs arcs, ayant épuisé leurs traits, ayant rompu leurs glaives, mirent pied à terre et se saisirent à bras le corps.

132. Mais, en combattant avec ses ongles, Karna sépara les deux parties du corps (de Jarâsamdha), qui avaient été réunies par Jarâ 4.

133. À la vue du changement produit dans son corps, ce roi abandonna sa colère, et dit à Karna : « Je suis satisfait. »

134. 135. Et il lui donna par affection la ville de Mâlinî. Ô tigre des hommes, ce vainqueur de ses rivaux, Karna, fléau des armées ennemies, était roi des Angas et gouvernait Campa (leur capitale), avec l’agrément de Douryodhana, ainsi qu’il est connu de toi.

136. C’est ainsi qu’il était célébré par (toute) la terre, pour sa supériorité dans les armes. Les deux boucles d’oreilles et sa cuirasse lui furent demandées, dans ton intérêt, par l'Indra des dieux.

137. Troublé par le langage artificieux du dieu, il céda ses deux boucles d’oreilles et sa cuirasse, (armes) divines et honorables, qu’il possédait de naissance.

138. Après avoir abandonné les deux boucles d’oreilles et la cuirasse, qu’il avait apportées en naissant, il fut tué par Vijaya sous les yeux du Vasoudévide,

139. En conséquence de la malédiction du brahmane (dont il avait tué la vache), de celle de Râma, de la promesse qu’il avait faite à Kounti (de ne pas tuer ses enfants), et de la ruse de Çatakratou.

140-142. Karna, le fils du soleil, égal en splendeur à l’astre du jour, fut tué, sous les yeux du Vasoudévide, par l’archer porteur de Gândîva, qui avait employé, dans le combat, les armes divines de Roudra, du roi des dieux, de Yama, de Varouna, de Drona et de Kripa. (Il fut tué) par suite du mépris que Bhîshma avait fait de son nom, en le déclarant la moitié seulement d’un guerrier à char (héroïque), et aussi par suite de la manière dont Çalya avait terni son éclat (par ses paroles).

143. C’est ainsi que ton frère a été maudit et trompé par plusieurs, (et à diverses reprises). Ce tigre des hommes ne doit pas être pleuré, car il est mort en combattant.




CHAPITRE VI


MALÉDICTION DES FEMMES


Argument : Discours de Kounti. Réponse de Dharmarâja. Malédiction qu’il prononce contre toutes les femmes.


144. Vaiçampâyana dit : Le devarshi Nârada se tut après avoir ainsi parlé. Le râjarshi Youdhishthira, accablé de chagrin, s’abandonna à ses (tristes) méditations.

145, 146. La désolée Kountî, dont le cœur était brisé par la douleur, prononça, d’une voix douce, des paroles appropriées à la situation, (en s’adressant) au magnifique (roi), affligé, malade de chagrin, qui soufflait comme un serpent, et dont les yeux étaient pleins de larmes :

147. « Ô Youdhishthira, dit-elle, guerrier aux bras puissants, tu ne dois pas pleurer. Ô grand sage, triomphe de ta douleur et écoute ce que je vais te dire.

148. Jadis, ô le meilleur des hommes vertueux, le Soleil son divin père, et moi, nous nous sommes efforcés de (décider Karna) à faire connaître qu’il était ton frère.

149. Ce qui pouvait être dit par un ami bienveillant et désirant le bien (de son ami), lui a été dit, devant moi, par le Soleil, (en rêve), à la fin de son sommeil.

150. Ni le Soleil, ni moi, nous ne pûmes l’engager, par des conseils affectueux, à céder et à s’éloigner, ou à se réunir à toi.

151. Alors, s’il s’est plu à soutenir la guerre, c’est qu’il était poussé par le destin, et je le considère comme l’auteur de vos maux. »

152. Le vertueux Dharmarâja, les yeux obscurcis par les larmes et l’âme agitée par le chagrin, répondit à sa mère qui venait de lui tenir ce langage.

153. Il lui dit : « Tu m’as mis dans la peine en gardant ton secret. » Et cet homme à la grande énergie maudit les femmes, dans l’univers entier,

154-156. En (s’exprimant) ainsi : « Quelles ne puissent plus désormais garder un secret. » Dévoré de chagrin, le cœur troublé au souvenir de ses fils, de ses petits-fils, de ses parents et de ses amis, l’âme agitée, l’esprit consumé par la douleur, ce sage roi, tourmenté par ses regrets, s’abandonna au désespoir.




CHAPITRE VII


LAMENTATIONS DE YOUDHISHTHIRA


Argument : Discours de Youdhishthira.


157. Vaiçampâyana dit : Youdhishthira Dharmarâja, l’esprit troublé par le chagrin, torturé par la douleur, pleura en se rappelant le grand guerrier Karna.

158. En regardant Arjouna, Youdhishthira, à qui les regrets et la douleur (arrachaient) des soupirs incessants, et qui était dévoré de chagrin, prononça ces paroles.

159. Youdhishthira dit : En mendiant dans la ville de Vrishni-Andhaka, nous n’aurions pas éprouvé le malheur de tuer nos parents.

160. Nos ennemis, les Kourouides, dont les affaires (étaient) prospères, sont ruinés ! Après nous être tués les uns les autres, quel fruit retirerons-nous de notre vertu (guerrière) ?

161. Malheur aux usages des kshatri3^as, malheur à la force et à l’héroïsme, malheur à la colère, qui nous ont réduits à cette infortune !

162. Que la patience, l’empire que l’on prend sur ses sens, l’indifférence (pour les choses du monde), la douceur, le fait d’éviter de nuire, les paroles de vérité, soient choses bénies ! Ce fut toujours le (vœu) des (ascètes) errants dans les bois.

163. Notre grande ambition nous a conduits à l’arrogance et à l’orgueil, et le désir (d’acquérir) la royauté nous a amenés où nous en sommes.

164. Quand nous voyons que la mort a atteint nos parents qui désiraient conquérir la terre, rien ne saurait nous rendre heureux, pas même l’empire sur l’ensemble des trois mondes.

165. (Poussés que nous étions par) le désir (de posséder) la terre, nous avons abandonné (à la mort) les maîtres de l’univers, qu’il n’eût pas fallu faire mourir. (Maintenant que) nos parents sont détruits, notre vie est dépourvue d’intérêt (en ce monde ;.

166. Notre conduite a été mauvaise, semblable à celle de chiens avides d’une proie, et voilà que nous nous détournons de la proie que nous avions convoitée.

167. Ceux qui ont péri n’eussent pas dû être abandonnés (par nous), pour la terre (entière), ni pour des monceaux d’or, ni pour tous les troupeaux et les chevaux (de l’univers).

168. Remplis de désirs et de colère, de courroux et de joie 5 ils sont montés sur la Mort comme sur une monture et sont arrivés au séjour (d’Yama) fils de Vivasvant.

169. Au moyen des austérités, de la chasteté, (de la recherche) du vrai, de la patience, les pères cherchent à obtenir des fils destinés à une grande prospérité.

170. De leur côté, les mères les conçoivent en se livrant aux jeûnes, (en accomplissant) des sacrifices, des vœux et des cérémonies propitiatoires. Elles les portent dix mois.

171, 172. Souffrantes en portant leurs fruits, elles disent : « Viendront-ils bien ? Une fois nés, vivront-ils ? Quand ils seront grands et en possession de leurs forces, nous rendront-ils heureuses, dans ce monde et dans l’autre ? » Voilà, pour elles, le commencement de peines qui se terminent sans aucun résultat,

173. Lorsque leurs fils, (encore) jeunes, porteurs de brillantes boucles d’oreilles, tués sans avoir goûté les jouissances de la terre et sans avoir payé leur dette

174. À leurs pères et aux dieux, sont allés au séjour (d’Yama) fils de Vivasvant ; quand leurs parents commençaient à se complaire

175. Dans leur force et leur beauté (déjà) formées, c’est alors même que sont tués ces protecteurs des hommes, enclins au plaisir et à la colère, à l’envie et à la joie !

176. Jamais ils ne jouiront (plus) d’aucun des avantages de leur naissance ! Certes, ceux des Pâñcâlas et des Kourouides qui ont péri, sont bien tués,

177. Si chacun (d’entre eux n’obtient pas), par ses propres œuvres, de contempler les mondes supérieurs ! On nous considère comme la seule cause de la destruction de ce monde.

178. Tout cela, (cependant), doit retomber sur les fils de Dhritarâshtra. (Douryodhana) a toujours été habile en méchancetés. Il nous a haïs et a eu l’esprit porté à la fraude.

179. Sans motif, il s’est toujours tourné contre nous, qui ne lui causions aucun tort. Nous n’avons, pas plus que les (Dhritarâshtrides), obtenu (la satisfaction) de nos désirs ; pas plus qu’eux, nous n’avons remporté la victoire, (puisque notre camp est détruit, et que nos amis sont morts).

180. Ils ne (sauraient) plus jouir de cette terre, ni des femmes, ni des chants (de leurs panégyristes), ni de la musique, (puisqu’ils sont morts). Les Dhritarâshtrides n’ont pas écouté les conseils de leurs ministres, de leurs amis et de ceux qui avaient entendu (réciter les saintes écritures).

181. (En refusant, à la fin de notre exil, de nous restituer notre royaume), ils n’ont pas su rendre le bien des autres, ni teurs terres, ni les revenus de leurs possessions. (Douryodhana), dévoré de colère contre nous, a cherché son plaisir dans les choses qui nous appartenaient (légitimement).

182. En voyant l’accroissement de notre (fortune), il devint pâle (de jalousie), maigre et sans couleur. Renseigné par le Soubalide, le roi Dhritarâshtra,

183. Par suite de l’ambition paternelle qu’il éprouvait pour son fils, approuva les fautes de ce dernier. En n’ayant pas égard (aux observations) de Vidoura et du fils de la Gangâ à la grande intelligence,

184. Et en ne réprimant pas (les instincts) impurs et cupides de son fils, qui s’abandonnait à ses penchants et à ses désirs, il n’y a aucun doute que le roi n’ait causé sa perte et la mienne.

185. Ce Souyodhana, après avoir fait tuer ses frères utérins, et plongé ces deux vieillards, (son père et sa mère), dans des peines cuisantes, (a vu) sa gloire brillante détruite.

186. Enflammé de haine contre nous, il forma toujours de mauvais desseins. Car, quel parent de noble race, parlerait à l'égard de parents à qui il veut du bien,

187. Comme, dans son désir de combattre, il parlait (de nous) en présence de Krishna ? Nous avons été entièrement ruinés par sa faute, pendant une (longue) série d’années 6.

188. (Nous étions) pareils à des soleils enflammant de leur éclat tous les points de l'horizon, et ce méchant, l'hostilité personnifiée, (pareil au démon des éclipses), a éteint (notre splendeur) !

189. Certes, si cette famille, qui était la nôtre, est détruite, c’est l'œuvre de Douryodhana ! Nous serons, (cependant), censurés dans le monde, pour avoir tué des (parents) qui n’auraient pas dû périr !

190. Maintenant, le roi Dhritarâshtra pleure, après avoir rendu maître du royaume, (l’homme) insensé et méchant qui a causé l’anéantissement de sa race.

191. Les héros sont tués ; le péché est commis. Le royaume même est détruit. Notre colère s’est évanouie après que nous avons eu tué (nos ennemis, mais) le chagrin me tourmente.

192. Ô Dhanañjaya, les péchés que l'on a commis s’expient par des actions vertueuses, par l’aveu qu’on en fait, par le repentir et par l’ascétisme,

193. Par le renoncement (aux plaisirs du monde), par des pèlerinages aux tirthas, par la récitation de la çrouti (révélation) et de la smriti (tradition des textes saints) ; celui qui pratique le renoncement devient hors d’état de commettre de nouveaux crimes. Voilà ce qu’enseigne la çrouti.

194. Elle nous apprend, que celui qui pratique le renoncement n’est sujet ni à la naissance ni à la mort (après la vie actuelle). Alors, ayant préparé la voie et bien disposé son esprit, il s’unit à Brahma (l'âme universelle).

195. Ô Dhanañjaya, indifférent aux choses opposées (comme la joie et la peine), au fait de la science (véritable), je prendrai congé de vous et j’irai dans les bois en qualité de mouni, ô fléau des ennemis.

196. Les mérites les plus éminents ne peuvent pas être obtenus par celui qui est appliqué aux choses terrestres, ô destructeur des ennemis. Voilà ce que dit la çrouti, et c’est évident pour moi.

197. J’ai péché en désirant les biens de ce monde. Cela peut être la cause de naissances et de destructions (ultérieures), voilà ce qu’apprend la çrouti.

198. J’abandonnerai mes biens et la royauté entière. Délivré (des entraves du monde), exempt de chagrins, libéré des souffrances de l’âme, je m’en irai (dans les bois).

199. Jouis de cette terre pacifiée, dont les épines sont extirpées. Quant à moi, ô le plus excellent des Kourouides, je ne m’intéresse plus, ni à la royauté, ni aux jouissances (terrestres).

200. Youdhishthira Dharmarâja s’interrompit après avoir parlé ainsi. Le Prithide, son frère puîné, lui répondit.




CHAPITRE VIII


DISCOURS D’ARJOUNA


Argument : Discours d’Arjouna, qui vante les avantages de la fortune, et expose les inconvénients de la pauvreté.



201, 202. Vaiçampâyana dit : Ensuite, l’impatient et très fort Arjouna, à la parole éloquente, à l'indomptable énergie, à l’héroïsme terrible, offensé (de ce que venait de dire son frère), prononça en souriant, (tout en) léchant les coins de sa bouche et en présentant un aspect effrayant, ces paroles très convenables :

203. Arjouna dit : Quel malheur, quelle peine et quelle affliction suprême, ce serait si, après avoir accompli une œuvre surhumaine, tu abandonnais ta grande fortune !

204. Après avoir frappé tes ennemis et t’être emparé de la terre, conquise par ta valeur, comment pourrais tu renoncer à tout, par inconstance d’esprit ?

205. A-t-on (jamais) vu un homme dépourvu de virilité ou un paresseux acquérir la royauté ? Pourquoi (alors), dans ta colère, as-tu tué les rois ?

206. Comment celui qui, pauvre, ayant renoncé au bien-être, désire vivre d’aumônes, jouirait-il du fruit d’entreprises (auxquelles il ne se livre pas) ?

207. Il est connu dans tous les mondes, (comme) ne possédant ni enfants, ni bestiaux. Ô roi, après qu’un crâne à la main (en guise d’écuelle), tu auras adopté un genre de vie très pénible,

208. Et que tu auras renoncé à une royauté très prospère, qui est à toi, que dira le monde ? Ayant abandonné toutes tes entreprises, pauvre, ayant fait évanouir ta prospérité,

209. Pourquoi veux-tu t'abandonner à la mendicité, comme un homme du commun, ô roi, toi qui es né d’une race royale, et qui as conquis toute la terre ?

210. (Pourquoi) la folie te pousse-t-elle à abandonner le devoir de ta caste, et à te retirer dans les bois ? Si, ici bas, les méchants détruisent les offrandes,

211. Le péché t’en incombera, à toi qui auras délaissé (les sacrifices). Nahousha a dit : « La pauvreté ne doit pas être vantée. »

212. Tu sais qu’après avoir commis de mauvaises actions dans (l’état de) pauvreté, (il dit) : « Malheur à la pauvreté. » Ne rien conserver pour le lendemain ne convient qu’aux rishis.

213. Il faut pratiquer les devoirs (des rois), et on a dit que ces devoirs dépendent des richesses. Celui qui enlève à quelqu’un sa fortune lui ravit en même temps (le moyen de remplir) son devoir.

214. Ô roi, est-il quelqu’un de qui nous pourrions supporter la spoliation de nos biens ? Le pauvre est calomnié, même en sa présence.

215. La pauvreté est un mal ici bas, et il ne faut pas la louer. Ô roi, celui qui est abattu, pleure, le pauvre aussi.

216, 217. Je ne vois pas la différence entre le pauvre, et celui qui est déchu. Toutes les œuvres (méritoires) découlent, comme les rivières des montagnes, des grandes richesses accrues de toutes parts. Le dharma (devoir), l’artha (intérêt), le kâma (plaisir), le Svarga lui-même, viennent de la richesse, ô maître suprême des hommes.

218, 219. L’entretien même de la vie d’ici bas, n’est assuré que grâce à la richesse. En ce monde, tous les projets de l’homme privé de biens, (et de celui qui est) peu intelligent, sont arrêtés (et réduits à néant), comme les petits cours d’eau pendant la saison chaude. Qui a des richesses, a des amis ; qui possède des biens, a des parents.

220. En ce monde, le riche (seul) est un homme ; le riche (seul) est savant. L’homme dépourvu de richesse, qui désire en obtenir, ne saurait y arriver 7

225. On obtient les richesses à l’aide des richesses, comme (on prend) les éléphants sauvages avec des éléphants (privés). Le devoir, le plaisir, la joie, la fermeté, l’impétuosité, la science sacrée, la fierté,

226. Toutes ces choses procèdent de la richesse. La (noblesse de) la race provient de la richesse. Le dharma s’accroît sous l’influence de la richesse.

227. Ce monde n’appartient pas au pauvre, ô le plus excellent des hommes, ni l’ascétisme non plus. Le pauvre n’accomplit pas utilement les cérémonies religieuses.

228. Le dharma descend de la richesse, comme une rivière descend d’une montagne. Celui dont les chevaux, les bœufs, les serviteurs et les hôtes sont maigres,

229. Celui-là, certes, ô roi, est maigre (lui-même). Ce n’est pas celui dont le corps est maigre, qui est maigre. Considère les choses comme il convient, et vois (ce qui se passe entre) les dieux et les asouras.

230. (En dépit des règles ordinaires de l’ascétisme), ô roi, les dieux désirent-ils quelque chose plus vivement que la destruction (des asouras), leurs parents (et leurs rivaux) ? Si on ne devait (jamais) rien enlever à autrui, comment (les ksatriyas) accompliraient-ils leurs devoirs ?

231. Cela est établi par les poètes dans les védas. Or les trois védas doivent être étudiés par le sage. (C'est une chose) qu’il faut faire régulièrement.

232. Il faut, de toutes manières, rechercher la richesse, et offrir des sacrifices avec persévérance. C’est par la violence (et non par l’ascétisme), que tous les dieux ont conquis leur place dans le ciel.

233. Par quel moyen, autre que la violence envers (les asouras) leurs parents, les dieux cherchent-ils l’accomplissement de leurs désirs ? Voilà comment les dieux ont résolu d’agir, voilà ce que prescrivent les paroles éternelles des védas.

234. On apprend, on instruit, on sacrifie, on fait sacrifier ; mais il y a mieux que tout cela, c’est de s’enrichir aux dépens des autres.

235. Nous ne voyons nulle part une richesse quelconque, qui n’ait pas été ravie. C’est ainsi que les rois conquièrent cette terre,

236. Et disent, après s’en être emparé : « Elle est à moi », comme fait un fils en ce qui concerne les biens de son père. Les râjarshis célestes déclarent même que tel est leur devoir.

237. De la même manière que les eaux provenant de l’Océan, se répandent (en pluie) dans les dix directions (de l’espace), de même, la richesse qui vient de la famille du roi se répand sur la terre.

238. Cette terre appartenait jadis au roi Dilîpa, à Nahousha, à Ambarîsha, à Mândhâtar, Elle est (maintenant) soumise à ton (pouvoir).

239. C’est à toi qu’il incombe (de faire) un sacrifice, au moyen des productions de cette terre, et d’offrir toutes les oblations ; si tu n’accomplis pas ce sacrifice, les péchés de la royauté seront à ta charge .

240. Les rois pour lesquels un açvamedha, convenablement rétribué, est offert, sont tous purifiés après l’accomplissement (de la cérémonie de) l’avabhrita (bain sacré qui termine le sacrifice).

241. Mahâdeva, qui prend toutes les formes, offrit tous les êtres et s’offrit lui-même, dans un sacrifice aux grandes oblations.

242. Voilà la voie du salut. Elle est éternelle, et nous n’avons (jamais) ouï dire (que ses mérites) aient une fin. C’est la grande route où dix chars (peuvent passer de front). Ne t’engage pas dans un chemin de traverse.




CHAPITRE IX


DISCOURS DE YOUDHISHTHIRA


Argument : Youdhishthira refuse d’écouter son frère, et persiste à vouloir se retirer dans les bois. Il décrit l’ascétisme auquel il va se livrer, et les avantages qu’il en retirera.


243. Youdhisthira dit : Arjouna, fixe ton esprit sur cette seule chose, et prête un instant l’oreille (à la voix de) ta conscience. Tu partageras ma manière de voir,

244. Je suivrai la voie que suivent les gens de bien. Je ne saurais poursuivre de nouveau, à cause de toi, les plaisirs (que procurent) les choses du monde, après les avoir abandonnés.

245. Si tu me demandes quel est le chemin du bonheur que le solitaire doit parcourir, ou (quand bien même) tu ne désirerais pas m’interroger à ce sujet, (écoute ce que je vais te dire).

240. Abandonnant les affaires du monde et ses plaisirs, j’irai dans les bois, avec les gazelles, pratiquer un grand ascétisme et me nourrir de fruits et de racines,

247. Sacrifiant au feu quand il le faudra, me baignant aux deux moments (du jour, le soir et le matin), maigre, mangeant peu, vêtu de peaux et d’écorces, portant (mes cheveux en) tresses (comme les ascètes),

248. Endurant le froid, le vent, la chaleur du soleil, soufrant de la faim et de la soif dans mon ermitage, soumettant mon corps à l’ascétisme enseigné par les préceptes,

249. Entendant sans cesse les diverses voix, aussi agréables au cœur qu’à l’oreille, des oiseaux et des gazelles qui passent une vie joyeuse dans les forêts,

250. Jouissant des senteurs agréables des arbres et des plantes en fleurs, contemplant, dans les bois, leurs charmants habitants aux formes variées.

251. Celui même qui pratique l’ascétisme dans les bois, a des rapports avec ceux qui habitent dans leurs familles. Je ne me conduirai pas d’une façon malveillante envers eux, à plus forte raison avec ceux qui habitent dans les villages ;

252. Cherchant les lieux écartés, me livrant à la méditation, soutenant ma vie avec des aliments cuits ou crus, rassasiant les pitris et les dieux, de chants et d’oblations d’eau et de fruits sauvages,

253. Pratiquant la règle terrible et très austère que les préceptes prescrivent aux habitants des bois, j’atteindrai la dissolution de ce corps.

254. Ou bien, mouni solitaire, la tête rasée, je ferai jeûner mon corps, demandant chaque jour une nourriture à un arbre (dans la forêt),

255. Couvert de poussière, faisant ma demeure dans des cabanes abandonnées, ou bien habitant une hutte entre les racines des arbres, ne faisant aucune différence entre ce qui est agréable ou désagréable,

256. Ne pleurant pas, ne me réjouissant pas, indifférent au blâme et à la louange, n’espérant rien, sans attachement personnel pour rien, ne possédant rien, dégagé (des liens) des couples de passions opposées,

257. Trouvant mon plaisir en moi-même, ayant l'âme sereine, présentant l'aspect d’un idiot, d’un aveugle, ou d’un sourd, ne liant aucune sorte de commerce avec personne,

258. N’injuriant aucune des quatre sortes d’êtres mobiles ou immobiles, me comportant de la même manière à l’égard de toutes les créatures vivantes, (et) des êtres ayant leurs devoirs particuliers (de caste),

259. Ne me moquant de personne, ne fronçant pas les sourcils, ayant toujours le visage calme et tous les sens domptés,

260. Ne demandant pas la route, errant au hasard, ne voyant aucun lieu où il me soit agréable ou désagréable d’aller,

261. Juste, allant n’importe où sans regarder en arrière, marchant absorbé dans mes pensées, rejetant (tout commerce avec) les choses mobiles ou immobiles.

262. La nature commande (tout). La nourriture s’impose. Toutes choses, ici bas, vont par couples contraires. Ne faisant aucune attention à tout cela,

263. Quand je n’aurai pas, du premier coup, obtenu un peu de nourriture, ou des aliments d’un goût agréable, allant jusqu’à sept fois ailleurs pour recevoir (une aumône), en cas d’un échec

264. Du à ce que c’est l’heure où (la cheminée) ne fume pas, où l'on a déposé le pilon (à broyer le grain), où les charbons du foyer sont éteints, où la réception des hôtes ne se fait plus, où les mendiants sont partis,

265. Ayant relâché les liens de mes désirs, je parcourrai cette terre, en me livrant à la mendicité, une, deux, trois, ou cinq fois par jour (s’il le faut),

266. Pratiquant un grand ascétisme, voyant d’un œil égal mes demandes exaucées ou repoussées, ne faisant ce que je ferai, ni à la manière d’un homme qui désire vivre, ni à la manière de celui qui veut mourir,

267-269. N’ayant ni désir ni répugnance, soit pour la vie, soit pour la mort. Ne nourrissant aucun sentiment hostile ou affectueux pour deux hommes, dont le premier me couperait un bras, et (le second) m’enduirait l’autre (bras) (de pâte parfumée) de santal ; n’attachant aucune importance à tous les actes profitables, quels qu’ils soient, qui peuvent être accomplis par un homme vivant, (me bornant uniquement) à ouvrir et fermer les yeux, et aux autres (actes instinctifs et nécessaires), n’y étant jamais attaché et n’appliquant mes intentions aux fonctions d’aucun de mes sens,

270. Restant fidèle à ma détermination (ascétique), ayant bien purifié toutes les souillures de mon âme, délivré de tous les attachements, élevé au-dessus de toutes les embûches (des objets des sens),

271. Libre comme l’air, sans être soumis à la volonté de qui que ce soit, j’éprouverai une satisfaction constante, en errant ainsi exempt de toute passion.

272. Certes, la concupiscence m’a fait commettre de grands péchés ! Après avoir accompli de bonnes ou de mauvaises actions, certains hommes

273. Entretiennent leurs familles, (et établissent par là) une succession de causes et d’effets, (dont ils auront à supporter les conséquences). En abandonnant, à la fin de leur existence, leur corps dont la vie sera épuisée,

274. Leurs péchés s’empareront d’eux, car tel est le fruit des actions, que (chacun) a faites (pendant sa vie). C’est ainsi que, dans le cercle de la transmigration, toujours en mouvement, (les choses se passent) à la manière du jeu des roues d’un char (qui tournent toujours 8

274’, 274’’. Ce groupe d’éléments (qui compose le corps), rejoint, avec les effets de ses actes, un (autre) groupe d’éléments (constituant un autre corps). Le bonheur est pour celui qui abandonne le cercle des transmigrations, qui impliquent les phénomènes de la naissance, de la mort, de la vieillesse et des maladies, (cercle) qui paraît sans limites et qui manque de consistance. Du moment que les dieux (peuvent) tomber du ciel et les maharshis de leurs séjours (glorieux),

274’’’. Qui donc, en en connaissant réellement la cause, serait désireux de l’existence ? Après avoir accompli des exploits divers, dont chacun a son caractère distinctif,

274’’’’. Un roi est tué par (d’autres) princes, même pour des motifs futiles. C’est pourquoi, comme il y a longtemps que cette (pensée), qui est le nectar de la science, m’est familière,

275. Après l’avoir conçue, je désire un séjour immuable, éternel, certain. En agissant constamment avec cette ferme résolution,

276. Me tenant inébranlable dans cette voie exempte de dangers, je placerai mon corps au-dessus des vicissitudes de la naissance, de la mort, de la vieillesse et des maladies.




CHAPITRE X


DISCOURS DE BHÎMASENA


Argument : Bhimasena combat les idées de Youdhishthira.


277. Bhîmasena dit : Ô roi, ton intelligence, comme celle d’un ignorant et aveugle çrotriya (brahmane de la troisième classe), est obscurcie par la répétition (des formules que tu as entendu prononcer) . Elle ne voit pas les choses comme elles sont.

278. Ô excellent Bharatide, quel fruit un homme renonçant, (comme toi), à l’action, méprisant les devoirs des rois, pourrait-il retirer de la destruction des Dhritarâshtrides ?

279. La résignation, la piété, la compassion, l’affection même pour un parent, ne (doivent pas) se rencontrer chez celui qui, comme toi, suit la loi des kshatriyas.

280. Si nous avions su que telle était ta pensée, nous n’aurions pas pris les armes et nous n’aurions tué personne.

281. Nous aurions pratiqué la mendicité jusqu’à la fin de l’existence actuelle de ce corps, et ce cruel combat entre princes n’aurait pas eu lieu.

282. Les poètes ont dit que tout est aliment pour celui qui a (véritablement) la vie. Ce qui est mobile et ce qui est immobile lui sert de nourriture.

283. Les savants, connaisseurs des devoirs des kshatriyas, ont reconnu qu’il fallait détruire les adversaires, quels qu’ils fussent, qui voudraient ravir la royauté (à un prince).

284. Ces coupables adversaires de notre pouvoir royal ont été tués par nous. Après les avoir anéantis, ô Youdhishthira, jouis légitimement de cette terre.

285. Ce que nous ferions, (en abandonnant le royaume que nous avons conquis), serait comparable au travail d’un homme qui, ayant creusé un puits, l’abandonnerait parce qu’il trouve la boue avant l’eau.

286. Notre œuvre serait semblable à celle d’un homme qui, monté sur un grand arbre, enlèverait le miel (que son intérieur contient), et mourrait avant d’y avoir goûté.

287. Elle serait pareille à (l’inconséquence que commettrait) un homme qui, entreprenant une longue route, avec l’espoir (d’arriver à son but), s’en écarterait en désespérant (d’y parvenir),

288. Ô descendant de Kourou, nos exploits ressembleraient à ceux d’un homme qui, après avoir causé la destruction de ses ennemis, s’en prendrait à sa vie même ;

289. Ou bien à l’acte d’un affamé, qui ne profiterait pas de la nourriture qu’il a rencontrée, ou bien encore à la conduite d’un amant, qui ne jouirait pas à sa fantaisie d’une maîtresse qu’il a en son pouvoir.

290. Ô roi, nous serions blâmables de te suivre, toi dont les pensées sont dépourvues de bon sens, en nous contentant de dire : « C’est notre aîné », ô Bharatide !

291. Car nous, qui avons des bras vigoureux, qui sommes intelligents et instruits, nous nous en tiendrions aux paroles d’un homme sans énergie virile, comme (si nous étions) impuissants.

292. Certes, en nous voyant engagés dans des démarches qui ne seraient pas justifiées, comment nos sujets ne jugeraient-ils pas l’heureux succès de nos entreprises anéanti ? Voyez ce qu’il en est, (diraient-ils) ?

293. Voici ce qui est enseigné : « L’homme, dans le malheur, vaincu par ses ennemis, ou accablé de vieillesse, doit renoncer au monde. »

294. Aussi les sages n’admettent-ils pas le renoncement (dans la situation où nous nous trouvons) ; les hommes à la vue pénétrante le considèrent comme contraire au devoir.

295. Comment ceux qui sont issus de la caste (des kshatriyas), qui en pratiquent (les devoirs), et qui font de ceux-ci l’objet (de leur sollicitude), jetteraient-ils le blâme sur le fait (d’obéir à ces prescriptions) ? Le créateur, (qui a imposé ces obligations), ne doit (jamais) être blâmé.

296. Ce sont les gens dépourvus de prospérité et de richesses, ce sont les incrédules qui ont émis ces faux préceptes, en leur attribuant l’éclat de la vérité des textes sacrés.

297. Celui qui est (capable de) se suffire à lui-même et qui se rase la tête (dès) qu’il le peut, (ne) pratique le devoir qu’extérieurement. (Ce qu’il fait) n’est pas vivre, c’est mourir.

298. Celui-là peut vivre heureusement dans les bois, qui n’est pas (capable) d’entretenir ses fils et ses petits-fils, et de remplir (ses devoirs) envers les dieux, les rishis, les pitris et les hôtes.

299. Les hommes (qui se retirent à tort dans les bois), ne conquièrent pas plus le Svarga, que les gazelles, les sangliers et les oiseaux. On a indiqué une autre manière (d’acquérir) des mérites.

300. Si l’on pouvait arriver à la perfection par le (seul) renoncement, les montagnes et les arbres atteindraient vite cette perfection,

301. Car on les voit adonnés avec persévérance au renoncement, ne causant de mal à aucune créature, (semblant] détachés des biens terrestres et pratiquant (en quelque sorte) constamment la règle de vie des brahmacârins (étudiants en théologie).

302. Mais si l’on (veut) acquérir la perfection par ses propres mérites, et non par ceux des autres, il faut agir, la perfection n’existe pas pour celui qui est inactif.

303. (Autrement) les productions naturelles et les êtres aquatiques, qui n’ont à s’occuper que d’eux-mêmes et de rien autre, arriveraient à la perfection.

304. Vois comment, ici-bas, chacun est appliqué à telle ou telle tâche ! Il faut donc remplir sa tâche, (et) il n’y a pas de perfection pour celui qui est inactif.




CHAPITRE XI


CONVERSATION ENTRE LES RISHIS ET L’OISEAU


Argument : Discours d’Arjouna. Conseils donnés par Çakra, sous la forme d’un oiseau d’or, à de jeunes brahmanes, qui s’étaient inconsidérément retirés dans les bois.


305. Arjouna dit : On rapporte précisément une ancienne légende à ce sujet. C’est une conversation (qui eut lieu jadis) entre Çakra (Indra) et (certains) ascètes.

306, 307. Quelques brahmanes à l’esprit faible, riches, de bonne famille, (mais) dont la barbe n’était pas encore poussée, ayant abandonné leurs demeures, s’exilèrent dans les bois, dans l’idée que c’était leur devoir d’y mener la vie de brahmacârins.

Çakra eut pitié de ces (jeunes gens) qui avaient quitté leurs pères et leurs frères.

308. Il prit la forme d’un oiseau d’or et leur dit : « Il est très difficile aux hommes d’accomplir (les austérités) auxquelles se livrent ceux qui vivent des restes des sacrifices.

309. (Mais) c’est une œuvre pieuse, et ceux qui la pratiquent sont dignes de louange. Ayant eu le devoir pour objet principal, ils atteignent leur but et obtiennent la félicité suprême (après leur mort). »

310. Les rishis dirent : Ah ! cet oiseau glorifie ceux qui se nourrissent des restes des sacrifices. Nous vivons des restes des sacrifices. Assurément il nous approuve.

311. L’oiseau dit : Ce n’est pas vous que j’approuve. Vous êtes souillés de boue et de poussière. Vous vous nourrissez d’aliments malpropres. Ce ne sont pas là les restes des sacrifices.

312. Les rishis dirent : Nous considérons la (vie que nous menons ici) comme ce qu’il y a de meilleur. Ô oiseau, dis-nous ce qui serait préférable. Nous avons fermement confiance (en toi).

313. L’oiseau dit : Si vous ne suspectez pas mes paroles en vous trompant vous-même, je vais vous tenir un langage utile et conforme à la vérité.

314. Les rishis dirent : Ô vertueux ami, nous écoutons tes paroles. Tu connais les voies (salutaires). Donne-nous tes instructions ; nous voulons les suivre.

315. L’oiseau dit : La vache est le meilleur des quadrupèdes, l’or le meilleur des métaux, la récitation des mantras (textes sacrés) le meilleur des chants, le brahmane le meilleur des (êtres) qui marchent sur deux pieds.

316. Ce mantra (précepte) est établi pour le brahmane qui est né, qui (produit) des œuvres, qui vit selon les circonstances et (qui aboutit) au cimetière, à la mort (et à ses suites).

317. Les rites védiques sont pour lui la voie céleste, le meilleur des sacrifices. Comment, à mes yeux, accomplit-on toutes les œuvres conformément aux prescriptions des mantras ?

318. La perfection est attribuée, ici-bas, à celui qui proclame fermement l’âme universelle. Les saisons, les mois, les demi-mois, le soleil, la lune, les étoiles.

319. Toutes les créatures, accomplissent ce qu’on appelle : « L’œuvre », c’est une chose méritoire, le champ du salut ; c’est le grand mode de vie.

320. Mais les hommes qui blâment l’œuvre, suivent une mauvaise voie. On admet que ces fous, qui laissent l’utile de côté, se rendent coupables de péché.

321. En abandonnant (les traces) des familles éternelles des dieux, des pitris el des brahmanes, ils sont insensés et suivent un chemin qui n’est pas celui qu’indique la çrouti (révélation).

322. (Voici ce qui a été) prescrit par le rishi : « Je vous donne ce (précepte : l’œuvre). Voilà l’ascétisme qui vous convient. » L’ensemble de ces prescriptions est l’ascétisme des (véritables) ascètes.

323. Donner les parts qui leur sont dues, aux familles éternelles des dieux, des pitris, des brahmanes, et au gourou, est certainement une chose difficile à accomplir, (et autre que le renoncement).

324. Les dieux, après avoir accompli une œuvre difficile, ont obtenu une prospérité suprême. C’est pourquoi je vous dis de mener la vie difficile, (austère, laborieuse), de maîtres de maison.

325. Sans doute, l’ascétisme est une chose excellente. C’est la souche de toutes les créatures. (Mais) tout (ce qui constitue cet ascétisme) repose sur le précepte de la famille.

326. Les prêtres, non sujets à l’erreur, qui traversent les couples de choses opposées, ont reconnu que (l’état de maître de maison) était de l’ascétisme. Aussi les vœux qui se pratiquent au milieu du monde, reçurent-ils ce nom.

327. Ceux qui se nourrissent des restes des sacrifices suivent une voie pénible. Distribuer soir et matin la nourriture à sa famille,

328. Donner selon la règle (ce qui leur revient), aux hôtes, aux dieux, aux pitris et à la famille, et manger ensuite ce qui reste, voilà ce qu’on appelle se nourrir des restes des sacrifices.

329. C’est pourquoi, (ceux qui), s’en tenant à leurs devoirs particuliers, mènent une conduite pieuse et disent la vérité, devenus les gourous du monde, sont calmes.

330. Ces hommes exempts d’envie, après avoir accompli des choses difficiles, atteignent le Tridiva (troisième ciel) et habitent, pendant l’éternité, le monde du Svarga (le paradis d’Indra) de Çakra.

331. Arjouna dit : Ces ascètes, après avoir entendu ces paroles conformes au dharma (devoir) et à l’artha (intérêt), ayant compris que (le bien) n’était pas (où ils l’avaient pensé), retournèrent (dans leurs familles) et s’appliquèrent aux devoirs de maîtres de maison.

332. C’est pourquoi, ô maître suprême des hommes, toi aussi qui connais tes devoirs, prends pour appui la fermeté éternelle, et gouverne cette terre, (sur laquelle tes) ennemis ont été détruits.




CHAPITRE XII


DISCOURS DE NAKOULA


Argument : Nakoula s’efforce de démontrer à son frère que l’action est le but suprême de la vie.


333, 334. Vaiçampayâna dit : Après avoir entendu les paroles d’Arjouna, le dompteur des ennemis, le grand sage Nakoula, le plus vertueux des hommes, aux bras puissants, à la large poitrine, modéré dans ses discours, le visage coloré et rouge comme du cuivre, s’emparant de la pensée de son frère, parla en ces termes.

335. Nakoula dit : Les feux de tous les dieux sont réunis (dans la région de) Viçâkhayoûpa. Sache donc, ô grand roi, que les divinités même sont soumises aux fruits de leurs œuvres .

336. Ceux qu’on appelle les pitris donnent la vie aux êtres, (même) aux impies. Eux aussi, ayant égard à la règle, accomplissent leurs œuvres, ô prince.

