Le Mahâbhârata (traduction Ballin)/Volume 2/3-LLDA-Ch02

Traduction par Ballin, L..
Paris E. Leroux (2p. 231-234).



CHAPITRE II


RÉCIT DE LA MALÉDICTION DE KARNA


Argument : Karna demande à Drona, qui le lui refuse, l’astra de Brahma. Karna va trouver Râma, descendant de Bhrigou, et s’insinue dans ses bonnes grâces. Il tue par mégarde la vache d’un vieux brahmane qui le maudit, sans avoir voulu accepter ses excuses.


46. Vaiçampayana dit : Le mouni Nârada, le plus éloquent des hommes, à qui (le roi venait de) faire ces questions, raconta tout (ce qui concernait) la malédiction encourue par le fils du cocher.

47. Nârada dit : Ô guerrier aux puissants bras, c’est comme tu le dis : nul n’eût pu résister à Karna et à Arjouna (réunis) dans la bataille.

48. Ô homme sans péché, je vais te raconter ce qui est caché, (même) aux dieux. guerrier aux grands bras, voici comment les choses ont eu lieu jadis.

49. Ô roi, (on pourrait se demander) comment la caste des kshatriyas, purifiée par les armes, (serait en état) d’aller au Svarga. C’est dans ce but que, né d’une mère (encore) fille, destiné à causer une guerre,

50. Cet énergique enfant, réduit à (passer pour) le fils d’un cocher, se livra à l’étude de la science de l’arc, (qui lui fut enseignée par) le gourou, le plus excellent des descendants d’Angiras.

51, 52. Réfléchissant à la force de Bhîmasena, à la légèreté (de main) de Phâlgouna, à ta propre sagesse, ô Indra des rois, à la bonne conduite des deux jumeaux, à l'amitié qui régnait dès l'enfance entre l’archer porteur de Gândiva et le Vasoudévide, et à l’affection que tes sujets te portaient, il était consumé (de jalousie).

53. Continuellement haï de vous, et aussi, par suite, (tant) de ses inclinations naturelles que de la destinée, il se lia d’amitié, dans son enfance, avec le roi Douryodhana.

54. Reconnaissant que Dhanañjaya était supérieur à tous dans la science de l’arc, il s’approche en secret de Drona et lui dit :

55. « Je désire connaitre l’astra de Brahma, avec le secret de le retirer. Je pourrai (alors) combattre avec Arjouna. Telle est ma pensée.

56. Assurément, tu as pour tes disciples la même affection que pour ton fils. (Fais que), grâce à toi, les gens habiles ne disent pas que je ne suis pas (bien) exercé à l’usage des armes. »

57. Quand il lui eut ainsi parlé, Drona, qui avait des égards pour Phâlgouna et qui, d’un autre côté, connaissait la méchanceté de Karna, lui dit :

58. « Nul autre qu’un brahmane qui accomplit fidèlement ses vœux, ou un kshatriya qui âe livre à l’ascétisme, ne saurait connaître l’astra de Brahma. »

59. Ayant entendu ces paroles, (Karna) salua le meilleur des descendants d’Angiras, lui rendit hommage et se hâta d’aller à la montagne Mahendra, vers Râma.

60. Étant arrivé vers Râma, il s’approcha de lui avec respect, la tête inclinée, et lui dit : « Je suis un descendant de Bhrigou. »

61. Râma layant interrogé sur toutes choses, et d’abord sur sa famille, le reçut (pour son disciple). Karna, à qui Râma avait dit : « Sois le bienvenu », fut très joyeux.

62. Pendant qu’il demeurait en ce lieu, à Mahendra (qui était) semblable au Svarga, Karna eut des rapports avec les gandharvas, les rakshasas, les yakshas et les dieux.

63. Il y étudiait l’astra des flèches, sous (la direction) du meilleur des Bhrigouides, et il était très cher aux dieux, aux dânavas et aux rakshasas.

64. Il se promenait parfois sur le bord de la mer, près de l’ermitage. Le fils du Soleil ayant l’arc et le glaive à la main, (s’y) promenait un jour seul.

65. Ô Prithide, il s’amusa à tuer, sans la connaître, la vache (qui fournissait le lait) de l’offrande à un certain (brahmane), qui récitait des vers sacres et offrait des agnihotras.

66. S’étant aperçu de sa méprise, Karna en informa le brahmane et, lui expliquant ce qu’il en était, lui dit :

67. « Ô adorable, j’ai tué ta vache sans préméditation. Fais-moi grâce pour cette (faute involontaire). » Il lui répéta cette prière à plusieurs reprises.

68. Le prêtre, irrité, lui dit en le menaçant : « Ô homme qu’il est fâcheux de fréquenter, tu es digne de mort, Portes en la peine.

69. La terre engloutira la roue de ton (char), quand tu seras aux prises avec celui avec qui tu es constamment en rivalité, et à cause de qui tu te donnes beaucoup de mal.

70. Alors, quand ta roue sera engloutie par la terre, ton ennemi s’avancera et fera tomber ta tête à l'improviste. Va-t-en, ô le plus vil des hommes.

71. Ô fou, de même que ma vache a été tuée par toi par suite de ton manque de prévoyance, de même ton ennemi t’enlèvera la tête, en un moment d’imprévoyance de ta part. »

72. Il essaya alors d’apaiser cet excellent brahmane, (en lui offrant) des vaches, des richesses, des joyaux ; mais celui-ci lui dit :

73. « Certes, le monde entier ne saurait rendre vaine la parole que j’ai prononcée. Va-t-en ou reste, mais que ton destin s’accomplisse. »

74. Et Karna, à qui le brahmane venait de tenir ce langage, effrayé en se rappelant ce qui lui avait été dit, s’en retourna tristement, et la tête basse, vers Râma.