Le Mahâbhârata (traduction Ballin)/Volume 2/2-LLDF-Ch01

Traduction par Ballin, L..
Paris E. Leroux (2p. 109-114).

MAHÂBHÂRATA


STRIPARYA OU LIVRE DES FEMMES




SECTION I, DU DON DE L’EAU


Après avoir rendu hommage à Nârâyana et à Nara, le plus grand des hommes, ainsi qu’à la déesse Sarasvatî, on peut obtenir la victoire.




CHAPITRE PREMIER


CONSOLATIONS DONNÉES À DHRITARÂSHTRA


Argument : Janaraejaya demande la suite du récit fait par Sañjaya à Dhritarâshtra. Sañjaya conseille de faire les cérémonies funéraires des morts. Suite des lamentations de Dhritarâshtra. Des consolations lui sont données par Sañjaya.


1. Janamejaya dit : mouni, que fit le grand roi Dhritarâshtra, quand il eut appris que Douryodhana était tué et que l’armée était entièrement exterminée ?

2. (Que fit aussi) le roi au grand cœur, descendant de Kourou, Dharmapoutra (fils de Dharma) ? Que firent les trois (Dhritarâshtrides), Kripa et les autres ?

3. J’ai entendu (le récit) des exploits d’Açvatthâman. Raconte-moi les événements qui suivirent cette malédiction réciproque, (en un mot) ce que Sañjaya dit à (Dhritarâshtra).

4, 5. Vaiçampâyana dit : S’étant approché du grand roi Dhritarâshtra maître de la terre, triste parce que ses cent fils avaient été tués, tourmenté par le chagrin (que lui causait la mort) de ses enfants, qui méditait en silence, pareil à un arbre dont les branches ont été coupées, Sañjaya lui adressa ces paroles :

6. « Ô grand roi, pourquoi pleures-tu ? Le chagrin ne sert à rien, ô maître des hommes. Dix-huit armées complètes ont péri.

7. Cette terre est maintenant sans habitants ; elle est vide et déserte. Les rois des hommes des divers pays, venus des différents points de l’horizon,

8, 9. Ont tous trouvé la mort avec ton fils. Fais faire, dans l’ordre régulier, les cérémonies funèbres pour les pères, les fils, les petits-fils, les amis et les gourous. »

10. Vaiçampâyana dit : En entendant ces tristes paroles, le roi, difficile à affronter (dans les combats), tourmenté de la mort de ses fils et de ses petits-fils, tomba à terre, comme un arbre abattu par le vent.

11. Dhritarâshtra dit : « Mes fils, mes ministres et tous mes amis étant tués, je serai maintenant réduit à errer, tristement, sur cette terre.

12. En vérité, à quoi la vie peut-elle être bonne pour moi, dépourvu de parents, rongé par la vieillesse, pareil à un oiseau dont les ailes sont coupées.

13. Privé de mon royaume et de mes proches qui ont été tués, ayant les yeux éteints, je ne brillerai pas, ô grand sage, plus que le soleil dont les rayons seraient détruits.

14. Je n’ai pas suivi les conseils amicaux du Jamadagnide, du devarshi Nârada et de Krishnadvaipâyana.

15. Certes, ce qui m’était le plus profitable m’a été dit par Krishna au milieu de l’assemblée. « Ô roi », dit-il, « assez d’hostilité ; que (la cupidité) de ton fils soit reffrénée. »

16. Insensé (que je suis), pour n’avoir pas suivi ce conseil, je souffre de grands chagrins ! Certes, je n’écoutai pas (davantage) les sages paroles de Bhîshma !

17. Ayant entendu raconter le meurtre de Douçsâsana et (celui) de Douryodhana, qui tomba comme un taureau beuglant (dans son agonie), ainsi que le malheur de Karna,

18. À l’éclipsé de ce soleil (qui était) Drona, mon cœur est déchiré. Ô Sañjaya, je ne me rappelle pas avoir commis jadis aucune faute

19. Dont le (malheur) que j’éprouve, dans mon égarement, soit la conséquence. Certainement, dans les existences antérieures que j’ai traversées, quelque péché a été commis par moi.

20. C’est pour (l’expier) que le créateur m’a engagé dans des entreprises, dont la conséquence est le malheur. La vieillesse, la destruction de tous mes parents,

21. La ruine de mes amis et de mes partisans proviennent de la destinée. Est-il, sur la terre, un homme plus malheureux que moi ?

22. Que les Pândouides, aux vœux fermes me voient, aujourd’hui, appliqué à suivre ouvertement le long chemin (qui conduit) au monde de Brahma, (l’ascétisme) . »

23. Viçampâyana dit : Sañjaya adressa des paroles propres à calmer sa douleur, à ce roi qui se lamentait en exposant ses grands chagrins.

24. Chasse la peine, ô roi, dit-il. Tu as entendu de la bouche des vieillards, les conclusions des védas, les diverses sortes de traditions sacrées contenues dans les çastras,

25. (Et) ce que les mounis dirent jadis à Sriñjaya, dévoré de chagrin à cause de son fils. De même, quand ton fils s’entêtait dans son orgueil juvénile,

26. Tu n’as pas écouté les conseils que te donnaient tes amis. À l’affût du profit, dans ton avidité, tu n’as pas (su) faire (ce que commandait) ton intérêt personnel.

27. Tu as agi d’après tes propres idées, comme une épée qui tranche d’un seul coup. En général, les hommes qui n’avaient pas une bonne conduite, ont toujours été honorés (par toi).

28-31. Ô Bharatide, les conseils du vieux Kourouide Bhîshma, de Gândhârî, de Vidoura, ô grand roi, de Drona, ô grand roi, du Çaratvatide Kripa, de Krishna, ô grand roi, du sage Nârada, des autres rishis, et de Vyâsa à la splendeur incommensurable, n’ont pas été suivis par ce (Douryodhana) ton fils, ô Bharatide, qui avait pour conseillers Dousçâsana, le téméraire fils de Ràdhà (Karna), le pervers Çakouni, l’insensé Citrasena, et Çalya dont le monde entier a eu à souffrir.

32. (Il avait) peu de sagesse, il était égoïste, cruel, d’un commerce difticile, toujours insatiable, et (cependant) héroïque. Il ne savait dire que « bataille ».

33. Tu es intelligent, instruit ; tu dis toujours la vérité. Des gens de bien de ta sorte, et aussi sages que toi, ne laissent pas leur esprit s’égarer.

34. Quand il disait : « Toujours la guerre », il ne respectait aucun devoir. (En conséquence), tous les kshatriyâs sont détruits et la gloire de nos ennemis s’est accrue.

35. Tu étais placé entre (les deux partis). Tu n’as pas compris (ton rôle d’arbitre). Tu n’as pas dit ce qu’il fallait dire. Incapable de réfréner tes passions, tu ne les a pas pesées avec la balance (de la justice).

36. Dès le principe, l’homme doit faire son possible pour que, son but venant à n’être pas atteint, il n’éprouve pas de regret (de ses actions).

37. Ô roi, dans ton ambition pour ton fils, tu as voulu faire ce qui lui était agréable. (L’affaire ayant mal tourné) pour toi, tu t’en repens. Il ne faut pas t’abandonner à tes regrets.

38. Celui qui ne voit que le miel seul, (sans considérer) l’abîme (qu’il faut franchir pour s’en emparer), quand il est tombé (dans cet abîme), par suite de sa convoitise pour le miel, se lamente comme toi (en vain) .

39. Ce n’est pas en pleurant qu’on obtient les richesses. Ce n’est pas en pleurant qu’on obtient le fruit (de ses efforts). Ce n’est pas en pleurant qu’on obtient ce que l’on désire. Ce n’est pas en pleurant qu’on atteint le but suprême (la délivrance finale).

40. Celui qui, ayant allumé un feu et l’ayant enveloppé de son vêtement, en est brûlé et s’en repent, manque de sagesse, (car il devait prévoir ce qui lui arrive).

41. Vous avez, toi et ton fils, soufflé le vent de vos paroles sur le feu (de la colère) des fils de Prithâ. Vous l’avez arrosé de votre cupidité, (en guise de beurre âjya), et il s’est allumé.

42. Tes fils sont tombés, comme des papillons de nuit, dans ce (brasier) enflammé. Tu ne dois pas te lamenter parce qu’ils ont été consumés par le feu des flèches (de l’ennemi).

43. Ô roi, les sages ne sauraient te louer d’avoir le visage couvert de larmes. C’est contraire aux préceptes (de la sagesse).

44. En vérité, ces (larmes) brûlent, comme des étincelles (de feu), les hommes (que tu pleures). Que la réflexion triomphe de ta colère. Réconforte-toi toi-même. »

45. Vaiçampâyana dit : Il fut ainsi rappelé à lui-même par le magnanime Sañjaya. Vidoura lui dit encore des choses qui avaient la sagesse pour base.