Gargantua et Pantagruel, Tome II (Texte transcrit et annoté par Clouzot)/Texte entier


FRANÇOIS RABELAIS
Gargantua et Pantagruel
tome ii

FRANÇOIS RABELAIS
né à la Devinière, près de Chinon (Indre-et-Loire), vers 1494,
mort à Paris, le 9 avril 1553.

titre de l’édition originale

LE TIERS LIVRE
des faits et dits héroïques du noble Pantagruel,
composé par M. Franç. Rabelais,
docteur en médecine et calloïer des îles
d’Hyères.

COMMENT PANURGE FUT FAIT CHÂTELAIN DE SALMIGONDIN EN DIPSODIE, ET MANGEAIT SON BLÉ EN HERBE.


Donnant Pantagruel ordre au gouvernement de toute Dipsodie, assigna la châtellenie de Salmigondin à Panurge, valant par chacun an 6,789,106,789 royaux[1], en deniers certains, non compris l’incertain revenu des hannetons et caquerolles[2], montant, bon an mal an, de 2,435,768 à 2,435,769 moutons à la grande laine[3]. Quelquefois revenait à 1,234,554,321 seraphs[4] quand était bonne année de caquerolles et hannetons de requête[5] ; mais ce n’était tous les ans.

Et se gouverna si bien et prudentement monsieur le nouveau châtelain, qu’en moins de quatorze jours il dilapida le revenu certain et incertain de sa châtellenie pour trois ans. Non proprement dilapida, comme vous pourriez dire, en fondations de monastères, érections de temples, bâtiments de collèges et hôpitaux, ou jetant son lard aux chiens ; mais dépendit[6] en mille petits banquets et festins joyeux, ouverts à tous venants, mêmement à tous bons compagnons, jeunes fillettes et mignonnes galoises[7], abattant bois, brûlant les grosses souches pour la vente des cendres, prenant argent d’avance, achetant cher, vendant à bon marché et mangeant son blé en herbe.

Pantagruel, averti de l’affaire, n’en fut en soi aucunement indigné, fâché, ni marri. Je vous ai jà dit, et encore redis, que c’était le meilleur petit et grand bonhomet qui onques ceignît épée. Toutes choses prenait en bonne partie, tout acte interprétait à bien, jamais ne se tourmentait, jamais ne se scandalisait. Aussi eût-il été bien forissu[8] du déifique manoir de raison, si autrement se fût contristé ou altéré, car tous les biens que le ciel couvre et que la terre contient en toutes ses dimensions, hauteur, profondité, longitude et latitude, ne sont dignes d’émouvoir nos affections et troubler nos sens et esprits. Seulement tira Panurge à part et doucettement lui remontra que, si ainsi voulait vivre et n’être autrement ménager, impossible serait, ou pour le moins bien difficile, le faire jamais riche.

« Riche ? répondit Panurge, aviez-vous là fermé[9] votre pensée ? Aviez-vous en soin pris me faire riche en ce monde ? Pensez vivre joyeux, de par li[10] bon Dieu et li bons homs. Autre soin, autre souci ne soit reçu on[11] sacrosaint domicile de votre céleste cerveau. La sérénité d’icelui jamais ne soit troublée par nues quelconques de pensement passementé[12] de meshain[13] et fâcherie. Vous vivant, joyeux, gaillard, de hait[14], je ne serai riche que trop. Tout le monde crie : « Ménage, ménage ! » mais tel parle de ménage qui ne sait mie que c’est.

« C’est de moi que faut conseil prendre, et de moi, pour cette heure, prendrez avertissement que ce qu’on m’impute à vice a été imitation des Université et Parlement de Paris, lieux esquels consiste la vraie source et vive idée de panthéologie, de toute justice aussi. Hérétique qui en doute et fermement ne le croit. Ils, toutefois, en un jour mangent leur évêque, ou le revenu de l’évêché (c’est tout un), pour une année entière, voire pour deux aucunes fois. C’est au jour qu’il y fait son entrée. Et n’y a lieu d’excuse, s’il ne voulait être lapidé sur l’instant.

« A été aussi acte des quatre vertus principales :

« De prudence, en prenant argent d’avance, car on ne sait qui mord ni qui rue. Qui sait si le monde durera encore trois ans ? Et or qu’il durât davantage, est-il homme tant fol qui s’osât promettre vivre trois ans ?

Onq’homme n’eut les dieux tant bien à main
Qu’assuré fût de vivre au lendemain.

« De justice commutative, en achetant cher, je dis à crédit, vendant à bon marché, je dis argent comptant. Que dit Caton en sa Ménagerie sur ce propos ? « Il faut, dit-il, que le père-famille soit vendeur perpétuel. Par ce moyen est impossible qu’enfin riche ne devienne, si toujours dure l’apothèque[15] ». Distributive, donnant à repaître aux bons (notez bons) et gentils compagnons, lesquels fortune avait jetés comme Ulysse sur le roc de bon appétit, sans provision de mangeaille, et aux bonnes (notez bonnes) et jeunes galoises[16] (notez jeunes), car, selon la sentence d’Hippocrates, jeunesse est impatiente de faim, mêmement[17] si elle est vivace, allègre, brusque, mouvante, voltigeante. Lesquelles galoises volontiers et de bon hait[18] font plaisir à gens de bien, et sont platoniques et cicéroniennes, jusque là qu’elles se réputent être on[19] monde nées, non pour soi seulement, ains[20] de leurs propres personnes font part à leur patrie, part à leurs amis.

« De force, en abattant les gros arbres comme un second Milon, ruinant les obscures forêts, tanières de loups, de sangliers, de renards, réceptacles de brigands et meurtriers, taupinières d’assassinateurs, officines de faux monnayeurs, retraites d’hérétiques, et les complanissant[21] en claires garigues[22] et belles bruyères, jouant des hauts bois et préparant les sièges pour la nuit du jugement.

« De tempérance, mangeant mon blé en herbe, comme un ermite vivant de salades et racines, m’émancipant des appétits sensuels, et ainsi épargnant pour les estropiats[23] et souffreteux. Car ce faisant, j’épargne les sarcleurs qui gagnent argent, les métiviers qui boivent volontiers et sans eau, les glaneurs esquels faut de la fouace, les batteurs qui ne laissent ail, oignon ni échalote ès jardins, par l’autorité de Thestilis Virgilienne, les meuniers qui sont ordinairement larrons, et les boulangers qui ne valent guère mieux. Est-ce petite épargne ? Outre la calamité des mulots, le déchet des greniers et la mangeaille des charançons et mourrins[24].

« De blé en herbe vous faites belle sauce verte, de légère concoction[25], de facile digestion, laquelle vous ébanoie[26] le cerveau, ébaudit les esprits animaux, réjouit la vue, ouvre l’appétit, délecte le goût, assère[27] le cœur, chatouille la langue, fait le teint clair, fortifie les muscles, tempère le sang, allège le diaphragme, rafraîchit le foie, désopile la râtelle, soulage les rognons, assouplit les reins, dégourdit les spondyles[28], vide les uretères, dilate les vases spermatiques, abrévie les crémastères[29] expurge la vessie, enfle les génitoires, corrige le prépuce, incruste le balane[30], rectifie le membre, vous fait bon ventre, bien roter, vesser, péter, fienter, uriner, éternuer, sangloter, tousser, cracher, vomir, bâiller, moucher, haleiner, inspirer, ronfler, suer, dresser le virolet, et mille autres rares avantages.

— J’entends bien, dit Pantagruel, vous inférez que gens de peu d’esprit ne sauraient beaucoup en bref temps dépendre[31]. Vous n’êtes le premier qui ait conçu cette hérésie. Néron le maintenait et sur tous humains admirait C. Caligula, son oncle, lequel, en peu de jours, avait par invention mirifique dépendu tout l’avoir et patrimoine que Tiberius lui avait laissé.

« Mais, en lieu de garder et observer les lois cénaires[32] et somptuaires des Romains, la Orchie, la Fannie, la Didie, la Licinie, la Comélie, la Lépidiane, la Antie, et des Corinthiens, par lesquelles était rigoureusement à un chacun défendu plus par an dépenser que portait son annuel revenu, vous avez fait protervie, qui était, entre les Romains, sacrifice tel que l’agneau pascal entre les Juifs. Il y convenait tout mangeable manger, le reste jeter on[33] feu, rien ne réserver au lendemain. Je le peux de vous justement dire, comme le dit Caton d’Albidius, lequel avoir[34] en excessive dépense mangé tout ce qu’il possédait, restant seulement une maison, y mit le feu dedans, pour dire : Consummatum est, ainsi que depuis dit saint Thomas d’Aquin, quand il eut la lamproie toute mangée. Cela non forcé. »


COMMENT PANURGE LOUE LES DÉBITEURS ET EMPRUNTEURS.

« Mais, demanda Pantagruel, quand serez-vous hors de dettes ?

— Ès calendes grecques, répondit Panurge, lorsque tout le monde sera content, et que vous serez héritier de vous-même. Dieu me garde d’en être hors ! Plus lors ne trouverais qui un denier me prêtât. Qui au soir ne laisse levain, jà ne fera au matin lever pâte. Devez-vous toujours à quelqu’un ? Par icelui sera continuellement Dieu prié vous donner bonne, longue et heureuse vie, craignant sa dette perdre, toujours bien de vous dira en toutes compagnies, toujours nouveaux créditeurs[35] vous acquêtera[36] afin que par eux vous fassiez versure[37], et de terre d’autrui remplissiez son fossé. Quand jadis en Gaule, par l’institution des druides, les serfs, varlets et appariteurs étaient tous vifs brûlés aux funérailles et exèques[38] de leurs maîtres et seigneurs, n’avaient-ils belle peur que leurs maîtres et seigneurs mourussent, car ensemble force leur était mourir ? Ne priaient-ils continuellement leur grand dieu Mercure, avec Dis, le père aux écus, longuement en santé les conserver ? N’étaient-ils soigneux de bien les traiter et servir, car ensemble pouvaient-ils vivre, au moins jusques à la mort ? Croyez qu’en plus fervente dévotion vos créditeurs prieront Dieu que viviez, craindront que mouriez, d’autant que plus aiment la manche que le bras, et la denare[39] que la vie. Témoins les usuriers de Landerousse, qui naguère se pendirent, voyants les blés et vins ravaler en prix, et bon temps retourner. »

Pantagruel rien ne répondant, continua Panurge : « Vrai bot[40], quand bien j’y pense, vous me remettez à point en ronfle vue[41], me reprochant mes dettes et créditeurs. Déa ! [42] en cette seule qualité je me réputais auguste, révérend et redoutable, que (sur[43] l’opinion de tous philosophes qui disent rien de rien n’être fait) rien ne tenant, ni matière première, étais facteur[44] et créateur. Avais créé, quoi ? tant de beaux et bons créditeurs. Créditeurs sont (je le maintiens jusques au feu exclusivement) créatures belles et bonnes. Qui rien ne prête est créature laide et mauvaise, créature du grand vilain diantre d’enfer.

« Et fait, quoi ? Dettes. Ô chose rare et antiquaire ! Dettes, dis-je, excédentes le nombre des syllabes résultantes au couplement de toutes les consonnantes avec les vocales[45], jadis projeté et compté par le noble Xénocrates. À la numérosité des créditeurs si vous estimez la perfection des débiteurs, vous n’errerez en arithmétique pratique. Cuidez-vous[46] que je suis aise quand, tous les matins, autour de moi je vois ces créditeurs tant humbles, serviables et copieux en révérences, et quand je note que, moi faisant à l’un visage plus ouvert et chère meilleure qu’es autres, le paillard pense avoir sa dépêche[47] le premier, pense être le premier en date, et de mon ris cuide que soit argent comptant. Il m’est avis que je joue encore le Dieu de la Passion de Saumur, accompagné de ses anges et chérubins. Ce sont mes candidats, mes salueurs, mes diseurs de bonjours, mes orateurs perpétuels.

« Et pensais véritablement en dettes consister la montagne de vertu héroïque décrite par Hésiode, en laquelle je tenais degré premier de ma licence, à laquelle tous humains semblent tirer et aspirer ; mais peu y montent pour la difficulté du chemin, voyant aujourd’hui tout le monde en désir fervent et strident[48] appétit de faire dettes et créditeurs nouveaux. Toutefois, il n’est débiteur qui veut : il ne fait créditeurs qui veut. Et vous me voulez débouter de cette félicité soubeline[49] ? Vous me demandez quand serai hors de dettes ?

« Bien pis y a : je me donne à saint Babolin le bon saint en cas que, toute ma vie, je n’aie estimé dettes comme une connexion et colligance[50] des cieux et terre, un entretènement[51] unique de l’humain lignage (je dis sans lequel bientôt tous humains périraient), être par aventure celle grande âme de l’univers, laquelle, selon les Académiques, toutes choses vivifie.

« Qu’ainsi soit, représentez-vous en esprit serein l’idée et forme de quelque monde (prenez, si bon vous semble, le trentième de ceux qu’imaginait le philosophe Métrodorus, ou le soixante et dix-huitième de Pétron), onquel[52] ne soit débiteur ni créditeur aucun. Un monde sans dettes ! Là entre les astres ne sera cours régulier quiconque. Tous seront en désarroi. Jupiter, ne s’estimant débiteur à Saturne, le dépossédera de sa sphère, et avec sa chaîne homérique, suspendra toutes les intelligences, dieux, cieux, démons, génies, héros, diables, terre, mer, tous éléments. Saturne se ralliera avec Mars, et mettront tout ce monde en perturbation. Mercure ne voudra soi asservir ès autres, plus ne sera leur Camille, comme en langue étrusque était nommé, car il ne leur est en rien débiteur. Vénus ne sera vénérée, car elle n’aura rien prêté. La Lune restera sanglante et ténébreuse ; à quel propos lui départirait le Soleil sa lumière ? il n’y était en rien tenu. Le Soleil ne luira sur leur terre ; les astres n’y feront influence bonne, car la terre désistait[53] leur prêter nourrissement par vapeurs et exhalations, desquelles, disait Héraclitus, prouvaient les Stoïciens, Cicéron maintenait être les étoiles alimentées.

« Entre les éléments ne sera symbolisation, alternation, ni transmutation aucune, car l’un ne se réputera obligé à l’autre : il ne lui avait rien prêté. De terre ne sera faite eau ; l’eau en air ne sera transmuée ; de l’air ne sera fait feu ; le feu n’échauffera la terre. La terre rien ne produira que monstres, titans, aloïdes[54], géants ; il n’y pleuvra pluie, n’y luira lumière, n’y ventera vent, n’y sera été ni automne. Lucifer se déliera et sortant du profond d’enfer avec les Furies, les Peines et diables cornus, voudra déniger[55] des cieux tous les dieux, tant des majeurs comme des mineurs peuples.

« De cetui monde rien ne prêtant, ne sera qu’une chiennerie, qu’une brigue plus anomale[56] que celle du recteur de Paris, qu’une diablerie plus confuse que celle des jeux de Doué. Entre les humains, l’un ne sauvera l’autre : il aura beau crier à l’aide, au feu, à l’eau, au meurtre : personne n’ira à son secours. Pourquoi ? Il n’avait rien prêté, on ne lui devait rien. Personne n’a intérêt en sa conflagration, en son naufrage, en sa ruine, en sa mort. Aussi bien ne prêtait-il rien ; aussi bien n’eût-il par après rien prêté. Bref, de cetui monde seront bannies Foi, Espérance, Charité, car les hommes sont nés pour l’aide et secours des hommes. En lieu d’elles succéderont Défiance, Mépris, Rancune, avec la cohorte de tous maux, toutes malédictions et toutes misères. Vous penserez proprement que là eût Pandora versé sa bouteille. Les hommes seront loups ès hommes, loups garous et lutins, comme furent Lycaon, Bellérophon, Nabuchodonosor, brigands, assassineurs, empoisonneurs, malfaisants, malpensants, malveillants, haine portants un chacun contre tous, comme Ismaël, comme Metabus, comme Timon Athénien, qui pour cette cause fut surnommé misanthropos. Si que chose plus facile en nature serait nourrir en l’air les poissons, paître les cerfs au fond de l’Océan, que supporter cette truandaille de monde, qui rien ne prête. Par ma foi, je les hais bien.

« Et si, au patron[57] de ce fâcheux et chagrin monde rien ne prêtant, vous figurez l’autre petit monde qui est l’homme, vous y trouverez un terrible tintamarre. La tête ne voudra prêter la vue de ses œils pour guider les pieds et les mains. Les pieds ne la daigneront porter, les mains cesseront travailler pour elle. Le cœur se fâchera de tant se mouvoir pour les pouls des membres, et ne leur prêtera plus. Le poumon ne lui fera prêt de ses soufflets. Le foie ne lui enverra sang pour son entretien. La vessie ne voudra être débitrice aux rognons, l’urine sera supprimée. Le cerveau, considérant ce train dénaturé, se mettra en rêverie[58], et ne baillera sentiment ès nerfs, ni mouvement ès muscles. Somme, en ce monde dérayé[59], rien ne devant, rien ne prêtant, rien n’empruntant, vous verrez une conspiration plus pernicieuse que n’a figuré Ésope en son apologue. Et périra sans doute (non périra seulement, mais bientôt périra) fût-ce Esculapius même. Et ira soudain le corps en putréfaction : l’âme, toute indignée, prendra course à tous les diables ; après mon argent.


CONTINUATION DU DISCOURS DE PANURGE À LA LOUANGE DES PRÊTEURS ET DÉBITEURS.

« Au contraire, représentez-vous un monde autre, onquel[60] un chacun prête, un chacun doive, tous soient débiteurs, tous soient prêteurs. Ô quelle harmonie sera parmi les réguliers mouvements des cieux ! Il m’est avis que je l’entends aussi bien que fit onque Platon. Quelle sympathie entre les éléments ! Ô comment nature s’y délectera en ses œuvres et productions ! Cérès, chargée de blés, Bacchus, de vins, Flora, de fleurs, Pomona, de fruits, Juno, en son air serein, sereine, salubre, plaisante. Je me perds en cette contemplation. Entre les humains, paix, amour, dilection, fidélité, repos, banquets, festins, joie, liesse, or, argent, menue monnaie, chaînes, bagues, marchandises, trotteront de main en main. Nul procès, nulle guerre, nul débat. Nul n’y sera usurier, nul lêchart[61], nul chichart, nul refusant. Vrai Dieu, ne sera-ce l’âge d’or, le règne de Saturne, l’idée des régions olympiques, esquelles toutes autres vertus cessent[62], charité seule règne, régente, domine, triomphe ? Tous seront bons, tous seront beaux, tous seront justes. Ô monde heureux ! ô gens de cetui monde heureux ! ô béats trois et quatre fois ! Il m’est avis que j’y suis. Je vous jure le bon vrai bis[63] que si cetui monde, béat monde, ainsi à un chacun prêtant, rien ne refusant, eût pape foisonnant en cardinaux et associé de son sacré collège, en peu d’années vous y verriez les saints plus drus, plus miraclifiques[64], à plus de leçons, plus de vœux, plus de bâtons et plus de chandelles que ne sont tous ceux des neuf évêchés de Bretagne. Exceptez seulement saint Yves.

« Je vous prie, considérez comment le noble Patelin, voulant déifier et par divines louanges mettre jusques au tiers ciel le père de Guillaume Jousseaume, rien plus ne dit sinon :

Et si[65] prêtait
Ses denrées[66] à qui en voulait.

« Ô le beau mot ! À ce patron figurez notre microcosme (id est, petit monde, c’est l’homme), en tous ses membres, prêtants, empruntants, devants, c’est-à-dire en son naturel, car nature n’a créé l’homme que pour prêter et emprunter. Plus grande n’est l’harmonie des cieux que sera de sa police. L’intention du fondateur de ce microcosme est y entretenir l’âme, laquelle il y a mise comme hôte, et la vie. La vie consiste en sang. Sang est le siège de l’âme ; pourtant[67] un seul labeur peine ce monde, c’est forger sang continuellement. En cette forge sont tous membres en office propre, et est leur hiérarchie telle que sans cesse l’un de l’autre emprunte, l’un à l’autre prête, l’un à l’autre est débiteur. La matière et métal convenable pour être en sang transmué est baillée par nature : pain et vin. En ces deux sont comprises toutes espèces des aliments, et de ce est dit le companage[68] en langage goth. Pour icelles trouver, préparer et cuire, travaillent les mains, cheminent les pieds et portent toute cette machine, les yeux tout conduisent. L’appétit, en l’orifice de l’estomac, moyennant un peu de mélancolie aigrette qui lui est transmis de la râtelle, admoneste d’enfourner viande. La langue en fait l’essai, les dents la mâchent, l’estomac la reçoit, digère et chylifie. Les veines mésaraïques[69] en sucent ce qu’est bon et idoine, délaissent les excréments (lesquels, par vertu expulsive, sont vidés hors par exprès conduits), puis la portent au foie. Il la transmue de rechef, et en fait sang. Lors quelle joie pensez-vous être entre ces officiers, quand ils ont vu ce ruisseau d’or, qui est leur seul restaurant ? Plus grande n’est la joie des alchimistes quand, après longs travaux, grand soin et dépense, ils voient les métaux transmués dedans leurs fourneaux.

« Adonc chacun membre se prépare et s’évertue de nouveau à purifier et affiner cetui trésor. Les rognons, par les veines émulgentes, en tirent l’aiguosité[70] que vous nommez urine, et, par les uretères, la découlent en bas. Au bas trouve réceptacle propre, c’est la vessie, laquelle en temps opportun la vide hors. La râtelle en tire le terrestre et la lie, que vous nommez mélancolie. La bouteille du fiel en soustrait la colère superflue. Puis est transporté en une autre officine, pour mieux être afiiné, c’est le cœur, lequel par ses mouvements diastoliques et systoliques, le subtilise et enflambe[71] tellement que, par le ventricule dextre, le met à perfection, et par les veines l’envoie à tous les membres. Chacun membre l’attire à soi et s’en alimente à sa guise : pieds, mains, œils, tous, et lors sont faits débiteurs, qui, par avant, étaient prêteurs. Par le ventricule gauche, il le fait tant subtil qu’on le dit spirituel, et l’envoie à tous les membres par ses artères, pour l’autre sang des veines échauffer et éventer. Le poumon ne cesse, avec ses lobes et soufflets, le rafraîchir. En reconnaissance de ce bien, le cœur lui en départit le meilleur par la veine artériale. Enfin, tant est affiné dedans le rets[72] merveilleux que, par après, en sont faits les esprits animaux, moyennant lesquels elle imagine, discourt, juge, résout, délibère, ratiocine[73] et remémore. Vertu guoy[74] ! je me noie, je me perds, je m’égare, quand j’entre on[75] profond abîme de ce monde ainsi prêtant, ainsi devant. Croyez que chose divine est prêter : devoir est vertu héroïque.

« Encore n’est-ce tout. Ce monde prêtant, devant, empruntant, est si bon que cette alimentation parachevée, il pense déjà prêter à ceux qui ne sont encore nés, et, par prêt, se perpétuer s’il peut, et multiplier en images à soi semblables, ce sont enfants. À cette fin, chacun membre du plus précieux de son nourrissement décide et rogne une portion, et la renvoie en bas. Nature y a préparé vases et réceptacles opportuns, par lesquels descendant ès génitoires en longs ambages[76] et flexuosités[77], reçoit forme compétente et trouve lieux idoines, tant en l’homme comme en la femme, pour conserver et perpétuer le genre humain. Se fait le tout par prêts et dettes de l’un à l’autre, dont est dit le devoir du mariage. Peine par nature est au refusant interminée[78], acre vexation parmi les membres et furie parmi les sens ; au prêtant loyer[79] consigné, plaisir, allégresse et volupté. »


COMMENT PANTAGRUEL DÉTESTE LES DÉBITEURS ET EMPRUNTEURS.

« J’entends, répondit Pantagruel, et me semblez bon topiqueur[80] et affecté à votre cause. Mais prêchez et patrocinez[81] d’ici à la Pentecôte, en fin vous serez ébahi comment rien ne m’aurez persuadé, et, par votre beau parler, jà ne me ferez entrer en dettes. Rien, dit le saint Envoyé, à personne ne devez, fors amour et dilection mutuelle. Vous m’usez ici de belle graphides et diatyposes[82], et me plaisent très bien, mais je vous dis que, si figurez un affronteur effronté et importun emprunteur, entrant de nouveau en une ville jà avertie de ses mœurs, vous trouverez qu’à son entrée plus seront les citoyens en effroi et trépidation[83] que si la peste y entrait en habillement tel que la trouva le philosophe Tyanien dedans Éphèse. Et suis d’opinion que n’erraient les Perses, estimants le second vice être mentir, le premier être devoir, car dettes et mensonges sont ordinairement ensemble ralliés.

« Je ne veux pourtant inférer que jamais ne faille devoir, jamais ne faille prêter. Il n’est si riche qui quelquefois ne doive. Il n’est si pauvre de qui quelquefois on ne puisse emprunter. L’occasion sera telle que la dit Platon en ses lois, quand il ordonne qu’on ne laisse chez soi les voisins puiser eau si premièrement ils n’avaient en leurs propres pâtis fossoyé et bêché, jusques à trouver celle espèce de terre qu’on nomme céramite (c’est terre à potier), et là n’eussent rencontré source ou dégoût[84] d’eaux, car icelle terre, par sa substance qui est grasse, forte, lise[85] et dense, retient l’humidité et n’en est facilement fait escours[86] et exhalation. Ainsi est-ce grande vergogne, toujours, en tous lieux, d’un chacun emprunter plutôt que travailler et gagner. Lors seulement devrait-on, selon mon jugement, prêter, quand la personne travaillant n’a pu par son labeur faire gain, ou quand elle est soudainement tombée en perte inopinée de ses biens. Pourtant, laissons ce propos et dorénavant ne vous attachez à créditeurs[87]. Du passé je vous délivre.

— Le moins de mon plus[88], dit Panurge, en cetui article, sera vous remercier, et, si les remercîments doivent être mesurés par l’affection des bienfaiteurs, ce sera infiniment, sempiternellement, car l’amour, que de votre grâce me portez, eut hors le dé d’estimation ; il transcende[89] tout poids, tout nombre, toute mesure ; il est infini, sempiternel. Mais, le mesurant au calibre des bienfaits et contentement des recevants, ce sera assez lâchement. Vous me faites des biens beaucoup, et trop plus que ne m’appartient, plus que n’ai envers vous desservi[90], plus que ne requéraient mes mérites, force est que le confesse, mais non mie tant que pensez en cetui article. Ce n’est là que me deult[91], ce n’est là que me cuit et démange, car, dorénavant, étant quitte, quelle contenance aurai-je ? Croyez que j’aurai mauvaise grâce pour les premiers mois, vu que je n’y suis ni nourri ni accoutumé. J’en ai grand peur.

« Davantage, désormais ne naîtra pet en tout Salmigondinois qui n’ait son renvoi vers mon nez. Tous les péteurs du monde, pétants, disent : « Voilà pour les quittes ». Ma vie finira bientôt, je le prévois (je vous recommande mon épitaphe), et mourrai tout confit en pets. Si quelque jour, pour restaurant à faire péter les bonnes femmes, en extrême passion de colique venteuse, les médicaments ordinaires ne satisfont aux médecins, la momie de mon paillard et empété corps leur sera remède présent. En prenant tant peu que direz, elles péteront plus qu’ils n’entendent. C’est pourquoi je vous prierais volontiers que de dettes me laissez quelque centurie, comme le roi Louis onzième, jetant hors de procès Miles d’Illiers, évêque de Chartres, fut importuné lui en laisser quelqu’un pour s’exercer. J’aime mieux leur donner toute ma caquerolière[92], ensemble ma hannetonnière, rien pourtant ne déduisant du sort principal.

— Laissons, dit Pantagruel, ce propos, je vous l’ai jà dit une fois.


POURQUOI LES NOUVEAUX MARIÉS ÉTAIENT EXEMPTS D’ALLER EN GUERRE.

« Mais, demanda Panurge, en quelle loi était-ce constitué et établi que ceux qui vigne nouvelle planteraient, ceux qui logis neuf bâtiraient, et les nouveaux mariés, seraient exempts d’aller en guerre pour la première année ?

— En la loi, répondit Pantagruel, de Moïse.

— Pourquoi, demanda Panurge, les nouveaux mariés ? Des planteurs de vigne je suis trop vieux pour me soucier, j’acquiesce on[93] souci des vendangeurs, et les beaux bâtisseurs nouveaux de pierres mortes ne sont écrits en mon livre de vie. Je ne bâtis que pierres vives, ce sont hommes.

— Selon mon jugement, répondit Pantagruel, c’était afin que, pour la première année, ils jouissent de leurs amours à plaisir, vaquassent à production de lignage, et fissent provision d’héritiers. Ainsi, pour le moins, si l’année seconde étaient en guerre occis, leur nom et armes restât en leurs enfants. Aussi que leurs femmes on connût certainement être ou bréhaignes ou fécondes (car l’essai d’un an leur semblait suffisant, attendu la maturité de l’âge en laquelle ils faisaient noces), pour mieux, après le décès des maris premiers, les colloquer en secondes noces : les fécondes, à ceux qui voudraient multiplier en enfants, les bréhaignes, à ceux qui n’en appèteraient et les prendraient pour leurs vertus, savoir, bonnes grâces, seulement en consolation domestique et entretènement[94] de ménage.

— Les prêcheurs de Varennes, dit Panurge, détestent les secondes noces, comme folles et déshonnêtes.

— Elles sont, répondit Pantagruel, leurs fortes fièvres quartaines !

— Voire, dit Panurge, et à frère Engainant aussi, qui en plein sermon prêchant, à Parillé, et détestant les noces secondes, jurait et se donnait au plus vite diable d’enfer en cas que mieux n’aimât dépuceler cent filles que biscoter une veuve. Je trouve votre raison bonne et bien fondée. Mais que diriez-vous si cette exemption leur était octroyée pour raison que tout le décours[95] d’icelle prime année, ils auraient tant taloché[96] leurs amours de nouveau possédés (comme c’est l’équité et le devoir), et tant égoutté leurs vases spermatiques, qu’ils en restaient tous effilés, tous évirés[97], tous énervés et flétris ? Si que, advenant le jour de bataille, plutôt se mettraient au plongeon, comme canes, avec le bagage qu’avec les combattants et vaillants champions on lieu onquel par Enyo[98] est mû le hourd[99] et sont les coups départis, et sous l’étendard de Mars ne frapperaient coup qui vaille, car les grands coups auraient rué[100] sous les courtines de Vénus s’amie.

« Qu’ainsi soit, nous voyons encore maintenant, entre autres reliques et monuments d’antiquité, qu’en toutes bonnes maisons, après ne sais quants[101] jours, l’on envoie ces nouveaux mariés voir leur oncle, pour les absenter de leurs femmes, et cependant soi reposer, et de rechef s’avitailler[102] pour mieux au retour combattre, quoique souvent ils n’aient ni oncle ni tante. En pareille forme que le roi Pétault, après la journée des Cornabons, ne nous cassa[103] proprement parlant, je dis moi et Courcaillet, mais nous envoya rafraîchir en nos maisons. Il est encore cherchant la sienne.

« La marraine de mon grand-père me disait, quand j’étais petit, que

Patenôtres et oraisons
Sont pour ceux-là qui les retiennent.
Un fifre allant en fenaisons
Est plus fort que deux qui en viennent.

« Ce qui m’induit en cette opinion est que les planteurs de vigne à peine mangeaient raisins ou buvaient vin de leur labeur durant la première année, et les bâtisseurs, pour l’an premier, n’habitaient en leurs logis de nouveau faits, sur peine d’y mourir suffoqués par défaut d’expiration, comme doctement a noté Galen. lib. II, de la Difficulté de respirer. Je ne l’ai demandé sans cause bien causée, ni sans raison bien résonnante. Ne vous déplaise. »


COMMENT PANURGE AVAIT LA PUCE EN L’OREILLE ET DÉSISTA PORTER SA MAGNIFIQUE BRAGUETTE.

Au lendemain, Panurge se fit percer l’oreille dextre à la judaïque, et y attacha un petit anneau d’or à ouvrage de tauchie[104], on[105] chaton duquel était une puce enchâssée, et était la puce noire, afin que de rien ne doutiez. C’est belle chose être en tous cas bien informé. La dépense de laquelle, rapportée à son bureau, ne montait par quartier guère plus que le mariage d’une tigresse hircanique, comme vous pourriez dire 600,000 malvédis[106]. De tant excessive dépense se fâcha, lorsqu’il fut quitte, et depuis la nourrit en la façon des tyrans et avocats, de la sueur et du sang de ses sujets. Prit quatre aunes de bureau[107], s’en accoutra comme d’une robe longue à simple couture, désista[108] porter le haut de ses chausses, et attacha des lunettes à son bonnet. En tel état se présenta devant Pantagruel, lequel trouva le déguisement étrange, mêmement ne voyant plus sa belle et magnifique braguette en laquelle il soûlait, comme en l’ancre sacrée, constituer son dernier refuge contre tous naufrages d’adversité.

N’entendant le bon Pantagruel ce mystère, l’interrogea, demandant que prétendait cette nouvelle prosopopée : « J’ai, répondit Panurge, la puce en l’oreille ; je me veux marier.

— En bonne heure soit, dit Pantagruel, vous m’en avez bien réjoui. Vraiment, je n’en voudrais pas tenir un fer chaud. Mais ce n’est la guise des amoureux ainsi avoir bragues avalades[109] et laisser pendre sa chemise sur les genoux, sans haut-de-chausses, avec robe longue de bureau, qui est couleur inusitée en robes talares[110], entre gens de bien et de vertu. Si quelques personnages d’hérésies et sectes particulières s’en sont autrefois accoutrés, quoique plusieurs l’aient imputé à piperie, imposture et affectation de tyrannie sur le rude populaire, je ne veux pourtant les blâmer et en cela faire d’eux jugement sinistre. Chacun abonde en son sens, mêmement en choses foraines[111], externes et indifférentes, lesquelles de soi ne sont bonnes ni mauvaises, pour ce qu’elles ne sortent de nos cœurs et pensées, qui est l’officine de tout bien et tout mal : bien, si bonne est et par l’esprit monde[112] réglée l’affection, mal, si, hors équité, par l’esprit malin est l’affection dépravée. Seulement me déplaît la nouveauté et mépris du commun usage.

— La couleur, répondit Panurge, est âpre aux pots ; à propos, c’est mon bureau[113] ; je le veux dorénavant tenir et de près regarder à mes affaires. Puisqu’une fois je suis quitte, vous ne vîtes onques homme plus mal plaisant que je serai, si Dieu ne m’aide. Voyez ci mes besicles. À me voir de loin vous diriez proprement que c’est frère Jean Bourgeois. Je crois bien que l’année qui vient, je prêcherai encore une fois la croisade. Dieu gard’de mal les pelotons. Voyez-vous ce bureau ? Croyez qu’en lui consiste quelque occulte propriété à peu de gens connue. Je ne l’ai pris que ce matin, mais déjà j’endêve, je dégaine, je grésille d’être marié et labourer en diable bur[114] dessus ma femme, sans crainte des coups de bâton. Ô le grand ménager que je serai ! Après ma mort, on me fera brûler en bust[115] honorifique, pour en avoir les cendres, en mémoire et exemplaire du ménager parfait. Corbieu ! sur cetui mien bureau, ne se joue pas mon argentier d’allonger les ss., car coups de poing trotteraient en face. Voyez-moi devant et derrière : c’est la forme d’une toge, antique habillement des Romains on[116] temps de paix. J’en ai pris la forme en la colonne de Trajan à Rome, en l’arc triomphal aussi de Septimus Severus. Je suis las de guerre, las des sages[117] et hoquetons. J’ai les épaules toutes usées à force de porter harnais. Cessent les armes, régnent les toges, au moins pour toute cette subséquente année, si je suis marié, comme vous m’alléguâtes hier par la loi mosaïque.

« Au regard du haut-de-chausses, ma grande tante Laurence jadis me disait qu’il était fait pour la braguette. Je le crois, en pareille induction que le gentil falot Galen. lib. IX, de l’Usage de nos membres, dit la tête être faite pour les œils, car nature eût pu mettre nos têtes aux genoux ou aux coudes ; mais, ordonnant les œils pour découvrir au loin, les fixa en la tête comme un bâton, au plus haut du corps, comme nous voyons les phares et hautes tours sur les havres de mer être érigées, pour de loin être vue la lanterne. Et pour ce que je voudrais quelque espace de temps, un an pour le moins, respirer de l’art militaire, c’est-à-dire me marier, je ne porte plus braguette, ni par conséquent haut-de-chausses, car la braguette est première pièce de harnais pour armer l’homme de guerre. Et maintiens, jusques au feu (exclusivement entendez), que les Turcs ne sont aptement armés, vu que braguette porter est chose en leurs lois défendue. »


COMMENT LA BRAGUETTE EST PREMIÈRE PIÈCE DE HARNAIS ENTRE GENS DE GUERRE.

« Voulez-vous, dit Pantagruel, maintenir que la braguette est pièce première de harnais milltaire ? C’est doctrine moult paradoxe[118] et nouvelle, car nous disons que par éperons on commence soi armer.

— Je le maintiens, répondit Panurge, et non à tort je le maintiens. Voyez comment nature, voulant les plantes, arbres. arbrisseaux, lierbes et zoophytes, une fois par elle créés, perpétuer et durer en toute succession de temps, sans jamais dépérir les espèces, encore que les individus périssent, curieusement[119] arma leurs germes et semences, esquelles consiste icelle perpétuité, et les a munis et couverts par admirable industrie de gousses, vagines, tests[120], noyaux, calicules[121], coques, épis, pappes[122], écorces, échines poignantes[123], qui leur sont comme belles et fortes braguettes naturelles. L’exemple y est manifeste en pois, fèves, faséols, noix, alberges, coton, coloquintes, blés, pavot, citrons, châtaignes, toutes plantes généralement, esquelles voyons apertement le germe et la semence plus être couverte et armée qu’autre partie d’icelles.

« Ainsi ne pourvut nature à la perpétuité de l’humain genre. Ains[124] créa l’homme nu, tendre, fragile, sans armes ni offensives ni défensives, en état d’innocence et premier âge d’or, comme animant[125], non plante, comme animant, dis-je, né à paix, non à guerre, animant né à jouissance mirifique de tous fruits et plantes végétales, animant né à domination pacifique sur toutes bêtes. Advenant la multiplication de malice entre les humains, en succession de l’âge de fer et règne de Jupiter, la terre commença produire orties, chardons, épines et telle autre matière de rébellion contre l’homme, entre les végétables[126]. D’autre part, presque tous animaux, par fatale disposition, s’émancipèrent de lui et ensemble tacitement conspirèrent plus ne le servir, plus ne lui obéir, en tant que résister pourraient, mais lui nuire selon leur faculté et puissance. L’homme adonc, voulant sa première jouissance maintenir et sa première domination continuer, non aussi pouvant soi commodément passer du service de plusieurs animaux, eut nécessité soi armer de nouveau.

— Par la dive Oie Guenet, s’écria Pantagruel, depuis les dernières pluies, tu es devenu grand lifrelofre[127], voire, dis-je, philosophe.

— Considérez, dit Panurge, comment nature l’inspira soi armer et quelle partie de son corps il commença premier[128] armer. Ce fut, par la vertu bleu, la couille,

Et le bon messer Priapus
Quand eut fait, ne la pria plus.

« Ainsi nous le témoigne le capitaine et philosophe hébreu Moïse, affirmant qu’il s’arma d’une brave et galante braguette, faite, par moult belle invention, de feuilles de figuier, lesquelles sont naïves[129] et du tout commodes en dureté, incisure, frisure, polissure, grandeur, couleur, odeur, vertu et faculté pour couvrir et armer couilles. Exceptez-moi les horrifiques couilles de Lorraine, lesquelles à bride avalée[130] descendant au fond des chausses, abhorrent[131] le manoir des braguettes hautaines et sont hors toute méthode, témoin Viardière, le noble Valentin, lequel, un premier jour de mai, pour plus gorgias[132] être, je trouvai à Nancy décrottant ses couilles, étendues sur une table comme une cape à l’espagnole.

« Donc ne faudra dorénavant dire, qui ne voudra improprement parler, quand on enverra le Franc-taupin en guerre : « Sauve, Tevot, le pot au vin, c’est le cruon[133] ». Il faut dire : « Sauve, Tevot, le pot au lait, ce sont les couilles, de par tous les diables d’enfer. » La tête perdue, ne périt que la personne : les couilles perdues, périrait toute humaine nature. C’est ce que mut le galant Cl. Galen., lib. I. de Spermate, à bravement conclure que le mieux, c’est-à-dire moindre mal, serait point de cœur n’avoir que point n’avoir de génitoires, car là consiste, comme en un sacré repositoire[134], le germe conservatif de l’humain lignage. Et croirais, pour moins de cent francs, que ce sont les propres pierres moyennants lesquelles Deucalion et Pyrrha restituèrent le genre humain, aboli par le déluge poétique. C’est ce qui meut le vaillant Justinian, lib. IV, de Cagotis tollendis, à mettre summum bonum in braguibus et braguetis.

