Le Mahâbhârata (traduction Ballin)/Volume 2/2-LLDF-Ch20

Traduction par Ballin, L..
Paris E. Leroux (2p. 185-188).



CHAPITRE XX


DISCOURS DE GÂNDHÂRÎ (Suite)


Argument : Gândhâri fait mention d’Abhimamyou et de la douleur de sa femme. Elle signale ensuite Virâta, Outtara. Soudakshina. le prince de Kamboja et Lakshmana.


568. Gândhârî dit : Ô Keçava, celui que l’on a dit posséder une fois et demie la force et l'héroisme, tant de son père que de toi, ô Dâçârhien, qui était puissant comme un orgueilleux lion,

569. Qui, seul, brisa l’armée, difficile à vaincre, de mon fils, est tombé lui-même au pouvoir de la mort, après avoir causé la mort des autres.

570. À ce que je vois, ô Krishna, la splendeur de cet Abhimanyou à l’éclat démesuré, fils de Krishna (Arjouna), ne s’est pas évanouie, même après son trépas.

571. Cette irréprochable fille de Viràta, bru de l’archer porteur de Gândiva, en voyant (le cadavre) du jeune héros son époux, pleure de douleur.

572. Ô Krishna, cette épouse, fille de Virâta, s’étant approchée de son époux, l’essuie avec la main.

573. Ayant embrassé la face, pareille à un lotus épanoui, (supportée par) un cou (ayant trois plis comme) une conque, de ce fils de Soubhadrâ, la vertueuse

574. Et belle jeune femme, à l’aspect charmant, qui jadis rougissait, (même) sous l’influence du mâdhvika (sorte de liqueur spiritueuse), le serre dans ses bras.

575. Après avoir détaché sa cuirasse ornée d’or et couverte de sang, ô héros, elle aperçoit le corps.

576. En le voyant, ô Krishna, cette enfant te dit : « Ô Poundarîkâksha, celui-ci, qui avait des yeux aussi beaux que les tiens, est abattu !

577. Ô homme sans péché, il était ton égal en force, en héroïsme et en énergie, ainsi que par son extrême beauté. »

578. « Est-ce que ton corps très délicat », (lui dit-elle), « habitué à coucher sur des peaux d’antilope rourou, ne souffre pas maintenant (d’être étendu) sur la terre (nue) ? »

579. Ses deux grands bras, (semblables) à des trompes d’éléphants, dont la peau a été rendue calleuse par le contact (fréquent) de la corde de l’arc, ornés de bracelets d’or, sont étendus. Il repose,

580. Plongé maintenant, (dirait-on), dans un profond sommeil, comme s’il était fatigué après avoir livré différents combats. « Tu ne me réponds pas, à moi qui, affligée, gémis (auprès de toi) !

581. Je ne me souviens pas de t’avoir (jamais) fait aucune offense. Pourquoi ne me réponds-tu pas ? Jadis, quand tu m’apercevais, (même) de loin, ne me parlais tu pas ?

582, 583. Je ne me souviens pas que tu m’aies (jamais) offensée. Pourquoi ne me réponds-tu pas ? Où iras-tu, ô noble (héros), après m’avoir abandonnée, moi qui suis de noble (race), et (après avoir abandonné) Soubhadrâ, ainsi que ces (illustres) parents, semblables aux dieux ? » Soulevant, avec la main, les cheveux souillés de sang, (de son mari),

584, 585. Appuyant sa tête contre son sein, elle l'interroge comme s’il était encore vivant. « Comment », (dit-elle), « ces grands guerriers t’ont-ils tué, toi qui étais le fils de la sœur du Vasoudevide et le fils de l’archer porteur de Gândiva, alors que tu te trouvais au milieu de la bataille ? Honte à ces cruels, Kripa, Karna, Jayadratha.

586. Ainsi qu’à ces deux (guerriers), Drona et son fils, par qui ta perte a été consommée ! Quel était alors l’état d’esprit de tous ces maîtres des hommes,

587. Qui, après t’avoir entouré, toi qui étais un enfant, et qui étais seul, t’ont tué pour mon malheur ? Comment donc, sous les yeux des Pândouides et des Pâñcâlas,

588, 589. Ô héros, toi qui avais de (nombreux) protecteurs, as-tu pu trouver la mort, comme un homme que nul ne protège ? Et comment ô héros, en te voyant tué dans le combat par de nombreux (adversaires), ton père, ô tigre des hommes, cet héroïque fils de Pândou, (peut-il) vivre encore ? Ni la conquête considérable de la royauté, ni la défaite de leurs ennemis,

590, 591. Ne satisferont, sans toi, les fils de Prithâ, ô guerrier aux yeux de lotus. Par l’observation du devoir, et en domptant (mes sens par l’ascétisme), je vais me hâter de te suivre aux mondes que tu as conquis par les armes. Prête-moi ton aide. Mais il est difficile à quelqu’un de mourir, quand il n’a pas conquis les mondes (supérieurs),

592, 593. Puisque moi, malheureuse, je reste vivante, après t’avoir vu tuer dans la bataille. Maintenant, ô tigre des hommes, à quelle autre (femme) rencontrée dans le monde des pitris, adresseras-tu, en souriant, de belles paroles comme à moi ? Assurément, dans le Svarga, tu raviras les cœurs des apsaras.

594. Après avoir par tes actions d’éclat, conquis les mondes (supérieurs), tu épouseras dans le ciel les apsaras séduites par tes (douces) paroles, et surtout par tes sourires.

595. Ô fils de Soubhadrâ, jouissant (là-haut) d’une heureuse vie, tu te souviendras de mes bons procédés. Ton union avec moi, ici-bas, a été limitée

596, 597. À six mois (puisque) tu as trouvé la mort au septième. » Après qu’elle eut ainsi parlé, les femmes de la maison du roi des Matsyas entraînèrent la triste Outtarâ, dont les désirs étaient (désormais) sans but. Quand, très affligées elles-mêmes, elles eurent emmené la malheureuse Outtarâ,

598. Elles s’abandonnèrent à des cris et à des gémissements, à la vue de Virâta mis en pièces par les astras de Drona, et qui gisait baigné dans son sang.

599, 602. Les vautours, les chacals, et les corneilles poussaient des cris autour de Virâta, et ces (femmes) aux yeux noirs, affligées et sans force, ne pouvaient éloigner le corps de ce roi, que ces oiseaux (de proie) menaçaient de leurs cris. La fatigue et les efforts (qu’elles faisaient), avaient altéré les visages, décolorés et brûlés par le soleil, de ces malheureuses.

Vois aussi, ô Madhavide, Outtara, Abhimanyou, et le Kambojien Soudakshina, ainsi que le beau Lakshmana, gisant sur le champ de bataille.