337. Sache que ceux qui négligent (les devoirs prescrits par) les textes sacrés, sont de grands impies. L’homme instruit qui, dans toutes ses actions, ne néglige rien de ce que prescrivent les védas,

338. Atteint la surface de la voûte céleste, au moyen des védas en guise de monture. Les gens qui se déterminent d’après les védas, déclarent que : « Ce (genre de vie, qui consiste à remplir les devoirs de maître de maison), est supérieur à tous les stages de la vie brahmanique. »

339. Ô roi, apprends que les brahmanes au fait (des préceptes) de la çrouti, consommaient surtout dans les sacrifices, les biens qu’ils avaient justement acquis.

340. Ô grand roi, celui qui a l’âme purifiée, est considéré comme (un homme) pratiquant le (vrai) renoncement. Celui qui ne songe pas à jouir des plaisirs (de la vie), et qui se place au-dessus (d’eux),

341. Celui qui renonce à lui-même, pratique un renoncement où domine la qualité de tamas (ténèbres). Le mouni sans demeure, qui se loge entre les racines des arbres,

342, 343. Qui mène toujours la vie ascétique, qui ne fait pas cuire (de vivres) pour lui-même, pratique le renoncement en mendiant. fils de Prithâ, le prêtre qui a étudié les védas, devenu indifférent à la colère, à la joie, à la faveur, et surtout à la méchanceté, pratique véritablement le renoncement en mendiant. Les sages ont dit que tous les stages de la vie brahmanique furent mis dans la balance, ô fils de Prithâ

344. Les trois (autres furent placés dans un plateau), l’état de maître de maison étant seul (dans l’autre plateau). En s’assurant par la balance, ô fils de Prithâ, que ce genre de vie (conduit) au plaisir et au ciel, (l’équilibre fut établi), ô taureau des Bharatides.

345. C’est la voie des maharshis, le refuge de ceux qui connaissent le monde ; celui qui arrange son existence ainsi, pratique le renoncement, ô taureau des Bharatides,

346. Et non celui qui abandonne sa maison pour aller dans les bois comme un fou. Quand un homme, (feignant) hypocritement (de remplir) son devoir, songe (à contenter) ses désirs,

347. Le roi des morts lui attache au cou son lacet mortel. L’action faite par égoïsme n’est pas capable de porter de (bons) fruits.

348. Ô grand roi, il n’y a que ce qui est accompagné (d’un sentiment) de renonciation (à ses sens), qui porte de grands fruits. La quiétude, le fait de dompter (ses penchants), la constance, la véracité, la pureté et la droiture,

349. Le sacrifice, la fermeté, le dharma (devoir), sont toujours considérés comme l’objet des règles des rishis. (Ces règles) prescrivent d’entreprendre tout ce qui concerne (le service) des pitris, des dieux et des hôtes.

352. Certes, ô grand roi, là seulement le trivarga (triade des buts de la vie, devoir, plaisir, profit), porte de bons fruits.

La destruction ne sera jamais (le lot) de celui qui pratique, ici bas, le renoncement, sans relâchement, et en suivant cette règle.

Le vertueux Prajâpati, (créateur, maître des êtres), exempt de fautes, engendra les créatures en disant : « Elles m’offriront des sacrifices avec des dakshinâs (offrandes rémunératrices aux prêtres) de différentes sortes. » (Il créa aussi) pour le sacrifice, les plantes, les arbres, les plantes médicinales,

353. Les bestiaux, les libations et les (autres) objets destinés aux sacrifices. Et cette œuvre sacrée rencontre des obstacles pour celui qui mène la vie de maître de maison.

354, 355. C’est pourquoi l’état de maître de maison est difficile à pratiquer et difficile à acquérir. Ô grand roi, ceux qui, après avoir adopté l’état de maître de maison, possédant des bestiaux, des richesses et des grains, n’offrent pas de sacrifices, (se chargent) d’un péché éternel. Il y a des rishis dont les seuls sacrifices consistent dans la récitation des textes sacrés, et d’autres pour qui le sacrifice consiste dans la science ;

356-358. D’autres qui disposent, (en quelque sorte), au dedans de leur cœur, de grands sacrifices. Les habitants du ciel recherchent (la société) de ces brahmanes, dé venus semblables à Brahma, qui suivent une voie à laquelle ils appliquent leur esprit.

En n’offrant pas en sacrifice les choses que tu as amassées et les joyaux que tu as conquis, tu fais profession d’incrédulité. Ô maître suprême des hommes, chez celui qui se tient dans sa famille, je ne comprends pas le renoncement (à ses biens),

359, 360. Si ce n’est dans les râjasouyas, les açvamedhas, les sarvamedhas. Ô protecteur de la terre, offre ces sacrifices et les autres (semblables), qui sont recommandés par les brahmanes, comme le fit Çakra, roi des dieux. Si par l’insanité du roi (le peuple) est pillé par les dasyous 10,

361-365. Ce roi, qui n’est pas le défenseur de ses sujets, est appelé kali (très mauvais dans son espèce). Si, ayant le cœur égoïste, nous ne donnons pas aux brahmanes des chevaux, des vaches, des captives, des éléphants bien ornés, des villages et des villageois, des champs et des maisons, nous que voici, ô maître des hommes, nous serons des kalis parmi les rois. Ceux qui ne font pas de libéralités et qui ne sont pas le soutien (de leurs sujets), sont souillés des péchés (spéciaux) des princes. Ils essuieront des peines et ne jouiront d’aucun bonheur. Si tu t’exiles dans les bois sans avoir offert le svadha aux pitris, sans t’être baigné dans les tîrthas, tu te dissoudras comme un nuage isolé, poussé par le vent ;

366-368. Tu seras déchu des deux mondes et (tu resteras) fixé dans leur intervalle. C’est en renonçant aux choses internes ou externes, quelles qu’elles soient, capables d’attacher l’esprit, qu’on pratique le renoncement, et non en abandonnant (sa maison). Il faut au contraire s’y tenir. Ô grand roi, le brahmane qui suit cette voie sans empêchement, n’est pas exposé à déchoir.

369. Après avoir, grâce à sa vigueur, tué de nombreux ennemis, comme Çakra le fit pour l’armée des daityas, quel est celui qui pourrait se lamenter, ô fils de Prithâ, s’il aime les devoirs de sa (caste), qui ont été pratiqués par les anciens (avant lui) et qui ont été goûtés par les plus grands princes ?

370. Après avoir, par ton héroïsme, conquis la terre selon la loi des kshatriyas, (quand tu auras) fait des présents aux (brahmanes) qui connaissent les mantras, ô Indra des hommes, tu atteindras la surface de la voûte céleste. Ce n’est pas l’heure, ô fils de Prithâ, de t’abandonner au chagrin.




CHAPITRE XIII


DISCOURS DE SAHADEVA


Argument : Sahadeva engage son frère à ne pas être égoïste, et à renoncer à son projet de retraite, car l’âme est immortelle, et on ne lui cause pas de dommage en détruisant le corps.


371. Sahadeva dit : La perfection, (et par suite le salut), ne consiste pas seulement à renoncer aux choses (situées) à l’extérieur (de notre corps). On y arrive, ou l'on n’y arrive pas, (selon les cas), en renonçant aux objets des sens.

372, 373. Que ce qui serait le devoir, ou ce qui serait le bonheur, pour celui qui renonce aux objets (situés) à l’extérieur (de son corps), mais qui reste vivement attaché aux objets des sens, soit le devoir et le bonheur de nos ennemis. Que ce qui serait le devoir ou le plaisir, pour celui qui gouverne la terre après avoir renoncé aux objets des sens, le soit aussi pour nos amis et pour nous.

374. Or, un mot de deux syllabes est la mort, un mot de trois syllabes est l’éternel Brahma. Dire : « mama (pour moi) », (c’est la formule de l’égoïsme), et c’est la mort ; dire : « na mama (non pour moi) » (c’est la formule de l’abnégation), et c’est l’éternité heureuse.

375. Par suite, ô roi, Brahma et la mort sont entrés en nous-même, et ont établi une lutte invisible au sein des créatures.

376. Ô Bharatide, s’il est certain que cet être, (l’âme), est indestructible, on ne lui cause aucun dommage quand on détruit le corps des créatures.

377. Mais si le fait de naître implique celui de mourir, quand le corps est détruit, (l'âme) l'est aussi, et la suite des œuvres est vaine.

378. C’est pourquoi la voie qui a été suivie par les gens de bien anciens, et très anciens, doit être (suivie) par l’homme intelligent, en abandonnant (l’idée) d’un but unique, (recherché exclusivement par les ascètes).

379. Le roi qui, après s’être emparé de la terre entière, avec ce qui est mobile et ce qui est immobile, n’en jouit pas, mène vraiment une vie infructueuse.

380. Ô roi, celui qui, habitant les bois et vivant de la vie forestière, conserve de l’égoïsme (et de l’affection) pour les objets des sens, est dans la bouche de la mort.

381. Apprends à connaître la nature interne et externe des créatures ; ceux qui possèdent une telle connaissance, sont exempts du grand danger (de ne pas obtenir la délivrance dans l’autre vie).

382. Tu es mon père, tu es mon frère, tu es mon protecteur, tu es mon gourou. Le chagrin a ouvert la bouche d’un affligé. Pardonne-moi.

383. Ô protecteur de la terre, que ce que j’ai dit soit vrai ou faux, sache que je l’ai dit par affection, ô le plus excellent des Bharatides.




CHAPITRE XIV


DISCOURS DE DRAUPADÎ


Argument : Draupadî représente au roi qu’il fait tort à ses frères en voulant quitter la royauté, et l’engage à n’en rien faire.


384. Vaiçampâyana dit : Comme le fils de Kountî, Dharmarâja Youdhishthira, ne répondait pas aux différentes paroles védiques, que ses frères lui exposaient,

385, 386. Ô Indra des rois, l’illustre Draupadî aux grands yeux, la plus belle des femmes, issue de noble race, parla au taureau des rois, qui était assis, entouré de ses frères pareils à des lions et à des tigres, comme un (éléphant) roi d’un troupeau est (entouré) des (autres) éléphants.

387. Toujours fière, surtout (en ce qui concernait) Youdhishthira, toujours tendrement aimée par le roi, connaissant le devoir, le voyant (où il était),

388. Cette femme aux larges hanches, que ses douces paroles rendaient extrêmement aimable, après avoir jeté les yeux sur son époux et l’avoir salué, lui adressa ces paroles :

389. Draupadî dit : Ô fils de Prithâ, tes frères que voici, se dessèchent comme des châtakas (sorte de coucou), en te sermonnant à haute voix, et tu ne les approuves pas !

390. Ô grand roi, réjouis, par une bonne parole, ces (hommes) semblables à de grands éléphants affolés, et qui ont toujours eu le malheur en partage.

391. Ô roi, comment, après avoir jadis dit, dans le bois de Dvaita, à ces frères réunis, souffrant du froid, du vent et de l’ardeur du soleil :

392, 393. « Quand, désireux de remporter la victoire dans les combats, nous aurons tué à la guerre Douryodhana, quand nous aurons privé les rois de leurs chars, quand nous aurons détruit les puissants éléphants, quand, ô dompteurs des ennemis, nous aurons jonché le sol de chars et de cavaliers, nous jouirons de la terre qui est remplie de tous les plaisirs,

394. Les souffrances que vous avez éprouvées en habitant les bois, se transformeront en joies, (surtout si), après avoir conquis des offrandes, vous offrez des sacrifices nombreux de diverses sortes. ».

395. Comment, ô le plus vertueux des hommes, après leur avoir tenu ces discours, (viens-tu) maintenant abattre nos courages, ô héros ?

396. Un eunuque ne possède pas la terre. Un eunuque s’acquiert pas de richesses. Un eunuque n’a pas de fils, pas plus que la boue ne sert d’asile aux poissons.

397. Le kshatriya qui n’exerce pas la justice est sans éclat. Celui qui n’exerce pas la justice ne possède pas la terre. Les sujets d’un roi qui n’exerce pas la justice, ne trouvent pas le bonheur, ô Bharatide.

398. L’affection pour tous les êtres, la libéralité, la récitation des védas, l’ascétisme, sont les devoirs particuliers du brahmane et non des rois, ô le plus excellent des rois.

399. Réprimer les (entreprises des) méchants, protéger les gens de bien, ne pas fuir dans les combats, voilà le devoir suprême des rois.

400. Le roi qui connaît ses devoirs, a-t-on dit, est celui chez lequel on trouve la patience et la colère, la crainte et l’intrépidité, qui donne ou prend, qui châtie ou favorise (selon les cas).

401. Tu n’as conquis cette terre, ni en t’instruisant dans la science sacrée, ni par des dons, ni par de douces paroles, ni par un sacrifice (aux dieux), ni en t’abandonnantà la crainte, ni par des coercitions (ascétiques).

402. Et, ô héros, telle qu’elle était composée, l’armée des ennemis, qui ne pouvait pas être plus terrible, (bien) fournie d’éléphants, de chevaux et de chars, dans laquelle on trouvait les trois éléments (de la force : la force provenant du chef, la force provenant des conseils et celle provenant du courage des hommes), (Roy),

403. Protégée par Drona, Karna Açvatthâman et Kripa, a été détruite par toi. Jouis donc de la terre, ô héros.

404. Le Jamboûdvîpa (la région de Jamboû), comprenant différents districts, ô grand roi, a été (jadis), ô tigre des hommes, soumise à ton sceptre, ô roi.

405. Le Krauñcadvipa (la région de Kraunca), semblable à Jamboûdvipa, situé à l’ouest du grand (mont] Merou, a été soumis à ton sceptre.

406. Le Çâkadvipa (la région de Càka), semblable à Krauflcadvîpa, à l’est du grand Merou, a été soumis à ton sceptre, ô maître suprême des hommes.

407. Ô tigre des hommes, le Bhadràçva, au nord du grand Merou, égal (en importance), a été soumis à ton sceptre.

408. Les dvîpas (régions insulaires), avec les îles intermédiaires, comprenant diverses contrées, ont été soumises à ton sceptre, après que tu as eu pénétré dans l'océan, ô héros.

409. Ô Bharatide, après avoir accompli ces exploits qui passent toute mesure, et après avoir été glorifié par les brahmanes, ô grand roi, tu n’es pas satisfait !

410. Ô Bharatide, témoigne ta satisfaction, à la vue de ces frères semblables à des taureaux en rut, à de puissants éléphants chefs de troupeaux,

411. Tous, vous êtes comparables à des immortels, (tous, vous êtes) les fléaux de vos ennemis, (tous vous êtes) victorieux de vos adversaires ; un seul d’entre vous ferait mon bonheur. Voilà quelle est ma pensée.

412. À plus forte raison, ô tigre des hommes, puisque (tous) ces taureaux des hommes sont mes époux et, qu’à eux cinq, ils sont comme les sens (qui président) aux mouvements de mon corps !

413. Ma belle-mère, qui connaissait le devoir et qui voyait tout, ne m’a pas dit une chose fausse : « Ô Pâñcâlienne, (m’a-t-elle dit), Youdhishthira te donnera un bonheur suprême. »

414. Après que tu as tué plusieurs milliers de rois, ô (toi) dont l’héroïsme est rapide, je vois que l’égarement de ton esprit va rendre vain (ce que tu as fait), ô maître suprême des hommes.

415. Ceux dont le frère aîné est fou, imitent (sa folie). Ô grand roi, par suite de l’égarement de ton esprit, tous les fils de Pândou ont l’esprit égaré.

416. Certes, si tes frères n’étaient pas insensés, ô roi, ils t’enchaîneraient avec les impies, et ils gouverneraient la terre.

417, 418. Le fou qui agit comme (toi), ne parvient pas à faire son salut. Il faut traiter avec des parfums, des collyres et des sternutatoires, celui qui suit une mauvaise voie.

Moi que voici, je suis, en ce monde, la plus vile des femmes,

419. Puisque, même privée de mes fils, je désire vivre, ô excellent Bharatide. Que les paroles de ces (héros), qui s’efforcent (de te convaincre), ne soient pas vaines, non plus que (celles que) je (t’adresse) maintenant.

420, 421. En abandonnant la terre entière, tu es l’artisan de ton malheur. Ô roi, tu resplendis comme Mândhâtar et Ambarisha, qui sont considérés comme les deux plus excellents rois (qui aient paru) dans le monde. En protégeant tes sujets selon la loi, gouverne la divine terre,

422, 423. Avec ses montagnes, ses bois et ses îles. Ne t’abandonne pas à la folie. Offre des sacrifices de différentes sortes, combats les ennemis et donne aux brahmanes des richesses, des aliments et des vêtements, ô le plus grand des rois.




CHAPITRE XV


DISCOURS D’ARJOUNA


Argument : Le principal devoir d’un roi étant de tenir avec équité la verge du châtiment, Youdhishthira ne doit pas renoncer à la royauté, car il manquerait à ce devoir.


424. Vaiçampâyana dit : Après avoir entendu le discours de la Yajnasenienne (Draupadî fille de Yajnasena), Arjouna, ayant salué son inébranlable frère aîné, aux bras puissants, lui dit encore :

425. Arjouna dit : La verge (du châtiment) commande : seule, la verge (du châtiment) protège tous les sujets. La verge (du châtiment) veille sur ceux qui dorment. Les sages ont reconnu que la verge (du châtiment) était le devoir (personnifié).

426. La verge (du châtiment) protège le dharma (devoir) et l’artha (intérêt), ô maître suprême des hommes. La verge (du châtiment) est appelée le trivarga.

427. Le blé est protégé par la verge (du châtiment) ; la richesse est protégée par la verge (du châtiment) ; sachant qu’il en est ainsi, tiens-la à la main et rends-toi compte de la manière d’être du monde.

428. La crainte du bâton du roi empêche quelques méchants de commettre le mal ; quelques autres (sont arrétés par la crainte du bâton d’Yama, ou par (la crainte) de l’autre monde.

429. Il y a des pécheurs qui s’abstiennent du péché par crainte des autres (hommes). Le monde étant ainsi fait, tout repose sur le bâton.

480. La crainte seule du châtiment empêche certaines (gens) de s’entredévorer. Si le châtiment ne protégeait pas la société, (les hommes) se plongeraient dans les ténèbres de l’enfer.

431. Les sages ont reconnu que le bâton possédait la propriété de dompter et de châtier, parce qu’il dompte les indomptés et châtie les pervers.

432. La parole est le bâton des brahmanes ; l’énergie de leurs bras, celui des kshatriyas ; la libéralité celui des vaicyas. Les coudras n’ont pas de bâton.

433. Ô maître des hommes, on a établi dans le monde, sous le nom de verge (du châtiment), des lois destinées à prévenir l’égarement d’esprit des mortels et à protéger les intérêts.

434. Là où la verge du châtiment) agit (convenablement), (si celui qui la tient) a (l’esprit) sombre (et inflexible), les yeux rouges (de colère), s’il voit bien (lui même ce qu’il y a à faire), les sujets n’ont pas l’esprit égaré.

435. Seule, la crainte du châtiment retient fermes dans la voie (de leurs devoirs) : Le brahmacârin le maître de maison, l’ascète habitant les bois et le (brahmane) mendiant.

436. Ô roi, l’homme qui ne craint rien, n’offre pas de sacrifices ; celui qui ne craint rien, ne fais pas de libéralités. Personne, sans craindre (le châtiment), ne tiendrait ses engagements.

437. On ne saurait obtenir une grande prospérité, sans avoir détruit les parties vitales des ennemis, sans avoir accompli des actions difficiles, sans avoir tué, comme le pêcheur (tue les poissons qui lui servent d’aliment).

438. Ici-bas, (le roi) qui ne frappe pas, n’obtient ni renommée, ni moyens de subsistance, ni sujets. Ce n’est que par le meurtre de Vritra, qu’Indra est devenu Mahendra (le grand Indra).

439. Les dieux même ont tué, et (cependant) le monde leur rend de grands honneurs. Roudra fut un meurtrier, ainsi que Skanda, Çakra, Agni, Yarouna, Yama ;

440. Kâla (le temps (fut un meurtrier, ainsi que Mrityou (la mort), Vâyou (le vent), le fils de Viçravana (Kouvera), le Soleil, Vâsava, les Marouts, les Viçvedevas, ô Bharatide.

441. Les hommes s’inclinent devant la majesté de ces dieux, et leur rendent des hommages qu’ils refusent à Brahma, à Poushan et au créateur.

442. Quelques hommes (seulement), dont toutes les œuvres sont vantées, offrent des sacrifices (aux dieux qui se sont montrés) indifférents à l’égard de tous les êtres, et qui, ayant dompté leurs sens, ont fait de l’apaisement leur but principal.

443. Je ne vois pas, en vérité, dans le monde, de créature qui vive sans causer de dommage ; les êtres se nourrissent des êtres, les plus forts (mangent) les plus faibles.

444. L’ichneumon mange la souris, le chat mange l’ichneumon, le chien mange le chat, ô roi, et les bêtes de proie mangent le chien.

445. L’homme les mange tous. Vois quelle est la marche du temps ! Tout ce qui est mobile et immobile sert d’aliment à la vie ;

446. C’est une régie établie par le destin, et l’homme intelligent ne s’en étonne pas. O Indra des rois, sois tel que tu as été créé.

447. Des insensés, renonçant à la colère et à la joie, se retirent dans les bois. Sans le meurtre (des créatures), les ascètes (eux-mêmes) ne sauraient entretenir leur vie.

448. Il y a de nombreuses créatures dans l’eau, dans la terre et dans les fruits, et (cependant), nul ne (se prive) de les détruire. Quoi de plus (impérieux), que d’entretenir son existence ?

449. Il y a certains êtres si petits, qu’on ne peut que conjecturer (leur existence), et dont la seule chute des paupières cause la perte par milliers.

450. Dans les bois, des mounis, renonçant à la colère et à la joie, se voient si perplexes, (qu’ils continuent) à y suivre les règles de maître de maison.

451. Des hommes ayant creusé la terre, ayant coupé les plantes, les arbres, etc., font des sacrifices d’oiseaux et de bestiaux et gagnent le Svarga.

452. Il n’y a aucun doute pour moi que les efforts de tous les êtres n’atteignent leur but, quand la politique du bâton est (bien) appliquée, ô fils de Kountî.

453. Si la verge (du châtiment) n’existait pas en ce monde, les peuples périraient, de même que, dans les eaux, les petits poissons sont mangés par les gros.

454. Cette vérité a jadis été proclamée par Brahma (qui a dit) : « Le bâton bien conduit protège les créatures. » Vois ! Quand les feux s’éteignent, (il suffit) de les menacer (du soufflet), pour que la crainte du châtiment (les fasse) se rallumer d’effroi.

455. Si, dans le monde, il n’y avait pas le bâton pour séparer le bien du mal, on serait comme dans une obscurité profonde, on ne distinguerait rien.

456. Les incrédules eux-mêmes, qui secouent (le joug) des lois et méprisent les védas, deviennent capables (d’accomplir de bonnes actions), dont ils jouiront (plus tard), quand ils sont corrigés de bonne heure.

457. Chacun, en ce monde, est soumis par le bâton, car l’homme pur (parfait) se rencontre difficilement. Effrayé du danger d’être corrigé, (chacun) devient (propre à accomplir de bonnes actions), dont il peut profiter.

458. Le bâton a été établi par l’ordonnateur du monde, pour protéger le devoir et l’intérêt, (maintenir) la séparation des quatre castes et pour leur imprimer une bonne direction.

459. S’ils ne redoutaient le bâton, les (oiseaux de proie) et les animaux féroces dévoreraient les bestiaux et les hommes, les objets du sacrifice et les offrandes.

460. N’était la protection du bâton, on n’étudierait pas la science sacrée, on ne pourrait pas traire une belle vache, une jeune fille ne trouverait pas de mari.

461. Si le bâton ne protégeait pas (la société), la confusion régnerait, toutes les lois seraient violées, on n’aurait pas l’exacte notion du mien (et du tien) .

462. Les (hommes), exempts de toute crainte (des dieux), n’offriraient pas les sacrifices annuels aux dakshinâs régulières, si le bâton ne protégeait pas (l’exercice des pieux devoirs).

463. Ceux qui sont astreints à une règle, ne rempliraient pas les devoirs que leur genre de vie comporte, on ne saurait acquérir aucune science, sans la protection du bâton.

464. Les chameaux, les taureaux, les chevaux, les mulets et les ânes, ne se laisseraient pas atteler pour conduire des voitures, si le bâton ne protégeait pas (les intentions de leurs maîtres).

465. Ni les serviteurs, ni les enfants n’exécuteraient les ordres (qui leur sont donnés), la femme qui a un époux ne se tiendrait pas dans son devoir, si le bâton ne protégeait pas (la famille).

466. Les sages ont reconnu que tout (repose) sur le bâton. Toutes les créatures sont conduites par le bâton. Pour les hommes, le Svarga, ainsi que ce monde, dépendent du bâton.

467. Là où le bâton bien conduit s’emploie à détruire l’ennemi (du bien), on ne voit ni une chose fausse, ni un péché, ni une tromperie.

468. Si le bâton n’était pas levé, le chien qui voit une libation, la lécherait. Le corbeau enlèverait le gâteau du sacrifice, si le bâton ne protégeait pas celui-ci.

469. Que cette royauté t’ait été attribuée justement ou injustement, il ne faut pas t’en inquiéter. Jouis des plaisirs (qu’elle procure) et offre des sacrifices 11.

470. Couverts de beaux vêtements, mangeant une nourriture excellente, partageant leur demeure avec des épouses, les riches pratiquent le devoir allié au plaisir.

471. Toutes les entreprises sont certainement fondées sur l’intérêt, et l’intérêt dépend du bâton. Vois comme le bâton est respectable !

472. Ici-bas, les prescriptions du devoir ne sont faites qu’en vue de régler la marche du monde. La meilleure définition (qu’on puisse donner) du devoir, c’est que, ne nuire qu’en vue du bien, ce n’est pas nuire.

473. Il n’y a rien d’entièrement honnête ni d’entièrement déshonnête. On rencontre en toutes choses ces deux (principes), le bien et le mal.

474. Après avoir coupé les testicules des bestiaux, ou leur avoir brisé la tête, beaucoup leur font porter des fardeaux, les lient ou les domptent.

475. Le monde étant ainsi, désordonné, faux et vermoulu, ô grand roi, accomplis le devoir ancien, avec l’enchaînement des pratiques qu’il comporte.

476. Sacrifie, donne, gouverne tes sujets, pratique ton devoir, triomphe de tes ennemis, ô fils de Kountî, et protège tes amis.

477. N’éprouve aucun chagrin, ô prince, à tuer tes ennemis. Il n’y a pas de péché à agir ainsi, ô Bharatide.

478. Celui qui, l’arc bandé, tue un (ennemi) qui arrivait sur lui l’arc bandé, n’est pas, pour cela (coupable) du meurtre d’un embryon, car la colère (qui animait son adversaire) a causé (sa propre) colère.

479. Il n’est pas douteux que l’âme qui réside au dedans de tous les êtres, ne saurait être détruite. Comment pourrait-on tuer (l’âme) qui est immortelle ?

480. De même qu’un homme entre successivement dans de nouvelles demeures, de même, la vie (sous la forme de l’âme), entre dans les différents corps.

481. L’âme entre dans de nouveaux corps, en abandonnant les anciens. C’est, pour ceux qui connaissent le vrai, ce qu’on appelle : « mourir ».




CHAPITRE XVI


DISCOURS DE BHÎMASENA


Argument : Bhîmasena expose à son frère aîné, qu’après avoir vaincu les ennemis, il doit lutter contre son propre esprit.


482. Vaiçampâyana dit : L’énergique et très impatient Bhîmasena, ayant entendu les paroles d’Arjouna, faisant appel à sa fermeté, dit à son frère aîné :

483. Ô roi, tu connais les devoirs, rien ne t’est caché ; nous nous efforçons constamment (d’imiter) ta conduite et nous ne pouvons pas (y réussir).

484. « Je ne parlerai pas ! Je ne parlerai pas ! » Telle était ma résolution. Mais l’excès de la douleur me (force) à prendre la parole. Écoute, ô roi, (ce que je vais dire) .

485. Ton égarement d’esprit remet tout en doute, nous enlève nos forces et nous plonge dans l’incertitude.

486. Tu es le roi du monde, tu connais tous les préceptes, et (cependant) la faiblesse trouble ton esprit, comme si tu étais un poltron !

487. Les voies du monde et ses sentiers dangereux te sont connus. Ni dans le présent, ni dans l’avenir, il n’y a rien, ô puissant, qui te soit caché.

488. Les choses étant ainsi, ô grand roi, je vais exposer les motifs (qui plaident) pour (que tu conserves) la royauté, ô maître suprême des hommes. Écoute attentivement.

489. La maladie a une double origine. Elle provient du corps et de l’esprit. Elle apparaît simultanément dans celui-ci et dans celui-là, et forme (pour ainsi dire) un couple.

490. Il n’est pas douteux que la maladie de l’esprit ne provienne (de celle) du corps. Il est (également) certain que la maladie de l’esprit engendre celle du corps.

491. Celui qui se lamente sur une peine corporelle ou mentale passée, tire une (nouvelle) douleur de la douleur (ancienne) et éprouve deux maux (successifs).

492. Le froid, le chaud, le vent, sont les trois qualités innées du corps. L’égalité de ces qualités constitue ce qu’on appelle le signe de l’état naturel (ou de santé).

493. Si l’une ou l’autre de ces qualités devient prédominante, une prescription (du médecin) indique (le remède). Le froid est vaincu par le chaud, et le chaud est vaincu par le froid.

494. Les qualités : Sattva (bonté), rajas (passion) et tamas (obscurité), sont les trois qualités innées de l’esprit. Leur équilibre est ce qu’on appelle l’indice de l’état naturel (ou de la santé intellectuelle).

495. Si l’une ou l’autre d’entre elles devient excessive, des règles sont indiquées (pour y porter remède). Le chagrin est expulsé par la joie, et la joie est chassée par le chagrin.

496. Celui qui jouit du bonheur, aime à se rappeler la peine (passée) ; celui qui est dans la peine, aime à se remémorer le bonheur (passé).

497. Quant à toi, tu n’es pas malheureux à cause de ton bonheur, ni heureux à cause de ton malheur (passés). On n’est pas malheureux, parce qu’on a été heureux, ni heureux parce qu’on a été malheureux.

498. Ô kourouido, rappelle-toi que le destin est plus fort (que toi), ou que c’est toi qui es la cause de ta propre souffrance, ô prince.

499. Après avoir vu l’heureuse Krishnâ couverte d’un seul vêtement au moment critique de son mois, tu ne dois (donc) pas te souvenir de cet (affront que nous ont fait) les ennemis des fils de Pândou !

500. Tu ne dois (donc) pas te souvenir que nous avons été bannis de la ville, (que nous avons dû) nous vêtir de peaux et habiter dans les bois !

501. Comment as-tu oublié les tourments que Jatâsoura nous a fait subir, le combat avec Citrasena et les injures que nous avons éprouvées de la part du roi du Sindhou ?

502. Comment as-tu oublié le coup porté à la princesse Draupadî par Kîcaka, lorsque nous errions inconnus ?

503. Ô dompteur des ennemis, il faut lutter contre ton esprit seul, comme tu as combattu contre Drona et Bhîshma.

504. Il faut te livrer à toi-même un combat, dans lequel on ne fait pas usage de flèches, où l’on n’a pas d’amis, où l’on n’emploie pas ses parents.

505. Si tu perds la vie sans avoir remporté la victoire dans cette lutte, en prenant un autre corps, il te faudra combattre (de nouveau) contre les mêmes (adversaires).

506. Il faut aujourd’hui marcher et combattre un ennemi (nouveau), et quitter celui qui était visible pour celui qui est invisible. Lutte, ô excellent Bharatide, (contre cet ennemi qui est ton propre cœur).

507. Si tu ne triomphes pas dans ce combat, quel sera ton destin ? Si tu es victorieux, tu auras fait ce qu’il convenait de faire .

508. Après avoir réfléchi à cette idée (et) aux voies bonnes et mauvaises des êtres, exerce la royauté d’après la tradition de tes ancêtres.

509. Grâce au ciel, le méchant Douryodhana a été tué dans la bataille, avec ses compagnons. Grâce au ciel, tu as suivi une voie telle que Draupadî (peut se remettre) à lier ses cheveux 12.

510. Offre un vâjimedha, dans lequel les dakshinâs seront conformes aux prescriptions (du rituel). Ô fils de Kountî, le glorieux Vasoudevide et nous, nous sommes tes serviteurs.




CHAPITRE XVII


DISCOURS DE YOUDHISHTHIRA


Argument : Le roi insiste sur la vanité des choses de ce monde, et sur l’excellence du renoncement ascétique.


511, 512. Youdhishthira dit : L’absence de satisfaction intime, la distraction, la colère, l'ivresse, l’inquiétude, la violence, l’égarement d’esprit, l’orgueil, l’effroi, sont des liens qui t’enchaînent de toutes parts, et tu convoites la royauté ! Délivre-toi (de ces entraves), abandonne les désirs coupables et sois heureux.

513. Le roi qui commanderait à la terre entière, n’aurait cependant qu’un seul ventre. Pourquoi glorifies-tu cet état ?

514. Ô taureau des Bharatides, des désirs insatiables ne sauraient être rassasiés, ni en un jour, ni en des mois, ni dans (tout) le cours de la vie.

515. De même qu’un feu allumé, (après avoir) flambé, s’éteint faute d’aliment, apaise, en ne lui donnant que peu de nourriture, le feu qui s’est allumé en toi.

516. L’insensé prépare à son ventre des aliments abondants. Triomphe de ton ventre. Si tu arrives à le vaincre, cela vaudra mieux pour toi que d’avoir conquis le monde 13.

517. Tu vantes les jouissances humaines et la souveraineté. Ceux qui se privent de jouissances et de pouvoir, vont (habiter) un séjour auquel rien n’est supérieur,

518. La possession et la conservation du royaume, le devoir et le vice dépendent de toi. Décharge-toi d’un grand fardeau et applique-toi au seul renoncement.

519. En vue de son ventre, le tigre consomme beaucoup d’aliments. D’autres animaux, faibles et cupides, vivent près de lui (des restes de sa proie).

520. Si, après avoir conquis des provinces, les rois pratiquent le renoncement, et ne s’en contentent pas, vois quelle est la faiblesse de leur intelligence !

521. L’enfer est vaincu par ceux qui ramassent des feuilles (pour s’en nourrir), par ceux qui broient leur blé entre des pierres, par ceux qui mangent leur grain non moulu, par ceux qui se nourrissent d’eau et de vent.

522. (Fais la comparaison entre) le roi qui gouverne la terre entière, et (l’homme) qui considère la pierre et l’or comme d’égale valeur ! Ce dernier atteint son but, et le prince ne (l’atteint pas).

523. Ne forme aucun désir, sois indifférent (à tout), renonce aux espérances (mondaines), en recherchant, en ce monde et dans l’autre, une place immuable et dont le chagrin soit banni.

524. Ceux qui ne désirent pas les objets des sens, n’ont pas à en gémir. Pourquoi te lamentes-tu (à propos de) la chair ? Quand tu auras renoncé à tout ce qui est charnel, tu seras délivré de toute parole fausse.

525. Deux chemins sont célèbres ici-bas : le pitriyâna (chemin des pitris), et le devayâna (chemin des dieux). Ceux qui offrent des sacrifices (suivent le chemin) des pitris ; ceux qui renoncent aux pratiques (et tendent vers la délivrance finale, suivent) celui des dieux.

526. Par l’ascétisme, l’état de brahmacârin, la récitation des védas, les maharshis, après avoir abandonné leur corps (en mourant), atteignent (un refuge) qui n’est pas du domaine de la mort.

527. La chair est le lien (qui nous attache) à ce monde, la chair est, ici bas, ce qu’on appelle : « l’œuvre. » Délivré de ces deux maux (la chair et l’œuvre), on atteint le but suprême.

528. On cite aussi, à ce sujet, un hymne chanté jadis par Janaka, qui était délivré (de ses attachements charnels), indifférent aux couples de passions opposées, et qui aspirait à la délivrance finale.

529. « Hélas, (disait-il), je n’ai rien du tout, (et cependant) ma richesse est infinie. (La ville de) Mithila peut brûler, sans que je perde rien de ce qui m’est propre.

530. Pareil (à un homme) qui apparaît sur une montagne, celui qui est monté au temple de la sagesse, voit les habitants de ce monde gémir sur des objets indignes de compassion. Mais celui dont l’intelligence est faible ne (voit) pas (cela).

531. Celui qui voit ce qui doit être vu, (prouve), en le voyant, qu’il est clairvoyant et sage. (Ce qu’on appelle) bouddhi (intelligence, sagesse), se manifeste par la connaissance intime et l’interprétation des choses inconnues (aux autres hommes).

532. Celui qui peut entendre les paroles des gens à l’esprit éclairé, savants, et parvenus à l’union avec Brahma, acquiert beaucoup d’honneur.

533. Quand on comprend que l’essence personnelle de chaque être n’a qu’un seul centre, et qu’elle est une répartition (de l'être unique), en chaque créature, on parvient à l’état de Brahma (l’âme universelle).

534. Les hommes (qui connaissent ces choses) atteignent ce (suprême) refuge, et non pas ceux qui sont dépourvus de bouddhi et de tapas (ascétisme). Tout repose sur la bouddhi. »




CHAPITRE XVIII


DISCOURS D’ARJOUNA


Argument : Arjouna fait connaître au roi les reproches adressés à Janaka par sa femme.


535. Vaiçampâyana dit : Tourmenté par le chagrin et la douleur, blessé par les paroles de Youdhishthira (comme) par des flèches, Arjouna parla encore au roi devenu silencieux.

536. Arjouna dit : Une légende antique, ô Bharatide, rapporte une conversation du roi de Videha avec son épouse,

537. (Relative) à ce que la première femme de ce prince dit, dans sa douleur, à ce maitre des hommes, qui avait pris la résolution d’abandonner la royauté pour la condition de mendiant.

538. Laissant là ses richesses, ses enfants, ses épouses, ses joyaux divers, le genre de vie (qu’il suivait), le feu (des sacrifices), Janaka avait résolu de se faire raser la tête.

539. Sa chère épouse le vit dans l’état de mendiant, ne possédant (plus) rien, indifférent (aux choses de ce monde), ayant chassé l’envie, s’approcher (des personnes hospitalières pour recevoir) une poignée de grain.

540. Étant allée vers lui en secret, cette intelligente épouse, irritée, adressa, sans crainte, à son mari, des paroles appuyées d’arguments.

541. « Pourquoi avoir abandonné ta royauté (qui regorgeait) de richesse et de grains ? (Pourquoi) avoir adopté l’état d’ascète mendiant ? Une poignée de grain n’est pas ce qu’il y a de mieux pour toi, (lui dit-elle).

542. Ô prince, tes résolutions et tes actes ne sont pas d’accord, puisque, après avoir abandonné un grand royaume, tu ambitionnes une infime (aumône) !

543. Ô roi, ni les hôtes, ni les dieux, ni les pitris, ni les rishis, ne peuvent plus maintenant être satisfaits par toi. Cette fatigue que tu t’imposes, est inutile.

544. Abandonné de tous, hôtes, dieux, rishis, pitris, tu rôdes de côté et d’autre, en n’accomplissant aucune œuvre !

545. Après avoir été le maître du monde, et avoir entretenu des milliers de brahmanes vieillis (dans l’étude) des trois védas, voici que tu leur demandes ta subsistance !

546. Maintenant que tu as délaissé une prospérité brillante, on te regarde comme un chien ! Tu as privé ta mère de son fils, et (moi), la Kouçalienne, de son époux !

547. Et ces kshatriyas, désireux d’accomplir leur devoir, (qui) t’entouraient, mettant en toi leur espoir dans leurs misères et attendant des récompenses !

548. Vers quels mondes te dirigeras-tu, ô roi, toi qui les prives du fruit (de leurs légitimes espérances) Car la délivrance finale est douteuse, et les êtres vivants doivent poursuivre un autre (but).