« Pour cette et autres causes, le seigneur de Merville essayant quelque jour un harnais neuf, pour suivre son roi en guerre (car du sien antique et à demi rouillé plus bien servir ne pouvait, à cause que depuis certaines années la peau de son ventre s’était beaucoup éloignée de ses rognons) sa femme considéra en esprit contemplatif que peu de soin avait du paquet et bâton commun de leur mariage, vu qu’il ne l’armait que de mailles, et fut d’avis qu’il le munît très bien et gabionnât d’un gros armet de joutes, lequel était en son cabinet inutile. D’icelle sont écrits ces vers on[135] tiers livre du Chiabrena des Pucelles :


Celle qui vit son mari tout armé.
Fors la braguette, aller à l’escarmouche,

Lui dit : « Ami, de peur qu’on ne vous touche,
Armez cela, qui est le plus aimé. »
Quoi ! tel conseil doit-il être blâmé ?
Je dis que non, car sa peur la plus grande
De perdre était, le voyant animé,
Le bon morceau dont elle était friande.

« Désistez donc vous ébahir de ce nouveau mien accoutrement. »


COMMENT PANURGE SE CONSEILLE À PANTAGRUEL POUR SAVOIR S’IL SE DOIT MARIER.

Pantagruel rien ne répliquant, continua Panurge, et dit avec un profond soupir : « Seigneur, vous avez ma délibération entendue, qui est me marier, si, de malencontre, n’étaient tous les trous fermés, clos et bouclés. Je vous supplie, par l’amour que si longtemps m’avez porté, dites-m’en votre avis.

— Puis, répondit Pantagruel, qu’une fois en avez jeté le dé et ainsi l’avez décrété et pris en ferme délibération, plus parler n’en faut ; reste seulement la mettre à exécution.

— Voire, mais, dit Panurge, je ne la voudrais exécuter sans votre bon conseil et bon avis.

— J’en suis, répondit Pantagruel, d’avis, et vous le conseille.

— Mais, dit Panurge, si vous connaissiez que mon meilleur fût tel que je suis demeurer sans entreprendre cas de nouvelleté[136], j’aimerais mieux ne me marier point.

— Point donc ne vous mariez, répondit Pantagruel.

— Voire mais, dit Panurge, voudriez-vous qu’ainsi seulet je demeurasse toute ma vie, sans compagnie conjugale ? Vous savez qu’il est écrit : Væ soli ! L’homme seul n’a jamais tel soulas[137] qu’on voit entre gens mariés.

— Mariez-vous donc, de par Dieu, répondit Pantagruel.

— Mais si, dit Panurge, ma femme me faisait cocu, comme vous savez qu’il en est grande année, ce serait assez pour me faire trépasser hors les gonds de patience. J’aime bien les cocus, et me semblent gens de bien, et les hante volontiers ; mais pour mourir, je ne le voudrais être. C’est un point qui trop me point[138].

— Point donc ne vous mariez, répondit Pantagruel, car la sentence de Sénèque est véritable hors toute exception : « Ce qu’à autrui tu auras fait, sois certain qu’autrui te fera. »

— Dites-vous, demanda Panurge, cela sans exception ?

— Sans exception il le dit, répondit Pantagruel.

— Ho ! ho ! dit Panurge, de par le petit diable, il entend en ce monde ou en l’autre.

« Voire, mais puisque de femme ne me peux passer en plus qu’un aveugle de bâton (car il faut que le virolet[139] trotte, autrement vivre ne saurais), n’est-ce le mieux que je m’associe quelque honnête et prude femme, qu’ainsi changer de jour en jour, avec continuel danger de quelque coup de bâton, ou de la vérole pour le pire ? Car femme de bien onques ne me fut rien, et n’en déplaise à leurs maris.

— Mariez-vous donc, de par Dieu, répondit Pantagruel.

— Mais si, dit Panurge, Dieu le voulait, et advint que j’épousasse quelque femme de bien et elle me battît, je serais plus que tiercelet[140] de Job, si je n’enrageais tout vif, car l’on m’a dit que ces tant femmes de bien ont communément mauvaise tête : aussi ont-elles bon vinaigre en leur ménage. Je l’aurais encore pire, et lui battrais tant et très tant sa petite oie (ce sont bras, jambes, tête, poumon, foie et râtelle), tant lui déchiquetterais ses habillements à bâtons rompus, que le grand diole[141] en attendrait l’âme damnée à la porte. De ces tabus[142] je me passerais bien pour cette année et content serais n’y entrer point.

— Point donc ne vous mariez, répondit Pantagruel.

— Voire mais, dit Panurge, étant en état tel que je suis, quitte et non marié… notez que je dis quitte, en la male[143] heure, car étant bien fort endetté, mes créditeurs ne seraient que trop soigneux de ma paternité… mais quitte et non marié, je n’ai personne qui tant de moi se souciât et amour tel me portât qu’on dit être amour conjugal, et si par cas tombais en maladie, traité ne serais qu’au rebours. Le sage dit : « Là où n’est femme, j’entends mère-famille, et en mariage légitime, le malade est en grand estrif[144]. » J’en ai vu claire expérience en papes, légats, cardinaux, évêques, abbés, prieurs, prêtres et moines. Or là jamais ne m’auriez.

— Mariez-vous donc, de par Dieu, répondit Pantagruel.

— Mais si, dit Panurge, étant malade et impotent au devoir de mariage, ma femme, impatiente de ma langueur, à autrui s’abandonnait, et non seulement ne me secourût au besoin, mais aussi se moquât de ma calamité, et (que pis est) me dérobât, comme j’ai vu souvent advenir, ce serait pour m’achever de peindre et courir les champs en pourpoint.

— Point donc ne vous mariez, répondit Pantagruel.

— Voire mais, dit Panurge, je n’aurais jamais autrement fils ni filles légitimes, esquels j’eusse espoir mon nom et armes perpétuer, esquels je puisse laisser mes héritages et acquêts (j’en ferai de beaux un de ces matins, n’en doutez, et d’abondant[145] serai grand retireur de rentes), avec lesquels je me puisse ébaudir quand d’ailleurs serais méshaigné[146], comme je vois journellement votre tant bénin et débonnaire père faire avec nous, et font tous gens de bien en leur sérail et privé. Car quitte étant, marié non étant, étant par accident fâché, en lieu de me consoler, avis m’est que de mon mal riez.

— Mariez-vous donc, de par Dieu, répondit Pantagruel. »


COMMENT PANTAGRUEL REMONTRE À PANURGE DIFFICILE CHOSE ÊTRE LE CONSEIL DE MARIAGE, ET DES SORTS HOMÉRIQUES ET VIRGILIENS.

« Votre conseil, dit Panurge, sous correction, semble à la chanson de Ricochet : ce ne sont que sarcasmes, moqueries, paranomasies[147], épanalepses[148] et redites contradictoires. Les unes détruisent les autres. Je ne sais esquelles me tenir.

— Aussi, répondit Pantagruel, en vos propositions tant y a de si et de mais, que je n’y saurais rien fonder ni rien résoudre. N’êtes-vous assuré de votre vouloir ? Le point principal y gît : tout le reste est fortuit et dépendant des fatales dispositions du ciel. Nous voyons bon nombre de gens tant heureux à cette rencontre qu’en leur mariage semble reluire quelque idée et représentation des joies de paradis. Autres y sont tant malheureux que les diables qui tentent les ermites par les déserts de Thébaïde et Montserrat ne le sont davantage. Il s’y convient mettre à l’aventure, les yeux bandés, baissant la tête, baisant la terre, et se recommandant à Dieu au demeurant, puisqu’une fois l’on s’y veut mettre. Autre assurance ne vous en saurais-je donner.

« Or, voyez ci que vous ferez, si bon vous semble. Apportez-moi les œuvres de Virgile, et par trois fois, avec l’ongle les ouvrants, explorerons, par les vers du nombre entre nous convenu, le sort futur de votre mariage, car, comme par sorts homériques souvent on a rencontré sa destinée, témoin Socrates, lequel, oyant[149] en prison réciter ce mètre[150] d’Homère dit d’Achille Iliad., IX :

Ηματι ϰὲν τριτάτω Φθίην έρίϐωλον ίϰοίμην
Je parviendrai, sans faire long séjour,
En Phtie, belle et fertile, au tiers jour,

prévit qu’il mourrait le tiers subséquent jour, et l’assura à Eschines, comme écrivent Plato, in Critone, Cicéron, primo de Divinatione, et Diogenes Laertius… »

COMMENT PANTAGRUEL REMONTRE LE SORT DES DÉS ÊTRE ILLICITE.

« Ce serait, dit Panurge, plus tôt fait et expédié à trois beaux dés.

— Non, répondit Pantagruel, ce sort est abusif, illicite, et grandement scandaleux. Jamais ne vous y fiez. Le maudit livre du Passe-temps des dés fut, longtemps a, inventé par le calomniateur ennemi[151] en Achaïe près Boure[152], et, devant la statue d’Hercules Bouraïque, y faisait jadis, et de présent en plusieurs lieux fait, maintes simples âmes errer et en ses lacs tomber. Vous savez comment Gargantua, mon père, par tous ses royaumes l’a défendu, brûlé avec les moules[153] et portraits, et du tout exterminé, supprimé et aboli, comme peste très dangereuse. Ce que des dés je vous ai dit, je dis semblablement des taies[154]. C’est sort de pareil abus. Et ne m’alléguez, au contraire, le fortuné jet des taies que fît Tibère dedans la fontaine d’Apone à l’oracle de Gérion. Ce sont hameçons par lesquels le calomniateur tire les simples âmes à perdition éternelle.

« Pour toutefois vous satisfaire, bien suis d’avis que jetiez trois dés sur cette table. Au nombre des points advenants nous prendrons les vers du feuillet qu’aurez ouvert. Avez-vous ici dés en bourse ?

— Pleine gibecière, répondit Panurge. C’est le vert du diable, comme expose Merl. Coccaius, libro secundo de Patria diabolorum. Le diable me prendrait sans vert, s’il me rencontrait sans dés. »

Les dés furent tirés et jetés, et tombèrent ès points de cinq, six, cinq : « Ce sont, dit Panurge, seize. Prenons les vers seizièmes du feuillet. Le nombre me plaît et crois que nos rencontres seront heureuses. Je me donne à travers tous les diables, comme un coup de boule à travers un jeu de quilles, ou comme un coup de canon à travers un bataillon de gens de pied (gare, diables, qui voudra), en cas qu’autant de fois je ne belute[155] ma femme future la première nuit de mes noces.

— Je n’en fais doute, répondit Pantagruel ; jà besoin n’était en faire si horrifique dévotion. La première fois sera une faute et vaudra quinze ; au déjucher[156], vous l’amenderez : par ce moyen seront seize.

— Et ainsi, dit Panurge, l’entendez ? Onques ne fut fait solécisme par le vaillant champion, qui pour moi fait sentinelle au bas-ventre. M’avez-vous trouvé en la confrérie des fautiers ?[157] Jamais, jamais, au grand fin jamais. Je le fais en père et en béat père, sans faute. J’en demande aux joueurs. »

Ces paroles achevées furent apportées les œuvres de Virgile. Avant les ouvrir, Panurge dit à Pantagruel : « Le cœur me bat dedans le corps comme une mitaine. Touchez un peu mon pouls en cette artère du bras gauche : à sa fréquence et élévation, vous diriez qu’on me pelaude[158] en tentative de Sorbonne. Seriez-vous point d’avis, avant procéder outre, qu’invoquions Hercules et les déesses Ténites, lesquelles on dit présider en la chambre des sorts ?

— Ni l’un, répondit Pantagruel, ni les autres. Ouvrez seulement avec l’ongle. »


COMMENT PANTAGRUEL EXPLORE PAR SORTS VIRGILIENS QUEL SERA LE MARIAGE DE PANURGE.

Adonc ouvrant Panurge le livre, rencontra on[159] rang seizième ce vers :

Nec Deus hunc mensa, Dea nec dignata cubili est.
Digne ne fut d’être en table du dieu,
Et n’eut on lit de la déesse lieu.

« Cetui, dit Pantagruel, n’est à votre avantage. Il dénote que votre femme sera ribaude, vous cocu par conséquent. La déesse que n’aurez favorable est Minerve, vierge très redoutée, déesse puissante, foudroyante, ennemie des cocus, des muguets, des adultères, ennemie des femmes lubriques, non tenantes la foi promise à leurs maris, et à autrui soi abandonnantes. Le dieu est Jupiter tonnant et foudroyant des cieux. Et noterez, par la doctrine des anciens Étrusques, que les manubies (ainsi appelaient-ils les jets des foudres vulcaniques) compètent[160] à elle seulement (exemple de ce fut donné en la conflagration des navires d’Ajax Oileus), et à Jupiter, son père capital[161]. À autres dieux olympiques n’est licite foudroyer. Pourtant[162] ne sont-ils tant redoutés des humains. Plus vous dirai, et le prendrez comme extrait de haute mythologie. Quand les géants entreprirent guerre contre les dieux, les dieux, au commencement, se moquèrent de tels ennemis, et disaient qu’il n’y en avait pas pour leurs pages ; mais, quand ils virent, par le labeur des géants, le mont Pélion posé dessus le mont Osse et jà ébranlé le mont Olympe pour être mis au-dessus des deux, furent tous effrayés. Adonc tint Jupiter chapitre général. Là fut conclu de tous les dieux qu’ils se mettraient vertueusement en défense, et pour ce qu’ils avaient plusieurs fois vu les batailles perdues par l’empêchement des femmes qui étaient parmi les armées, fut décrété que, pour l’heure, on chasserait des cieux en Égypte et vers les confins du Nil toute cette vessaille[163] des déesses, déguisées en belettes, fouines, ratepenades[164], musaraignes et autres métamorphoses. Seule Minerve fut de retenue pour foudroyer avec Jupiter, comme déesse des lettres et de guerre, de conseil et exécution, déesse née armée, déesse redoutée on[165] ciel, en l’air, en la mer et en terre.

— Ventre sur ventre, dit Panurge, serais-je bien Vulcain duquel parle le poète ? Non. Je ne suis ni boiteux, ni faux monnayeur, ni forgeron, comme il était. Par aventure, ma femme sera aussi belle et avenante comme sa Vénus, mais non ribaude comme elle, ni moi cocu comme lui. Le vilain jambe torte se fit déclarer cocu par arrêt, et en veute figure[166] de tous les dieux. Pour ce entendez au rebours. Ce sort dénote que ma femme sera prude, pudique et loyale, non mie[167] armée, rebousse[168] ni écervelée et extraite de cervelle comme Pallas, et ne me sera corrival ce beau Jupin, et jà ne saucera son pain en ma soupe quand ensemble serions à table. Considérez ses gestes et beau faits. Il a été le plus fort rufian, et plus infâme cor… (je dis bordelier) qui onques fut, paillard toujours comme un verrat (aussi fut-il nourri par une truie en Dicte de Candie, si Agathocles Babylonien ne ment) et plus bouquin que n’est un bouc (aussi disent les autres qu’il fut allaité d’une chèvre Amalthée). Vertu d’Achéron, il belina pour un jour la tierce partie du monde, bêtes et gens, fleuves et montagnes : ce fut Europe. Pour cetui belinage[169] les Ammoniens le faisaient portraire[170] en figure de bélier belinant, bélier cornu. Mais je sais comment garder se faut de ce cornard. Croyez qu’il n’aura trouvé un sot Amphitryon, un niais Argus avec ses cent besicles, un couard Acrisius, un lanternier Lycus de Thèbes, un rêveur Agénor, un Asope flegmatique, un Lycaon pattepelue[171], un madourré[172] Corytus de la Toscane, un Atlas à la grande échine. Il pourrait cent et cent fois se transformer en cygne, en taureau, en satyre, en or, en cocu[173], comme fit quand il dépucela Junon, sa sœur, en aigle, en bélier, en pigeon, comme fit étant amoureux de la pucelle Phtie, laquelle demeurait en Ægie, en feu, en serpent, voire même en puce, en atomes épicuréiques, ou, magistronostralement[174], en secondes intentions. Je le vous grupperai[175] au crue[176]. Et savez que lui ferai ? Corbleu, ce que fit Saturne au Ciel son père (Sénèque l’a de moi prédit, et Lactance confirmé), ce que Rhéa fit à Athys. Je vous lui couperai les couillons tout rasibus du cul. Il ne s’en faudra un pelet[177]. Par cette raison ne sera-t-il jamais pape ; car testiculos non habet.

— Tout beau, fillot, dit Pantagruel, tout beau. Ouvrez pour la seconde fois. »

Lors rencontra ce vers :

Membra quatit, gelidusque coït formidine sanguis
Les os lui rompt et les membres lui casse,
Dont de la peur le sang on corps lui glace.

« Il dénote, dit Pantagruel, qu’elle vous battra dos et ventre.

— Au rebours, répondit Panurge, c’est de moi qu’il pronostique, et dit que je la battrai en tigre, si elle me fâche. Martin bâton en fera l’office. En faute de bâton [178], le diable me mange si je ne la mangerais toute vive, comme la sienne mangea Cambles, roi des Lydiens.

— Vous êtes, dit Pantagruel, bien courageux : Hercules ne vous combattrait en cette fureur. Mais c’est ce que l’on dit que le Jan en vaut deux, et Hercules seul n’osa contre deux combattre.

— Je suis Jan ? dit Panurge.

— Rien, rien, répondit Pantagruel. Je pensais au jeu de lourche[179] et tric-trac. »

Au tiers[180] coup rencontra ce vers :

Fœtnineo prædæ et spoliorum ardebat amore.
Brûlait d’ardeur, en féminin usage,
De butiner et rober[181] le bagage.

« Il dénote, dit Pantagruel, qu’elle vous dérobera, et je vous vois bien en point, selon ces trois sorts : vous serez cocu, vous serez battu, vous serez dérobé.

— Au rebours, répondit Panurge, ce vers dénote qu’elle m’aimera d’amour parfait. Onques n’en mentit le Satirique, quand il dit que femme brûlant d’amour suprême prend quelquefois plaisir à dérober son ami. Savez quoi ? Un gant, une aiguillette pour la faire chercher. Peu de chose, rien d’importance. Pareillement ces petites noisettes[182], ces riottes[183] qui par certains temps sourdent entre les amants, sont nouveaux rafraîchissements et aiguillons d’amour, comme nous voyons par exemple les couteleurs[184] leurs cos[185] quelquefois marteler pour mieux aiguiser les ferrements. C’est pourquoi je prends ces trois sorts à mon grand avantage. Autrement j’en appelle.

— Appeler, dit Pantagruel, jamais on ne peut des jugements décidés par sort et fortune, comme attestent nos antiques jurisconsultes, et le dit Balde, l. ult. C. de leg. La raison est pour ce que fortune ne reconnaît point de supérieur, auquel d’elle et de ses sorts on puisse appeler, et ne peut, en ce cas, le mineur être en son entier restitué, comme apertement il dit in l. Ait praetor, § ult. ff. de Minor. »


COMMENT PANTAGRUEL CONSEILLE PANURGE PRÉVOIR L’HEUR OU MALHEUR DE SON MARIAGE PAR SONGES.

« Or, puisque ne convenons ensemble en l’exposition des sorts virgiliens, prenons autre voie de divination.

— Quelle ? demanda Panurge.

— Bonne, répondit Pantagruel, antique et authentique, c’est par songes, car, en songeant, avec conditions lesquelles décrivent Hippocrates, lib. Peri enypnion, Platon, Plotin, Jamblique, Synésius, Aristotèles, Xénophon, Galien, Plutarque, Artémidorus Daldianus, Hérophilus, Quintus Calaber, Théocrite, Pline, Athéneus et autres, l’âme souvent prévoit les choses futures. Jà n’est besoin plus au long vous le prouver. Vous l’entendez, par exemple vulgaire, quand vous voyez, lorsque les enfants bien nettis[186], bien repus et allaités, dorment profondément, les nourrices s’en aller ébattre en liberté, comme pour icelle heure licenciées[187] à faire ce que voudront, car leur présence autour du bers[188] semblerait inutile. En cette façon notre âme, lorsque le corps dort et que la concoction[189] est de tous endroits parachevée, rien plus n’étant nécessaire jusques au réveil, s’ébat et revoit sa patrie qui est le ciel. De là, reçoit participation insigne de sa prime et divine origine, et, en contemplation de cette infinie et intellectuelle sphère, le centre de laquelle est en chacun lieu de l’univers, la circonférence point (c’est Dieu, selon la doctrine de Hermès Trismégistus), à laquelle rien n’advient, rien ne passe, rien ne déchoit, tous temps sont présents, note non seulement les choses passées en mouvements inférieurs, mais aussi les futures, et les rapportant à son corps, et par les sens et organes d’icelui, les exposant aux amis, est dite vaticinatrice et prophète.

« Vrai est qu’elle ne les rapporte en telle sincérité comme les avait vues, obstant[190] l’imperfection et fragilité des sens corporels, comme la lune, recevant du soleil sa lumière, ne nous la communique telle, tant lucide, tant pure, tant vive et ardente comme l’avait reçue. Pourtant, reste à ces vaticinations somniales interprète qui soit dextre, sage, industrieux, expert, rationnel, et absolu onirocrite et oniropole[191] ; ainsi sont appelés des Grecs. C’est pourquoi Héraclitus disait rien par songes ne nous être exposé, rien aussi ne nous être célé ; seulement nous être donnée signification et indice des choses à venir, ou pour l’heur[192] et malheur nôtre, ou pour l’heur et malheur d’autrui. Les sacrées lettres le témoignent, les histoires profanes l’assurent, nous exposant mille cas advenus selon les songes, tant de la personne songeante que d’autrui pareillement. Les Atlantiques, et ceux qui habitent en l’île de Thasos, l’une des Cyclades, sont privés de cette commodité, on[193] pays desquels jamais personne ne songea. Aussi furent Cléon de Daulie, Thrasymèdes, et de notre temps le docte Villanovanus, Français, lesquels onques ne songèrent.

« Demain donc, sur l’heure que la joyeuse Aurore aux doigts rosats déchassera[194] les ténèbres nocturnes, adonnez-vous à songer profondément. Cependant dépouillez-vous de toute affection humaine, d’amour, de haine, d’espoir et de crainte. Car, comme jadis le grand vaticinateur Proteus, étant déguisé et transformé, en feu, en eau, en tigre, en dragon et autres masques étranges, ne prédisait les choses à venir, ains[195] pour les prédire, force était qu’il fût restitué en sa propre et naïve[196] forme, aussi ne peut l’homme recevoir divinité et art de vaticiner, sinon que la partie qui en lui plus est divine (c’est νοῦς et mens) soit coite, tranquille, paisible, non occupée ni distraite par passions et affections foraines[197].

— Je le veux, dit Panurge. Faudra-t-il peu ou beaucoup souper à ce soir ? Je ne le demande sans cause, car si bien et largement, je ne soupe, je ne dors rien qui vaille, la nuit ne fais que rêvasser, et autant songe creux que pour lors était mon ventre.

— Point souper, répondit Pantagruel, serait le meilleur, attendu votre bon en point et habitude.

« Amphiaraus, vaticinateur antique, voulait ceux qui par songes recevaient ses oracles rien tout celui jour ne manger et vin ne boire trois jours devant. Nous n’userons de tant extrême et rigoureuse diète. Bien crois-je l’homme replet de viandes et crapule[198] difficilement concevoir notice des choses spirituelles ; ne suis toutefois en l’opinion de ceux qui, après longs et obstinés jeûnes, cuident[199] plus avant entrer en contemplation des choses célestes.

« Souvenir assez vous peut comment Gargantua, mon père, lequel par honneur je nomme, nous a souvent dit les écrits de ces ermites jeûneurs autant être fades, jejunes[200] et de mauvaise salive comme étaient leurs corps, lorsqu’ils composaient, et difficile chose être, bons et sereins rester les esprits, étant le corps en inanition, vu que les philosophes et médecins affirment les esprits animaux sourdre, naître et pratiquer[201] par le sang artériel, purifié et afîiné à perfection dedans le rets admirable qui gît sous les ventricules du cerveau. Nous baillant exemple d’un philosophe, qui en solitude pensant être et hors la tourbe, pour mieux commenter, discourir et composer, cependant toutefois autour de lui aboyent les chiens, ullent[202] les loups, rugissent les lions, hennissent les chevaux, barrissent les éléphants, sifflent les serpents, braient les ânes, sonnent les cigales, lamentent les tourterelles, c’est-à-dire, plus était troublé que s’il fût à la foire de Fontenay ou Niort, car la faim était on[203] corps, pour à laquelle remédier aboie l’estomac, la vue éblouit, les veines sucent de la propre substance des membres carniformes et retirent en bas cetui esprit vagabond, négligent du traitement de son nourrisson et hôte naturel, qui est le corps, comme si l’oiseau, sur le poing étant, voulait en l’air son vol prendre et incontinent par les longes serait plus bas déprimé. Et à ce propos, nous alléguant l’autorité d’Homère, père de toute philosophie, qui dit les Grégeois lors, non plus tôt, avoir mis à leurs larmes fin du deuil de Patroclus, le grand ami d’Achilles, quand la faim se déclara et leurs ventres protestèrent plus de larmes ne les fournir, car en corps exinanis[204] par trop long jeûne, plus n’était de quoi pleurer et larmoyer.

« Médiocrité est en tous cas louée, et ici la maintiendrez. Vous mangerez à souper non fèves, non lièvres, ni autre chair, non poulpe qu’on nomme polype, non choux ni autres viandes[205] qui puissent vos esprits animaux troubler et offusquer. Car, comme le miroir ne peut représenter les simulacres des choses objectées et à lui exposées, si sa polissure est par haleines ou temps nubileux[206] offusquée, aussi l’esprit ne reçoit les formes de divination par songes si le corps est inquiété et troublé par les vapeurs et fumées des viandes précédentes, à cause de la sympathie laquelle est entre eux indissoluble.

« Vous mangerez bonnes poires Crustuménies[207] et Bergamotes, une pomme de court-pendu, quelques pruneaux de Tours, quelques cerises de mon verger. Et ne sera pourquoi devez craindre que vos songes en proviennent douteux, fallaces et suspects, comme les ont déclarés aucuns péripatétiques, on temps d’automne, lors, savoir est, que les humains plus copieusement usent de fructages[208] qu’en autre saison (ce que les anciens prophètes et poètes mystiquement nous enseignent, disants les vains et fallacieux songes gésir et être cachés sous les feuilles chues en terre, parce qu’en automne les feuilles tombent des arbres), car cette ferveur naturelle, laquelle abonde ès fruits nouveaux et laquelle par son ébullition facilement évapore ès parties animales (comme nous voyons faire le moût), est, long temps a[209], expirée et résolue. Et boirez belle eau de ma fontaine.

— La condition, dit Panurge, m’est quelque peu dure. J’y consens toutefois, coûte et vaille, protestant déjeuner demain à bonne heure, incontinent après mes songeailles. Au surplus, je me recommande aux deux portes d’Homère, à Morpheus, à Icelon, à Phantasus, et Phabéton. Si au besoin ils m’aident et secourent, je leur érigerai un autel joyeux, tout composé de fin dumet[210]. Si en Laconie j’étais dedans le temple d’Ino, entre Œtyle et Thalames, par elle serait ma perplexité résolue en dormant à beaux et joyeux songes. »

Puis demanda à Pantagruel : « Serait-ce point bien fait si je mettais dessous mon coussin quelques branches de laurier ?

— Il n’est, répondit Pantagruel, jà besoin. C’est chose superstitieuse, et n’est qu’abus ce qu’en ont écrit Sérapion Ascalonites, Antiphon, Philochorus, Artémon et Fulgentius Placiades. Autant vous en dirais-je de l’épaule gauche du crocodile et du caméléon, sauf l’honneur du vieux Démocrite, autant de la pierre des Bactrians nommée Eumétrides, autant de la corne d’Hammon (ainsi nomment les Éthiopiens une pierre précieuse à couleur d’or et forme d’une corne de bélier, comme est la corne de Jupiter Hammonien, affirmants autant être vrais et infaillibles les songes de ceux qui la portent, que sont les oracles divins.) Par aventure est ce qu’écrivent Homère et Virgile des deux portes de songe, esquelles vous êtes recommandé. L’une est d’ivoire, par laquelle entrent les songes confus, fallaces et incertains, comme à travers l’ivoire, tant soit déliée que voudrez, possible n’est rien voir, sa densité et opacité empêche la pénétration des esprits visifs[211] et réception des espèces visibles. L’autre est de corne, par laquelle entrent les songes certains, vrais et infaillibles, comme à travers la corne, par sa resplendeur et diaphanéité apparaissent toutes espèces certainement et distinctement.

— Vous voulez inférer, dit frère Jean, que les songes des cocus cornus, comme sera Panurge, Dieu aidant et sa femme, sont toujours vrais et infaillibles. »


LE SONGE DE PANURGE ET INTERPRÉTATION D’ICELUI.

Sur les sept heures du matin subséquent, Panurge se présenta devant Pantagruel, étants en la chambre Épistémon, frère Jean des Entommeures, Ponocrates, Eudémon, Carpalim et autres, esquels, à la venue de Panurge, dit Pantagruel : « Voyez-ci notre songeur.

— Cette parole, dit Épistémon, jadis coûta bon et fut chèrement vendue ès enfants de Jacob. »

Adonc dit Panurge : « J’en suis bien chez Guillot le songeur. J’ai songé tant et plus, mais je n’y entends note, excepté que, par mes songeries, j’avais une femme jeune, galante, belle en perfection, laquelle me traitait et entretenait mignonnement, comme un petit dorelot[212]. Jamais homme ne fut plus aise ni plus joyeux. Elle me flattait, me chatouillait, me tâtonnait, me testonnait[213], me baisait, m’accollait, et par ébattement me faisait deux belles petites cornes au-dessus du front. Je lui remontrais en folliant[214] qu’elle me les devait mettre au-dessous des yeux, pour mieux voir ce que j’en voudrais férir, afin que Momus ne trouvât en elle chose aucune imparfaite et digne de correction, comme il fit en la position des cornes bovines. La folâtre, nonobstant ma remontrance, me les fichait encore plus avant, et en ce ne me faisait mal quelconque, qui est cas admirable. Peu après, me sembla que je fus, ne sais comment, transformé en tambourin, et elle en chouette. Là fut mon sommeil interrompu, et en sursaut me réveillai tout fâché, perplexe et indigné. Voyez là une belle platelée de songes. Faites grand’chère là-dessus, et l’exposez comme l’entendez. Allons déjeuner, Carpalim.

— J’entends, dit Pantagruel, si j’ai jugement aucun en l’art de divination par songes, que votre femme ne vous fera réellement et en apparence extérieure cornes on[215] front, comme portent les satyres ; mais elle ne vous tiendra foi ni loyauté conjugale, ains[216] à autrui s’abandonnera et vous fera cocu. Cetui point est apertement exposé par Artémidorus comme le dis. Aussi ne sera de vous faite métamorphose en tambourin, mais d’elle vous serez battu comme tambour à noces ; ni d’elle en chouette, mais elle vous dérobera, comme est le naturel de la chouette. Et voyez vos songes conformes ès sorts virgiliens. Vous serez cocu, vous serez battu, vous serez dérobé. »

Là s’écria frère Jean, et dit : « Il dit par Dieu vrai : tu seras cocu, homme de bien, je t’en assure ; tu auras belles cornes. Hay, hay, hay ! Notre maître de Cornibus, Dieu te gard’ ! Fais nous deux mots de prédication, et je ferai la quête parmi la paroisse.

— Au rebours, dit Panurge, mon songe présagea qu’en mon mariage j’aurai planté[217] de tous biens, avec la corne d’abondance. Vous dites que seront cornes de satyres. Amen, amen, fiat, fiatur ad differentiam papæ. Ainsi aurais-je éternellement le virolet en point et infatigable, comme l’ont les satyres, chose que tous désirent et peu de gens l’impètrent des cieux. Par conséquent cocu jamais, car faute de ce est cause sans laquelle non, cause unique de faire les maris cocus. Qui fait les coquins mendier ? c’est qu’ils n’ont en leurs maisons de quoi leur sac emplir. Qui fait le loup sortir du bois ? défaut de carnage[218], Qui fait les femmes ribaudes ? Vous m’entendez assez. J’en demande à messieurs les clercs, à messieurs les présidents, conseillers, avocats, procureurs et autres glossateurs de la vénérable rubrique de Frigidis et Maleficiatis.

« Vous (pardonnez-moi si je méprends) me semblez évidemment errer, interprétant cornes pour cocuage. Diane les porte en tête à forme de beau croissant. Est-elle cocue pourtant ? Comment diable serait-elle cocue, qui ne fut onques mariée ? Parlez, de grâce, correct, craignant qu’elle vous en fasse au patron que fit à Actéon. Le bon Bacchus porte cornes, semblablement Pan, Jupiter Ammonien, tant d’autres. Sont-ils cocus ? Junon serait-elle putain ? Car il s’ensuivrait, par la figure dite metalepsis ! Comme, appelant un enfant, en présence de ses père et mère, champi ou avoistre[219], c’est honnêtement, tacitement dire le père cocu et sa femme ribaude. Parlons mieux. Les cornes que me faisait ma femme sont cornes d’abondance et planté de tous biens. Je le vous affie[220]. Au demeurant je serai joyeux comme un tambour à noces, toujours sonnant, toujours ronflant, toujours bourdonnant et pétant. Croyez que c’est l’heur[221] de mon bien. Ma femme sera coincte[222] et jolie, comme une belle petite chouette.

Qui ne le croit d’enfer aille au gibet,
Noel nouvelet.

— Je note, dit Pantagruel, le point dernier qu’avez dit, et le confère avec le premier. Au commencement vous étiez tout confit en délices de votre songe. En fin vous éveillâtes en sursaut, fâché, perplexe et indigné.

— Voire, dit Panurge, car je n’avais point dîné.

— Tout ira en désolation, je le prévois. Sachez, pour vrai, que tout sommeil finissant en sursaut et laissant la personne fâchée et indignée, ou mal signifie, ou mal présage.

« Mal signifie, c’est-à-dire maladie cacoèthe[223], maligne, pestilente, occulte et latente dedans le centre du corps, laquelle, par sommeil, qui toujours renforce la vertu concoctrice[224], selon les théorèmes de médecine, commencerait soi déclarer et mouvoir vers la superficie, auquel triste mouvement serait le repos dissolu[225], et le premier sensitif admonesté d’y compatir et pourvoir, comme, en proverbe, l’on dit : irriter les frelons, mouvoir la Camarine[226], éveiller le chat qui dort.

« Mal présage, c’est-à-dire, quant au fait de l’âme en matière de divination somniale, nous donne entendre que quelque malheur y est destiné et préparé, lequel de bref sortira en son effet. Exemple on[227] songe et réveil épouvantable d’Hécuba, on songe d’Eurydice, femme d’Orpheus, lequel parfait, les dit Ennius s’être éveillées en sursaut et épouvantées. Aussi après vit Hécuba son mari Priam, ses enfants, sa patrie occis et détruits ; Eurydice bientôt après mourut misérablement… »


EXCUSE DE PANURGE ET EXPOSITION DE CABALE MONASTIQUE EN MATIÈRE DE BŒUF SALÉ.

« Dieu, dit Panurge, gard’ de mal qui voit bien, n’ouït goutte. Je vous vois très bien, mais je ne vous ouïs point, et ne sais que dites. Le ventre affamé n’a point d’oreilles. Je brame, par Dieu, de maie rage de faim. J’ai fait corvée trop extraordinaire. Il fera plus que maître Mouche qui de cetui an me fera être de songeailles. Ne souper point, de par le diable ? Cancre ! Allons, frère Jean, déjeuner. Quand j’ai bien à point déjeuné et mon estomac est à point affené et agrené[228], encore pour un besoin, et en cas de nécessité, me passerais-je de dîner. Mais ne souper point ? Cancre ! C’est erreur, c’est scandale en nature.

« Nature a fait le jour pour soi exercer, pour travailler et vaquer chacun en sa négociation, et, pour ce plus aptement faire, elle nous fournit de chandelle : c’est la claire et joyeuse lumière du soleil. Au soir, elle commence nous la tollir[229] et nous dit tacitement : « Enfants, vous êtes gens de bien, c’est assez travaillé. La nuit vient : il convient cesser[230] du labeur et soi restaurer par bon pain, bon vin, bonnes viandes, puis soi quelque peu ébaudir[231], coucher et reposer, pour, au lendemain, être frais et allègres au labeur, comme devant. » Ainsi font les fauconniers. Quand ils ont pu[232] leurs oiseaux, ils ne les font voler sur leurs gorges[233] : ils les laissent enduire[234] sur la perche. Ce que très bien entendit le bon pape, premier instituteur des jeûnes. Il ordonna qu’on jeûnât jusques à l’heure de Nones, le reste du jour fut mis en liberté de repaître.

« On[235] temps jadis peu de gens dînaient, comme vous diriez les moines et chanoines. Aussi bien n’ont-ils autre occupation ; tous les jours leur sont fêtes, et ils observent diligemment un proverbe claustral : de missâ ad mensam. Et ne différeraient seulement attendants la venue de l’abbé, pour soi enfourner à table. Là, en bâfrant, attendent les moines l’abbé tant qu’il voudra ; non autrement, ni en autre condition. Mais tout le monde soupait, excepté quelques rêveurs songeards, dont est dite la cène comme ccene, c’est-à-dire à tous commune. Tu le sais bien, frère Jean. Allons, mon ami, de par tous les diables, allons. Mon estomac aboie de male[236] faim comme un chien. Jetons-lui force soupes en gueule pour l’apaiser, à l’exemple de la Sibylle envers Cerbérus. Tu aimes les soupes de prime[237] : plus me plaisent les soupes de laurier, associées de quelque pièce de laboureur salé à neuf leçons.

— Je t’entends, répondit frère Jean ; cette métaphore est extraite de la marmite claustrale. Le laboureur, c’est le bœuf qui laboure, ou a labouré ; à neuf leçons, c’est-à-dire cuit à perfection. Car les bons pères de religion, par certaine cabalistique institution des anciens, non écrite, mais baillée de main en main, soi levants, de mon temps, pour matines, faisaient certains préambules notables avant entrer en l’église. Fientaient aux fientoirs, pissaient aux pissoirs, crachaient aux crachoirs, toussaient aux toussoirs mélodieusement, rêvaient aux revoirs, afin de rien immonde ne porter au service divin. Ces choses faites, dévotement se transportaient en la sainte chapelle (ainsi était en leurs rébus nommée la cuisine claustrale) et dévotement sollicitaient que dés lors fût au feu le bœuf mis pour le déjeuner des religieux, frères de Notre-Seigneur. Eux-mêmes souvent allumaient le feu sous la marmite. Or est que, matines ayant neuf leçons, plus matin se levaient, par raison. Plus aussi multipliaient en appétit et altération, aux abois du parchemin[238], que matines étant ourlées d’une ou trois leçons seulement. Plus matin se levants, par ladite cabale, plus tôt était le bœuf au feu :

Plus y étant, plus cuit restait,
Plus cuit restant, plus tendre était,


moins usait les dents, plus délectait le palais, moins grevait l’estomac, plus nourrissait les bons religieux, qui est la fin unique et intention première des fondateurs, en contemplation de ce qu’ils ne mangent mie[239] pour vivre, ils vivent pour manger, et n’ont que leur vie en ce monde. Allons, Panurge.

— À cette heure, dit Panurge, t’ai-je entendu, couillon velouté, couillon claustral et cabalique. Il m’y va du propre cabal[240]. Le sort, l’usure et les intérêts je pardonne[241]. Je me contente des dépens, puisque tant disertement nous as fait répétition sur le chapitre singulier de la cabale culinaire et monastique. Allons, Carpalim. Frère Jean, mon baudrier, allons. Bonjour, tous mes bons seigneurs. J’avais assez songé pour boire. Allons. »

Panurge n’avait ce mot achevé, quand Épistémon à haute voix s’écria, disant : « Chose bien commune et vulgaire entre les humains est le malheur d’autrui entendre, prévoir, connaître et prédire. Mais, ô que chose rare est son malheur propre prédire, connaître, prévoir et entendre, et que prudemment le figura Ésope en ses apologues, disant chacun homme, en ce monde naissant, une besace au cou porter, on[242] sachet de laquelle devant pendant sont les fautes et malheurs d’autrui, toujours exposées à notre vue et connaissance : on sachet derrière pendant sont les fautes et malheurs propres, et jamais ne sont vues ni entendues, fors de ceux qui des cieux ont le bénévole aspect[243]. »


ruines de l’abbaye de maillezais (vendée)
Après sa fuite du couvent des Cordeliers de Fontenay-le-Comte, Rabelais trouva asile, sous la robe de bénédictin, dans l’abbaye de Maillezais, dont Geoffroy d’Estissac était abbé.

COMMENT PANTAGRUEL CONSEILLE À PANURGE DE CONFÉRER AVEC LA SIBYLLE DE PANZOUST.

Peu de temps après, Pantagruel manda quérir Panurge, et lui dit : « L’amour que je vous porte, invétéré par succession de longs temps, me sollicite de penser à votre bien et profit. Entendez ma conception. On m’a dit qu’à Panzoust, près le Croulay, est une sibylle très insigne, laquelle prédit toutes choses futures. Prenez Épistémon de compagnie, et vous transportez par devers elle, et oyez ce que vous dira.

— C’est, dit Épistémon, par aventure, une canidie[244], une sagane[245], une pythonisse et sorcière. Ce qui me le fait penser, est que celui lieu est en ce nom diffamé qu’il abonde en sorcières plus que ne fit onques Thessalie. Je n’irai pas volontiers. La chose est illicite et défendue en la loi de Moses[246].

