Le Mahâbhârata (traduction Ballin)/Volume 2/3-LLDA-Ch16

Traduction par Ballin, L..
Paris E. Leroux (2p. 289-292).



CHAPITRE XVI


DISCOURS DE BHÎMASENA


Argument : Bhîmasena expose à son frère aîné, qu’après avoir vaincu les ennemis, il doit lutter contre son propre esprit.


482. Vaiçampâyana dit : L’énergique et très impatient Bhîmasena, ayant entendu les paroles d’Arjouna, faisant appel à sa fermeté, dit à son frère aîné :

483. Ô roi, tu connais les devoirs, rien ne t’est caché ; nous nous efforçons constamment (d’imiter) ta conduite et nous ne pouvons pas (y réussir).

484. « Je ne parlerai pas ! Je ne parlerai pas ! » Telle était ma résolution. Mais l’excès de la douleur me (force) à prendre la parole. Écoute, ô roi, (ce que je vais dire) .

485. Ton égarement d’esprit remet tout en doute, nous enlève nos forces et nous plonge dans l’incertitude.

486. Tu es le roi du monde, tu connais tous les préceptes, et (cependant) la faiblesse trouble ton esprit, comme si tu étais un poltron !

487. Les voies du monde et ses sentiers dangereux te sont connus. Ni dans le présent, ni dans l’avenir, il n’y a rien, ô puissant, qui te soit caché.

488. Les choses étant ainsi, ô grand roi, je vais exposer les motifs (qui plaident) pour (que tu conserves) la royauté, ô maître suprême des hommes. Écoute attentivement.

489. La maladie a une double origine. Elle provient du corps et de l’esprit. Elle apparaît simultanément dans celui-ci et dans celui-là, et forme (pour ainsi dire) un couple.

490. Il n’est pas douteux que la maladie de l’esprit ne provienne (de celle) du corps. Il est (également) certain que la maladie de l’esprit engendre celle du corps.

491. Celui qui se lamente sur une peine corporelle ou mentale passée, tire une (nouvelle) douleur de la douleur (ancienne) et éprouve deux maux (successifs).

492. Le froid, le chaud, le vent, sont les trois qualités innées du corps. L’égalité de ces qualités constitue ce qu’on appelle le signe de l’état naturel (ou de santé).

493. Si l’une ou l’autre de ces qualités devient prédominante, une prescription (du médecin) indique (le remède). Le froid est vaincu par le chaud, et le chaud est vaincu par le froid.

494. Les qualités : Sattva (bonté), rajas (passion) et tamas (obscurité), sont les trois qualités innées de l’esprit. Leur équilibre est ce qu’on appelle l’indice de l’état naturel (ou de la santé intellectuelle).

495. Si l’une ou l’autre d’entre elles devient excessive, des règles sont indiquées (pour y porter remède). Le chagrin est expulsé par la joie, et la joie est chassée par le chagrin.

496. Celui qui jouit du bonheur, aime à se rappeler la peine (passée) ; celui qui est dans la peine, aime à se remémorer le bonheur (passé).

497. Quant à toi, tu n’es pas malheureux à cause de ton bonheur, ni heureux à cause de ton malheur (passés). On n’est pas malheureux, parce qu’on a été heureux, ni heureux parce qu’on a été malheureux.

498. Ô kourouido, rappelle-toi que le destin est plus fort (que toi), ou que c’est toi qui es la cause de ta propre souffrance, ô prince.

499. Après avoir vu l’heureuse Krishnâ couverte d’un seul vêtement au moment critique de son mois, tu ne dois (donc) pas te souvenir de cet (affront que nous ont fait) les ennemis des fils de Pândou !

500. Tu ne dois (donc) pas te souvenir que nous avons été bannis de la ville, (que nous avons dû) nous vêtir de peaux et habiter dans les bois !

501. Comment as-tu oublié les tourments que Jatâsoura nous a fait subir, le combat avec Citrasena et les injures que nous avons éprouvées de la part du roi du Sindhou ?

502. Comment as-tu oublié le coup porté à la princesse Draupadî par Kîcaka, lorsque nous errions inconnus ?

503. Ô dompteur des ennemis, il faut lutter contre ton esprit seul, comme tu as combattu contre Drona et Bhîshma.

504. Il faut te livrer à toi-même un combat, dans lequel on ne fait pas usage de flèches, où l’on n’a pas d’amis, où l’on n’emploie pas ses parents.

505. Si tu perds la vie sans avoir remporté la victoire dans cette lutte, en prenant un autre corps, il te faudra combattre (de nouveau) contre les mêmes (adversaires).

506. Il faut aujourd’hui marcher et combattre un ennemi (nouveau), et quitter celui qui était visible pour celui qui est invisible. Lutte, ô excellent Bharatide, (contre cet ennemi qui est ton propre cœur).

507. Si tu ne triomphes pas dans ce combat, quel sera ton destin ? Si tu es victorieux, tu auras fait ce qu’il convenait de faire .

508. Après avoir réfléchi à cette idée (et) aux voies bonnes et mauvaises des êtres, exerce la royauté d’après la tradition de tes ancêtres.

509. Grâce au ciel, le méchant Douryodhana a été tué dans la bataille, avec ses compagnons. Grâce au ciel, tu as suivi une voie telle que Draupadî (peut se remettre) à lier ses cheveux 12.

510. Offre un vâjimedha, dans lequel les dakshinâs seront conformes aux prescriptions (du rituel). Ô fils de Kountî, le glorieux Vasoudevide et nous, nous sommes tes serviteurs.