549. Ni le monde supérieur, ni l’autre, ne seront ton partage, (si) tes œuvres sont mauvaises, et (si) tu vis en abandonnant tes devoirs et ton épouse.

550. Pourquoi erres-tu, inoccupé, après avoir délaissé les guirlandes, les parfums, les divers ornements et les vêtements (de ton rang) ?

551. Après avoir été un grand étang où tous les êtres se purifiaient, après avoir été un grand arbre, utile (par l’ombre qu’il donnait) à tous, tu t’adresses (maintenant) aux autres (pour obtenir d’eux ce dont tu as besoin) !

552. Un éléphant même, (quand il est devenu) inutile (aux autres et à lui-même), est saisi par un grand nombre d’animaux carnassiers, (qui le déchirent) de leurs griffes. Il devient aussi la proie d’une multitude d’insectes. Qu’adviendra-t-il donc de toi ?

553. Pourquoi songerais-tu (à imiter) celui qui troublerait (le repos) de cette cruche (en s’en munissant), qui prendrait le triple bâton (d’ascète mendiant), qui se dépouillerais du vêtement qui lui est propre ?

554. Mais, puisque, pour toi, cette poignée de grain a la même valeur que toutes (les richesses), pourquoi te décides-tu en sa faveur, en abandonnant tout (le reste) ?

555. Si cette poignée de grain est le but (de ton ambition), tes résolutions sont vaines. Que suis-je pour toi ? Qu’es-tu pour moi ? Quelles sont tes faveurs à mon égard ?

556. Ô roi, si tu veux que tes bienfaits se continuent, gouverne cette terre, (conserve) ton palais, ton lit, ton char, tes vêtements et tes ornements.

557. Pourquoi donc celui qui est heureux, abandonnerait-il tous ses biens ? (Le renoncement ne convient qu’à) ceux que la prospérité délaisse, qui sont dépourvus de richesses, qui n’ont rien et qui se séparent de leurs amis 14.

558. Vois la différence entre deux (hommes), dont (l’un) reçoit toujours et dont l’autre donne toujours ! Lequel est réputé le meilleur des deux ?

559. L’offrande accordée à ces deux hommes, dont l’un demande toujours et dont l’autre est un hypocrite, est comme une libation mal faite (qui serait versée) sur l’incendie d’une forêt.

560. Ô roi, de même que le feu ne s’éteint pas avant d’avoir consumé (tout ce qu’il touche), de même un brahmane mendiant continue indéfiniment (à mendier).

561. Ô roi, la principale préoccupation d’un (prince), est certainement de pourvoir à la nourriture des gens de bien. S’il n’y avait pas de roi pour faire des libéralités, comment ceux qui poursuivent la délivrance finale (subsisteraient-ils ) ?

562. En ce monde, les maîtres de maison, et ensuite les mendiants qu’ils entretiennent, subsistent par la nourriture. La nourriture, c’est la vie. Celui qui donne la nourriture donne la vie.

563. Ceux qui ont abandonné l’état de maître de maison, vont (demander des secours) aux maîtres de maison eux-mêmes. Ayant trouvé (leur nourriture) et dompté leurs sens, ils deviennent puissants et renommés,

564. Ce n’est ni à l’abandon de ses biens, ni à la tête rasée, ni au fait de demander l’aumône, qu’on reconnaît le mendiant. Le vrai mendiant, sache-le, est celui qui a renoncé à l’intérêt (propre), mais non au plaisir 15

565. L’homme détaché (du monde, au fond du cœur), qui ne tient à rien, qui a brisé ses liens, qui agit de même avec ses ennemis et avec ses amis, mais qui se comporte (en apparence) comme s’il était attaché (aux choses de la terre), est (en réalité) détaché de ce monde.

566. Des hommes à la tête rasée, porteurs du vêtement brun rougeâtre, errent çà et là pour obtenir des aumônes, (quoique enchaînés) par des liens (terrestres) de diverses sortes, et songeant à un butin inutile. (Ce ne sont pas de véritables ascètes.)

567. Ceux qui, abandonnant leurs fils et les trois védas, prennent le triple bâton et le vêtement (de mendiant), pour errer de côté et d’autre, sont dépourvus de sagesse.

568. Chez l’homme qui n'a pas l’esprit purifié, le vêtement (de mendiant) est, dit-on, une affaire de concupiscence. Sache que (l’homme qui agit ainsi), a atteint son but, qui est celui des gens qui, avec la tête rasée, arborent l’étendard du devoir (sans en avoir les sentiments). Telle est ma pensée.

569. Ô grand roi, dompte tes sens et conquiers les mondes (supérieurs), en soutenant (de tes bienfaits) les gens vertueux, (qu’ils soient) porteurs de tresses (d’ascète), (qu’ils aient) la tête rasée, (qu’ils soient) nus ou porteurs de vêtements bruns, de peaux (d’animaux) ou de vêtements d’écorce.

570. Qui est plus attaché au devoir que celui qui, chaque jour, (donne) ce qu’il faut pour entretenir le feu des sacrifices, ce qu’il faut au gourou, et qui offre des sacrifices avec bestiaux et dakshinâs ? »

571. Arjouna dit : Le roi Janaka est réputé dans le monde comme ayant connu la vérité. (Mais) il fut lui même, en cela, atteint d’égarement d’esprit. Ne cède pas, (comme lui), à la folie.

572. Voilà comment le devoir a été suivi par les hommes très adonnés à la libéralité. — Doués de douceur et des (autres) qualités, exempts de passion et de colère.

573. Appliqués à protéger nos sujets, exerçant une libéralité extrême, respectueux des gourous et des vieillards, nous atteindrons les mondes désirés.

574. Faisant des offrandes régulières aux dieux, aux hôtes et à tous les êtres pieux et disant la vérité, nous arriverons au séjour (que nous) souhaitons (atteindre).




CHAPITRE XIX


DISCOURS D'YOUDHISHTHIRA


Argument : Youdhishthira reproche à son frère de dire qu’il n’y a rien au-dessus de la richesse, et lui démontre que le renoncement est préférable.


575. Youdhishthira dit : Ô mon ami, je connais les enseignements supérieurs et inférieurs. Le texte sacré recommande deux choses : d’accomplir des œuvres et de pratiquer le renoncement.

576. Les préceptes sont embrouillés, mais appuyés de raisons (qui les expliquent). Je connais le moyen de préciser le sens régulier des mantras.

577. Mais toi, tu ne connais que les armes ; doué des vertus des héros, tu es tout à fait incapable de percevoir la signification réelle des écritures sacrées.

578. Si tu as le devoir en vue, je n’aurais pas dû entendre les paroles (que tu m’as adressées, et qui n’auraient pas dû être prononcées), même (par un homme) connaissant peu le sens des préceptes (religieux), (mais) habile à préciser (ce qui est) le devoir.

579. Ce que tu m’as dit en qualité de frère et d’ami, a été convenablement exprimé, ô fils de Kountî, et j’en suis satisfait, ô Arjouna.

580. Nul, dans les trois mondes, n’est ton pareil pour tout ce qui concerne les devoirs du combat, ni pour la valeur requise dans l’accomplissement des exploits héroïques.

581. À cet égard, tu peux parler des devoirs les plus minutieux, et (il est) difficile de te contredire. (Mais), ô Dhanañjaya, tu ne dois pas suspecter ma sagesse.

582. Tu ne connais que les règles de la guerre et tu n’as pas pratiqué les vieillards. Tu n’es pas au fait des conclusions de ces (hommes), qui connaissent (les écritures) en détail et dans leur ensemble.

583. L’ascétisme, le renoncement, l’absence de rites, voilà à quoi les sages ont abouti. De ces trois (choses), chacune des deux dernières l’emporte sur la précédente, pour ceux dont la pensée tend au salut.

584. Ô fils de Prithâ, si tu penses que rien n’est au-dessus de la richesse, je vais te démontrer que là n’est pas ce qu’il y a de mieux.

585. On voit les gens vertueux adonnés aux austérités et à la récitation des védas. Les rishis, dont les mondes supérieurs sont le partage, pratiquent l’ascétisme.

586. Un grand nombre d’autres, n’ayant pas d’ennemis, fermes, habitant les bois, vont au ciel en récitant les védas dans les forêts.

587. Des gens honorables, renonçant aux ténèbres qu’engendre le manque de sagesse, réprimant les voluptés, ont pris le chemin (lumineux) du nord (qui conduit) aux mondes de ceux qui pratiquent le renoncement.

588. Ceux qui ont pris possession des cimetières, (au moment de la mort réitérée qu’on subit dans le cours de la transmigration, suivent) le brillant chemin du midi (conduisant à ces) mondes (qui sont le but) de ceux qui accomplissent des œuvres.

589. Mais le refuge que ceux qui pratiquent le moksha (renoncement) ont en vue, ne saurait être décrit. On considère comme le meilleur moyen (d’y arriver), le yoga (méditation religieuse), qu’il me serait difficile de te faire connaître.

590. En songeant aux préceptes, les sages éprouvent un ferme désir de connaître ce qui est essentiel et ce qui ne l’est pas. « (Peut-être) est-ce ceci, (peut-être) est-ce cela, » (disent-ils).

591. (Certains d’entre eux), après avoir parcouru les textes sacrés et les préceptes des Aranyakas, n’ont pas connu l’essence (des choses), parce qu’ils ont brisé l’étui (de bois de) kadali (sur lequel ils s’appuyaient).

592. Et, par dédain pour l’unité, ils ont dit que l’âme qui fait mouvoir le corps composé des cinq éléments, était douée de désirs et de haine.

593. Incapable d’être saisie par l’œil ou expliquée par la parole, en rapport avec la cause des actions, elle circule dans la (série) des êtres (par les naissances successives).

594. Quand on a établi (son esprit) dans la vertu, lutté contre la concupiscence et rejeté le développement de l’œuvre, ne dépendant plus de rien, (on trouve) le bonheur.

595. En présence d’une telle voie, suivie par les gens de bien, et par laquelle on peut atteindre la subtilité (de l’intelligence), comment, ô Arjouna, (oses-tu) vanter la richesse, si fertile en inconvénients !

596. Ô Bharatide, des hommes d’autrefois, connaissant les préceptes, continuellement attachés aux (bonnes) œuvres, à la libéralité, au sacrifice et à l’action, ont vu (les choses) ainsi.

597. Il y a des gens habiles à argumenter, très difficiles à ramener (au bien), surtout obstinés, quoique savants dans la smriti (tradition), dont l’esprit est égaré, et qui disent : « Il n’en est pas ainsi. »

598. Contempteurs de l’immortalité, bavards, ils parcourent la terre entière et parlent dans les assemblées des hommes, où ils sont très écoutés.

599. Ô fils de Prithâ, qui (connaitra) ce que nous ne connaissons pas ? Tu dois discerner ici-bas ceux qui sont sages, gens de bien, magnanimes, et qui connaissent les préceptes (sacrés).

600. Par les austérités, on obtient certainement Ce qui est grand. Par la sagesse, on trouve Ce qui est grand. Par le renoncement, celui qui connaît la vérité, atteint toujours le bonheur, ô fils de Kountî.




CHAPITRE XX


DISCOURS DE DEVASTHANA


Argument : Le sage mouni critique la théorie d’Arjouna, tout en étant d’avis que les richesses doivent être employées à offrir des sacrifices.


601. Vaiçampâyana dit : Quand Youdhishthira eut cessé de parler, le grand ascète Devasttiâna lui répondit ces paroles très prudentes.

602. Devasthâna dit : Je vais expliquer les paroles de Phâlgouna, quand il a dit : « Il n’y a rien de supérieur à la richesse. » Écoute attentivement :

603. Ô Ajâtaçatrou, la terre entière a été régulièrement conquise (par toi). Après l’avoir vaincue, tu ne dois pas l’abandonner sans motif.

604. L’échelle établie (par les védas) dans la vie pieuse a quatre échelons. Franchis-les régulièrement et par degrés.

605. Ô fils de Prithâ, offre donc de grands sacrifices, accompagnés d’abondantes dakshinâs. Certains rishis font consister le sacrifice dans l’étude des védas. D’autres le font consister dans la science.

606. Ô Bharatide, tu peux reconnaître qu’il y en a (qui s’appliquent] assidûment à l’action, et d’autres à l’ascétisme. Ô fils de Kountî, voici les paroles que les disciples de Vaikhânasa ont fait entendre :

607. « Il vaut mieux ne rien désirer que de désirer des richesses. » Or, ce serait une grande faute que de suivre ce précepte.

608. On amasse des richesses, parce que la loi prescrit (les sacrifices). Celui dont l'intelligence est pervertie, ne s’aperçoit pas qu’il commet (le crime de) tuer un embryon,

609. S’il donne à celui qui ne le mérite pas et s’il ne donne pas à celui qui le mérite. Le devoir de la libéralité est difficile à remplir, par suite de (la difficulté qu’il y a) à discerner celui qui est digne de celui qui est indigne.

610. Les richesses ont été faites par le créateur en vue du sacrifice. Le sacrifice est prescrit, et l’homme en est le dispensateur. Toutes les richesses doivent donc être consacrées au sacrifice. Le plaisir suit (cette pratique, comme sa conséquence) immédiate.

611. Le très énergique Indra dépassa tous les autres dieux par ses sacrifices de différentes sortes, accompagnés d’offrandes. C’est pourquoi il brilla après avoir obtenu la royauté (sur les immortels). Tout doit donc être consacré au sacrifice.

612. Le magnanime Mahâdeva, s’étant sacrifié lui-même dans le sarvamedha, devint le dieu des dieux. Après avoir créé et parcouru tous les mondes, vêtu de peaux (comme les ascètes), il est brillant et resplendissant de gloire.

613. Le prince, fils d’Avikshit, Maroutta, aurait pu, (tant elles étaient grandes), faire part de ses richesses à Çakra, roi des dieux. Çrî (la Fortune), elle-même (daigna) descendre dans son sacrifice, où tous les vases étaient d’or.

614. Tu sais que Haricandra, l’Indra des princes, avait acquis de nombreux mérites, et ne connaissait pas le chagrin. Après avoir offert des sacrifices, cet homme de bien aurait pu faire part à Çakra de ses richesses, (tant elles étaient immenses). Tout doit donc être consacré au sacrifice.




CHAPITRE XXI


DISCOURS DE DEVASTHÂNA (Suite)


Argument : La délivrance finale est très difficile à atteindre. Devasthâna engage le roi à gouverner son royaume, en s’appuyant sur les préceptes de Vrihaspati.


615. Devasthâna dit : On raconte à ce sujet cette ancienne légende. Vrishaspati, interrogé jadis par Indra, lui dit :

616. Le contentement est le plus grand des Svargas, le contentement est le bonheur suprême. Rien n’est au-dessus du contentement. Il occupe le sommet (des choses désirables).

617. Quand on réduit ses désirs, comme la tortue (réduit) ses membres (pour les cacher dans sa carapace), alors, (recevant) la lumière de l’âme, on devient bientôt éclairé dans son âme.

618. Quand un homme ne craint rien, quand on ne craint rien de lui, et quand il a vaincu les désirs et la haine, alors, il connaît son âme.

619. Quand, en pensée, en parole et en actions, on ne cause de dommage à aucun être, et qu’on est sans désirs, alors on atteint Brahma.

620. Quel que soit le dharma que les êtres aient en vue, leur âme en obtient (les mérites) à cette condition, ô fils de Kountî. Aie donc l’esprit éveillé, ô Bharatide.

621. Quelques hommes glorifient l'apaisement, d’autres louent l’effort ; d’autres blâment et d’autres louent l’un et l’autre.

622. Les uns vantent le sacrifice, d’autres le renoncement. Les uns célèbrent la libéralité, d’autres la réception (de l’aumône).

623. Quelques-uns, ayant tout abandonné, se tiennent dans une contemplation silencieuse. Quelques-uns glorifient la souveraineté, et la protection (dont le roi entoure) ses sujets.

624. Quelques-uns, après avoir détruit, coupé, percé, s’en vont au désert. Après avoir considéré ces (résolutions contradictoires), voici quelle a été la décision des sages :

625. « Le devoir qui consiste à ne causer de dommage à aucune créature, est considéré comme celui des gens de bien. Ne causer aucune injure, dire la vérité, partager (ses biens) avec les autres, se dompter soi-même,

626. Procréer des enfants avec ses épouses, être doux, modeste, ferme, voilà ce que Manou Svayambhava (existant par lui-même), donne comme ce qu’on peut désirer de mieux. »

627, 628. Ô fils de Kountî, consacre donc (tous tes) efforts à agir ainsi. Car le kshatriya qui, placé sur le trône, est toujours maître de lui-même, faisant le même cas de l’agréable et du désagréable, se nourrissant des restes des sacrifices, bien au fait des véritables devoirs de la royauté, qui s’applique à punir les méchants et à favoriser les gens de bien,

629. Qui maintient ses sujets dans le sentier du devoir et s’y tient lui-même, qui ne va vivre dans les forêts des produits des bois, qu’après avoir transmis son royaume à son fils,

630. Qui se dirige dans toutes ses actions d’après les règles révélées ; le roi qui se conduit ainsi est fermement attaché aux devoirs de la royauté.

631. Il retirera, en ce monde et dans l’autre, de grands fruits (de sa conduite) et sera heureux. Je pense que le nirvana (délivrance finale) est très difficile à atteindre, et présente beaucoup d’obstacles.

632. Ceux qui remplissent ainsi les devoirs (de leur charge), qui pratiquent à un degré supérieur, la vérité, la libéralité et l’ascétisme, qui possèdent des qualités, (et en particulier) la bienveillance, qui sont exempts de désirs et de colère,

633. Qui s’appliquent à protéger leurs sujets, accomplissant le plus grand des devoirs, combattant dans l’intérêt des vaches et des brahmanes, atteignent le refuge suprême.

634, 635. C’est ainsi que les Rendras, les Vasous, les Adityas, les Sâdhyas, et la multitude des râjarshis, ont pratiqué ce devoir sans négligence ; et leurs bonnes actions leur ont mérité le Svarga.




CHAPITRE XXII


DISCOURS D’ARJOUNA


Argument : L’ascétisme et le renoncement sont les devoirs d’un brahmane, et non d’un kshatriya, qui est voué aux combats. Au reste, ceux qui ont péri dans la bataille, sont au ciel. Youdhisthira ne doit pas se désoler de ce qui est arrivé, car c’était l’ordre du destin.


636. Vaiçampâyana dit : Alors Arjouna reprit la parole pour adresser ce discours à son frère aine, Acyouta, dont l'esprit était livré au désespoir.

637. Ô le plus excellent des hommes, (toi) qui connais les devoirs, pourquoi, après avoir conquis régulièrement la royauté, si difficile à acquérir, et avoir vaincu tes ennemis, es-tu dévoré de chagrin ?

638. Ô grand roi, on considère que la mort dans les combats est préférable, pour le kshatriya, à de nombreux sacrifices. C’est la règle du devoir établi pour eux.

639. En vue de l’autre monde, l’ascétisme et le renoncement sont les devoirs des brahmanes. (Mais), ô roi, la mort dans les batailles est prescrite aux kshatriyas.

640. Ô excellent Bharatide, le devoir des kshatriyas est très dur. Il consiste à s’adonner continuellement aux armes, et, quand le temps est venu, à mourir par les armes dans les combats.

641. La vie d’un brahmane même, qui suit la règle des kshatriyas, est glorieuse dans le monde, car la caste des kshatriyas, tire son origine de Brahma.

642. Ô maître des enfants de Manou, ni le renoncement, ni même le sacrifice (aux dieux), ni l’ascétisme, ni le fait de subsister (des aumônes) des autres, ne sont (des obligations) prescrites aux kshatriyas.

643. Ô excellent Bharatide, tu es vertueux, tu es au fait de tous les devoirs, tu es un roi sage et habile, sachant discerner ce qu’il y a de bien et de mal dans le monde.

644. Mets de côté le chagrin que te causent les remords. Prépare-toi à agir. Le cœur d’un kshatriya est (dur) comme (le carreau de) la foudre.

645. Après avoir vaincu les ennemis, suivant la règle des kshatriyas, et conquis une royauté qui n’offre plus d’épines, triomphe de toi-même, ô Indra des hommes, offre de grands sacrifices et fais d’abondantes largesses.

646. Certes, Indra, fils de Brahma, agit en kshatriya. Il tua neuf fois quatre-vingt-dix de ses parents, dont les actions étaient coupables.

647. Ô maître des hommes, sa conduite doit être honorée et glorifiée. C’est pour cela qu’il parvint à la souveraineté sur les dieux, à ce qu’on nous a dit.

648. Pour toi, ô grand roi, offre des sacrifices aux abondantes dakshinâs, comme fit Indra, ô Indra des hommes ; que la fièvre (du repentir) te quitte enfin.

649. Ô excellent kshatriya, ne regrette rien de ce qui s’est passé. Ces (héros), purifiés par les armes selon la règle des kshatriyas, ont atteint le refuge suprême.

650. Ô taureau des Bharatides, ce qui a eu lieu devait arriver, car, ô tigre des hommes, le destin ne saurait être vaincu.



CHAPITRE XXIII


DISCOURS DE VYÂSA


Argument : Excellence de l’état de maître de maison, et de la royauté dignement pratiquée. Légende de Likhita et de Çankha. En punissant justement Likhita, le roi Soudyoumna vit s’accroitre ses mérites.


651. Vaiçampâyana dit : Voilà ce que Goudâkeça (Arjouna) dit au Pândouide fils de Kountî (son frère aine). Le roi de Kourou ne répondit rien. Alors Dvaipâyana parla en ces termes :

652. Vyâsa dit : Ô mon cher Youdhishthira, cette parole de Bîbhatsou, est vraie. Les mérites les plus élevés sont assignés, par les livres (sacrés), à l'état de maitre de maison.

653. Tu connais tes devoirs ; accomplis-les selon les préceptes et selon les règles. Certes, il ne t’est pas prescrit d’abandonner l’état de maitre de maison, (pour te retirer dans) les bois.

654. Car les dieux, les pitris, les hôtes et les serviteurs, sont entretenus aux dépens du maitre de maison ; ô maitre de la terre, prends soin d’eux.

655. Les oiseaux, les bestiaux et les autres créatures, ô maitre suprême des hommes, sont entretenus par les maîtres de maison seulement. Aussi l’état de maitre de maison est-il le plus excellent.

656. Des quatre modes de vie, il est (le plus) difficile à pratiquer. Maintenant, ô fils de Prithâ, suis cette règle, difficile à observer par ceux dont les sens sont faibles (et mal domptés).

657. Tu connais les védas, tu as pratiqué un grand ascétisme. Tu dois porter, à la manière d’une bête de somme, (le fardeau de) la royauté de tes ancêtres.

658. Les austérités, les sacrifices, la patience, la science, la mendicité, la retraite dans les lieux déserts, l’apaisement, la connaissance de (la vérité) selon son pouvoir,

659. Ô grand roi, sont les actes qui conduisent le brahmane à la perfection. Je vais t’indiquer (ce qui convient) aux kshatriyas, quoique tu le saches (déjà).

660. Les sacrifices, la science, l’action, (l’ambition qui consiste à) ne pas se contenter de sa prospérité (présente), le maniement du sceptre, la rigueur (envers les méchants), la protection de ses sujets,

661. La connaissance des védas, la pratique de toutes les austérités, la bonne conduite, l’acquisition des richesses, une grande libéralité à l’égard des personnes qui en sont dignes,

662. Telles sont, ô maître des hommes, les œuvres qui, convenablement accomplies, conquièrent aux rois, ce monde et l’autre.

663. Mais le fait de porter la verge du châtiment est réputé le plus grand de (tous) ces (actes), car la force (réside) toujours dans le kshatriya, et la verge du châtiment (repose) sur la force.

664. Ô roi, ces œuvres conduisent le kshatriya à la perfection. Vrihaspati l’a dit dans ce çloka :

665. « Le serpent dévore les êtres qui habitent dans les trous, et la terre engloutit ces deux (hommes), le roi qui ne combat pas et le brahmane qui ne va pas dans les forêts (sur la fin de sa vie, pour y mener la vie ascétique). »

666. On rapporte aussi qu’en brandissant la verge du châtiment, le râjarshi Soudyoumna atteignit la plus haute perfection, comme Daksha, fils de Pracetas.

667. Youdhishthira dit : Ô adorable, par quelles actions le roi Soudyoumna acquit-il la plus haute perfection ? Je désire entendre (rhistoire) de ce roi.

668. Vyâsa dit : On raconte à ce sujet cette ancienne légende. Çankha et Likhita étaient deux frères, (ascètes) aux vœux fermes .

669. Leurs maisons étaient charmantes, chacune en son particulier. Elles étaient entourées d’arbres toujours chargés de fleurs et de fruits, (et situées) le long de la (rivière) Bâhoudâ.

670. Un jour, par suite de ce (voisinage), Likhita se rendit à l’ermitage de Çankha, qui était sorti (pour se promener) à sa fantaisie.

671. Likhita, s’étant approché de l’ermitage de son frère Çankha, fit tomber des fruits mûrs à point.

672. Ce brahmane, sans arrière-pensée, les ramassa et se mit à les manger. Au moment où il les mangeait, Çankha rentra

673. Et dit à son frère, qui était en train de manger : « Où as -tu pris ces fruits, et pour quelle raison les manges-tu ?»

674. Celui-ci s’approcha de son aîné, le salua, et lui dit en souriant : « Je les ai pris ici-même. »

675. Çankha, en proie à une violente colère, lui répondit : « Tu as commis un vol, en t’emparant de ces fruits.

676. Va trouver le roi, approche-toi de sa personne et dis-lui : « le plus grand des princes, j'ai pris ce qu'on ne m'avait pas donné.

677. Sachant que je suis un voleur, hâte-toi de faire ton devoir et de m'infliger le châtiment des voleurs. »

678. Après avoir entendu ces paroles, le très réputé Likhita, aux vœux fermes, se dirigea, selon l'ordre (qu'il venait de recevoir), vers le roi Soudyoumna.

679. Ayant appris des gardiens de la porte, que Likhita était arrivé (et le demandait), le roi Soudyoumna, accompagné de ses ministres, vint à pied au devant de lui,

680. Et, s'approchant de cet (homme) qui connaissait les devoirs, lui tint ce discours : « Ô adorable, pourquoi es-tu venu (ici). Explique-moi (tes désirs) et ils (seront) satisfaits à l'instant même. »

681. Après avoir entendu ces mots, ce viprarshi répondit à Soudyoumna : « Prononce ces paroles : « Quand je saurai (ce que tu désires), je le ferai. » Et alors, après m'avoir entendu, tu devras faire ce que je t'aurai demandé. »

682. Ô taureau des enfants de Manou, j'ai mangé des fruits que mon gourou ne m'avait pas donnés, ô grand roi. Hâte-toi de m'imposer la peine que ma faute mérite. »

683. Soudyoumna lui répondit : « Si tu crois que le roi doive mesurer la peine en infligeant le châtiment, (tu dois croire aussi) qu'il peut prononcer l'acquittement (de l'accusé), ô taureau des brahmanes.

684. Je t'absous, ô homme aux grands vœux, aux œuvres pures. Dis-moi quels sont tes autres désirs et je leur donnerai satisfaction. »

685. Vyâsa dit : En entendant le prince magnanime lui faire ces offres de service, le brahmane n’exprima pas d’autre souhait, que celui (d’encourir) le châtiment (de sa faute).

686. Alors le roi fit couper les deux mains du magnanime Likhita, qui s’en alla après avoir subi sa punition.

687. Étant retourné tristement près de son frère, il lui dit : « Tu dois maintenant pardonner les actes d’un fou, qui a subi son châtiment. »

688. Çankha dit : « Ô homme vertueux, je n’ai pas été offensé par toi, mais tu as transgressé tes devoirs et commis un acte répréhensible.

689. Va vite à la Bâhoudâ, satisfais, selon la règle, les dieux, les rishis et les pitris, et ne laisse pas ton esprit s’égarer dans des voies contraires à la vertu. »

690. Alors Likhita, ayant entendu ces paroles de Çankha, se plongea dans la rivière salutaire, et accomplit les rites de l’eau.

691. Il vit alors deux mains semblables à des lotus (remplacer celles qu’il venait de perdre), puis, plein d’étonnement, il montra ces deux mains à son frère.

692. Çankha lui dit : « J’ai déterminé (ce prodige) par mon ascétisme. N’aie aucune crainte, c’est l’œuvre du destin. »

693. Likhita dit : « Ô homme à la grande splendeur, dont la force de l’ascétisme est si puissante, pourquoi donc ne m’as-tu pas purifié d’abord, ô le plus excellent des brahmanes ? »

694. Çankha répondit : « Je devais faire ce que j’ai fait, car je ne portais pas la verge pour te châtier. Ce roi et toi, vous êtes purifiés, ainsi que les pitris. »

695. Vyâsa dit : Ô le plus excellent des fils de Pândou, ce roi, agrandi par cette manière d’agir, atteignit la plus haute perfection, comme Daksha, fils de Pracetas.

696. C’est le devoir des kshatriyas de gouverner leurs sujets. (Toute) autre voie est (pour eux) un chemin pernicieux. Ne t’afflige donc pas.

697. Ô Indra des rois, tu connais tes devoirs. Écoute la parole excellente et convenable de cet (Arjouna qui est) ton frère. Porter le sceptre et non se raser la tête, telle est l’obligation du kshatriya.




CHAPITRE XXIV


DISCOURS DE VYÂSA


Argument : Vyâsa expose au roi que chaque chose doit arriver en son temps. Plus tard, il pourra se retirer dans les bois, mais, en ce moment, il faut qu’il s’applique à régner ; c’est un devoir très méritoire, comme le prouve l’exemple du roi Harigriva.


698. Vaiçampâyana dit : Ce mouni, le maharshi Krishnadvaipâyana, adressa encore ces paroles à Ajâtaçatrou fils de Kountî.

699, 700. « Ô mon ami, le plus grand des Bharatides, ô grand roi Youdhishthira, fais que tes sages frères que voici, obtiennent la satisfaction des désirs qu’ils ont formés, pendant qu’ils habitaient les bois. Gouverne la terre, ô fils de Prithâ, comme (le fit) Yayâti fils de Nahousha.

701. Vous avez pratiqué l’ascétisme en vivant péniblement dans les forêts. Après la peine, jouissez des plaisirs, ô tigres des hommes.

702. Ô Bharatide, après avoir pratiqué tes devoirs, cultivé tes intérêts, et goûté les plaisirs, entouré de tes frères ; tu t’en iras ensuite, (si cela te plait, reprendre la vie des bois), ô maître des hommes.

703. Ô Bharatide, acquitte-toi de ce que tu dois aux solliciteurs, aux pitris et aux dieux, ô fils de Kountî, et tu feras (ensuite) tout ce que (tu voudras).

704. Ô descendant de Kourou, offre le sarvamedha et raçvamedha, après quoi, ô grand roi, tu atteindras le refuge suprême.

705. Après avoir mis tous tes frères, en état d’offrir des sacrifices aux dakshinâs abondantes, tu obtiendras une renommée sans égale, ô fils de Pândou.

706. Ô le meilleur des Kourouides, il existe un précepte (bien) connu. Ô tigre des hommes, écoute ce qu’il faut faire, pour ne pas t’écarter du devoir.

707. Ô Youdhishthira, ceux dont la vertu n’est que celle des voleurs, dont ils ont l’adresse, conduisent le roi à la victoire et aux querelles .

708. Ô roi, celui qui, ayant égard aux lieux et aux temps, supporte les dasyous (eux-mêmes), en se conformant (aux règles de) la sagesse enseignée par les préceptes, ne commet pas de péché.

709. Le roi qui, ayant prélevé le tribut du sixième, ne protège pas son royaume, assume (la responsabilité) du quart des péchés commis dans son (empire).

710. Apprends de quelle manière, un roi, dans sa conduite, ne s’écarte pas de la vertu. En s’attachant à obéir aux préceptes du devoir, il n’a rien à craindre.

711. Celui qui, mettant de côté les désirs et la colère, considère, comme (le ferait) un père, (tous ses sujets) d’un œil égal, assujettit son intelligence aux préceptes (révélés) et échappe au péché.

712. homme à la grande splendeur, le roi qui, entravé par le destin au moment de l’action, ne voit pas réussir ses entreprises, n’est pas réputé coupable de péché.

713. Il doit triompher de ses ennemis par la force, et surtout par la sagesse (de son administration). Évitant de pactiser avec le mal, il doit soumettre le royaume aux règles du devoir.

714. Ô Youdhislithira, les héros, les gens honorables, ceux qui se conduisent bien, les savants, les possesseurs de vaches, ceux qui possèdent des richesses, doivent être protégés spécialement.

715. Pour la (gestion) des affaires, pour les sacrifices, il faut employer des gens très instruits. Un (prince) prudent ne doit pas mettre sa confiance dans un seul conseiller, possédât-il (les plus grandes) qualités.

716. Un roi qui n’est pas le protecteur (de ses sujets), qui ne sait pas réprimer (ses passions), qui est vain, opiniâtre, dont les intentions ne sont pas bienveillantes, est un pécheur, et l’on dit de lui qu’il ne sait pas mettre un frein à ses mauvais penchants.

717. Ô roi, quand, faute de protection (de la part du prince, (les sujets) périssent sous les coups du destin, ou sont détruits par les dasyous, tous ces (malheurs) sont la faute du roi.

718. Ô Youdhishthira, il n’y a pas d’infraction au devoir (de la part du prince), quand il exécute une action virile, après l’avoir préparée en s’aidant de sages conseils, et l’avoir bien conduite de toutes manières.

719. Le destin fait échouer ou réussir les entreprises, mais quand un acte viril a été accompli (dans les conditions que je viens d’indiquer), aucune faute n’est imputable au roi.

720. À ce sujet, ô tigre des rois, je te ferai connaître une ancienne légende. C’est le récit de ce qui est arrivé, ô fils de Pândou, à l’antique râjarshi Hayagriva (qui a un cou de cheval).

721. Ce héros aux œuvres fermes qui, n’ayant plus de compagnons (autour de lui), fut vaincu dans les combats, et tué sur le champ de bataille, après avoir exterminé de nombreux ennemis, ô Youdhishthira,

722. Lui qui, par ses actes (valeureux) (s’efforça) de repousser les ennemis, et mit tous ses soins à protéger les hommes (qui peuplaient ses états). Après avoir accompli des actions héroïques, et acquis de la renommée dans les combats, ce Vâjigrîva (qui a un cou de cheval, Hayagrîva), se réjouit maintenant dans le monde du Svarga.

723. Ayant perdu la vie dans un combat, (où il avait été) l’assaillant, enchaîné par les dasyous et percé par leurs armes, le magnanime Açvagrîva (Hayagrîva, qui a un cou de cheval), a atteint le but (final de la vie), et se réjouit dans le monde du Svarga.

724. Son arc était (comme) le poteau du sacrifice, la corde de son arc (figurait) le lien (pour attacher la victime), ses flèches étaient la (grande) cuillère (pour la libation), son glaive la petite cuillère (pour le même objet), son char était l’autel, le combat était le feu Kâmaya (de la libation), ses quatre excellents chevaux étaient les quatre hotars (prêtres sacrificateurs).

725. Après avoir sacrifié ses méchants ennemis, dans ce feu (du combat, comparé à un sacrifice), et abandonné, comme offrande, sa vie dans le combat (qui lui servait] de bain purificatoire, cet énergique râjarshi, délivré de cette (vie), se réjouit dans le monde des dieux.

726. Protégeant son royaume par une politique où la sagesse dominait, ayant l’habitude d’offrir des sacrifices, le magnanime et sage Vâjigrîva, ayant rempli tous les mondes de sa gloire, se réjouit, après sa mort, dans le monde des dieux.

727. Après avoir fait provision de mérites pour le ciel, appliqué la justice aux choses humaines, par l’emploi de pratiques appropriées, le magnanime roi Vàjigrîva, (Hayagriva) habitué à l’accomplissement des devoirs, se réjouit, en récompense, dans le monde des dieux.

728, 729. Savant, pratiquant le renoncement, croyant, reconnaissant (des services rendus), après avoir fait (de grandes) actions, et avoir abandonné le monde des hommes, après avoir atteint les mondes destinés aux hommes savants, intelligents, et honorés, qui ont abandonné leurs corps, après avoir acquis, comme il convient, la connaissance des védas, et (bien) compris les préceptes (de la loi), après avoir convenablement gouverné le royaume, et soumis les quatre castes aux règles du devoir, le magnanime roi Vâjigrîva se réjouit dans le monde des dieux.

730. Après avoir remporté des victoires dans les combats, protégé ses sujets, bu le soma, rassasié les principaux brahmanes, administré convenablement la justice à son peuple, et subi la mort dans la bataille, il se réjouit dans le monde des dieux.

731. Ce magnanime, dont les savants et les gens de bien vantent la conduite honorable et digne de louanges, ayant conquis le Svarga et atteint le monde des héros, s’est procuré une gloire pure, et est arrivé à son but. »




CHAPITRE XXV


LÉGENDE DE SENAJIT


Argument : Les actes des hommes sont, en réalité, peu de chose ou même ne sont rien. C’est le destin qui, par ses vicissitudes, dirige tout. Légende de Senajit.


732. Vaiçampâyana dit : Après avoir entendu les paroles de Dvaipâyana, Arjouna était mécontent. Youdhishthira fils de Kountî répondit à Vyâsa, après l’avoir salué.

733. Youdhishthira dit : Ni cette royauté terrestre, ni les diverses jouissances (qu’elle procure), ne peuvent maintenant satisfaire mon cœur dévoré de chagrin.

734. Après avoir entendu les cris de douleur, des femmes qui ont perdu leurs époux et leurs fils, je ne puis, ô mouni, retrouver la paix du cœur.

735. En entendant ces paroles, Vyâsa, le plus excellent de ceux qui pratiquent le yoga, le grand sage connaisseur des devoirs, qui avait atteint la limite extrême de la connaissance des védas, répondit en ces termes à Youdhishthira :

736. Vyâsa dit : Aucun homme n’obtient rien (de bon), ni par ses actes, ni par ses sacrifices, et nul ne peut donner (quoi que ce soit à un autre). L’homme obtient des vicissitudes du temps, ce qui lui a été assigné par l’ordonnateur du monde.

737. Les enfants de Manou (les hommes) ne peuvent acquérir, hors de (son) temps, aucun avantage, (même) à l’aide de leur intelligence et de l’étude des livres sacrés. Le sot, lui-même, obtient quelquefois des richesses (avec le concours du temps). Le temps est sans discernement dans ce qu’il réalise.

738. Si le temps n’est pas favorable, ni les arts, ni les incantations, ni les médicaments ne donnent de résultats. En temps favorable, (au contraire), ces mêmes (moyens), dirigés par le destin, réussissent et accroissent (leurs effets).

739. Selon le temps, les vents soufflent (plus ou moins) violemment. Selon le temps, la pluie vient gonfler les nuages. Avec le temps, l’eau se couvre de diverses sortes de lotus. Avec le temps, les arbres prospèrent dans les bois.

740. Selon le temps, les nuits sont claires ou obscures, c’est en son temps que le disque de la lune se remplit. Hors du temps (voulu), les arbres n’ont ni fleurs, ni fruits. L’eau des rivières ne coule que d’une manière en rapport avec la saison.

741. Hors du temps (habituel), les oiseaux et les serpents, les gazelles, les éléphants et les antilopes, ne sont pas, en ce monde, affolés par l’amour. Hors du temps (convenable), les fœtus ne se produisent pas chez les femelles. Les pluies, la saison froide et la saison chaude, ne viennent pas hors de leur temps.

742. On ne meurt et on ne nait, que quand le moment (en est arrivé). L’enfant ne parle pas, il n’arrive pas à la jeunesse, avant que le temps (n’en soit venu). La graine qui a été semée, ne se développe pas sans l’influence du temps.