— Nous, dit Pantagruel, ne sommes mie[247] juifs, et n’est chose confessée ni avérée qu’elle soit sorcière. Remettons à votre retour le grabeau[248] et belutement[249] de ces matières. Que savons-nous si c’est une onzième sibylle, une seconde Cassandre ? Et or[250] que sibylle ne fût et de sibylle ne méritât le nom, quel intérêt[251] encourrez-vous, avec elle conférant de votre perplexité, entendu mêmement qu’elle est en existimation de plus savoir, plus entendre que ne porte l’usance ni du pays, ni du sexe ? Que nuit savoir toujours et toujours apprendre, fût-ce

D’un sot, d’un pot, d’une guedoufle[252],
D’une moufle[253], d’une pantoufle ?…

— Vous dites bien, répondit Épistémon ; mais jà ne me ferez entendre que chose beaucoup avantageuse soit prendre d’une femme, et d’une telle femme, en tel pays, conseil et avis.

— Je, dit Panurge, me trouve fort bien du conseil des femmes, et mêmement des vieilles. À leur conseil, je fais toujours une selle ou deux extraordinaires. Mon ami, ce sont vrais chiens de montre[254], vraies rubriques de droit, et bien proprement parlent ceux qui les appellent sages femmes. Ma coutume et mon style est les nommer présages femmes. Sages sont-elles, car dextrement elles connaissent. Mais je les nomme présages, car divinement elles prévoient et prédisent certainement toutes choses à venir. Aucunes[255] fois je les appelle non Maunettes, mais Monettes, comme la Juno des Romains, car d’elles toujours nous viennent admonitions salutaires et profitables. Demandez en à Pythagoras, Socrates, Empédocles, et notre maître Ortuinus. Ensemble[256] je loue jusques ès hauts cieux l’antique institution des Germains, lesquels prisaient au poids du sanctuaire et cordialement révéraient le conseil des vieilles, par leurs avis et réponses tant heureusement prospéraient, comme les avaient prudemment reçues. Témoins la vieille Aurinie et la bonne mère Vellède on[257] temps de Vespasien.

« Croyez que vieillesse féminine est toujours foisonnante en qualité soubeline[258], je voulais dire sibylline. Allons, par l’aide, allons par la vertu Dieu, allons. Adieu, frère Jean, je te recommande ma braguette.

— Bien, dit Épistémon, je vous suivrai, protestant que, si j’ai avertissement qu’elle use de sort ou enchantement en ses réponses, je vous laisserai à la porte, et plus de moi accompagné ne serez. »


COMMENT PANURGE PARLE À LA SIBYLLE DE PANZOUST.

Leur chemin fut de trois journées. La troisième, à la croupe d’une montagne, sous un grand et ample châtaigner, leur fut montrée la maison de la vaticinatrice. Sans difficulté ils entrèrent en la case chaumine[259], mal bâtie, mal meublée, toute enfumée : « Baste, dit Épistémon, Héraclitus, grand scotiste[260] et ténébreux philosophe, ne s’étonna entrant en maison semblable, exposant à ses sectateurs et disciples que là aussi bien résidaient les dieux comme en palais plein de délices. Et crois que telle était la case de la tant célébrée Hécale, lorsqu’elle y festoya le jeune Théseus, telle aussi celle de Hireus ou Œnopion, en laquelle Jupiter, Neptune et Mercure ensemble ne prirent à dédain entrer, repaître et loger, en laquelle officialement[261]pour l’écot forgèrent Orion. »

Au coin de la cheminée trouvèrent la vieille : « Elle est, s’écria Épistémon, vraie sibylle, et vrai portrait naïvement représenté par τῇ ϰαμινοῖ d’Homère. » La vieille était mal en point, mal vêtue, mal nourrie, édentée, chassieuse, courbassée, roupieuse, langoureuse, et faisait un potage de choux verts, avec une couenne de lard jaune et un vieil savorados[262].

« Vert et bleu ! dit Épistémon, nous avons failli. Nous n’aurons d’elle réponse aucune, car nous n’avons le rameau d’or.

— J’y ai, répondit Panurge, pourvu. Je l’ai ici dedans ma gibecière, en une verge[263] d’or, accompagné de beaux et joyeux carolus[264]. »

Ces mots dits, Panurge la salua profondément, lui présenta six langues de bœuf fumées, un grand pot beurrier plein de coscotons[265], un bourrabaquin[266] garni de breuvage, une couille de bélier pleine de carolus nouvellement forgés, enfin, avec profonde révérence, lui mit on[267] doigt médical une verge d’or bien belle, en laquelle était une crapaudine[268] de Beusse magnifiquement enchâssée. Puis, en brèves paroles, lui exposa le motif de sa venue, la priant courtoisement lui dire son avis et bonne fortune de son mariage entrepris.

La vieille resta quelque temps en silence, pensive et rechignant des dents ; puis s’assit sur le cul d’un boisseau, prit en ses mains trois vieux fuseaux, les tourna et vira entre ses doigts en diverses manières, puis éprouva leurs pointes, le plus pointu retint en main, les deux autres jeta sous une pille[269] à mil. Après prit ses dévidoirs, et par neuf fois les tourna : au neuvième tour, considéra sans plus toucher le mouvement der dévidoirs, et attendit leur repos parfait.

Depuis, je vis qu’elle déchaussa un de ses esclos (nous les nommons sabots), mit son devanteau[270] sur sa tête, comme les prêtres mettent leur amict quand ils veulent messe chanter, puis, avec un antique tissu riolé[271], piolé[272] le lia sous sa gorge. Ainsi affublée, tira un grand trait du bourrabaquin, prit de la couille bélinière trois carolus, les mit en trois coques de noix et les posa sur le cul d’un pot à plume, fit trois tours de balai par la cheminée, jeta au feu demi fagot de bruyère et un rameau de laurier sec, le considéra brûler en silence, et vit que, brûlant, ne faisait grillement ni bruit aucun.

Adonc s’écria épouvantablement, sonnant entre les dents quelques mots barbares et d’étrange terminaison, de mode que Panurge dit à Épistémon : « Par la vertu Dieu, je tremble : je crois que je suis charmé ; elle ne parle point Christian. Voyez comment elle me semble de quatre empans plus grande que n’était lorsqu’elle se capitonna de son devanteau. Que signifie ce remuement de badigoinces ? Que prétend cette jectigation[273] des épaules ? À quel fin fredonne-t-elle des babines comme un singe démembrant écrevisses ? Les oreilles me cornent, il m’est avis que je ouïs Proserpine bruyante. Les diables bientôt en place sortiront. Ô les laides bêtes ! Fuyons, serpe Dieu ! je meurs de peur. Je n’aime point les diables. Ils me fâchent, et sont mal plaisants. Fuyons. Adieu, madame, grand merci de vos biens. Je ne me marierai point, non. J’y renonce dès à présent comme alors. »

Ainsi commençait escamper[274] de la chambre ; mais la vieille anticipa[275], tenant le fuseau en sa main, et sortit en un courtil près sa maison. Là était un sycomore antique : elle l’écroula[276] par trois fois, et, sur huit feuilles qui en tombèrent, sommairement avec le fuseau écrivit quelques brefs vers. Puis les jeta au vent, et leur dit : « Allez les chercher, si voulez ; trouvez-les, si pouvez. Le sort fatal de votre mariage y est écrit. »

Ces paroles dites, se retira en sa tanière, et sur le perron de la porte se retroussa, robe, cotte et chemise, jusques aux aisselles, et leur montrait son cul. Panurge l’aperçut, et dit à Épistémon : « Par le sambreguoy de bois ! voilà le trou de la sibylle[277]. » Soudain elle barra sur soi la porte : depuis ne fut vue. Ils coururent après les feuilles et les recueillirent, mais non sans grand labeur, car le vent les avait écartées par les buissons de la vallée, et, les ordonnant l’une après l’autre, trouvèrent cette sentence en mètres[278] :

T’égoussera[279]
De renom.
Engrossera
De toi non.
Te sucera
Le bon bout.
T’écorchera
Mais non tout.


COMMENT PANTAGRUEL ET PANURGE DIVERSEMENT EXPOSENT LES VERS DE LA SIBYLLE DE PANZOUST.

Les feuilles recueillies, retournèrent Épistémon et Panurge en la cour de Pantagruel, part[280] joyeux, part fâchés. Joyeux, pour le retour ; fâchés, pour le travail du chemin, lequel trouvèrent raboteux, pierreux et mal ordonné. De leur voyage firent ample rapport à Pantagruel, et de l’état de la sibylle ; enfin lui présentèrent les feuilles de sycomore, et montrèrent l’écriture en petits vers. Pantagruel, avoir lu le totage[281], dit à Panurge en soupirant : « Vous êtes bien en point. La prophétie de la sibylle apertement expose ce que jà nous était dénoté, tant par les sorts virgiliennes que par vos propres songes : c’est que par votre femme serez déshonoré, qu’elle vous fera cocu, s’abandonnant à autrui et par autrui devenant grosse, qu’elle vous dérobera par quelque bonne partie, et qu’elle vous battra, écorchant et meurtrissant quelque membre du corps.

— Vous entendez autant, répondit Panurge, en exposition de ces récentes prophéties comme fait truie en épices. Ne vous déplaise si je le dis, car je me sens un peu fâché. Le contraire est véritable. Prenez bien mes mots. La vieille dit : « Ainsi comme la fève n’est vue si elle n’est égoussée[282], aussi ma vertu et ma perfection jamais ne serait mise en renom si marié je n’étais. » Quantes[283] fois vous ai-je ouï disant que le magistrat[284] et l’office découvre l’homme, et met en évidence ce qu’il avait dedans le jabot ? C’est-à-dire que lors on connaît certainement quel est le personnage, et combien il vaut, quand il est appelé au maniement des affaires. Paravant, savoir est[285] étant l’homme en son privé, on ne sait pour certain quel il est, non plus que d’une fève en gousse. Voilà quant au premier article. Autrement voudriez-vous maintenir que l’honneur et bon renom d’un homme de bien pendît au cul d’une putain ?

« Le second dit : « Ma femme engrossera (entendez ici la prime félicité de mariage) mais non de moi ». Corbieu ! je le crois. Ce sera d’un beau petit enfantelet qu’elle sera grosse. Je l’aime déjà tout plein, et jà en suis tout assoti[286]. Ce sera mon petit bedaud[287]. Fâcherie du monde tant grande et véhémente n’entrera désormais à mon esprit que je ne passe[288], seulement le voyant et le oyant jargonner en son jargon puéril. Et benoîte[289] soit la vieille ! Je lui veux, vrai bis ! constituer en Salmigondinois quelque bonne rente, non courante comme bacheliers insensés, mais assise comme beaux docteurs régents. Autrement voudriez-vous que ma femme dedans ses flancs me portât ? me conçût ? m’enfantât ? et qu’on dît : « Panurge est un second Bacchus ? Il est deux fois né. Il est rené, comme fut Hippolytus, comme fut Protéus, une fois de Thétis et secondement de la mère du philosophe Apollonius, comme furent les deux Palices, près du fleuve Siméthos en Sicile. Sa femme était grosse de lui. En lui est renouvelée l’antique palintocie[290] des Mégariens, et la palingénésie de Démocritus. » Erreur ! Ne m’en parlez jamais.

« Le tiers dit : « Ma femme me sucera le bon bout. » Je m’y dispose. Vous entendez assez que c’est le bâton à un bout qui me pend entre les jambes. Je vous jure et promets que toujours le maintiendrai succulent et bien avitaillé[291]. Elle ne me le sucera point en vain. Éternellement y sera le petit picotin, ou mieux. Vous exposez allégoriquement ce lieu et l’interprétez à larcin et furt[292]. Je loue l’exposition, l’allégorie me plaît, mais non à votre sens. Peut-être que l’affection sincère que me portez vous tire en partie adverse et réfractaire, comme disent les clercs chose merveilleusement craintive être amour et jamais le bon amour n’être sans crainte. Mais, selon mon jugement, en vous-même vous entendez que furt, en ce passage comme en tant d’autres des scripteurs[293] latins et antiques, signifie le doux fruit d’amourettes, lequel veut Vénus être secrètement et furtivement cueilli. Pourquoi, par votre foi ? Pour ce que la chosette, faite à l’emblée[294], entre deux huis[295], à travers les degrés[296], derrière la tapisserie, en tapinois, sur un fagot déroté[297] plus plaît à la déesse de Chypre (et en suis là, sans préjudice de meilleur avis), que faite en vue du soleil, à la cynique, ou entre les précieux conopées[298], entre les courtines dorées, à longs intervalles, à plein gogo[299], avec un émouchail[300] de soie cramoisie et un panache de plumes Indiques chassant les mouches d’autour, et la femelle s’écurante les dents avec un brin de paille, qu’elle cependant aurait déraché[301] du fond de la paillasse.

« Autrement, voudriez-vous dire qu’elle me déroba en suçant, comme on avale les huîtres en écaille, et comme les femmes de Cilicie (témoin Dioscorides) cueillent la graine des alkermès[302] ? Erreur. Qui dérobe, ne suce, mais gruppe[303] ; n’avale, mais emballe, ravit, et joue de passe-passe[304].

« Le quart dit : « Ma femme me l’écorchera, mais non tout. » Ô le beau mot ! Vous l’interprétez à batterie et meurtrissure. C’est bien à propos truelle, Dieu te gard’ de mal, maçon. Je vous supplie, levez un peu vos esprits de terrienne pensée en contemplation hautaine des merveilles de nature, et ici condamnez-vous vous-même pour les erreurs qu’avez commis, perversement exposant les dits[305] prophétiques de la dive[306] sibylle. Posé, mais non admis ni concédé le cas que ma femme, par l’instigation de l’ennemi d’enfer, voulût et entreprît me faire un mauvais tour, me diffamer, me faire cocu jusqu’au cul, me dérober et outrager, encore ne viendra elle à fin[307] de son vouloir et entreprise. La raison qui à ce me meut est en ce point dernier fondée, et est extraite du fond de panthéologie monastique. Frère Artus Culletant me l’a autrefois dit, et fut par un lundi matin, mangeants ensemble un boisseau de godiveaux[308], et si[309] pleuvait, il m’en souvient. Dieu lui donne le bonjour !

« Les femmes, au commencement du monde, ou peu après, ensemblement conspirèrent écorcher les hommes tous vifs, parce que sur elles maîtriser voulaient en tous lieux. Et fut cetui décret promis, confirmé et juré entre elles par le saint sang breguoy. Mais, ô vaines entreprises des femmes ! ô grande fragilité du sexe féminin ! Elles commencèrent écorcher l’homme ou gluber[310], comme le nomme Catulle, par la partie qui plus leur haite[311] : c’est le membre nerveux, caverneux. Plus de six mille ans a, et toutefois jusques à présent n’en ont écorché que la tête. Dont, par fin dépit, les Juifs eux-mêmes, en circoncision se le coupent et retaillent, mieux aimants être dits recutis[312] et retaillats maranes[313], qu’écorchés par femmes, comme les autres nations. Ma femme non dégénérante de cette commune entreprise, me l’écorchera, s’il ne l’est. J’y consens de franc vouloir, mais non tout, je vous en assure, mon bon roi.

— Vous, dit Épistémon, ne répondez à ce que le rameau de laurier, nous voyants, elle considérant et exclamante en voix furieuse et épouvantable, brûlait sans bruit ni grillement aucun. Vous savez que c’est triste augure et signe grandement redoutable, comme attestent Properce, Tibulle, Porphyre, philosophe argut[314], Eustathius sur l’Iliade homérique, et autres.

— Vraiment, répondit Panurge, vous m’alléguez de gentils veaux, ils furent fols comme poètes et rêveurs comme philosophes, autant pleins de fine folie, comme était leur philosophie. »


COMMENT PANTAGRUEL LOUE LE CONSEIL DES MUETS.

Pantagruel, ces mots achevés, se tut assez longtemps, et semblait grandement pensif. Puis dit à Panurge : « L’esprit malin vous séduit, mais écoutez. J’ai lu qu’on[315] temps passé les plus véritables et sûrs oracles n’étaient ceux que par écrit on baillait, ou par parole on proférait. Maintes fois y ont fait erreur, ceux voire qui étaient estimés fins et ingénieux, tant à cause des amphibologies, équivoques et obscurités des mots, que de la brièveté des sentences. Pourtant fut Apollo, dieu de vaticination, surnommé Λοξίας. Ceux que l’on exposait par gestes et par signes étaient les plus véritables et certains estimés. Telle était l’opinion d’Héraclitus, et ainsi vaticinait Jupiter en Amon, ainsi prophétisait Apollo entre les Assyriens. Pour cette raison, le peignaient-ils avec longue barbe, et vêtu comme personnage vieux et de sens rassis ; non nu, jeune et sans barbe, comme faisaient les Grecs. Usons de cette manière, et, par signes sans parler, conseil prenez de quelque muet.

— J’en suis d’avis, répondit Panurge.

— Mais, dit Pantagruel, il conviendrait que le muet fût sourd de sa naissance, et par conséquent muet, car il n’est muet plus naïf que celui qui onques ne ouït.

— Comment, répondit Panurge, l’entendez ? Si vrai fut que l’homme ne parlât qui n’eût ouï parler, je vous mènerais à logicalement[316] inférer une proposition bien abhorrente et paradoxe[317]. Mais laissons-la. Vous donc ne croyez ce qu’écrit Hérodote des deux enfants gardés dedans une case par le vouloir de Psammétie, roi des Égyptiens, et nourris en perpétuelle silence, lesquels, après certain temps, prononcèrent cette parole, becus, laquelle en langue phrygienne signifie pain ?

— Rien moins, répondit Pantagruel. C’est abus dire qu’ayons langage naturel. Les langages sont par institutions arbitraires et convenances des peuples : les voix[318], comme disent les dialecticiens, ne signifient naturellement, mais à plaisir. Je ne vous dis ce propos sans cause, car Bartole, lib. I, de Verb. oblig., raconte que, de son temps, fut en Eugube un nommé messer Nello de Gabriélis, lequel par accident était sourd devenu ; ce nonobstant, entendait tout homme Italien parlant tant secrètement que ce fût, seulement à la vue de ses gestes et mouvement des baulèvres[319].

« J’ai davantage[320] lu, en auteur docte et élégant, que Tyridates, roi d’Arménie, on temps de Néron, visita Rome, et fut reçu en solennité honorable et pompes magnifiques, afin de l’entretenir en amitié sempiternelle du sénat et peuple romain, et n’y eut chose mémorable en la cité qui ne lui fut montrée et exposée. À son département[321], l’empereur lui fit dons grands et excessifs ; outre, lui fit option de choisir ce que plus en Rome lui plairait, avec promesse jurée de non l’éconduire, quoi qu’il demandât. Il demanda seulement un joueur de farces, lequel il avait vu on théâtre, et, n’entendant ce qu’il disait, entendait ce qu’il exprimait par signes et gesticulations, alléguant que, sous sa domination, étaient peuples de divers langages, pour esquels[322] répondre et parler lui convenait user de plusieurs truchements : il seul à tous suffirait, car, en matière de signifier par gestes, était tant excellent qu’il semblait parler des doigts. Pourtant, vous faut choisir un muet sourd de nature, afin que ses gestes et signes vous soient naïvement prophétiques, non feints, fardés, ni affectés. Reste encore savoir si tel avis voulez ou d’homme ou de femme prendre.

— Je, répondit Panurge, volontiers d’une femme le prendrais, ne fût que je crains deux choses.

« L’une, que les femmes, quelques choses qu’elles voient, elles se représentent en leurs esprits, elles pensent, elles imaginent que soit l’entrée du sacre Ithyphalle. Quelques gestes, signes et maintiens que l’on fasse en leur vue et présence, elles les interprètent et réfèrent à l’acte mouvant de belutage[323]. Pourtant[324] y serions-nous abusés, car la femme penserait tous nos signes être signes vénériens. Vous souvienne de ce qu’advint en Rome deux cents lx. ans après la fondation d’icelle : un jeune gentilhomme romain, rencontrant au mont Cœlion une dame latine nommée Vérone, muette et sourde de nature, lui demanda avec gesticulations italiques, en ignorance d’icelle surdité, quels sénateurs elle avait rencontré par la montée. Elle, non entendant ce qu’il disait, imagina être ce qu’elle pourpensait[325], et ce qu’un jeune homme naturellement demande d’une femme. Adonc par signes (qui en amour sont incomparablement plus attractifs, efficaces et valables que paroles) le tira à part en sa maison, signes lui fit que le jeu lui plaisait. Enfin, sans de bouche mot dire, firent beau bruit de culetis.

« L’autre, qu’elles ne feraient à nos signes réponse aucune : elles soudain tomberaient en arrière, comme réellement consentantes à nos tacites demandes, ou, si signes aucuns nous faisaient responsifs à nos propositions, ils seraient tant folâtres et ridicules que nous-mêmes estimerions leurs pensements être vénéréiques.

« Vous savez comment, à Croquignoles, quand la nonnain sœur Fessue fut par le jeune briffaut[326] dom Roidimet[327] engrossée, et la grosse[328] connue, appelée par l’abbesse en chapitre et arguée d’inceste, elle s’excusait, allégante que ce n’avait été de son consentement, c’avait été par violence et par la force du frère Roidimet. L’abbesse répliquante et disante : « Méchante, c’était on[329] dortoir, pourquoi ne criais-tu à la force ? Nous toutes eussions couru à ton aide. » Répondit qu’elle n’osait crier on dortoir, pour ce qu’on dortoir y a silence sempiternel. « Mais, dit l’abbesse, méchante que tu es, pourquoi ne faisais-tu signe à tes voisines de chambre ? » « Je, répondit la Fessue, leur faisais signe du cul tant que pouvais, mais personne ne me secourut. » « Mais, demanda l’abbesse, méchante, pourquoi incontinent ne me le vins-tu dire et l’accuser régullèrement ? Ainsi eussé-je fait, si le cas ne fut advenu, pour démontrer mon innocence. » « Pour ce, répondit la Fessue, que, craignante demeurer en péché et état de damnation, de peur que ne fusse de mort soudaine prévenue, je me confessai à lui avant qu’il départît[330] de la chambre, et il me bailla en pénitence de non le dire ni déceler à personne. Trop énorme eût été le péché, révéler sa confession, et trop détestable devant Dieu et les anges. Par aventure, eût-ce été cause que le feu du ciel eût ars[331] toute l’abbaye, et toutes fussions tombées en abîme avec Dathan et Abiron. »

— Vous, dit Pantagruel, jà[332] ne m’en ferez rire. Je sais assez que toute moinerie moins craint les commandements de Dieu transgresser que leurs statuts provinciaux. Prenez donc un homme. Nazdecabre[333] me semble idoine. Il est muet et sourd de naissance. »


COMMENT NAZDECABRE PAR SIGNES RÉPOND À PANURGE.

Nazdecabre fut mandé, et au lendemain arriva. Panurge, à son arrivée, lui donna un veau gras, un demi-pourceau, deux bussars[334] de vin, une charge de blé et trente francs en menue monnaie. Puis le mena devant Pantagruel, et, en présence des gentilshommes de chambre, lui fît tel signe. Il bâilla assez longuement, et, en bâillant faisait hors la bouche, avec le pouce de la main dextre, la figure de la lettre grecque dite Tau, par fréquentes réitérations. Puis leva les œils au ciel, et les tournoyait en la tête comme une chèvre qui avorte ; toussait ce faisant, et profondément soupirait. Cela fait, montrait le défaut de sa braguette, puis, sous sa chemise, prit son pistolandier à plein poing, et le faisait mélodieusement cliquer entre ses cuisses ; s’inclina fléchissant le genou gauche, et resta tenant ses deux bras sur la poitrine, lacés[335] l’un sur l’autre.

Nazdecabre curieusement le regardait, puis leva la main gauche en l’air, et retint clos en poing tous les doigts d’icelle, exceptés le pouce et le doigt indice[336], desquels il accoupla mollement les deux ongles ensemble.

« J’entends, dit Pantagruel, ce qu’il prétend par cetui signe. Il dénote mariage, et d’abondant le nombre trentenaire, selon la profession des Pythagoriciens. Vous serez marié.

— Grand merci, dit Panurge, se tournant vers Nazdecabre, mon petit architriclin[337], mon comité[338], mon algousan[339], mon sbire, mon barizel[340]. »

Puis leva en l’air plus haut la dite main gauche, étendant tous les cinq doigts d’icelle et les éloignant uns des autres, tant qu’éloigner pouvait. « Ici, dit Pantagruel, plus amplement nous insinue, par signification du nombre quinaire que serez marié, et non seulement effiancé[341], épousé et marié, mais en outre qu’habiterez et serez bien avant de fête. Car Pythagoras appelait le nombre quinaire nombre nuptial, noces et mariage consommé, pour cette raison qu’il est composé de trias, qui est nombre premier impair et superflu, et de dias, qui est nombre premier pair, comme de mâle et de femelle couplés[342] ensemble. De fait, à Rome, jadis, au jour des noces, on allumait cinq flambeaux de cire, et n’était licite d’en allumer plus, fut ès noces des plus riches, ni moins, fut ès noces des plus indigents. D’avantage[343], on[344] temps passé, les païens imploraient cinq dieux, ou un dieu en cinq bénéfices, sur ceux que l’on mariait : Jupiter nuptial, Juno, présidente de la fête, Vénus la belle, Pitho, déesse de persuasion et beau parler, et Diane, pour secours on travail d’enfantement.

— Ô, s’écria Panurge, le gentil Nazdecabre ! Je lui veux donner une métairie près Cinays, et un moulin à vent en Mirebelais. »

Ce fait, le muet étemua en insigne véhémence et concussion[345] de tout le corps, se détournant à gauche : « Vertu bœuf de bois, dit Pantagruel, qu’est cela ? Ce n’est à votre avantage. Il dénote que votre mariage sera infauste[346] et malheureux. Cetui éternuement, selon la doctrine de Terpsion, est le démon socratique, lequel, fait à dextre, signifie qu’en assurance et hardiment on peut faire et aller ce et la part[347] qu’on a délibéré, les entrée, progrès et succès seront bons et heureux ; fait à gauche, au contraire.

— Vous, dit Panurge, toujours prenez les matières au pis, et toujours obturbez[348] comme un autre Davus. Je n’en crois rien, et ne connus onques sinon en déception ce vieux trépelu[349] Terpsion.

— Toutefois, dit Pantagruel, Cicéron en dit je ne sais quoi on second livre de Divination. »

Puis se tourne vers Nazdecabre, et lui fait tel signe. Il renversa les paupières des œils contre mont[350], tordait les mandibules de dextre en senestre, tira la langue à demi hors la bouche. Ce fait, posa la main gauche ouverte, excepté le maître doigt, lequel retint perpendiculairement sur la paume, et ainsi l’assit au lieu de sa braguette : la dextre retint close en poing, excepté le pouce, lequel droit il retourna arrière sous l’aisselle dextre. et l’assit au-dessus des fesses, on[351] lieu que les Arabes appellent al katim[352]. Soudain après changea, et la main dextre tint en forme de la senestre, et la posa sur le lieu de la braguette ; la gauche tint en forme de la dextre et la posa sur l’al katim. Cetui changement de mains réitéra par neuf fois. À la neuvième, remit les paupières des yeux en leur position naturelle, aussi fit les mandibules et la langue ; puis jeta son regard bigle sur Nazdecabre, branlant les baulèvres[353], comme font les singes de séjour[354], et comme font les connins[355] mangeant avoine en gerbe.

Adonc Nazdecabre éleva en l’air la main dextre toute ouverte, puis mit le pouce d’icelle jusques à la première articulation entre la tierce jointure du maître doigt et du doigt médical, les resserrant assez fort autour du pouce : le reste des jointures d’iceux retirant on poing, et droits extendant les doigts indice[356] et petit. La main ainsi composée posa sur le nombril de Panurge, mouvant continuellement le pouce susdit, et appuyant icelle main sur les doigts petit et indice, comme sur deux jambes. Ainsi montait d’icelle main successivement à travers le ventre, l’estomac, la poitrine et le col de Panurge ; puis au menton, et dedans la bouche lui mit le susdit pouce branlant ; puis lui en frotta le nez, et, montant outre aux œils, feignit les lui vouloir crever avec le pouce. À tant[357] Panurge se fâcha, et tâchait se défaire et retirer du muet. Mais Nazdecabre continuait, lui touchant, avec celui pouce branlant, maintenant les yeux, maintenant le front, et les limites de son bonnet. Enfin Panurge s’écria, disant : « Par Dieu, maître fol, vous serez battu si ne me laissez ; si plus me fâchez, vous aurez de ma main un masque sur votre paillard[358] visage.

— Il est, dit lors frère Jean, sourd. Il n’entend ce que tu lui dis, couillon. Fais-lui en signe une grêle de coups de poing sur le mourre[359].

— Que diable, dit Panurge, veut prétendre ce maître Aliboron ? il m’a presque poché les œils au beurre noir. Par Dieu, da jurandi, je vous festoierai d’un banquet de nasardes, entrelardé de doubles chiquenaudes. » Puis le laissa, lui faisant la pétarade. Le muet, voyant Panurge démarcher[360], gagna le devant, l’arrêta par force, et lui fit tel signe : il baissa le bras dextre vers le genou, tant que pouvait l’étendre, clouant tous les doigts en poing, et passant le pouce entre les doigts maître et indice[361]. Puis, avec la main gauche, frottait le dessus du coude du susdit bras dextre, et peu à peu à a frottement levait en l’air la main d’icelui, jusques au coude et au-dessus ; soudain la rabaissait comme devant : puis à intervalles la relevait, la rabaissait et la montrait à Panurge,

Panurge, de ce fâché, leva le poing pour frapper le muet, mais il révéra la présence de Pantagruel et se retint. Alors dit Pantagruel : « Si les signes vous fâchent, o quant[362] vous fâcheront les choses signifiées ! Tout vrai à tout vrai consonne[363]. Le muet prétend et dénote que serez marié, cocu, battu et dérobé.

— Le mariage, dit Panurge, je concède, je nie le demeurant[364] et vous prie me faire ce bien de croire que jamais homme n’eut en femme et en chevaux heur[365] tel que m’est prédestiné. »


COMMENT PANURGE PREND CONSEIL D’UN VIEIL POÈTE FRANÇAIS NOMMÉ RAMINAGROBIS

« Je ne pensais, dit Pantagruel, jamais rencontrer homme tant obstiné à ses appréhensions[366] comme je vous vois. Pour toutefois votre doute éclaircir, suis d’avis que nous mouvons toute pierre. Entendez ma conception. Les cygnes, qui sont oiseaux sacrés à Apollo, ne chantent jamais, sinon quand ils approchent de leur mort, mêmement[367] en Méander, fleuve de Phrygie (je le dis pour ce que Ælianus et Alexander Myndius écrivent en avoir ailleurs vu plusieurs mourir, mais nul chanter en mourant), de mode que chant de cygne est présage certain de sa mort prochaine, et ne meurt que préalablement n’ait chanté. Semblablement, les poètes, qui sont en protection d’Apollo, approchants de leur mort, ordinairement deviennent prophètes, et chantent par apolline inspiration, vaticinant des choses futures.

« J’ai davantage[368] souvent ouï dire que tout homme vieux, décrépit et près de sa fin, facilement devine des cas à venir, et me souvient qu’Aristophanes, en quelque comédie, appelle les gens vieux sibylles, ό δέ γέρων σίϐυλλιᾷ, car, comme nous, étants sur le môle et de loin voyants les mariniers et voyageurs dedans leurs nefs en haute mer, seulement en silence les considérons et bien prions pour leur prospère abordement, mais, lorsqu’ils approchent du havre, et par paroles et par gestes les saluons et congratulons de ce que à port de saulveté[369] sont avec nous arrivés : aussi les anges, les héros, les bons démons (selon la doctrine des Platoniques) voyants les humains prochains de mort, comme de port très sûr et salutaire, port de repos et de tranquillité, hors les troubles et sollicitudes terriennes, les saluent, les consolent, parlent avec eux, et jà[370] commencent leur communiquer art de divination.

« Je ne vous alléguerai exemples antiques d’Isaac, de Jacob, de Patroclus envers Hector, d’Hector envers Achilles, de Polymnestor envers Agamemnon et Hécuba, du Rhodien célébré par Posidonius, de Calanus indien envers Alexandre le Grand, d’Orodes envers Mézentius et autres. Seulement vous veux ramentevoir[371] le docte et preux chevalier Guillaume du Bellay, seigneur jadis de Langey, lequel on mont de Tarare mourut, le 10 de janvier, l’an de son âge le climatère[372], et de notre supputation l’an 1543, en compte romanique. Les trois et quatre heures avant son décès il employa en paroles vigoureuses, en sens tranquille et serein, nous prédisant ce que depuis part[373] avons vu, part attendons à venir, combien que, pour lors, nous semblassent ces prophéties aucunement abhorrentes[374] et étranges, par ne nous apparaître cause ni signe, aucun présent pronostic de ce qu’il prédisait.

« Nous avons ici près la Villaumère, un homme et vieux et poète, c’est Raminagrobis lequel en secondes noces épousa la grande Gorre, dont naquit la belle Bazoche. J’ai entendu qu’il est en l’article et dernier moment de son décès : transportez-vous vers lui et oyez son chant. Pourra être que de lui aurez ce que prétendez, et par lui Apollo votre doute dissoudra.

— Je le veux, répondit Panurge. Allons-y, Épistémon, de ce pas, de peur que mort ne le prévienne. Veux-tu venir, frère Jean ?

— Je le veux, répondit frère Jean, bien volontiers, pour l’amour de toi, couillette, car je t’aime du bon du foie. »

Sur l’heure fut par eux chemin pris, et, arrivants au logis poétique, trouvèrent le bon vieillard en agonie, avec maintien joyeux, face ouverte et regard lumineux.

Panurge, le saluant, lui mit au doigt médical de la main gauche, en pur don, un anneau d’or, en la palle[375] duquel était un saphir oriental, beau et ample ; puis, à l’imitation de Socrates, lui offrit un beau coq blanc, lequel, incontinent posé sur son lit, la tête élevée, en grande allégresse, secoua son pennage, puis chanta en bien haut ton. Cela fait, Panurge le requit courtoisement dire et exposer son jugement sur le doute du mariage prétendu.

Le bon vieillard commanda lui être apporté encre, plume et papier. Le tout fut promptement livré. Adonc écrivit ce que s’ensuit :

Prenez-la, ne la prenez pas.
Si vous la prenez, c’est bien fait.
Si ne la prenez en effet,
Ce sera œuvré par compas.
Galopez, mais allez le pas.
Reculez, entrez-y de fait.
Prenez-la, ne……

Jeûnez, prenez double repas,
Défaites ce qu’était refait.
Refaites ce qu’était défait.
Souhaitez-lui vie et trépas.
Prenez-la, ne……

Puis leur bailla en main, et leur dit : « Allez, enfants, en la garde du grand Dieu des cieux, et plus de cetui affaire ni d’autre que soit ne m’inquiétez. J’ai ce jourd’hui, qui est le dernier et de mai et de moi, hors ma maison, à grande fatigue et difficulté, chassé un tas de vilaines, immondes et pestilentes bêtes, noires, garres[376], fauves, blanches, cendrées, grivelées, lesquelles laisser ne me voulaient à mon aise mourir, et, par fraudulentes pointures[377], gruppements harpiaques[378], importunités frelonniques, toutes forgées en l’officine de ne sais quelle insatiabilité m’évoquaient[379] du doux pensement onquel j’acquiesçais, contemplant, voyant et jà touchant et goûtant le bien et félicité que le bon Dieu a préparé à ses fidèles et élus, en l’autre vie et état d’immortalité.

« Déclinez[380] de leur voie, ne soyez à elles semblables, plus ne me molestez et me laissez en silence, je vous supplie. »


COMMENT PANURGE PATROCINE[381] À L’ORDRE DES FRATRES MENDIANTS.

Issant[382] de la chambre de Raminagrobis, Panurge, comme tout effrayé, dit : « Je crois, par la vertu Dieu, qu’il est hérétique, ou je me donne au diable. Il médit des bons pères mendiants, cordeliers et jacobins, qui sont les deux hémisphères de la chrétienté, et par la gyrognomonique circumbilivagination desquels, comme par deux filopendoles cœlivages, tout l’antonomatique matagrabolisme de l’Église romaine, quand elle se sent emburelucoquée d’aucun baragouinage d’erreur ou d’hérésie, homocentricalement se trémousse[383]. Mais que tous les diables lui ont fait les pauvres diables de capucins et minimes ? Ne sont-ils assez meshaignés[384], les pauvres diables ? Ne sont-ils assez enfumés et parfumés de misère et calamité, les pauvres hères, extraits d’ichthyophagie ? Est-il, frère Jean, par ta foi, en état de salvation[385] ? Il s’en va, par Dieu, damné comme une serpe[386] à trente mille bottées de diables. Médire de ces bons et vaillants piliers d’église ! Appelez-vous cela fureur poétique ? Je ne m’en peux contenter : il pèche vilainement, il blasphème contre la religion. J’en suis fort scandalisé.

— Je, dit frère Jean, ne m’en soucie d’un bouton. Ils médisent de tout le monde ; si tout le monde médit d’eux, je n’y prétends aucun intérêt[387]. Voyons ce qu’il a écrit. »

Panurge lut attentement[388] l’écriture du bon vieillard, puis leur dit : « Il rêve, le pauvre buveur. Je l’excuse toutefois. Je crois qu’il est près de sa fin. Allons faire son épitaphe. Par la réponse qu’il nous donne, je suis aussi sage que onques puis ne fournâmes-nous[389]. Écoute ça, Épistémon, mon bedon. Ne l’estimes-tu pas bien résolu en ses réponses ? Il est, par Dieu, sophiste argut[390], ergoté[391] et naïf. Je gage qu’il est marrabais[392] ». Ventre bœuf, comment il se donne garde de méprendre en ses paroles ! Il ne répond que par disjonctives. Il ne peut ne dire vrai, car à la vérité d’icelles suffit l’une partie être vraie. Ô quel patelineux ! Saint Iago de Bressuire, en est-il encore de l’éraige[393] ?

— Ainsi, répondit Épistémon, protestait Tirésias, le grand vaticinateur, au commencement de toutes ses divinations, disant apertement à ceux qui de lui prenaient avis : « Ce que je dirai adviendra ou n’adviendra point. » Et est le style des prudents pronostiqueurs.

— Toutefois, dit Panurge, Juno lui creva les deux œils.

— Voire, répondit Épistémon, par dépit de ce qu’il avait mieux sententié qu’elle sur le doute proposé par Jupiter.

— Mais, dit Panurge, quel diable possède ce maître Raminagrobis, qui, ainsi, sans propos, sans raison, sans occasion, médit des pauvres béats pères jacobins, mineurs et minimes ? J’en suis grandement scandalisé, je vous affie[394], et ne m’en peux taire. Il a grièvement péché. Son âme s’en va à trente mille panerées de diables.

— Je ne vous entends point, répondit Épistémon, et me scandalisez vous-même grandement, interprétant perversement des fratres mendiants ce que le bon poète disait des bêtes noires, fauves et autres. Il ne l’entend, selon mon jugement, en telle sophistique et fantastique allégorie. Il parle absolument et proprement des puces, punaises, cirons, mouches, culices[395] et autres telles bêtes, lesquelles sont unes[396] noires, autres fauves, autres cendrées, autres tannées et basanées, toutes importunes, tyranniques et molestes[397], non ès malades seulement, mais aussi à gens sains et vigoureux. Par aventure, a-t-il des ascarides, lombrics et vermes[398] dedans le corps. Par aventure, pâtit-il (comme est en Égypte et lieux confins de la mer Érythrée chose vulgaire et usitée) ès bras ou jambes quelque poincture[399] de dragonneaux grivelés, que les Arabes appellent meden. Vous faites mal autrement exposant ses paroles, et faites tort au bon poète par détraction, et ès dits fratres par imputation de tel meshain[400]. Il faut toujours de son presme[401] interpréter toutes choses à bien.

— Apprenez-moi, dit Panurge, à connaître mouches en lait. Il est, par la vertu Dieu, hérétique. Je dis hérétique formé, hérétique clavelé[402], hérétique brûlable comme une belle petite horloge. Son âme s’en va à trente mille charretées de diable. Savez-vous où ? Corbieu, mon ami, droit dessous la selle percée de Proserpine, dedans le propre bassin infernal, onquel[403] elle rend l’opération fécale de ses clystères, au côté gauche de la grande chaudière, à trois toises près les griffes de Lucifer, tirant vers la chambre noire de Demiourgon. Ho ! le vilain ! »


COMMENT PANURGE FAIT DISCOURS POUR RETOURNER À RAMINAGROBIS.

« Retournons, dit Panurge, continuant, l’admonester de son salut. Allons on[404] nom, en la vertu de Dieu. Ce sera œuvre charitable à nous faite. Au moins, s’il perd le corps et la vie, qu’il ne damne pas son âme. Nous l’induirons, à contrition de son péché, à requérir pardon ès dits tant béats pères, absents comme présents (et en prendrons acte, afin qu’après son trépas ils ne le déclarent hérétique et damné, comme les farfadets firent de la prévôté d’Orléans) et leur satisfaire[405] de l’outrage, ordonnant par tous les couvents de cette province aux bons pères religieux force bribes, force messes, force obits et anniversaires, et qu’au jour de son trépas, sempiternellement ils aient tous quintuple pitance, et que le grand bourrabaquin[406] plein du meilleur, trotte de ranco[407] par leurs tables, tant des burgots, lais et briffauts que des prêtres et des clercs, tant des novices que des profès. Ainsi pourra-t-il de Dieu pardon avoir.

