Le Mahâbhârata (traduction Ballin)/Volume 2/3-LLDA-Ch24

Traduction par Louis Ballin.
Ernest Leroux, éditeur (2p. 321-325).



CHAPITRE XXIV


DISCOURS DE VYÂSA


Argument : Vyâsa expose au roi que chaque chose doit arriver en son temps. Plus tard, il pourra se retirer dans les bois, mais, en ce moment, il faut qu’il s’applique à régner ; c’est un devoir très méritoire, comme le prouve l’exemple du roi Harigriva.


698. Vaiçampâyana dit : Ce mouni, le maharshi Krishnadvaipâyana, adressa encore ces paroles à Ajâtaçatrou fils de Kountî.

699, 700. « Ô mon ami, le plus grand des Bharatides, ô grand roi Youdhishthira, fais que tes sages frères que voici, obtiennent la satisfaction des désirs qu’ils ont formés, pendant qu’ils habitaient les bois. Gouverne la terre, ô fils de Prithâ, comme (le fit) Yayâti fils de Nahousha.

701. Vous avez pratiqué l’ascétisme en vivant péniblement dans les forêts. Après la peine, jouissez des plaisirs, ô tigres des hommes.

702. Ô Bharatide, après avoir pratiqué tes devoirs, cultivé tes intérêts, et goûté les plaisirs, entouré de tes frères ; tu t’en iras ensuite, (si cela te plait, reprendre la vie des bois), ô maître des hommes.

703. Ô Bharatide, acquitte-toi de ce que tu dois aux solliciteurs, aux pitris et aux dieux, ô fils de Kountî, et tu feras (ensuite) tout ce que (tu voudras).

704. Ô descendant de Kourou, offre le sarvamedha et raçvamedha, après quoi, ô grand roi, tu atteindras le refuge suprême.

705. Après avoir mis tous tes frères, en état d’offrir des sacrifices aux dakshinâs abondantes, tu obtiendras une renommée sans égale, ô fils de Pândou.

706. Ô le meilleur des Kourouides, il existe un précepte (bien) connu. Ô tigre des hommes, écoute ce qu’il faut faire, pour ne pas t’écarter du devoir.

707. Ô Youdhishthira, ceux dont la vertu n’est que celle des voleurs, dont ils ont l’adresse, conduisent le roi à la victoire et aux querelles .

708. Ô roi, celui qui, ayant égard aux lieux et aux temps, supporte les dasyous (eux-mêmes), en se conformant (aux règles de) la sagesse enseignée par les préceptes, ne commet pas de péché.

709. Le roi qui, ayant prélevé le tribut du sixième, ne protège pas son royaume, assume (la responsabilité) du quart des péchés commis dans son (empire).

710. Apprends de quelle manière, un roi, dans sa conduite, ne s’écarte pas de la vertu. En s’attachant à obéir aux préceptes du devoir, il n’a rien à craindre.

711. Celui qui, mettant de côté les désirs et la colère, considère, comme (le ferait) un père, (tous ses sujets) d’un œil égal, assujettit son intelligence aux préceptes (révélés) et échappe au péché.

712. homme à la grande splendeur, le roi qui, entravé par le destin au moment de l’action, ne voit pas réussir ses entreprises, n’est pas réputé coupable de péché.

713. Il doit triompher de ses ennemis par la force, et surtout par la sagesse (de son administration). Évitant de pactiser avec le mal, il doit soumettre le royaume aux règles du devoir.

714. Ô Youdhislithira, les héros, les gens honorables, ceux qui se conduisent bien, les savants, les possesseurs de vaches, ceux qui possèdent des richesses, doivent être protégés spécialement.

715. Pour la (gestion) des affaires, pour les sacrifices, il faut employer des gens très instruits. Un (prince) prudent ne doit pas mettre sa confiance dans un seul conseiller, possédât-il (les plus grandes) qualités.

716. Un roi qui n’est pas le protecteur (de ses sujets), qui ne sait pas réprimer (ses passions), qui est vain, opiniâtre, dont les intentions ne sont pas bienveillantes, est un pécheur, et l’on dit de lui qu’il ne sait pas mettre un frein à ses mauvais penchants.