743. Hors du temps (voulu), le soleil ne s’élève pas sur l'horizon. Hors du temps (voulu), il ne va pas (se coucher derrière) la montagne Asta. Hors du temps (voulu), la lune ne décroît ni ne s’accroît, pas plus que l’Océan aux grandes vagues.

744. On attribue à ce sujet, ô Youdhishthira, un ancien chant au roi Senajit, tombé dans le malheur, (et qui s’exprimait ainsi).

745. « L’inévitable écoulement du temps atteint tous les (êtres) mortels sans exception. Certes, toutes (les créatures) terrestres, mûries par le temps, (finissent par) mourir.

746. Il y a, ô roi, des hommes qui tuent et d’autres qui sont tués. Voilà (du moins) ce que pense le monde, mais, ô roi, (en réalité), nul ne tue, nul n’est tué.

747. Quelques-uns pensent qu’on tue et d’autres (estiment) qu’on ne tue pas. (Mais) l’origine et la fin des êtres sont la conséquence de leur nature.

748. Quand on a perdu sa fortune ou son épouse, quand un fils ou un père est mort, on s’écrie : « Ah ! malheur ? » En agissant ainsi, on accroît cette peine.

749. Pourquoi te lamentes-tu dans ta folie ? Pourquoi pleures-tu avec ceux (que tu trouves) à plaindre ? Vois ! Dans les peines (auxquelles on pense), sont de (nouvelles) peines, comme dans les terreurs (que l’on se rappelle), sont de nouvelles terreurs.

750. Ce moi n’est pas à moi, pas plus que toute la terre. Tout est aussi bien aux autres qu’à moi. Eu raisonnant ainsi, (l’esprit) ne s’égare pas.

751. Chaque jour, des milliers de sujets de peine et des centaines de sujets de joie visitent le fou, mais non l’homme intelligent.

752. Le temps fait circuler dans la vie ces circonstances, tantôt agréables, tantôt désagréables, (qui deviennent) des peines et des plaisirs.

753. La peine, seule, existe, et non le plaisir, qui n’est perçu que par opposition à la peine. La peine a pour origine la souffrance qui vient de la concupiscence. Le plaisir a pour origine la souffrance qui vient de la peine.

754. La peine est près du plaisir, le plaisir est près de la peine. On n’éprouve pas constamment de la peine. On n’éprouve pas continuellement du plaisir.

755. Le plaisir finit en peine, et quelquefois le plaisir provient de la peine. C’est pourquoi, celui qui désirerait un plaisir perpétuel renoncerait à tous les deux, (le plaisir et la peine).

756. Il faut abandonner en bloc ce qui cause le chagrin, ou bien une peine qu’accroît le chagrin, ou bien aussi l’effort qui est la racine du (chagrin).

757. Il faut que le cœur reste impassible, quoi que l’on éprouve, plaisir ou peine, sensation agréable ou sensation désagréable.

758. En ne faisant pas une chose, fut-elle peu importante, agréable à tes épouses ou à tes fils, tu (dois), ô mon ami, connaître qui, de quoi, pourquoi et par quoi, (en un mot toutes les causes qui commandent ton abstention) 18.

759. En ce monde, les (hommes) très sots et ceux qui ont atteint le plus haut degré de la sagesse, goûtent le bonheur. Ceux dont (l’intelligence) est moyenne sont tourmentés. »

760. Ô Youdhishthira, voilà ce qu’a dit le grand sage Senajit, qui connaissait le bon et le mauvais de ce monde, le plaisir et la peine, et qui était au fait des devoirs.

761. Celui qui s’afflige des peines des autres, ne sera jamais heureux, car les chagrins n’ont pas de fin et s’engendrent les uns les autres.

762. C’est par suite des vicissitudes du temps, qu’on obtient le plaisir et la peine, le salut et la ruine, qu’on acquiert des richesses et qu’on n’en acquiert pas, qu’on meurt et qu’on vit. C’est pourquoi le sage ne se réjouit ni ne se désole, (quoi qu’il arrive).

763. On a dit que, pour un roi, le sacrifice consistait dans le combat ; le yoga dans la royauté et l’exercice convenable de la justice ; le renoncement à ses biens dans les dakshinâs (offertes) dans le sacrifice ; et que ce qu’on appelle la science, (était figuré par) les feux (sacrés).

764. Protégeant le royaume avec prudence, d’après les règles de la sagesse, le (roi) magnanime, après avoir abandonné la vie et parcouru tous les mondes, (une fois dépouillé) de son corps, grâce à la connaissance (qu’il a eue) de ses devoirs, se réjouit dans le monde des dieux.

765. Après avoir gagné des victoires, gouverné son royaume, bu le soma, après avoir accru (la prospérité de) ses sujets, avoir porté avec justice la verge du châtiment, après être mort dans le combat, il se réjouit dans le monde des dieux.

766. Ayant acquis, comme il convient, (la connaissance) des védas, étudié les préceptes, bien gouverné son royaume, affermi les quatre castes dans (la pratique de) leurs devoirs respectifs, le roi dont l’âme est purifiée, se réjouit dans le monde des dieux.

767. Le plus excellent des rois est celui dont les hommes, citadins, paysans et ministres, glorifient la conduite, même après qu’il (est monté) au Svarga.



CHAPITRE XXVI


DISCOURS DE YOUDHISHTHIRA


Argument : La richesse n’est pas le bien suprémie ; elle cède le pas à l’ascétisme et à la vertu.


768. Vaiçampâyana dit : À ce sujet, Youdhishthira, à la grande intelligence, adressa à Dhananjaya des paroles très prudentes :

769. Ô fils de Prithâ, (lui dit-il), c’est à tort que tu as dit qu’il n’y a rien au-dessus de la richesse, que, pour celui qui est dépourvu de biens, il n’existe ni Svarga, ni bonheur, ni intérêt.

770. On voit beaucoup d’hommes qui sont arrivés à la perfection, par le sacrifice qui consiste dans l’étude des livres sacrés, ainsi que de (nombreux) mounis adonnés à l’ascétisme, dont les mondes éternels (sont le partage).

771. Ceux qui, ô Dhanañjaya, conservent et pratiquent les instructions des rishis, et qui connaissent tous les devoirs, sont considérés par les dieux comme des brahmanes.

772. Ô Dhanañjaya, considère toujours ceux qui sont adonnés à l’étude et à la récitation des livres sacrés, ceux qui s’appliquent (à accroitre) leurs connaissances, comme appliqués à leurs devoirs.

773. Ô fils de Pândou, les actions doivent avoir pour base, (les leçons) des hommes adonnés à la connaissance de la vérité, comme nous savons que Font enseignée les Vaikhanasiens, ô puissant.

774. Ô Bharatide, les Ajas, les Praçnis, les Sikatas, les Ketous et les Arounas sont allés au ciel par l’étude des livres sacrés.

775, 776. Ô Dhanañjaya, je t’ai déjà parlé des mondes destinés aux gens d’action, qui vont au ciel (en suivant), au midi, le chemin d’Aryaman, après avoir accompli les œuvres enseignées par les védas : la libéralité, l’étude des livres sacrés, la répression de leurs sens, à laquelle il est difficile d’arriver.

777. Mais tu vois, au nord, le chemin dans lequel (on s’engage) par les austérités. Ô fils de Prithâ, ces mondes éternels brillent pour ceux qui s’adonnent au yoga.

778. Ô fils de Prithâ, les connaisseurs des pouranas (anciennes légendes), déclarent que cette voie est la meilleure. Parle contentement, on arrive au Svarga ; par le contentement, on arrive au bonheur suprême.

779. Rien n’est supérieur à la satisfaction. Elle occupe le plus haut rang. La plus haute perfection est toujours (le lot) de celui qui a renoncé à la colère et à la joie.

780. On rappelle aussi, à ce sujet, les vers chantés par Yayâti, d’après lesquels on doit contracter ses désirs, comme la tortue contracte ses membres pour les faire rentrer dans sa carapace.

781. Quand un (homme) ne craint (rien) et qu’on ne craint (rien) de lui, quand il ne désire ni ne hait, alors il atteint Brahma.

782. Quand, ni par actes, ni par pensées, ni par paroles, il ne maltraite aucun être, alors il atteint Brahma.

783. Quand (un homme) a mis de côté l’orgueil et la folie, quand il s’est détaché des nombreux liens (du monde), alors l’éclatante vertu de son âme lui fait obtenir le nirvana (anéantissement du moi, par union à l’âme universelle du monde).

784. Mais, ô fils de Prithâ, écoute, en ayant dompté tes sens, ce que je vais te dire. Les uns désirent le dharma (devoir, vertu), les autres une (habile) conduite et d’autres des richesses.

785. Celui qui fait des efforts pour acquérir des richesses, agirait mieux en ne les faisant pas, car le mal (qui résulte) de la fortune est grand, et c’est au devoir (seul) qu’il faut avoir recours.

786. Nous voyons manifestement, et tu dois le voir aussi, que se résoudre à l’abandon de ce qu’on possède, est chose difficile.

787. Il est rare que ceux qui recherchent les richesses aient une conduite droite. On assure qu’on ne les obtient qu’en causant du préjudice (à autrui). Par suite, elles sont contraires (à la vertu).

788. Mais l’homme qui, content de peu, abandonne son train de vie habituel, mettant de côté le chagrin et la crainte, n’est pas considéré comme coupable du meurtre d’un embryon.

789. Les serviteurs causent (à leurs maîtres) qui ont acquis (des richesses) , un dommage semblable (à celui que leur occasionnerait) la crainte des voleurs. Quand on a gagné des biens difficiles à acquérir, (et qu’il faut en) donner (une partie), on éprouve un grand regret.

790. Celui qui est sans fortune, délivré de tout souci, est heureux. Par qui, et à propos de quoi pourrait-il être censuré ? (Sût-il) acquérir (tout) ce que possèdent les immortels, les richesses ne le rendraient pas heureux.

791. À ce sujet, ceux qui se souviennent du temps passé, rappellent un hymne chanté à l’occasion du sacrifice. C’est la triade (des védas), à laquelle on a recours dans le monde, quand il s’agit d’offrir les sacrifices :

792. « La richesse a été créée pour le sacrifice et l’homme a été créé pour sacrifier. C’est pourquoi les richesses doivent être employées aux sacrifices seuls. Il n’est pas convenable de s’en servir pour le plaisir. »

793. Ô fils de Kountî, (toi qui es) le meilleur des hommes riches, le créateur donne la richesse aux mortels, dans son intérêt, et en vue du sacrifice. Sache qu’il en est ainsi.

794. Aussi les hommes (sages) savent qu’elle (n’appartient d’une manière) certaine à personne. C’est pourquoi, dans ce monde, le croyant l’abandonne, et offre des sacrifices.

795. On a prescrit d’abandonner les biens mêmes que l’on a acquis, et non de les dépenser en jouissances. À quoi bon accumuler des richesses ? Le (véritable) intérêt consiste en quelque chose de plus important.

796. Les hommes peu sages, qui donnent à ceux qui se sont écartés de leur devoir, se nourrissent d’excréments pendant cent ans dans l’autre monde.

797. Par suite de la difficulté de discerner celui qui est digne, de celui qui est indigne (de bienfaits), le devoir de la libéralité est difficile à (bien) remplir, (en sorte que souvent) l’on donne à celui qui est indigne, et qu’on ne donne pas à celui qui est digne (de libéralité).

798. Quand on a acquis des richesses, il faut éviter deux écueils : donner à celui qui ne le mérite pas, et ne pas donner à celui qui le mérite.



CHAPITRE XXVII


DISCOURS DE VYÂSA


Argument : Youdhishthira renouvelle ses plaintes à propos de la mort de ses parents. Vyâsa lui répond qu’il a tort de s’affliger.


799, 800. Youdhishthira dit : Abhimanyou, (encore) dans l’enfance, ayant été tué dans le combat, ainsi que les fils de Draupadî, Dhrishtadyoumna, Virâta, le roi Droupada, Vasoushena, qui connaissait ses devoirs, le prince Dhrishtaketou, et d’autres Indras des hommes de différents pays,

801. Le chagrin ne m’accorde pas de trêve (et me rend) malade, moi qui, dans mon avidité pour la royauté, suis devenu le très cruel meurtrier de mes parents, et le destructeur de ma propre race.

802. Ce fils de la Gangâ, sur le sein duquel je me suis roulé en riant, a, dans la lutte, été abattu par moi qui convoitais la royauté !

803. Quand je le vis, chancelant, et tremblant, sous les flèches pareilles à la foudre, du fils de Prithâ, devenir l’objet des regards de Çikhandin,

804. Mon esprit fut épouvanté. Quand je vis notre grand oncle, ce lion des hommes éclatants, pareil à un vieux lion couvert de flèches brûlantes,

805. Tomber sur son char, la face en avant, lui ce destructeur des chars (ennemis), vaillant comme un rocher (déraciné) par la tempête, je perdis mes sens.

806. Ce Kourouide qui, l’arc et les flèches à la main, soutint pendant plusieurs jours, à Kouroukshetra, un grand combat avec (Râma) fils de Bhrigou,

807. Le héros fils d’une rivière, (qui), avec un seul char, en vue (d’enlever) des jeunes filles (pour les marier à son frère), défia au combat la caste princière des kshatriyas, réunie à Vârânasî,

808. (Celui) dont les armes brûlantes consumèrent le maître du monde, le terrible roi Ougrayoudha, a été abattu par moi dans la bataille !

809. Celui qui, protégeant en personne le Pâñcâlien Çikhandin, (qui devait être, il le savait, l’instrument de sa) mort, ne l’abattait pas avec ses flèches, a succombé sous les coups d’Arjouna !

810. Ô le plus grand des mounis, quand je le vis tombé à terre, baigné de sang, je fus saisi d’une fièvre terrible.

811, 812. Ce (héros), par qui nous avions été élevés et protégés dans notre enfance, a été mis à mort par moi, pervers, avide de régner, meurtrier de mes gourous, en vue d’une souveraineté de peu de durée ! Et le grand archer (Drona), notre précepteur, honoré de tous les princes,

813. A été, dans ma méchanceté, faussement renseigné par moi au sujet de son fils ! Ce que le gourou me dit, quand je l’approchai, me brûle les membres.

814. Voici ce que me dit le brahmane qui attendait la vérité de ma part : « Ô roi, dis-moi si réellement mon fils est vivant. »

815. En sous-entendant (le mot) éléphant, par méchanceté et dans ma vive convoitise de la royauté, j’en usai faussement avec lui.

816. Me dépouillant de la cuirasse de vérité, je dis à ce gourou : « Açvatthâman a été tué par moi », tandis que c’était l’éléphant de ce nom qui avait péri.

817. Vers quels mondes irai-je, après avoir été aussi pervers et après avoir fait tuer Karna, qui ne fuyait (jamais) dans les combats,

818, 819. Mon terrible frère aîné ? Est-il, (sur terre), un fou plus coupable que moi ? Et pour avoir fait pénétrer, dans une armée protégée par Drona, le jeune Abhimanyou, pareil à un lion né dans la montage, je ne puis plus regarder en face Bibhatsou (son père),

820, 821. Ni Krishna aux yeux de lotus (son oncle) ; je suis un homme coupable d’infanticide. Je pleure aussi sur la malheureuse Draupadî, privée de ses cinq fils, semblable à la terre qui aurait perdu ses cinq montagnes. Quant à moi, misérable pécheur, je cause la destruction du monde.

822. Puisqu’il en est ainsi, je ferai, en le privant de nourriture, gémir ce corps, qui attend une mort (prochaine). Voyez en moi le meurtrier de mes gourous !

823. Destructeur de ma race, (je dois agir de façon) à ne plus passer par d’autres naissances. Désormais, je ne prendrai plus de nourriture ni de boisson.

824. Je finirai ici ma vie, ô ascète. En m’inclinant devant vous, je vous demande (de me laisser) remplir le désir que j’ai d’aller où je voudrai.

825. Vous tous, accordez-moi (ma demande). J’aspire à quitter ce corps.

826. Vaiçampâyana dit : Vyâsa, le plus excellent des mounis, interrompit le fils de Prithâ, agité par le chagrin (que lui causait la perte) de ses parents, et auquel (la peine faisait) tenir ce langage ; il lui dit : « Cela ne doit pas être. »

827. Vyâsa dit : Ô grand roi, tu ne dois pas t’abandonner à un chagrin intempestif. Ô roi, je vais te répéter ce que je t’ai (déjà) dit : « C’est le destin (qui est la cause de tout ce qui est arrivé). »

828. Les agrégats (qui forment) les êtres vivants, (une fois qu’ils sont) nés, ont pour fin certaine la dissolution. Comme les bulles dans l’eau, ils paraissent et disparaissent.

829. Tout ce qui est composé finit par la désagrégation. Les élévations aboutissent à des chutes. La mort est la fin de la vie.

830. La paresse est un plaisir qui finit en peine, activité est une peine qui produit le plaisir. La richesse, la prospérité, la modestie, la renommée, sont le lot de l’homme actif, non du paresseux.

831. Les amis ne suffisent pas à faire le bonheur, ni les ennemis à causer le malheur. La sagesse ne suffit pas pour (faire réussir) les affaires, et la richesse ne suffit pas pour procurer le bonheur.

832. Puisque l’ordonnateur du monde t’a créé pour l’action, agis en conséquence. Tu n’es pas maître (de renoncer) aux œuvres, ô roi, fils de Kountî.




CHAPITRE XXVIII


DISCOURS DE VYASÂ


Argument : Vyâsa raconte au roi ce qu’Açman dit à Janaka, au sujet de ce que doit faire l’homme qui a perdu ses parents et ses biens.


833. Vaiçampâyana dit : Vyâsa (s’efforçait) de dissiper le chagrin de l’aîné des fils de Pândou qui, rempli de douleur (à propos de la mort) de ses parents, désirait mourir.

834. Vyâsa dit : Ô tigre des hommes, on rapporte aussi, à cet égard, une ancienne légende chantée par Açman. Écoute-la, ô Youdhishthira.

835. Janaka, roi de Videha, accablé de chagrin et de douleur, ô roi, interrogea le sage brahmane Açman, sur les doutes (qui l’assiégeaient).

836. Janaka lui posa cette question : « Comment un homme qui désire le bonheur, doit-il se conduire, quand il acquiert ou quand il perd, soit des parents, soit des biens ? »

837. Açman lui répondit : Aussitôt que l’âme d’un homme est entrée (en ce monde), les peines, aussi bien que les plaisirs, s’en emparent.

838. Que ce soit l’un ou l’autre de ces deux (genres d’impressions) qui l’envahisse, elle s’y abandonne rapidement, comme le nuage est chassé par le vent.

839. « Je suis de noble race ! Je réussis dans mes entreprises ! Je ne suis pas un simple mortel ! » La pensée (de l’orgueilleux) s’exprime de ces trois manières.

840. Ayant l’esprit attaché (aux jouissances), devenu pauvre après avoir dissipé les revenus amassés par ses parents, (l’homme) trouve bon de s’emparer des biens des autres.

841. Les rois donnent la chasse à cet homme qui manque de droiture, et prend injustement (ce qui ne lui appartient pas), comme des chasseurs frappent une gazelle de leurs flèches

842. Et, ô prince, ces hommes qui (ne vivent que) vingt ou trente ans, ne dépassent jamais cent ans, (qui est le terme ordinaire d’une longue vie).

843. En examinant, sous toutes ses faces, la conduite de tous les êtres vivants, on pourrait, à l’aide de la réflexion, remédier aux grands maux (que les hommes ont à souffrir),

844. Il y a (deux) peines mentales pour ceux qui renaissent : l’illusion, et les événements désagréables. Il n’y en a pas une troisième.

845. C’est ainsi que les peines, quelles qu’elles soient, ainsi que celles qui proviennent du commerce avec ses semblables, atteignent l’homme ici-bas.

846. Pour les êtres forts, faibles, petits et grands, la vieillesse et la mort sont pareilles à deux loups dévorants.

847. Aucun homme, eût-il conquis (toute) cette terre limitée par les mers, ne saurait échapper à la vieillesse et à la mort.

848. Que ce soit le plaisir ou la peine, tout ce qui atteint les êtres doit être accepté patiemment. Il n’y a pas moyen d’y faire obstacle.

849. Ô roi, ni dans la jeunesse, ni au milieu de la vie, ni à sa fin, les intérêts ne doivent être délaissés, même par ceux qui désirent autre chose (de préférable, le salut).

850. La privation des choses agréables, l’arrivée d’accidents désagréables, le gain ou la perte, le plaisir ou la peine, sont la conséquence de la destinée.

851. L’apparition des êtres sur la terre, l’abandon des corps (par les mourants), l’acquisition (des biens), l’activité (de l’homme), tout cela est fixé (à l’avance).

852. L’odeur, la couleur, le goût, le toucher, proviennent de la nature même des choses. De même, les plaisirs et les peines proviennent de la destinée.

853. Les sièges, les lits, les moyens de transports, le fait de se lever, le boire et le manger, sont (pendant un instant par la succession) du temps, (et ne sont plus ensuite).

854. Les médecins, même, deviennent malades, les forts deviennent faibles, il y a des riches et des eunuques. Les vicissitudes du temps sont variées.

855. On obtient la naissance dans une (noble) famille, la force, la santé, la beauté, le bien-être, les jouissances, parce que cela devait arriver.

856. Il naît de nombreux fils aux pauvres qui ne les désiraient pas. Ceux qui sont dans la prospérité n’ont pas d’enfants . Les œuvres du créateur sont variées.

857. Les maladies, (les accidents produits par) l’eau ou l’épée, la faim, les malheurs, le poison, la fièvre, la mort, la chute (d’une situation élevée), arrivent à la personne

858. À laquelle cela a été assigné pour lot. Ces épreuves sont conduites par une cause (qui est la destinée). Il n’y a (personne) qui ne revienne pas (en ce monde, après en être sorti), ou bien qui, inversement, n’en soit (jamais) sorti.

859. On voit aussi le coupable (ne pas sembler) devoir être puni, ou bien inversement. On voit, ici-bas, l’homme riche périr, quand il est encore jeune,

860. Et le pauvre, accablé par la vieillesse, vit cent ans. Les gens dépourvus de fortune sont réputés vivre longtemps.

861. Des (hommes), nés dans une famille prospère, périssent (souvent) aussi vite que des insectes. D’ordinaire, en ce monde, les riches ne peuvent pas manger (faute d’appétit),

862. Tandis que des morceaux de bois, (même), seraient digérés par les pauvres. On dit : « j’agis », alors qu’on agit sous l’impulsion du destin.

863. Le méchant, non satisfait (de son état), commet tous les péchés qui lui sourient. La chasse, les dés, les femmes, la boisson, les attachements, sont (des plaisirs) réprouvés par les sages.

864-866. On voit (cependant) des hommes, qui ont beaucoup étudié les écritures sacrées, s’y livrer. Ici-bas, tous les êtres obtiennent du temps toutes les choses, qu’ils ont ou non désirées. La cause n’en est pas comprise. Qui fait et entretient le vent, l’air, le feu, la lune et le soleil, le jour et la nuit, les étoiles, les rivières, les montagnes ? Le froid et le chaud, ainsi que la pluie, sont l’œuvre de la révolution du temps.

867. Ô taureau des hommes, c’est ainsi même que le plaisir et la peine (sont produits) pour les hommes. Mais, ni les remèdes, ni les incantations, ni les offrandes, ni les prières,

868. Ne garantissent l’homme, dont la vieillesse et la mort se sont approchées. De même qu’un morceau de bois en rencontre un autre sur l’Océan,

869. Et, qu’après s’être rencontrés, (ces deux morceaux de bois) se séparent (définitivement), de même il arrive pour la réunion des créatures. Les hommes qui jouissent de la compagnie des femmes, et (des charmes) de la musique et du chant,

870. Et ceux qui, dépourvus de protecteurs, reçoivent des autres leur nourriture (quotidienne), sont traités de la même manière par le temps. Des milliers de mères et de pères, des centaines de fils et d’épouses,

871. Se rencontrent dans les cycles de la transmigration. À qui se rattachent-ils et à qui nous rattachons-nous ? Personne n’est l’auteur de personne. (C’est le destin seul qui rapproche le fils du père.)

872. Des personnes qui s’appellent des épouses, des parents, des amis, se sont simplement rencontrées en chemin. « Où suis-je ? Où irai-je ? Qui suis-je ? Pourquoi me trouvé-je ici ?

873. Pourquoi et sur quoi m’affligerais-je. » Voilà (ce qu’on peut dire). C’est en se livrant à ces réflexions qu’on peut affermir son esprit. La cohabitation avec les êtres chers n’étant pas durable, ce monde où l’on transmigre se mouvant circulairement à la manière d’une roue,

874. Frère, père, mère, amie, (tout cela) n’est qu’une rencontre (fortuite) en chemin. Avant de l’avoir vu, les sages connaissent l’autre monde comme s’ils l’avaient sous les yeux.

875. Sans négliger (l’étude) des livres sacrés, celui qui veut continuer d’être, doit croire. Qu’il accomplisse les rites relatifs aux pitris, et qu’il exécute (les prescriptions de) la loi.

876-878. Que le sage sacrifie selon les règles, et qu’il pratique le trivarga. Nul ne s’aperçoit que ce monde est plongé dans le profond océan des temps, où se rencontrent deux grands requins, la vieillesse et la mort. On voit de nombreux médecins, connaissant toute la science de la vie (la médecine), qui sont, eux et leurs familles, accablés par les maladies. Ils ont beau boire des décoctions de diverses sortes, et (offrir des oblations) de beurre clarifié,

879, 880. Ils n’évitent pas plus la mort que l’Océan ne dépasse ses rives. On voit aussi des hommes connaissant les élixirs, et en faisant un usage judicieux, brisés par la vieillesse, comme des arbres le sont par de puissants éléphants. De même, aussi, les ascètes qui s’adonnent à l’étude et à la récitation des védas,

881-883. Qui font des libéralités et offrent de nombreux sacrifices, ne triomphent pas plus de la vieillesse que d’Antaka (la Mort). L’homme suit, inconsciemment et sans fixité, ce grand chemin (de la vie), foulé par tous les êtres et fixé par le temps. Ou bien le corps se sépare du principe vital, ou bien le principe vital se sépare du corps, (et on meurt).

884. (Mais en attendant), il n’y a qu’une rencontre (fortuite) en chemin, entre les (époux), les épouses et les autres parents ; nul n’obtient une cohabitation durable,

885. Même avec son propre corps, à plus forte raison avec une autre personne, quelle qu’elle soit. Où est maintenant ton père, ô roi, où sont tes ancêtres ?

886. En ce moment tu ne les vois pas et ils ne te voient pas. L’homme (vivant) ne voit ni le Svarga ni l’enfer, ô homme sans péché.

887. 888. Mais les livres sacrés sont les yeux des gens de bien. Conduis-toi, ici-bas, suivant leurs indications, ô roi. Celui qui a pratiqué l’état de brahmacârin, doit engendrer (ensuite des fils), et offrir des sacrifices. (Il doit) payer, sans murmurer, sa dette envers les pitris, les dieux et les hommes.

889. Celui qui offre de nombreux sacrifices, après avoir été brahmacârin, qui procrée (des enfants), qui voit distinctement (les choses), peut, après s’être débarrassé des peines morales, obtenir le Svarga, ce monde et l’autre.

890. La gloire du roi qui, en suivant la loi, pratique ses devoirs et qui (ne) prend (à ses sujets) que ce que la règle (lui accorde), va en s’accroissant dans tous les mondes, et (parmi les êtres) mobiles et immobiles.

891. Après avoir entendu tout ce discours complètement concluant, le roi de Videha, dont la sagesse était éclairée, et dont le chagrin était évanoui, rentra dans son palais.

892. Toi aussi, ô (prince) inébranlable, chasse tes chagrins. Lève-toi, ô (homme) semblable à Çakra, livre-toi à la joie. La terre a été conquise selon la loi des kshatriyas. Jouis-en, ô fils de Kountî, ne sois pas dédaigneux.




CHAPITRE XXIX


ÉPISODE DES SEIZE ROIS


Argument : Krishna, pour consoler Youdhishthira, lui dit qu’il ne doit pas se désoler de la mort de ses parents ; il lui raconte une légende d’après laquelle Nârada, pour faire oublier à Sriñjaya la mort de son fils, lui cite l’exemple de plusieurs grands rois.


893. Vaiçampâyana dit : Comme l'Indra des rois, Youdhishthira Dharmapoutra, gardait le silence, le fils de Pândou, Goudâkeça (Arjouiia) dit à Hrishikeça (Krishna) :

894. Arjouna dit : Le tourmenteur des ennemis, brûlé par le chagrin (que lui cause la mort) de ses parents, est plongé dans la douleur. Madhavide, console-le.

895. Ô Janârdana, (nous) sommes de nouveau réduits au désespoir. Tu dois faire disparaître son chagrin, ô guerrier aux puissants bras.

896. Vaiçampâyana dit : L’inébranlable Govinda aux yeux de lotus, à qui le magnanime Vijaya venait de parler ainsi, se tourna vers le roi.

897. Keçava ne pouvait, en aucune façon, (craindre de voir ses paroles) rester sans effet sur Dharmarâja. Govinda, (en effet), depuis son enfance, lui était plus cher qu’Arjouna (lui-même).

898. Çauri (Krishna) aux puissants bras, aussi (ferme) qu’un pilier de pierre, ayant saisi la main (du roi), ornée de (pâte de) santal, prit la parole et rasséréna (ceux qui récoutaient).

899. Son visage aux belles dents et aux yeux agréables, brilla comme un lotus entièrement ouvert, quand le soleil vient de se lever.

900. Le Vasoudevide dit : Ô tigre des hommes, ne laisse pas la douleur dessécher ton corps, car ceux qui ont péri sur ce champ de bataille ne peuvent pas t’être rendus.

901. Ces kshatriyas, ô roi, qui sont morts dans cette grande guerre, sont comme (les rêves) qui hantent notre sommeil, et que le réveil fait évanouir.

902. C’étaient tous des héros brillants dans les combats, (ils ont été) régulièrement vaincus, la face tournée vers l’ennemi. Aucun n’a été abattu par derrière, ou en fuyant.

903. Tous, après avoir combattu contre des héros, et avoir perdu la vie, purifiés par les armes, ont atteint le Svarga. Tu ne dois pas les pleurer.

904. Fidèles aux devoirs des kshatriyas, possédant la connaissance complète des védas et des vedângas, ces héros ont atteint le refuge bienheureux qui leur était destiné. Tu ne dois pas les pleurer,

905. Après que tu as entendu (raconter) la mort (de ces) puissants maîtres de la terre. On rapporte à ce sujet une ancienne légende,

906, 907. D’après laquelle Nârada parla (en ces termes) à Sriñjaya, dévoré de chagrin (à cause de) la mort de son fils : « Ô Sriñjaya, (lui dit-il), toi ni moi, ni toutes les créatures, nous ne sommes exempts ni des peines ni des plaisirs. Nous mourrons tous. Pourquoi s’en désoler ? Écoute, je vais te raconter la grande prospérité (obtenue jadis) par (certains) rois.

908. Selon l’attention (que tu apporteras à mon récit), tu verras ton chagrin disparaître, rien qu’en entendant (l’histoire) de ces rois.

909, 910. Apaise ta douleur, et écoute-moi te raconter l’histoire de ces princes d’autrefois. Elle est agréable et magnifique, elle accroît la puissance vitale et chasse les influences néfastes des constellations malignes. La mort de Maroutta, fils d’Avikshit, est parvenue à notre connaissance, ô Sriñjaya.

911. Les magnanimes dieux, accompagnés d’Indra, Vrihaspati en tête, vinrent au sacrifice viçvasrij (qui produit tout) de ce roi,

912. Qui entre en rivalité avec Çakra Pourandara, roi des dieux, et le vainquit. Le sage Vrihaspati, désireux d’être agréable à Indra, refusa (les offres) qu’il (lui faisait de diriger son sacrifice).

913. Samvarta, le frère cadet de Vrihaspati, offrit le sacrifice. Ô le plus excellent des rois, pendant que ce monarque gouvernait le monde,

914. La terre brilla d’un éclat resplendissant. Sans avoir besoin d’être cultivée, elle se couvrait de moissons et elle était ornée de nombreux édifices religieux. Dans le sacrifice du fils d’Avikshit, les Viçvedevas exercèrent l’emploi d’assesseurs,

915. Les Marouts (celui de) serviteurs. On y vit aussi les magnanimes sâdhyas. Alors, dans ce (sacrifice) de Maroutta, les troupes des Marouts (Vents) burent le soma .

916, 917. Les offrandes surpassèrent (celles qu’auraient pu faire) les dieux, les gandharvas et les hommes. Si, ô Sriñjaya, ce (prince), quatre fois plus heureux que toi, plus pieux même que ton fils, mourut, ne te lamente pas au sujet de la mort de ton enfant. Ô Sriñjaya, nous avons entendu parler aussi de la mort de Souhotra, filsd’Atithi.

918. Maghavant fit pleuvoir de l’or sur ses (états), pendant une année entière. L’ayant obtenu pour roi, la terre justifia son nom de Vasoumatî (la riche).

919, 920. Pendant qu’il était le maître des peuples, les rivières coulaient de l’or, ô roi. Maghavant, honoré dans le monde (entier), envoya dans les rivières des tortues, des crabes, des crocodiles, des monstres marins et leurs petits, (tous d’or). En voyant arriver (ainsi) les poissons, les monstres marins, les tortues d’or,

921-923. Par centaines et par milliers, (le fils) d’Atithi souriait 19 Offrant un grand sacrifice à Kouroujângala, il abandonna aux brahmanes l’immense quantité d’or (ainsi) produite. Si cet (homme), ô Sriñjaya, quatre fois plus heureux que toi, plus pieux, même, que ton fils, est mort, ne te lamente pas sur (le trépas de) de ton enfant, qui n’avait pas offert de sacrifices, et qui n’avait pas fait d’offrandes. Efforce-toi d’apaiser (ta douleur).

924. Ô Sriñjaya, nous avons aussi entendu parler de la mort de Vrihadratha, roi d’Anga, qui fit don de mille milliers de chevaux blancs,

925. Dans un grand sacrifice qu’il offrait ; il y consacra, en sus de la dakshinâ, mille milliers de jeunes filles parées d’ornements d’or.

926. Offrant un grand sacrifice, il fit don, en sus de la dakshinâ, de mille milliers d’éléphants bien tachés.

927. Il offrit, en sus de la dakshinâ, cent centaines de mille taureaux ayant des guirlandes dorées, et que suivaient des milliers de vaches.

928. Pendant que le roi d’Anga sacrifiait sur la montagne Vishnoupada, Indra était enivré par le soma, et les brahmanes par l’abondance des dakshinâs.

929. Dans les centaines de sacrifices qu’il offrit jadis, ô Indra des rois, les dakshinâs dépassèrent (tout ce qu’eussent pu donner) les dieux, les hommes, les gandharvas.

930. Il n’est certainement jamais né, et il ne naîtra jamais, un homme (capable) de donner les richesses dont le roi d’Anga fit présent, dans les sept genres de sacrifices auxquels il eut recours pour ofiFrir le soma 20.

931. Si ce roi, ô Sriñjaya, quatre fois plus heureux que toi et plus pieux que ton fils, est mort, ne te lamente pas au sujet (de la mort) de celui-ci.

932. Ô Sriñjaya, nous avons appris aussi la mort de Çivi, fils d’Ouçînara, qui étreignait cette terre entière à la manière d’un bouclier.

933. Faisant résonner le sol du grand bruit de son char, il amena, avec ce char unique, le globe à ne reconnaître que son seul parasol royal.

934. Ce Çivi, fils d’Ouçînara offrit, dans un seul sacrifice, tous les bestiaux qu’il possédait, bœufs, chevaux et animaux des bois.

935, 936. Prajâpati pensa, ô Sriñjaya, que, parmi tous les rois, il n’avait jamais existé, et qu’il n’existerait jamais quelqu’un, autre que le râjarshi Çivi, fils d’Ouçînara, dont la force égalait celle d’Indra, capable de supporter le fardeau qu’il soutenait. Ne te lamente (donc) pas sur ton fils, qui n’avait offert ni sacrifices ni dakshinâs.

937. Si cet homme, ô Sriñjaya, quatre fois plus heureux que toi et plus pieux que ton fils, est mort, ne t’afflige pas du trépas de ton enfant.

938. Ô Sriñjaya, nous avons aussi entendu parler de la mort de Bharata fils de Doushmanta, le magnanime fils de Çakountalâ, qui avait conquis de grands biens.

939, 940. Ce très éclatant Bharata, fils de Doushmanta, ayant assigné aux dieux, trois cents chevaux auprès de la Yamounâ, vingt auprès de la Sarasvatî et quarante auprès de la Gangâ, offrit un millier d’açvamedhas et des centaines de râjasoûyas.

941. De même que les mortels ne peuvent pas atteindre le ciel avec leurs bras, tous les (autres) princes ne peuvent approcher des grandes actions de Bharata.

942. Car Bharata, qui avait (élevé de nombreux) autels, et offert plus de mille chevaux, donna mille padmas (un million de billions) à Kanva, (qui avait recueilli et élevé Çakountalâ, abandonnée aussitôt après sa naissance par sa mère Menakâ) .

943. Ô Sriñjaya, si ce (prince), quatre fois plus heureux que toi et plus pieux que ton fils, est mort, ne te lamente pas au sujet de ton enfant.

944. Nous avons aussi, ô Sriñjaya, appris la mort de Râma, fils de Daçaratha, qui eut toujours pour ses sujets, la même compassion que pour des enfants issus de son sang.

945. Quand Râma fut monté sur le trône, il se montra toujours semblable à son père, et, dans son royaume, on ne vit jamais de veuves dépourvues de protecteur.

946. Tant que Râma gouverna le royaume, les nuages versaient, en due saison, une pluie qui faisait prospérer les fruits des champs, et les vivres étaient constamment abondants.

947. Pendant que Râma gouvernait le royaume, les êtres vivants ne se noyaient pas, le feu ne causait pas d’incendies, les maladies et la crainte n’étaient pas connues.

948. Pendant que Râma gouvernait le royaume, les hommes vivaient mille ans 21 et avaient mille enfants ; ils étaient sains et réussissaient dans toutes leurs entreprises.

949. Pendant que Râma gouvernait le royaume, il n’y avait pas de contestations entre les femmes, à plus forte raison entre les hommes, et tous les sujets étaient attachés à leurs devoirs.

950. Pendant que Râma gouvernait le royaume, les hommes étaient satisfaits, ils réussissaient dans toutes leurs entreprises, ils étaient exempts de crainte, et fermes dans leurs vœux.

951. Pendant que Râma gouvernait le royaume, les arbres portaient constamment des fleurs et des fruits, sans éprouver aucun accident, et toutes les vaches donnaient un drona de lait.

952. Après avoir, pendant quatorze ans, pratiqué un grand ascétisme dans les bois, il offrit dix açvamedhas jâroûthyas non troublés 22.

953. Jeune, de teint foncé, ayant les yeux rouges, pareil à un éléphant chef de troupeau, ayant des bras qui descendaient jusqu’aux genoux, une belle bouche, des épaules de lion, de puissants bras.

954. Râma, devenu roi d’Ayodhyâ, exerça la royauté pendant dix milliers et dix centaines d’années.

955. Si ce (héroS ;, quatre fois plus heureux que toi et plus pieux que ton fils, est mort, ô Sriñjaya, ne te tourmente pas au sujet de ton enfant.

956. Nous avons, ô Sriñjaya, appris la mort de Bhagîratha. Dans son grand sacrifice, Indra but le soma et s’en enivra,

957. L’adorable Pâkaçâsana (Indra meurtrier de Pâka), le plus excellent des dieux, vainquit, par la force de son bras, de nombreux milliers d’asouras.

958. (Bhagîratha), offrant un grand sacrifice, fit don, en sus de la dakshinâ, de mille milliers de jeunes filles parées d’ornements d’or.