« Ho ! ho ! je m’abuse et m’égare en mes discours. Le diable m’emporte si j’y vais. Vertu Dieu ! la chambre est déjà pleine de diables. Je les ouïs déjà soi pelaudants[408] et entrebattants en diable à qui humera l’âme raminagrobidique, et qui, premier, de broc en bouc[409], la portera à messer Lucifer. Ôtez-vous de là. Je n’y vais pas. Le diable m’emporte si j’y vais. Qui sait s’ils useraient de qui pro quo, et, en lieu de Raminagrobis, grupperaient[410] le pauvre Panurge quitte ? Ils y ont maintes fois failli, étant safrané[411] et endetté ? Ôtez-vous de là. Je n’y vais pas. Je meurs par Dieu de male[412] rage de peur. Soi trouver entre diables affamés, entre diables de faction, entre diables négociants ? Ôtez-vous de là. Je gage que, par même doute, à son enterrement n’assistera jacobin, cordelier, carme, capucin, théatin ni minime. Et eux sages ! Aussi bien ne leur a-t-il rien ordonné par testament. Le diable m’emporte si j’y vais. S’il est damné, à son dam. Pourquoi médisait-il des bons pères de religion ? Pourquoi les avait-il chassés hors sa chambre, sur l’heure qu’il avait plus de besoin de leur aide, de leurs dévotes prières, de leurs saintes admonitions ? Pourquoi par testament ne leur ordonnait-il au moins quelques bribes, quelque bouffage[413], quelque carrelure[414] de ventre, aux pauvres gens qui n’ont que leur vie en ce monde ? Y aille qui voudra aller. Le diable m’emporte si j’y vais. Si j’y allais, le diable m’emporterait. Cancre ! Ôtez-vous de là !

« Frère Jean, veux-tu que présentement trente mille charretées de diables t’emportent ? Fais trois choses. Baille-moi ta bourse, car la croix[415] est contraire au charme, et t’adviendrait ce qui naguère advint à Jean Dodin, receveur du Couldray, au gué de Vède, quand les gens d’armes rompirent les planches.

« Le pinart, rencontrant sur la rive frère Adam Couscoil, cordelier observantin de Mirebeau, lui promit un habit, en condition qu’il le passât outre l’eau à la cabre[416] morte sur ses épaules, car c’était un puissant ribaud. Le pacte fut accordé. Frère Couscoil se trousse jusques aux couilles, et charge à son dos, comme un beau petit saint Christophe, le dit suppliant Dodin. Ainsi le portait gaiement comme Énéas porta son père Anchises hors la conflagration de Troie, chantant un bel Ave maris stella. Quand ils furent au plus parfond[417] du gué, au-dessus de la roue du moulin, il lui demanda s’il avait point d’argent sur lui. Dodin répondit qu’il en avait pleine gibecière, et qu’il ne se défiât de la promesse faire d’un habit neuf : « Comment, dit frère Couscoil, tu sais bien que, par chapitre exprès de notre règle, il nous est rigoureusement défendu porter argent sur nous. Malheureux es-tu bien, certes, qui m’as fait pécher en ce point. Pourquoi ne laissas-tu ta bourse au meunier ? Sans faute tu en seras présentement puni, et si jamais je te peux tenir en notre chapitre à Mirebeau, tu auras du miserere jusques à vitulos. » Soudain se décharge, et vous jette Dodin en pleine eau la tête au fond.

« À cetui exemple, frère Jean, mon ami doux, afin que les diables t’emportent mieux à ton aise, baille-moi ta bourse, ne porte croix aucune sur toi. Le danger y est évident. Ayant argent, portant croix, ils te jetteront sur quelques rochers, comme les aigles jettent les tortues pour les casser, témoin la tête pelée du poète Eschylus, (et tu te ferais mal, mon ami, j’en serais bien fort marri), ou te laisseront tomber dans quelque mer, je ne sais où, bien loin, comme tomba Icarus, et sera par après nommée la mer Entommérique.

« Secondement, sois quitte, car les diables aiment fort les quittes. Je le sais bien quant est de moi. Les pillards ne cessent me mugueter[418] et me faire la cour, ce que ne soûlaient[419] étant safrané[420] et endetté. L’âme d’un homme endetté est toute hectique[421] et disgraciée. Ce n’est viande à diables.

« Tiercement, avec ton froc et ton domino de grobis, retourne à Raminagrobis. En cas que trente mille batelées de diables ne t’emportent ainsi qualifié, je paierai pinte et fagot, et si, pour ta sûreté, tu veux compagnie avoir, ne me cherche pas, non. Je t’en avise. Ôtez-vous de là, je n’y vais pas. Le diable m’emporte si j’y vais.

— Je ne m’en soucierais, répondit frère Jean, pas tant, par aventure, que l’on dirait ayant mon braquemart[422] on[423] poing.

— Tu le prends bien, dit Panurge, et en parles comme docteur subtil en lard. On temps que j’étudiais à l’école de Tolède, le révérend père en diable Picatris, recteur de la faculté diabologique, nous disait que naturellement les diables craignent la splendeur des épées, aussi bien que la lueur du soleil. De fait. Hercules, descendant en enfer à tous les diables, ne leur fit tant de peur, ayant seulement sa peau de lion et sa massue, comme par après fit Énéas, étant couvert d’un harnois[424] resplendissant, et garni de son braquemart bien à point fourbi et dérouillé, à l’aide et conseil de la sibylle Cumane. C’était peut-être la cause pourquoi le seigneur Jean Jacques Trivolse, mourant à Chastres[425], demanda son épée, et mourut l’épée nue on poing, s’escrimant tout autour du lit, comme vaillant et chevaleureux, et, par cette escrime, mettant en fuite tous les diables qui le guettaient au passage de la mort. Quand on demande aux massorets[426] et cabalistes pourquoi les diables n’entrent jamais en paradis terrestre, ils ne donnent autre raison sinon qu’à la porte est un chérubin, tenant en main une épée flambante. Car, parlant en vraie diabologie de Tolède, je confesse que les diables vraiment ne peuvent par coups d’épée mourir, mais je maintiens, selon la dite diabolologie, qu’ils peuvent pâtir solution de continuité, comme si tu coupais avec ton braquemart une flambe[427] de feu ardent, ou une grosse et obscure fumée, et crient comme diables à ce sentiment[428] de solution, laquelle leur est douloureuse en diable.

« Quand tu vois le heurt de deux armées, penses-tu, couillasse, que le bruit si grand et horrible que l’on y ouït provienne des voix humaines, du hurtis[429] des harnois[430], du cliquetis des bardes[431], du chaplis[432] des masses, du froissis des piques, du bris des lances, du cri des navrés[433], du son des tambours et trom-pettes, du hennissement des chevaux, du tonnerre des escopettes et canons ? Il en est véritablement quelque chose, force est que le confesse. Mais le grand effroi et vacarme principal provient du deuil et ullement[434] des diables, qui là, guettant pêle-mêle les pauvres âmes des blessés, reçoivent coups d’épée à l’improviste, et pâtissent[435] solution en la continuité de leurs substances aérées et invisibles, comme si, à quelque laquais croquant les lardons de la broche, maître Hordoux donnait un coup de lardon sur les doigts ; puis crient et ullent[436] comme diables, comme Mars, quand il fut blessé par Diomèdes devant Troie, Homère dit avoir crié en plus haut ton et plus horrifique effroi que ne feraient dix-mille hommes ensemble. Mais quoi ? Nous parlons de harnois fourbis et d’épées resplendissantes. Ainsi n’est-il de ton braquemart, car, par discontinuation d’officier et par faute d’opérer, il est, par ma foi, plus rouillé que la claveure[437] d’un vieil charnier. Pourtant fais de deux choses l’une. Ou le dérouille bien à point et gaillard, ou, le maintenant ainsi rouillé, garde que ne retournes en la maison de Raminagrobis. De ma part je n’y vais pas. Le diable m’emporte si j’y vais. »


COMMENT PANURGE PREND CONSEIL D’ÉPISTÉMON.

Laissants la Villaumère et retournants vers Pantagruel, par le chemin Panurge s’adressa à Épistémon et lui dit : « Compère, mon antique ami, vous voyez la perplexité de mon esprit. Vous savez tant de bons remèdes. Me sauriez-vous secourir ? » Épistémon prit le propos, et remontrait à Panurge comment la voix publique était toute consommée[438] en moqueries de son déguisement, et lui conseillait prendre quelque peu d’ellébore, afin de purger cetui humeur en lui peccant[439], et reprendre ses accoutrements ordinaires.

« Je suis, dit Panurge, Épistémon, mon compère, en fantaisie de me marier. Mais je crains être cocu et infortuné en mon mariage. Pourtant[440] ai-je fait vœu à saint François le Jeune (lequel est au Plessis-lès-Tours réclamé[441] de toutes femmes on grande dévotion, car il est premier fondateur des bons hommes, lesquels elles appétent[442] naturellement) porter lunettes au bonnet, ne porter braguette en chausses, que sur cette mienne perplexité d’esprit je n’aie eu résolution aperte[443].

— C’est, dit Épistémon, vraiment un beau et joyeux vœu. Je m’ébahis de vous que ne retournez à vous-même et que ne révoquez vos sens de ce farouche égarement en leur tranquillité naturelle.

« Vous entendant parler, me faites souvenir du vœu des Argives à la large perruque, lesquels, ayants perdu la bataille contre les Lacédémoniens en la controverse de Tyrée, firent vœu cheveux en tête ne porter jusques à ce qu’ils eussent recouvert[444] leur honneur et leur terre ; du vœu aussi du plaisant Espagnol Michel Doris, qui porta le transon de grève[445] en sa jambe, et ne sais lequel des deux serait plus digne et méritant, porter chaperon vert et jaune à oreilles de lièvre, ou icelui glorieux champion, ou Enguerrand[446] qui en fait le tant long, curieux et fâcheux conte, oubliant l’art et manière d’écrire histoires, baillée par le philosophe Samosatois. Car, lisant icelui long narré[447], l’on pense que doive être commencement et occasion de quelque forte guerre ou insigne mutation des royaumes, mais, en fin de compte, on se moque, et du benoît champion, et de l’Anglais qui le défia, et d’Enguerrand leur tabellion, plus baveux qu’un pot à moutarde.

« La moquerie est telle que de la montagne d’Horace, laquelle criait et lamentait énormément, comme femme en travail d’enfant. À son cri et lamentation accourut tout le voisinage, en expectation[448] de voir quelque admirable et monstrueux enfantement ; mais enfin ne naquit d’elle qu’une petite souris.

— Non pourtant, dit Panurge, je m’en souris. Se moque qui cloque[449], Ainsi ferai comme porte mon vœu. Or longtemps a qu’avons ensemble, vous et moi, foi et amitié jurée par Jupiter Philios. Dites-m’en votre avis. Me dois-je marier ou non ?

— Certes, répondit Épistémon, le cas est hasardeux ; je me sens par trop insuffisant à la résolution, et, si jamais fut vrai en l’art de la médecine le dit[450] du vieil Hippocrates de Lango jugement difficile, il est, en cetui endroit, vérissime.

« J’ai bien en imagination quelques discours moyennants lesquels nous aurions détermination sur votre perplexité ; mais ils ne me satisfont point apertement[451]. Aucuns[452] Platoniques disent que qui peut voir son genius peut entendre ses destinées. Je ne comprends pas bien leur discipline[453], et ne suis d’avis que y adhérez. Il y a de l’abus beaucoup. J’en ai vu l’expérience en un gentilhomme studieux et curieux on[454] pays d’Estangorre. C’est le point premier.

« Un autre y a. Si encore régnaient les oracles de Jupiter en Ammon, d’Apollo en Lebadie, Delphes, Délos, Cyrrhe, Patare, Tegyres, Préneste, Lycie, Colophon ; en la fontaine Castalie, près Antioche en Syrie ; entre les Branchides de Bacchus en Dodone ; de Mercure en Phares, près Patras ; d’Apis en Égypte ; de Sérapis en Canobe ; de Faunus en Ménalie et en Albunée, près Tivoli ; de Tirésias en Orchomène ; de Mopsus en Cilicie ; d’Orpheus en Lesbos ; de Trophonius en Leucadie, je serais d’avis (par aventure non serais) y aller et entendre quel serait leur jugement sur votre entreprise. Mais vous savez que tous sont devenus plus muets que poissons, depuis la venue du Roi servateur[455], onquel ont pris fin tous oracles et toutes prophéties, comme advenante la lumière du clair soleil, disparaissent tous lutins, lamies, lémures, garoux, farfadets et ténébrions[456]. Or, toutefois qu’encore fussent en règne, ne conseillerais-je facilement ajouter foi à leurs réponses. Trop de gens y ont été trompés.

« Davantage[457], je me recorde[458] qu’Agrippine mit sus[459] à Lollie la belle, avoir interrogé l’oracle d’Apollo Clarius pour entendre si mariée elle serait avec Claudius l’empereur. Pour cette cause fut premièrement bannie, et depuis à mort ignominieusement mise.

— Mais, dit Panurge, faisons mieux. Les îles Ogygies ne sont loin du port de Sammalo[460] ; faisons-y un voyage après qu’aurons parlé à notre roi.

« En l’une des quatre, laquelle plus a son aspect vers soleil couchant, on dit, (je l’ai lu en bons et antiques auteurs), habiter plusieurs divinateurs, vaticinateurs et prophètes, y être Saturne lié de belles chaînes d’or dedans une roche d’or, alimenté d’ambroisie et nectar divin, lesquels journellement lui sont des cieux transmis en abondance par ne sais quelle espèce d’oiseaux (peut-être que sont les mêmes corbeaux qui alimentaient ès déserts saint Paul, premier ermite), et apertement[461] prédire à un chacun qui veut entendre son sort, sa destinée et ce que lui doit advenir. Car les Parques rien ne filent, Jupiter rien ne propense[462] et rien ne délibère que le bon père, en dormant, ne connaisse. Ce nous serait grande abréviation de labeur, si nous l’oyons un peu sur cette mienne perplexité.

— C’est, répondit Épistémon, abus trop évident et fable trop fabuleuse. Je n’irai pas. »


COMMENT PANURGE PREND CONSEIL DE FRÈRE JEAN DES ENTOMMEURES.

Panurge était fâché, et, avoir passé la bourgade Huimes, s’adressa à frère Jean et lui dit, becquetant[463] et soi grattant l’oreille gauche : « Tiens-moi un peu joyeux, mon bedon. Je me sens tout matagrabolisé[464] en mon esprit des propos de ce fol endiablé. Écoute, couillon mignon,  …couillon hacquebutant[465], couillon culletant, frère Jean mon ami. Je te porte révérence bien grande, et te réservais à bonne bouche. Je te prie, dis-moi ton avis. Me dois-je marier ou non ? »

Frère Jean lui répondit en allégresse d’esprit, disant : « Marie-toi, de par le diable, marie-toi, et carillonne à doubles carillons de couillons. Je dis et entends le plus tôt que faire pourras. Dès hui[466] au soir fais-en crier les bancs[467] et le châlit. Vertu Dieu, à quand te veux-tu réserver ? Sais-tu pas bien que la fin du monde approche ? Nous en sommes hui plus près de deux trabuts[468] et demie toise que n’étions avant-hier. L’Antéchrist est déjà né, ce m’a l’on dit. Vrai est qu’il ne fait encore qu’égratigner sa nourrice et ses gouvernantes, et ne montre encore les trésors, car il est encore petit. Crescite, nos qui vivimus. multiplicamini : il est écrit. C’est matière de bréviaire. Tant que le sac de blé ne vaille trois patacs[469] et le bussart de vin que six blancs. Voudrais-tu bien qu’on te trouvât les couilles pleines au jugement, dum venerit judicare ?

— Tu as, dit Panurge, l’esprit moult limpide et serein, frère Jean, couillon métropolitain, et parles pertinemment. C’est ce dont Léander d’Abyde en Asie, nageant par la mer Hellesponte pour visiter s’amie Héro, de Seste en Europe, priait Neptune et tous les dieux marins :

Si, en allant, je suis de vous choyé,
Peu au retour me chaut d’être noyé.

Il ne voulait point mourir les couilles pleines. Et suis d’avis que dorénavant, en tout mon Salmigondinois, quand on voudra par justice exécuter quelque malfaiteur, un jour ou deux devant on le fasse brisgoutter en onocrotale[470], si bien qu’en tous ses vases spermatiques ne reste de quoi protraire[471] un Y grégeois. Chose si précieuse ne doit être follement perdue. Par aventure engendrera-t-il un homme. Ainsi mourra il sans regret, laissant homme pour homme. »

COMMENT FRÈRE JEAN JOYEUSEMENT CONSEILLE PANURGE

« Par saint Rigomé, dit frère Jean, Panurge, mon ami doux, je ne te conseille chose que je ne fisse si j’étais en ton lieu. Seulement aie égard et considération de toujours bien lier et continuer tes coups. Si tu y fais intermission, tu es perdu, pauvret, et t’adviendra ce qu’advient ès nourrices. Si elles désistent[472] allaiter enfants, elles perdent leur lait. Si continuellement n’exerces ta mentule, elle perdra son lait et ne te servira que de pissotière : les couilles pareillement ne te serviront que de gibecière. Je t’en avise, mon ami. J’en ai vu l’expérience en plusieurs, qui ne l’ont pu quand ils voulaient, car ne l’avaient fait quand le pouvaient. Aussi, par non usage, sont perdus tous privilèges, ce disent les clercs. Pourtant[473], fillol, maintiens tout ce bas et menu populaire, troglodyte, braguettodyte, en état de labourage sempiternel. Donne ordre qu’ils ne vivent en gentilshommes, de leurs rentes, sans rien faire.

— Ne dea[474], répondit Panurge, frère Jean, mon couillon gauche, je te croirai. Tu vas rondement en besogne. Sans exception ni ambages tu m’as apertement dissolu toute crainte qui me pouvait intimider. Ainsi te soit donné des cieux toujours bas et raide opérer. Or donc à ta parole je me marierai. Il n’y aura point de faute, et si[475] aurai toujours belles chambrières quand tu me viendras voir, et seras protecteur de leur sororité[476]. Voilà quant à la première partie du sermon.

— Écoute, dit frère Jean, l’oracle des cloches de Varennes. Que disent-elles ?

— Je les entends, répondit Panurge. Leur son est, par ma soif, plus fatidique que des chaudrons de Jupiter en Dodone. Écoute : Marie-toi, marie-toi : marie marie. Si tu te maries, maries, maries, très bien t’en trouveras, veras, veras, Marie, marie. Je t’assure que je me marierai : tous les éléments m’y invitent. Ce mot te soit comme une muraille de bronze.

« Quant au second point, tu me sembles aucunement[477] douter, voire défier de ma paternité, comment ayant peu favorable le raide dieu des jardins. Je te supplie me faire ce bien de croire que je l’ai, à commandement, docile, bénévole, attentif en tout et partout. Il ne lui faut que lâcher les longes[478], je dis l’aiguillette, lui montrer de près la proie, et dire : « Hale, compagnon ». Et quand ma femme future serait aussi gloutte[479] du plaisir vénérien que fut onques Messalina ou la marquise de Oincestre[480] en Angleterre, je te prie de croire que je l’ai encore plus copieux au contentement.

« Je n’ignore que[481] Salomon dit, et en parlait comme clerc et savant. Depuis lui, Aristotèles a déclaré l’être des femmes être de soi insatiable ; mais je veux qu’on sache que, de même calibre, j’ai le ferrement infatigable. Ne m’allègue point ici en parangon[482] les fabuleux ribauds Hercules, Proculus César et Mahomet, qui se vante en son Alcoran avoir en ses génitoires la force de soixante gallefretiers[483]. Il a menti, le paillard. Ne m’allègue point l’Indien tant célébré par Théophraste, Pline et Athénéus, lequel, avec l’aide de certaine herbe, le faisait en un jour soixante et dix fois, et plus. Je n’en crois rien. Le nombre est supposé. Je te prie ne le croire. Je te prie croire (et ne croiras chose que ne soit vraie) mon naturel, le sacre Ithyphalle, messer Cotal d’Albingues, être le prime del monde. Écoute ça, couillette. Vis-tu onques le froc du moine de Castres ? Quand on le posait en quelque maison, fût à découvert, fût à cachettes, soudain, par sa vertu horrifique, tous les manants et habitants du lieu entraient en rut, bêtes et gens, hommes et femmes, jusques aux rats et aux chats. Je te jure qu’en ma braguette j’ai autrefois connu certaine énergie encore plus anomale. Je ne te parlerai de maison ni de buron[484], de sermon ni de marché ; mais à la Passion qu’on jouait à Saint-Maixent, entrant un jour dedans le parquet, je vis, par la vertu et occulte propriété d’icelle, soudainement tous, tant joueurs que spectateurs, entrer en tentation si terrifique qu’il n’y eut ange, homme, diable, ni diablesse qui ne voulût biscoter. Le protocole[485] abandonna sa copie ; celui qui jouait saint Michel descendit par la volerie[486] ; les diables sortirent d’enfer et y emportaient toutes ces pauvres femmelettes ; même Lucifer se déchaîna. Somme, voyant le désarroi, je déparquai[487] du lieu, à l’exemple de Caton le Censorin, lequel, voyant par sa présence les fêtes Floralies en désordre, désista[488] être spectateur. »


COMMENT FRÈRE JEAN RÉCONFORTE PANURGE SUR LE DOUTE DE COCUAGE.

« Je t’entends, dit frère Jean, mais le temps mate toutes choses. Il n’est le marbre ni le porphyre qui n’ait sa vieillesse et décadence. Si tu n’en es là pour cette heure, peu d’années après subséquentes je t’ouïrai confessant que les couilles pendent à plusieurs par faute de gibecière. Déjà vois-je ton poil grisonner en tête. Ta barbe, par les distinctions du gris, du blanc, du tanné et du noir, me semble une mappemonde. Regarde ici : voilà Asie ; ici sont Tigris et Euphrates. Voilà Afrique ; ici est la montagne de la Lune. Vois-tu les palus du Nil ? Deçà est Europe. Vois-tu Thélème ? Ce toupet ici tout blanc sont les monts Hyperborées. Par ma soif, mon ami, quand les neiges sont ès montagnes, je dis la tête et le menton, il n’y a pas grande chaleur par les vallées de la braguette.

— Tes males mules[489] ! répondit Panurge. Tu n’entends pas les topiques[490]. Quand la neige est sur les montagnes, la foudre, l’éclair, les lancis[491], le maulubec[492], le rouge grenat, le tonnerre, la tempête, tous les diables sont par les vallées. En veux-tu voir l’expérience ? Va on[493] pays de Suisse et considère le lac de Wunderberlich, à quatre lieues de Berne, tirant vers Sion. Tu me reproches mon poil grisonnant et ne considères point comment il est de la nature des poireaux, lesquels nous voyons la tête blanche et la queue verte, droite et vigoureuse.

« Vrai est qu’en moi je reconnais quelque signe indicatif de vieillesse, je dis verte vieillesse. Ne le dis à personne : il demeurera secret entre nous deux. C’est que je trouve le vin meilleur et plus à mon goût savoureux que ne soûlais[494] ; plus que ne soûlais, je crains la rencontre du mauvais vin. Note que cela arguë[495] je ne sais quoi du ponant[496], et signifie que le midi est passé. Mais quoi ? Gentil compagnon toujours, autant ou plus que jamais. Je ne crains pas cela, de par le diable. Ce n’est là où me deult[497]. Je crains que par quelque longue absence de notre roi Pantagruel, auquel force est que je fasse compagnie, voire allât-il à tous les diables, ma femme me fasse cocu. Voilà le mot péremptoire, car tous ceux à qui j’en ai parlé m’en menacent et affirment qu’il pi’est ainsi prédestiné des cieux.

— Il n’est, répondit frère Jean, cocu qui veut. Si tu es cocu, ergo ta femme sera belle ; ergo seras bien traité d’elle ; ergo tu auras des amis beaucoup ; ergo tu seras sauvé. Ce sont topiques monacales. Tu n’en vaudras que mieux, pécheur. Tu ne fus jamais si aise. Tu n’y trouveras rien moins. Ton bien accroîtra davantage. S’il est aussi prédestiné, y voudrais-tu contrevenir, dis, couillon flétri, couillon moisi, couillon rouï[498] ?…

« Couillonnas au diable, Panurge mon ami, puisqu’ainsi t’est prédestiné, voudrais-tu faire rétrograder les planètes, démancher toutes les sphères célestes, proposer erreur aux intelligences motrices, épointer les fuseaux, articuler les vertoils[499], calomnier les bobines, reprocher les détrichoires[500], condamner les frondrillons[501] défiler les pelotons des Parques ? Tes fièvres quartaines, couillu ! Tu ferais pis que les géants. Viens ça, couillaud. Aimerais-tu mieux être jaloux sans cause que cocu sans connaissance ?

— Je ne voudrais, répondit Panurge, être ni l’un ni l’autre. Mais si j’en suis une fois averti, j’y donnerai bon ordre, ou bâtons faudront[502] on[503] monde. Ma foi, frère Jean, mon meilleur sera point me marier. Écoute que[504] me disent les cloches à cette heure que sommes plus près. Marie point, marie point, point, point, point, point. Si tu te maries, marie point, marie point, point, point, point, point, tu t’en repentiras, tiras, tiras, cocu seras. Digne vertu de Dieu ! je commence entrer en fâcherie. Vous autres, cerveaux enfroqués, n’y savez-vous remède aucun ? Nature a-t-elle tant destitué[505] les humains que l’homme marié ne puisse passer ce monde sans tomber ès gouffres et dangers de cocuage ?

— Je te veux, dit frère Jean, enseigner un expédient, moyennant lequel jamais ta femme ne te fera cocu sans ton su et ton consentement.

— Je t’en prie, dit Panurge, couillon velouté. Or dis, mon ami.

— Prends, dit frère Jean, l’anneau d’Hans Carvel, grand lapidaire du roi de Mélinde.

« Hans Carvel était homme docte, expert, studieux, homme de bien, de bon sens, de bon jugement, débonnaire, charitable, aumônier, philosophe, joyeux au reste, bon compagnon et raillard[506], si onques en fut, ventru quelque peu, branlant la tête et aucunement[507] malaisé de sa personne. Sur ses vieux jours, il épousa la fille du bailli Concordat, jeune, belle, frisque[508], galante, avenante, gracieuse par trop envers ses voisins et serviteurs. Dont advint, en succession de quelques hebdomades[509], qu’il en devint jaloux comme un tigre, et entra en soupçon qu’elle se faisait tabourer[510] les fesses d’ailleurs. Pour à laquelle chose obvier, lui faisait tout plein de beaux contes touchant les désolations advenues par adultère, lui lisait souvent la légende des prudes femmes, la prêchait de pudicité, lui fit un livre des louanges de fidélité conjugale, détestant[511] fort et ferme la méchanceté des ribaudes mariées, et lui donna un beau carcan[512] tout couvert de saphirs[513] orientaux. Ce nonobstant, il la voyait tant délibérée[514] et de bonne chère avec ses voisins que de plus en plus croissait sa jalousie.

« Une nuit entre les autres, étant avec elle couché en telles passions, songea qu’il parlait au diable et qu’il lui contait ses doléances. Le diable le réconfortait et lui mit un anneau on[515] maître[516] doigt, disant : « Je te donne cetui anneau ; tandis que tu l’auras on doigt, ta femme ne sera d’autrui charnellement connue sans ton su et consentement. » — « Grand merci, dit Hans Carvel, monsieur le diable. Je renie Mahom si jamais on me l’ôte du doigt. » Le diable disparut, Hans Carvel, tout joyeux s’éveilla et trouva qu’il avait le doigt on comment-a-nom de sa femme. J’oubliais à conter comment sa femme, le sentant, reculait le cul arrière comme disant : « Oui, nenni, ce n’est ce qu’il y faut mettre », et lors semblait à Hans Carvel qu’on lui voulût dérober son anneau.

« N’est-ce remède infaillible ? À cetui exemple fais, si me crois, que continuellement tu aies l’anneau de ta femme on doigt. »

Ici fut fin et du propos et du chemin.


COMMENT PANTAGRUEL FAIT ASSEMBLÉE D’UN THÉOLOGIEN, D’UN MÉDECIN, D’UN LÉGISTE ET D’UN PHILOSOPHE, POUR LA PERPLEXITÉ DE PANURGE.

Arrivés au palais, contèrent à Pantagruel le discours de leur voyage, et lui montrèrent le dicté[517] de Raminagrobis. Pantagruel, l’avoir[518] lu et relu, dit : « Encore n’ai-je vu réponse que plus me plaise. Il veut dire sommairement qu’en l’entreprise de mariage chacun doit être arbitre de ses propres pensées et de soi-même conseil prendre. Telle a toujours été mon opinion, et autant vous en dis la première fois que m’en parlâtes. Mais vous en moquiez tacitement, il m’en souvient, et connais que philautie[519] et amour de soi vous déçoit. Faisons autrement. Voici quoi :

« Tout ce que sommes et qu’avons consiste en trois choses : en l’âme, on[520] corps, ès biens. À la conservation de chacun des trois respectivement sont aujourd’hui destinées trois manières de gens : les théologiens à l’âme, les médecins au corps, les jurisconsultes aux biens. Je suis d’avis que, dimanche, nous ayons ici à dîner un théologien, un médecin et un jurisconsulte. Avec eux ensemble nous conférerons de votre perplexité.

— Par saint Picault, répondit Panurge, nous ne ferons rien qui vaille, je le vois déjà bien. Et voyez comment le monde est vistempenardé[521] ! Nous baillons en garde nos âmes aux théologiens, lesquels pour la plupart sont hérétiques, nos corps aux médecins, qui tous abhorrent les médicaments, jamais ne prennent médecine, et nos biens ès avocats, qui n’ont jamais procès ensemble.

— Vous parlez en courtisan, dit Pantagruel. Mais le premier point, je nie, voyant l’occupation principale, voire unique et totale des bons théologiens être emploitée[522] par faits, par dits, par écrits à extirper les erreurs et hérésies (tant s’en faut qu’ils en soient entachés), et planter profondément ès cœurs humains la vraie et vive foi catholique. Le second je loue, voyant les bons médecins donner tel ordre à la partie prophylactice et conservatrice de santé en leur endroit qu’ils n’ont besoin de la thérapeutice et curative par médicaments. Le tiers je concède, voyant les bons avocats tant distraits en leurs patrocinations[523] et réponses du droit d’autrui qu’ils n’ont temps ni loisir d’entendre à leur propre. Pourtant, dimanche prochain, ayons pour théologien notre père Hippothadée, pour médecin notre maître Rondibilis, pour légiste notre ami Bridoye. Encore suis-je d’avis que nous entrions en la tétrade pythagorique, et, pour subréquart[524], ayons notre féal le philosophe Trouillogan, attendu mêmement que le philosophe parfait, et tel qu’est Trouillogan, répond assertivement[525] de tous doutes proposés. Carpalim, donnez ordre que les ayons tous quatre dimanche prochain à dîner.

— Je crois, dit Épistémon, qu’en toute la patrie vous n’eussiez mieux choisi. Je ne dis seulement touchant les perfections d’un chacun en son état, lesquelles sont hors tout dé[526] de jugement ; mais, d’abondant[527], en ce que Rondibilis marié est, ne l’avait été ; Hippothadée onques ne le fut et ne l’est ; Bridoye l’a été et ne l’est ; Trouillogan l’est et l’a été. Je relèverai Carpalim d’une peine. J’irai inviter Bridoye, si bon vous semble, lequel est de mon antique connaissance, et auquel j’ai à parler pour le bien et avancement d’un sien honnête et docte fils, lequel étudie à Toulouse, sous l’auditoire du très docte et vertueux Boissonné.

— Faites, dit Pantagruel, comme bon vous semblera, et avisez si je peux rien pour l’avancement du fils et dignité du seigneur Boissonné, lequel j’aime et révère, comme l’un des plus suffisants qui soit hui[528] en son état. Je m’y emploirai de bien bon cœur. »


COMMENT HIPPOTHADÉE, THÉOLOGIEN, DONNE CONSEIL À PANURGE SUR L’ENTREPRISE DE MARIAGE.

Le dîner au dimanche subséquent ne fut si tôt prêt comme les invités comparurent excepté Bridoye, lieutenant de Fonsbeton.

Sur l’apport de la seconde table, Panurge, en parfonde[529] révérence, dit : « Messieurs, il n’est question que d’un mot. Me dois-je marier ou non ? Si par vous n’est mon doute dissolu[530], je le tiens pour insoluble, comme sont Insolubilia de Alliaco, car vous êtes tous élus, choisis et triés chacun respectivement en son état, comme beaux pois sur le volet. »

Le père Hippothadée, à la semonce[531] de Pantagruel et révérence de tous les assistants, répondit en modestie incroyable : « Mon ami, vous nous demandez conseil, mais premier[532] faut que vous-même vous conseillez. Sentez-vous importunément en votre corps les aiguillons de la chair ?

— Bien fort, répondit Panurge, ne vous déplaise, notre père.

— Non fait-il, dit Hippothadée, mon ami. Mais, en cetui estrif[533], avez-vous de Dieu le don et grâce spéciale de continence ?

— Ma foi non, répondit Panurge.

— Mariez-vous donc, mon ami, dit Hippothadée, car trop meilleur est soi marier que ardre[534] on feu de concupiscence.

— C’est parlé cela, s’écria Panurge, galantement, sans circumbilivaginer[535] autour du pot. Grand merci, monsieur notre père. Je me marierai sans point de faute et bientôt. Je vous convie à mes noces, Corpe de galline[536] ! nous ferons chère lie. Vous aurez de ma livrée[537], et si mangerons de l’oie, cor bœuf, que ma femme ne rôtira point. Encore vous prierai-je mener la première danse des pucelles, s’il vous plaît me faire tant de bien et d’honneur, pour la pareille.

« Reste un petit scrupule à rompre. Petit, dis-je, moins que rien. Serai-je point cocu ?

— Nenni dea[538] mon ami, répondit Hippothadée, si Dieu plaît.

— Ô la vertu de Dieu, s’écria Panurge, nous soit en aide ! Où me renvoyez-vous, bonnes gens ? Aux conditionales, lesquelles, en dialectique, reçoivent toutes contradictions et impossibilités. Si mon mulet transalpin volait, mon mulet transalpin aurait ailes. Si Dieu plaît, je ne serai point cocu : je serai cocu, si Dieu plaît. Dea, si fût condition à laquelle je puisse obvier, je me désespérerais du tout. Mais vous me remettez au conseil privé de Dieu, en la chambre de ses menus plaisirs. Où prenez-vous le chemin pour y aller, vous autres Français ? Monsieur notre père, je crois que votre mieux sera ne venir pas à mes noces. Le bruit et la triballe[539] des gens de noces vous rompraient tout le testament[540]. Vous aimez repos, silence et solitude. Vous n’y viendrez pas, ce crois-je. Et puis vous dansez assez mal, et seriez honteux menant le premier bal. Je vous enverrai du rillé[541] en votre chambre, de la livrée nuptiale aussi. Vous boirez à nous, s’il vous plaît.

— Mon ami, dit Hippothadée, prenez bien mes paroles, je vous en prie. Quand je vous dis : « S’il plaît à Dieu », vous fais-je tort ? Est-ce mal parlé ? Est-ce condition blasphème[542] ou scandaleuse ? N’est-ce honorer le Seigneur, créateur, protecteur, servateur[543] ? N’est-ce le reconnaître unique dateur[544] de tout bien ? N’est-ce nous déclarer tous dépendre de sa bénignité, rien sans lui n’être, rien ne valoir, rien ne pouvoir, si sa sainte grâce n’est sur nous infuse ? N’est-ce mettre exception canonique à toutes nos entreprises et tout ce que nous proposons remettre à ce que sera disposé par sa sainte volonté, tant ès cieux comme en la terre ? N’est-ce véritablement sanctifier son benoît nom ? Mon ami, vous ne serez point cocu, si Dieu plaît. Pour savoir sur ce quel est son plaisir, ne faut entrer en désespoir, comme de chose absconse[545], et pour laquelle entendre faudrait consulter son conseil privé et voyager en la chambre de ses très saints plaisirs. Le bon Dieu nous a fait ce bien qu’il nous les a révélés, annoncés, déclarés, et apertement[546] décrits par les sacrées Bibles.

« Là vous trouverez que jamais ne serez cocu, c’est-à-dire que jamais votre femme ne sera ribaude, si la prenez issue de gens de bien, instruite en vertu et honnêteté, non ayant hanté ni fréquenté compagnie que de bonnes mœurs, aimant et craignant Dieu, aimant complaire à Dieu par foi et observation de ses saints commandements, craignant l’offenser et perdre sa grâce par défaut de foi et transgression de sa divine loi, en laquelle est rigoureusement défendu adultère et commandé adhérer uniquement à son mari, le chérir, le servir, totalement l’aimer après Dieu. Pour renfort de cette discipline[547], vous, de votre côté, l’entretiendrez en amitié conjugale, continuerez en prud’homie, lui montrerez bon exemple, vivrez pudiquement, chastement, vertueusement en votre ménage, comme voulez qu’elle de son côté vive. Car, comme le miroir est dit bon et parfait, non celui qui plus est orné de dorures et pierreries, mais celui qui véritablement représente les formes objectes[548], aussi celle femme n’est la plus à estimer laquelle serait riche, belle, élégante, extraite de noble race, mais celle qui plus s’efforce avec Dieu soi former en bonne grâce et conformer aux mœurs de son mari. Voyez comment la Lune ne prend lumière ni de Mercure, ni de Jupiter, ni de Mars, ni d’autre planète ou étoile qui soit on[549] ciel ; elle n’en reçoit que du Soleil, son mari, et de lui n’en reçoit point plus qu’il lui en donne par son infusion et aspect[550]. Ainsi serez-vous à votre femme en patron et exemplaire de vertu et honnêteté, et continuellement implorerez la grâce de Dieu à[551] votre protection.

— Vous voulez donc, dit Panurge, filant les moustaches de sa barbe, que j’épouse la femme forte décrite par Salomon ? Elle est morte, sans point de faute. Je ne la vis onques que je sache : Dieu me le veuille pardonner. Grand merci toutefois, mon père. Mangez ce taillon[552] de massepain, il vous aidera à faire digestion : puis boirez une coupe d’hypocras clairet : il est salubre et stomacal. Suivons. »


COMMENT RONDIBILIS, MÉDECIN, CONSEILLE PANURGE

Panurge, continuant son propos, dit : « Le premier mot que dit celui qui écouillait les moines burs[553] à Saussignac, ayant écouillé le frai Cauldaureil[554], fut : « Aux autres » ! Je dis pareillement : « Aux autres » ! Ça, monsieur notre maître Rondibilis, dépêchez-moi[555]. Me dois-je marier ou non ?

— Par les ambles de mon mulet, répondit Rondibilis, je ne sais que je doive répondre à ce problème. Vous dites que sentez en vous les poignants aiguillons de sensualité. Je trouve en notre faculté de médecine, et l’avons pris de la résolution[556] des anciens Platoniques, que la concupiscence charnelle est refrénée par cinq moyens.

« Par le vin…

— Je le crois, dit frère Jean. Quand je suis bien ivre, je ne demande qu’à dormir.

— J’entends, dit Rondibilis, par vin pris intempérément, car, par l’intempérance du vin, advient au corps humain refroidissement de sang, résolution[557] des nerfs, dissipation de semence générative, hébétation[558] des sens, perversion des mouvements ; qui sont toutes impertinences[559] à l’acte de génération. De fait, vous voyez peint Bacchus, dieu des ivrognes, sans barbe et en habit de femme, comme tout efféminé, comme eunuque et écouillé. Autrement est du vin pris tempérément. L’antique proverbe nous le désigne, onquel est dit : « que Vénus se morfond sans la compagnie de Cérès et Bacchus ». Et était l’opinion des anciens, selon le récit de Diodore Sicilien, mêmement[560] des Lampsaciens, comme atteste Pausanias, que messer Priapus fut fils de Bacchus et de Vénus.

« Secondement, par certaines drogues et plantes, lesquelles rendent l’homme refroidi, maléficié et impotent à génération. L’expérience y est en nymphéa heraclia, amérine, saule, sénevé, périclymènos, tamaris, vitex, mandragore, ciguë, orchis le petit, la peau d’un hippopotame, et autres ; lesquelles, dedans les corps humains, tant par leurs vertus élémentaires que par leurs propriétés spécifiques, glacent et mortifient le germe prolifique ou dissipent les esprits qui le devaient conduire aux lieux destinés par nature, ou oppilent[561] les voies et conduits par lesquels pouvait être expulsé. Comme, au contraire, nous en avons qui échauffent, excitent et habilitent[562] l’homme à l’acte vénérien.

— Je n’en ai besoin, dit Panurge, Dieu merci, et vous, notre maître ? Ne vous déplaise toutefois. Ce que j’en dis, ce n’est par mal que je vous veuille.

