Le Mahâbhârata (traduction Ballin)/Volume 2/2-LLDF-Ch02

Traduction par Ballin, L..
Paris E. Leroux (2p. 115-119).



CHAPITRE II


SUITE DU PRÉCÉDENT


Argument : Discours de Vidoura.


46. Vaîçampayana dit : Écoute ce que dit ensuite Vidoura, pour ramener, par des paroles pareilles à l’ambroisie, la joie chez le taureau des hommes, le fils de Vicitravirya.

47. Vidoura dit : Ô roi, léve-toi. Pourquoi es-tu étendu (sur le sol) ? Appelle ton courage à ton aide. (La mort), cette fin de toutes les créatures, est le (but final) suprême des maîtres du monde.

48. Tous les amas ont pour fin la dissolution. Les assemblages se désagrègent. Les réunions ont pour fin la séparation, et la mort est la fin de la vie.

49. Ô Bharatide, ô le plus grand des kshatriyas, parce que Yama attire à lui le héros comme le lâche, (faudra-t-il) que les kshatriyas se privent de combattre (et se conduisent comme des poltrons) ?

50. Celui qui ne combat pas trouve la mort, (alors que, souvent), celui qui combat survit. Ô grand roi, personne, quand son heure est arrivée, n’évite (son sort).

51. Ô Bharatide, les êtres commencent par ne pas exister, puis ils existent, et, finalement, ils rentrent dans le néant. Pourquoi te lamenter (qu’il en soit) ainsi ?

52. Ce n’est pas en pleurant qu’on se réunit aux morts, ce n’est pas en pleurant qu’on trouve la mort. Pourquoi pleures-tu, puisque tel est l’arrangement naturel du monde ?

53. Le temps attire à lui tous les êtres, quelle que soit leur nature. Pour le temps, il n’y a ni ami ni ennemi, ô le plus excellent des Kourouides.

54. De même que le vent abat de tous côtés les extrémités des brins d’herbe, les êtres vivants sont soumis au pouvoir du temps, ô taureau des Bharatides.

55. Pourquoi se lamenter sur celui que le temps atteint le premier, alors que tous les êtres s’acheminent ensemble vers la mort, comme les membres d’une même caravane ?

56. Ô roi, tu ne dois pas non plus pleurer sur ceux qui ont été tués en combattant. Si les çâstras (écritures), sont dignes de foi, ils ont atteint le refuge suprême.

57. Car tous se livraient à l’étude des védas, tous observaient des vœux sévères et tous sont morts, la face tournée en avant. Pourquoi donc se lamenter (sur leur sort) ?

58. Arrivés (d’un lieu) où ils n’étaient pas visibles (avant leur naissance), ils sont retournés (dans un lieu) où ils ne le sont pas davantage. Ils ne t’appartenaient pas et tu ne leur appartenais pas .

59. Si l’on est tué, on obtient le Svarga, si l’on a tué (on acquiert) la gloire. Les deux choses sont très avantageuses, et le combat n’est jamais sans profit.

60. Indra créera, pour ceux (que tu pleures), des mondes où leurs désirs seront comblés. Certainement ils deviendront les hôtes d’Indra, ô taureau des hommes.

61. Ni par des sacrifices aux riches dakshinâs (offrandes), ni par l’ascétisme, ni par la science, les mortels ne parviennent aussi sûrement au Svarga, que les héros tués dans le combat.

62. Ils versèrent des offrandes de flèches sur les feux (figurés par) les corps des héros (ennemis), et, de même, (ces hommes) énergiques eurent à supporter, de leur côté, les flèches qui furent versées sur eux (par les ennemis, en guise de libations).

63. Je t’indique par là, ô roi, la meilleure voie (à suivre) pour obtenir le Svarga. Pour le kshatriya, on n’en connaît pas ici-bas de meilleure que les batailles.

64. (Ceux qui sont tombés) étaient de magnanimes kshatriyas, des héros brillants dans les assemblées. Ils ont obtenu le comble de leurs désirs ; il ne faut pas les pleurer.

65. Ô taureau des hommes, ne te lamente pas. Reprends courage (en ayant recours) à toi-même. Il ne faut pas, maintenant, que le chagrin qui t’accable t’empêche d’accomplir ce que tu dois faire.

66. Il y a, dans les mondes où l’on transmigre, des milliers de pères et de mères, des centaines de fils et d’épouses. À qui sont-ils et à qui sommes-nous nous-mêmes ? (En réalité les liens de parenté sont chose changeante.)

67. Des milliers de sujets de chagrin et des centaines de motifs de crainte, assiègent chaque jour le sot, (mais n’affectent pas) le sage.

68. le plus excellent des Kourouides, personne n’est ni chéri, ni détesté du temps. Le temps n’est jamais neutre ; le temps attire tout à lui.

69. Le temps mûrit les êtres, le temps moissonne les créatures. Le temps veille sur les gens endormis. Certes, on ne lui échappe pas.

70. La jeunesse, la beauté, la vie, la richesse, la victoire, la santé, la société de ceux qui nous sont chers, ne durent pas toujours. Le sage ne doit pas être avide de ces (biens périssables).

71, 72. Ne te désole pas, seul, sur un malheur qui frappe le royaume (tout entier). Si on s’écarte de l’héroïsme, en pleurant, on n’empêche rien. On meurt quand même et on n’évite pas ce (qu’on redoutait). Le remède à ce malheur est de n’y pas penser.

73. Le (mal) auquel on pense, ne nous quitte pas. Bien plus, il s’accroît. Quand il leur arrive quelque chose de désagréable, ou quand ils sont privés de ce qu’ils désirent,

74. Les hommes de peu de jugement sont consumés par les douleurs humaines. En pleurant, tu ne favorises ni l’intérêt, ni le devoir, ni le plaisir.

75. (En agissant comme tu le fais), on s’éloigne du but à atteindre et on manque les trois fins (de l’homme, intérêt, devoir, plaisir). Quel que soit l’état de fortune particulier auquel les hommes soient arrivés,

76. Les sages s’en contentent, et ceux qui ne s’en contentent pas ont l’esprit égaré. On guérit les peines mentales par la sagesse, et les douleurs corporelles par les médicaments.

77-80. Telle est l’efficacité de la science. On ne saurait obtenir l’égalité d’âme par d’autres (moyens). Les œuvres que l’homme a accomplies jadis (dans une existence antérieure), l’entourent quand il est couché, se tiennent près de lui quand il est debout, courent après lui quand il court. Dans quelque situation qu’il se trouve, s’il l’ait quelque chose de bien ou de mal, il en recueille le fruit dans une même situation. Celui qui fait une action quelle qu’elle soit, avec un corps quel qu’il soit, en recueille le fruit avec ce même corps. Chacun est son propre ami, et chacun est son propre ennemi.

81. Chacun est le propre témoin de ses œuvres et de ses négligences. Le bonheur vient des bonnes actions et le malheur des mauvaises.

82, 83. On subit toujours (les conséquences) de ce qu’on a fait. On n’obtient jamais (de récompense) pour ce qu’on n’a pas fait. Les sages comme toi ne s’attachent donc pas à des actions très mauvaises, en opposition avec la science, et radicalement pernicieuses.