959. Toutes les jeunes filles étaient montées sur des chars, tous les chars étaient attelés de quatre chevaux ; à chaque char (étaient adjoints) cent éléphants mouchetés, ayant des guirlandes dorées.

960. Mille chevaux suivaient chaque éléphant, mille bœufs (suivaient chaque cheval) et un troupeau de mille chèvres ou moutons suivait chaque bœuf.

961. La Gangâ, près de laquelle (Bhagîratha) habitait, se plongea dans son sein. C’est pourquoi on l’a appelée la Bhâgîrathî. Auparavant, c’était l’Ourvacî.

962. La Gangâ, qui coule dans chacun des trois mondes, devint la fille de Ikshvâkouide Bhagîratha, qui offrait des sacrifices aux abondantes dakshinâs.

963. Ô Sriñjaya, si celui-ci, qui était quatre fois plus heureux que toi et aussi plus pieux que ton fils, est mort, ne te lamente pas à l’occasion de ton enfant.

964. Nous avons aussi appris, ô Sriñjaya, la mort du magnanime Dilîpa, dont les brahmanes racontent de nombreux exploits.

965. Ayant l’esprit uniquement appliqué à cet objet, ce roi donna aux brahmanes, dans un grand sacrifice, cette terre remplie de trésors.

966. Dans chacun des sacrifices que ce roi offrit ici-bas, le chapelain poussa devant lui, à titre de dakshinâ, mille éléphants d’or.

967. Dans (un de) ses sacrifices, il y avait un grand poteau sacrificatoire d’or, dont s’approchèrent, Çakra en tête, les dieux qui participaient à ce sacrifice.

968. Sur l’anneau d’or qui surmontait ce poteau, érigé par ce (roi), les dieux et les gandharvas dansèrent, (au nombre) de six mille, (partagés) en sept troupes.

969. Viçvâsou lui-même, au milieu d’eux, faisait résonner son luth. Chacun des êtres pensait en particulier : « Il joue pour moi. »

970. Les (autres) rois ne firent pas, (dans la suite), ce qu’avait fait le roi Dilîpa, dont les éléphants parés d’or et en rut, reposaient sur les chemins (publics).

971. Ceux qui voyaient le roi Dilîpa, qui avait cent arcs, (et qui était) véridique et magnanime, conquéraient (par cela même) le Svarga.

972. Il y avait trois sons, qui ne cessaient pas (de se faire entendre) dans la demeure de Dilîpa : le son de la récitation des védas, le son de la corde de l’arc et (le son) du mot : « Donnez. »

973. Si celui-ci, ô Sriñjaya, qui était quatre fois plus heureux que toi, et, aussi, plus pieux que ton fils, est mort, ne te lamente pas pour ton enfant.

974. Nous avons appris, ô Sriñjaya, la mort de Mândhâtar, fils de Youvanâçva, que les dieux Marouts avaient extrait, (quand il était) enfant, du flanc de son père.

975. Ce roi, riche, et vainqueur des trois mondes, tirant son origine du beurre (consacré) prishadâjya, s’était développé complètement dans le ventre du magnanime Yauvanâçva 23

976. En voyant, couché sur le sein de son père, (cet enfant) d’une beauté céleste, les dieux se disaient les uns les autres : « De qui sucera-t-il le lait ? »

977. Mais Indra dit : « Je l’allaiterai. » Çatakratou lui donna le nom de Mândhâtar (il me sucera).

978. Et alors la main d’Indra fit, pour le nourrir, couler une goutte de lait dans la bouche de ce magnanime fils de Yauvanâçva.

979. En suçant la main d’Indra, il mit cent jours à prendre sa croissance. Ce prince était, au douzième jour, (pareil à un enfant) de douze ans.

980. Il ne fallut qu’un jour, pour que la terre entière obtint (pour roi) ce magnanime et vertueux héros, semblable à Indra dans les combats.

981. Mândhâtar triompha dans les batailles, d’Angara, du roi Maroutta, d’Asita, de Gaya, et aussi de Vrihadratha, roi d’Anga.

982. Quand le fils de Yauvanâçva livrait bataille à Angara, la corde de son arc faisait un tel bruit, que les dieux pensaient que le ciel s’était brisé.

983. Là où le soleil se lève, et là aussi où il se couche, tout (l’espace qui sépare ces deux points), s’appelle le champ de Màndhàthar, fils de Yauvanâçva.

984. Ayant offert une centaine d’açvamedhas et une centaine de râjasoûyas, il donna aux brahmanes des poissons rohitas (rouges),

985. Dorés, larges d’un yojana et long de dix yojanas. Les autres hommes se partagèrent ceux (de ces poissons) qui restaient, quand les brahmanes (eurent reçu leurs parts).

986. Si celui-ci qui était, ô Sriñjaya, quatre fois plus heureux que toi, et plus pieux que ton fils, est mort, ne te lamente pas au sujet de ton enfant.

987. Nous avons aussi, ô Sriñjaya, appris la mort de Yayâti, fils de Nahousha, lui qui, ayant conquis cette terre entière avec les mers,

988. Émailla la terre d’autels, (qu’il espaçait) en s’avançant (de la longueur) d’un poteau de bois. Il circonscrivit ainsi la terre, en offrant (à chaque pas) de grands sacrifices.

989. Ayant offert des milliers de sacrifices et des centaines de vâjapeyas (offrandes de soma), il rassasia les désirs des Indras des brahmanes, (en leur abandonnant) trois montagnes d’or.

990. Après avoir tué en bataille rangée des daityas et des dânavas, dans une guerre contre les asouras, Yayâti disposa de la terre entière.

991. Dans les derniers (temps de sa vie), mettant de côté ses (autres) fils, à commencer par Yadou et Drouhyou, il intronisa à sa place (son dernier fils) Pourou, et se retira dans les bois avec ses femmes.

992. Si celui-ci (qui était), ô Sriñjaya, quatre fois plus heureux que toi, et, aussi, plus pieux que ton fils, est mort, ne te désole pas au sujet de ce fils.

993. Ô Sriñjaya, nous avons aussi entendu parler de la mort d’Ambarisha, fils de Nâbhâga, ce grand prince, que ses sujets, dont il était le protecteur, choisirent (pour personnifier) le mérite,

994. Qui, en offrant un grand sacrifice, accorda aux brahmanes, (comme aides), mille milliers de rois qui, (eux-mêmes) avaient offert dix mille sacrifices.

995. Les hommes intègres approuvèrent Ambarîsha, fils de Nâbhâga, (en disant) : « Les hommes d’autrefois n’en ont pas fait autant et les autres, (qui viendront après lui), ne le feront pas. »

996. Cent milliers et cent centaines de rois, tous offrant des açvamedhas, suivirent (avec lui) le chemin de droite, (qui mène au soleil).

997. Si celui-ci, ô Sriñjaya, quatre fois plus heureux que toi, et, aussi, plus pieux que ton fils, est mort, ne te lamente pas au sujet de ton enfant.

998. Nous avons aussi, ô Sriñjaya, entendu parler de la mort de Çaçavindou, fils de Citraratha. Ce magnanime eut cent milliers d’épouses.

999. Ce Çaçavindou eut mille milliers de fils, tous excellents archers, couverts de cuirasses d’or.

1000. Cent jeunes filles suivirent séparément (comme épouses), chacun de ces fils du roi. Cent éléphants (suivaient) chacune de ces jeunes filles. Cent chars (suivaient) chaque éléphant.

1001. Pour chaque char, il y avait cent chevaux harnachés d’or, nés dans le pays. Pour chaque cheval cent boeufs, et autant de moutons et de chèvres pour (chaque) bœuf.

1002. Ô grand roi, Çaçavindou abandonna aux brahmanes toutes ces richesses immenses, dans un grand sacrifice açvamedha.

1003. Si celui-ci, ô Sriñjaya, quatre fois plus heureux que toi, et, aussi, plus pieux que ton fils, est mort, ne te lamente pas sur ton enfant.

1004. Nous avons aussi, ô Sriñjaya, entendu parler de la mort de Gaya, fils d’Amourtarayas, ce roi qui, pendant une centaine d’années, fit sa nourriture des restes du sacrifice.

1005. Le Feu lui ayant offert un don (à son choix), voici les souhaits que forma Gaya : « Que, quand je donnerai, mes richesses soient inépuisables, et que j’aie foi dans (les règles du) devoir.

1006. Que, grâce à ta faveur, mon esprit se complaise dans la vérité, ô toi qui te nourris de l’offrande. » Il obtint du Feu, nous a-t-on dit, l’accomplissement de tous ces désirs.

1007. À la nouvelle lune, quand le mois était complet, et tous les quatre mois, il offrit une açvamedha pendant mille années consécutives.

1008. Pendant mille années entières, chaque fois qu’il accomplit un (sacrifice), il offrit cent milliers de bœufs et cent mulets.

1009. Ce taureau des hommes rassasia les dieux avec le soma, les brahmanes avec des richesses, les mânes avec des offrandes et ses femmes avec des plaisirs.

1010. Ayant fait dorer la terre sur (une largeur de) dix brasses, et sur une longueur du double, il la donna, comme dakshinâ, dans un grand sacrifice açvamedha.

1011. Gaya, fils d’Amourtarayas, offrit, ô roi, autant de vaches qu’il y a de grains de sable dans la Gangâ.

1012. Si celui-ci, ô Sriñjaya, quatre fois plus heureux que toi, et aussi, plus pieux que ton fils, est mort, ne te lamente pas sur (la mort de) ton enfant.

1013. Nous avons aussi, ô Sriñjaya, entendu parler de la mort de Rantideva, fils de Samkriti. Il obtint un don de Çakra, qu’il avait convenablement honoré.

1014. « Que nous ayons la nourriture en abondance, (avait-il demandé), que les hôtes viennent nous visiter (en grand nombre), que notre foi ne s’éteigne pas et que nous ne soyons jamais (dans la nécessité) d’implorer qui que ce soit. »

1015. Et les bestiaux, tant domestiques que sauvages, s’approchaient spontanément de ce glorieux et magnanime Rantideva, (pour être sacrifiés).

1016. Le suintement de l’amas des peaux (provenant des animaux sacrifiés), donna naissance à une puissante rivière qui, en conséquence, fut appelée la grande rivière Carmanvati (qui provient des peaux).

1017. Ô roi, dans une grande assemblée, il donna des nishkas aux brahmanes. (Quand il disait) : « Un nishka pour toi, un nishka pour toi », les brahmanes poussaient des cris (d’indignation).

1018, 1019. Mais quand il disait : « Mille nishkas pour toi, » il satisfaisait les brahmanes. Les cruches, les plats, les poêles, les pots et les vases divers, tous les ustensiles qui servaient aux repas des mânes et à contenir la nourriture, (étaient d’or). Chez le sage Rantideva, il n’y avait rien qui ne fût (de ce précieux métal).

1020. La nuit où les (hôtes) habitaient dans la maison de Rantideva, on consommait vingt mille et cent bœufs.

1021. Des cuisiniers, parés de riches joyaux et de beaux anneaux, criaient (dans la salle du festin) : « Mangez, c’est ce qu’il y a de mieux en fait de ragoûts. (Mais) nous avons (par hasard) aujourd’hui moins de viandes qu’autrefois.

1022. Si celui-ci, ô Sriñjaya, quatre fois plus heureux que toi, plus pieux, aussi, que ton fils, est mort, ne te lamente pas pour le (trépas) de ton enfant.

1023. Nous avons aussi, ô Sriñjaya, entendu parler de la mort de l’héroïque Sagara, le tigre des hommes à l’héroïsme surhumain, descendant d’Ikshvâkou.

1024. Quand il s’avançait (en bataille), soixante mille fils le suivaient, comme des troupes d’étoiles (escortent la lune) quand, le soir, la reine des constellations n’est pas couverte par les nuages,

1025. Sa splendeur fut telle, qu’alors la terre ne reconnut que son seul parasol royal. Il rassasia les dieux d’un millier d’açvamedhas.

1026, 1027. Il donna aux brahmanes qui le méritaient, un palais tout doré, orné de piliers d’or, rempli de lits de femmes aux yeux semblables à des feuilles de lotus ouverts. Il combla aussi leurs divers et nombreux désirs ; sur son indication, les brahmanes se partagèrent ces richesses.

1028. Étant en colère, il fit, dans la terre, creuser le lit de la mer, et, de son nom, le (vaste) amas des eaux fut appelé sâgara (l’Océan),

1029. Ô Sriñjaya, si celui-ci, quatre fois plus heureux que toi, et plus pieux que ton fils, est mort, ne te lamente pas sur le (trépas de) ton enfant.

1030. Nous avons oui dire que le roi Prithou, fils de Vena, était mort, lui que les maharshis réunis sacrèrent dans la grande forêt.

1031. « Il étendra les mondes. » Ainsi (dirent-ils). Et il fut (pour cela) nommé Prithou (large). On l’appela kshatriya (protecteur), parce qu’il protégea (les peuples) contre les injures (kshata).

1032. À la vue de Prithou, fils de Vena, les créatures dirent : « Nous l’aimons ». Il fut, d’après cela, appelé râja (roi), et son titre tira son origine de l’affection (qu’on lui portait), (racine ranj, aimer, être attaché à).

1033. Pendant le règne du fils de Vena, la terre donnait des fruits sans être cultivée . Dans chaque excavation on trouvait du miel, et toutes les vaches donnait un drona de lait.

1034. Les hommes, exempts de maladies, voyaient toutes leurs entreprises réussir. Ils habitaient, à leur fantaisie, au milieu des champs ou dans des maisons.

1035. Quand (Prithou) désirait aller sur mer, les eaux se solidifiaient (pour lui livrer passage), et les rivières s’écartaient (sur son chemin), (de façon que) son étendard ne rencontrât pas d’obstacles.

1036. Dans un grand sacrifice açvamedha, ce roi donna aux brahmanes vingt et une montagnes d’or, de trois nalvas de hauteur {{refl|24|num=24.

1037. Si, ô Sriñjaya, celui-ci, quatre fois plus heureux que toi, et, aussi, plus pieux que ton fils, est mort, ne te lamente pas sur (le trépas) de ton enfant.

1038. Ô Sriñjaya, pourquoi médites-tu en silence ? N’as-tu pas, ô roi, entendu mes paroles ? Ce que je t’ai (dit) n’a-t-il été qu’une lamentation inutile, (comme le seraient) des remèdes présentés à un moribond ? »

1039. Sriñjaya dit : Ô Nârada, j’ai entendu tes paroles concernant les magnanimes râjarshis aux œuvres méritoires, et célébrés par la renommée. Ton discours offre un grand intérêt. Il est comme une guirlande au parfum agréable, et il chasse le chagrin.

1040. Ô maharshi, tu n’as pas exhalé des lamentations inutiles. Rien qu’en te voyant, ô Nârada, mon chagrin a disparu : Ô homme aux paroles vraies, le désir que j’ai de t’entendre n’est pas satisfait. C’est ainsi (que l’on ne se rassasie pas) de boire le nectar.

1041. Ô homme dont la vue porte bonheur, tu pourrais m’accorder une faveur. Je suis brûlé de chagrin, ô puissant. Que ta grâce m’octroie la résurrection de mon fils, et me réunisse à lui.

1042. Nârada dit : Ton fils, que Parvata t’avait donné et qui était mort, est ressuscité. Je te rends ton fils au nombril d’or et il vivra mille ans.




CHAPITRE XXX


RÉCIT RELATIF À NÂRADA ET À PARVATA


Argument : Krishna raconte à Youdhishthira, la légende suivant laquelle Nârada et Parvata allèrent visiter Sriñjaya, puis comment ils se promirent de se communiquer tous leurs désirs ; comment ils en vinrent à se maudire réciproquement, et leur réconciliation.


1043. Youdhishthira dit : Comment le fils de Sriñjaya était-il Kâñcanashthivin (qui crache de l’or) ? Pourquoi fut-il donné par Parvata ? Comment mourut-il ?

1044. Alors que les hommes vivaient un millier d’années, comment le fils de Sriñjaya mourut-il avant d’avoir atteint la jeunesse ?

1045. Était-ce de nom seulement qu’il était Souvarnashthivin (qui crache de l’or) ? D’où lui vint le nom de Kâñcanashthivin ? Je désire savoir (tout cela).

1046. Le vénérable Krishna dit : Ô maître des hommes, je vais t’expliquer comment (les choses) se sont passées. Il y avait deux rishis, les plus parfaits du monde, Nârada et Parvata,

1047. L’oncle maternel et le fils de sa sœur. Jadis, ils descendirent du monde des dieux, poussés par le désir de se distraire parmi les hommes, ô puissant,

1048. En goûtant, pour se nourrir, le beurre clarifié des offrandes, ainsi que l’ambroisie. Nârada était l’oncle maternel, et Parvata était le fils de la sœur (de celui-là).

1049. Ces deux ascètes parcoururent le monde, profitant des jouissances humaines, suivant les endroits où ils se trouvaient.

1050, 1051. S’aimant beaucoup, ils se plurent à faire une convention, d’après laquelle tout désir qui naîtrait dans le cœur de l’un d’eux, qu’il fût bon ou mauvais, devait être communiqué à l’autre. Celui qui y manquerait et qui déguiserait ses désirs, encourrait la malédiction (de son compagnon). Ces deux maharsis honorés du monde (entier), ayant pris cet arrangement,

1052. S’approchèrent du roi Sriñjaya, fils de Çvitya, et lui dirent : « Dans ton intérêt, nous habiterons un certain temps avec toi.

1053. Veille à nos besoins, ô protecteur de la terre. » Le roi, faisant ce qu’ils lui demandaient, les traita bien et les reçut honorablement.

1054, 1055. Un jour, le prince, très satisfait, dit à ces deux magnanimes ascètes : « Voici ma fille unique aux charmantes couleurs. Elle est belle, son corps est sans défaut. Elle a un bon caractère. Elle veillera sur vous deux.

1056. Cette enfant s’appelle Soukoumârî (belle fille). Elle a l’éclat d’une tige de lotus. » — « Très bien, » dirent les deux (rishis). Le roi donna (à sa fille) ses ordres en ces termes :

1057. « Ô jeune fille, soigne ces deux prêtres, comme si c’étaient des dieux ou des pitris. » La jeune fille, soumise à ses devoirs, ayant répondu à son père : « Soit »,

1058. Les soigna et les traita honorablement tous les deux. Sa beauté incomparable et les services qu’elle leur rendait.

1059-1061. Eurent rapidement pour effet (de permettre) au dieu de l’amour de s’approcher de Nârada, et de se glisser doucement dans son cœur, (avec) les désirs (qu’il traîne à sa suite), comme la lune quand elle se dirige vers la moitié brillante (de son cours). Cet ascète, qui, (cependant), connaissait ses devoirs, eut honte et (n’osa pas) dire au magnanime Parvata, que son cœur était brûlant (de passion). Mais (celui-ci) s’en aperçut à ses gestes et à (la manière dont il se livrait à) ses austérités.

1062. Alors, dans sa colère, il maudit, (aussi) énergiquement (qu’il était en son pouvoir), Nârada qui était atteint par l’amour, et lui dit : « Tu as accepté de faire une convention avec moi .

1063, 1064. Nous devions nous communiquer l’un à l’autre les désirs, bons ou mauvais, qui naîtraient dans notre cœur, (ainsi que) tu me l’as dit. Cette parole a été violée par toi, ô brahmane ; aussi je te maudis, car tu ne m’as pas prévenu, que l’amour naissait en toi

1065. Pour la jeune Soukoumârî. Aussi, je te maudis, car, étant brahmane, ascète et mon gourou,

1066. Tu as manqué à la convention arrêtée réciproquement entre nous deux. Sache donc que, dans ma colère, je te maudis.

1067. Il n’est pas douteux que Soukoumârî ne devienne ton épouse ; mais, à partir de ton mariage, tu prendras la forme d’un singe,

1068-1070. Et les autres hommes verront disparaître ta forme naturelle. » Nârada, entendant celui dont il était l’oncle maternel, lui parler ainsi, maudit à son tour ce Parvata, fils de sa sœur, (et lui dit) : « Malgré ton ascétisme, malgré ton état de brahmacârin, quoique tu sois attaché à la vérité et que tu aies dompté tes sens, quoique tu sois toujours attaché au devoir, tu n’atteindras pas le Svarga. » Et ces deux (mounis), très irrités, s’étant réciproquement maudits, pleins de colère,

1071. S’avancèrent l’un contre l’autre, comme deux grands éléphants en fureur. Parvata, aux grandes pensées, erra sur toute la terre,

1072-1074. Honoré comme il convenait pour son énergie, ô Bharatide. Nârada, le plus grand des brahmanes, obtint légalement pour épouse l’irréprochable Soukoumârî, fille de Sriñjaya, et au moment même de la prononciation des formules qui consacraient le mariage, Soukoumârî vit le devarshi Nârada prendre un visage de singe, comme la malédiction (l’avait prescrit),

1075. Sans le mépriser pour cela. Elle s’approcha de son époux avec affection, et, même au fond de son cœur, elle ne songea pas à un autre,

1076. Ô Dieu, mouni ouyaksha, en qualité d’époux. Puis, un jour, l’adorable Parvata, errant à l’aventure,

1077. Vit Nârada dans un certain bois solitaire. Après l’avoir respectueusement salué, Parvata lui dit :

1078, 1079. « Fais-moi la grâce de me permettre d’aller au Svarga. » En voyant Parvata incliné et triste, Nârada qui, lui-même, était plus triste que lui, lui répondit : « J’ai été, le premier, maudit par toi, lorsque tu m’as dit : Tu seras singe. »

1080. En t’entendant parler ainsi, je t’ai, dans ma colère, maudit à mon tour, (et je t’ai dit) : « Dorénavant, tu n’habiteras plus le Svarga. »

1081. (Une telle façon d’agir) n’était pas convenable pour toi, qui étais en quelque sorte mon fils. » Les deux mounis retirèrent alors leurs malédictions réciproques.

1082. En voyant Nârada resplendissant d’une beauté divine, Soukoumârî s’enfuit, craignant que ce ne fut un autre que son mari,

1083. Et Parvata, voyant cette femme irréprochable s’enfuir, lui dit : « C’est ton époux, n’hésite pas (à le recevoir).

1084. C’est l’adorable maître Nârada, dont l’âme est entièrement appliquée au devoir. Son cœur est inséparable du tien. N’aie aucun doute à cet égard. »

1085. Cette (femme), implorée à plusieurs reprises par Parvata, et ayant entendu (le récit) de la malédiction de son mari, rentra en elle-même.

1086. Puis, Parvata alla au Svarga, et Nârada rentra dans sa demeure.

1087. Le Vasoudevide dit : Ô le plus grand des hommes, l’adorable rishi Nârada t’expliquera tout ; interroge-le et il te dira comment (les choses) se sont passées.




CHAPITRE XXXI


LÉGENDE DE LA NAISSANCE DE SOUVARNASHTHIVÎN


Argument : Nârada raconte à Youdhishthira la naissance, la mort et la résurrection de Souvarnashthivin.


1088. Vaiçampâyana dit : Alors le roi fils de Pândou s’adressa à Nârada (en ces termes) : « Ô adorable, je désire apprendre l’origine de Souvarnashtliivin (qui crache de l’or). »

1089. Interrogé ainsi par Dharmarâja, le mouni Nàrada lui raconta ce qui concernait Souvarnashthivin.

1090. Nârada dit : Ô guerrier aux bras puissants, les choses sont comme Keçava, que voici, te les a racontées. Puisque tu me le demandes, je vais t’exposer le reste de l’histoire.

1091. Nous allâmes, moi et le grand mouni Parvata, fils de ma sœur, trouver Sriñjaya, le plus grand des (princes) victorieux, (parce que nous) désirions habiter chez lui.

1092. Honorés par lui conformément aux préceptes, ayant tous nos désirs satisfaits, nous séjournâmes tous les deux dans sa demeure .

1093. La saison des pluies étant passée et le moment du départ étant venu, Parvata me fit une communication importante et qui était de saison.

1094. « Tous les deux, (me dit-il), comblés d’honneurs, nous avons habité dans la maison de ce roi. Maintenant, ô brahmane, réfléchis aux moyens de l’obliger. »

1095. Ô roi, je répondis alors au beau Parvata : « Ô puissant fils de ma sœur, ce soin t’incombe.

1096. Que le roi soit rendu heureux, par la satisfaction d’un souhait (qu’il formera) ; qu’il voie tous ses désirs comblés. Qu’il en obtienne l’accomplissement, si tu le juges convenable, par l’effet de nos pratiques ascétiques. »

1097. Alors, ayant appelé le roi Sriñjaya, le plus grand des (princes) victorieux, Parvata lui adressa ces paroles agréables, ô taureau des Kourouides :

1098. « Ô roi, nous sommes satisfaits de tes bons procédés, et de ta droiture à notre égard. Ô homme excellent, nous t’autorisons à former un souhait, (que nous rendrons efficace),

1099. Pourvu qu’il ne soit pas dommageable pour les dieux, et qu’il n’entraîne pas la ruine des hommes. Accepte cette (faveur) dont, tous les deux, nous te jugeons digne, ô grand roi. »

1100. Sriñjaya dit : Si mes deux honorables (hôtes) sont satisfaits, tout ce que (je puis désirer) est accompli, et j’ai retiré (de leur visite) un grand profit, et (d’heureuses) conséquences.

1101. Mais Parvata répondit au (roi) qui parlait ainsi : « Exprime le désir que tu nourris depuis longtemps dans ton cœur, ô roi. »

1102. Sriñjaya dit : « Je désire obtenir pour fils un héros fort, ferme dans ses vœux, dont la vie soit longue et heureuse, et qui soit aussi éclatant que le roi des dieux. »

1103. Parvata dit : Ton désir sera accompli, sauf que (ton fils) n’aura pas une longue vie, car le souhait formé dans ton cœur, tend (à lui donner) la supériorité sur le roi des dieux.

1104. Ton fils sera appelé Souvarnashthivin (qui crache l'or) ; il aura un éclat comparable à celui du roi des dieux, mais il faudra le protéger contre (les coups) du souverain des immortels.

1105. Ayant entendu ces paroles du magnanime Parvata, Sriñjaya (lui adressa) cette prière : « Qu’il n’en soit pas ainsi.

1106. Qu’à la faveur de tes pratiques ascétiques, mon fils obtienne une longue vie. » Mais, par considération pour Indra, Parvata ne lui répondit rien.

1107. Pour moi, je dis à ce monarque affligé : « Ô grand roi, pense à moi, et je te ferai revoir ton fils.

1108. Ne pleure pas, ô maître de la terre, je te rendrai ton fils bien-aimé sous une forme (vivante), après qu’il sera tombé au pouvoir du roi des morts. »

1109. Après que nous eûmes tenu ce langage au roi, nous nous en allâmes où il nous plut, et Sriñjaya rentra chez lui à son gré.

1110. Au bout d’un certain temps, il naquit au râjarshi Sriñjaya un fils au grand héroïsme, d’un éclat en quelque sorte flamboyant.

1111. Il grandit en son temps, pareil à un lotus bleu dans un étang. Il fut appelé Kañcanashthivin et vérifia : son nom, (car il crachait l’or).

1112. Ô le plus excellent des Kourouides, ce prodige se divulgua dans le monde, et l’Indra des dieux connut que c’était le résultat d’un don (accordé) par le maharshi (Parvata).

1113. Alors, effrayé, craignant d’être humilié, s’appuyant sur l’opinion de Vrihaspati, le meurtrier de Bala et de Vritra se mit à surveiller les fautes de l’enfant.

1114. Il donna un ordre à son arme divine, la Foudre, qui se tenait devant lui sous sa forme corporelle, en lui disant : « Ô puissant, deviens un tigre et triomphe de cet enfant royal.

1115. Certainement, quand il sera devenu grand, ce fils de Sriñjaya m’humiliera par ses œuvres, comme Parvata le lui a prédit, ô Foudre.

1116. Après avoir reçu cet ordre de Çakra, la Foudre victorieuse des villes ennemies, suivait continuellement l’enfant, en surveillant ses fautes.

1117. Ô Sriñjaya, heureux d’avoir obtenu un fils, comparable en éclat au roi des dieux, se mit, avec son sérail, à habiter constamment les bois.

1118. Un jour, cet enfant, accompagné de sa seule nourrice, errait, pour s’amuser, dans un bois solitaire, sur le bord de la Bhâgirathi.

1119. Agé de cinq ans (seulement), il avait la force d’un éléphant chef de troupeau. Il rencontra un tigre puissant, qui fondit sur lui à l’improviste.

1120. Ce jeune prince, tremblant, mis en pièces par cette (bête furieuse), tomba à terre sans vie, (pendant) que la nourrice poussait de (grands) cris.

1121. Après avoir tué le fils du roi, ce tigre disparut ; il disparut, grâce au pouvoir magique du roi des dieux.

1122. En entendant les gémissements de la nourrice qui criait comme une personne très affligée, le roi, lui-même, accourut en ce lieu.

1123. Il vit gisant, cet enfant que la vie avait abandonné avec les plaisirs (de son âge), dont le sang avait été bu (par la terre), semblable (en éclat) à une lune tombée (du ciel).

1124. Alors, ayant levé contre son sein l'enfant baigné de sang, le roi, l’esprit torturé et malade de douleur, se mit à gémir sur (le sort de) son fils.

1125. Puis, les épouses (du roi), tourmentées par le chagrin, accoururent en pleurant, vers le lieu où se trouvait le roi Sriñjaya.

1126. Ce roi, qui avait perdu l’esprit, se souvint (cependant) de moi. Alors, m’étant aperçu qu’il songeait à moi, j’apparus à ses yeux.

1127. Je fis à ce moment, ô maître de la terre, entendre à cet (homme dévoré) par le chagrin et les regrets, les paroles que le héros d’Yadou a rapportées.

1128. Et alors aussi, avec la permission de Vâsava, je rappelai (son fils) à la vie. Ce qui doit arriver arrive, et il est impossible qu’il en soit autrement.

1129. Dans la suite, l’héroïque enfant Svarnashthivin réjouit le cœur de son père et de sa mère.

1130. Et quand son père fut monté au Svarga, ô roi, il exerça la royauté avec un héroïsme redoutable, pendant onze cents ans.

1131. Ce (prince) très éclatant rassasia les dieux et les pitris, et offrit de grands et nombreux sacrifices aux abondantes dakshinâs.

1132. Puis, après avoir engendré de nombreux fils, qui étendirent sa race, après un long règne, ô roi, il subit la loi du temps.

1133. Toi aussi, ô Indra des rois, chasse le chagrin qui s’est glissé dans ton cœur. Comme Keçava et Vyâsa au grand ascétisme te l’ont (déjà) dit.

1134. Assume le pouvoir royal de ton père et de tes ancêtres, et portes-en le fardeau. Après avoir offert de grands sacrifices, tu atteindras les mondes désirés.




CHAPITRE XXXII


RÉCIT RELATIF À L’EXPIATION


Argument : Vyâsa indique à son petit-fils, ce qu’il convient qu’il fasse.


1135. Vaiçampâyana dit : L’ascète Krishnadvaipâyana, connaisseur des devoirs, parla au roi Youdhishthira, qui pleurait et restait silencieux.

1136. Vyâsa dit : La protection des sujets est le devoir des rois, ô homme aux yeux de lotus. Pour celui qui (veut) accomplir ses devoirs, le devoir est la loi (suprême) du monde.

1137. Alors, ô roi, suis les traces de ton père et de tes ancêtres. Pour le brahmane, rascétisme est le devoir constamment prescrit par les védas.

1138. Ô excellent Bharatide, c’est la règle éternelle des brahmanes. Le kshatriya doit protéger, en totalité, (l’accomplissement) de ce devoir.

1139. Celui qui, lui-même abandonné à la volupté, résiste aux (justes) commandements, et trouble la marche (régulière) du monde, doit être arrêté par le bras du roi.

1140. Si un fou, qu’il soit serviteur, fils ou ascète, fait dégénérer l’autorité en désordre,

1141. Il faut réprimer ces maux par tous les moyens possibles, ou bien (leur auteur) doit disparaître. Le roi qui agirait autrement, commettrait une faute.

1142. Celui qui ne protégerait pas le devoir exposé à sombrer, serait le meurtrier du devoir. Ceux qui ont été tués par toi avec leurs acolytes, étaient des meurtriers du devoir.

1143. Après être resté fidèle à ton devoir, pourquoi donc te lamentes-tu, ô fils de Pândou ? Car, d’après la loi, le roi doit frapper (ceux qui le méritent). Il doit donner (libéralement), et protéger les sujets.

1144. Youdhishthira dit : Ô ascète, je ne mets pas en doute les paroles que tu viens de m’adresser. Tu es le premier des hommes au courant des devoirs, et la vertu est toujours présente à tes yeux,

1145. Mais, en vue (d’acquérir) la royauté, j’ai fait tuer de nombreux (héros), qui n’auraient pas dû être frappés, et ces actions, ô brahmane, me consument.

1146. Vyâsa dit : Ou bien c’est le maître (suprême des mondes) qui agit, ou bien c’est l’homme. Ou bien c’est la force ou bien c’est le fruit des œuvres (antérieures), ô Bharatide, (qui gouverne tout) dans l’univers.

1147. Certes, ô Bharatide, l’homme accomplit ses actes bons ou mauvais, sous l’impulsion irrésistible du Maître. Leurs conséquences retombent donc sur le Maître,

1148. De même que si, dans une forêt, un homme coupe un arbre avec une hache, le péché retombe sur l’homme qui a coupé (l’arbre), et nullement sur la hache.

1149. Ou bien (faut-il dire) que le péché est commis par le bâton ou par l’arme (qui a servi à frapper), parce que (le bâton ou l’arme) est la cause matérielle de l’action, et en recueillera les fruits, et ne voir (aucune faute) dans l’homme qui a frappé ?

1150. Ô fils de Kountî, il n’est pas admissible, qu’un individu recueille les conséquences des actes d’un autre. Impute donc tout au Maître.

1151. Ou bien, (faut-il dire que) l'homme est l’auteur (véritable) de ses œuvres, bonnes ou mauvaises, qu’il n’a pas de supérieur, et qu’ainsi (tout ce qu’il a fait) est bien fait ?

1152. Certes, personne ne peut se soustraire à l’action du destin, ô roi. Le péché est commis par le bâton ou l’arme, (que le destin a mis entre les mains de l’homme qui le commet), et il n’est pas imputable à l’homme.

1153. Ou bien, si tu penses, ô roi, qu’il est fixé à l’avance qu’un (homme sera) tué, il n’y a pas eu et il n’y aura pas d’acte coupable, dans (la perpétration de) ce meurtre.

1154. Il faut faire, en ce monde, acception (de la notion) du bien et du mal, et, cela accepté, (la nécessité) du châtiment infligé par les rois (en est la conséquence).

1155. C’est ainsi, ô Bharatide, que les actions se produisent dans le monde, et on en obtient les fruits bons ou mauvais. Telle est ma pensée.

1156. Ainsi donc, ô tigre des rois, une œuvre mauvaise est le propre fruit d’une œuvre (antérieure mauvaise). Abandonne (le souvenir de ce qui s’est passé), et ne t’afflige pas.

1157. Ô Bharatide, fidèle à ton devoir, même si (ta conduite) est blâmable, il n’y a pas lieu de sacrifier ta vie. Cela ne te purifierait pas, ô roi.

1158. Ô fils de Kountî, celui qui a un corps, peut accomplir les expiations prescrites pour les actions (mauvaises). Celui qui n’a plus de corps périrait (faute de pouvoir les accomplir).

1159. Ô roi, en vivant, tu te livreras à ces œuvres expiatoires. Si tu ne t’y livres pas, tu souffriras dans l’autre monde, ô Bharatide.




CHAPITRE XXXIII


RÉCIT RELATIF À L'EXPIATION


Argument : Youdhishthira réitère l’exposé de ses motifs de désespoir. Vyâsa, en continuant à le calmer, lui explique que ceux qui sont morts, ont été tués par le destin et non par lui. Il l’engage à se consoler, à offrir des sacrifices et à remplir ses devoirs de roi.


1160. Youdhishthira dit : Les fils, les petits-fils, les pères, les beaux-pères, les gourous, les oncles maternels et les grands-pères ont été tués,

1161. Ainsi que de magnanimes kshatriyas, des alliés, des amis, des compagnons, les fils des sœurs et des parents, ô grand oncle.

1162. Ambitieux de la royauté, ô grand oncle, j’ai, à moi seul, fait massacrer de nombreux rois originaires de différents pays.

1163. Après avoir fait tuer de tels maîtres de la terre, constamment attachés à leurs devoirs, des héros qui, à plusieurs reprises, avaient bu le soma, quel sera mon sort, ô ascète ?

1164. Maintenant, je brûle sans cesse (de terreur), en réfléchissant que cette terre a été privée de ces fameux rois, (semblables à des) lions.

1165. Je suis dévoré de chagrin, ô grand-père, ayant été témoin du meurtre de mes parents et ayant vu tuer des centaines d’étrangers, et des dizaines de millions d’autres hommes.

1166. Quelle sera maintenant la situation de ces femmes d’élite, privées de leurs époux, de leurs enfants et de leurs frères ?

1167. Émaciées, tristes, nous accusant par leurs cris, nous, les Pândouides et les Vrishniens, d’être de cruels meurtriers, elles se jetteront à terre.

1168. En ne voyant plus leurs pères, leurs frères, leurs fils, toutes (ces) femmes, renonçant à la vie, iront au séjour d’Yama,

1169. Poussées par leurs tendres sentiments (pour les morts), ô le plus excellent des brahmanes, il n’y a aucun doute à cela. Il est certain, que par une subtilité (d’interprétation) de la loi, nous serons considérés comme les meurtriers de ces femmes.

1170. En sorte que, après avoir tué nos amis et commis un péché inexpiable, nous tomberons dans l’enfer, la tête la première.

1171. Ô très excellent (ascète), nous détruirons nos corps par des austérités rigoureuses, (pour éviter ce malheur). Toi, ô grand oncle, enseigne-nous les pratiques particulières des (divers) genres de vie (ascétique).

1172. Vaiçampâyana dit : Après avoir entendu ces paroles de Youdhishthira, le rishi Dvaipâyana réfléchit attentivement, et parla avec sagesse, (en ces termes), au fils de Pândou.

1173. Vyâsa dit : Ô roi, en te rappelant les devoirs des kshatriyas, ne t’abandonne pas au désespoir. Les kshatriyas (qui ont péri), ont été tués conformément au devoir (même) des kshatriyas, ô taureau de la caste des kshatriyas. 1174. Désireux (de jouir), sur terre, d’une entière prospérité et d’une grande gloire, soumis à la loi du destin, ils ont trouvé la mort (par l’effet même) du temps.

1175. Ce n’est pas toi qui les as tués, ni Bhîma que voici, ni Arjouna, ni les jumeaux non plus. Le temps, dans sa course, ravit la vie des êtres corporels.

1176. Pour lui, il n’y a ni père, ni mère, ni personne qui doive être favorisé. Le temps, par qui toutes les créatures sont exterminées, est le témoin de leurs œuvres.

1177. Cette guerre, ô taureau des Bharatides, n’a été qu’un moyen établi par lui, pour exterminer les êtres les uns par les autres. C’est une des manières dont il manifeste son souverain pouvoir.

1178. Sache que le temps, témoin du bien et du mal, est comme un fil qui relie nos actions entre elles. Il produit les qualités liées à la peine et au plaisir. Il nous apporte les conséquences que le destin assigne (à nos œuvres).

1179. Ô guerrier aux puissants bras, réfléchis aux actions de ceux (qui ont péri). Elles ont été le motif de leur destruction, et c’est par elles qu’ils ont subi le pouvoir du temps.