— Tiercement, dit Rondibilis, par labeur assidu, car en icelui est faite si grande dissolution du corps que le sang, qui est par icelui épars pour l’alimentation d’un chacun membre, n’a temps, ni loisir, ni faculté de rendre celle résudation séminale et superfluité de la tierce concoction[563]. Nature particulièrement se la réserve, comme trop plus nécessaire à la conservation de son individu qu’à la multiplication de l’espèce et genre humain. Ainsi est dite Diane chaste, laquelle continuellement travaille à la chasse. Ainsi jadis étaient dits les castres[564], comme castes[565], esquels continuellement travaillaient les athlètes et soudards. Ainsi écrit Hippocrates, lib. de Ære, aqua et locis, de quelques peuples en Scythie, lesquels de son temps plus étaient impotents qu’eunuques à l’ébattement vénérien parce que continuellement ils étaient à cheval et au travail, comme au contraire, disent les philosophes, oisiveté être mère de luxure. Quand l’on demandait à Ovide quelle cause fut pourquoi Égistus devint adultère, rien plus ne répondait sinon qu’il était ocieux[566]. Et qui ôterait oisiveté du monde, bientôt périraient les arts[567] de Cupido, son arc, sa trousse et ses flèches lui seraient en charge inutile, jamais n’en férirait[568] personne, car il n’est mie[569] si bon archer qu’il puisse férir les grues volants par l’air et les cerfs relancés par[570] les bocages comme bien faisaient les Parthes, c’est-à-dire les humains tracassants[571] et travaillants. Il les de-mande cois, assis, couchés et à séjour[572]. De fait, Théophraste, quelquefois interrogé quelle bête ou quelle chose il pensait être amourettes, répondit que c’étaient passions des esprits ocieux. Diogènes pareillement disait paillardise être l’occupation des gens non autrement occupés. Pourtant Canachus Sicyonien, sculpteur, voulant donner entendre qu’oisiveté, paresse, nonchaloir, étaient les gouvernantes de rufiennerie[573], fit la statue de Vénus assise, non debout, comme avaient fait tous ses prédécesseurs.

« Quartement, par fervente étude, car en icelle est faite incrédible[574] résolution[575] des esprits, tellement qu’il n’en reste de quoi pousser aux lieux destinés cette résudation générative et enfler le nerf caverneux, duquel l’office est hors la projeter pour la propagation d’humaine nature. Qu’ainsi soit, contemplez la forme d’un homme attentif à quelque étude. Vous verrez en lui toutes les artères du cerveau bandées comme la corde d’une arbalète, pour lui fournir dextrement esprits suffisants à emplir les ventricules du sens commun, de l’imagination et appréhension, de la ratiocination[576] et résolution, de la mémoire et recordation[577], et agilement courir de l’un à l’autre par les conduits manifestes en anatomie sur la fin du rets admirable auquel se terminent les artères, lesquelles de la senestre armoire[578] du cœur prenaient leur origine, et les esprits vitaux affinaient en longs ambages pour être faits animaux. De mode qu’en tel personnage studieux vous verrez suspendues toutes les facultés naturelles, cesser tous sens extérieurs, bref vous le jugerez n’être en soi vivant, être hors soi abstrait par extase, et direz que Socrates n’abusait du terme quand il disait philosophie n’être autre chose que méditation de mort. Par aventure est ce pourquoi Démocritus s’aveugla, moins estimant la perte de la vue que diminution de ses contemplations, lesquelles il sentait interrompues par l’égarement des œils. Ainsi est vierge dite Pallas, déesse de sapience, tutrice des gens studieux. Ainsi sont les Muses vierges, ainsi demeurent les Charités en pudicité éternelle. Et me souvient avoir lu que Cupido, quelquefois interrogé de sa mère Vénus pourquoi il n’assaillait les Muses, répondit qu’il les trouvait tant belles, tant nettes[579], tant honnêtes, tant pudiques et continuellement occupées, l’une à contemplation des astres, l’autre à supputation des nombres, l’autre à dimension des corps géométriques, l’autre à invention rhétorique, l’autre à composition poétique, l’autre à disposition de musique, que, approchant d’elles, il débandait son arc, fermait sa trousse et éteignait son flambeau par honte et crainte de leur nuire, puis ôtait le bandeau de ses yeux pour plus apertement[580] les voir en face et ouïr leurs plaisants chants et odes poétiques. Là prenait le plus grand plaisir du monde, tellement que, souvent, il se sentait tout ravi en leurs beautés et bonnes grâces, et s’endormait à l’harmonie. Tant s’en faut qu’il les voulût assaillir ou de leurs études distraire.

« En cetui article je comprends ce qu’écrit Hippocrates on[581] livre susdit, parlant des Scythes, et au livre intitulé de Geniture. disant tous humains être à génération impotents, esquels l’on a une fois coupé les artères parotides, qui sont à côté des oreilles, par la raison ci-devant exposée quand je vous parlais de la résolution des esprits et du sang spirituel, duquel les artères sont réceptacles : aussi qu’il maintient grande portion de la géniture sourdre du cerveau et de l’épine du dos.

« Quintement par l’acte vénérien……

— Je vous attendais là, dit Panurge, et le prends pour moi. Use des précédents qui voudra.

— C’est, dit frère Jean, ce que frai Scillino, prieur de Saint-Victor-lès-Marseille, appelle macération de la chair, et suis en cette opinion (aussi était l’ermite de Sainte-Radegonde au-dessus de Chinon) que plus aptement ne pourraient les ermites de Thébaïde macérer leurs corps, dompter cette paillarde sensualité, déprimer la rébellion de la chair, que le faisant vingt-cinq ou trente fois par jour.

— Je vois Panurge, dit Rondibilis, bien proportionné en ses membres, bien tempéré en ses humeurs, bien complexionné en ses esprits, en âge compétent, en temps opportun, en vouloir équitable de soi marier. S’il rencontre femme de semblable température[582], ils engendront ensemble enfants dignes de quelque monarchie transpontine[583]. Le plus tôt sera le meilleur, s’il veut voir ses enfants pourvus.

— Monsieur notre maître, dit Panurge, je le serai, n’en doutez, et bientôt. Durant votre docte discours, cette puce que j’ai en l’oreille m’a plus chatouillé que ne fit onques. Je vous retiens de la fête. Nous y ferons chère et demie, je vous le promets. Vous y amènerez votre femme, s’il vous plaît, avec ses voisines, cela s’entend. Et jeu sans vilenie. »


COMMENT RONDIBILIS DÉCLARE COCUAGE ÊTRE NATURELLEMENT DES APANAGES DU MARIAGE.

« Reste, dit Panurge continuant, un petit point à vider. Vous avez autrefois vu on gonfalon[584] de Rome, S. P. Q. R., Si Peu Que Rien. Serai-je point cocu ?

— Havre de grâce ! s’écria Rondibilis, que me demandez-vous ? Si serez cocu ? Mon ami, je suis marié ; vous le serez par ci après. Mais écrivez ce mot en votre cervelle, avec un style de fer, que tout homme marié est en danger d’être cocu. Cocuage est naturellement des apanages de mariage. L’ombre plus naturellement ne suit le corps que cocuage suit les gens mariés, et, quand vous ouïrez dire de quelqu’un ces trois mots : « Il est marié », si vous dites : « Il est donc, ou a été, ou sera, ou peut être cocu », vous ne serez dit impérit[585] architecte[586] de conséquences naturelles.

— Hypocondres de tous les diables ! s’écria Panurge, que me dites-vous ?

— Mon ami, répondit Rondibilis, Hippocrates, allant un jour de Lango en Polystylo visiter Démocritus le philosophe, écrivit unes[587] lettres à Dionys, son antique ami, par lesquelles le priait que, pendant son absence, il conduisît sa femme chez ses père et mère, lesquels étaient gens honorables et bien famés, ne voulant qu’elle seule demeurât en son ménage. Ce néanmoins qu’il veillât sur elle soigneusement, et épiât quelle part[588] elle irait avec sa mère et quels gens la visiteraient chez ses parents ; « Non, écrivait-il, que je me défie de sa vertu et pudicité, laquelle par le passé m’a été explorée[589] et connue, mais elle est femme. Voilà tout. » Mon ami, le naturel des femmes nous est figuré par la lune, et en autres choses et en cette[590] qu’elles se mussent[591], elles se contraignent et dissimulent en la vue et présence de leurs maris. Iceux absents, elles prennent leur avantage, se donnent du bon temps, vaguent, trottent, déposent leur hypocrisie et se déclarent, comme la lune, en conjonction du soleil, n’apparaît au ciel, ni en terre, mais en son opposition, étant au plus du soleil éloignée, reluit en sa plénitude, et apparaît toute, notamment au temps de nuit. Ainsi sont toutes femmes, femmes.

« Quand je dis femme, je dis un sexe tant fragile, tant variable, tant muable, tant inconstant et imparfait, que nature me semble (parlant en tout honneur et révérence) s’être égarée de ce bon sens par lequel elle avait créé et formé toutes choses, quand elle a bâti la femme. Et, y ayant pensé cent et cinq cents fois, ne sais à quoi m’en résoudre, sinon que, forgeant la femme, elle a eu égard à la sociale délectation de l’homme et à la perpétuité de l’espèce humaine, plus qu’à la perfection de l’individuelle muliébrité[592]. Certes Platon ne sait en quel rang il les doive colloquer, ou des animaux raisonnables, ou des bêtes brutes. Car nature leur a dedans le corps posé en lieu secret et intestin[593] un animal, un membre, lequel n’est ès hommes, onquel[594] quelquefois sont engendrées certaines humeurs salses[595], nitreuses, boracineuses[596], acres, mordicantes, lancinantes, chatouillantes amèrement, par la pointure[597] et frétillement douloureux desquelles (car ce membre est tout nerveux et de vif sentiment) tout le corps est en elles ébranlé, tous les sens ravis, toutes affections intérinées[598], tous pensements[599] confondus. De manière que, si nature ne leur eût arrosé le front d’un peu de honte, vous les verriez comme forcenées courir l’aiguillette, plus épouvantablement que ne firent onques les Proétides, les Mimallonides, ni les Thyades bachiques au jour de leurs bacchanales, parce que cetui terrible animal a colligence[600] à toutes les parties principales du corps comme est évident en l’anatomie.

« Je le nomme animal, suivant la doctrine tant des académiques que des péripatétiques. Car, si mouvement propre est indice certain de chose animée, comme écrit Aristotèles, et tout ce qui de soi se meut est dit animal, à bon droit Platon le nomme animal, reconnaissant en lui mouvements propres de suffocation, de précipitation, de corrugation[601], d’indignation, voire si violents que bien souvent par eux est tollu[602] à la femme tout autre sens et mouvement, comme si fut lipothymie[603], syncope, épilepsie, apoplexie et vraie ressemblance de mort. Outre plus, nous voyons en icelui discrétion[604] des odeurs manifeste, et le sentent les femmes fuir les puantes, suivre les aromatiques. Je sais que Cl. Galen s’efforce prouver que ne sont mouvements propres et de soi, mais par accident, et qu’autres de sa secte travaillent à démontrer que ne soit en lui discrétion sensitive des odeurs, mais efficace[605] diverse, procédente de la diversité des substances odorantes. Mais, si vous examinez studieusement et pesez en la balance de Critolaus leur propos et raisons, vous trouverez qu’en cette matière, et beaucoup d’autres, ils ont parlé par gaieté de cœur et affection[606] de reprendre leurs majeurs[607], plus que par recherche de vérité.

« En cette disputation, je n’entrerai plus avant. Seulement vous dirai que petite n’est la louange des prudes femmes, lesquelles ont vécu pudiquement et sans blâme et ont eu la vertu de ranger cetui effréné animal à l’obéissance de la raison, et ferai fin si vous ajoute que, cetui animal assouvi (si assouvi peut être) par l’aliment que nature lui a préparé en l’homme, sont tous ses particuliers mouvements à but, sont tous ses appétits assoupis, sont toutes ses furies apaisées. Pourtant[608], ne vous ébahissez si sommes en danger perpétuel d’être cocus, nous qui n’avons pas toujours bien de quoi payer et satisfaire au contentement.

— Vertu d’autre que d’un petit poisson, dit Panurge, n’y savez-vous remède aucun en votre art ?

— Oui-dà, mon ami, répondit Rondibilis, et très bon, duquel j’use, et est écrit en auteur célèbre, passé a dix-huit cents ans. Entendez.

— Vous êtes, dit Panurge, par la vertu Dieu, homme de bien et vous aime tout mon benoît saoul. Mangez un peu de ce pâté de coings : ils ferment proprement l’orifice du ventricule, à cause de quelque stypticité[609] joyeuse qui est en eux, et aident à la concoction[610] première. Mais quoi ? je parle latin devant les clercs. Attendez que je vous donne à boire dedans cetui hanap nestorien. Voulez-vous encore un trait[611] d’hippocras blanc ? N’ayez peur de l’esquinance[612], non. Il n’y a dedans ni squinanthi[613] ni gingembre, ni graine de paradis. Il n’y a que la belle cinnamome[614] triée et le beau sucre fin, avec le bon vin blanc du cru de la Devinière, en la plante[615] du grand cormier, au-dessus du noyer grollier[616]. »


COMMENT RONDIBILIS, MÉDECIN, DONNE REMÈDE À COCUAGE.

« On[617] temps, dit Rondibilis, que Jupiter fit l’état de sa maison olympique et le calendrier de tous ses dieux et déesses, ayant établi à un chacun jour et saison de sa fête, assigné lieu pour les oracles et voyages, ordonné de leurs sacrifices…

— Fit-il point, demanda Panurge, comme Tinteville, évêque d’Auxerre ? Le noble pontife aimait le bon vin, comme fait tout homme de bien. Pourtant[618] avait-il en soin et cure spéciale le bourgeon, père aïeul de Bacchus. Or est que, plusieurs années, il vit lamentablement le bourgeon perdu par les gelées, bruines, frimas, verglas, froidures, grêles et calamités advenues par les fêtes des saints Georges, Marc, Vital, Eutrope, Philippe, sainte Croix, l’Ascension et autres, qui sont on[619] temps que le soleil passe sous le signe de Taurus, et entra en cette opinion que les saints susdits étaient saints grêleurs, geleurs et gâteurs du bourgeon. Pourtant voulait-il leurs fêtes translater en hiver, entre Noël et la Tiphaine (ainsi nommait-il la mère des trois Rois), les licenciant[620] en tout honneur et révérence de grêler lors et geler tant qu’ils voudraient, la gelée lors en rien ne serait dommageable, ains[621] évidemment profitable au bourgeon. En leurs lieux mettre les fêtes des saint Christophe, saint Jean Décolla[622], sainte Madeleine, sainte Anne, saint Dominique, saint Laurent, voire la mi-août colloquer en mai, esquelles tant s’en faut qu’on soit en danger de gelée que lors métier on monde n’est qui tant soit de requête[623] comme est des faiseurs de friscades[624], composeurs de joncades[625], agenceurs de feuillades[626] et rafraîchisseurs de vin.

— Jupiter, dit Rondibilis, oublia le pauvre diable Cocuage, lequel pour lors ne fut présent : il était à Paris on palais, sollicitant quelque paillard procès pour quelqu’un de ses tenanciers et vassaux. Ne sais quants[627] jours après, Cocuage entendit la fourbe qu’on lui avait fait, désista[628] de sa sollicitation, par nouvelle sollicitude de n’être forclus[629] de l’état, et comparut en personne devant le grand Jupiter, alléguant ses mérites précédents et les bons et agréables services qu’autrefois lui avait fait, et instantement[630] requérant qu’il ne le laissât sans fête, sans sacrifices, sans honneur. Jupiter s’excusait, remontrant que tous ces bénéfices étaient distribués et que son état était clos. Fut toutefois tant importuné par messer Cocuage qu’enfin le mit en état de catalogue et lui ordonna en terre honneur, sacrifices et fête.

« Sa fête fut (pour ce que lieu vide et vacant n’était en tout le calendrier) en concurrence et au jour de la déesse Jalousie ; sa domination, sur les gens mariés, notamment sur ceux qui auraient belles femmes ; ses sacrifices, soupçon, défiance, malengroin[631], guet, recherche, et espies[632] des maris sur leurs femmes, avec commandement rigoureux à un chacun marié de le révérer et honorer, célébrer sa fête à double et lui faire les sacrifices susdits, sur peine et intermination[633] qu’à ceux ne serait messer Cocuage en faveur, aide ni secours, qui ne l’honoreraient comme est dit, jamais ne tiendrait d’eux compte, jamais n’entrerait en leurs maisons, jamais ne hanterait leurs compagnies, quelques invocations qu’ils lui fissent ; ains[634] les laisserait éternellement pourrir seuls, avec leurs femmes sans corrival[635] aucun et les refuirait[636] sempiternellement comme gens hérétiques et sacrilèges, ainsi qu’est l’usance des autres dieux envers ceux qui dûment ne les honorent : de Bacchus, envers les vignerons, de Cérès, envers les laboureurs, de Pomona, envers les fruitiers, de Neptune, envers les nautoniers, de Vulcain, envers les forgerons, et ainsi des autres. Adjointe fut promesse au contraire infaillible qu’à ceux qui, comme est dit, chômeraient sa fête, cesseraient[637] de toute négociation, mettraient leurs affaires propres en nonchaloir pour épier leurs femmes, les resserrer et maltraiter par jalousie (ainsi que porte l’ordonnance de ses sacrifices), il serait continuellement favorable, les aimerait, les fréquenterait, serait jour et nuit en leurs maisons, jamais ne seraient destitués[638] de sa présence. J’ai dit.

— Ha ! ha ! ha ! dit Carpalim en riant, voilà un remède encore plus naïf que l’anneau d’Hans Carvel. Le diable m’emporte, si je ne le crois. Le naturel des femmes est tel. Comme la foudre ne brise et ne brûle sinon les matières dures, solides, résistantes, elle ne s’arrête ès choses molles, vides et cédantes ; elle brûlera l’épée d’acier, sans endommager le fourreau de velours ; elle consumera les os des corps sans entamer la chair qui les couvre. Ainsi ne bandent[639] les femmes jamais la contention, subtilité et contradiction de leurs esprits, sinon envers ce que connaîtront leur être prohibé et défendu.

— Certes, dit Hippothadée, aucuns[640] de nos docteurs disent que la première femme du monde, que les Hébreux nomment Ève, à peine eût jamais entré en tentation de manger le fruit de tout savoir s’il ne lui eût été défendu. Qu’ainsi soit, considérez comment le tentateur cauteleux lui remembra[641] au premier mot la défense sur ce faite, comme voulant inférer : « Il t’est défendu, tu en dois donc manger ou tu ne serais pas femme. »


COMMENT LES FEMMES ORDINAIREMENT APPÈTENT CHOSES DÉFENDUES.

« On temps, dit Carpalim, que j’étais rufian à Orléans, je n’avais couleur de rhétorique plus valable, ni argument plus persuasif envers les dames pour les mettre aux toiles et attirer au jeu d’amours, que vivement, apertement[642] détestablement remontrant comment leurs maris étaient d’elles jaloux. Je ne l’avais mie[643] inventé. Il est écrit, et en avons lois, exemples, raisons et expériences quotidiennes. Ayants cette persuasion en leurs caboches, elles feront leurs maris cocus infailliblement, par Dieu ! (sans jurer), dussent-elles faire ce que firent Sémiramis, Pasiphaé, Égesta, les femmes de l’île Mandés en Égypte, blasonnées[644] par Hérodote et Strabo, et autres telles mâtines.

— Vraiment, dit Ponocrates, j’ai ouï conter que le pape Jean XXII, passant un jour par Fontevrault, fut requis par l’abbesse et mères discrètes leur concéder un induit moyennant lequel se pussent confesser les unes ès autres, alléguantes que les femmes de religion ont quelques petites imperfections secrètes, lesquelles honte insupportable leur est déceler aux hommes confesseurs. Plus librement, plus familièrement les diraient unes aux autres, sous le sceau de confession. « Il n’y a rien, répondit le pape, que volontiers ne vous octroie, mais j’y vois un inconvénient : c’est que la confession doit être tenue secrète ; vous autres femmes à peine la céleriez[645]. » — « Très bien, dirent-elles, et plus que ne font les hommes, » Au jour propre, le Père saint leur bailla une boîte en garde, dedans laquelle il avait fait mettre une petite linotte, les priant doucement qu’elles la serrassent en quelque lieu sûr et secret, leur promettant, en foi de pape, octroyer ce que portait leur requête si elles la gardaient secrète : ce néanmoins leur faisant défense rigoureuse qu’elles n’eussent à l’ouvrir en façon quelconque, sur[646] peine de censure ecclésiastique et d’excommunication éternelle. La défense ne fut sitôt faite qu’elles grillaient en leurs entendements d’ardeur de voir qu’était dedans, et leur tardait que le pape ne fût jà hors la porte pour y vaquer. Le Père saint, avoir[647] donné sa bénédiction sur elles, se retira en son logis. Il n’était encore trois pas hors l’abbaye, quand les bonnes dames toutes à la foule accoururent pour ouvrir la boîte défendue et voir qu’était dedans. Au lendemain le pape les visita, en intention, ce leur semblait, de leur dépêcher l’induit. Mais, avant entrer en propos, commanda qu’on lui apportât sa boîte. Elle lui fut apportée, mais l’oiselet n’y était plus. Adonc leur remontra que chose trop difficile leur serait receler les confessions, vu que n’avaient si peu de temps tenu en secret la boîte tant recommandée.

— Monsieur notre maître, vous soyez le très bien venu. J’ai pris moult grand plaisir vous oyant, et loue Dieu de tout. Je ne vous avais onques puis vu[648] que jouâtes à Montpellier avec nos antiques amis Ant. Saporta, Guy Bourguier, Balthazar Noyer, Tolet, Jean Quentin, François Robinet, Jean Perdrier et François Rabelais, la morale comédie de celui qui avait épousé une femme muette.

— J’y étais, dit Épistémon. Le bon mari voulut qu’elle parlât. Elle parla par l’art du médecin et du chirurgien, qui lui coupèrent un encyliglotte[649] qu’elle avait sous la langue. La parole recouverte[650], elle parla tant et tant que son mari retourna au médecin pour remède de la faire taire. Le médecin répondit en son art avoir bien remèdes propres pour faire parler les femmes, n’en avoir pour les faire taire : remède unique être surdité du mari contre cetui interminable parlement de femme. Le paillard devint sourd par ne sais quels charmes qu’ils firent. Sa femme voyant qu’il était sourd devenu, qu’elle parlait en vain, de lui n’était entendue, devint enragée. Puis, le médecin demandant son salaire, le mari répondit qu’il était vraiment sourd et qu’il n’entendait sa demande. Le médecin lui jeta on[651] dos ne sais quelle poudre par vertu de laquelle il devint fol. Adonc le fol mari et la femme enragée se rallièrent ensemble, et tant battirent les médecin et chirurgien qu’ils les laissèrent à demi morts. Je ne ris onques tant que je fis à ce patelinage.

— Retournons à nos moutons, dit Panurge. Vos paroles, translatées de baragouin en français, veulent dire que je me marie hardiment et que ne me soucie d’être cocu. C’est bien rentré de trèfles noires. Monsieur notre maître, je crois bien qu’au jour de mes noces vous serez d’ailleurs empêché à vos pratiques et que n’y pourrez comparaître. Je vous en excuse.

Stercus et urina medici sunt prandia prima.
Ex aliis paleas, ex istis collige grana.

— Vous prenez mal, dit Rondibilis. Le vers subséquent est tel :

Nobis sunt signa, vobis sunt prandia digna.

— Si ma femme se porte mal…

— J’en voudrais voir l’urine, dit Rondibilis, toucher le pouls et voir la disposition du bas-ventre et des parties ombilicaires, comme nous commande Hippocrates, 2 Apho. 35, avant outre procéder.

— Non, non, dit Panurge, cela ne fait à propos. C’est pour nous autres légistes, qui avons la rubrique De ventre inspiciendo. Je lui apprête un clystère barbarin. Ne laissez vos affaires d’ailleurs plus urgents. Je vous enverrai du rillé[652] en votre maison et serez toujours notre ami. » Puis s’approcha de lui et lui mit en main sans mot dire quatre nobles[653] à la rose. Rondibilis les prit très bien, puis lui dit en effroi, comme indigné : « Hé ! hé ! hé ! monsieur, il ne fallait rien. Grand merci, toutefois. De méchantes gens jamais je ne prends rien. Rien jamais des gens de bien je ne refuse. Je suis toujours à votre commandement.

— En payant, dit Panurge.

— Cela s’entend, » répondit Rondibilis.


COMMENT TROUILLOGAN, PHILOSOPHE, TRAITE LA DIFFICULTÉ DE MARIAGE.

Ces paroles achevées, Pantagruel dit à Trouillogan le philosophe : « Notre féal, de main en main vous est la lampe baillée. C’est à vous maintenant de répondre. Panurge se doit-il marier, ou non ?

— Tous les deux, répondit Trouillogan.

— Que me dites-vous ? demanda Panurge.

— Ce qu’avez ouï, répondit Trouillogan.

— Qu’ai-je ouï ? demanda Panurge.

— Ce que j’ai dit, répondit Trouillogan.

— Ha ! ha ! en sommes-nous là ? dit Panurge. Passe sans flux[654]. Et donc me dois-je marier ou non ?

— Ni l’un ni l’autre, répondit Trouillogan.

— Le diable m’emporte, dit Panurge, si je ne deviens rêveur[655], et me puisse emporter[656] si je vous entends ! Attendez. Je mettrai mes lunettes à cette oreille gauche pour vous ouïr plus clair. »

En cetui instant, Pantagruel aperçut vers la porte de la salle le petit chien de Gargantua, lequel il nommait Kyne, pour ce que tel fut le nom du chien de Tobie. Adonc dit à toute la compagnie : « Notre roi n’est pas loin d’ici, levons-nous. »

Ce mot ne fut achevé que Gargantua entra dedans la salle du banquet. Chacun se leva pour lui faire révérence. Gargantua, ayant débonnairement salué l’assistance, dit : « Mes bons amis, vous me ferez ce plaisir, je vous en prie, de non laisser ni vos lieux[657] ni vos propos. Apportez-moi à ce bout de table une chaire[658]. Donnez-moi que je boive à toute la compagnie. Vous soyez les très bien venus. Or me dites. Sur quel propos étiez-vous ? » Pantagruel lui répondit que, sur l’apport de la seconde table, Panurge avait proposé une matière problématique, à savoir s’il se devait marier ou non, et que le père Hippothadée et maître Rondibilis étaient expédiés[659] de leurs réponses. Lorsqu’il est entré, répondait le féal Trouillogan, et premièrement, quand Panurge lui a demandé : « Me dois-je marier ou non ? » avait répondu : « Tous les deux ensemblement » : à la seconde fois, avait dit : « Ni l’un ni l’autre. » Panurge se complaint de telles répugnantes[660] et contradictoires réponses, et proteste n’y entendre rien.

— Je l’entends, dit Gargantua, en mon avis. La réponse est semblable à ce que dit un ancien philosophe interrogé s’il avait quelque femme qu’on lui nommait. Je l’ai, dit-il, amie ; mais elle ne m’a mie[661]. Je la possède, d’elle ne suis possédé.

— Pareille réponse, dit Pantagruel, fit une fantasque de Sparte. On lui demanda si jamais elle avait eu affaire à homme. Répondit que non jamais, bien que les hommes quelquefois avaient eu affaire à elle.

— Ainsi, dit Rondibilis, mettons-nous neutre en médecine et moyen en philosophie, par participation de l’une et l’autre extrémité, par abnégation de l’une et l’autre extrémité, et par compartiment[662] du temps, maintenant en l’une, maintenant en l’autre extrémité, »

— Le saint Envoyé, dit Hippothadée, me semble l’avoir plus apertement[663] déclaré quand il dit : « Ceux qui sont mariés soient comme non mariés : ceux qui ont femme soient comme non ayant femme. »

— J’interprète, dit Pantagruel, avoir et n’avoir femme en cette façon : que femme avoir, est l’avoir à usage tel que nature la créa, qui est pour l’aide, ébattement et société de l’homme ; n’avoir femme est ne soi apoltronner[664] autour d’elle, pour elle ne contaminer celle unique et suprême affection que doit l’homme à Dieu, ni laisser les offices qu’il doit naturellement à sa patrie, à la république, à ses amis, ni mettre en nonchaloir ses études et ses négoces, pour continuellement à sa femme complaire. Prenant en cette manière avoir et n’avoir femme, je ne vois répugnance ni contradiction ès termes. »


CONTINUATION DES RÉPONSES DE TROUILLOGAN, PHILOSOPHE ÉPHECTIQUE[665] ET PYRRHONIEN.

« Vous dites d’orgues[666] », répondit Panurge. Mais je crois que je suis descendu on[667] puits ténébreux onquel disait Héraclitus être vérité cachée. Je ne vois goutte, je n’entends rien, je sens mes sens tous hébétés, et doute grandement que je sois charmé. Je parlerai d’autre style. Notre féal, ne bougez. N’emboursez[668] rien. Muons de chance[669] et parlons sans disjonctives. Ces membres mal joints vous fâchent, à ce que je vois. Or çà, de par Dieu, me dois-je marier ?

trouillogan

Il y a de l’apparence.

panurge

Et si je ne me marie point ?

trouillogan

Je n’y vois inconvénient aucun.

panurge

Vous n’y en voyez point ?

trouillogan

Nul, ou la vue me déçoit.

panurge

J’y en trouve plus de cinq cents.

trouillogan

Comptez-les.

panurge

Je dis improprement parlant et prenant nombre certain pour incertain, déterminé pour indéterminé, c’est-à-dire beaucoup.

trouillogan

J’écoute.

panurge

Je ne peux me passer de femme, de par tous les diables

trouillogan

Ôtez ces vilaines bêtes.

panurge

De par Dieu soit ! car mes Salmigondinois disent coucher seul ou sans femme être vie brutale, et telle la disait Dido en ses lamentations.

trouillogan

À votre commandement.

panurge

Pé lé quau Dé[670], j’en suis bien. Donc me marierai-je ?

trouillogan

Par aventure.

panurge

M’en trouverai-je bien ?

trouillogan

Selon la rencontre.

panurge

Aussi[671] si je rencontre bien, comme j’espère, serai-je heureux ?

trouillogan

Assez.

panurge

Tournons à contre poil. Et si je rencontre mal ?

trouillogan

Je m’en excuse.

panurge

Mais conseillez-moi, de grâce. Que dois-je faire ?

trouillogan

Ce que voudrez.

panurge

Tarabin, tarabas.

trouillogan

N’invoquez rien, je vous prie.

panurge

On[672] nom de Dieu soit ! je ne veux sinon ce que me conseillerez. Que m’en conseillez-vous ?

trouillogan

Rien.

panurge

Me marierai-je ?

trouillogan

Je n’y étais pas.

panurge

Je ne me marierai donc point ?

trouillogan

Je n’en peux mais.

panurge

Si je ne suis marié, je ne serai jamais cocu.

trouillogan

J’y pensais.

panurge

Mettons le cas que je sois marié.

trouillogan

Où le mettrons-nous ?

panurge

Je dis, prenez le cas que marié je sois.

trouillogan

Je suis d’ailleurs empêché[673].

panurge

Merde en mon nez ! Dea[674] ! si j’osasse jurer quelque petit coup en[675] cape, cela me soulagerait d’autant. Or bien, patience ! Et donc, si je suis marié, je serai cocu ?

trouillogan

On le dirait.

panurge

Si ma femme est prude et chaste, je ne serai jamais cocu ?

trouillogan

Vous me semblez parler correct.

panurge

Écoutez.

trouillogan

Tant que voudrez.

panurge

Sera elle prude et chaste ? Reste seulement ce point.

trouillogan

J’en doute.

panurge

Vous ne la vîtes jamais ?

trouillogan

Que je sache.

panurge

Pourquoi donc doutez-vous d’une chose que ne connaissez ?

trouillogan

Pour cause.

panurge

Et si la connaissiez ?

trouillogan

Encore plus.

panurge

Page, mon mignon, tiens ici mon bonnet : je te le donne, sauve[676] les lunettes, et va en la basse cour[677] jurer une petite demi-heure pour moi. Je jurerai pour toi quand tu voudras. Mais qui me fera cocu ?

trouillogan

Quelqu’un.

panurge

Par le ventre bœuf de bois, je vous frotterai bien, monsieur le quelqu’un.

trouillogan

Vous le dites.

panurge

Le diantre, celui qui n’a point de blanc en l’œil, m’emporte donc, ensemble si je ne boucle ma femme à la Bergamasque quand je partirai hors mon sérail.

trouillogan

Discourez mieux.

panurge

C’est bien chien chié chanté pour les discours. Faisons quelque résolution.

trouillogan

Je n’y contredis.

panurge

Attendez. Puisque de cetui endroit ne peux sang de vous tirer, je vous saignerai d’autre veine. Êtes-vous marié ou non ?

trouillogan

Ni l’un ni l’autre et tous les deux ensemble.

panurge

Dieu nous soit en aide ! Je sue, par la mort bœuf, d’ahan, et sens ma digestion interrompue. Toutes mes phrènes[678], métaphrènes[679] et diaphragmes sont suspendus et tendus pour incornifistibuler[680] en la gibecière de mon entendement ce que dites et répondez.

trouillogan

Je ne m’en empêche[681].

panurge

Trut avant[682], notre féal, êtes-vous marié ?

trouillogan

Il me l’est avis.

panurge

Vous l’aviez été une autre fois ?

trouillogan

Possible est.

panurge

Vous en trouvâtes-vous bien la première fois ?

trouillogan

Il n’est pas impossible.

panurge

À cette seconde fois comment vous en trouvez-vous ?

trouillogan

Comme porte mon sort fatal.

panurge

Mais quoi ! à bon escient, vous en trouvez-vous bien ?

trouillogan

Il est vraisemblable.

panurge

Or çà, de par Dieu, j’aimerais, par le fardeau de saint Christophe, autant entreprendre tirer un pet d’un âne mort que de vous une résolution. Si[683] vous aurai-je à ce coup. Notre féal, faisons honte au diable d’enfer, confessons vérité. Fûtes-vous jamais cocu ? Je dis vous qui êtes ici, je ne dis pas vous qui êtes là-bas au jeu de paume.

trouillogan

Non, s’il n’était prédestiné.

panurge

Par la chair, je renie ; par le sang, je renague[684] ; par le corps je renonce. Il m’échappe. »

À ces mots Gargantua se leva et dit : « Loué soit le bon Dieu en toutes choses. À ce que je vois, le monde est devenu beau fils depuis ma connaissance première. En sommes-nous là ? Donc sont hui[685] les plus doctes et prudents philosophes entrés au phrontistère[686] et école des pyrrhoniens, aporrhétiques[687], sceptiques et éphectiques[688]. Loué soit le bon Dieu ! Vraiment on pourra dorénavant prendre les lions par les jubés[689], les chevaux par les crins, les buffles par le museau, les bœufs par les cornes, les loups par la queue, les chèvres par la barbe, les oiseaux par les pieds, mais jà[690] ne seront tels philosophes par leurs paroles pris. Adieu, mes bons amis. » Ces mots prononcés, se retira de la compagnie. Pantagruel et les autres le voulaient suivre, mais il ne le voulut permettre.

Issu[691] Gargantua de la salle, Pantagruel dit ès invités : « Le Timée de Platon, au commencement de l’assemblée, compta les invités. Nous, au rebours, les compterons-nous en la fin. Un, deux, trois ; où est le quart ? N’était-ce notre ami Bridoye ? » Épistémon répondit avoir été en sa maison pour l’inviter, mais ne l’avoir trouvé. Un huissier du parlement Mirelinguais en Mirelingues l’était venu quérir et ajourner pour personnellement comparaître et devant les sénateurs raison rendre de quelque sentence par lai donnée. Pourtant[692] était-il au jour précédent départi[693], afin de soi représenter au jour de l’assignation et ne tomber en défaut ou contumace. « Je veux, dit Pantagruel, entendre que c’est. Plus de quarante ans y a qu’il est juge de Fonsbeton ; icelui temps pendant[694] a donné plus de quatre mille sentences définitives.

« De deux mille trois cents et neuf sentences par lui données, fut appelé par les parties condamnées en la cour souveraine du parlement Mirelinguais en Mirelingues : toutes par arrêts d’icelle ont été ratifiées, approuvées et confirmées, les appeaux[695] renversés et à néant mis. Que maintenant soit personnellement ajourné sur ses vieux jours, il[696] qui par tout le passé a vécu tant saintement en son état, ne peut[697] être sans quelque désastre. Je lui veux de tout mon pouvoir être aidant en équité. Je sais hui[698] tant être la malignité du monde aggravée que bon droit a bien besoin d’aide, et présentement délibère[699] y vaquer, de peur de quelque surprise. »

Alors furent les tables levées. Pantagruel fit ès invités dons précieux et honorables de bagues, joyaux et vaisselle, tant d’or comme d’argent, et, les avoir[700] cordialement remerciés, se retira vers sa chambre.


COMMENT PANTAGRUEL PERSUADE À PANURGE PRENDRE CONSEIL DE QUELQUE FOL.

Pantagruel, soi retirant, aperçut par la galerie Panurge en maintien d’un rêveur rêvassant et dodelinant de la tête et lui dit : « Vous me semblez à une souris empeigée[701] : tant plus elle s’efforce soi dépêtrer de la poix, tant plus elle s’en embrène. Vous, semblablement, efforçant issir[702] hors les lacs[703] de perplexité, plus que devant y demeurez empêtré, et n’y sais remède fors un. Entendez. J’ai souvent ouï en proverbe vulgaire
qu’un fol enseigne bien un sage. Puisque, par les réponses des sages n’êtes à plein satisfait, conseillez-vous à quelque fol : pourra être que, ce faisant, plus à votre gré serez satisfait et content. Par l’avis, conseil et prédiction des fols, vous savez quants[704] princes, rois et républiques ont été conservés, quantes batailles gagnées, quantes perplexités dissolues[705]. Jà besoin n’est vous ramentevoir[706] les exemples. Vous acquiescerez en cette raison, car, comme celui qui de près regarde à ses affaires privées et domestiques, qui est vigilant et attentif au gouvernement de sa maison, duquel l’esprit n’est point égaré, qui ne perd occasion quelconque d’acquérir et amasser biens et richesses, qui cautement[707] sait obvier ès inconvénients de pauvreté, vous appeliez sage mondain, quoique fat[708] soit-il en l’estimation des Intelligences célestes, ainsi faut-il, pour devant icelles sage être, je dis sage et présage par aspiration divine et apte à recevoir bénéfice de divination, s’oublier soi-même, issir hors de soi-même, vider ses sens de toute terrienne affection, purger son esprit de toute humaine sollicitude et mettre tout en nonchaloir[709], ce que vulgairement est imputé à folie.

« En cette manière fut du vulgue impérit[710] appelé Fatuel le grand vaticinateur Faunus, fils de Picus, roi des Latins.

« En cette manière voyons-nous entre les jongleurs, à la distribution des rôles, le personnage du sot et du badin être toujours représenté par le plus périt[711] et parfait joueur de leur compagnie.

« En cette manière, disent les mathématiciens, un même horoscope être à la nativité des rois et des sots, et donnant exemple d’Énéas et Chorœbus, lequel Euphorion dit avoir été fol, qui eurent un même généthliaque[712].

« Je ne serai hors de propos, si je vous raconte ce que dit Jo. André sur un canon de certain rescrit papal adressé au maire et bourgeois de la Rochelle, et après lui, Panorme en ce même canon, Barbatia sur les Pandectes et récemment Jason en ses conseils, de Seigny Joan, fol insigne de Paris, bisaïeul de Caillette. Le cas est tel :

« À Paris, en la rôtisserie du petit Châtelet, au devant de l’ouvroir d’un rôtisseur, un faquin[713] mangeait son pain à la fumée du rôt, et le trouvait, ainsi parfumé, grandement savoureux. Le rôtisseur le laissait faire. Enfin, quand tout le pain fut bâfré, le rôtisseur happe le faquin au collet et voulait qu’il lui payât la fumée de son rôt. Le faquin disait en rien n’avoir ses viandes endommagé, rien n’avoir du sien pris, en rien ne lui être débiteur.

« La fumée dont était question évaporait par dehors, ainsi comme ainsi se perdait-elle ; jamais n’avait été ouï que, dedans Paris, on eût vendu fumée de rôt en rue. Le rôtisseur répliquait que de fumée de son rôt n’était tenu nourrir les faquins et reniait, en cas qu’il ne le payât, qu’il lui ôterait ses crochets. Le faquin tire son tribart[714] et se mettait en défense.

« L’altercation fut grande ; le badaud peuple de Paris accourut au débat de toutes parts. Là se trouva à propos Seigny Joan le fol, citadin de Paris. L’ayant aperçu, le rôtisseur demanda au faquin : « Veux-tu sur notre différend croire ce noble Seigny Joan ? » — « Oui, par le sambreguoy, » répondit le faquin. Adonc Seigny Joan, avoir[715] leur discord[716] entendu, commanda au faquin qu’il lui tirât de son baudrier quelque pièce d’argent. Le faquin lui mit en main un tournois philippus. Seigny Joan le prit et le mit sur son épaule gauche, comme explorant s’il était de poids ; puis le timpait[717] sur la paume de sa main gauche, comme pour entendre s’il était de bon aloi ; puis le posa sur la prunelle de son œil droit, comme pour voir s’il était bien marqué. Tout ce fut fait en grand silence de tout le badaud peuple, en ferme attente du rôtisseur et désespoir du faquin. Enfin le fit sur l’ouvroir sonner par plusieurs fois. Puis en majesté présidentale, tenant sa marotte on[718] poing, comme si fût un sceptre, et affublant en tête son chaperon de martres singesses[719], à oreilles de papier, fraisé à points d’orgues, toussant préalablement deux ou trois bonnes fois, dit à haute voix : « La cour vous dit que le faquin, qui a son pain mangé à la fumée du rôt, civilement a payé le rôtisseur au son de son argent. Ordonne ladite cour que chacun se retire en sa chacunière, sans dépens, et pour cause. » Cette sentence du fol parisien tant a semblé équitable, voire admirable, ès docteurs susdits, qu’ils font doute, en cas que la matière eût été on parlement dudit lieu, ou en la rote à Rome, voire certes entre les Aréopagites décidée, si plus juridiquement eût été par eux sentencié. Pourtant advisez si conseil voulez d’un fol prendre. »


église abbatiale de ligugé (vienne)
Ce portail du xvie siècle a été construit par Geoffroy d’Estissac, protecteur de Rabelais, et la tradition veut que le grand Tourangeau ait habité une tour aujourd’hui détruite, à droite de l’église.

