Le Mahâbhârata (traduction Ballin)/Volume 2/3-LLDA-Ch30

Traduction par Ballin, L..
Paris E. Leroux (2p. 363-367).



CHAPITRE XXX


RÉCIT RELATIF À NÂRADA ET À PARVATA


Argument : Krishna raconte à Youdhishthira, la légende suivant laquelle Nârada et Parvata allèrent visiter Sriñjaya, puis comment ils se promirent de se communiquer tous leurs désirs ; comment ils en vinrent à se maudire réciproquement, et leur réconciliation.


1043. Youdhishthira dit : Comment le fils de Sriñjaya était-il Kâñcanashthivin (qui crache de l’or) ? Pourquoi fut-il donné par Parvata ? Comment mourut-il ?

1044. Alors que les hommes vivaient un millier d’années, comment le fils de Sriñjaya mourut-il avant d’avoir atteint la jeunesse ?

1045. Était-ce de nom seulement qu’il était Souvarnashthivin (qui crache de l’or) ? D’où lui vint le nom de Kâñcanashthivin ? Je désire savoir (tout cela).

1046. Le vénérable Krishna dit : Ô maître des hommes, je vais t’expliquer comment (les choses) se sont passées. Il y avait deux rishis, les plus parfaits du monde, Nârada et Parvata,

1047. L’oncle maternel et le fils de sa sœur. Jadis, ils descendirent du monde des dieux, poussés par le désir de se distraire parmi les hommes, ô puissant,

1048. En goûtant, pour se nourrir, le beurre clarifié des offrandes, ainsi que l’ambroisie. Nârada était l’oncle maternel, et Parvata était le fils de la sœur (de celui-là).

1049. Ces deux ascètes parcoururent le monde, profitant des jouissances humaines, suivant les endroits où ils se trouvaient.

1050, 1051. S’aimant beaucoup, ils se plurent à faire une convention, d’après laquelle tout désir qui naîtrait dans le cœur de l’un d’eux, qu’il fût bon ou mauvais, devait être communiqué à l’autre. Celui qui y manquerait et qui déguiserait ses désirs, encourrait la malédiction (de son compagnon). Ces deux maharsis honorés du monde (entier), ayant pris cet arrangement,

1052. S’approchèrent du roi Sriñjaya, fils de Çvitya, et lui dirent : « Dans ton intérêt, nous habiterons un certain temps avec toi.

1053. Veille à nos besoins, ô protecteur de la terre. » Le roi, faisant ce qu’ils lui demandaient, les traita bien et les reçut honorablement.

1054, 1055. Un jour, le prince, très satisfait, dit à ces deux magnanimes ascètes : « Voici ma fille unique aux charmantes couleurs. Elle est belle, son corps est sans défaut. Elle a un bon caractère. Elle veillera sur vous deux.

1056. Cette enfant s’appelle Soukoumârî (belle fille). Elle a l’éclat d’une tige de lotus. » — « Très bien, » dirent les deux (rishis). Le roi donna (à sa fille) ses ordres en ces termes :

1057. « Ô jeune fille, soigne ces deux prêtres, comme si c’étaient des dieux ou des pitris. » La jeune fille, soumise à ses devoirs, ayant répondu à son père : « Soit »,

1058. Les soigna et les traita honorablement tous les deux. Sa beauté incomparable et les services qu’elle leur rendait.

1059-1061. Eurent rapidement pour effet (de permettre) au dieu de l’amour de s’approcher de Nârada, et de se glisser doucement dans son cœur, (avec) les désirs (qu’il traîne à sa suite), comme la lune quand elle se dirige vers la moitié brillante (de son cours). Cet ascète, qui, (cependant), connaissait ses devoirs, eut honte et (n’osa pas) dire au magnanime Parvata, que son cœur était brûlant (de passion). Mais (celui-ci) s’en aperçut à ses gestes et à (la manière dont il se livrait à) ses austérités.