1180. Connais aussi les vœux qui te sont prescrits (comme) obligatoires, quand tu t’es livré à un acte que le destin t’a fait accomplir.

1181. Comme un outil construit par un ouvrier, et (obéissant) à la volonté de celui qui l’emploie, ce monde se meut, (en produisant) des actions déterminées par le temps.

1182. En voyant que la naissance et la destruction de l’homme, ont lieu selon (la révolution) du temps, le chagrin et la joie n’ont pas de raison d’être.

1183. La faute même (qui pourrait se trouver) dans (ce que tu as fait), n’est qu’une illusion de ton esprit, ô roi. Puisque tu désires en faire l’expiation, fais-la.

1184. Ô fils de Prithâ, voici ce qu’on rapporte, à propos de la guerre des dieux contre les asouras. Les asouras étaient les frères aînés des dieux, et ceux-ci leurs cadets.

1185. Il s’éleva entre eux une grande querelle au sujet de la prééminence, puis un combat qui dura trente-deux milliers d’années.

1186. Après avoir inondé la terre de sang, au point de la transformer entièrement en mer, les dieux tuèrent les daityas et obtinrent le Tridiva (triple ciel).

1187. Et, même après avoir obtenu (la jouissance de) la terre, des brahmanes entièrement instruits des védas, (mais) égarés par l’orgueil, s’unirent pour assister les dânavas.

1188. Ils furent appelés dans les trois mondes Çâlâvrikas (hyènes), et, au nombre de quatre-vingt-huit mille, ils furent tués par les dieux.

1189. Ceux qui souhaitent l’anéantissement du devoir, et qui poussent à faire ce qui lui est contraire, doivent être tués, comme les monstrueux daityas le furent par les dieux.

1190. Si, quand on frappe un seul (homme) dans une famille, le reste de la famille s’en trouve bien, ou si le royaume (est dans le même cas), quand on frappe une seule famille, cette rigueur n’est pas condamnable.

1191. Parfois, ce qui a l’apparence de l’illégalité, devient le devoir et le devoir prend l’aspect de l’illégalité, ô roi. L’homme intelligent doit savoir cela.

1192. Prends donc courage, ô fils de Pândou. Tu connais la çrouti ; tu as suivi la route parcourue avant toi par les dieux, ô Bharatide.

1193. Des hommes tels que (vous) n’iront certainement pas en enfer, ô taureau des Pândouides. Prends courage, et réconforte tes frères et tes amis, ô tourmenteur des ennemis.

1194. Certes, celui qui, après avoir réfléchi sur une affaire dont le début est criminel, s’y livre cependant, est (coupable) et impudent.

1195. Il est responsable de toute la perversité de cette action . Voici ce qui est déclaré : « Il n’y a pour lui, ni expiation, ni atténuation (possible) de sa faute. »

1196. Mais toi, tu es d’une noble race ; sans le vouloir, c’est par la faute d’autrui que tu as commis ces actes cruels, et tu t’en repens.

1197. Le grand sacrifice açvamedha est l’expiation requise (dans ton cas). Offre-le, ô grand roi, et tu seras exempt de péché.

1198. L’adorable Pâkaçâsana, après avoir vaincu les ennemis avec l’aide des Marouts, et avoir offert cent sacrifices l’un après l’autre, (est devenu) Çatakratou (Indra, aux cent sacrifices).

1199. Lavé de ses péchés, ayant conquis le Svarga, ayant atteint les régions bénies, Çakra, entouré des Marouts, illumine de son éclat les diverses régions de l’horizon.

1200. Les rishis et les dieux entourent, avec les apsaras, le roi des immortels, l’époux de Çâcî, qui se réjouit dans le monde du Svarga.

1201. Cette terre est régulièrement venue en ton pouvoir, et (les rois), ses protecteurs, ont été vaincus par ton héroïsme, ô homme sans péché.

1202. Ô roi, accompagne tes amis dans leurs anciens royaumes, intronise chacun d’eux dans sa royauté, leurs frères, leurs fils ou leurs petits-fils.

1203. Traitant avec douceur les enfants, même ceux qui sont (encore) en chemin (pour naître), rendant tous les peuples heureux, protège la terre.

1204. Pour (succéder aux rois qui n’ont pas laissé) de fils, sacre leurs filles, car les femmes sont remplies de désirs. (En agissant) ainsi, tu égaieras le chagrin même.

1205. Après avoir ainsi consolé tous les royaumes, ô Bharatide, offre un vâjimedha, à l’exemple d’Indra victorieux.

1206. Ô taureau des kshatriyas, ces magnanimes kshatriyas ne doivent pas être pleures. Affolés par le pouvoir du dieu de la mort, c’est par leurs propres œuvres qu’ils ont été conduits à leur destruction.

1207. Tu as accompli les devoirs des kshatriyas. Tu as gagné une royauté, (désormais) dépourvue d’épines. Protège la vertu, ô fils de Kountî, et tu seras (encore) plus grand dans l’autre monde, ô Bharatide.




CHAPITRE XXXIV


SUITE DU PRÉCÉDENT


Argument : Vyâsa indique les actes coupables, qui rendent l’expiation nécessaire.


1208. Youdhishthira dit : Quels sont les actes dont l'accomplissement nécessite des expiations, et que faut-il que l’homme fasse, pour être absous (de ses péchés). Dis-moi cela, ô grand oncle .

1209. Vyâsa dit : L’homme qui ne se conduit pas comme il doit, celui qui ne fait pas ce qui est prescrit, et qui fait ce qui est défendu, doit expier (de pareilles fautes).

1210. Le brahmane qui est surpris (au lit) par le soleil levant, celui qui y est surpris par le soleil qui se couche, celui qui a les ongles mal entretenus, les dents noires,

1211. Le frère aîné dont le cadet se marie avant lui, le cadet qui se marie avant son aîné, le brahmicide, le médisant, celui qui a épousé la sœur aînée, après avoir contracté mariage avec la cadette, celui qui a épousé la cadette avant que la sœur aînée ne soit mariée,

1212. Celui qui viole son vœu de chasteté, le meurtrier d’un brahmane, le brahmane qui fait part de la science sacrée à une personne qui n’en est pas digne, et celui qui ne la communique pas à la personne qui en est digne.

1213. Celui qui pille un village, celui qui fait commerce de chair, celui qui abandonne les feux (sacrés qu’il était chargé d’entretenir), et cehii qui fait commerce de la science sacrée,

1214. Celui qui a tué un gourou, ou une femme, est coupable, et le premier l’est plus que le second. Celui qui tue inutilement les bestiaux, et celui qui cause l’incendie d’une maison,

1215. Celui qui agit avec fausseté, et celui qui contredit son gourou, ainsi que celui qui viole ses conventions ; (les auteurs de) tous ces actes (commettent) des péchés, qui réclament une expiation.

1216. Je vais t’exposer les choses qu’on ne doit pas faire, et qui sont défendues par les lois civiles, (aussi bien) que par les védas. Apprends ce qu’il en est, en m’écoutant, avec l’esprit fixé sur cette seule question.

1217. L’abandon de son propre devoir, et le fait de suivre une règle étrangère, le sacrifice d’une chose qui ne doit pas être sacrifiée, le fait de manger ce qui ne doit pas être mangé,

1218. L’abandon de celui qui implore notre secours, ne pas nourrir son serviteur, faire le commerce des boissons malfaisantes, tuer les animaux,

1219. Ne pas allumer, quand on le peut, le feu (sacré), et tout ce qui s’en suit, ne pas célébrer les sacrifices, qui doivent être périodiquement offerts,

1220. S’abstenir d’offrir des dakshinâs, manquer, par ses gestes, aux égards qui sont dus à un brahmane, (voilà) des choses que ceux qui connaissent la loi, déclarent interdites.

1221. Le fils qui se querelle avec son père, l’homme qui déshonore le lit de son gourou, celui qui n’engendre pas (d’enfants), ne remplissent pas leurs devoirs, ô tigre des hommes.

1222. Je l’ai dit en détail, et en abrégé, (quels sont) les actes qui, quand l’homme les commet ou les néglige, le rendent sujet (à subir) une expiation.

1223. Écoute maintenant dans quels cas, les hommes qui accomplissent les actions n’en sont pas souillés.

1224. Celui qui se dispose à tuer un (brahmane) très versé dans la science des védas, qui, ayant saisi une arme, s’avance contre lui pour le tuer en combattant, n’est pas pour cela, meurtrier d’un brahmane.

1225. Il y a, à cet égard, ô fils de Kountî, un précepte des védas qui le déclare. Je te cite la loi, telle qu’elle est établie par l’autorité des védas :

1226. « Celui qui tue un brahmane qui, sortant de son caractère, l’a attaqué, n’est pas pour cela brahmicide. Sa colère ne fait que s’élever contre la colère (de son assaillant).

1227. Celui qui fait usage d’une liqueur enivrante, par ignorance, ou quand sa vie est en danger, et sur l’avis de personnes vertueuses (et instruites, n’est pas, non plus, coupable), mais il doit faire pénitence. »

1228. Ô fils de Kountî, on t’a déclaré ce qui concerne le fait de manger ce qui ne doit pas être mangé. Toute (infraction à ce précepte) peut être expiée, (en appliquant) la règle relative à l’expiation.

1229. Certes, le lit du gourou ne souille pas l’homme qui (s’en approche) dans l’intérêt du gourou (lui-même). Ouddâlaka engendra Çvetaketou, par l’intermédiaire d’un de ses disciples.

1230, 1231. Commettre un vol dans l’intérêt du gourou, dans des temps difficiles, n’est pas interdit. Si ce n’est pas pour satisfaire ses propres désirs, celui qui, pour (donner) aux brahmanes, s’attaque à plusieurs reprises à d’autres qu’eux, ne pèche pas, et celui qui n’en profite pas lui-même, n’est pas souillé par le péché.

1232. On peut dissimuler la vérité, pour protéger sa vie ou celle d’un autre, dans l’intérêt du gourou, ou en s’adressant aux femmes, quand il s’agit de mariage.

1233. Le vœu (de chasteté] n’est pas enfreint, par l’écoulement du sperme pendant le sommeil. (En pareil cas), une offrande de beurre âjya sur un feu allumé, est prescrite comme expiation.

1234. Il n’y a pas (faute résultant) du mariage du cadet avant l’aîné, quand (celui-ci) a péri ou a quitté (le pays). L’adultère auquel on a été sollicité, ne transgresse pas le devoir.

1235. Il ne faut ni tuer, ni faire tuer les bestiaux inutilement, car la bienveillance envers les animaux est prescrite par la loi.

1236. Un don fait, par ignorance, à un brahmane indigne n’entraine pas de faute, pas plus que de ne pas agir avec bienveillance, (aussi par ignorance), envers une personne digne (d’être mieux traitée).

1237. On ne pèche pas, en renvoyant (dans sa famille) une femme adultère. (Par là) cette femme est purifiée, et l’époux n’en reçoit pas de souillure.

1238. La vente du soma n’est pas condamnable, quand (celui qui le vend) sait (que c’est) pour son véritable (et légitime) emploi. L’abandon d’un serviteur incapable n’entraîne pas de faute.

1239, 1240. L’incendie d’un bois, effectué dans l’intérêt des bœufs, ne rend pas fautif. Je t’ai indiqué les actions dont l’accomplissement n’entraine pas le péché. Je vais maintenant, ô Bharatide, t’exposer en détail, les expiations (prescrites pour les diverses fautes que l’on peut commettre) .




CHAPITRE XXXV


SUITE DU PRÉCÉDENT


Argument : Vyâsa expose les expiations prescrites pour les différentes fautes.


1241. Vyâsa dit : S’il ne commet pas de nouvelles fautes, l’homme se purifie de son péché par l’ascétisme, les œuvres (prescrites), et la libéralité.

1242. Ne mangeant qu’une fois le jour, se servant soi-même, pratiquant la mendicité un crâne à la main et portant le khatvânga (bâton de moine mendiant, formé d’une triple tige et couronné d’un crâne), se faisant brahmacârin, toujours prêt à agir,

1243. Ne murmurant pas, couchant sur la terre, confessant son crime dans le monde, pendant douze années complètes, le brahmicide est délivré (de son péché).

1244. Ou bien (qu’il s’offre) de lui-même, comme but, à ceux qui exercent le métier des armes, sur l’avis de gens instruits, ou bien (encore), qu’il se jette trois fois, la tête la première, dans un feu allumé,

1245. Ou qu’il parcoure cent yojanas, en récitant successivement les védas, ou qu’il donne tout son bien à un brahmane instruit des védas.

1240. Ou bien (qu’il donne, à un brahmane instruit), assez de biens pour assurer sa vie, ou bien une maison avec le train de vie (qu’elle comporte), et (qu’il se fasse aussi) le protecteur des vaches et des brahmanes.

1247. L’homme qui a tué un brahmane, et qui (se soumet) au genre de vie de Kricchrabhogin (vivant péniblement), est purifié par six années (de cette pénitence). Celui qui (ne) mange (que) chaque mois, est délivré au bout de trois années.

1248. Celui qui ne mange qu’une fois par mois, se purifie (généralement) en une année, des (fautes qu’il a commises). Celui aussi, ô roi, qui observe un jeûne (complet), se purifie entres peu de temps.

1249. Il n’est pas douteux, qu’on se purifie par le sacrifice açvamedha. Quels qu’ils soient, les (meurtriers) de cette sorte, qui se sont plongés dans le bain açvabhrita (bain purifiant qui termine l’açvamedha),

1250. Ont tous leurs fautes effacées. Telle est la révélation suprême. Celui qui est tué en combattant dans l’intérêt des brahmanes, est purifié du meurtre d’un brahmane.

1251. Que le meurtrier d’un brahmane donne cent mille bœufs, à des personnes dignes de recevoir des dons, et il sera débarrassé de toutes ses fautes.

1252. Celui qui donnerait vingt-cinq mille vaches laitières, de l’espèce kapilâ (rouge brun), serait délivré de tous ses péchés.

1253. En donnant, (quand on est) en danger pour la vie, un millier de vaches laitières à des personnes pauvres, mais vertueuses, on peut se purifier de tous ses péchés.

1254. Ô protecteur de la terre, celui qui donne cent chevaux du Kamboja, à des brahmanes aux sens domptés, est délivré de ses fautes.

1255. Ô Bharatide, celui qui comble les désirs, (ne serait-ce que) d’une seule personne, et qui ne publie pas les dons qu’il a faits, est délivré de son péché.

1256. Celui qui, après avoir bu une (première) fois une liqueur enivrante, la boirait (de nouveau) toute brûlante, se purifierait dans ce monde et dans l’autre.

1257. En se précipitant du haut du mont Mérou, en entrant dans le feu, ou en se tenant prêt pour le grand voyage, on est délivré de ses péchés.

1258. Un brahmane adonné à la sourâ pourrait, néanmoins, se réunir à Brahma, après avoir offert le sacrifice de Vrihaspati. Cette expiation a été indiquée par Brahma (lui-même).

1259. Ô roi, celui qui, après avoir bu la sourâ, abandonne ses passions, ne boit plus, et fait un don de terre, est purifié, et sa faute est effacée.

1260. Que le profanateur du lit de son gourou, se place sur une plaque de fer brûlante, qu’il se coupe le pénis et qu’il aille en exil (dans les bois, en tenant constamment) les yeux levés au ciel 25

1261. Par la séparation de l’âme d’avec le corps, on est délivré des œuvres mauvaises. Les femmes qui ont dompté (leurs sens) pendant une année sont purifiées de leurs actions (impures) 26

1262. Celui qui accomplit un grand vœu, ou qui donne tout son bien, ou qui, dans un combat, est tué dans l’intérêt de son gourou, est purifié de ses actes coupables.

1263. Celui qui trahit la vérité, qui contredit son gourou, est délivré de son péché, après avoir offert à son précepteur, quelque chose qui lui soit agréable.

1264. Pour avoir violé le vœu de brahmacârin, qu’on fasse la pénitence du brahmicide, qu’on aille pendant six mois vêtu d’une peau de bœuf, et on est purifié de son péché.

1265. Celui qui a commis un adultère avec la femme d autrui, celui qui s’est approprié les richesses d’autrui, est purifié de son péché, après s’être soumis, pendant un an, à l’observance de vœux (ascétiques).

1266. Mais il faut que, par les divers moyens (en son pouvoir), il restitue à ceux à qui il les a pris, des biens pareils à ceux qu’il a volés, et alors, (seulement), il peut se purifier de sa faute.

1267. En se livrant pieusement pendant douze nuits à des pratiques religieuses, le cadet qui s’est marié avant son aîné est purifié ; il en est de même pour l’aîné dont le cadet s’est marié avant lui.

1268. Mais il faut renouveler le mariage (du cadet), pour sauver (la race de) ses ancêtres. Par ce (second mariage), il n’y a pas de faute pour la femme et elle n’est pas souillée.

1269. Une nourriture qui purifie l’âme, est indiquée dans le vœu câturmâsya (de quatre mois). Ceux qui connaissent la loi ont déclaré que, par ce (moyen), les femmes se purifiaient (de leurs fautes).

1270. Les femmes soupçonnées (d’être) coupables, ne doivent pas être approchées, par celui qui connaît (cette circonstance). Elles sont purifiées par leurs règles, comme un vase (l’est) parla cendre (qui le récure).

1271. Un vase d’airain abandonné par un coudra, ou flairé par une vache, ou contenant le reste d’une gorgée d’eau qui a servi à rincer la bouche, doit être purifié par les dix (substances qui sont : l’eau, le feu, la cendre, la terre, les acides et les cinq produits de la vache) 27.

1272. Le devoir imposé au brahmane est entier, et comprend quatre quarts. À la royauté on impose un devoir d’un quart inférieur.

1273. On accorde au vaiçya et au coudra, à chacun un quart en moins. On peut reconnaître ainsi l’importance relative (de chacun d’eux).

1274. Après avoir tué un animal, ou coupé de nombreux arbres, qu’un homme se nourrisse de vent pendant trois nuits, et confesse (sa faute).

1275. Pour avoir eu commerce avec une femme qu’on ne doit pas connaitre, il est indiqué, (à titre de pénitence), d’errer pendant six mois avec un vêtement humide, et de coucher sur la cendre .

1276. Voilà la règle relative à tout ce qui ne doit pas être fait, d’après la loi révélée par Brahma avec raison, tirée des écritures, (et appuyée) par des exemples.

1277. Que, vivant de peu, ne causant de dommage à aucun être vivant, (se conduisant avec) douceur, ne parlant pas, (un brahmane) enseigne le chant de la Sâvitrî, (et) il est purifié de tous ses péchés.

1278. Que, pendant le jour, il se tienne constamment en plein air, (y) dormant la nuit ; que, trois fois par jour et trois fois par nuit, il se baigne dans l’eau, revêtu de ses habits.

1279. Que, se livrant à de pieuses pratiques, il ne parle ni aux femmes, ni aux coudras, ni aux (hommes) déchus. Un brahmane qui a commis des péchés par ignorance, s’en purifie par cette pieuse conduite.

1280. On obtient, dans l’autre monde, le fruit du bien et du mal qui a eu pour témoins les êtres, de sorte que, quoi qu’on ait fait, on reçoit la rémunération de l’acte qu’on laisse derrière soi.

1281. La science, l’ascétisme, l’activité, portent de bons fruits. En accomplissant le mal, on le développe, de sorte que (son auteur en) ajoute (un nouveau à l’ancien).

1282. Il faut donc faire de bonnes actions, et s’abstenir des actes mauvais. Il faut (aussi) faire constamment des largesses. (En agissant) de la sorte, on est délivré de son péché.

1283. On impose la pénitence selon le péché. L’expiation est accordée (pour toutes les fautes), sauf pour les grands crimes (mahâpâtaka).

1284. Quant au fait de manger ce qui ne doit pas être mangé, et autres choses semblables, (comme) de dire ce qui ne doit pas être dit, ô roi, (ces péchés) sont répartis (en deux classes, selon qu’on les commet) par ignorance ou en connaissance de cause.

1285. Tout péché commis en connaissance de cause est grave. L’ignorance rend la faute très petite. La pénitence est déterminée (pour chacune de ces fautes).

1286, 1287. Le péché peut être effacé, selon les règles qui ont été prescrites, chez celui qui a la foi et qui craint la divinité. (Mais) ces règles ne s’appliquent, en aucune façon, à l’incrédule ou à l’impie, pas plus qu’aux hommes qui portent à l’excès l’hypocrisie et la haine.

1288. le plus vertueux des mortels, celui qui désire obtenir le bonheur, dans l’autre monde et ici-bas, doit avoir une bonne conduite, et pratiquer les devoirs commandés, ô tigre des hommes.

1289. Ô roi, tu seras purifié de ta faute, pour les raisons précédentes, ou bien (parce que tu as agi) pour sauver ta vie et ta fortune, ou bien (parce que tu as été contraint) par la conduite (injuste de tes ennemis, à agir comme tu l’as fait)

1290. Ou bien, (s’il te reste) quelques remords, tu feras pénitence ; mais ne t’achemine pas vers la mort, en l'abandonnant indignement au chagrin.

1291 . Vaiçampâyana dit : Youdhishthira, ayant entendu ces paroles de l’adorable (Vyâsa), réfléchit un instant et répondit à l’ascète.




CHAPITRE XXXVI


DISCOURS DE VYÂSA


Argument : Vyâsa rapporte les instructions données par Manou aux siddhas, sur ce que l’on doit faire et éviter, sur les aliments dont on doit s’abstenir, et sur les personnes qui sont dignes ou indignes de recevoir des dons.


1292. Youdhishthira dit : Ô mon grand oncle, dis-moi ce qui peut être mangé et ce qui ne doit pas l’être ; (dans quels cas) il est recommandé de donner, (et ce qu’on entend) par une personne digne ou indigne de recevoir des dons.

1293. Vyâsa dit : À ce sujet aussi, on raconte une ancienne légende, dont l’objet est la conversation (suivante, qui eut lieu entre les siddhas et Manou, le maître des créatures (Prajâpati).

1294. Jadis, des rishis accomplis dans leurs vœux, s’étant approchés (du siège sur lequel) était assis le tout puissant maître des créatures, l’interrogèrent sur le devoir, (en ces termes) :

1295. « Comment doit être la nourriture ? Comment (peut-on reconnaître qu’une personne) est digne de recevoir des dons ? Comment les dons (doivent-ils être faits) ? Comment (doit-on se livrer à) l’étude et à l’ascétisme ? Dis-nous, ô maître des créatures, tout ce qu’il faut faire ou ne pas faire . »

1296. Ainsi interpellé par eux, l’adorable Manon Svayambhouva (existant par lui-même) dit : « Veuillez écouter la loi. (Je vais vous l’exposer) telle qu’elle est en détail et succinctement.

1297. Quand il n’y a pas de désignation spéciale (contraire), la récitation des prières, le sacrifice, ainsi que le jeûne, la connaissance de soi-même, (les bains dans) les rivières sacrées, là où il y a des gens qui font (des œuvres religieuses) leur principale affaire,

1298. Sont indiqués comme des choses pieuses. Il y a aussi des montagnes (dont la fréquentation) est salutaire, comme (l’est) le fait de manger de l’or, et de se baigner dans des cours d’eau (qui renferment) des joyaux, etc.

1299. Des visites aux (temples) séjours des dieux, le fait de consommer le beurre âjya, (sont aussi des choses) qui, en peu de temps, purifient un homme. Il n’y a aucun doute à cela

1300. L’homme sage ne doit jamais être orgueilleux. Si l’on veut vivre longtemps, que, pendant trois nuits, on n’avale que la fumée de la nourriture .

1301. Ne pas s’approprier ce qui ne nous a pas été donné, (exercer) la libéralité, (pratiquer l’étude, l’ascétisme, ne causer de dommage (à personne), (dire) la vérité, (offrir) des sacrifices, sont les signes distinctifs du devoir.

1302. (Selon les circonstances) du lieu et du temps, le péché, même, peut devenir le devoir. Prendre, mentir, causer du dommage (à autrui), sont des actes qui doivent être considérés parfois comme vertueux.

1303. Pour ceux qui s’y connaissent, il y a deux choses qui sont de deux sortes, le devoir et ce qui est contraire au devoir. L’inaction et l’action sont aussi de deux sortes, selon le monde et le véda.

1304. De la cessation de l’action (provient) l’immortalité. Le fait d’être mortel est la conséquence de l’action. On peut voir que le mal (est le fruit) du mal, et le bien (le fruit) du bien.

1305. Pour ces deux choses, il y a du bon et du mauvais. Ce qui est divin est en rapport avec le destin Il y a aussi la vie et ce qui donne la vie 28.

1306. Il est hors de doute, et même évident, qu’en conséquence d’une cause première qui est l’intention, des actes mauvais (par eux-mêmes, peuvent produire) de bons fruits.

1307. Même pour ce qui est fait sous l’empire de la colère ou de l’égarement d’esprit, la pénitence est fixée (en tenant compte) d’une cause première qui est l’intention, selon des moyens tirés des livres sacrés et accompagnés d’exemples.

1308. Les souffrances corporelles, ou ce qui est agréable ou désagréable pour l’esprit, peuvent céder aux herbes magiques, aux mantras et aux pénitences.

1309. Le roi qui a négligé (de faire usage) de la verge du châtiment, jeûnera pendant une seule nuit et sera purifié ; son chapelain, pour se purifier lui-même, (jeûnera pendant) trois nuits.

1310. L’homme qui, plongé dans le chagrin, cherche à se détruire avec des armes ou tout autre moyen, s’il n’en meurt pas, s’imposera (un jeûne) de trois nuits.

1311. La loi (permettant d’expier les fautes), n’existe pas pour ceux qui négligent les devoirs de leur naissance, de leur corporation, de leur patrie, et, de toutes façons, ceux de leur famille .

1312. Si un doute sur (le sens de) la loi est élevé, la règle qu’il faut suivre, est celle qui est indiquée par dix (hommes) instruits des préceptes des védas, ou par trois (personnes chargées) d’interpréter la loi.

1313. Le taureau, la terre, les petites fourmis, les çleshmâtakas (fruits du cordia latifolia), ne doivent pas (plus) être mangés par les prêtres, que le poison 29.

1314. Ne doivent pas être mangés par les brahmanes : les poissons dépourvus d’écaillés, un quadrupède (aquatique) autre que la tortue, et les animaux aquatiques (comme) la grenouille,

1315. Les bhâsas (oiseaux de proie), les flamants, souparnas, cakravâkas (anas cœsarea), plavas (oiseaux nageurs), les grues, les corbeaux, le plongeon, le vautour, ainsi que les faucons et le hibou,

1316. Tous les quadrupèdes carnassiers, armés de défenses de toutes façons, ceux qui ont des défenses en haut et en bas, et ceux qui ont quatre défenses.

1317. Que le brahmane ne boive pas le lait des brebis, des juments, des ànesses, des chamelles, des vaches qui viennent de vêler, des femmes et des gazelles.

1318. Il ne doit pas manger la nourriture préparée pour les morts, ou pour une femme en couches, ni rien de ce (qu’une femme accouchée) depuis moins de dix jours a préparé. On ne doit pas boire le lait d’une vache vêlée depuis moins de dix jours.

1319. La nourriture du roi enlève au brahmane son énergie, celle d’un coudra lui ravit la sainteté, celle d’un bijoutier ou d’une femme dépourvue de mari, (lui enlève) la vie.

1320. La nourriture d’un usurier est de l’ordure, celle d’une femme publique est du sperme, ainsi que celle d’un homme qui supporte l’adultère, ou la domination de sa femme, (et cela) de toutes façons.

1321, 1322. La nourriture d’un initié, d’un avare, de celui qui trafique du sacrifice, d’un bûcheron, d’un cordonnier, d’une femme publique, d’un teinturier, d’un médecin, et d’un gardien, ne doit pas être mangée. (Il en est) de même (de la nourriture) de ceux qui sont accusés par un groupe d’individus, ou par un village, et de ceux qui vivent des femmes de théâtre,

1323. Des hommes dont le frère cadet s’est marié avant eux, des panégyristes, et des joueurs de dés. La nourriture présentée de la main gauche, et celle qui est vieille (et gâtée),

1324. Ne doit pas être mangée, (ni) celle qui est mélangée avec le sourâ, ni un reste, ni le résidu (d’une préparation) culinaire, pas plus que les cannes à sucre, les légumes et le lait altérés.

1325. Les aliments au lait, les préparations de sésame, la chair et les gâteaux, préparés inutilement (et non pour être offerts aux dieux 30), les mélanges de lait et de farine d’orge ou d’autres grains, restés (inemployés) depuis longtemps, ne doivent pas être mangés.

1326, 1327. (Ces choses) ne doivent être, ni bues, ni mangées par les brahmanes vivant dans le monde. Le brahmane, maître de maison, ne doit manger qu’après avoir honoré les dieux, les rishis, les hommes et les pitris habitant dans sa demeure ; (il aura autant de mérites) qu’un mendiant errant.

1328. Celui qui se conduit ainsi, tout en habitant avec ses chères épouses, obtient des mérites. Il ne doit pas faire un don (en vue de) la gloire, ni par crainte, ni à quelqu’un qui (peut lui rendre) service.

1329. Un homme vertueux ne doit pas donner, à ceux dont la profession est de chanter, ni aux fous, ni aux ivrognes, ni aux voleurs, ni aux diffamateurs,

1330. Ni à un homme privé de la faculté de parler, ni à un homme pâle, ni à celui qui est privé d’un membre, ni à un nain, ni à un homme de basse extraction, ni à celui qui ne s’est pas purifié par l’observance de (certains) vœux.

1331 . Il ne faut pas donner à un brahmane dépourvu de la science sacrée, mais seulement à un çrotriya (au courant de la révélation). Ce qui est improprement donné et reçu,

1332. Est dommageable pour le donneur et pour celui qui reçoit le don. De même que celui qui, en se servant pour barque d’une pièce de khadira (acacia catechu), ou d’une pierre, voudrait traverser la mer,

1333. S’enfoncerait (dans les eaux), de même s’engloutissent celui qui donne et celui qui reçoit, quand il n’y a pas lieu. De même qu’un feu préparé avec du bois humide, ne s’enflamme pas,

1334-1336. De même est celui qui, dépourvu d’ascétisme, d’étude et de bonne conduite, reçoit des dons. Comme de l’eau dans un crâne ou du lait dans une peau de chien, de même, par l’indignité de celui en qui elle repose, est la révélation chez (un homme) dépourvu d’une bonne conduite. On peut donner par compassion aux pauvres, et à ceux qui ne pratiquent pas des vœux (distingués), à celui qui ne récite pas les mantras, qui (n’est pas fidèle à) ses vœux, qui ne connaît pas les préceptes, (mais) qui ne murmure pas. Il ne faut pas donner par (pure) compassion aux affligés, aux opprimés, et aux malades.

1337. (Il faut se dire) : « C’est bien agir, c’est le devoir. » Ce qui est donné à un brahmane dépourvu de la science sacrée, est considéré comme donné sans raison.

1338. Il en est ainsi, parce que la personne qui reçoit, n’en est pas digne. Il n’y a pas de (moyen de) distinction. Comme un éléphant de bois, comme une gazelle de cuir,

1339. Est le brahmane qui ne se livre pas à l’étude. Tous les trois (ne font que porter) le nom (de leur état). Comme un eunuque qui est stérile auprès des femmes, comme une vache qui n’engendre pas avec une (autre) vache,

1340. Comme un oiseau sans ailes, est un brahmane qui ne récite pas les mantras. Comme (la provision de) blé d’un village, quand (le grenier) est vide, comme un puits sans eau,

1341. Comme la libation qui n’est pas répandue sur le feu, il en est de l’impie à l’égard des dieux et des pitris. Il est le destructeur des offrandes aux dieux et aux pitris.

1342, 1343. C’est un ennemi ravisseur des biens (véritables), un stupide, qui ne doit pas atteindre les mondes (bienheureux). Je t’ai raconté, ô Youdhishthira, tout ce qu’il en est à cet égard. Ô excellent Bharatide, cette grande instruction est importante, et elle doit être entendue, (au moins) en abrégé.



CHAPITRE XXXVII


VOYAGE DE YOUDHISHTHIRA À LA VILLE


Argument : Youdhishthira désire s’instruire des devoirs des rois, et de ceux des diverses castes. Vyâsa et ensuite Krishna l’engagent à s’adresser à Bhîshma à cet égard. Cédant aux sollicitations de tous ses amis, Youdhishthira sent le calme renaître dans son cœur, et rentre dans sa capitale.


1344. Youdhishthira dit : Ô adorable grand mouni, le plus excellent des (brahmanes) à la double naissance, je désire entendre (quels sont) les devoirs entiers des rois, et ceux des quatre castes ;

1345. Comment (on doit) s’y prendre, pour se bien conduire dans les calamités, et de quelle manière, en suivant le sentier du devoir, je pourrais conquérir la terre.

1346. Car cet enseignement relatif à l’expiation, distinguant ce que l’on peut et ce qu’on ne doit pas manger, satisfait ma curiosité, et fait, en quelque sorte, renaître la joie dans mon (cœur).

1347. Mon âme est continuellement agitée, en réfléchissant que la royauté et la pratique du devoir, (sont deux choses) toujours en désaccord.

1348. Vaiçampâyana dit : Ô grand roi, Vyâsa, le plus éminent de ceux qui connaissent les védas, lui répondit, après avoir regardé Nârada, le plus ancien des (sages) possesseurs de toutes les connaissances :

1349. Ô maître suprême des hommes, si tu désires t’instruire complètement des devoirs, ô guerrier aux puissants bras, adresse-toi au vieillard qui est le grand oncle des Kourouides, à Bhîshma.

1350. Ce fils de la Bhâgîrathî sait tout ; il connaît tous les devoirs, et il détruira les doutes (qui pourraient) exister dans ton esprit, au sujet des secrets du dharma (devoir).

1351. C’est lui qu’engendra la divine déesse, la rivière au triple cours, lui qui vit face à face tous les dieux, avec Indra à leur tête.

1352. Ce prince, après avoir, à plusieurs reprises, satisfait par ses hommages les devarshis, Vrihaspati en tête, a appris (les règles qui dictent) aux rois une (bonne) politique.

1353. (Cet homme), le plus excellent des Kourouides, obtint (la connaissance) des préceptes qu’Ouçanas, et le brahmane gourou des dieux avaient connus, et apprit ce qui (constitue) la loi avec ses explications.

1354. Le guerrier aux grands bras, ayant accompli des vœux rigides, obtint de Vaçishtha et du Bhrigouide Çyâvana, (la connaissance) de toutes les parties des védas.

1355. C’est lui qui, jadis, sollicita les leçons de Koumâra, fils aîné de Pitâmaha, à l’éclat brûlant et qui connaissait la vérité, au moyen de laquelle on se réunit au souverain Être.

1356. Ce taureau des hommes obtint de la bouche de Mârkandeya tout le yatidharma (devoir des ascètes). Il reçut des astras de Râma et de Çakra.

1357. Nous avons appris que, quoiqu’il fût né parmi les hommes, la mort (ne devait venir) pour lui que quand il le voudrait, et que, (quoique) sans progéniture, les mondes heureux du ciel (lui étaient réservés).

1358. Les pieux brahmanes furent constamment ses suivants. Toutes les connaissances que l’on peut acquérir, il les a possédées.

1359. Il est au fait des devoirs, il connaît toutes les subtiles vérités du dharma (devoir) et de l’artha (intérêt). Il te parlera. Approche-toi de lui, avant que ce (sage), qui a la connaissance des devoirs, n’abandonne la vie.

1360. Après avoir entendu ces paroles, le très sage fils de Kountî, aux grandes pensées, s’adressa (en ces termes) au fils de Satyavatî, Vyâsa, le plus éloquent des hommes :

1361. Youdhishthira dit : Après avoir détruit mes parents, dans un massacre qui fait hérisser le poil (d’horreur), malfaisant pour la terre entière, destructeur du monde,

1362. Après avoir fait tuer par fraude, sur le champ de bataille, ce guerrier loyal, à quel titre aurais-je le droit de l’interroger ?

1363. Vaiçampâyana dit : Alors, le guerrier aux puissants bras, le meilleur des Yadouides, qui voulait être utile aux quatre castes, répondit à ce (prince), le plus excellent des rois.

1364. Le Vasoudevide dit : Tu ne dois pas persévérer (plus) longtemps dans ton chagrin. le plus grand des rois, fait ce qu’a dit l’adorable Vyâsa.

1365. Ô guerrier aux grands bras, les brahmanes et tes très énergiques frères, s’approchent de toi, implorant ton secours, comme (on implore) Parjanya (le dieu de la pluie), à la fin de la saison chaude.

1366. Les rois qui survivent, tout l’ensemble des quatre castes, et (les habitants de) ton royaume de Kouroujângala, ô grand roi, sont réunis (dans ce but).

1367. Pour plaire à ces magnanimes brahmanes, et, d’après l’ordre de Vyâsa, ce gourou à l’éclat démesuré,

1368. Ô tourmenteur des ennemis, fais ce qui est agréable à tes amis, à nous d’abord et à Draupadî. Ô meurtrier de tes adversaires, fais ce qui est utile au monde.

1369. Vaiçampâyana dit : Ainsi exhorté par Krishna, ce roi au grand cœur, aux yeux de lotus, se leva pour le bien du monde entier.

1370. Ce tigre des hommes, imploré par Vishtaraçravas (Vishnou-Krishna) lui-même, par Dvaipâyana, par Devasthâna et par Jishnou,

1371. Prié par ceux-là et par beaucoup d’autres, le très glorieux Youdhishthira réprima la peine et le repentir, qu’il avait dans le cœur.

1372. Alors ce fils de Pândou, possédant le texte de la çrouti, maître du trésor de la révélation, habile dans (la connaissance de) tout ce qui a été dit, et de tout ce qui devait l’être, sentit la paix revenir dans son esprit.

1373. Ce roi, entouré par ces (amis), comme la lune l’est par les maisons lunaires, ayant placé Dhritarâshtra devant lui, s’avança vers sa propre ville,

1374. Désireux d’y rentrer. Youdhishthira, fils de Kountî, qui connaissait tous les devoirs, honora les dieux et les brahmanes par milliers.

1375, 1376. Puis, loué par les panégyristes, de même que Soma (la lune) monte sur son char d’ambroisie, il monta sur son char nouvellement fabriqué, couvert de tapis et de peaux, consacré par de pieuses incantations, et attelé de seize bœufs blancs aux marques favorables.

1377. Le fils de Kountî, Bhîma, saisît les rênes. Arjouna prit en main un brillant parasol blanc.

1378. Ce parasol de couleur pâle, porté en tête du char, resplendissait comme, dans le ciel, un nuage blanc, parsemé des étoiles (qu’il laisse entrevoir).

1379. Les deux héros, fils de Mâdrî, prirent deux brillants éventails de queues de bœufs grognants, (bien) ornés et aussi éclatants que les rayons de la lune.

1380. Les cinq frères, (bien) parés, montés sur le char, ressemblaient aux (cinq) éléments réunis, ô roi.

1381. Monté sur un char blanc, attelé de chevaux aussi rapides que la pensée, Youyoutsou suivit, par derrière, l’aîné des fils de Pândou.

1382. Krishna, monté avec le Satyakide sur son brillant char doré, attelé (des chevaux) Çaivya et Sougrîva, suivit les Kourouides.

1383. Ô Bharatide, le (frère) aine (du) père du fils de Prithâ, accompagné de Gàndhârî, alla en palanquin en avant de Dharmarâja.

1384. Toutes les femmes des Kourouides, ainsi que Kountî et Krishna, ayant Vidoura à leur tête, suivaient sur divers véhicules.

1385. Puis, de nombreux chars, des éléphants (richement) ornés, des fantassins et des chevaux, venaient par derrière.

1386. Alors, loué avec de belles paroles par les chanteurs, les hérauts et les bardes, le roi alla à la ville qui tire son nom des éléphants (Hastinapoura).

1387. Cette marche du guerrier aux puissants bras, présenta (un spectacle) à qui rien ne pouvait être comparé. Elle était remplie de confusion, et accompagnée des cris de gens joyeux et (bien) nourris.

1388. Pendant que le fils de Prithâ s’approchait, la ville et la principale route étaient, comme il convenait, garnies des hommes habitant la cité.

1389. La terre était ornée de guirlandes blanches et de bannières. La grande rue (en) était parée, et était embaumée par des parfums.

1390. La demeure royale était (parfumée) de poudres odorantes, couverte de guirlandes de diverses fleurs et d’agréables priyangous (panicum dactylon).

1391. À la porte de la ville, étaient placées des jarres pleines d’eau, neuves et solides, et des filles brillantes et à l’esprit séduisant, se tenaient çà et là.

1392. C’est ainsi que le fils de Pândou, salué par des acclamations et entouré de ses amis, fit son entrée dans la ville aux portes bien ornées.




CHAPITRE XXXVIII


MORT DE CARVAKA


Argument : Enthousiasme des sujets du roi. Le rakshasa Cârvâka, ami de Douryodana, ayant maudit le roi, est tué par les brahmanes indis-nés.


1393. Vaiçampâyana dit : À l’arrivée du fils de Prithâ, des milliers et des milliers d’habitants de la ville, s’assemblèrent pour le voir.

1394. La grande rue avec les quartiers (divers) de la ville, (bien) ornés, resplendirent comme l’Océan qui s’enfle au lever de la lune.

1395. Parées d’ornements précieux, les grandes maisons (situées) dans les rues principales fléchissaient, en quelque sorte, sous le poids des femmes qui les remplissaient.

1396. Elles louaient, (dans des discours empreints de) douceur et de modestie, Youdhishthira, Bhîmasena, Arjouna et les deux Pândouides, fils de Mâdrî.

1397. « Ô Pâñcâlienne, (disaient-elles), tu es fortunée, toi qui, ô belle, approches les plus grands des hommes, comme Gautamî (approche) les rishis.

1398. Tes actes et tes vœux, ô belle femme, ne sont pas vains. » grand roi, c’est ainsi que les femmes louaient Krishna.

1399. La ville était remplie de leurs cris, des louanges (qu’elles prodiguaient), et des cris de joie des hommes, ô Bharatide .

1400. Youdhishthira ayant, comme il convenait, traversé la rue principale, arriva au palais royal, (richement) orné et resplendissant.

1401. S’approchant de côté et d’autre, tous les sujets, citadins et paysans, firent entendre des acclamations flatteuses.

1402. « Grâce au ciel, ô Indra des rois, (disaient-ils), ô destructeur de tes ennemis, tu triomphes de tes adversaires ! Grâce au ciel, ta vertu et ta force t’ont rendu la royauté !

1403. Ô grand roi, sois notre souverain pendant cent années. Protège tes sujets en agissant avec justice, comme Indra (protège) le Tridiva. »

1404. Honoré ainsi, à la porte du palais, par les bénédictions (du peuple), ayant reçu les souhaits de bonheur formulés de toutes parts par les brahmanes,

1405. Étant entré dans la demeure (royale), remplie du butin acquis par la victoire (que lui a donnée) sa foi, pareille au palais du roi des dieux, le roi descendit de son char.

1406. Ayant pénétré à l’intérieur, le (guerrier) fameux s’approcha des images des dieux, et les honora (par des offrandes nombreuses) de joyaux, de parfums et de guirlandes.

1407. Puis le (prince) illustre et très glorieux sortit (du palais), et vit des brahmanes d’un bel aspect, qui se tenaient (immobiles en l’attendant).

1408. Entouré alors par les prêtres désireux de lui faire entendre leurs bénédictions, il brilla comme la lune sans tache, environnée de groupes d’étoiles.

1409, 1410. Ayant (fait) mettre en avant le gourou Dhaumya, et le (frère) aîné de son père, le fils de Kountî gratifia ces brahmanes, selon la règle, de joyaux agréables, d’une grande quantité d’or, de bœufs, de vêtements, et des diverses (autres) choses, qui pouvaient plaire à chacun d’eux, ô Indra des rois.

1411. Ô Bharatide, on entendit alors les cris de fête des amis, s’élever en quelque sorte jusqu’au ciel, (bruit) propice, agréable aux oreilles et qui remplissait (le cœur) de satisfaction.

1412. Le roi entendit, à ce moment, les discours des brahmanes connaisseurs des védas, (dont la voix était aussi harmonieuse que) celle des cygnes. Les mots, les padas et le sens en étaient favorables.

1413. Puis le son des tambours doundoudhis, et le bruit charmant des conques, annonçant la victoire, retentirent en ces lieux, ô roi.

1414. Alors, quand l’assemblée des prêtres redevint silencieuse, le rakshasa Cârvâka, déguisé en brahmane, prit la parole pour s’adresser au roi.

1415. Ami intime de Douryodhana, on le voyait, sous la forme d’un mendiant, avec le toupet et le triple bâton, diriger ses regards (sur ceux qui l’entouraient), en ayant mis toute crainte de côté,

1416. Environné de tous les brahmanes, (au nombre de) plusieurs milliers, qui se livraient à l’ascétisme et aux austérités, et qui étaient désireux de prononcer des bénédictions, ô Indra des rois.

1417. Cet impur, qui voulait du mal aux (ils de Pândou, sans avoir même consulté les brahmanes, parla au maître de la terre (en ces termes) :

1418. Cârvâka dit : « Tous ces brahmanes, m’ayant chargé de parler pour eux, s’écrient : « Malheur à toi, méchant roi, meurtrier de tes parents. »

1419. Ô fils de Kountî, que résultera-t-il (pour toi), d’avoir causé cette destruction de ta famille, ainsi que d’avoir fait tuer les gourous ? La mort, dans ces conditions, est préférable à la vie. »

1420. En entendant les paroles de cet impur rakshasa, ces brahmanes tremblèrent, et, désolés de ce qu’il disait, poussèrent des cris (de désapprobation).

1421. Puis, le roi Youdhishthira et tous ces brahmanes, restèrent muets de honte et d’effroi, ô maître des hommes.

1422. Youdhishthira dit : Je m’incline devant vous en suppliant. Soyez-moi favorables ! Vous ne devez pas me dire : « Malheur (t’advienne), » car ma destruction est imminente.

1423. Vaiçampâyana dit : Alors, ô roi maître des hommes, tous ces brahmanes s’écrièrent : « Cette parole n’est pas de nous. Bonheur à toi, ô prince ! »

1424. Et les magnanimes brahmanes, instruits dans les védas, rendus sans tache par l’ascétisme, connurent par les lumières de l’intuition (le déguisement de Cârvâka).

1425. Les brahmanes dirent : C’est un rakshasa appelé Cârvâka, ami de Douryodhana dont il prend le parti, sous la forme d’un ascète mendiant.

1426. Ô vertueux (roi), nous n’avons pas parlé (par sa bouche). Qu’une telle crainte s’éloigne de toi, et que la prospérité t’environne ainsi que tes frères.

1427. Vaiçampâyana dit : Alors, tous ces pieux brahmanes, remplis de colère et menaçants, tuèrent le méchant rakshasa, en poussant le cri de : « Om ! »

1428. Il tomba, consumé par l’énergie (éclatante) de ces (hommes) qui enseignent la science sacrée, comme un arbre dévoré avec ses branches par la foudre du grand Indra.

1429. Et les prêtres, (convenablement) honorés, s’en retournèrent après avoir salué le roi. Le monarque fils de Pândou, (entouré) du cortège de ses amis, (sentit) la joie (renaître dans son cœur).




CHAPITRE XXXIX


RÉCIT DE LA MORT DE CARVAKA


Argument : Krishna raconte au roi l’histoire de la vie et de la mort de Cârvâka.


1430. Vaiçampâyana dit : Alors Janârdana, le fils de Devakî, à qui rien n’était caché, parla (en ces termes) au roi, qui était là avec ses frères.

1431. Le Vasoudévide dit : Ô mon ami, à mon (avis), les brahmanes doivent toujours être honorés en ce monde. Leur parole, (quand ils sont irrités), est un poison, mais ils sont faciles à apaiser.

1432. Jadis, dans l’âge krita, ô roi, un rakshasa appelé Cârvâka, se livra à l’ascétisme à Vadarî, pendant de nombreuses années, ô guerrier aux bras puissants.

1433. À plusieurs reprises, Brahma lui ayant offert un don, ô Bharatide, il choisit de n’avoir rien à craindre des êtres, quels qu’ils fussent.

1434. Le maître du monde lui accorda cette faveur, à laquelle rien n’est supérieur, mais, seulement, en dehors (du cas) où il offenserait les brahmanes.

1435. Or, ce méchant rakshasa, à l’héroïsme démesuré, dont la puissance était grande et dont les œuvres étaient cruelles, ayant obtenu ce don, tourmenta les dieux.

1436. Tourmentés par ce puissant (ennemi), les dieux allèrent alors ensemble, raconter à Brahma (ce qu’il en était, en vue d’obtenir) la mort du rakshasa.

1437. Ô Bharatide, le dieu immuable leur dit : « J’ai fixé d’une manière certaine, de quelle façon il ne tardera pas à mourir.

1438. Il naîtra parmi les hommes un roi appelé Douryodhana, (qui sera) son ami. Par affection pour lui, (Cârvâka) offensera les brahmanes.

1439. Alarmés et irrités par cette offense, les prêtres, dont la force est dans la parole, brûleront ce méchant rakshasa, qui périra de la sorte. »

1440. Ô le plus excellent des rois, ce rakshasa, Cârvâka, gît (ici) ; il a succombé sous l’effet de la malédiction des brahmanes. Ne te désole pas, ô Bharatide.

1441. Ô prince, tes parents ont péri selon la loi des kshatriyas. Héros magnanimes, taureaux des kshatriyas, ils sont montés au Svarga.

1442. Ô homme sans péché, accomplis ce que tu as à faire, ne t’abandonne pas à l’inertie. Triomphe des ennemis, protège tes sujets et honore les brahmanes.




CHAPITRE XL


SACRE DE YOUDHISHTHIRA


Argument : Détail de la cérémonie.



1443. Vaiçampâyana dit : Alors, joyeux, délivré de son chagrin et de la fièvre qui le dévorait, le roi fils de Kountî, la face tournée vers l’est, s’assit sur un magnifique trône d’or.

1444. Les deux dompteurs de l’ennemi, le Satyakide et le Vasoudevide, s’assirent en face de lui, sur un beau et brillant siège orné d’or.

1445. Le magnanime Bhîmasena, et Arjouna, se plaçant de chaque côté du roi, s’assirent sur deux sièges distingués, (garnis) de joyaux.

1446. Prithâ aussi, avec Sahadeva et Nakoula, prit place sur un splendide trône d’ivoire orné d’or.

1447. Soudharman, Vidoura, Dhaumya et Dhritarâshtra roi de Kourou, se placèrent, chacun de son côté, sur des sièges au brillant aspect.

1448. Youyoutsou, Sailjaya et la glorieuse Gândhârî, s’approchèrent tous de l’endroit, où se tenait le roi Dhritarâshtra.

1449. Assis là, le vertueux (Youdhishthira) toucha des fleurs blanches, des svastikas (signes en forme de croix), des graines grillées, de la terre, de l’or, de l’argent et des joyaux.

1450. Alors tous les sujets, ayant le chapelain à leur tête, apportant beaucoup de choses d’heureux présage, contemplèrent Dharmarâja.

1451. De la terre, de l’or, des bijoux de diverses sortes, le vase employé pour le sacre des rois, rempli de tous les ustensiles (nécessaires pour cette cérémonie),

1452. Des cruches d’or, de bois d’oudoumbara (ficus glomerata), d’argent, de terre, remplies d’eau, des fleurs, de grains grillés, les herbes (kouça) pour le sacrifice, du lait de vache, (se trouvaient) là,

1453. (Ainsi que) les combustibles suivants : Le çamî (acacia suma), le pippalî (poivre long), le pâla (butea frondosa), l’oudoumbara (ficus glomerata), le miel et le beurre clarifié, et, de plus, la grande cuiller et la conque ornée d’or.

1454-1456. Le chapelain Dhaumya, avec l’agrément du Dâçârhien, ayant tracé là (l’emplacement de) l’autel, sur un terrain incliné au nord-est, ayant fait asseoir le magnanime (fils de Pândou), et Krishna fille de Droupada, sur le trône Sarvatobhadra (de toutes parts propice), brillant, couvert de peaux de tigre, ayant les pieds et la base solides, resplendissant comme (Agni) porteur des offrandes, ce sage versa l’oblation sur un feu préparé, en récitant d’abord les incantations prescrites par le rituel.

1457. Alors, le Dâçârhien, s’étant levé, et ayant pris la conque vénérée, consacra par l’aspersion le maître de la terre, Youdhishthira fils de Kountî.

1458, 1459. Le râjarshi Dhritarâshtra et tous les sujets, (firent) de même. Le roi fils de Pândou, accompagné de ses frères, favorisé par Krishna, sacré par l’aspersion, au moyen de (la conque) Pâñcajanya (du Vasoudevide), avait l’apparence d’un dieu. Puis on fit résonner (les tambours) panavas, anakas et doundoubhis.

1460. Dharmarâja reçut, selon la loi, (tout ce qui lui était offert). En faisant de nombreuses offrandes, il honora, selon la règle, ceux (qui l’avaient sacré).

1461. Puis, par (des dons d’un) millier de nishkas, il fit pousser des cris de bénédiction aux brahmanes pleins de fermeté, à la sage conduite et adonnés à l’étude des védas.

1462. Satisfaits, ô roi, ces brahmanes bénirent Youdhishthira et lui souhaitèrent la victoire, d’une voix aussi (harmonieuse) que celle des cygnes.

1463. « Ô Youdhishthira aux puissants bras, (disaient-ils), grâce au ciel tu triomphes, ô fils de Pândou ! Grâce au ciel, par ton héroïsme, tu as obtenu ce qui était ton droit, ô (prince) très éclatant !

1464. Grâce au ciel, l’archer porteur de Gândîva, Bhîmasena, fils de Pândou, les deux Pândouides fils de Mâdrî et toi, vous êtes en bonne santé,

1465. Échappés à cette guerre destructive des héros, après avoir tué vos ennemis ! Ô Bharatide, hâte-toi d’accomplir tout ce qui te reste à faire. »

1466. Alors Dharmarâja Youdhishthira, honoré par les gens de bien, prit, avec ses frères, possession de son grand royaume, ô Bharatide.




CHAPITRE XLI


FONCTIONS CONFIÉES PAR LE ROI À BHÎMA,
ET AUX AUTRES PÂNDOUIDES


Argument : Le roi prescrit au peuple d’obéir à Dhritarâshtra. Il pourvoit d’offices Bhîma, Vidoura, Sañjaya, Dhaumya, Nakoula, Sahadeva, Arjouna, et les autres.


1467. Vaiçampâyana dit : Le roi Youdhishthira, ayant entendu les paroles appropriées aux circonstances, que prononçaient ses sujets, y répondit (en ces termes) :

1468. « Assurément, les fils de Pàndou, dont les plus éminents brahmanes, réunis, célèbrent (ainsi) les qualités vraies ou fausses, sont heureux.

1469. J’estime qu’en effet nous devons être favorisés par vous, quand, dans votre bienveillance, vous nous dépeignez comme doués de tant de qualités.

1470. Le roi Dhritarâshtra est mon père et mon dieu suprême ; si on veut m’être agréable, il faut obéir à ses ordres, et faire ce qui lui plaira.

1471. C’est pour remplir ce devoir que je continue de vivre, après avoir fait ce grand carnage de mes parents. Je dois lui obéir sans me lasser.

1472. Et si vous voulez me favoriser, vous devez vous conduire envers Dhritarâshtra, comme vous le faisiez jadis.

1473. Car il est, avec moi, le maître du monde et le vôtre. La terre entière, et les fils même de Pândou, sont à lui.

1474. Il vous faut graver dans votre esprit les paroles que je viens de vous adresser. » Puis, en les congédiant, le roi ajouta : « Allez maintenant où bon vous semble. »

1475. Ayant congédié tous les citadins et les villageois, le (roi) qui fait la joie des Kourouides, désigna comme héritier du trône, Bhimasena fils de Kountî.

1476. IL désigna affectueusement le sage Vidoura comme conseiller, (pour le diriger) dans la décision (des affaires), et dans les délibérations (à tenir), concernant les six obligations de l’état 31.

1477. Il indiqua aussi le vieux Sañjaya, doué de toutes les qualités, pour connaître des affaires achevées ou non, et pour veiller sur les revenus et les dépenses.

1478. Le roi chargea Nakoula du dénombrement, de l’alimentation et de la solde de l’armée, ainsi que de la surintendance des actions (guerrières).

1479. Le grand roi Youdhishthira commit Phâlgouna, pour résister à la multitude des armées ennemies, et pour réprimer les méchants.

1480. Il désigna l’excellent chapelain Dhaumya, (pour veiller) constamment sur les actes relatifs au culte des dieux, et sur les autres occupations des brahmanes.

1481. Il imposa à Sahadeva l’obligation d’être toujours auprès de lui ; car, ô maître des hommes, le roi (devait), dans toutes les circonstances, être gardé par lui.

1482. Et le maître de la terre, satisfait, employa, quels qu’ils fussent, tous ceux qu’il jugea dignes d’être utilisés, (en les chargeant) des affaires, quelles qu’elles fussent, (auxquelles chacun était propre).

1483. Le vertueux (roi), ami du devoir, destructeur des héros ennemis, dit à Vidoura, à Sañjaya et à Youyoutsou aux grandes pensées :

1484. « En toutes circonstances, vous devez faire sans négligence et en vous conformant à ses désirs, toute chose que vous commandera le roi mon oncle.

1485. En toutes circonstances, vous devez régler les unes après les autres, après avoir pris l’avis du roi, toutes les affaires des citadins et des villageois. »




CHAPITRE XLII


RÉCIT DE LA CÉLÉBRATION DES RITES FUNÉRAIRES


Argument : Le roi fait célébrer les cérémonies funéraires pour tous les morts.


1486. Vaiçampâyana dit : Alors, le roi Youdhishthira fit accomplir les rites funéraires, séparément, pour chacun de ses parents qui avaient été tués dans la guerre.

1487-1490. Le très glorieux roi Dhritarâshtra, donna à titre de cérémonie mortuaire pour ses fils, de la nourriture appropriée aux goûts et à la qualité de tous, ainsi que des vaches, des richesses, et des bijoux variés et très précieux.

Youdhishthira, accompagné de Draupadî, fit des dons en mémoire de Drona, du magnanime Karna, de Dhrishtadyoumna, d’Abhimanyou, du rakshasa fils d’Hidimbarî, de tous ses amis et bienfaiteurs, à commencer par Virâta, Droupada, et les fils de Draupadî.

Les désignant l’un après l’autre et séparément, des milliers de brahmanes

1491. Furent, (à leur intention), comblés par lui de richesses, de bijoux, de vaches et de vêtements. Quant aux autres rois qui ne laissaient pas d’amis derrière eux,

1492. Les désignant l’un après l’autre, le roi fils de Pândou, accomplit pour eux les cérémonies mortuaires, (construisit) des maisons et des citernes de diverses sortes, (et fit creuser) des étangs.

1493. Il fit faire les cérémonies funéraires de tous ses amis. Après avoir payé sa dette à leur égard, et s’être mis, dans le monde, à couvert du reproche (d’ingratitude),

1494, 1495. Ce roi eut satisfait à ses obligations. Gouvernant ses sujets selon la loi, il honora, comme jadis, Dhritarâshtra, Gândhârî, Vidoura, les serviteurs, tous les Kourouides qui méritaient d’être honorés, et les femmes, quelles qu’elles fussent, dont les maris ou les fils avaient été tués.

1496-1498. Le roi descendant de Kourou, les ayant honorées toutes, les protégea en compatissant (à leurs peines). Le puissant et très bienfaisant roi secourut, (en leur donnant) des maisons, des vêtements, des aliments, les faibles, les aveugles et les mendiants. Youdhishthira, après avoir conquis la terre entière, et payé la dette contractée envers ses adversaires, n’ayant plus d’ennemis, vécut heureux.




CHAPITRE XLIII


LOUANGES DU VASOUDEVIDE


1499. Vaiçampâyana dit : Le grand sage Youdhishthira étant sacré, et ayant pris, dans sa pureté, possession du trône, fit l’añjali et dit au Dâcârhien Poundarîkàksha :

1500. « Krishna, favorisé par toi, c’est par ton habileté, ta force, ta sagesse et ton héroïsme, ô tigre de la race d’Yadou,

1501. Que j'ai retrouvé ce royaume de mon père et de mes aïeux. Hommage à toi toujours, ô Poundarîkâksha, dompteur des ennemis !

1502. On a dit que tu es l’Être unique et suprême, le refuge des adorateurs. Les brahmanes aux sens domptés te louent sous différents noms.

1503. Hommage à toi, Viçvakarman (auteur de tout), âme universelle, origine de toutes choses, Vishnou, Jishnou (victorieux), Hari (fauve), Krishna (noir), Vaikountha (Vishnou-Krishna), le plus grand des Esprits,

1504. Jadis, tu as été sept fois engendré par Aditi, tu as été ensuite le fils de Priçni ; on t’appelle aussi Triyouga (possédant le triple youga),

1505. Tu es appelé Çoucicravas, Hrishikeça, Ghritâçis, Hamsa (le cygne), le Dieu aux trois yeux ; tu es Çambhou (le bienfaisant), l’Unique, Vibhou (le puissant), Damodara,

1506. Varâha (le sanglier), Agni (le feu), Vrihadbâhou (au grand éclat), le Taureau ; tu as pour signe Târkshya (Garouda), tu es l’Esprit, le Vainqueur des armées. Tu es Çipivishta, Ouroukrama(le dieu aux grands pas),

1507. Le Très Vaste, Ougrasenânî, (le terrible chef d’armée), le Vrai, Vâjasanis, Gouha, Acyouta (l’inébranlable), celui qui amène la chute des ennemis, Samskriti (la préparation), Vikriti (la transformation), Vriha (le mâle).

1508. Tu t’élèves haut, tu es la Montagne, tu es Vrishadarbha, tu es Vrishâkapi, tu es l’Océan, tu es Celui qui n’a pas de signe distinctif, tu es Trikakoud (qui a trois sommets), Tridhâmant, tu es descendu du Tridiva !

1509. Tu es Samraj, Viraj, Svaraj (trois qualifications du roi ou de l’empereur). Le Roi des dieux, l’Origine de l’être, Vibhou (le puissant). Celui qui est, le Tout-puissant, Krishna, le Feu.

1510. Tu es Svishtakrit (qui accomplit de bonnes offrandes), Bhishajâvarta, Kapila (le fauve), Vâmana (le nain), le Sacrifice, Dhrouva, Patamga (l’oiseau Garouda) ; on t’appelle aussi Yajnasena,

1511. Çikhandin (qui a un chignon de cheveux), Nahousha, Babhrou (le brun) ; tu es (la constellation) Pounarvasou qui touche le ciel, (tu es) Souvabhrou, (tu es) le sacrifice Ouktha, Soushena, (le tambour) Doundoubhi.

1512. Les roues de ton char ont des rayons lumineux, tu es Çrîpadma (le lotus de la Beauté), Poushkara (le lotus bleu), Poushpadhârana (porteur de fleurs), Kratou (le sacrifice), Vibhou ; ta conduite est des plus subtiles.

1513. Tu es l’Océan, tu es Brahma, tu es la demeure purifiante ; tu connais les (divers) séjours. On t’appelle Hiranyagarbha (fœtus d’or), tu es (l'exclamation) Svadhâ, le cri Svâhâ (bénédiction), Keçava (chevelu) !

1514. Tu es la matrice (où s’engendre) ce (monde) ; tu es aussi le lieu où il se dissout, ô Krishna ! toi seul, tu as créé tout cet (univers), au commencement (des temps), et il est en entier (soumis à ton pouvoir). Ô matrice dont l’univers (est sorti), hommage à toi, qui tiens à la main le disque Çârnga et l’épée ! »

1515. Ainsi célébré par Dharmarâja au milieu de l’assemblée, Krishna Poundarîkâksha (fut) satisfait. Le premier des Yadouides réjouit, par d’agréables paroles, ce descendant de Bharata, le fils aîné de Pândou.




CHAPITRE XLIV


DISTRIBUTION DES DEMEURES



1516. Vaiçampâyana dit : Alors le roi congédia tous les sujets qui, selon la permission (qu’ils en avaient reçue de lui), rentrèrent dans leurs demeures.

1517. Puis Youdhishthira, le roi fameux, dit d’une voix douce à Bhîma à l’héroïsme terrible, à Arjouna et aux deux jumeaux :

1518. « Dans cette grande guerre, les ennemis ont blessé vos corps de diverses armes. Vous avez subi de grandes fatigues, et vous avez été tourmentés par le chagrin et la colère.

1519. Ô taureaux des Bharatides, vous avez dû, par ma faute, habiter péniblement dans les bois, comme des hommes du commun.

1520. Jouissez à votre fantaisie de cette victoire, de manière à être heureux. Demain, quand vous serez reposés, et que vous aurez repris (toutes vos) facultés, je me rencontrerai de nouveau avec vous. »

1521, 1522. Alors, pareil à Maghavant qui rentre dans son palais, Vrikodara aux grands bras entra dans la demeure de Douryodhana, qui lui avait été donnée par son frère avec la permission de Dhritarâshtra, et qui était ornée de belvédères, remplie de nombreux bijoux, et pleine d’esclaves mâles et femelles.

1523, 1524. Arjouna aux puissants bras entra, sur l’ordre du roi, dans la maison de Dousçâsana, qui, aussi (belle) que celle de Douryodhana, était ornée de belvédères, remplie d’esclaves mâles et femelles, embellie de grilles d’or, et où abondaient les richesses et les grains.

1525, 1526. Ô grand roi, Youdhishthira fils de Dharma, se plut à donner à Nakoula, qui en était tout à fait digne, et qui avait beaucoup souffert dans la grande forêt, l’habitation de Dhourmarshana ; elle était supérieure à celle de Dousçâsana, garnie de bijoux et d’or, et pareille au palais de Kouvera.

1527, 1528. Il donna à Sahadeva, qui faisait constamment (tout ce qui pouvait) lui plaire, la splendide demeure de Dourmoukha, embellie de riches ornements d’or, pleine de femmes aux yeux de lotus, remplie de lits (magnifiques). Celui-ci, en l’obtenant, se réjouit comme (Kouvera) le distributeur des richesses, en obtenant le Kailàsa.

1529. Ô maître des hommes, Youyoutsou, Vidoura, Sañjaya, Soudharman et Dhaumya, rentrèrent dans leurs anciennes demeures.

1530. Pareil à un tigre qui pénètre dans une caverne de la montagne, le tigre des hommes, (Krishna) descendant de Çouri, entra, avec le Satyakide, dans la demeure d’Arjouna.

1531. Après s’être livré à des festins qui les réjouirent et après avoir passé une excellente nuit, ils se réveillèrent dans d’agréables (dispositions), et s’approchèrent du roi Youdhishthira.




CHAPITRE XLV


QUESTION POSÉE AU VASOUDEVIDE


Argument : Youdhishthira administre son royaume avec justice, fait de grandes libéralités aux prêtres, honore Dhritarâshtra et Youyoutsou, et se concilie l’affection de tous. Il va rendre visite à Krishna, qu’il trouve plongé dans une profonde méditation.


1532. Janamejaya dit : Ô prêtre, apprends-moi ce que fit encore le guerrier aux grands bras, Youdhishthira fils de Dharma, quand il eut obtenu la royauté.

1533. Tu dois, ô rishi, me raconter aussi ce que fit l’adorable héros, Hrishikeça, le gourou suprême des trois mondes. »

1534. Vaiçampâyana dit : Ô Indra des rois, écoute le récit véritable de ce que firent les Pàndouides, qui avaient mis le Vasoudevide à leur tête.

1535. Ô grand roi, quand Youdhishthira fils de Kountî, eut pris possession de. la royauté, il affermit chacune des quatre castes dans la situation qui lui convenait.

1536. Le fils de Pândou fit donner à mille magnanimes brahmanes snâtakas, (ayant pratiqué leurs ablutions régulières et devenus maîtres de maison), un millier de nishkasâ chacun.

1537. Il satisfit, (en leur donnant] ce qu’ils désiraient, ceux qui dépendaient de lui, les serviteurs, les protégés et les hôtes, ainsi que les pauvres et les malheureux.

1538. Il donna au chapelain Dhaumya des vaches, par dizaines de mille, des richesses, de l’or, de l’argent, ainsi que des vêtements de diverses sortes.

1539. Ô grand roi, ce prince ferme dans ses vœux, se conduisit envers Kripa comme envers un gourou, et rendit des honneurs à Vidoura.

1540. Le plus généreux des donateurs, il satisfit tous les protégés au moyen de vivres, d’aliments et de boissons, au moyen de vêtements de différentes sortes, de lits et de sièges.

1541. Ô le plus grand des monarques, ce très glorieux roi rendit des honneurs au Dhritarâshtride Youyoutsou.

1542. Ayant partagé le pouvoir royal avec Dhritarâshtra, Gândhâri et Vidoura, le roi Youdhishthira vécut content, à la manière d’un homme heureux.

1543. S’étant concilié (tous les habitants de) la ville, ô taureau des Bharatides, il s’approcha, en faisant l’añjali, du magnanime Vasoudevide.

1544. Il vit alors, entouré d’un éclat pareil à celui d’un nuage bleu sombre, assis sur un grand lit de camp orné de joyaux, Krishna

1545. Au corps brillant, paré de divins ornements, portant une robe de soie jaune, semblable à un joyau enchâssé dans l’or,

1546. Resplendissant, grâce au joyau Kaushtoubha qu’il portait sur la poitrine, pareil à la montagne Oudaya où le soleil se lève, qu’éclaire cet astre.

1547. Jamais spectacle semblable ne s’était vu dans les trois mondes. S’étant approché du magnanime Vishnou, (incarné) sous une forme humaine, ce

1548. Roi, ayant souri d’abord, lui adressa ces douces paroles : « As-tu bien passé la nuit, ô le plus grand des sages.

1549. Ô Acyouta, le plus sage des hommes, toutes tes idées sont-elles éclaircies (par le repos) ; la divine sagesse est-elle venue (te visiter) ?

1550. Grâce à ta faveur, ô adorable, toi dont les pas (parcourent) les trois mondes, nous avons obtenu la royauté, et la terre est soumise à notre pouvoir,

1551, 1552. Nous avons remporté la victoire et acquis une gloire suprême, sans nous écarter du devoir. » Mais l’adorable (Krishna) ne répondit rien au dompteur de l’ennemi, Dharmarâja, qui lui tenait ce langage. Il était plongé dans la méditation.




CHAPITRE XLVI


GLORIFICATION DU HÉROS


Argument : Youdhishthira s’adressa à Krishna plongé dans la méditation, et lui demande ses conseils. Krishna l’engage à aller consulter Bhîshma, Youdhishthira et Krishna se rendent tous les deux auprès du lit de mort de ce héros.


1553. Youdhishthira dit : Être à l’héroïsme incommensurable, quel est le merveilleux objet de ta méditation ? (S’agit-il) du bonheur des trois mondes, ô refuge de l’univers ?

1554. Ô taureau des hommes, tu te livres à la quatrième espèce de méditation, (celle des yogins) ! Mon esprit est stupéfié, de ce que le dieu (qui s’incarne en toi, semble être) sorti (de ce monde).

1555. Certes, le souffle qui anime ton corps, et lui donne les cinq actions (vitales), a été retenu ! Tes sens apaisés et sereins se sont fixés dans ton esprit 32 !

1556. Dieu Grovinda, la parole et le sattva (bonté) sont rentrés dans ta bouddhi (une des formes de l’esprit). Toutes tes qualités sont rentrées, chacune dans son lieu d’origine.

1557. Les poils de ton corps sont immobiles, ton esprit et ton intelligence sont tranquilles, ô Madhavide ! Tu es devenu inerte comme un morceau de bois, un mur ou un rocher ?

1558. Ô dieu adorable, tu es immobile comme une pierre ! (Tu n’es pas plus) agité, que (la flamme) d’une lampe, que le vent laisse brûler tranquillement.

1559. Réponds à ma question, si elle n’est pas indiscrète. Éclaircis mes doutes, ô dieu, je t’en demande la faveur.

1560. Car tu es le créateur et le destructeur, tu es périssable et impérissable, tu n’as pas eu de commencement, et tu n’auras pas de fin. Tu es le plus grand des êtres, ô le plus grand des hommes.

1561. Ô le plus excellent de ceux qui connaissent le devoir , réponds, conformément à la vérité, à celui qui t’implore, qui t’est (pieusement) dévoué et qui incline sa tête (devant toi, et fais-lui connaître) quel est l’objet de ta méditation.

1562. Alors, ayant repris son esprit, son intelligence et ses sens, cet adorable frère puîné de Vâsava, sourit d’abord, et s’exprima en ces termes.

1563. Le Vasoudévide dit : (Je vois par l’intuition que), couché sur un lit de flèches, pareil à un feu qui s’éteint, le tigre des hommes, Bhîshma, songe à moi, de sorte que mon esprit s’est porté sur lui.

1564. Je suis allé en esprit vers celui, dont le roi des dieux fut incapable de supporter le bruit de la corde de l’arc et des mains, (bruit) qui était aussi (terrible que celui de) la foudre.

1565. Je suis allé en esprit vers celui par qui, après qu’il eut vaincu tous les rois, ces trois jeunes filles furent prises, (pour les marier à son frère).

1566. Je suis allé en esprit vers celui qui combattit, pendant vingt-trois jours, le Bhrigouide Râma, sans être vaincu par lui.

1567. Concentrant tous ses sens, ayant triomphé de ses pensées par son intelligence, il venait vers moi (comme) vers un refuge . C’est pour cela que mon esprit est allé à lui.

1568. Ô prince mon ami, je suis allé en esprit vers ce pupille de Vaçishtha, que la Gangâ enfanta.

1569. Je suis allé en esprit vers ce sage à la grande énergie, porteur d’armes divines, qui connaît les quatre védas, avec (toutes) leurs branches.

1570. Ô fils de Pândou, je suis allé en esprit vers le canal de toutes les sciences, le disciple chéri du Jamadagnide Râma.

1571. Ô taureau des Bharatides, je suis allé en esprit vers ce (sage), le plus excellent de ceux qui connaissent les devoirs, car il sait le passé, le présent, et l’avenir.

1572. Certes, quand ce tigre des hommes sera monté au ciel, par (l’effet de) ses œuvres, ô fils de Prithâ, la terre sera comme une nuit privée de lune.

1573. Youdhishthira, approche toi donc avec confiance, de ce Bhîshma fils de la Gangâ, dont l’héroïsme est terrible, salue-le et interroge-le sur (les difficultés) qui se présentent à ton esprit.

1574. Ô maître de la terre, demande-lui la connaissance des quatre védas, celle dos fonctions des quatre hotars (sacrificateurs), la connaissance des quatre modes dévie et celles de tous les devoirs des rois.

1575. Quand Bhîshma, ce chef des Kourouides, sera allé à sa (vraie) patrie, les sciences disparaîtront de la terre. C’est pour cela que je te presse (d’aller le consulter). »

1576. Après avoir entendu ces paroles, aussi vraies qu’excellentes, du Vasoudevide, ce roi, connaisseur du devoir, dit avec des larmes dans la voix, à Janârdana :

1577. « Ô Madhavide, il n’existe aucun doute dans mon esprit, sur ce que tu m’as dit des éminentes (qualités) de Bhîshma, ô Madhavide.

1578. Ô homme au grand éclat, la haute situation et le pouvoir de Bhîshma me sont connus, les magnanimes brahmanes m’en ont instruit.

1579. Tu es le créateur des mondes, ô meurtrier de Madhou. Les paroles que tu prononces, ô joie des Yadouides, n’ont pas besoin d’être méditées par moi, (pour en apprécier la justesse).

1580. Si tes pensées me sont favorables, ô Madhavide, nous te mettrons à notre tête pour aller vers Bhîshma.

1581. Car, quand l’adorable soleil se sera retourné (dans sa course, notre grand oncle) se dirigera vers les mondes (supérieurs). Le Kourouide (Bhîshma) aux puissants bras, a donc besoin de (recevoir) ta visite.

1582. Qu’il jouisse de ta vue. Tu es le Dieu suprême (à la fois) périssable et impérissable. Tu es le réceptacle de Brahma (l’âme suprême). »

1583. Vaiçampâyana dit : Quand il eut entendu les paroles de Dharmarâja, le meurtrier de Madhou dit au Satyakide qui se tenait auprès de lui : « Qu’on attelle mon char. »

1584. À l’instant, le satyakide s’éloigna de Keçava, et dit à Dârouka : « Qu’on attelle le char de Krishna. »

1585-1587. Après avoir entendu les paroles du Satyakide, Dârouka, ayant fait l’añjali, se hâta de présenter à Acyouta l’excellent char, en partie orné d’or, garni de pointes de saphir et de cristal, dont les roues avaient des bandes d’or, dont l’éclat égalait celui du soleil ; ce (char) à la course rapide, à l’intérieur orné de divers joyaux brillants, resplendissant comme le soleil nouvellement levé, ayant une bannière avec un étendard brillant, (où on voyait) Garouda ; ce (char était) attelé de chevaux de choix, rapides comme la pensée, aux corps parés d’or, et dont les premiers étaient Sougriva et Çaivya.


NOTES RELATIVES AU LIVRE DE L’APAISEMENT


NOTES RELATIVES À LA SECTION DE L’ENSEIGNEMENT
DES DEVOIRS DES ROIS




1. Çl. 100. Le texte porte sûta. On trouve pour ce mot, dans le dictionnaire de Saint-Pétersbourg : cocher, et : un homme issu de l’alliance d’un brahmane et d’une kshatriya, ou d’une brahmane et d’un kshatriya. Karna, fils du soleil et de Kountî avant son mariage, avait été abandonné par sa mère, et élevé, inconnu, par le cocher en chef du roi Dhritarâshtra, et par Râdhâ femme de ce cocher.

2. Çl. 109. Svayambara, cérémonie où une jeune fille choisissait elle-même son mari.

3. Çl. 121. Armure protectrice, destinée à garantir la main contre le frottement de la corde de l’arc.

4. CI. 132. Vrihadratha, roi de Magadha, eut, de deux de ses femmes, deux moitiés d’enfant. Un démon femelle anthropophage, appelé Jarâ, réunit ces deux parties qui formèrent un enfant complet, que l’on appela Jarâsandha (réuni par Jarâ).

5. Çl. 168. C’est une manière d’exprimer qu’ils étaient esclaves de toutes les passions

6. Çl. 187. Je pense que l’auteur fait allusion à l’exil dans les bois, qui avait été imposé aux Pândouides après le jeu de dés.

7. Çl. 220. Faute de numérotage dans le texte, qui de 219 passe à 225, sans qu’il y ait de lacune dans le discours.

8. Çl. 274. Encore une faute de numérotage dans le texte. De 270 à 275, il y a plus de çlokas qu’il ne faudrait, de sorte qu’après 274, j’ai du en distinguer quatre par des accents, pour retomber sur 275.

9. Çl. 342. D’après le dictionnaire de Saint-Pétersbourg, ayacaka est une faute, et il faut lire apâcaka.

10. Çl. 342. Manou, (livre X, verset 45), désigne sous le nom de dasyou (voleur), tous les hommes issus des races qui tirent leur origine de la bouche, des bras, de la cuisse ou du pied de Brahma, mais qui ont été exclus de leur caste, pour en avoir négligé les devoirs, soit qu’ils parlent le langage des (mlecchas) barbares, soit qu’ils parlent celui des (âryas) hommes respectables.