COMMENT PAR PANTAGRUEL ET PANURGE EST TRIBOULET BLASONNÉ[720].

« Par mon âme, répondit Panurge, je le veux. Il m’est avis que le boyau m’élargit. Je l’avais naguère bien serré et constipé. Mais, ainsi comme nous avons choisi la fine crème de sapience pour conseil, aussi voudrais-je qu’en notre consultation présidât quelqu’un qui fût fol en degré souverain.

— Triboulet, dit Pantagruel, me semble compétentement fol.

Panurge répond : « Proprement et totalement fol. »

Pantagruel. — Si raison était pourquoi jadis en Rome les Quirinales on nommait la fête des fols, justement en France on pourrait instituer les Tribouletinales.

Panurge. — Si tous fols portaient croupière, il aurait les fesses bien écorchées.

Pantagruel. — S’il était dieu fatuel[721], duquel avons parlé, mari de la dive Fatue, son père serait Bonadiès[722], sa grand’mère Bonedée[723].

Panurge. — Si tous fols allaient les ambles, quoiqu’il ait les jambes tortes, il passerait[724] d’une grande toise. Allons vers lui sans séjourner[725]. De lui aurons quelque belle résolution, je m’y attends.

— Je veux, dit Pantagruel, assister au jugement de Bridoye. Cependant que j’irai en Mirelingues, qui est delà la rivière de Loire, je dépêcherai[726] Carpalim pour de Blois ici amener Triboulet. »

Lors fut Carpalim dépêché. Pantagruel, accompagné de ses domestiques, Panurge, Épistémon, Ponocrates, frère Jean, Gymnaste, Rhizotome et autres, prit le chemin de Mirelingues.


COMMENT PANTAGRUEL ASSISTE AU JUGEMENT DU JUGE BRIDOYE, LEQUEL SENTENTIAIT[727] LES PROCÈS AU SORT DES DÉS.

Au jour subséquent, à l’heure de l’assignation, Pantagruel arriva en Mirelingues. Les président, sénateurs et conseillers le prièrent entrer avec eux et ouïr la décision des causes et raisons qu’alléguerait Bridoye, pourquoi aurait donné certaine sentence contre l’élu Toucheronde, laquelle ne semblait du tout équitable à icelle cour centumvirale. Pantagruel entre volontiers, et là trouve Bridoye on milieu du parquet assis, et, pour toutes raisons et excuses, rien plus ne répondant, sinon qu’il était vieux devenu et qu’il n’avait la vue tant bonne comme de coutume, alléguant plusieurs misères et calamités que vieillesse apporte avec soi, lesquelles not. per Archid. d. lxxxvj c. tanta. Pourtant[728] ne connaissait-il tant distinctement les points des dés, comme avait fait par le passé. Dont pouvait être qu’en la façon qu’Isaac, vieux et mal voyant, prit Jacob pour Esaü, ainsi à la décision du procès dont était question, il aurait pris un quatre pour un cinq, notamment référant que lors il avait usé de ses petits dés, et que, par disposition de droit, les imperfections de nature ne doivent être imputées à crime, comme appert ff. de re milit. l. qui cum uno…[729].

« Quels dés, demandait Trinquamelle, grand président d’icelle cour, mon ami, entendez-vous ?

— Les dés, répondit Bridoye, des jugements, alea judiciorum, et desquels dés vous autres, Messieurs, ordinairement usez en cette votre cour souveraine ; aussi font tous autres juges en décision des procès, suivant ce qu’en a noté D. Henr. Ferrandat, et no. gl. in. c. fin. de sortil. et l. sed cum ambo. ff. de judi. uhi doct. notent que le sort est fort bon, honnête utile et nécessaire à la vidange des procès et dissensions.

— Et comment, demandait Trinquamelle, faites-vous mon ami ?

— Je, répondit Bridoye, répondrai brièvement, selon l’enseignement de la l. ampliorem, § in refutatoriis, C. de appela. Je fais comme vous autres, Messieurs, et comme est l’usance de judicature, à laquelle nos droits commandent toujours déférer. Ayant bien vu, revu, lu, relu, paperasse et feuilleté les complaintes, ajournements, comparutions, commissions, informations, avant procédés, productions, allégations, intendits, contredits, requêtes, enquêtes, répliques, dupliques, tripliques, écritures, reproches, griefs, salvations[730], recollements, confrontations, acarations[731], libelles, apostoles, lettres royaux, compulsoires, déclinatoires, anticipatoires, évocations, envois, renvois, conclusions, fins de non procéder, appointements, reliefs, confessions, exploits et autres dragées et épiceries d’une part et d’autre, comme doit faire le bon juge, je pose sur le bout de la table en mon cabinet tous les sacs du défendeur, et lui livre chance[732] premièrement, comme vous autres. Messieurs. Cela fait, je pose les sacs du demandeur, comme vous autres, Messieurs, sur l’autre bout, visum visu, car, opposita juxta se posita magis elucescunt… Pareillement, et quant et quand[733] je lui livre chance.

— Mais, demandait Trinquamelle, mon ami, à quoi connaissez-vous obscurité des droits prétendus par les parties plaidoyantes ?

— Comme vous autres, Messieurs, répondit Bridoye, savoir est quand il y a beaucoup de sacs d’une part et d’autre. Et lors j’use de mes petits dés, comme vous autres. Messieurs, suivant la loi, semper in stipulationibus, ff. de reg. jur… J’ai d’autres gros dés bien beaux et harmonieux, desquels j’use, comme vous autres, Messieurs, quand la matière est plus liquide, c’est-à-dire quand moins y a de sacs.

— Cela fait, demandait Trinquamelle, comment sententiez-vous[734], mon ami ?

— Comme vous autres, Messieurs, répondit Bridoye : pour celui je donne sentence duquel la chance livrée par le sort du dé judiciaire, tribunien, prétorial, premier advient. Ainsi commandent nos droits. Qui prior est tempore, potior est jure. »


COMMENT BRIDOYE EXPOSE LES CAUSES POURQUOI IL VISITAIT LES PROCÈS QU’IL DÉCIDAIT PAR LE SORT DES DÉS.

« Voire mais, demandait Trinquamelle, mon ami, puisque par sort et jet des dés vous faites vos jugements, pourquoi ne livrez-vous cette chance le jour et heure propre que les parties controverses comparaissent par devant vous, sans autre délai ? De quoi vous servent les écritures et autres procédures contenues dedans les sacs ?

— Comme à vous autres. Messieurs, répondit Bridoye ; elles me servent de trois choses exquises, requises et authentiques.

« Premièrement pour la forme, en omission de laquelle ce qu’on a fait n’être valable prouve très bien Spec. tit. de instr. edi. et tit. de rescrip. praesent. Davantage[735] vous savez trop mieux que souvent, en procédures judiciaires, les formalités détruisent les matérialités et substances, car forma mutata mutatur substantia.

« Secondement, comme à vous autres, Messieurs, me servent d’exercice honnête et salutaire. Feu M. Othoman Vadare, grand médecin, comme vous diriez, C. de comit. et archi. lib. xij, m’a dit maintes fois que faute d’exercitation corporelle est cause unique de peu de santé et brièveté de vie de vous autres, Messieurs, et tous officiers de justice. Pourtant[736] sont, comme à vous autres, Messieurs, à nous consécutivement, quia accessorium naturam sequitur principalis, de reg. jur. lib. vj. concédés certains jeux d’exercice honnête et récréatif. Et telle est l’opinion D. Thomæ in secunda secundæ quæst. clxviij, bien à propos alléguée par D. Alber. de Ros., lequel fuit magnus practicus et docteur solennel, comme atteste Barbatia in prin. consil. La raison est exposée per gloss. in proæmio. ff. § ne autem tertii.

Interpone tuis interdum gaudia curis.

« De fait, un jour, en l’an 1489, ayant quelque affaire bursal[737] en la chambre de messieurs les Généraux[738], et y entrant par permission pécuniaire de l’huissier, comme vous autres, Messieurs, savez que pecuniæ obediunt omnia, et l’a dit Bald., je les trouvai tous jouant à la mouche par exercice salubre, avant le past[739] ou après, il m’est indifférent, pourvu que hic no. que le jeu de la mouche est honnête, salubre, antique et légal, à Musco inveniore, de quo c. de petit, hæred. l. si post motam, et Muscarii. i. Ceux qui jouent à la mouche sont excusables de droit l. i. c. de excus. artif. lib. x. Et pour lors était de mouche M. Tielman Picquet, il m’en souvient. Il riait de ce que Messieurs de ladite chambre gâtaient tous leurs bonnets à force de lui dauber ses épaules ; les disait ce nonobstant n’être de ce dégât de bonnets excusables au retour du palais envers leurs femmes, par c. i. extra de praesump. et ibi gl. Or, resolutorie loquendo, je dirais, comme vous autres, Messieurs, qu’il n’est exercice tel, ni plus aromatisant en ce monde palatin que vider sacs, feuilleter papiers, coter cahiers, emplir paniers et visiter procès.

« Tiercement, comme vous autres, Messieurs, je considère que le temps mûrit toutes choses ; par temps toutes choses viennent en évidence ; le temps est père de vérité. C’est pourquoi, comme vous autres. Messieurs, je surseois, délaie[740] et diffère le jugement, afin que le procès, bien ventilé, grabelé[741] et débattu, vienne par succession de temps à sa maturité, et le sort, par après advenant, soit plus doucettement porté[742] des parties condamnées, comme no. glo. ff. de excu. tut. l. tria onera.

Le jugeant cru, vert et au commencement, danger serait de l’inconvénient que disent les médecins advenir quand on perce un apostème avant qu’il soit mûr, quand on purge du corps humain quelque humeur nuisant[743] avant sa concoction[744]. Nature davantage[745] nous instruit cueillir et manger les fruits quand ils sont mûrs, Instit. de re. di. § is ad quem, marier les filles quand elles sont mûres, ff. de donat, int. vir. et uxo., rien ne faire qu’en toute maturité, xxiij. q. if. § ult. et xxxiij. d. c. ult. »


COMMENT BRIDOYE NARRE L’HISTOIRE DE L’APPOINTEUR DE PROCÈS.

« Il me souvient à ce propos, dit Bridoye continuant, qu’on[746] temps que j’étudiais à Poitiers en droit, sous Brocadium juris, était à Semeve un nommé Perrin Dendin, homme honorable, bon laboureur, bien chantant au lutrin, homme de crédit, et âgé autant que le plus de vous autres, Messieurs, lequel disait avoir vu le grand bonhomme Concile de Latran avec son gros chapeau rouge, ensemble la bonne dame Pragmatique Sanction, sa femme, avec son large tissu de satin pers[747], et ses grosses patenôtres de jaïet[748]. Cetui homme de bien appointait[749] plus de procès qu’il n’en était vidé en tout le palais de Poitiers, en l’auditoire de Montmorillon, en la halle de Parthenay le Vieux, ce que le faisait vénérable en tout le voisinage. De Chauvigny, Nouaillé, Croutelles, Esgne, Ligugé, La Motte, Lusignan, Vivonne, Mezeaux, Étables et lieux confins, tous les débats, procès et différends étaient par son devis[750] vidés, comme par juge souverain, quoi que juge ne fût, mais homme de bien.

« Il n’était tué pourceau en tout le voisinage dont il n’eût de la hastille[751] et des boudins, et était presque tous les jours de banquet, de festin, de noces, de commérage, de relevailles, et en la taverne, pour faire quelque appointement, entendez[752], car jamais n’appointait les parties qu’il ne les fît boire ensemble, par symbole de réconciliation, d’accord parfait et de nouvelle joie : ut no. per doct. ff. de peri. et comm. rei. vend. l. i. Il eut un fils nommé Tenot Dendin, grand hardeau’et galant homme, ainsi m’ait Dieu, lequel semblablement voulut s’entremettre d’appointer les plaidoyants, et se nommait en ses titres : l’appointeur des procès. En cetui négoce tant était actif et vigilant (car vigilantibus jura subveniunt, ex l. pupillus…) qu’incontinent[753] qu’il sentait ut ff. si quand. pan. fec. l. Agaso. gl. in verbo, olfecit. i. nasum ad culum posuit, et entendait par pays être mû procès ou débat, il s’ingérait d’appointer les parties. Mais en telle affaire, il fut tant malheureux que jamais n’appointa différend quelconque, tant petit fût-il que sauriez dire. En lieu de les appointer, il les irritait et aigrissait davantage, et disaient les taverniers de Semerve que, sous lui en un an, ils n’avaient tant vendu de vin d’appointation (ainsi nommaient-ils le bon vin de Ligugé), comme ils faisaient sous son père en demi-heure.

« Advint qu’il s’en plaignit à son père, et référait les causes de ce meshaing[754] en la perversité des hommes de son temps, franchement lui objectant que, si on temps jadis le monde eût été ainsi pervers, plaidoyart, détravé[755] et inappointable[756] il, son père, n’eût acquis l’honneur et titre d’appointeur tant irréfragable, comme il avait. En quoi faisait Tenot contre le droit, par lequel est ès enfants défendu reprocher[757] leurs propres pères, per gl. et Bar., l. iij, § si quis…

« Il faut, répondit Perrin, faire autrement, Dendin, mon fils. Or, quand oportet vient en place, il convient qu’ainsi se fasse, gl. c. de appell. l. eos etiam. Ce n’est là que gît le lièvre. Tu n’appointes jamais les différends. Pourquoi ? Tu les prends dès le commencement, étant encore verts et crus. Je les appointe tous. Pourquoi ? Je les prends sur leur fin, bien mûrs et digérés. Ne sais-tu qu’on dit en proverbe commun : Heureux être le médecin qui est appelé sur la déclination[758] de la maladie ? La maladie de soi critiquait[759] et tendait à fin, encore que le médecin n’y survînt. Mes plaidoyeurs semblablement de soi-même déclinaient on dernier but de plaidoirie, car leurs bourses étaient vides, de soi cessaient poursuivre et solliciter, plus d’aubert n’était en fouillouse[760] pour solliciter et poursuivre.

Deficiente pecu, deficit omne, nia.

« Manquait seulement quelqu’un, qui fût comme paranympne[761] et médiateur, qui premier parlât d’appointement, pour soi sauver l’une et l’autre partie de cette pernicieuse honte qu’on eût dit : « Cetui premier s’est rendu, il a premier parlé d’appointement, il a été las le premier, il n’avait le meilleur droit, il sentait que le bât le blessait. »

« Là, Dendin, je me trouve à propos, commme lard en pois. C’est mon heur[762], c’est mon gain, c’est ma bonne fortune. Et te dis, Dendin, mon fils joli, que, par cette méthode, je pourrais paix mettre, ou trêves pour le moins, entre le grand roi et les Vénitiens, entre l’empereur et les Suisses, entre les Anglais et les Écossais, entre le Pape et les Ferrarais. Irai-je plus loin ? ce m’aide Dieu, entre le Turc et le sophi, entre les Tartares et les Moscovites, Entends bien. Je les prendrais sur l’instant que les uns et les autres seraient las de guerroyer, qu’ils auraient vidé leurs coffres, épuisé les bourses de leurs sujets, vendu leur domaine, hypothéqué leurs terres, consumé leurs vivres et munitions. Là, de par Dieu, ou de par sa mère, force forcée leur est respirer et leurs félonies modérer. C’est la doctrine in gl. xxxvij d. c. Si quando. »


COMMENT NAISSENT LES PROCÈS ET COMMENT ILS VIENNENT À PERFECTION.

« C’est pourquoi, dit Bridoye continuant, comme vous autres, Messieurs, je temporise, attendant la maturité du procès et sa perfection en tous membres : ce sont écritures et sacs.

« Un procès, à sa naissance première, me semble, comme à vous autres, Messieurs, informe et imparfait. Comme un ours naissant n’a pieds ne mains, peau, poil ni tête : ce n’est qu’une pièce de chair, rude et informe. L’ourse, à force de lécher, la met en perfection des membres, ut no. doct. ff. ad le g. Aquil. l. ii, in fi. Ainsi vois-je, comme vous autres, Messieurs, naître les procès à leurs commencements, informes et sans membres. Ils n’ont qu’une pièce ou deux : c’est pour lors une laide bête. Mais, lorsqu’ils sont bien entassés, enchâssés et ensachés, on les peut vraiment dire membrus et formés, car forma dat esse rei.

« Comme vous autres. Messieurs, semblablement les sergents, huissiers, appariteurs, chicaneurs, procureurs, commissaires, avocats, enquêteurs, tabellions, notaires, greffiers et juges pédanés[763] de quibus tit. est lib. iij, cod., suçant bien fort et continuellement les bourses des parties, engendrent à leurs procès tête, pieds, griffes, bec, dents, mains, veines, artères, nerfs, muscles, humeurs : ce sont les sacs, gl. de cons, d. iiij, c. accepisti.

Qualis vestis erit, taîia corda gerit

« Hic no. qu’en cette qualité plus heureux sont les plaidoyants que les ministres de justice, car Beatius est dare quam accipere. »

« Ainsi rendent le procès parfait, galant et bien formé, comme dit gl. can. :

Accipe, sume, cape, sunt verba placentia papæ.

« La vraie étymologie de procès est en ce qu’il doit avoir en ses prouchats[764] prou[765] sacs, et en avons brocarts déifiques : litigando jura crescunt, litigando jus acquiritur…

— Voire mais ; demandait Trinquamelle, mon ami, comment procédez-vous en action criminelle, la partie coupable prise flagrante crimine ?

— Comme vous autres, Messieurs, répondit Bridoye : je laisse et commande au demandeur dormir bien fort pour l’entrée du procès : puis devant moi convenir[766], m’apportant bonne et juridique attestation de son dormir, selon la gl. 32, q. vij, c. Si quis cum.

Quandoque bonus dormitat Homerus.

« Cetui acte engendre quelque autre membre ; de cetui-là naît un autre, comme maille à maille est fait l’haubergeon[767]. Enfin je trouve le procès bien par informations formé et parfait en ses membres. Adonc je retourne à mes dés, et n’est par moi telle interpolation[768] sans raison faite et expérience notable.

« Il me souvient qu’on camp de Stokolm, un Gascon, nommé Gratianauld, natif de Saint-Sever, ayant perdu au jeu tout son argent, et de ce grandement fâché (comme vous savez que pecunia est alter sanguis) à l’issue du brelan, devant tous ses compagnons, disait à haute voix : « Pao cap de bious, hillots, que mau de pippe bous tresbire ! ares que pergudes sont les mies bingt et quouatte baguettes, ta pla donnerien picz, trucs et patacts. Sei degun de bous aulx, qui boille truquar ambe iou à bels embis[769] ? » Ne répondant personne, il passe au camp des Hondrespondres[770], et réitérait ces mêmes paroles, les invitant à combattre avec lui. Mais les susdits disaient : Der guascongner thut schich usz mitt eim ieden ze schlagen, aber er ist geneigter zu staelen ; darumb, lieben frauven, hend serg zu ineuerm hausraut[771] » Et ne s’offrit au combat personne de leur ligue. Pourtant passe le Gascon au camp des aventuriers français, disant ce que dessus et les invitant au combat gaillardement, avec petites gambades gasconiques. Mais personne ne lui répondit. Lors le Gascon, au bout du camp, se coucha près les tentes du gros Christian, chevalier de Crissé, et s’endormit. Sur l’heure un aventurier, ayant pareillement perdu tout son argent, sortit avec son épée, en ferme délibération de combattre avec le Gascon, vu qu’il avait perdu comme lui :

Ploratur lacrymis amissa pecunia veris,


dit glos. de pœnitent. dist. 3., c. sunt plures. De fait l’ayant cherché parmi le camp, finalement le trouva endormi. Adonc lui dit : Sus, ho, hillot[772] de tous les diables, lève-toi : j’ai perdu mon argent aussi bien que toi. Allons nous battre gaillard[773] et bien à point frotter notre lard. Avise que mon verdun[774] ne soit point plus long que ton espade[775]. » Le Gascon tout ébloui lui répondit : « Cap de saint Arnault, quau seis tu, qui me rébeilles ? que mau de taoverne te gire ! Ho saint Siobé, cap de Gascogne, ta pla dormie iou, quand aquoest taquain me bingut estée. » L’aventurier l’invitait derechef au combat, mais le Gascon lui dit : « Hé paouret, iou te esquinerie ares que son pla reposât. Vaine un pauc qui te posar comme iou, puesse truqueren. » Avec l’oubliance de sa perte, il avait perdu l’envie de combattre. Somme, en lieu de se battre et soi par aventure entretuer, ils allèrent boire ensemble, chacun sur son épée. Le sommeil avait fait ce bien et pacifié la flagrante fureur des deux bons champions. Là compète[776] le mot doré de Joan. And. in ult. de sent. et re judic. libro sexto : Sedendo et quiescendo fit anima prudens. »


COMMENT PANTAGRUEL EXCUSE BRIDOYE SUR LES JUGEMENTS FAITS AU SORT DES DÉS.

À tant[777] se tut Bridoye. Trinquamelle lui commanda issir[778] hors la chambre du parquet, ce que fut fait. Alors dit à Pantagruel : « Raison veut, prince très auguste, non par l’obligation seulement en laquelle vous tenez par infinis bienfaits cetui parlement et tout le marquisat de Mirelingues, mais aussi par le bon sens, discret jugement et admirable doctrine que le grand Dieu dateur[779] de tous biens a en vous posé, que vous présentons la décision de cette matière tant nouvelle, tant paradoxe[780] et étrange de Bridoye, qui, vous présent, voyant et entendant, a confessé, juger on sort des dés. Si[781] vous prions qu’en veuillez sententier[782] comme vous semblera juridique et équitable. »

À ce répondit Pantagruel :

« Messieurs, mon état n’est en profession de décider procès, comme bien savez. Mais puisque vous plaît me faire tant d’honneur, en lieu de faire office de juge je tiendrai lieu de suppliant. En Bridoye je reconnais plusieurs qualités, par lesquelles me semblerait pardon du cas advenu mériter. Premièrement vieillesse, secondement simplesse[783], èsquelle a deux vous entendez trop mieux quelle facilité de pardon et excuse de méfait nos droits et nos lois octroient. Tiercement, je reconnais un autre cas pareillement en nos droits déduit à la faveur de Bridoye : c’est que cette unique faute doit être abolie, éteinte et absorbée en la mer immense de tant d’équitables sentences qu’il a donné par le passé et que, par quarante ans et plus, on n’a en lui trouvé acte digne de répréhension ; comme si, en la rivière de Loire, je jetais une goutte d’eau de mer, pour cette unique goutte personne ne la sentirait, personne ne la dirait salée. Et me semble qu’il y a je ne sais, quoi de Dieu, qui a fait et dispensé qu’à ces jugements de sort toutes les précédentes sentences aient été trouvées bonnes en cette votre vénérable et souveraine cour, lequel comme savez, veut souvent sa gloire apparaître en l’hébétation[784] des sages, en la dépression des puissants et en l’érection des simples et humbles.

« Je mettrai en omission toutes ces choses. Seulement vous prierai, non par celle obligation que prétendez[785] à ma maison, laquelle je ne reconnais, mais par l’affection sincère que de toute ancienneté avez en nous connue, tant deçà que delà Loire, en la maintenue de votre état et dignités, que, pour cette fois, lui veuillez pardon octroyer, et ce en deux conditions. Premièrement, ayant satisfait, ou protestant satisfaire à la partie condamnée par la sentence dont est question. (À cetui article je donnerai bon ordre et contentement.) Secondement, qu’en subside[786] de son office vous lui bailliez quelqu’un plus jeune, docte, prudent, périt[787] et vertueux conseiller, à l’avis duquel dorénavant fera ses procédures judiciaires. En cas que le voulussiez totalement de son office déposer, je vous prierai bien fort m’en faire un présent et pur don. Je trouverai par mes royaumes lieux assez et états pour l’employer et m’en servir. À tant[788] supplierai le bon Dieu créateur, servateur et dateur[789] de tous biens, en sa sainte grâce perpétuellement vous maintenir. »

Ces mots dits, Pantagruel fit révérence à toute la cour et sortit hors le parquet. À la porte trouva Panurge, Épistémon, frère Jean et autres. Là montèrent à cheval pour s’en retourner vers Gargantua. Par le chemin Pantagruel leur contait de point en point l’histoire du jugement de Bridoye. Frère Jean dit qu’il avait connu Perrin Dendin on[790] temps qu’il demeurait à la Fontaine-le-Comte, sous le noble abbé Ardillon. Gymnaste dit qu’il était en la tente du gros Christian, chevalier de Crissé. lorsque le Gascon répondit à l’aventurier. Panurge faisait quelque difficulté de croire l’heur[791] des jugements par sort, mêmement[792] par si long temps. Épistémon dit à Pantagruel : « Histoire parallèle nous conte l’on d’un prévôt de Montlhéry. Mais que diriez-vous de cetui heur des dés continué en succès de tant d’années ? Pour un ou deux jugements ainsi donnés à l’aventure, je ne m’ébahirais, mêmement en matières de soi ambiguës, intrinquées[793], perplexes et obscures. »


COMMENT PANURGE SE CONSEILLE À TRIBOULET.

Au sixième jour subséquent, Pantagruel fut de retour, en l’heure que, par eau de Blois, était arrivé Triboulet. Panurge, à sa venue, lui donna une vessie de porc bien enflée et résonnante à cause des pois qui dedans étalent ; plus une épée de bois bien dorée, plus une petite gibecière faite d’une coque de tortue, plus une bouteille clissée pleine de vin breton et un quarteron de pommes blandureau. « Comment, dit Carpalim, est-il fou comme un chou à pommes ? » Triboulet ceignit l’épée et la gibecière, prit la vessie en main, mangea part des pommes, but tout le vin. Panurge le regardait curieusement et dit : « Encore ne vis-je onques fol, (et si en ai vu pour plus de dix mille francs) qui ne bût volontiers et à longs traits. » Depuis lui exposa son affaire en paroles rhétoriques et élégantes.

Devant qu’il eût achevé, Triboulet lui bailla un grand coup de poing entre les deux épaules, lui rendit en main la bouteille, le nasardait avec la vessie de porc et, pour toute réponse, lui dit, branlant bien fort la tête : « Par Dieu, Dieu, fol enragé, gare moine, cornemuse de Busançay ! » Ces paroles achevées, s’écarta de la compagnie, et jouait de la vessie, se délectant au mélodieux son des pois. Depuis, ne fut possible tirer de lui mot quelconque, et, le voulant Panurge davantage interroger, Triboulet tira son épée de bois et l’en voulut férir.

« Nous en sommes bien, vraiment, dit Panurge. Voilà belle résolution. Bien fol est-il, cela ne se peut nier, mais plus fol est celui qui me l’amena, et je[794] très fol, qui lui ai communiqué mes pensées.

— C’est, répondit Carpalim, droit visé à ma visière.

— Sans nous émouvoir, dit Pantagruel, considérons ses gestes et ses dits. En iceux j’ai noté mystères insignes, et, plus tant que je soulais[795], ne m’ébahis de ce que les Turcs révèrent tels fols comme musaphis[796] et prophètes. Avez-vous considéré comment sa tête s’est (avant qu’il ouvrît la bouche pour parler) croulée[797] et ébranlée ? Par la doctrine des antiques philosophes, par les cérémonies des mages et observations des jurisconsultes, pouvez juger que ce mouvement était suscité à la venue et inspiration de l’esprit fatidique, lequel, brusquement entrant en débile et pedte substance (comme vous savez qu’en petite tête ne peut être grande cervelle contenue), l’a en telle manière ébranlée que disent les médecins advenir ès membres du corps humain, savoir est part pour la pesanteur et violente impétuosité du faix porté, part pour l’imbécillité[798] de la vertu[799] et organe portant.

« Exemple manifeste est en ceux qui, à jeun, ne peuvent en main porter un grand hanap de vin sans trembler des mains. Ceci jadis nous préfigurait la divinatrice Pythie, quand, avant répondre par l’oracle, écroulait[800] son laurier domestique. Ainsi dit Lampridius que l’empereur Héliogabalus, pour être réputé divinateur, par[801] plusieurs fêtes de son grand idole, entre les retaillats[802] fanatiques, branlait publiquement la tête. Ainsi déclare Plante, en son Ânerie, que Saurias cheminait branlant la tête, comme furieux et hors du sens, faisant peur à ceux qui le rencontraient, et, ailleurs, exposant pourquoi Charmides branlait la tête, dit qu’il était en extase… »


COMMENT PANTAGRUEL ET PANURGE DIVERSEMENT INTERPRÈTENT LES PAROLES DE TRIBOULET.

« Il dit que vous êtes fol ? Et quel fol ? Fol enragé, qui sur vos vieux jours, voulez en mariage vous lier et asservir. Il vous dit : a Gare moine ». Sur mon honneur, que par quelque moine vous serez fait cocu. J’engage mon honneur, chose plus grande ne saurais, fussé-je dominateur unique et pacifique en Europe, Afrique et Asie. Notez combien je défère à notre morosophe[803] Triboulet. Les autres oracles et réponses vous ont résolu pacifiquement cocu, mais n’avaient encore apertement[804] exprimé par qui serait votre femme adultère et vous cocu. Ce noble Triboulet le dit. Et sera le cocuage infâme et grandement scandaleux. Faudra-t-il que votre lit conjugal soit inceste et contaminé par moinerie ?

« Dit outre que serez la cornemuse de Busançay, c’est-à-dire bien corné, cornard et cornu. Et ainsi comme il, voulant au roi Louis douzième demander pour un sien frère le contrôle du sel à Busançay, demanda une cornemuse, vous, pareillement, cuidant[805] quelque femme de bien et d’honneur épouser, épouserez une femme vide de prudence, pleine de vent d’outrecuidance, criarde et mal plaisante, comme une cornemuse. Notez outre que de la vessie il vous nasardait, et vous donna un coup de poing sur l’échiné ; cela présage que d’elle serez battu, nasardé et dérobé, comme dérobe aviez la vessie de porc aux petits enfants de Vaubreton.

— Au rebours, répondit Panurge. Non que je me veuille impudentement exempter du territoire de folie : j’en tiens et en suis, je le confesse. Tout le monde est fol. En Lorraine, Fou est près Tou[806], par bonne discrétion[807]. Tout est fol. Salomon dit que infini est des fols le nombre. À infinité rien ne peut déchoir, rien ne peut être adjoint, comme prouve Aristotèles, et fol enragé serais si, fol étant, fol ne me réputais. C’est ce que pareillement fait le nombre des maniaques et enragés infini. Avicenne dit que de manie infinies sont les espèces. Mais le reste de ses dits et gestes fait pour moi. Il dit à ma femme « Gare moine ». C’est un moineau qu’elle aura en délices, comme avait la Lesbie de Catulle, lequel volera[808] pour mouches et y passera son temps, autant joyeusement que fit onques Domitien le croque-mouche.

« Plus dit qu’elle sera villatique[809] et plaisante comme une belle cornemuse de Saulieu ou de Busançay. Le véridique Triboulet bien a connu mon naturel et mes internes affections, car je vous affirme que plus me plaisent les gaies bergerettes échevelées, esquelles le cul sent le serpolet, que les dames des grandes cours avec leurs riches atours et odorants parfums de maujoint[810]. Plus me plaît le son de la rustique cornemuse que les fredonnements des luths, rebecs et violons auliques[811]. Il m’a donné un coup de poing sur ma bonne femme d’échiné. Pour l’amour de Dieu soit, et en déduction de tant moins de peines du purgatoire. Il ne le faisait par mal. Il pensait frapper quelque page. Il est fol de bien, innocent, je vous affie[812], et pèche qui de lui mal pense. Je lui pardonne de bien bon cœur. Il me nasardait : ce sont petites folâtreries entre ma femme et moi, comme advient à tous nouveaux mariés. »


COMMENT PANTAGRUEL ET PANURGE DÉLIBÈRENT[813] VISITER L’ORACLE DE LA DIVE BOUTEILLE.

« Voici bien un autre point, lequel ne considérez. Est toutefois le nœud de la matière. Il m’a rendu en main la bouteille. Cela que signifie ? Qu’est-ce à dire ?

— Par aventure, répondit Pantagruel, signifie que votre femme sera ivrogne.

— Au rebours, dit Panurge, car elle était vide. Je vous jure l’épine de saint Fiacre en Brie, que notre morosophe[814], l’unique non lunatique Triboulet, me remet[815] à la bouteille, et je rafraîchis de nouveau mon vœu premier, et jure Styx et Achcron en votre présence, lunettes au bonnet porter ne porter braguette à mes chausses que sur mon entreprise je n’aie eu le mot de la Dive Bouteille. Je sais homme prudent et ami mien, qui sait le lieu, le pays et la contrée en laquelle est son temple et oracle. Il nous y conduira sûrement. Allons-y ensemble, je vous supplie ne m’éconduire. Je vous serai un Achates, un Damis et compagnon en tout le voyage. Je vous ai de longtemps connu amateur de pérégrinité[816] et désirant toujours voir et toujours apprendre. Nous verrons choses admirables, et m’en croyez.

— Volontiers, répondit Pantagruel. Mais, avant nous mettre en cette longue pérégrination, pleine de hasard, pleine de dangers évidents…

— Quels dangers ? dit Panurge, interrompant le propos. Les dangers se refuient[817] de moi, quelque part que je sois, sept lieues à la ronde, comme advenant le prince cesse le magistrat, advenant le soleil évanouissent les ténèbres, et comme les maladies fuyaient à la venue du corps saint Martin à Cande.

— À propos, dit Pantagruel, avant nous mettre en voie, de certains points nous faut expédier[818]. Premièrement, renvoyons Triboulet à Blois (ce que fut fait à l’heure, et lui donna Pantagruel une robe de drap d’or frisé) ; secondement, nous faut avoir l’avis et congé du roi mon père. Plus, nous est besoin trouver quelque sibylle pour guide et truchement[819]. »

Panurge répondit que son ami Xénomanes leur suffirait, et d’abondant[820] délibérait[821] passer par le pays de Lanternois, et là prendre quelque docte et utile lanterne laquelle leur serait pour ce voyage ce que fut la sibylle à Énéas, descendant ès champs Élyséens. Carpalim, passant pour la conduite[822] de Triboulet, entendit ce propos et s’écria, disant : « Panurge, ho ! monsieur le quitte, prends milord Debitis à Calais, car il est goud falot[823], et n’oublie debitoribus, ce sont lanternes. Ainsi auras falot et lanternes.

— Mon pronostic est, dit Pantagruel, que par le chemin nous n’engendrerons mélancolie. Jà clairement je l’aperçois. Seulement me déplaît que ne parle bon Lanternois.

— Je, répondit Panurge, le parlerai pour vous tous, je l’entends comme le maternel : il m’est usité comme le vulgaire :

Briszmarg d’algotbric nubstzne zos,
Isquebfz prusq ; alborz crinqs zacbac,
Misbe dilbarlkz morp nipp stancz bos.
Strombtz, Panrge walmap quost grufz bac.

« Or, devine, Épistémon, que c’est.

— Ce sont, répondit Épistémon, noms de diables errants, diables passants, diables rampants.

— Tes paroles sont vraies, dit Panurge, bel ami. C’est le courtisan langage lanternois. Par le chemin, je t’en ferai un petit dictionnaire, lequel ne durera guère plus qu’une paire de souliers neufs. Tu l’auras plus tôt appris que jour levant sentir. Ce que j’ai dit, translaté de lanternois en vulgaire, chante ainsi :

Tout malheur, étant amoureux,
M’accompagnait : onq n’y eus bien.
Gens mariés plus sont heureux :
Panurge l’est et le sait bien.

— Reste donc, dit Pantagruel, le vouloir du roi mon père entendre et licence de lui avoir. »


COMMENT GARGANTUA REMONTRE N’ÊTRE LICITE ÈS ENFANTS SOI MARIER SANS LE SU ET AVEU DE LEURS PÈRES ET MÈRES.

Entrant Pantagruel en la salle grande du château, trouva le bon Gargantua issant[824] du conseil, lui fit narré[825] sommaire de leurs aventures, exposa leur entreprise, et le supplia que, par son vouloir et congé, la pussent mettre en exécution. Le bon homme Gargantua tenait en ses mains deux gros paquets de requêtes répondues et mémoires de répondre, les bailla à Ulrich Gallet, son antique maître des libelles[826] et requêtes, tira à part Pantagruel, et, en face plus joyeuse que de coutume lui dit : « Je loue Dieu, fils très cher, qui vous conserve en désirs vertueux, et me plaît très bien que par vous soit le voyage parfait ; mais je voudrais que pareillement vous vînt en vouloir et désir vous marier. Me semble que dorénavant venez en âge à ce compétent. Panurge s’est assez efforcé rompre les difficultés qui lui pouvaient être en empêchement. Parlez pour vous.

— Père très débonnaire, répondit Pantagruel, encore n’y avais-je pensé. De tout ce négoce, je me déportais[827] sur votre bonne volonté et paternel commandement. Plutôt prie Dieu être à vos pieds vu roide mort en votre déplaisir que, sans votre plaisir, être vu vif[828] marié. Je n’ai jamais entendu que par loi aucune, fût[829] sacrée, fût profane et barbare, ait été en arbitre des enfants soi marier, non consentants, voulants et promouvants[830] leurs pères, mères et parents prochains. Tous législateurs ont ès enfants cette liberté tollue[831], ès parents l’ont réservée.

— Fils très cher, dit Gargantua, je vous en crois, et loue Dieu qu’à votre notice[832] ne viennent que choses bonnes et louables, et que, par les fenêtres de vos sens, rien n’est on[833] domicile de votre esprit entré fors libéral savoir ; car, de mon temps, a été par le continent trouvé pays onquel ne sais quels pastophores[834] taupetiers[835], autant abhorrents[836] de noces comme les pontifes de Cybèle en Phrygie (si chapons fussent, et non Gals pleins de salacité et lascivie[837]) lesquels ont dit lois ès gens mariés sur le fait de mariage. Et ne sais que plus doive abominer, ou la tyrannique présomption d’iceux redoutés taupetiers, qui ne se contiennent dedans les treillis de leurs mystérieux temples et s’entremettent de négoces contraires par diamètre entier[838] à leurs états, ou la superstitieuse stupidité des gens mariés qui ont sanxi[839] et prêté obéissance à telles tant malignes et barbares lois. Et ne voient (ce que plus clair est que l’étoile matute[840]) comme telles sanctions connubiales toutes sont à l’avantage de leurs mystes[841] nulles au bien et profit des mariés, qui est cause suffisante pour les rendre suspectes comme iniques et fraudulentes.

« Par réciproque témérité pourraient-ils lois établir à leurs mystes sur le fait de leurs cérémonies et sacrifices, attendu que leurs biens ils déciment et rognent du gain provenant de leurs labeurs et sueur de leurs mains, pour en abondance les nourrir et en aise les entretenir. Et ne seraient, selon mon jugement, tant perverses et impertinentes comme celles sont lesquelles d’eux ils ont reçues. Car, comme très bien avez dit, loi on[842] monde n’était, qui ès enfants liberté de soi marier donnât, sans le su, l’aveu et le consentement de leurs pères. Moyennant les lois dont je vous parle, n’est rufian, forfant[843], scélérat, pendard, puant, punais, ladre, brigand, voleur, méchant en leurs contrées, qui violentement ne ravisse quelque fille il voudra choisir, (tant soit noble, belle, riche, honnête, pudique que sauriez dire) de la maison de son père, d’entre les bras de sa mère, malgré tous ses parents, si le rufian s’y a une fois associé quelque myste, qui quelque jour participera de la proie.

« Feraient pis et acte plus cruel les Goths, les Scythes, les Massagètes, en place ennemie, par longtemps assiégée, à grands frais oppugnée[844], prise par force ? Et voient les dolents pères et mères hors leurs maisons enlever et tirer par un inconnu, étranger, barbare, mâtin, tout pourri, chancreux, cadavéreux, pauvre, malheureux, leurs tant belles, délicates, riches et saines filles, lesquelles tant chèrement avaient nourries en tout exercice vertueux, avaient disciplinées[845] en toute honnêteté, espérants en temps opportun les colloquer par mariage avec les enfants de leurs voisins et antiques amis, nourris et institués de même soin, pour parvenir à cette félicité de mariage que d’eux ils vissent naître lignage rapportant et héréditant[846] non moins aux mœurs de leurs pères et mères qu’à leurs biens meubles et héritages. Quel spectacle pensez-vous que ce leur soit ? Ne croyez que plus énorme fut la désolation du peuple romain et ses confédérés, entendants le décès de Germanicus Drusus.

« Ne croyez que plus pitoyable fut le déconfort des Lacédémoniens quand de leur pays virent, par l’adultère troyen, furtivement enlever Hélène grecque.

« Ne croyez leur deuil et lamentations être moindres que de Cérès quand lui fut ravie Proserpine, sa fille, que d’Isis à la perte d’Osiris, de Vénus à la mort d’Adonis, d’Hercules à l’égarement d’Hylas, d’Hécuba à la soustraction de Polyxène.