1062. Alors, dans sa colère, il maudit, (aussi) énergiquement (qu’il était en son pouvoir), Nârada qui était atteint par l’amour, et lui dit : « Tu as accepté de faire une convention avec moi .

1063, 1064. Nous devions nous communiquer l’un à l’autre les désirs, bons ou mauvais, qui naîtraient dans notre cœur, (ainsi que) tu me l’as dit. Cette parole a été violée par toi, ô brahmane ; aussi je te maudis, car tu ne m’as pas prévenu, que l’amour naissait en toi

1065. Pour la jeune Soukoumârî. Aussi, je te maudis, car, étant brahmane, ascète et mon gourou,

1066. Tu as manqué à la convention arrêtée réciproquement entre nous deux. Sache donc que, dans ma colère, je te maudis.

1067. Il n’est pas douteux que Soukoumârî ne devienne ton épouse ; mais, à partir de ton mariage, tu prendras la forme d’un singe,

1068-1070. Et les autres hommes verront disparaître ta forme naturelle. » Nârada, entendant celui dont il était l’oncle maternel, lui parler ainsi, maudit à son tour ce Parvata, fils de sa sœur, (et lui dit) : « Malgré ton ascétisme, malgré ton état de brahmacârin, quoique tu sois attaché à la vérité et que tu aies dompté tes sens, quoique tu sois toujours attaché au devoir, tu n’atteindras pas le Svarga. » Et ces deux (mounis), très irrités, s’étant réciproquement maudits, pleins de colère,

1071. S’avancèrent l’un contre l’autre, comme deux grands éléphants en fureur. Parvata, aux grandes pensées, erra sur toute la terre,

1072-1074. Honoré comme il convenait pour son énergie, ô Bharatide. Nârada, le plus grand des brahmanes, obtint légalement pour épouse l’irréprochable Soukoumârî, fille de Sriñjaya, et au moment même de la prononciation des formules qui consacraient le mariage, Soukoumârî vit le devarshi Nârada prendre un visage de singe, comme la malédiction (l’avait prescrit),

1075. Sans le mépriser pour cela. Elle s’approcha de son époux avec affection, et, même au fond de son cœur, elle ne songea pas à un autre,

1076. Ô Dieu, mouni ouyaksha, en qualité d’époux. Puis, un jour, l’adorable Parvata, errant à l’aventure,

1077. Vit Nârada dans un certain bois solitaire. Après l’avoir respectueusement salué, Parvata lui dit :

1078, 1079. « Fais-moi la grâce de me permettre d’aller au Svarga. » En voyant Parvata incliné et triste, Nârada qui, lui-même, était plus triste que lui, lui répondit : « J’ai été, le premier, maudit par toi, lorsque tu m’as dit : Tu seras singe. »

1080. En t’entendant parler ainsi, je t’ai, dans ma colère, maudit à mon tour, (et je t’ai dit) : « Dorénavant, tu n’habiteras plus le Svarga. »

1081. (Une telle façon d’agir) n’était pas convenable pour toi, qui étais en quelque sorte mon fils. » Les deux mounis retirèrent alors leurs malédictions réciproques.

1082. En voyant Nârada resplendissant d’une beauté divine, Soukoumârî s’enfuit, craignant que ce ne fut un autre que son mari,

1083. Et Parvata, voyant cette femme irréprochable s’enfuir, lui dit : « C’est ton époux, n’hésite pas (à le recevoir).

1084. C’est l’adorable maître Nârada, dont l’âme est entièrement appliquée au devoir. Son cœur est inséparable du tien. N’aie aucun doute à cet égard. »

1085. Cette (femme), implorée à plusieurs reprises par Parvata, et ayant entendu (le récit) de la malédiction de son mari, rentra en elle-même.

1086. Puis, Parvata alla au Svarga, et Nârada rentra dans sa demeure.

1087. Le Vasoudevide dit : Ô le plus grand des hommes, l’adorable rishi Nârada t’expliquera tout ; interroge-le et il te dira comment (les choses) se sont passées.