Le Mahâbhârata (traduction Ballin)/Volume 2/3-LLDA-Ch08

Traduction par Ballin, L..
Paris E. Leroux (2p. 252-256).



CHAPITRE VIII


DISCOURS D’ARJOUNA


Argument : Discours d’Arjouna, qui vante les avantages de la fortune, et expose les inconvénients de la pauvreté.



201, 202. Vaiçampâyana dit : Ensuite, l’impatient et très fort Arjouna, à la parole éloquente, à l'indomptable énergie, à l’héroïsme terrible, offensé (de ce que venait de dire son frère), prononça en souriant, (tout en) léchant les coins de sa bouche et en présentant un aspect effrayant, ces paroles très convenables :

203. Arjouna dit : Quel malheur, quelle peine et quelle affliction suprême, ce serait si, après avoir accompli une œuvre surhumaine, tu abandonnais ta grande fortune !

204. Après avoir frappé tes ennemis et t’être emparé de la terre, conquise par ta valeur, comment pourrais tu renoncer à tout, par inconstance d’esprit ?

205. A-t-on (jamais) vu un homme dépourvu de virilité ou un paresseux acquérir la royauté ? Pourquoi (alors), dans ta colère, as-tu tué les rois ?

206. Comment celui qui, pauvre, ayant renoncé au bien-être, désire vivre d’aumônes, jouirait-il du fruit d’entreprises (auxquelles il ne se livre pas) ?

207. Il est connu dans tous les mondes, (comme) ne possédant ni enfants, ni bestiaux. Ô roi, après qu’un crâne à la main (en guise d’écuelle), tu auras adopté un genre de vie très pénible,

208. Et que tu auras renoncé à une royauté très prospère, qui est à toi, que dira le monde ? Ayant abandonné toutes tes entreprises, pauvre, ayant fait évanouir ta prospérité,

209. Pourquoi veux-tu t'abandonner à la mendicité, comme un homme du commun, ô roi, toi qui es né d’une race royale, et qui as conquis toute la terre ?

210. (Pourquoi) la folie te pousse-t-elle à abandonner le devoir de ta caste, et à te retirer dans les bois ? Si, ici bas, les méchants détruisent les offrandes,

211. Le péché t’en incombera, à toi qui auras délaissé (les sacrifices). Nahousha a dit : « La pauvreté ne doit pas être vantée. »

212. Tu sais qu’après avoir commis de mauvaises actions dans (l’état de) pauvreté, (il dit) : « Malheur à la pauvreté. » Ne rien conserver pour le lendemain ne convient qu’aux rishis.

213. Il faut pratiquer les devoirs (des rois), et on a dit que ces devoirs dépendent des richesses. Celui qui enlève à quelqu’un sa fortune lui ravit en même temps (le moyen de remplir) son devoir.

214. Ô roi, est-il quelqu’un de qui nous pourrions supporter la spoliation de nos biens ? Le pauvre est calomnié, même en sa présence.

215. La pauvreté est un mal ici bas, et il ne faut pas la louer. Ô roi, celui qui est abattu, pleure, le pauvre aussi.

216, 217. Je ne vois pas la différence entre le pauvre, et celui qui est déchu. Toutes les œuvres (méritoires) découlent, comme les rivières des montagnes, des grandes richesses accrues de toutes parts. Le dharma (devoir), l’artha (intérêt), le kâma (plaisir), le Svarga lui-même, viennent de la richesse, ô maître suprême des hommes.

218, 219. L’entretien même de la vie d’ici bas, n’est assuré que grâce à la richesse. En ce monde, tous les projets de l’homme privé de biens, (et de celui qui est) peu intelligent, sont arrêtés (et réduits à néant), comme les petits cours d’eau pendant la saison chaude. Qui a des richesses, a des amis ; qui possède des biens, a des parents.

220. En ce monde, le riche (seul) est un homme ; le riche (seul) est savant. L’homme dépourvu de richesse, qui désire en obtenir, ne saurait y arriver 7

225. On obtient les richesses à l’aide des richesses, comme (on prend) les éléphants sauvages avec des éléphants (privés). Le devoir, le plaisir, la joie, la fermeté, l’impétuosité, la science sacrée, la fierté,

226. Toutes ces choses procèdent de la richesse. La (noblesse de) la race provient de la richesse. Le dharma s’accroît sous l’influence de la richesse.

227. Ce monde n’appartient pas au pauvre, ô le plus excellent des hommes, ni l’ascétisme non plus. Le pauvre n’accomplit pas utilement les cérémonies religieuses.

228. Le dharma descend de la richesse, comme une rivière descend d’une montagne. Celui dont les chevaux, les bœufs, les serviteurs et les hôtes sont maigres,

229. Celui-là, certes, ô roi, est maigre (lui-même). Ce n’est pas celui dont le corps est maigre, qui est maigre. Considère les choses comme il convient, et vois (ce qui se passe entre) les dieux et les asouras.

230. (En dépit des règles ordinaires de l’ascétisme), ô roi, les dieux désirent-ils quelque chose plus vivement que la destruction (des asouras), leurs parents (et leurs rivaux) ? Si on ne devait (jamais) rien enlever à autrui, comment (les ksatriyas) accompliraient-ils leurs devoirs ?

231. Cela est établi par les poètes dans les védas. Or les trois védas doivent être étudiés par le sage. (C'est une chose) qu’il faut faire régulièrement.

232. Il faut, de toutes manières, rechercher la richesse, et offrir des sacrifices avec persévérance. C’est par la violence (et non par l’ascétisme), que tous les dieux ont conquis leur place dans le ciel.

233. Par quel moyen, autre que la violence envers (les asouras) leurs parents, les dieux cherchent-ils l’accomplissement de leurs désirs ? Voilà comment les dieux ont résolu d’agir, voilà ce que prescrivent les paroles éternelles des védas.

234. On apprend, on instruit, on sacrifie, on fait sacrifier ; mais il y a mieux que tout cela, c’est de s’enrichir aux dépens des autres.

235. Nous ne voyons nulle part une richesse quelconque, qui n’ait pas été ravie. C’est ainsi que les rois conquièrent cette terre,

236. Et disent, après s’en être emparé : « Elle est à moi », comme fait un fils en ce qui concerne les biens de son père. Les râjarshis célestes déclarent même que tel est leur devoir.

237. De la même manière que les eaux provenant de l’Océan, se répandent (en pluie) dans les dix directions (de l’espace), de même, la richesse qui vient de la famille du roi se répand sur la terre.

238. Cette terre appartenait jadis au roi Dilîpa, à Nahousha, à Ambarîsha, à Mândhâtar, Elle est (maintenant) soumise à ton (pouvoir).

239. C’est à toi qu’il incombe (de faire) un sacrifice, au moyen des productions de cette terre, et d’offrir toutes les oblations ; si tu n’accomplis pas ce sacrifice, les péchés de la royauté seront à ta charge .

240. Les rois pour lesquels un açvamedha, convenablement rétribué, est offert, sont tous purifiés après l’accomplissement (de la cérémonie de) l’avabhrita (bain sacré qui termine le sacrifice).

241. Mahâdeva, qui prend toutes les formes, offrit tous les êtres et s’offrit lui-même, dans un sacrifice aux grandes oblations.

242. Voilà la voie du salut. Elle est éternelle, et nous n’avons (jamais) ouï dire (que ses mérites) aient une fin. C’est la grande route où dix chars (peuvent passer de front). Ne t’engage pas dans un chemin de traverse.