« Ils toutefois tant sont de crainte du démon et superstitiosité épris, que contredire ils n’osent, puisque le taupetier[847] y a été présent et contractant, et restent en leurs maisons, privés de leurs filles tant aimées, le père maudissant le jour et heure de ses noces, la mère regrettant que n’était avortée en tel tant triste et malheureux enfantement. Et en pleurs et lamentations finissent leur vie, laquelle était de raison finir en joie et bon traitement d’icelles.

« Autres tant ont été extatiques et comme maniaques, qu’eux-mêmes de deuil et regret se sont noyés, pendus, tués, impatients[848] de telle indignité.

« Autres ont eu l’esprit plus héroïque, et, à l’exemple des enfants de Jacob vengeant le rapt de Dinah leur sœur, ont trouvé le rufian, associé de son taupetier, clandestinement parlementants et subornants leurs filles, les ont sur l’instant mis en pièces et occis félonement, leurs corps après jetants ès loups et corbeaux parmi les champs. Auquel acte tant viril et chevalereux ont les symmistes[849] taupetiers frémi et lamenté misérablement, ont formé complaintes horribles, et en toute importunité requis et imploré le bras séculier et justice politique, instants[850] fièrement[851] et contendants[852] être de tels cas faite exemplaire punition. Mais, ni en équité naturelle, ni en droit des gens, ni en loi impériale quelconque, n’a été trouvé rubrique, paragraphe, point, ni titre par lequel fût peine ou torture à tel fait interminée[853], raison obsistant[854], nature répugnante, car homme vertueux on[855] monde n’est qui naturellement et par raison plus ne soit en son sens perturbé, oyant les nouvelles du rapt, diffame et déshonneur de sa fille que de sa mort. Or est qu’un chacun, trouvant le meurtrier sur le fait d’homicide en la personne de sa fille, iniquement et de guet-apens, le peut par raison, le doit par nature occire sur l’instant, et n’en sera par justice appréhendé[856].

« Merveilles donc n’est si, trouvant le rufian, à la promotion[857] du taupetier, sa fille subornant et hors sa maison ravissant, quoiqu’elle en fût consentante, les peut, les doit à mort ignominieusement mettre et leurs corps jeter en direption[858] des bêtes brutes, comme indignes de recevoir le doux, le désiré, le dernier embrassement de l’alme[859] et grande mère la terre, lequel nous appelons sépulture.

« Fils très cher, après mon décès, gardez que telles lois ne soient en cetui royaume reçues. Tant que serai en ce corps spirant[860] et vivant, j’y donnerai ordre très bon, avec l’aide de mon Dieu. Puis donc que de votre mariage sur moi vous déportez[861], j’en suis d’opinion. J’y pourvoirai. Apprêtez-vous au voyage de Panurge. Prenez avec vous Épistémon, frère Jean, et autres que choisirez.

« De mes trésors faites à votre plein arbitre. Tout ce que ferez ne pourra ne me plaire. En mon arsenal de Thalasse prenez équipage tel que voudrez : tels pilotes, nochers[862], truchements[863] que voudrez, et, à vent opportun faites voile, au nom et protection du Dieu servateur[864]. Pendant votre absence je ferai les apprêts et d’une femme vôtre, et d’un festin, que je veux à vos noces faire célèbre si onques en fut. »


COMMENT PANTAGRUEL FIT SES APPRÊTS POUR MONTER SUR MER.

Peu de jours après, Pantagruel, avoir pris congé du bon Gargantua, lui bien priant pour le voyage de son fils, arriva au port de Thalasse, près Sammalo[865], accompagné de Panurge, Épistémon, frère Jean des Entommeures, abbé de Thélème, et autres de la noble maison, notamment de Xénomanes, le grand voyageur et traverseur des voies périlleuses, lequel était venu au mandement de Panurge, parce qu’il tenait je ne sais quoi en arrière-fief de la châtellenie de Salmigondin. Là arrivés, Pantagruel dressa équipage de navires, à nombre de celles[866] qu’Ajax de Salamine avait jadis menées en convoi des Grégeois à Troie. Nochers, pilotes, hespaliers[867], truchements, artisans, gens de guerre, vivres, artillerie, munitions, robes[868], deniers, et autres hardes prit et chargea, comme était besoin pour long et hasardeux voyage…


titre de l’édition originale

LE QUART LIVRE
des faits et dits héroïques du noble Pantagruel,
composé par M. François Rabelais,
docteur en médecine.

COMMENT PANTAGRUEL MONTA SUR MER POUR VISITER L’ORACLE DE LA DIVE BACBUC.


On[869] mois de juin, au jour des fêtes Vestales, celui propre onquel Brutus conquêta Espagne et subjugua les Espagnols, onquel aussi Crassus l’avaricieux fut vaincu et défait par les Parthes, Pantagruel, prenant congé du bon Gargantua, son père, icelui bien priant (comme en l’Église primitive était louable coutume entre les saints christians) pour le prospère navigage[870] de son fils et toute sa compagnie, monta sur mer au port de Thalasse, accompagné de Panurge, frère Jean des Entommeures, Épistémon, Gymnaste, Eusthènes, Rhizotome, Carpalim et autres siens serviteurs et domestiques anciens, ensemble de Xénomanes, le grand voyageur et traverseur des voies périlleuses, lequel, certains jours paravant, était arrivé au mandement de Panurge. Icelui, pour certaines et bonnes causes, avait à Gargantua laissé et signé, en sa grande et universelle hydrographie, la route qu’ils tiendraient visitant l’oracle de la dive bouteille Bacbuc.

Le nombre des navires fut tel que vous ai exposé on tiers livre, en conserve[871] de trirèmes, ramberges[872], galions et liburniques[873] nombre pareil, bien équipées, bien calfatées, bien munies, avec abondance de Pantagruélion[874]. L’assemblée de tous officiers, truchements[875], pilotes, capitaines, nochers, fadrins[876], hespalliers[877] et matelots fut en la thalamège. Ainsi était nommée la grande et maîtresse nef de Pantagruel ayant en poupe pour enseigne une grande et ample bouteille, à moitié d’argent bien lisse et poli ; l’autre moitié était d’or émaillé de couleur incarnat. En quoi facile était de juger que blanc et clairet étaient les couleurs des nobles voyagers, et qu’ils allaient pour avoir le mot de la Bouteille.

Sur la poupe de la seconde était haut enlevée une lanterne antiquaire, faite industrie usement de pierre sphengitide et spéculaire[878], dénotant qu’ils passeraient par Lanternois.

La tierce pour devise avait un beau et profond hanap de porcelaine. La quarte, un potet d’or à deux anses, comme si fût une urne antique. La quinte, un broc insigne de sperme d’émeraude. La sixième, un bourrabaquin[879] monacal, fait de quatre métaux ensemble. La septième, un entonnoir d’ébène, tout requamé[880] d’or, à ouvrage de tauchie[881]. La huitième, un gobelet de lierre bien précieux, battu d’or à la damasquine. La neuvième, une brinde[882] de fin or obrisé[883]. La dixième, une breusse[884] d’odorant agaloche (vous l’appelez bois d’aloës), porfilée[885] d’or de Chypre, à ouvrage d’azemine[886]. L’onzième, une portoire[887] d’or faite à la mosaïque. La douzième, un barrau[888] d’or terni, couvert d’une vignette de grosses perles indiques[889], en ouvrage topiaire[890]. De mode que personne n’était, tant triste, fâché, rechigné ou mélancolique fût, voire y fût Héraclitus, le pleurard, qui n’entrât en joie nouvelle, et de bonne rate ne sourit, voyant ce noble convoi de navires en leurs devises, ne dît que les voyagiers étaient tous buveurs gens de bien, et ne jugeât en pronostic assuré que le voyage, tant de l’aller que du retour, serait en allégresse et santé parfaite.

En la thalamège donc fut l’assemblée de tous. Là Pantagruel leur fit une brève et sainte exhortation, toute autorisée de propos extraits de la sainte Écriture sur l’argument de navigation. Laquelle finie, fut haut et clair faite prière à Dieu, oyants et entendants tous les bourgeois et citadins de Thalasse, qui étaient sur le môle accourus pour voir l’embarquement.

Après l’oraison, fut mélodieusement chanté le psaume du saint roi David, lequel commence Quand Israël hors d’Égypte sortit. Le psaume parachevé, furent sur le tillac les tables dressées, et viandes[891] promptement apportées. Les Thalassiens, qui pareillement avaient le psaume susdit chanté, firent de leurs maisons force vivres et vinage[892] apporter. Tous burent à eux. Ils burent à tous. Ce fut la cause pourquoi personne de l’assemblée onques par la marine[893] ne rendit sa gorge et n’eut perturbation d’estomac ni de tête. Auxquels inconvénients n’eussent tant commodément obvié, buvants par quelques jours paravant de l’eau marine, ou pure ou mixtionnée avec le vin, usants de chair de coings, d’écorce de citron, de jus de grenades aigres-douces, ou tenants longue diète, ou se couvrants l’estomac de papier, ou autrement faisants ce que les fols médecins ordonnent à ceux qui montent sur mer.

Leurs buvettes souvent réitérées, chacun se retira en sa nef, et en bonne heure firent voile au vent grec levant, selon lequel le pilote principal, nommé Jamet Brayer, avait désigné la route et dressé la calamité[894] de toutes les boussoles. Car l’avis sien, et de Xénomanes aussi, fut, vu que l’oracle de la dive Bacbuc était près le Catay en Indie[895] supérieure, ne prendre la route ordinaire des Portugalais, lesquels, passants la ceinture ardente[896] et le cap de Bona Speranza sur la pointe méridionale d’Afrique, outre[897] l’équinoxial, et perdant la vue et guide de l’aisseuil[898] septentrional, font navigation énorme, ains[899] suivre au plus près le parallèle de ladite Indie et girer[900] autour d’icelui pôle par occident, de manière que, tournoyants sous septentrion, l’eussent en pareille élévation comme il est au port d’Olonne, sans plus en approcher, de peur d’entrer et d’être retenus en la mer Glaciale, et suivant ce canonique[901] détour par même parallèle, l’eussent à dextre, vers le levant, qui au département[902] leur était à senestre.

Ce que leur vint à profit incroyable, car sans naufrage, sans danger, sans perte de leurs gens, en grande sérénité (excepté un jour près l’île des Macréons) firent le voyage d’Indie supérieure en moins de quatre mois, lequel à peine feraient les Portugalais en trois ans, avec mille fâcheries et dangers innombrables. Et suis en cette opinion, sauf meilleur jugement, que telle route de fortune fut suivie par ces Indiens qui naviguèrent en Germanie et furent honorablement traités par le roi des Suèdes, on[903] temps que Q. Metellus Celer était proconsul en Gaule, comme décrivent Cor. Nepos, Pomp. Mela et Pline après eux.


COMMENT PANTAGRUEL, EN L’ÎLE DE MÉDAMOTHI, ACHETA PLUSIEURS BELLES CHOSES.

Cetui jour et les deux subséquents, ne leur apparut terre ni chose autre nouvelle, car autrefois avaient aré[904] cette route. Au quatrième découvrirent Une île nommée Médamothi, belle à l’œil et plaisante, à cause du grand nombre des phares et hautes tours marbrines[905] desquelles tout le circuit[906] était orné, qui n’était moins grand que de Canada.

Pantagruel, s’enquérant qui en était dominateur, entendit que c’était le roi Philophanes, lors absent pour le mariage de son frère Philothéamon avec l’infante du royaume d’Engys. Adonc descendit on[907] havre, contemplant, cependant que les chourmes[908] des nefs faisaient aignade[909], divers tableaux, diverses tapisseries, divers animaux, poissons, oiseaux et autres marchandises exotiques et pérégrines[910], qui étaient en l’allée du môle et par les halles du port, car c’était le tiers jour des grandes et solennes[911] foires du lieu, esquelles annuellement convenaient[912] tous les plus riches et fameux marchands d’Afrique et Asie. D’entre lesquelles frère Jean acheta deux rares et précieux tableaux, en l’un desquels était au vif peint le visage d’un appelant, en l’autre était le portrait d’un valet qui cherche maître, en toutes qualités requises, gestes, maintien, minois, allures, physionomie et affections[913], peint et inventé par maître Charles Charmois, peintre du roi Mégiste, et les paya en monnaie de singe.

Panurge acheta un grand tableau peint et transsumpt[914] de l’ouvrage jadis fait à l’aiguille par Philoméla, exposante et représentante à sa sœur Progné comment son beau-frère Téreus l’avait dépucelée et sa langue coupée, afin que tel crime ne décelât. Je vous jure, par le manche de ce falot, que c’était une peinture galante et mirifique. Ne pensez, je vous prie, que ce fut le portrait d’un homme couplé sur une fille. Cela est trop sot et trop lourd. La peinture était bien autre et plus intelligible. Vous la pourrez voir en Thélème, à main gauche, entrants en la haute galerie.

Épistémon en acheta un autre, onquel étaient au vif peintes les idées de Platon et les atomes d’Épicurus. Rhizotome en acheta un autre onquel était Écho selon le naturel représentée.

Pantagruel par Gymnaste fit acheter la vie et gestes d’Achilles, en soixante et dix-huit pièces de tapisserie à hautes lisses, longues de quatre, larges de trois toises, toutes de soie phrygienne, recamée[915] d’or et d’argent. Et commençait la tapisserie aux noces de Péleus et Thétis, continuant la nativité d’Achilles, sa jeunesse décrite par Stace Papinie, ses gestes et faits d’armes célébrés par Homère, et exèques[916] décrits par Ovide et Quinte Calabrais, finissant en l’apparition de son ombre, et sacrifice de Polyxène décrit par Euripides.

Fit aussi acheter trois beaux et jeunes unicornes[917] : un mâle, de poil alezan tostade[918], et deux femelles de poil gris pommelé. Ensemble un tarande, que lui vendit un Scythien de la contrée des Gélones.

Tarande est un animal grand comme un jeune taureau, portant tête comme est d’un cerf, peu plus grande, avec cornes insignes largement ramées, les pieds fourchus, le poil long comme d’un grand ours, la peau peu moins dure qu’un corps de cuirasse. Et disait le Gélon peu en être trouvé parmi la Scythie, parce qu’il change de couleur selon la variété des lieux esquels il paît et demeure, et représente la couleur des herbes arbres, arbrisseaux, fleurs, lieux, pâtis, rochers, généralement de toutes choses qu’il approche.

Cela lui est commun avec le poulpe marin, c’est le polype, avec les thoës[919], avec les lycaons d’Inde, avec le caméléon, qui est une espèce de lézard tant admirable que Démocritus a fait un livre entier de sa figure, anatomie, vertus et propriété en magie. Si est ce que je l’ai vu couleur changer, non à l’approche seulement des choses colorées, mais de soi-même, selon la peur et affections[920] qu’il avait. Comme sur un tapis vert, je l’ai vu certainement verdoyer, mais y restant quelque espace de temps, devenir jaune, bleu, tanné, violet par succès[921], en la façon que voyez la crête des coqs d’Inde couleur selon leurs passions changer. Ce que surtout trouvâmes en cetui tarande admirable est que, non seulement sa face et peau, mais aussi tout son poil telle couleur prenait qu’elle était ès choses voisines. Près de Panurge vêtu de sa toge bure, le poil lui devenait gris ; près de Pantagruel vêtu de sa mante d’écarlate, le poil lui rougissait ; près du pilote, vêtu à la mode des Isiaces[922] d’Anubis en Égypte, son poil apparut tout blanc, lesquelles deux dernières couleurs sont au caméléon dépiées[923]. Quand hors toute peur et affections[924] il était en son naturel, la couleur de son poil était telle que voyez ès ânes de Meung.


COMMENT PANTAGRUEL REÇUT LETTRES DE SON PÈRE GARGANTUA, ET DE L’ÉTRANGE MANIÈRE DE SAVOIR NOUVELLES BIEN SOUDAIN DES PAYS ÉTRANGERS ET LOINTAINS.

Pantagruel occupé en l’achat de ces animaux pérégrins[925], furent ouïs du môle dix coups de verses[926] et fauconneaux, ensemble grande et joyeuse acclamation de toutes les nefs. Pantagruel se tourne vers le havre, et voit que c’était une des céloces[927] de son père Gargantua, nommé la Chélidoine[928], pour ce que, sur la poupe, était en sculpture d’airain corinthien une hirondelle de mer élevée. C’est un poisson grand comme un dard de Loire, tout charnu, sans esquames[929], ayant ailes cartilagineuses qu’elles[930] sont ès souris chauves, fort longues et larges, moyennant lesquelles je l’ai souvent vu voler une toise au-dessus l’eau, plus d’un trait d’arc. À Marseille, on le nomme lendole. Ainsi était ce vaisseau léger comme une hirondelle, de sorte que plutôt semblait sur mer voler que voguer. En icelui était Malicorne, écuyer tranchant de Gargantua, envoyé expressément de par lui entendre l’état et portement[931] de son fils le bon Pantagruel, et lui porter lettres de créance. Pantagruel, après la petite accolade et barretade[932] gracieuse, avant ouvrir les lettres ni autres propos tenir à Malicorne, lui demanda :

« Avez-vous ici le gozal[933], céleste messager ?

— Oui, répondit-il, il est en ce panier emmailloté. » C’était un pigeon pris on colombier de Gargantua, éclouant[934] ses petits sur l’instant que le susdit céloce départait. Si fortune adverse fût à Pantagruel advenue, il y eût des jets[935] noirs attachés ès pieds ; mais pour ce que tout lui était venu à bien et prospérité, l’ayant fait démailloter, lui attacha ès pieds une bandelette de taffetas blanc, et, sans plus différer, sur l’heure le laissa en pleine liberté de l’air. Le pigeon soudain s’envole, hachant en incroyable hâtiveté, comme vous savez qu’il n’est vol que de pigeon quand il a œufs ou petits, pour l’obstinée sollicitude en lui par nature posée de recourir et secourir ses pigeonneaux. De mode qu’en moins de deux heures il franchit par l’air le long chemin qu’avait le céloce en extrême diligence par trois jours et trois nuits parfait, voguant à rames et à voiles et lui continuant vent en poupe. Et fut vu entrant dedans le colombier on[936] propre nid de ses petits. Adonc entendant le preux Gargantua qu’il portait la bandelette blanche, resta en joie et sûreté du bon portement de son fils.

Telle était l’usance des nobles Gargantua et Pantagruel, quand savoir promptement nouvelles de quelque chose fort affectée[937] et véhémentement désirée, comme l’issue de quelque bataille, tant par mer comme par terre, la prise ou défense de quelque place forte, l’appointement[938] de quelques différends d’importance, l’accouchement heureux ou infortuné de quelque reine ou grande dame, la mort ou convalescence de leurs amis et alliés malades, et ainsi des autres. Ils prenaient le gozal, et par les postes le faisaient de main en main jusques sur les lieux porter dont ils affectaient[939] les nouvelles. Le gozal, portant bandelette noire ou blanche selon les occurences et accidents, les ôtait de pensement[940] à son retour, faisant en une heure plus de chemin par l’air que n’avaient fait par terre trente postes en un jour naturel. Cela était racheter et gagner temps. Et croyez comme chose vraisemblable que, par les colombiers de leurs cassines[941], on trouvait sur œufs ou petits, tous les mois et saisons de l’an, les pigeons à foison, ce qu’est facile en ménagerie[942], moyennant le salpêtre en roche et la sacrée herbe verveine.

Le gozal lâché, Pantagruel lut les missives de son père Gargantua, desquelles la teneur ensuit :


« Fils très cher, l’affection que naturellement porte le père à son fils bien-aimé est en mon endroit tant accrue par l’égard et révérence des grâces particulières en toi par élection divine posées que, depuis ton partement[943], m’a non une fois tollu[944] tout autre pensement, me délaissant en cœur cette unique et soigneuse[945] peur que votre embarquement ait été de quelque meshaing[946] ou fâcherie accompagné ; comme tu sais qu’à la bonne et sincère amour est crainte perpétuellement annexée. Et pour ce que, selon le dit[947] d’Hésiode, d’une chacune chose le commencement est la moitié du tout, et, selon le proverbe commun, à l’enfourner on fait les pains cornus, j’ai, pour de telle anxiété vider mon entendement, expressément dépêché[948] Malicorne, à ce que de par lui je sois acertainé[949] de ton portement[950] sur les premiers jours de ton voyage, car, s’il est prospère et tel que je le souhaite, facile me sera prévoir, pronostiquer et juger du reste. J’ai recouvert[951] quelques livres joyeux, lesquels te seront par le présent porteur rendus[952]. Tu les liras, quand te voudras rafraîchir[953] de tes meilleures études. Ledit porteur te dira plus amplement toutes nouvelles de cette cour. La paix de l’Éternel soit avec toi. Salue Panurge, frère Jean, Épistémon, Xénomanes, Gymnaste, et autres tes domestiques, mes bons amis. De ta maison paternelle, ce treizième de juin.

« Ton père et ami,

« Gargantua. »

COMMENT PANTAGRUEL ÉCRIT À SON PÈRE GARGANTUA ET LUI ENVOIE PLUSIEURS BELLES ET RARES CHOSES.

Après la lecture des lettres susdites, Pantagruel tint plusieurs propos avec l’écuyer Malicorne, et fut avec lui si longtemps que Panurge, interrompant, lui dit : « Et quand boirez-vous ? Quand boirons-nous ? Quand boira monsieur l’écuyer ? N’est-ce assez sermonné pour boire ?

— C’est bien dit, répondit Pantagruel. Faites dresser la collation en cette prochaine hôtellerie, en laquelle pend pour enseigne l’image d’un satyre à cheval. Cependant pour la dépêche[954] de l’écuyer, il écrivit à Gargantua comme s’ensuit :


« Père très débonnaire, comme à tous accidents en cette vie transitoire non doutés[955] ni soupçonnés, nos sens et nos facultés animales pâtissent[956] plus énormes et impotentes[957] perturbations (voire jusques à en être souvent l’âme désemparée[958] du corps, quoique telles subites nouvelles fussent à contentement et souhait) que si eussent auparavant été propensées[959] et prévues, ainsi m’a grandement ému et perturbé l’inopinée venue de votre écuyer Malicorne, car je n’espérais aucun voir de vos domestiques, ni de vos nouvelles ouïr, avant la fin de cetui notre voyage, et facilement acquiesçais[960] en la douce recordation[961] de votre auguste majesté, écrite, voire certes insculpée et engravée[962] on postérieur ventricule de mon cerveau, souvent au vif me la représentant en sa propre et naïve[963] figure.

« Mais, puisque m’avez prévenu par le bénéfice de vos gracieuses lettres, et par la créance[964] de votre écuyer mes esprits recréé en nouvelles de votre prospérité et santé, ensemble[965] de toute votre royale maison, force m’est, ce que par le passé m’était volontaire, premièrement louer le benoît Servateur, lequel, par sa divine bonté, vous conserve en ce long teneur[966] de santé parfaite ; secondement, vous remercier sempiternellement de cette fervente et invétérée affection qu’à moi portez, votre très humble fils et serviteur inutile. Jadis un Romain, nommé Furnius, dit à César Auguste, recevant à grâce et pardon son père lequel avait suivi la faction d’Antonius : « Aujourd’hui me faisant ce bien, tu m’as réduit en telle ignominie que force me sera, vivant, mourant, être ingrat réputé par impotence[967] de gratuité[968]. » Ainsi pourrai-je dire que l’excès de votre paternelle affection me range en cette angustie[969] et nécessité qu’il me conviendra vivre et mourir ingrat, sinon que[970] de tel crime sois relevé par la sentence des Stoïciens, lesquels disaient trois parties être en bénéfice[971], l’une du donnant, l’autre du recevant, la tierce du récompensant, et le recevant très bien récompenser le donnant quand il accepte volontiers le bienfait et le retient en souvenance perpétuelle, comme, au rebours, le recevant être le plus ingrat du monde, qui mépriserait et oublierait le bénéfice.

« Étant donc opprimé d’obligations infinies, toutes procréées de votre immense bénignité, et impotent à la minime partie de récompense, je me sauverai pour le moins de calomnie en ce que de mes esprits n’en sera à jamais la mémoire abolie et ma langue ne cessera confesser et protester que vous rendre grâces condignes[972] est chose transcendante ma faculté et puissance.

« Au reste, j’ai cette confiance en la commisération de Notre-Seigneur, que, de cette notre pérégrination, la fin correspondra au commencement, et sera le totage[973] en allégresse et santé parfait. Je ne faudrai[974] à réduire en commentaires et éphémérides tout le discours de notre navigage[975], afin qu’à notre retour vous en ayez lecture véridique.

« J’ai trouvé ici un tarande de Scythie, animal étrange et merveilleux à cause des variations de couleur en sa peau et poil, selon la distinction des choses prochaines[976]. Vous le prendrez en gré. Il est autant maniable et facile à nourrir qu’un agneau. Je vous envoie pareillement trois jeunes unicornes[977], plus domestiques et apprivoisées que ne seraient petits chatons. J’ai conféré avec l’écuyer et dit la manière de les traiter. Elles ne pâturent en terre, obstant[978] leur longue corne on[979] front. Force est que pâture elles prennent es arbres fruitiers ou en râteliers idoines[980], ou en main, leur offrant herbes, gerbes, pommes, poires, orge, touzelle[981], bref toutes espèces de fruits et légumages[982]. Je m’ébahis comment nos écrivains antiques les disent tant farouches, féroces et dangereuses, et onques vives[983] n’avoir été vues. Si bon vous semble ferez épreuve du contraire et trouverez qu’en elles consiste une mignotise[984] la plus grande du monde, pourvu que malicieusement on ne les offense.

« Pareillement vous envoie la vie et gestes d’Achilles en tapisserie bien belle et industrieuse, vous assurant que les nouveautés d’animaux, de plantes, d’oiseaux, de pierreries, que trouver pourrai et recouvrer en toute notre pérégrination, toutes je vous porterai, aidant Dieu notre Seigneur, lequel je prie en sa sainte grâce vous conserver.

« De Medamothi, ce quinzième de juin, Panurge, frère Jean, Épistémon, Xénomanes, Gymnaste, Eusthènes, Rhizotome, Carpalim, après le dévot baisemain, vous resaluent en usure centuple.

« Votre humble fils et serviteur,

« Pantagruel. »

Pendant que Pantagruel écrivait les lettres susdites, Malicorne fut de tous festoyé, salué et accollé à double rebras[985]. Dieu sait comment tout allait et comment recommandations de toutes parts trottaient en place ! Pantagruel, avoir[986] parachevé ses lettres, banqueta avec l’écuyer et lui donna une grosse chaîne d’or, pesante huit cents écus, en laquelle, par les chaînons septénaires, étaient gros diamants, rubis, émeraudes, turquoises, unions[987], alternativement enchâssés. À un chacun de ses nochers[988] fit donner cinq cents écus au soleil. À Gargantua son père envoya le tarande couvert d’une housse de satin broché d’or, avec la tapisserie contenant la vie et gestes d’Achilles et les trois unicomes caparaçonnées de drap d’or frisé. Ainsi départirent[989] de Médamothi, Malicorne pour retourner vers Gargantua, Pantagruel pour continuer son navigage[990]. Lequel en haute mer, fit lire par Épistémon les livres apportés par l’écuyer, desquels, pour ce qu’il les trouva joyeux et plaisants, le transsumpt[991] volontiers vous donnerai, si dévotement le requérez.


COMMENT PANTAGRUEL RENCONTRA UNE NEF DE VOYAGERS RETOURNANTS DU PAYS LANTERNOIS.

Au cinquième jour, jà[992] commençants tournoyer le pôle peu à peu, nous éloignants de l’équinoxial, découvrîmes un navire marchand faisant voile à horche[993] vers nous. La joie ne fut petite, tant de nous comme des marchands ; de nous, entendants nouvelle de la marine[994] ; d’eux, entendants nouvelles de terre ferme. Nous ralliants avec eux, connûmes qu’ils étaient Français Saintongeais. Devisant et raisonnant ensemble, Pantagruel entendit qu’ils venaient de Lanternois, dont eut nouveau accroissement d’allégresse. Aussi eut toute l’assemblée, mêmement nous enquêtants de l’état du pays et mceurs du peuple lanternier, et ayants avertissement que, snr la fin de juillet subséquent, était l’assignation du chapitre général des Lanternes, et que, si lors y arrivions, comme facile nous était, verrions belle, honorable et joyeuse compagnie des Lanternes, et que l’on y faisait grands apprêts, comme si l’on y dût profondément lanterner. Nous fut aussi dit que, passants le grand royaume de Gébarim, nous serions honorifiquement reçus et traités par le roi Ohabé, dominateur d’icelle terre, lequel et tous ses sujets pareillement parlent langage français tourangeau.

Cependant que nous entendions ces nouvelles, Panurge prend débat avec un marchand de Taillebourg, nommé Dindenault. L’occasion du débat fut telle. Ce Dindenault, voyant Panurge sans braguette, avec ses lunettes attachées au bonnet, dit de lui à ses compagnons : « Voyez là une belle médaille de cocu ! » Panurge, à cause de ses lunettes, oyait des oreilles beaucoup plus clair que de coutume. Donc, entendant ce propos, demanda au marchand : « Comment diable serais-je cocu, qui ne suis encore marié, comme tu es, selon que juger je peux à ta trogne mal gracieuse ?

— Oui vraiment, répondit le marchand, je le suis, et ne voudrais ne l’être pour toutes les lunettes d’Europe, non pour toutes les besicles d’Afrique, car j’ai une des plus belles, plus avenantes, plus honnêtes, plus prudes femmes en mariage, qui soit en tout le pays de Saintonge, et n’en déplaise aux autres. Je lui porte de mon voyage une belle et de onze poucées[995] longue branche de corail rouge pour ses étrennes. Qu’en as-tu à faire ? De quoi te mêles-tu ? Qui es-tu ? Dont es-tu ? Ô lunetier de l’antéchrist, réponds si tu es de Dieu.

— Je te demande, dit Panurge, si, par consentement et convenance de tous les éléments, j’avais sacsacbésevésinemassé[996] ta tant belle, tant avenante, tant honnête, tant prude femme ; de mode que le raide dieu des jardins Priapus, lequel ici habite en liberté, sujétion forcluse[997] de braguettes attachées, lui fût on corps demeuré, en tel désastre que jamais n’en sortirait, éternellement y resterait sinon que tu le tirasses avec les dents, que ferais-tu ? Le laisserais-tu là sempiternellement, ou bien le tirerais-tu à belles dents ? Réponds, ô bélinier[998] de Mahomet, puisque tu es de tous les diables.

— Je te donnerais, répondit le marchand, un coup d’épée sur cette oreille lunetière et te tuerais comme un bélier. » Ce disant dégainait son épée. Mais elle tenait au fourreau, comme vous savez que, sur mer, tous harnois[999] facilement chargent rouille, à cause de l’humidité excessive et nitreuse. Panurge recourt vers Pantagruel à secours. Frère Jean mit la main à son braquemard fraîchement émoulu, et eût félonnement occis le marchand, ne fût que le patron de la nef et autres passagers supplièrent Pantagruel n’être fait scandale en son vaisseau. Dont fut appointé[1000] tout leur différend, et touchèrent les mains ensemble Panurge et le marchand, et burent d’autant l’un à l’autre de hait[1001], en signe de parfaite réconciliation.


COMMENT, LE DÉBAT APAISÉ, PANURGE MARCHANDE AVEC DINDENAULT UN DE SES MOUTONS.

Ce débat du tout apaisé, Panurge dit secrètement à Épistémon et à frère Jean : « Retirez-vous ici un peu à l’écart, et joyeusement passez temps à ce que verrez. Il y aura bien beau jeu, si la corde ne rompt. » Puis s’adressa au marchand, et derechef but à lui plein hanap de bon vin lanternois. Le marchand le pleigea[1002] gaillard[1003], en toute courtoisie et honnêteté. Cela fait, Panurge dévotement le priait lui vouloir de grâce vendre un de ses moutons. Le marchand lui répondit : « Halas, halas ! mon ami, notre voisin, comment vous savez bien truffer[1004] des pauvres gens. Vraiment vous êtes un gentil chaland. Ô le vaillant acheteur de moutons ! Vrai bis, vous portez le minois non mie[1005] d’un acheteur de moutons, mais bien d’un coupeur de bourses. Deu Colas, faillon[1006], qu’il ferait bon porter bourse pleine auprès de vous en la triperie, sur le dégel ! Han, han, qui ne vous connaîtrait, vous feriez bien des vôtres. Mais voyez, hau, bonnes gens, comment il taille de l’historiographe !

— Patience, dit Panurge. Mais, à propos, de grâce spéciale, vendez-moi un de vos moutons. Combien ?

— Comment, répondit le marchand, l’entendez-vous, notre ami, mon voisin ? Ce sont moutons à la grande laine. Jason y prit la toison d’or. L’ordre de la maison de Bourgogne en fut extrait. Moutons de levant, moutons de haute futaie, moutons de haute graisse !

— Soit, dit Panurge, mais de grâce vendez m’en un, et pour cause, bien et promptement vous payant en monnaie de ponant[1007], de taillis et de basse graisse. Combien ?

— Notre voisin, mon ami, répondit le marchand, écoutez ça un peu de l’autre oreille.

panurge

À votre commandement.

le marchand

Vous allez en Lanternois ?

panurge

Voire[1008].

le marchand

Voir le monde ?

panurge

Voire.

le marchand

Joyeusement ?

panurge

Voire.

le marchand

Vous avez, ce crois-je, nom Robin mouton ?

panurge

Il vous plaît à dire.

le marchand

Sans vous fâcher.

panurge

Je l’entends ainsi.

le marchand

Vous êtes, ce crois-je, le joyeux[1009] du roi ?

panurge

Voire.

le marchand

Fourchez-là[1010]. Ha ! ha ! vous allez voir le monde, vous êtes le joyeux du roi, vous avez nom Robin mouton. Voyez ce mouton-là ; il a nom Robin comme vous. Robin, Robin, Robin ! Bês, bês, bês, bês. Ô la belle voix !

panurge

Bien belle et harmonieuse.

le marchand

Voici un pacte qui sera entre vous et moi, notre voisin et ami. Vous qui êtes Robin mouton, serez en cette coupe[1011] de balance, le mien mouton Robin sera en l’autre : je gage un cent d’huîtres de Busch[1012] qu’en poids, en valeur, en estimation, il vous emportera haut et court, en pareille forme que serez un jour suspendu et pendu.

— Patience, dit Panurge. Mais vous feriez beaucoup pour moi et pour votre postérité si me le vouliez vendre, ou quelque autre du bas chœur. Je vous en prie, sire monsieur. »

— Notre ami, répondit le marchand, mon voisin, de la toison de ces moutons seront faits les fins draps de Rouen ; les louchets[1013] des balles de limestre[1014] au prix d’elle ne sont que bourre. De la peau seront faits les beaux maroquins, lesquels on vendra pour maroquins Turquins ou de Montélimart, ou d’Espagne pour le pire. Des boyaux, on fera cordes de violons et harpes, lesquels tant chèrement on vendra conime si fussent cordes de Munican ou Aquila. Que pensez-vous ?

— S’il vous plait, dit Panurge, m’en vendrez un, j’en serai bien fort tenu au courrail[1015] de votre huis[1016]. Voyez ci argent content. Combien ? » Ce disait montrant son escarcelle pleine de nouveaux Henricus[1017].


CONTINUATION DU MARCHÉ ENTRE PANURGE ET DINDENAULT.

« Mon ami, répondit le marchand, notre voisin, ce n’est viande que pour rois et princes. La chair en est tant délicate, tant savoureuse et tant friande que c’est baume. Je les amène d’un pays onquel[1018] les pourceaux (Dieu soit avec nous) ne mangent que myrobolans[1019]. Les truies, en leur gésine (sauf l’honneur de toute la compagnie) ne sont nourries que de fleurs d’orangers.

— Mais, dit Panurge, vendez-m’en un, et je vous paierai en roi, foi de piéton. Combien ?

— Notre ami, répondit le marchand, mon voisin, ce sont moutons extraits de la propre race de celui qui porta Phrixus et Hellé par la mer dite Hellesponte.

— Cancre ! dit Panurge, vous êtes clericus vel adiscens.

Ita sont choux, répondit le marchand ; vere ce sont porreaux. Mais rr. rrrrrrr. Ho ! Robin, rr, rrrrrrr. Vous n’entendez ce langage.

« À propos. Par tous les champs esquels ils pissent, le blé y provient[1020] comme si Dieu y eût pissé. Il n’y faut autre marne ni fumier. Plus y a. De leur urine les quintessenciaux[1021] tirent le meilleur salpêtre du monde. De leurs crottes (mais qu’il ne vous déplaise) les médecins de nos pays guérissent soixante et dix-huit espèces de maladies, la moindre est desquelles le mal saint Eutrope de Saintes, dont Dieu nous sauve et garde. Que pensez-vous, notre voisin, mon ami ? Aussi me coûtent-ils bon.

— Coûte et vaille, répondit Panurge. Seulement vendez-m’en un, le payant bien.

— Notre ami, dit le marchand, mon voisin, considérez un peu les merveilles de nature consistants en ces animaux que voyez, voire en un membre qu’estimeriez inutile. Prenez-moi ces cornes là, et les concassez un peu avec un pilon de fer, ou avec un landier, ce m’est tout un. Puis les enterrez en vue du soleil la part que[1022] voudrez, et souvent les arrosez. En peu de mois vous en verrez naître les meilleures asperges du monde. Je n’en daignerais excepter ceux de Ravenne. Allez-moi dire que les cornes de vous autres messieurs les cocus aient vertu telle et propriété tant mirifique !

— Patience, répondit Panurge.

— Je ne sais, dit le marchand, si vous êtes clerc. J’ai vu prou[1023] de clercs, je dis grands clercs, cocus. Oui dà. À propos, si vous étiez clerc, vous sauriez que, ès membres plus inférieurs de ces animaux divins (ce sont les pieds) y a un os (c’est le talon, l’astragale, si vous voulez) duquel, non d’autre animal du monde, fors de l’âne Indien et des dorcades[1024] de Lybie, l’on jouait antiquement au royal jeu des tales[1025], auquel l’empereur Octavien Auguste un soir gagna plus de 50,000 écus. Vous autres cocus n’avez garde d’en gagner autant.

— Patience, répondit Panurge. Mais expédions[1026].

— Et quand, dit le marchand, vous aurai-je, notre ami, mon voisin, dignement loué les membres internes : les épaules, les éclanches, les gigots, le haut côté, la poitrine, le foie, la râtelle, les tripes, la gogue[1027], la vessie dont on joue à la balle, les côtelettes dont on fait en Pygmion les beaux petits arcs pour tirer des noyaux de cerises contre les grues, la tête dont, avec un peu de soufre, on fait une mirifique décoction pour faire viander[1028] les chiens constipés du ventre…

— Bren, bren[1029] ! dit le patron de la nef au marchand, c’est trop ici barguigné. Vends-lui si tu veux ; si tu ne veux ne l’amuse plus.

— Je le veux, répondit le marchand, pour l’amour de vous. Mais il en paiera trois livres tournois de la pièce en choisissant.

— C’est beaucoup, dit Panurge. En nos pays j’en aurais bien cinq, voire six pour telle somme de deniers. Avisez que ne soit trop. Vous n’êtes le premier de ma connaissance qui, trop tôt voulant riche devenir et parvenir, est à l’envers tombé en pauvreté, voire quelquefois s’est rompu le col.

— Tes fortes fièvres quartaines ! dit le marchand, lourdaud sot que tu es. Par le digne vœu de Charroux, le moindre de ces moutons vaut quatre fois plus que le meilleur de ceux que jadis les Coraxiens en Tuditanie, contrée d’Espagne, vendaient un talent d’or la pièce. Et que penses-tu, ô sot à la grande paye, que valait un talent d’or ?

— Benoît monsieur, dit Panurge, vous vous échauffez en votre harnois[1030] à ce que je vois et connais. Bien tenez, voyez là votre argent. » Panurge, ayant payé le marchand, choisit de tout le troupeau un beau et grand mouton, et l’emportait criant et bêlant, oyants tous les autres et ensemblement bêlants et regardants quelle part[1031] on menait leur compagnon. Cependant le marchand disait à ses moutonniers : « Ô qu’il a bien su choisir, le chaland ! Il s’y entend, le paillard ! Vraiment, le bon vraiment, je le réservais pour le seigneur de Cancale, comme bien connaissant son naturel, car, de sa nature, il est tout joyeux et esbaudi[1032] quand il tient une épaule de mouton en main, bien séante et avenante, comme une raquette gauchère[1033], et, avec un couteau bien tranchant. Dieu sait comment il s’en escrime !


COMMENT PANURGE FIT EN MER NOYER LE MARCHAND ET LES MOUTONS.

Soudain, je ne sais comment, (le cas fut subit, je n’eus loisir le considérer) Panurge, sans autre chose dire, jette en pleine mer son mouton criant et bêlant. Tous les autres moutons, criants et bêlants en pareille intonation, commencèrent soi jeter et sauter en mer après, à la file. La foule était à qui premier y sauterait après leur compagnon. Possible n’était les engarder[1034], comme vous savez être du mouton le naturel, toujours suivre le premier, quelque part qu’il aille. Aussi le dit Aristotèles, lib. 9 de Histo. animal., être le plus sot et inepte animant[1035] du monde.