717. Ô roi, quand, faute de protection (de la part du prince, (les sujets) périssent sous les coups du destin, ou sont détruits par les dasyous, tous ces (malheurs) sont la faute du roi.

718. Ô Youdhishthira, il n’y a pas d’infraction au devoir (de la part du prince), quand il exécute une action virile, après l’avoir préparée en s’aidant de sages conseils, et l’avoir bien conduite de toutes manières.

719. Le destin fait échouer ou réussir les entreprises, mais quand un acte viril a été accompli (dans les conditions que je viens d’indiquer), aucune faute n’est imputable au roi.

720. À ce sujet, ô tigre des rois, je te ferai connaître une ancienne légende. C’est le récit de ce qui est arrivé, ô fils de Pândou, à l’antique râjarshi Hayagriva (qui a un cou de cheval).

721. Ce héros aux œuvres fermes qui, n’ayant plus de compagnons (autour de lui), fut vaincu dans les combats, et tué sur le champ de bataille, après avoir exterminé de nombreux ennemis, ô Youdhishthira,

722. Lui qui, par ses actes (valeureux) (s’efforça) de repousser les ennemis, et mit tous ses soins à protéger les hommes (qui peuplaient ses états). Après avoir accompli des actions héroïques, et acquis de la renommée dans les combats, ce Vâjigrîva (qui a un cou de cheval, Hayagrîva), se réjouit maintenant dans le monde du Svarga.

723. Ayant perdu la vie dans un combat, (où il avait été) l’assaillant, enchaîné par les dasyous et percé par leurs armes, le magnanime Açvagrîva (Hayagrîva, qui a un cou de cheval), a atteint le but (final de la vie), et se réjouit dans le monde du Svarga.

724. Son arc était (comme) le poteau du sacrifice, la corde de son arc (figurait) le lien (pour attacher la victime), ses flèches étaient la (grande) cuillère (pour la libation), son glaive la petite cuillère (pour le même objet), son char était l’autel, le combat était le feu Kâmaya (de la libation), ses quatre excellents chevaux étaient les quatre hotars (prêtres sacrificateurs).

725. Après avoir sacrifié ses méchants ennemis, dans ce feu (du combat, comparé à un sacrifice), et abandonné, comme offrande, sa vie dans le combat (qui lui servait] de bain purificatoire, cet énergique râjarshi, délivré de cette (vie), se réjouit dans le monde des dieux.

726. Protégeant son royaume par une politique où la sagesse dominait, ayant l’habitude d’offrir des sacrifices, le magnanime et sage Vâjigrîva, ayant rempli tous les mondes de sa gloire, se réjouit, après sa mort, dans le monde des dieux.

727. Après avoir fait provision de mérites pour le ciel, appliqué la justice aux choses humaines, par l’emploi de pratiques appropriées, le magnanime roi Vàjigrîva, (Hayagriva) habitué à l’accomplissement des devoirs, se réjouit, en récompense, dans le monde des dieux.

728, 729. Savant, pratiquant le renoncement, croyant, reconnaissant (des services rendus), après avoir fait (de grandes) actions, et avoir abandonné le monde des hommes, après avoir atteint les mondes destinés aux hommes savants, intelligents, et honorés, qui ont abandonné leurs corps, après avoir acquis, comme il convient, la connaissance des védas, et (bien) compris les préceptes (de la loi), après avoir convenablement gouverné le royaume, et soumis les quatre castes aux règles du devoir, le magnanime roi Vâjigrîva se réjouit dans le monde des dieux.

730. Après avoir remporté des victoires dans les combats, protégé ses sujets, bu le soma, rassasié les principaux brahmanes, administré convenablement la justice à son peuple, et subi la mort dans la bataille, il se réjouit dans le monde des dieux.

731. Ce magnanime, dont les savants et les gens de bien vantent la conduite honorable et digne de louanges, ayant conquis le Svarga et atteint le monde des héros, s’est procuré une gloire pure, et est arrivé à son but. »