11. Çl. 469. Le texte porte coke. Mais mon avis est qu’il faut lire çoko, et qu’il faut corriger vyavasyaca en yajasva ca.

12. Çl. 509. Dans une note que je lui emprunte, le traducteur anglais Protap Candra Roy rappelle que, depuis les malheurs qui avaient fondu sur les fils de Pândou, jusqu’à ce que son mari eût remporté la victoire, Draupadi portait les cheveux épars en signe de deuil.

13. Çl. 516. Le texte porte : âtmodarakrte prajñh. leçon à laquelle il faut évidemment substituer : âtmodarakrte’prajñâh.

14. Çl. 557. Çloka difficile, dont la traduction n’est qu’approximative.

15. Çl. 564. Je me demande si le texte n’est pas corrompu, et si, au lieu de : na sukham viddhi bhiksukam, il ne faudrait pas lire : ca sukham viddhi bhiksukam. Le traducteur anglais a fait cette correction qui me semble naturelle, mais je n’ai pas osé la faire.

16. Çl. 583. Çloka difficile. Le mot avidhis, que j’ai rendu par : « absences de rites », devient, dans la traduction de Protap Candra Roy : « La connaissance de Brahma. »

17. Çl. 707. Ce çloka est à peu près inintelligible ; du moins, il est impossible d’en tirer un sens qui se relie à ce qui précède et à ce qui suit. Pour ne pas laisser de lacune, j’ai adopté l’interprétation de Protap Candra Roy, mais il est probable que le texte de ce passage est altéré.

18. Çl. 758. Passage dont le sens est obscur. J’ai traduit littéralement, comme l’avait fait déjà Protap Candra Roy.

19. Çl. 921. Le texte porte : so’tithis, cet Atithi. Comme il est question, non d’Atithi lui-même, mais de Souhotra, il faut évidemment entendre : « Ce (fils) d’Atithi. »

20. Çl. 930. Le traducteur anglais, Protap Candra Roy, explique que ces sortes de sacrifices étaient : l’Agnishtoma, l’Atyagnishtoma, rukthya, le Shodashi, le Vâjapeya, l’Atirâtra et l’Aptoryâma, qui, tous, impliquaient la consécration du soma.

21. Çl. 948. Peut-être, au lieu de Varsasahasrnyas, qui veut dire : « Des femmes vivant mille ans », faudrait-il lire : varsasahasrnas !, des hommes vivant mille ans. On ne voit en effet pas pourquoi, il serait question des femmes, à l’exclusion des hommes.

22. 952. Le traducteur anglais dit dans une note, à propos du mot Jârûthya, que, d’après Nilakantha, ce mot est synonime de Stutya, « digne de louanges. » Peut-être est-ce une épithète d’açvamedha, dérivée du mot védique Jarûthv, qui désigne le feu crépitant.

23. Çl. 975. Youvanâçva avait consommé lui-même, par erreur, du beurre consacré, destiné à rendre sa femme féconde.

24. Çl. 1036. Le texte porte trnalotsedhân, haute de trois nalas. Le dictionnaire de Saint-Pétersbourg dit que, dans ce passage, nala a le même sens que nalva, et désigne une mesure de longueur de 400, (ou peut-être de 104), coudées.

25. Çl. 1260. Le texte porte : Çilâm taptâm âyasim, que je traduis approximativement par : une plaque de fer brûlante.

26. Çl. 1261. J’ai traduit comme Protap Candra Roy. Tel que je l’ai donné, le Çloka 1261 présente un sens complet ; mais je me demande si la première partie de ce çloka, ne devrait pas être rapprochée du vers précédent, et, dans cette hypothèse, ce serait l’homme qui a souillé le lit de son gourou, qui, après avoir fait la pénitence prescrite, serait, en mourant, purifié de son péché.

27. Çl. 1271. J’ai emprunté à une note du traducteur anglais Protap Candra Roy, l’énumération de ces dix substances, que j’ai indiquées entre parenthèses.

28. Çls. 1304, 1305. Le texte est ici d’une concision désespérante. Je l’ai suivi d’aussi près que possible, sans oser l’éclairer par des adjonctions plus ou moins arbitraires.

29. Çl. 1313. Le texte porte Çleṣmâtakâs. On ne trouve, dans le dictionnaire de Saint-Pétersbourg, pour Çleṣmâtaka, que ; Cordia latifolia, et j’ai traduit en conséquence.

30. Çl. 1325. J’ai pensé, comme Protap Candra Roy, que ces gâteaux faits inutilement, étaient ainsi nommés, parce qu’ils n’avaient pas été offerts en sacrifices. Il ne faut pas perdre de vue, en effet, qu’il s’agit de prescriptions faites spécialement en vue des brahmanes.

31. Çl. 1476. Une note de Protap Candra Roy dit, que les six obligations de l’état, sur lesquelles le roi établit Vidoura conseiller, sont : La paix, la guerre, la marche, l’arrêt dans la marche, les dissensions semées parmi les ennemis, la défense du royaume en cherchant des alliances et en bâtissant des forts, etc.

32. Çls. 1555 et suivants. Tout ce passage est assez obscur. Youdhishthira décrit les effets de l’extase dans laquelle Krishna est plongé.

INDEX


DES TERMES TECHNIQUES, ET DES ÉPITÈTHTES QUI ONT ÉTÉ LAISSÉES SOUS UNE FORME SANSCRITE




Açvamedha sacrifice du cheval (l’un des grands sacrifices).
Acyouta celui qui n’est pas déchu, épithète de Vishnou-Krishna.
Agama l’ensemble de la tradition sacrée.
Agnihotra offrande au feu sacré.
Agnistoma sorte de sacrifice.
Ajâtaçatrou autre nom de Youdhishthira.
Âjya beurre sacré pour les sacrifices.
Angoulitra armure protectrice, destinée à garantir la main contre le frottement de la corde de l’arc.
Anouvâk sorte de formule sacrée.
Antaka le Destructeur, épithète de Yama, dieu de la Mort.
Apsaras nymphe du paradis d’Indra.
Artha l’Utile, en tant que l’une des fins de l’homme (un des termes du trivarga).
Astra arme de jet, dont on se sert à l’aide de formules magiques.
Avabhrita bain purifiant, à la fin de l’acjvamedha.


Bibhatsou autre nom d’Arjouna.
Bouddhi l’une des formes de l’intelligence.
Brahma (m. et n.) l’âme suprême, la science sacrée ; le dieu suprême, existant par lui-même.
Brahmacârin brahmane, étudiant la science sacrée.
Brahmarshi sage mythique.


Çakra autre nom d’Indra.
Çatakratou le dieu aux cent sacrifices, épithète d’Indra.
Çaurin Krishna, descendant de Çouri.
Châtaka sorte de coucou.
Çri la déesse de la Fortune et de la Beauté.
Çrotrîya brahmane qui est dans le troisième stade de la vie brahmanique.
Çrouti l’ensemble des textes sacrés, considérés comme révélés.


Dâcârhien épithète de Krishna, descendant de Daçârha.
Dakshinâ offrande aux prêtres, comme rémunération de leur entremise dans les sacrifices.
Danda bâton, symbole de la justice et du châtiment,
Dasyou voleur ; homme dégradé de sa caste.
Devarshi Rishi divin, sage mythique,
Dhananjaya autre nom d’Arjouna.
Dharma le devoir, tel que l’entendent les brahmanes, (considéré comme une des fins de l’homme). Un des termes du trivarga.
Didhishû une femme dont la sœur cadette est mariée avant elle.
Drona une certaine mesure de capacité.
Dvija membre d’une des trois castes supérieures, qui a reçu comme une seconde naissance par l’initiation. En particulier, un brahmane.


Godhâ garniture de cuir portée au bras gauche, pour préserver du contact de la corde de l’arc.
Goudâkeça autre nom d’Arjouna.
Goulma petite troupe militaire, contenant neuf éléphants, neuf chars, vingt-sept cavaliers et quarante-cinq fantassins.
Gourou précepteur brahmanique : maître spirituel ; personnage important.
Govinda autre nom de Krishna.
Hotar prêtre sacrificateur.
Hrishikeça autre nom de Krishna.
Janârdana autre nom de Krishna.
Kâla le Temps, le Destin.
Kali nom d’une déesse épouse de Çiva.
Kâma l'agréable(ou le plaisir),considéré comme une des fins de l’homme, (un des termes du trivarga).
Karmabouddhi organe intellectuel qui dirige les actions.
Keçava autre nom de Krishna.
Khatvânga bâton des ascètes mendiants, formé de trois tiges liées ensemble et surmontées d’un crâne.
Kriechrabhogin celui qui vit péniblement, et qui se livre à des pratiques ascétiques, où l’on se mortifie par un jeune très rigoureux. Selon une note de Protap Gandra Roy. (Çântiparva, chapitre 34), celui qui suit cette règle mange le matin les trois premiers jours, le soir les trois jours suivants, et jeûne complètement les trois jours qui suivent ces six premiers et ainsi de suite.

Il y a une règle encore plus sévère, dans laquelle les périodes sont de sept j ours, au lieu d’être de trois.

Kricchraprabhogin voyez le précédent.
Kroça portée de la voix, mesure de distance de quatre mille coudées.
Kshattar d’après Manou, fils d’un coudra et d’une femme appartenant à la caste brahmane. Ce terme désigne Vidoura, qui était fils d’un brahmane (Vyâsa) et d’une fille esclave.
Maharshi grand rishi, sage mythique.
Mantra formule en vers, empruntée aux hymnes védiques.
Moksha délivrance finale qui met un terme à la transmigration.
Mouni ascète.
Mritiou la Mort (personnifiée).
Nalva mesure de longueur (400, ou peut-être 104 coudées).
Nirvana l’anéantissement de la conscience individuelle, par absorption dans l’âme universelle.
Nishad une certaine partie des livres sacrés.
Nishka une certaine quantité d’or, dont la valeur n’est pas bien connue.


Oupanishad partie philosophique des livres brahmaniques.


Pâkaçâsana épithète d’Indra, meurtrier de Pâka.
Parivettar cadet marié avant son frère aîné.
Parivitti aîné dont le frère cadet est marié avant lui.
Phâlgouna autre nom d’Arjouna.
Pitrimedha sacrifice aux Mânes.
Pitris les Mânes, ou les ancêtres déifiés.
Pourâna ancienne légende ; catégorie des livres sacrés.
Pourandara autre nom d’Indra.
Prajâpati le créateur ; le maitre des créatures ; Brahma.


Râjarshi sage mythique, tout à la fois roi et prêtre.
Rajas passion, l’une des trois qualités de la matière, voir sattva et tamas.
Râjasoûya sacrifice solennel et très important, pour célébrer la prise de possession du pouvoir suprême par le roi.
Rishi sage mythique, ou auteur prétendu des hymnes védiques,
Ritvij sorte de prêtre brahmanique.


Sankhyâ sorte de doctrine philosophique orthodoxe.
Sannyâsa renoncement ascétique.
Sannyâsin ascète qui s’est voué au renoncement.
Sarvamedha sacrifice universel. Offrande de soma qui accompagnait un sacrifice où l'on offrait toutes sortes de victimes. C’était un des grands sacrifices.
Sattva la bonté, la pureté, la première des trois qualités de la matière.
Smriti l’ensemble des livres sacrés d’origine traditionnelle.
Snâtaka Brahmane ayant terminé son stage de brahmacârin, et pris son bain final avant de devenir maître de maison.
Soma liqueur employée pour les libations dans les sacrifices. le soma est parfois identifié avec la lune.
Sourâ sorte de liqueur alcoolique.
Svarga le ciel d’Indra.


Tamas obscurité, ténèbres (une des trois qualités de la matière).
Tapas ascétisme, pratiques ascétiques.
Tattva réalité, vérité, appliquée à la connaissance de l’âme suprême.
Tirtha bain sacré ; source ou réservoir dans lequel avait lieu le bain sacré.
Tridaça les trente-trois grands dieux.
Tridiva le triple ciel, le ciel de Brahma.
Trivarga le triple agrégat des fins de l’homme, devoir, intérêt, plaisir.


Vâjapeya offrande de soma, qui avait lieu pour célébrer l’arrivée d’un roi, ou d’un brahmane, à la plus haute dignité.
Vâk la parole personnifiée.
Vâjimedha sacrifice du cheval (voyez açvamedha).
Vâyou le Vent, personnifié et déifié.
Veda recueil des hymnes sacrés ; il y en a quatre.
Vedânta système de philosophie orthodoxe.
Vijaya autre nom d’Arjouna.
Viprarshi sage mythique, ou sacrificateur. (Voyez brahmarshi).


Yaksha groupe de divinités inférieures à la suite de Kouvera.
Yâma une veille, durée de trois heures.
Yâtidharma devoir des ascètes.
Yoga méditation extatique des ascètes ; aussi l’ensemble des pratiques au moyen desquelles, l’âme individuelle se réunit et s’identifie à l’âme universelle.
Yojana mesure de distance. Selon les uns deux milles géométriques ; selon d’autres deux milles et demi anglais, selon d’autres encore, quatre kroças.
Youga âge du monde. On distingue le devayouga ou âge des dieux ; le kritayouga (qui répond à l’âge d’or), et qui est le premier, le devayouga étant toujours considéré à part ; le tretâyouga (ou âge d’argent), second âge du monde ; le dvâpanayouga (ou âge de bronze), troisième âge du monde ; le kaliyouga, qui est l’âge actuel, ou quatrième âge du monde, et qui répond à l’âge de fer de la philosophie grecque.




TABLE DES MATIÈRES DU SECOND VOLUME




LIVRE DES ÉVÈNEMENTS ARRIVÉS PENDANT LE SOMMEIL





Pages.
CHAPITRE Ier. — Réflexions du fils de Drona. — Kripa, Kritavarman et le fils de Drona, se sauvent dans une forêt d’aspect terrible. Dhritarâshtra demande à Sañjaya ce qu’ils ont fait. Récit de Sañjaya. Épisode des corneilles et du hibou. Sommeil de Kripa et de Kritavarman. Le Dronide réfléchit à la conduite du hibou et songe à tuer les Pândouides par ruse. Il éveille ses deux compagnons et leur communique son dessein dont ils ont horreur. Discours du fils de Drona 
 1
CHAPITRE II. — Conversation du Dronide et de Kripa. — Discours de Kripa 
 9
CHAPITRE III. — Discours du fils de Drona. — Discours du fils de Drona 
 13
CHAPITRE IV. — Suite du précédent. — Discours de Kripa. Réponse d’Açvatthâman 
 18
CHAPITRE V. — Arrivée du fils de Drona. — Discours de Kripa. Réponse d’Açvatthâman, qui se dirige vers le camp des Pândouides, accompagné de Kripa et de Kritavarman 
 23
CHAPITRE VI. — Pensées du fils de Drona. — Le Dronide aperçoit à la porte du camp, un fantôme d’aspect terrible, qui rend toutes ses armes impuissantes. Désarmé, il voit tout l’atmosphère rempli d’autres fantômes effrayants. Il réfléchit à son malheur et prend la résolution d’implorer Mahâdeva 
 28
CHAPITRE VII. — Adoration de Çiva par le fils de Drona. — Prière à Mahâdeva. Un autel apparaît et, sur cet autel, un feu. Apparitions nombreuses et fantastiques. Fermeté du fils de Drona, qui prépare un sacrifice et s’offre comme victime. Mahâdeva apparaît, donne à Açvatthâman un glaive merveilleux, et pénètre dans son corps 
 33
CHAPITRE VIII. — Combat nocturne. — Questions de Dhritarâshtra. Kripa et Kritavarman se tiennent à l’entrée du camp, pour empêcher les ennemis d’échapper. Açvatthâman pénètre dans le camp. Mort de Dhrishtadyoumna. Terreur des femmes, des gardiens et des kshatriyas. Mort d’Outtamaujas, de Youyoudhâna et d’autres Pâñcâlas. Mort des fils de Draupadi, Prativindhya, Soutasoma, Çatânika, Croutakarman, Çroutakirti. Mort de Çikhandin, des Prabhadrakas et des soldats de Virâta. Massacre général. Description du tumulte et du désordre dont le camp est le théâtre. Kripa et Kritavarman mettent le feu au camp. Gémissements des soldats que l’on massacre. Joie des noctivagues et des carnassiers. Départ joyeux de Kripa, de Kritavarman et du Dronide. Dhritarâshtra demande pourquoi Açvatthâman n’a pas agi plus tôt. Sañjaya répond que c’est par crainte de la force des fils de Pândou. Les trois Dhritarâshtrides se rendent auprès de Douryodhana, qui est en train de mourir 
 41
CHAPITRE IX. — Mort de Douryodhana. — Les Dhritarâshtrides arrivent près de Douryodhana. Description de son agonie. Douleur que ressentent les trois guerriers. Discours de Kripa. Lamentations et récit d’Açvatthâman. Réponse et mort de Douryodhana. Départ des trois Dhritarâshtrides 
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SECTION II. — (ASTRAS PRODUITS)

AVEC DES ROSEAUX


CHAPITRE X. — Visite de Youdhishthira à son camp. — Le cocher de Dhrishtadyoumna vient raconter à Youdhishthira les événements qui ont eu lieu. Désespoir et plaintes de Youdihshthira. Il compatit aux plaintes de Krishna qu’il envoie chercher par Nakoula. Il va au camp. Il manifeste de nouveau son désespoir, à la vue du massacre dont son camp a été le théâtre 
 67
CHAPITRE XI. — Départ de Bhîma, qui s'en va pour tuer le fils de Drona. — Les amis de Youdhishthira le rappellent à la vie. Arrivée de Nakoula avec les reines. Désespoir de Draupadî. Elle s’évanouit, et Vrikodara la ranime. Elle demande à Youdhishthira la mort du Dronide. Youdhishthira lui répond et elle répond à son tour. Elle implore le secours de Bhîmasena, qui se met en route pour aller tuer le fils de Drona 
 72
CHAPITRE XII. — Entretien de Youdhishthira et de Krishna. — Krishna engage le roi à aller au secours de Bhîma, parce que le Dronide possède l’astra de la tête de Brahma, qui le rend redoutable. Récit des tentatives d’Açvatthâman pour obtenir le disque de Krishna 
 76
CHAPITRE XIII. — Production de l’astra de la tête de Brahma. — Arrivée des Pândouides. Description du char de Krisiina. Ils rejoignent Bhîma. Présence de Nârada et de Vyâsa. Bhîma se dispose à attaquer le Dronide, qui donne naissance à l’astra de la tête de Brahma 
 81
CHAPITRE XIV. — Arjouna lance son astra. — Poussé par Krishna, Arjouna lance son astra. Description des deux astras. Intervention de Nârada et de Vyàsa, qui reprochent à ces deux guerriers d’avoir donné naissance à ces astras 
 84
CHAPITRE XV. — Application de l’astra de la tête de Brahma aux enfants à naître des Pândouides. — Arjouna retire à grand’peine son astra du combat. Açvatthâman ne peut pas retirer le sien. Son discours aux deux rishis. Discours de Vyâsa. Il demande le joyau du Dronide. Discours d’Açvatthâman. Réponse de Vyâsa. Açvatthâman lance son astra sur les enfants à naître des fils de Pândou 
 86
CHAPITRE XVI. — Apaisement de Draupadî. — Krishna prédit la naissance de Parikshit. Réponse du Dronide. Krishna le maudit. Sa malédiction est confirmée par Vyâsa. Réponse d’Açvatthâman. Retour des Pândouides. Ils racontent à Draupadî ce qui est arrivé et lui donnent le joyau d’Açvatthâman. Réponse de Draupadî 
 92
CHAPITRE XVII. — Entretien d’Youdhishthira et de Krishna. — Youdhishthira demande à Krishna l’explication de ses malheurs. Krishna lui expose comment a eu lieu la création des êtres, pour lui faire comprendre la grandeur de Mahâdeva, et lui dit que c’est grâce à la faveur que ce grand dieu a accordée au fils de Drona, que le meurtre de ses fils et de son armée a pu avoir lieu 
 97
CHAPITRE XVIII. — Suite du précédent. — Les dieux offrent un sacrifice où ils n’invitent pas Roudra, qui s’en irrite et se fabrique un arc. Il frappe d’une flèche le sacrifice des dieux. Ce sacrifice s’élève au ciel, accompagné par Roudra. Roudra mutile plusieurs dieux. Les dieux s’enfuient affolés, mais il les arrête. Les dieux brisent la corde de son arc et viennent lui demander sa protection, qu’il leur accorde. Il leur rend les membres qu’il leur avait enlevés. C’est grâce à la protection de ce dieu que le Dronide a pu venir à bout de son entreprise 
 101




LIVRE DES FEMMES




CHAPITRE PREMIER. — Consolations données à Dhritarâshtra. — Janamejaya demande la suite du récit fait par Sañjaya à Dhritarâshtra. Sañjaya conseille de faire les cérémonies funèbres des morts. Suite des lamentations de Dhritarâshtra. Des consolations lui sont données par Sañjaya 
 109
CHAPITRE II. — Suite du précédent. — Discours de Vidoura 
 115
CHAPITRE III. — Suite du précédent. — Suite du discours de Vidoura 
 120
CHAPITRE IV. — Suite du précédent. — Suite du discours de Vidoura 
 123
CHAPITRE V. — Suite du précédent. — Parabole du brahmane égaré dans une forêt épouvantable, et tombé dans un puits de cette forêt 
 126
CHAPITRE VI. — Consolations données à Dhritarâshtra. — Explication de la parabole précédente 
 129
CHAPITRE VII. — Suite du précédent. — Suite du discours de Vidoura 
 131
CHAPITRE VIII. — Suite du précédent. — Plaintes du roi. Discours de Vyâsa. Il explique que ce qui est arrivé, est le résultat d’un décret des dieux, et il exhorte Dhritarâshtra à la patience. Réponse de Dhritarâshtra, qui déclare qu’il supportera la vie 
 135
CHAPITRE IX. — Suite du précédent. — Janamejaya interroge Vaiçarapâyana, qui lui dit que Safijaya conseille au roi de faire les obsèques des morts. Évanouissement de Dhritarâshtra. Conseils que lui donne Vidoura 
 141
CHAPITRE X. — Arrivée de Dhritarâshtra. — Dhritarâshtra, avec toute sa cour et les femmes qui en font partie, se dirige vers le champ de bataille. Désolation générale 
 144
CHAPITRE XI. — Rencontre de Kripa, d'Açvatthâman, et de Kritavarman. — Le cortège royal rencontre Açvatthâman, Kripa et Kritavarman. Discours que ces trois guerriers tiennent au roi et à la reine. Ils se séparent, et vont chacun de leur côté 
 147
CHAPITRE XII. — La statue de fer de Bhîma est brisée. — Les Kourouides, en marche, rencontrent les Pândouides. Dhritarâshtra écrase, contre sa poitrine, une statue de fer de Bhima, qu’il avait prise pour Bhima lui-même. Discours de Krishna à Dhritarâshtra 
 150
CHAPITRE XIII. — Dhritarâshtra apaise sa colère. — Discours de Krishna. Réponse de Dhritarâshtra. Il embrasse les fils de Pândou 
 154
CHAPITRE XIV. — Apaisement de Gândhârî. — Les fils de Pândou s’approchent de Gândhârî. Elle veut les maudire. Vyâsa l'en empêche, son discours. Réponse de Gândhârî 
 157
CHAPITRE XV. — Prithâ voit ses fils. — Bhîma et Gândhârî échangent des discours. Youdhishthira implore le pardon de Gândhârî. Petite vengeance de cette dernière. Effroi des fils de Pândou. Ils s’approchent de leur mère. Douleur de celle-ci en les voyant blessés. Douleur de Draupadî. Discours tenu par Gândhârî pour les consoler 
 160


SECTION II. — DES LAMENTATIONS DES FEMMES


CHAPITRE XVI. — Visite des femmes au champ de bataille. — Gândhârî voit intuitivement le massacre des Kourouides. La cour se dirige vers le champ de bataille. Désolation générale à la vue qu’il présente. Discours de Gândhârî à Krishna. Elle lui décrit en gémissant l’aspect du champ de bataille. Elle lui dépeint la douleur des femmes 
 167
CHAPITRE XVII. — Découverte du cadavre de Douryo-DHANA. — Gândhârî aperçoit Douryodhana et s’évanouit. Elle reprend connaissance. Sa douleur. Discours qu’elle tient à Krishna. Elle lui montre la mère de Lakshmana, pleurant son époux et son fils 
 174
CHAPITRE XVIII. — Discours de Gândhârî (suite). — Gândhârî montre à Krishna le chagrin de ses belles-filles, et lui rappelle les conseils qu’elle a donnés à son fils. Rappel des circonstances relatives à Dousçâsana 
 178
CHAPITRE XIX. — Discours de Gândhârî (suite). — Gândhârî rappelle les circonstances relatives à Vikarna, Dourmouliha, Citrasena, Vivimçati, Doussaha 
 182
CHAPITRE XX. — Discours de Gândhârî (suite). — Gândhârî fait mention d’Abhimanyou, et de la douleur de sa femme. Elle signale ensuite Virâta, Outtara, Soudakshina, le prince du Kamboja et Lakshmana 
 185
CHAPITRE XXI. — Discours de Gândhârî (suite). — Mention est faite de Karna et de la douleur de son épouse 
 189
CHAPITRE XXII. — Discours de Gândhârî (suite). — Mention est faite de l’Avantien, de Bâhlika, de Jayadratha. Désespoir de Dousçalâ 
 191
CHAPITRE XXIII. — Discours de Gândhârî (suite). — Mention est faite de Çalya, de Bhagadatta, de Bhîshma, de Drona. Désespoir de Kripi 
 194
CHAPITRE XXIV. — Discours de Gândhârî (suite). — Mention est faite de Bhoûrievas, de Somadatta, de Cala, de Çakouni. 
 199
CHAPITRE XXV. — Malédiction prononcée par Gândhârî. — Mention est faite du Kambojien, du roi de Kalinga, de Vrihadbala, de Dhrishtadyounna, des cinq frères Kekayens, de Droupada, de Dhrishtaketou et de son fils, de Vinda et d’Anouvinda. Gândhârî décrit en même temps la douleur des femmes de ces héros ; puis elle s’évanouit de douleur. Ayant repris ses sens, elle maudit Krishna, pour n’avoir pas empêché la guerre et lui prédit que les Yadouides se détruiront les uns les autres. Réponse de Krishna 
 203


SECTION III. — DES CÉRÉMONIES FUNÈBRES


CHAPITRE XXVI. — Préparatifs pour l’autre vie en faveur des Kourouides. — Suite de la réponse de Krishna à Gândhârî. Dhritarâshtra interroge Youdhishthira. Réponse de ce dernier. Nouvelle question de Dhritarâshtra. Youdhishthira lui répond, et donne les ordres pour les cérémonies funèbres. Ils sont exécutés. Désespoir général 
 209
CHAPITRE XXVII. — Récit de la naissance secrète de Karna. — Arrivée du cortège sur les bords de la Gangâ. Les femmes accomplissent la cérémonie de l’eau. Kountî dit à ses fils que Karna était leur frère. Désespoir des Pândouides à cette nouvelle. Youdhishthira reproche vivement à sa mère de lui avoir caché cette circonstance 
 215



LIVRE DE L’APAISEMENT




SECTION I. — DE L’ENSEIGNEMENT DES DEVOIRS DES ROIS


Pages.
CHAPITRE PREMIER. — Souvenir de Karna. — Les brahmanes viennent trouver Youdhishthira, et le félicitent de sa victoire. Réponse du roi qui raconte ce que lui a dit Kountî, et qui déplore la mort de Karna 
 225
CHAPITRE II. — Récit de la malédiction de Karna. — Karna demande à Drona, qui le lui refuse, l’astra de Brahma. Karna va trouver Râma descendant de Bhrigou, et s’insinue dans ses bonnes grâces. Il tue par mégarde la vache d’un vieux brahmane, qui le maudit sans avoir voulu accepter ses excuses 
 231
CHAPITRE III. — Karna obtient les astras. — Affection de Râma pour Karna. Sommeil de Râma. Épisode du ver. Colère de Râma. Il prononce la condamnation de Karna 
 235
CHAPITRE IV. — Douryodhana enlève une fille dans un Svayambara. — Svayambara de la fille de Citrângada. Douryodhana y va avec Karna. Arrivée de la princesse, qui passe à côté de Douryodhana sans s’arrêter. Douryodhana l’enlève et la fait monter sur son char. Les autres rois le suivent pour la lui disputer, mais ils ne peuvent l’arrêter, et Douryodhana emmène son épouse à Hastinapoura 
 239
CHAPITRE V. — Héroïsme de Karna. — Jarâsandha provoque Karna et est vaincu par lui. Il lui donne la ville de Mâlini. Nârada fait allusion à la manière dont Indra fit renoncer Karna à ses armes défensives innées, et à la manière dont Karna fut tué par Arjouna 
 242
CHAPITRE VI. — Malédiction des femmes. — Discours de Kountî. Réponse de Dharmaràja. Malédiction qu’il prononce contre toutes les femmes 
 244
CHAPITRE VII. — Lamentations de Youdhishthira. — Discours de Youdhishthira 
 246
CHAPITRE VIII. — Discours d’Arjouna. — Discours d’Arjouna qui vante la fortune, et expose les inconvénients de la pauvreté 
 252
CHAPITRE IX. — Discours de Youdhishthira. — Youdhishthira refuse d’écouter son frère, et persiste à vouloir se retirer dans les bois. Il décrit l’ascétisme auquel il va se livrer, et les avantages qu’il en retirera 
 257
CHAPITRE X. — Discours de Bhîmasena. — Bhîmasena combat les idées de Youdhishthira 
 262
CHAPITRE XI. — Conversation entre les rishis et l’oiseau. — Discours d’Arjouna. Conseils donnés par Çakra, sous la forme d’un oiseau d’or, à de jeunes brahmanes qui s’étaient inconsidérément retirés dans les bois 
 266
CHAPITRE XII. — Discours de Nakoula. — Nakoula s’efforce de démontrer à son frère, que l’action est le but suprême de la vie 
 270
CHAPITRE XIII. — Discours de Sahadeva. — Sahadeva engage son frère à ne pas être égoïste, et à renoncer à son projet de retraite, car l’âme est immortelle et on ne lui cause aucun dommage en tuant le corps 
 275
CHAPITRE XIV. — Discours de Draupadî. — Draupadî représente au roi qu’il fait tort à ses frères en voulant quitter la royauté, et l’engage à n’en rien faire 
 277
CHAPITRE XV. — Discours d’Arjouna. — Le principal devoir d’un roi étant de tenir avec équité la verge du châtiment, Youdhishthira ne doit pas renoncer à la royauté, car il manquerait à ce devoir 
 282
CHAPITRE XVI. — Discours de Bhîmasena. — Bhîmasena expose à son frère ainé, qu’après avoir vaincu les ennemis il doit lutter contre son propre esprit 289 
 289
CHAPITRE XVII. — Discours de Youdhishthira. — Le roi insiste sur la vanité des choses de ce monde et sur l’excellence du renoncement ascétique 
 293
CHAPITRE XVIII. — Discours d’Arjouna. — Arjouna fait connaître au roi les reproches adressés à Janaka par sa femme 
 297
CHAPITRE XIX. — Discours de Youdhishthira. — Youdhishthira reproche à son frère de dire qu’il n’y a rien au-dessus de la richesse, et lui démontre que le renoncement est préférable 
 303
CHAPITRE XX. — Discours de Devasthâna. — Le sage mouni critique la théorie d’Arjouna, tout en étant d’avis que les richesses doivent être employées à offrir des sacrifices 
 307
CHAPITRE XXI. — Discours de Devasthâna (suite).— La délivrance finale est très difficile à atteindre. Devasthâna engage le roi à gouverner son royaume, en s’appuyant sur les préceptes de Vrihaspati 
 310
CHAPITRE XXII. — Discours d’Arjouna. — L’ascétisme et le renoncement sont les devoirs d’un brahmane, et non d’un kshatriya, qui est voué aux combats. Au reste, ceux qui ont péri dans la bataille sont au ciel. Youdhishthira ne doit pas se désoler de ce qui est arrivé, car c’était l’ordre du destin 
 313
CHAPITRE XXIII. — Discours de Vyâsa. — Excellence de l’état de maitre de maison, et de la royauté dignement pratiquée. Légende de Likhita et de Çankha. En punissant justement Likhita, le roi Soudyoumna a vu s’accroitre ses mérites 
 315
CHAPITRE XXIV. — Discours de Vyâsa. — Vyâsa expose au roi que chaque chose doit arriver en son temps. Plus tard il pourra se retirer dans les bois, mais en ce moment, il faut s’appliquer à régner. C’est un devoir très méritant, comme le prouve l’exemple du roi Harigriva 
 321
CHAPITRE XXV. — Légende de Senajit. — Les actes d’un homme sont en réalité peu de chose, ou même ne sont rien. C’est le destin qui, par ses vicissitudes, dirige tout. Légende de Sénajit 
 326
CHAPITRE XXVI. — Discours de Youdhishthira. — La richesse n’est pas le bien suprême. Elle cède le pas à la vertu. 
 331
CHAPITRE XXVII. — Discours de Vyâsa. — Youdhishthira renouvelle ses plaintes à propos de la mort de ses parents. Vyâsa lui répond qu’il a tort de s’affliger 
 335
CHAPITRE XXVIII. — Discours de Vyâsa. — Vyâsa raconte au roi ce qu’Açman dit à Janaka, au sujet de ce que doit faire l’homme qui a perdu ses parents ou ses biens 
 339
CHAPITRE XXIX. — Épisode des seize rois. — Krishna, pour consoler Youdhishthira, lui dit qu’il ne doit pas se désoler de la mort de ses parents. Il lui raconte une légende d’après laquelle Nârada, pour faire oublier à Srinjaya la mort de son fils, lui cite l’exemple de plusieurs grands rois 
 347
CHAPITRE XXX. — Récit relatif à Nârada et à Parvata. — Krishna raconte à Youdhishthira la légende suivant laquelle Nârada et Parvata allèrent visiter Srinjaya, puis comment ils se promirent de se communiquer tous leurs désirs. Comment ils en vinrent à se maudire réciproquement, et leur réconciliation 
 363
CHAPITRE XXXI. — Légende de la naissance de Souvarnashthivin. — Nârada raconte à Youdhishthira la naissance, la mort et la résurrection de Souvarnashthivin 
 368
CHAPITRE XXXII. — Récit relatif a l’expiation. — Vyâsa indique à son petit-fils ce qu’il convient qu’il fasse 
 374
CHAPITRE XXXIII. — Récit relatif a l’expiation. — Youdhishthira réitère l’exposé de ses motifs de désespoir. Vyâsa, continuant à le calmer, lui explique que ceux qui sont morts ont été tués par le destin et non par lui. Il l’engage à se consoler, à offrir des sacrifices et à remplir ses devoirs de roi 
 378
CHAPITRE XXXIV. — Suite du précédent. — Vyâsa indique les actes coupables qui rendent l’expiation nécessaire 
 384
CHAPITRE XXXV. — Suite du précédent. — Vyâsa expose les expiations prescrites pour les différentes fautes 
 389
CHAPITRE XXXVI. — Discours de Vyâsa. — Vyâsa raconte les instructions données par Manou aux siddhas, sur ce que l’on doit faire et éviter, sur les aliments dont on doit s’abstenir et sur les personnes qui sont dignes on indignes de recevoir des dons 
 396
CHAPITRE XXXVII. — Voyage de Youdhishthira à la ville. — Youdhishthira désire s’instruire des devoirs des rois et de ceux des diverses castes. Vyâsa et ensuite Krishna, l’engagent à s’adresser à Bhîshma à cet égard. Cédant aux sollicitations de ses amis, Youdhishthira sent le calme renaître dans son cœur et rentre dans sa capitale 
 403
CHAPITRE XXXVIII. — Mort de Cârvâka. — Enthousiasme des sujets du roi. Le rackshasa Cârvâka, ami de Douryodhana, ayant maudit le roi, est tué par les brahmanes indignés 
 409
CHAPITRE XXXIX. — Récit de la mort de Cârvâka. — Krishna raconte au roi l’histoire de la vie et de la mort de Cârvâka 
 414
CHAPITRE XL. — Sacre de Youdhishthira. — Détail de la cérémonie 
 416
CHAPITRE XLI. — Fonctions confiées par le roi a Bhîma et aux autres Pândouides. — Le roi prescrit au peuple d’obéir à Dhritarâshtra. Il pourvoit d’offices Bhîma, Vidoura, Sañjaya, Dhaumya, Nakoula, Sahadeva, Arjouna et les autres 
 419
CHAPITRE XLII. — Récit de la célébration des rites funéraires. — Le roi fait célébrer les cérémonies funèbres pour tous les morts 
 422
CHAPITRE XLIII. — Louanges du Vasoudevide 
 424
CHAPITRE XLIV. — Distbibution des demeures 
 427
CHAPITRE XLV. — Question posée au Vasoudevide. — Youdhishthira administre son royaume avec justice, fait de grandes libéralités aux prêtres, honore Dhritarâshtra et Youyoutsou et se concilie l’affection de tous. Il va rendre visite à Krishna, qu’il trouve plongé dans une profonde méditation 
 429
CHAPITRE XLVI. — Glorification du héros. — Youdhishthira s’adresse à Krishna plongé dans la méditation et lui demande ses conseils. Krishna l’engage à aller consulter Bhîshma. Youdhishthira et Krishna se rendent tous les deux auprès du lit de mort de ce héros 
 432
Notes relatives à la section de l’enseignement des devoirs des rois 
 437

ERRATA
Çlokas page ligne
51-58 7, 5. Au lieu de Pâñçâlas, lisez : Pâñcâlas.
252-261 33, 24. Au lieu de brahmaçârin, lisez : brahmacârin.
278 36, 11. Au lieu de çatghni, lisez : çataghni.
283 37, 1. Au lieu de Jharjara, lisez : jharjhara.
759 96, 9. Au lieu de Krishna, lisez : Krishnâ.
Titre 109, 2. Au lieu de striparva, lisez : strîparva.
134 127, 12. Au lieu de se trouve, lisez : se trouvait.
47 169,’ 31. Au lieu de du (corps) du tigre, lisez : des (corps) des tigres.
458 170, 30. Au lieu de raisonnent, lisez : résonnent.
623 192, 2. Au lieu de Pânkasaçâna, lisez : Pakaçâsana.
Argument 203, 3. Au lieu de du Kambojien du roi de Kalinga, lisez : du Kambojien, du roi de Kalinga.
743 207, 16. Att lieu de Çauri, lisez : Çouri.
749 208, 4. Ati lieu de trente sixième à venir, lisez : trente sixième année à venir.
Titre 221, 4. Au lieu de Çantiparva, lisez : Çântiparva.
114 240, 1. Au lieu de çrigâla, lisez : çrigâla.
274’-271" 261, 9. Au lieu de abandonae, lisez : abandonne.
365 274, 4. Au lieu de svadha, lisez : svadhâ.
432 283, 15. Au lieu de coudras, lisez : coûdras.
591 305, 12. Au lieu de étui, lisez : étai.
702 321, 21. Au lieu de : entouré de tes frères ; tu t’en iras, lisez : entouré de tes frères, tu t’en iras.
773 332, 3. Au lieu de Vaikhanasiens, lisez : Vaikhânasiens.
969 354, 9. Au lieu de Viçvâsou, lisez : Viçvâvasou.
1004 357, 29. Au lieu de Amourtarayas, lisez : Amoûrtarayas.
1011 358, 21. Au lieu de Amourtarayas, lisez : Amoûrtarayas.
1049 390, 14. Au lieu de açvabhrita, lisez avabhrita.
1381 407, 11. Au lieu de aîné, lisez ainé.
1383 407, 15. Au lieu de aîné, lisez ainé.