Le marchand, tout effrayé de ce que devant ses yeux périr voyait et noyer ses moutons, s’efforçait les empêcher et retenir de tout son pouvoir, mais c’était en vain. Tous à la file sautaient dedans la mer et périssaient. Finalement il en prit un grand et fort par la toison sur le tillac de la nef, cuidant[1036] ainsi le retenir et sauver le reste aussi conséquemment. Le mouton fut si puissant qu’il emporta en mer avec soi le marchand, et fut noyé, en pareille forme que les moutons de Polyphémus, le borgne cyclope, emportèrent hors la caverne Ulyxes et ses compagnons. Autant en firent les autres bergers et moutonniers, les prenants uns par les cornes, autres par les jambes, autres par la toison, lesquels tous furent pareillement en mer portés et noyés misérablement.

Panurge, à côté du fougon[1037], tenant un aviron en main, non pour aider les moutonniers, mais pour les engarder[1038] de grimper sur la nef et évader[1039] le naufrage, les prêchait éloquentement, comme si fût un petit frère Olivier Maillard ou un second frère Jean Bourgeois, leur remontrant par lieux de rhétorique les misères de ce monde, le bien et l’heur[1040] » de l’autre vie, affirmant plus heureux être les trépassés que les vivants en cette vallée de misère, et à un chacun d’eux promettant ériger un beau cénotaphe et sépulcre honoraire au plus haut du mont Cenis, à son retour de Lanternois, leur optant[1041] ce néanmoins, en cas que vivre encore entre les humains ne leur fâchât et noyer ainsi ne leur vînt à propos, bonne aventure et rencontre de quelque baleine, laquelle au tiers jours subséquent les rendit sains et saufs en quelque pays de satin[1042] à l’exemple de Jonas.

La nef vidée du marchand et des moutons : « Reste-t-il ici, dit Panurge, nulle âme moutonnière ? Où sont ceux de Thibault l’Agnelet et ceux de Regnauld Belin, qui dorment quand les autres paissent ? Je n’y sais rien. C’est un tour de vieille guerre. Que t’en semble, frère Jean ?

— Tout bien de vous, répondit frère Jean. Je n’ai rien trouvé mauvais, sinon qu’il me semble qu’ainsi comme jadis on soulait[1043] en guerre, au jour de bataille ou assaut, promettre aux soudards double paie pour celui jour (s’ils gagnaient la bataille, l’on avait prou[1044] de quoi payer ; s’ils la perdaient c’eût été honte la demander, comme firent les fuyards Gruyers[1045], après la bataille de Cérizolles) aussi qu’enfin vous deviez le paiement réserver, l’argent vous demeurât en bourse.

— C’est, dit Panurge, bien chié pour l’argent. Vertu Dieu ! j’ai eu du passe-temps pour plus de cinquante mille francs. Retirons-nous, le vent est propice. Frère Jean, écoute ici. Jamais homme ne me fit plaisir sans récompense ou reconnaissance pour le moins. Je ne suis point ingrat et ne le fus ni serai. Jamais homme ne me fit déplaisir sans repentance, ou en ce monde ou en l’autre. Je ne suis point fat[1046] jusque-là.

— Tu, dit frère Jean, te damnes comme un vieil diable. Il est écrit : Mihi vindictam, et cætera. Matière de bréviaire. »


COMMENT PANTAGRUEL DESCENDIT EN L’ÎLE DE CHÉLI EN LAQUELLE RÉGNAIT LE ROI SAINT-PANIGON.

Le garbin[1047] nous soufflait en poupe, quand montâmes en haute mer. Sur la déclination du soleil, fîmes escale en l’île de Chéli, île grande, fertile, riche et populeuse, en laquelle régnait le roi Saint-Panigon, lequel, accompagné de ses enfants et princes de sa cour, s’était transporté jusque près le havre pour recevoir Pantagruel et le mena jusques en son château. Sur l’entrée du donjon s’offrit la reine, accompagnée de ses filles et dames de cour. Panigon voulut qu’elle et toute sa suite baisassent Pantagruel et ses gens. Telle était la courtoisie et coutume du pays. Ce que fut fait, excepté frère Jean, qui s’absenta et s’écarta parmi les officiers du roi. Panigon voulait, en toute instance, pour cetui jour et au lendemain, retenir Pantagruel. Pantagruel fonda son excuse sur la sérénité du temps et opportunité du vent, lequel plus souvent est désiré des voyagers que rencontré, et le faut emploiter[1048] quand il advient, car il n’advient toutes et quantes fois qu’on le souhaite. À cette remontrance, après boire vingt et cinq ou trente fois par homme, Panigon nous donna congé.

Pantagruel, retournant au port et ne voyant frère Jean, demandait quelle part il était[1049], et pourquoi n’était ensemble[1050] la compagnie. Panurge ne savait comment l’excuser et voulait retourner au château pour l’appeler, quand frère Jean accourut tout joyeux, et s’écria en grande gaîté de cœur, disant : « Vive le noble Panigon ! Par la mort bœuf de bois, il rue en cuisine. J’en viens, tout y va par écuelles. J’espérais bien y cotonner à profit et usage monacal le moule de mon gippon[1051].

— Ainsi, mon ami, dit Pantagruel, toujours à ces cuisines !

— Corpe de galline[1052] ! répondit frère Jean, j’en sais mieux l’usage et cérémonies que de tant chiabrener[1053] avec ces femmes, magni, magna, chiabrena, révérence, double, reprise, l’accolade, la fressurade[1054], baise la main de votre merci, de votre majesta, vous soyez, tarabin, tarabas. Bren ! c’est merde à Rouen. Tant chiasser et ureniller ! Dea[1055], je ne dis pas que je n’en tirasse quelque trait dessus la lie à mon lourdois[1056], qui me laissât insinuer ma nomination. Mais cette brenasserie de révérences me fâche plus qu’un jeune diable : je voulais dire un jeûne double. Saint Benoît n’en mentit jamais.

« Vous parlez de baiser damoiselles. Par le digne et sacré froc que je porte, volontiers je m’en déporte[1057], craignant que m’advienne ce qu’advint au seigneur de Guyercharois.

— Quoi ? demanda Pantagruel ; je le connais, il est de mes meilleurs amis.

— Il était, dit frère Jean, invité à un somptueux et magnifique banquet que faisait un sien parent et voisin, auquel étaient pareillement invités tous les gentilshommes, dames et damoiselles du voisinage. Icelles attendantes sa venue, déguisèrent les pages de l’assemblée et les habillèrent en damoiselles bien pimpantes et atourées[1058]. Les pages endamoisellés à lui entrant près le pont-levis se présentèrent. Il les baisa tous en grande courtoisie et révérences magnifiques. Sur la fin, les dames qui l’attendaient en la galerie, s’éclatèrent de rire et firent signes aux pages à ce qu’ils ôtassent leurs atours. Ce que voyant, le bon seigneur, par honte et dépit ne daigna baiser icelles dames et damoiselles naïves[1059], alléguant, vu qu’on lui avait ainsi déguisé les pages, que, par la mort bœuf de bois ! ce devaient là être les valets, encore plus finement déguisés.

« Vertu Dieu, da jurandi, pourquoi plutôt ne transportons-nous nos humanités en belle cuisine de Dieu, et là ne considérons le branlement des broches, l’harmonie des contrehâtiers[1060], la position des lardons, la température des potages, les préparatifs du dessert, l’ordre du service du vin ? Beati immaculati in viā. C’est matière de bréviaire. »


dolmen de la pierre levée, près de poitiers (vienne)
Gravure du Theatrum urbinum vers 1580, d’après le texte de Rabelais.
Le dolmen, aujourd’hui brisé, ne rappelle nullement ce dessin.

POURQUOI LES MOINES SONT VOLONTIERS EN CUISINE.

« C’est, dit Épistémon, naïvement[1061] parlé en moine. Je dis moine moinant, je ne dis pas moine moine. Vraiment vous me réduisez en mémoire ce que je vis et ouïs en Florence, il y a environ vingt ans. Nous étions bien bonne compagnie de gens studieux, amateurs de pérégrinité[1062] et convoiteux de visiter les gens doctes, antiquités et singularités d’Italie. Et lors curieusement contemplions l’assiette et beauté de Florence, la structure du dôme, la somptuosité des temples et palais magnifiques, et entrions en contention[1063] qui plus aptement les extollerait[1064] par louanges condignes[1065], quand un moine d’Amiens, nommé Bernard Lardon, comme tout fâché et monopole[1066], nous dit : « Je ne sais que diantre vous trouvez ici tant à louer. J’ai aussi bien contemplé comme vous et ne suis aveugle plus que vous. Et puis, qu’est-ce ? Ce sont belles maisons. C’est tout. Mais, Dieu et monsieur saint Bernard, notre bon patron, soit avec nous, en toute cette ville encore n’ai-je vu une seule rôtisserie et y ai curieusement[1067] regardé et considéré, voire ; je vous dis, comme épiant et prêt à compter et nombrer tant à dextre comme à senestre, combien et de quel côté plus nous rencontrerions de rôtisseries rôtissantes. Dedans Amiens, en moins de chemin quatre fois, voire trois, qu’avons fait en nos contemplations, je vous pourrais montrer plus de quatorze rôtisseries antiques et aromatisantes. Je ne sais quel plaisir avez pris voyants les lions et africanes (ainsi nommiez-vous, ce me semble, ce qu’ils appellent tigres) près le beffroi ; pareillement voyants les porcs-épics et autruches on[1068] palais du seigneur Philippe Strossi. Par foi ! nos fieux, j’aimerais mieux voir un bon et gras oison en broche. Ces porphyres, ces marbres sont beaux. Je n’en dis point de mal, mais les darioles[1069] d’Amiens sont meilleures à mon goût. Ces statues antiques sont bien faites, je le veux croire ; mais par saint Ferréol d’Abbeville, les jeunes bachelettes de nos pays sont mille fois plus avenantes.

— Que signifie, demanda frère Jean, et que veut dire que toujours vous trouvez moines en cuisines, jamais n’y trouverez rois, papes ni empereurs ?

— Est-ce, répondit Rhizotome, quelque vertu latente et propriété absconse[1070] dedans les marmites et contrehâtiers, qui les moines y attire (comme l’aimant à soi le fer attire), n’y attire empereurs, papes, ni rois ? Ou c’est une induction et inclination naturelle, aux frocs et cagoules adhérente, laquelle de soi mène et pousse les bons religieux en cuisine, encore qu’ils n’eussent élection ni délibération d’y aller ?

— Il veut dire, répondit Épistémon, formes suivantes la matière. Ainsi les nomme Averroès.

— Voire, voire, dit frère Jean.

— Je vous dirai, répondit Pantagruel, sans au problème proposé répondre, car il est un peu chatouilleux et à peine y toucheriez-vous sans vous épiner[1071]. Me souvient avoir lu qu’Antigonus, roi de Macédonie, un jour entrant en la cuisine de ses tentes et y rencontrant le poète Antagoras, lequel fricassait un congre et lui-même tenait la poêle, lui demanda en toute allégresse : « Homère fricassait-il congres, lorsqu’il décrivait les prouesses d’Agamemnon ? » — « Mais, répondit Antagoras au roi, estimes-tu qu’Agamemnon, lorsque telles prouesses faisait, fût curieux de savoir si personne en son camp fricassait congres ? » Au roi semblait indécent qu’en sa cuisine le poète faisait telle fricassée. Le poète lui remontrait que chose trop plus abhorrente[1072] était rencontrer le roi en cuisine.

— Je damerai[1073] cette-ci, dit Panurge, vous racontant ce que Breton Villandry répondit un jour au seigneur duc de Guise. Leur propos était de quelque bataille du roi François contre l’empereur Charles cinquième, en laquelle Breton était gorgiasement[1074] armé, mêmement de grèves et solerets[1075] acérés, monté aussi à l’avantage[1076], n’avait toutefois été vu au combat. « Par ma foi, répondit Breton, j’y ai été, facile me sera le prouver, voire en lieu onquel vous n’eussiez osé vous trouver. » Le seigneur duc prenant en mal cette parole, comme trop brave et trop témérairement proférée, et se haussant de propos, Breton facilement en grande risée l’apaisa, disant : « J’étais avec le bagage, onquel lieu votre honneur n’eût porté soi cacher comme je faisais. »

En ces menus devis arrivèrent en leurs navires, et plus long séjour ne firent en icelle île de Chéli.


COMMENT PANTAGRUEL PASSA PROCURATION, ET DE L’ÉTRANGE MANIÈRE DE VIVRE ENTRE LES CHICANOUS.

Continuant notre route, au jour subséquent passâmes Procuration, qui est un pays tout chaffouré[1077] et barbouillé. Je n’y connus rien. Là vîmes des procultous[1078] et chicanous, gens à tout[1079] le poil. Ils ne nous invitèrent à boire ni à manger. Seulement, en longue multiplication de doctes révérences, nous dirent qu’ils étaient tous à notre commandement en payant. Un de nos truchements[1080] racontait à Pantagruel comment ce peuple gagnaient leur vie en façon bien étrange, et en plein diamètre[1081] contraire aux romicoles[1082]. À Rome, gens infinis gagnent leur vie à empoisonner, à battre et à tuer ; les chicanous la gagnent à être battus. De mode que, si par longtemps demeuraient sans être battus, ils mourraient de male[1083] faim, eux, leurs femmes et enfants.

« C’est, disait Panurge, comme ceux qui, par le rapport de Cl. Gal., ne peuvent le nerf caverneux vers le cercle équateur dresser s’ils ne sont très bien fouettés. Par saint Thibault, qui ainsi me fouetterait me ferait bien au rebours désarçonner, de par tous les diables !

— La manière, dit le truchement, est telle. Quand un moine, prêtre, usurier ou avocat veut mal à quelque gentilhomme de son pays, il envoie vers lui un de ces chicanous. Chicanous le citera, l’ajournera, l’outragera, l’injuriera impudentement, suivant son record[1084] et instruction, tant que le gentilhomme, s’il n’est paralytique de sens et plus stupide qu’une rane gyrine[1085], sera contraint lui donner bastonnades et coups d’épée sur la tête, ou la belle jarretade[1086], ou mieux le jeter par les créneaux et fenêtres de son château. Cela fait, voilà chicanous riche pour quatre mois, comme si coups de bâton fussent ses naïves[1087] moissons, car il aura du moine, de l’usurier, ou avocat, salaire bien bon et réparation du gentilhomme aucunes fois[1088] si grande et excessive que le gentilhomme y perdra tout son avoir, avec danger de misérablement pourrir en prison, comme s’il eût frappé le roi.

— Contre tel inconvénient, dit Panurge, je sais un remède très bon, duquel usait le seigneur de Basché.

— Quel ? demanda Pantagruel.

— Le seigneur de Basché, dit Panurge, était homme courageux, vertueux, magnanime, chevalereux. Il, retournant de certaine longue guerre en laquelle le duc de Ferrare, par l’aide des Français, vaillamment se défendit contre les furies du pape Jules second, par chacun jour était ajourné, cité, chicané, à l’appétit et passe-temps du gras prieur de Saint-Louant.

Un jour, déjeunant avec ses gens (comme il était humain et débonnaire), manda quérir son boulanger, nommé Loyre, et sa femme, ensemble[1089] le curé de sa paroisse, nommé Oudart, qui le servait de sommelier, comme lors était la coutume en France, et leur dit en présence de ses gentilshommes et autres domestiques : « Enfants, vous voyez en quelle fâcherie me jettent journellement ces marauds chicanous. J’en suis là résolu que, si ne m’y aidez, je délibère[1090] abandonner le pays et prendre le parti du Soudan[1091] à tous les diables. Désormais, quand céans ils viendront, soyez prêts, vous Loyre et votre femme, pour vous représenter en ma grande salle avec vos belles robes nuptiales, comme si l’on vous fiançait, et comme premièrement fûtes fiancés. Tenez, voilà cent écus d’or, lesquels je vous donne pour entretenir vos beaux accoutrements. Vous, messire Oudart, ne faillez[1092] y comparaître en votre beau surplis et étole, avec l’eau bénite, comme pour les fiancer. Vous pareillement, Trudon (ainsi était nommé son tambourineur), soyez-y avec votre flûte et tambour. Les paroles dites et la mariée baisée, au son du tambour vous tous baillerez l’un à l’autre du souvenir des noces, ce sont petits coups de poing. Ce faisants, vous n’en souperez que mieux. Mais quand ce viendra au chicanons, frappez dessus comme sur seigle vert, ne l’épargnez. Tapez, daubez, frappez, je vous en prie. Tenez, présentement je vous donne ces jeunes gantelets de joute, couverts de chevrotin[1093]. Donnez-lui coups sans compter, à tort et à travers. Celui qui mieux le daubera, je reconnaîtrai pour mieux affectionné. N’ayez peur d’en être repris en justice. Je serai garant pour tous. Tels coups seront donnés en riant, selon la coutume observée en toute fiançailles. » — « Voire mais, demanda Oudart, à quoi connaîtrons-nous le chicanous, car, en cette votre maison, journellement abordent gens de toutes parts. » — « J’y ai donné ordre, répondit Basché. Quand à la porte de céans viendra quelque homme, ou à pied ou assez mal monté, ayant un anneau d’argent gros et large on[1094] pouce, il sera chicanonus. Le portier l’ayant introduit courtoisement, sonnera la campanelle[1095]. Alors soyez prêts et venez en salle jouer la tragique comédie que vous ai exposée. »

Ce propre jour, comme Dieu le voulut, arriva un vieil, gros, et rouge chicanous. Sonnant à la porte, fut par le portier reconnu à ses gros et gras houseaux, à sa méchante jument, à un sac de toile plein d’informations, attaché à sa ceinture, signamment[1096] au gros anneau d’argent qu’il avait on[1097] pouce gauche. Le portier lui fut courtois, l’introduit honnêtement, joyeusement sonne la campanelle. Au son d’icelle, Loyre et sa femme se vêtirent de leurs beaux habillements, comparurent en la salle, faisants bonne morgue[1098] Oudart se revêtit de surplis et d’étole. Sortant de son office rencontre chicanons, le mène boire en son office longuement, cependant qu’on chaussait gantelets de tous côtés, et lui dit : « Vous ne pouviez à heure venir plus opportune. Notre maître est en ses bonnes : nous ferons tantôt bonne chère, tout ira par écuelles : nous sommes céans de noces : tenez, buvez, soyez joyeux. »

Pendant que chicanons buvait, Basché, voyant en la salle ses gens en équipage requis, mande quérir Oudart. Oudart vient portant l’eau bénite. Chicanous le suit. Il, entrant en la salle, n’oublia faire nombre d’humbles révérences, cita Basché ; Basché lui fit la plus grande caresse du monde, lui donna un angelot[1099], le priant assister au contrat et fiançailles. Ce que fut fait. Sur la fin, coups de poing commencèrent sortir en place. Mais, quand ce vint au tour de chicanons, ils le festoyèrent à grands coups de gantelets, si bien qu’il resta tout étourdi et meurtri, un œil poché au beurre noir, huit côtes froissées, le bréchet[1100] enfondré[1101], les omoplates en quatre quartiers, la mâchoire inférieure en trois lopins, et le tout en riant. Dieu sait comment Oudart y opérait, couvrant de la manche de son surplis le gros gantelet acéré[1102], fourré d’hermines, car il était puissant ribaud. Ainsi retourne à l’Île-Bouchard chicanous, accoutré à la tigresque[1103], bien toutefois satisfait et content du seigneur de Basché, et moyennant le secours des bons chirurgiens du pays vécut tant que voudrez. Depuis n’en fut parlé. La mémoire en expira avec le son des cloches lesquelles carillonnèrent à son enterrement.


COMMENT, À L’EXEMPLE DE MAÎTRE FRANÇOIS VILLON, LE SEIGNEUR DE BASCHÉ LOUE SES GENS.

Chicanous issu du château et remonté sur son esgue orbe[1104] (ainsi nommait-il sa jument borgne), Basché, sous la treille de son jardin secret, manda quérir sa femme, ses damoiselles, tous ses gens, fit apporter vin de collation, associé d’un nombre de pâtés, de jambons, de fruits et fromages, but avec eux en grande allégresse, puis leur dit :

« Maître François Villon, sur ses vieux jours, se retira à Saint-Maixent en Poitou, sous la faveur d’un homme de bien, abbé dudit lieu. Là, pour donner passe-temps au peuple, entreprit faire jouer la Passion en gestes et langage poitevin. Les rôles distribués, les joueurs[1105] récolés[1106], le théâtre préparé, dit au maire et échevins que le mystère pourrait être prêt à l’issue des foires de Niort : restait seulement trouver habillements aptes aux personnages. Les maire et échevins y donnèrent ordre. Il, pour un vieux paysan habiller qui jouait Dieu le père, requit frère Étienne Tappecoue, sécretain[1107] des cordeliers du lieu, lui prêter une chape et étole. Tappecoue le refusa, alléguant que, par leurs statuts provinciaux, était rigoureusement défendu rien bailler ou prêter pour les jouants[1108]. Villon répliquait que le statut seulement concernait farces, mômeries et jeux dissolus, et qu’ainsi l’avait vu pratiquer à Bruxelles et ailleurs. Tappecoue, ce nonobstant, lui dit péremptoirement qu’ailleurs se pourvût, ai bon lui semblait, rien n’espérât de sa sacristie, car rien n’en aurait sans faute. Villon fit aux joueurs le rapport en grande abomination, ajoutant que de Tappecoue Dieu ferait vengeance et punition exemplaire bientôt.

« Au samedi subséquent, Villon eut avertissement que Tappecoue, sur la poultre du couvent (ainsi nomment-ils une jument non encore saillie), était allé en quête à Saint-Ligaire, et qu’il serait de retour sur les deux heures après midi. Adonc fit la montre de la diablerie parmi la ville et le marché. Ses diables étaient tous caparaçonnés de peaux de loups, de veaux et de béliers, passementés[1109] de têtes de moutons, de cornes de bœufs, et de grands havets[1110] de cuisine, ceints de grosses courroies, esquelles pendaient grosses cymbales de vaches, et sonnettes de mulet à bruit horrifique. Tenaient en main aucuns[1111] bâtons noirs pleins de fusées ; autres portaient longs tisons allumés, sur lesquels à chacun carrefour jetaient pleines poignées de parasine[1112] en poudre, dont sortait feu et fumée terrible. Les avoir[1113] ainsi conduits avec contentement du peuple et en grande frayeur des petits enfants, finalement les mena banqueter en une cassine[1114] hors la porte en laquelle est le chemin de Saint Ligaire. Arrivants à la cassine, de loin il aperçut Tappecoue qui retournait de quête, et leur dit en vers macaroniques :

Hic est de patria, natus de gente belistra,
Qui solet antiquo bribas portare bisacco.

« Par la mort dienne ! dirent adonc les diables, il n’a voulu prêter à Dieu le père une pauvre chappe ; faisons-lui peur. — C’est bien dit, répond Villon ; mais cachons-nous jusques à ce qu’il passe, et chargez vos fusées et tisons. » Tappecoue arrivé au lieu, tous sortirent on[1115] chemin au devant de lui, en grand effroi, jetants feu de tous côtés sur lui et sa poultre, sonnants de leurs cymbales et hurlants en diables : « Hho, hho, hho, hho, brrrou, rrrourrrrs, rrrourrrs, rrrourrrs, hou, hou, hou ! Hho, hho, hho ! Frère Étienne, faisons-nous pas bien les diables ? »

« La poultre, toute effrayée, se mit au trot, à pets, à bonds et au galop, à ruades, fressurades[1116] doubles pédales[1117] et pétarades, tant qu’elle rua[1118] bas Tappecoue, quoiqu’il se tînt à l’aube[1119] du bât de toutes ses forces. Ses étrivières étaient de cordes du côté hors le montoir, son soulier fenestré[1120], était si fort entortillé qu’il ne le put onques tirer. Ainsi était traîné à écorchecul par la poultre, toujours multipliant en ruades contre lui, et fourvoyante de peur par les haies, buissons et fossés. De mode qu’elle lui cobbit[1121] toute la tête, si que la cervelle en tomba près la croix hosannière[1122], puis les bras en pièces, l’un ça, l’autre là, les jambes de même ; puis des boyaux fit un long carnage, en sorte que la poultre au couvent arrivant de lui ne portait que le pied droit et soulier entortillé.

« Villon, voyant advenu ce qu’il avait pourpensé[1123], dit à ses diables : « Vous jouerez bien, messieurs les diables, vous jouerez bien, je vous affie[1124]. Ô que vous jouerez bien ! Je despite[1125] la diablerie de Saumur, de Doué, de Montmorillon, de Langés, de Saint-Espain, d’Angers, voire, par Dieu, de Poitiers avec leur parloir, en cas qu’ils puissent être à vous paragonnés[1126]. Ô que vous jouerez bien ! »

« Ainsi, dit Basché, prévois-je, mes bons amis, que vous dorénavant jouerez bien cette tragique farce, vu qu’à la première montre et essai, par vous a été chicanous tant dissertement daubé, tapé et chatouillé. Présentement je double à vous tous vos gages. Vous, m’amie, disait-il à sa femme, faites vos honneurs comme voudrez. Vous avez en vos mains et conserve[1127] tous mes trésors. Quant est de moi, premièrement, je bois à vous tous, mes bons amis. Or ça, il est bon et frais. Secondement, vous, maître d’hôtel, prenez ce bassin d’argent, je le vous donne. Vous, écuyers, prenez ces deux coupes d’argent doré. Vos pages de trois mois ne soient fouettés. M’amie, donnez-leur mes beaux plumails[1128] blancs, avec les pampillettes[1129] d’or. Messire Oudart, je vous donne ce flacon d’argent. Cetui autre je donne aux cuisiniers ; aux valets de chambre, je donne cette corbeille d’argent ; aux palefreniers, je donne cette nacelle d’argent doré ; aux portiers, je donne ces deux assiettes ; aux muletiers, ces dix happesoupes[1130]. Trudon, prenez toutes ces cuillères d’argent et ce drageoir. Vous, laquais, prenez cette grande salière. Servez-moi bien, amis, je le reconnaîtrai, croyants fermement que j’aimerais mieux, par la vertu Dieu, endurer en guerre cent coups de masse sur le heaume au service de notre tant bon roi qu’être une fois cité par ces mâtins chicanous, pour le passe-temps d’un tel gras prieur. »


CONTINUATION DES CHICANOUS DAUBÉS EN LA MAISON DE BASCHÉ.

Quatre jours après, un autre jeune, haut et maigre chicanous alla citer Basché à la requête du gras prieur. À son arrivée, fut soudain par le portier reconnu, et la campanelle[1131] sonnée. Au son d’icelle, tout le peuple du château entendit le mystère. Loyre pétrissait sa pâte, sa femme blutait la farine. Oudart tenait son bureau. Les gentilshommes jouaient à la paume. Le seigneur Basché jouait aux trois cents trois avec sa femme. Les damoiselles jouaient aux pingres[1132], les officiers jouaient à l’impériale, les pages jouaient à la mourre à belles chiquenaudes. Soudain fut de tous entendu que chicanons étaient en pays. Lors Oudart se revêtir, Loyre et sa femme prendre leurs beaux accoutrements, Trudon sonner de sa flûte, battre son tambourin, chacun rire, tous se préparer, et gantelets en avant.

Basché descend en la basse-cour. Là chicanons le rencontrant, se mit à genoux devant lui, le pria ne prendre en mal si, de la part du gras prieur, il le citait, remontra par harangue diserte comment il était personne publique, serviteur de moinerie, appariteur de la mitre abbatiale, prêt à en faire autant pour lui, voire pour le moindre de sa maison, la part[1133] qu’il lui plairait l’emploiter[1134] et commander. « Vraiment, dit le seigneur, jà ne me citerez que premier[1135] n’ayez bu de mon bon vin de Quinquenays, et n’ayez assisté aux noces que je fais présentement. Messire Oudart, faites-le boire très bien et rafraîchir, puis l’amenez en ma salle. Vous soyez le bienvenu. »

Chicanous, bien repu et abreuvé, entre avec Oudart en salle, en laquelle étaient tous les personnages de la farce, en ordre et bien délibérés[1136]. À son entrée chacun commença sourire chicanous riait par compagnie. Quand par Oudart furent : sur les fiancés dits mots mystérieux, touchées les mains, la mariée baisée, tous aspersés d’eau bénite, pendant qu’on apportait vins et épices, coups de poings commencèrent trotter. Chicanous en donna nombre à Oudart. Oudart, sous son surplis, avait son gantelet caché : il s’en chausse comme d’une mitaine, et de dauber chicanous, et de draper chicanous, et coups des jeunes gantelets de tous côtés pleuvoir sur chicanous. « Des noces, disaient-ils, des noces, des noces, vous en souvienne. » Il fut si bien accoutré que le sang lui sortait par la bouche, par le nez, par les oreilles, par les œils, au demeurant, courbatu[1137], espaultré[1138] et froissé, tête, nuque, dos, poitrine, bras, et tout. Croyez qu’en Avignon on[1139] temps du carnaval, les bacheliers onques ne jouèrent à la raphe[1140] plus mélodieusement que fut joué sur chicanous. Enfin, il tombe par terre. On lui jeta force vin sur la face, on lui attacha à la manche de son pourpoint belle livrée[1141] de jaune et vert, et le mit-on sur son cheval morveux. Entrant en l’Île-Bouchard ne sais s’il fut bien pansé et traité de sa femme comme des mires[1142] du pays. Depuis n’en fut parlé.

Au lendemain, cas pareil advint, pour ce qu’au sac et gibecière du maigre chicanous n’avait été trouvé son exploit. De par le gras prieur fut nouveau chicanous envoyé citer le seigneur de Basché, avec deux recors pour sa sûreté. Le portier, sonnant la campanelle, réjouit toute la famille, entendants que chicanous était là. Basché était à table, dînant avec sa femme et gentilshommes. Il mande quérir chicanous, le fit asseoir près de soi, les recors près les damoiselles, et dînèrent très bien et joyeusement. Sur le dessert, chicanous se lève de table, présents et oyants les recors, cite Basché. Basché gracieusement lui demande copie de sa commission. Elle était jà prête. Il prend acte de son exploit ; à chicanous et à ses recors furent quatre écus soleil donnés. Chacun s’était retiré pour la farce. Trudon commence sonner du tambourin. Basché prie chicanous assister aux fiançailles d’un sien officier et en recevoir le contrat, bien le payant et contentant. Chicanous fut courtois. Dégaina son écritoire, eut papier promptement, ses recors près de lui. Loyre entre en salle par une porte, sa femme avec les damoiselles par autre, en accoutrements nuptiaux. Oudart, revêtu sacerdotalement, les prend par les mains, les interroge de leurs vouloirs, leur donne sa bénédiction, sans épargne d’eau bénite. Le contrat est passé et minuté. D’un côté sont apportés vins et épices ; de l’autre, livrée à tas, blanc et tanné ; de l’autre sont produits gantelets secrètement.


COMMENT PAR CHICANOUS SONT RENOUVELÉES LES ANTIQUES COUTUMES DES FIANÇAILLES.

« Chicanous, avoir dégouzillé[1143] une grande tasse de vin breton, dit au seigneur : « Monsieur, comment l’entendez-vous ? L’on ne baille point ici des noces ? Sainsambreguoi ! toutes bonnes coutumes se perdent. Aussi ne trouve l’on plus de lièvres au gîte. Il n’est plus d’amis. Voyez comment en plusieurs églises l’on a désemparé[1144] les antiques buvettes des benoîts saints Ô Ô de Noël ! Le monde ne fait plus que rêver. Il approche de sa fin. Or tenez : des noces, des noces, des noces ! » Ce disant, frappait sur Basché et sa femme, après sur les damoiselles et sur Oudart.

Adonc firent gantelets leur exploit, si qu’à chicanous fut rompue la tête en neuf endroits, à un des recors fut le bras droit défocillé[1145], à l’autre fut démanchée la mandibule supérieure, de mode qu’elle lui couvrait le menton à demi avec dénudation de la luette et perte insigne des dents molaires, masticatoires et canines. Au son du tambourin, changeant son intonation, furent les gantelets mussés[1146], sans être aucunement aperçus, et confitures multipliées de nouveau, avec liesse nouvelle. Buvants les bons compagnons uns aux autres, et tous à chicanous et à ses recors, Oudart reniait et dépitait[1147] les noces, alléguant qu’un des recors lui avait desincornifistibulé toute l’autre épaule. Ce nonobstant, buvait à lui joyeusement. Le recors démantibulé joignait les mains et tacitement lui demandait pardon, car parler ne pouvait-il. Loyre se plaignait de ce que le recors débradé[1148] lui avait donné si grand coup de poing sur l’autre coude qu’il en était devenu tout esperruquancluzelubelouzerirelu du talon.

« Mais, disait Trudon, cachant l’œil avec son mouchoir et montrant son tambourin défoncé d’un côté, quel mal leur avais-je fait ? Il ne leur a suffi m’avoir ainsi lourdement morrambouzevezengouzequoquemorguatasacbacguevezinemaffressé mon pauvre œil ; d’abondant[1149] ils m’ont défoncé mon tambourin. Tambourins à noces sont ordinairement battus : tambourineurs bien festoyés, battus jamais. Le diable s’en puisse coiffer ! » — « Frère, lui dit chicanous manchot, je te donnerai unes belles, grandes, vieilles lettres royaux, que j’ai ici en mon baudrier, pour rapetasser ton tambourin, et pour Dieu pardonne-nous. Par Notre-Dame de Rivière, la belle dame, je n’y pensais en mal. »

Un des écuyers, dopant et boitant, contrefaisait le bon et noble seigneur de la Roche Posay. Il s’adressa au recors embaviéré[1150] de mâchoires et lui dit : « Êtes-vous des frappins, des frappeurs, ou des frappars ? Ne vous suffisait-il nous avoir ainsi morcrocassebezassevezassegrigueliguoscopapopondrillé tous les membres supérieurs à grands coups de bobelins[1151], sans nous donner tels morderegrippipiotabirofreluchamburelurecoquelurintimpanements sur les grèves[1152] à belles pointes de houseaux ? Appelez-vous cela jeu de jeunesse ? Par Dieu, jeu n’est-ce ? »

Le recors, joignant les mains, semblait lui en requérir pardon, marmonnant de la langue : « Mon, mon, mon, vrelon, von, von, » comme un marmot[1153].

La nouvelle mariée pleurante riait, riante pleurait, de ce que chicanous ne s’était contenté la daubant sans choix ni élection des membres, mais l’avait lourdement déchevelée, d’abondant[1154] lui avait trepignemampenillorifrizonoufressuré les parties honteuses en trahison. « Le diable, dit Basché, y ait part ! Il était bien nécessaire que monsieur le Roi (ainsi se nomment chicanous) me daubât ainsi ma bonne femme d’échiné. Je ne lui en veux mal toutefois. Ce sont petites caresses nuptiales. Mais j’aperçois clairement qu’il m’a cité en ange et daubé en diable. Il tient je ne sais quoi du frère frappart. Je bois à lui de bien bon cœur, et à vous aussi, messieurs les recors. »

« Mais, disait sa femme, à quel propos et sur quelle querelle m’a-t-il tant et trestant festoyée à grands coups de poing ? Le diantre l’emporte, si je le veux. Je ne le veux pourtant pas, ma dia ! Mais je dirai cela de lui qu’il a les plus dures oinces[1155] qu’onques je sentis sur mes épaules. »

Le maître d’hôtel tenait son bras gauche en écharpe, comme tout morquaquoquassé : « Le diable, dit-il, me fit bien assister à ces noces. J’en ai, par la vertu Dieu ! tous les bras enguoulevezinemassés. Appelez-vous ceci fiançailles ? Je les appelle fiançailles de merde. C’est par Dieu ! le naïf banquet des Lapithes, décrit par le philosophe Samosatois. »

Chicanous ne parlait plus. Les recors s’excusèrent qu’en daubant ainsi n’avaient eu maligne volonté et que pour l’amour de Dieu on leur pardonnât. Ainsi départent[1156]. À demi-lieue de là chicanous se trouva un peu mal. Les recors arrivent à l’Île-Bouchard, disants publiquement que jamais n’avaient vu plus homme de bien que le seigneur de Basché, ni maison plus honorable que la sienne, ensemble[1157] que jamais n’avaient été à telles noces. Mais toute la faute venait d’eux qui avaient commencé la frapperie. Et vécurent encore ne sais quants[1158] jours après.

De là en hors[1159] fut tenu comme chose certaine que l’argent de Basché plus était au chicanous et recors pestilent, mortel et pernicieux que n’était jadis l’or de Toulouse et le cheval Séjan à ceux qui le possédèrent. Depuis fut le dit seigneur en repos et les noces de Basché en proverbe commun.


COMMENT PAR FRÈRE JEAN EST FAIT ESSAI DU NATUREL DES CHICANOUS.

« Cette narration, dit Pantagruel, semblerait joyeuse, ne fût que devant nos yeux faut la crainte de Dieu continuellement avoir.

— Meilleure, dit Épistémon, serait, si la pluie de ces jeunes gantelets fût sur le gras prieur tombée. Il dépendait[1160] pour son passe-temps argent, part à fâcher Basché, part à voir ses chicanous daubés. Coups de poing eussent aptement atouré[1161] sa tête rase, attendue l’énorme concussion que voyons hui[1162] entre ces juges pédanés[1163] sous l’orme. En quoi offensaient ces pauvres diables chicanous ?

— Il me souvient, dit Pantagruel à ce propos, d’un antique gentilhomme romain, nommé L. Nératius. Il était de noble famille et riche en son temps. Mais en lui était cette tyrannique complexion que, issant[1164] de son palais, il faisait emplir les gibecières de ses valets d’or et d’argent monnayé, et, rencontrant par les rues quelques mignons braguards[1165] et mieux en point, sans d’iceux être aucunement offensé, par gaîté de cœur leur donnait de grands coups de poing en face. Soudain après pour les apaiser et empêcher de non soi complaindre en justice, leur départait[1166] de son argent, tant qu’il les rendait contents et satisfaits, selon l’ordonnance d’une loi des douze Tables. Ainsi dépendait[1167] son revenu, battant les gens au prix de son argent.

— Par la sacre botte de saint Benoît ! dit frère Jean, présentement j’en saurai la vérité ». Adonc descend en terre, mit la main à son escarcelle et en tira vingt écus au soleil. Puis dit à haute voix, en présence et audience d’une grande tourbe du peuple chicanourois : « Qui veut gagner vingt écus d’or pour être battu en diable ?

— Io, io, io, répondirent tous. Vous nous affolerez[1168] de coups, monsieur, cela est sûr. Mais il y a beau gain ». Et tous accouraient à la foule, à qui serait premier en date pour être tant précieusement battu. Frère Jean, de toute la troupe, choisit un chicanous à rouge museau, lequel on[1169] pouce de la main dextre portait un gros et large anneau d’argent en la palle[1170] duquel était enchâssée une bien grande crapaudine[1171].

L’ayant choisi, je vis que tout ce peuple murmurait, et entendis un grand, jeune et maigre chicanons, habile et bon clerc, et, comme était le bruit commun, honnête homme en cour d’église, soi complaignant[1172] et murmurant de ce que le rouge museau leur ôtait toutes pratiques, et que, si en tout le territoire n’étaient que trente coups de bâton à gagner, il en emboursait toujours vingt-huit et demi. Mais tous ces complaints[1173] et murmures ne procédaient que d’envie.

Frère Jean dauba tant et très tant Rouge museau, dos et ventre, bras et jambes, tête et tout, à grands coups de bâton, que je le cuidais[1174] mort assommé. Puis lui bailla les vingt écus, et mon vilain debout, aise comme un roi ou deux. Les autres disaient à frère Jean : « Monsieur frère diable, s’il vous plaît encore quelques uns battre pour moins d’argent, nous sommes tous à vous, monsieur le diable. Nous sommes trestous à vous, sacs, papiers, plumes et tout. »

Rouge museau s’écria contre eux, disant à haute voix : « Feston diene[1175], galefretiers[1176], venez-vous sur mon marché ? Me voulez-vous ôter et séduire mes chalands ? Je vous cite par devant l’official à huitaine mirelaridaine. Je vous chicanerai en diable de Vauverd. » Puis Se tournant vers frère Jean, à face riante et, joyeuse lui dit : « Révérend père en diable Monsieur, si m’avez trouvé bonne robe, et vous plaît encore en me battant vous ébattre, je me contenterai de la moitié, de juste prix. Ne m’épargnez, je vous en prie. Je suis tout et trestout à vous, monsieur le diable, tête, poumon, boyaux et tout. Je vous le dis à bonne chère[1177] ! »

Frère Jean interrompit son propos, et se détourna autre part. Les autres chicanous se retiraient vers Panurge, Épistémon, Gymnaste et autres, les suppliants dévotement être par eux à quelque petit prix battus, autrement étaient en danger de bien longuement jeûner. Mais nul n’y voulut entendre.

Depuis, cherchants eau fraîche pour la chiourme[1178] des nefs, rencontrâmes deux vieilles chicanoures du lieu, lesquelles ensemble misérablement pleuraient et lamentaient. Pantagruel était resté en sa nef, et jà faisait sonner la retraite. Nous doutants qu’elles fussent parentes du chicanons qui avait eu bastonnades, interrogions les causes de telle doléance. Elles répondirent que de pleurer avaient cause bien équitable, vu qu’à heure présente l’on avait au gibet baillé le moine par le cou aux deux plus gens de bien qui fussent en tout chicanourois. « Mes pages, dit Gymnaste, baillent le moine par les pieds à leurs compagnons dormards. Bailler le moine par le cou, serait pendre et étrangler la personne.

— Voire, voire, dit frère Jean, vous en parlez comme saint Jean de la Palisse[1179]. » