Le Mahâbhârata (traduction Ballin)/Volume 2/3-LLDA-Ch03

Traduction par Ballin, L..
Paris E. Leroux (2p. 235-238).



CHAPITRE III


KARNA OBTIENT LES ASTRAS


Argument : Affection de Râma pour Karna. Sommeil de Râma. Episode du ver. Colère de Râma. Il prononce la condamnation de Karna.


75. Nârada dit : Le tigre des Bhrigouides fut satisfait de la force des bras de Karna, de l’affection (qu’il lui témoignait), de la manière dont il domptait ses sens, et dont il obéissait à son gourou.

76. Cet ascète expliqua en tout repos, à son disciple, voué (comme lui) aux pratiques ascétiques, tout (ce qui avait rapport à] l’astra de Brahma et à la manière de le retirer.

77. Puis Karna, à la force merveilleuse, n’étant pas rebuté par Bhrigou et se plaisant (chez lui), appliqua ses efforts (à la connaissance de) la science de l’arc.

78, 79. Un jour, affaibli par le jeûne, se promenant avec Karna près de l’ermitage, le sage Jamadagnien, dont l’esprit était fatigué, s’endormit tranquillement, parce qu’il avait son ami près de lui. Le gourou reposait sa tête sur le sein de Karna.

80. Mais un ver cruel, aux étreintes douloureuses, se nourrissant de la lymphe, de la moelle, de la chair et du sang, s’approcha de Karna.

81. Ce (reptile qui se nourrit de sang, attaqua la cuisse (de Karna et se mit à) la percer, sans que celui-ci pût ni le chasser, ni le tuer, de crainte de troubler le sommeil) du gourou.

82. Mais, ô Bharatide, ce fils du soleil, quoique mordu par le ver, n’y prenait nullement garde, dans la crainte d’éveiller le gourou.

83. Karna, qui éprouvait une douleur insupportable, eut la fermeté de soutenir le Bhrigouide, sans bouger et sans troubler sa quiétude,

84. Jusqu’à ce que le corps (de Râma) ressentit le contact du sang. Alors, l’ascète de la race de Bhrigou s’éveilla, et dit :

85. « Hélas, me voilà souillé ! Comment as-tu fait cela ? Mets de côté la crainte et raconte-moi exactement ce (qui est arrivé). »

86. Karna lui expliqua comment il avait été mordu par le ver, et Râma vit ce monstre, qui ressemblait à un cochon.

87. Il avait huit pieds, des dents aiguës, et son corps était entouré de poils semblables à des aiguilles ; son nom était Alarka.

88. À peine le ver eut-il été baigné de sang, et à peine Râma l’eut-il examiné, qu’il mourut. C’était comme un prodige.

89. Alors, on vit dans le ciel un rakshasa effrayant, multicolore, ayant le cou rouge et le corps noir, porté sur un nuage ;

90. Ayant l’esprit calmé (parce qu’il avait accompli son dessein), il dit à Râma, en faisant l’añjali : « Je te bénis, ô tigre de Bhrigou ; je vais m’en aller comme je suis venu.

91. Délivré par toi (d’une situation qui me faisait souffrir tous les tourments de) l’enfer, ô le plus grand des mounis. Sois heureux. Je te salue. Tu m’as rendu service. »

92. Le majestueux Jamadagnien aux puissants bras, lui dit : « Qui es-tu ? Et pourquoi étais-tu tombé dans l’enfer ? Raconte m’en la raison. « 

93. Le monstre lui dit : « J’étais autrefois un grand asoura appelé Damça. Jadis, dans l’âge des dieux, j’étais à peu près contemporain de Bhrigou,

94. Dont j’enlevai de force l’épouse bien-aimée. Devenu ver par l’effet de la malédiction du maharshi, je tombai sur la terre.

95. Car cet (homme), l’ancêtre de ta (race), me dit dans sa colère : « Tu iras en enfer, et tu auras pour nourriture de l’urine et de la lymphe. »

96. « Ô brahmane », lui dis-je, « (quand) se terminera la malédiction (que tu viens de lancer sur moi) ? » Bhrigou me dit : « C’est le Bhrigouide Râma qui la fera cesser. »

97. « Ô homme vertueux, je suis arrivé à ce résultat que, m’étant approché de toi, moi qui étais impur, je suis délivré de la cause de mon mal. »

98. Le grand asoura, après avoir ainsi parlé à Râma et lui avoir rendu hommage, s’en alla. Et Râma adressa, avec colère, ces paroles à Karna :

99. « Ô insensé, aucun brahmane n’eût pu supporter une épreuve aussi pénible ! Ta fermeté paraît celle d’un kshatriya. Dis-moi la vérité sans réticence. »

100. Alors Karna, craignant la malédiction (de Râma, et cherchant à) se le rendre favorable, lui dit : «  Bhrigouide, sache que je suis né soûta entre la caste des brahmanes et celle des kshatriyas.

101. Ô brahmane, sur la terre, les hommes me connaissent sous le nom de Karna, fils de Râdhâ. Ô descendant de Bhrigou, pardonne-moi (de t’avoir dissimulé mon origine). (J'ai agi ainsi) parce que je désirais les astras.

102. Le gourou, le maître qui nous communique la science des védas, est, sans aucun doute, un père. C’est pourquoi j’ai (pu) dire que j’étais ton parent. »

103. Le plus grand des Bhrigouides, souriant (malgré) sa colère, dit à (Karna) qui, courbé jusqu’à terre, pleurait en faisant l’añjali :

104. « Ô insensé, puisque ton désir excessif (d’obtenir) les astras, (t’a conduit à me) servir en employant la ruse, cet astra de Brahma ne se présentera pas à ton esprit, (quand tu en auras besoin) .

105. Quand, dans une autre circonstance, tu te rencontreras, au moment de ta mort, avec un (homme) aussi (terrible) que toi, la parole de Brahma, à laquelle (tu voudras) avoir recours, n’aura aucun effet en ta faveur, (car) tu n’es pas un brahmane.

106. Maintenant, va-t-en. Il n’y a pas de place ici pour un menteur comme toi. Nul kshatriya ne sera ton égal à la guerre. »

107. Ayant entendu ces paroles de Râma, Karna s’en alla comme il convenait, et, étant allé trouver Douryodhana, il lui dit : « Je suis exercé à l’usage des armes. »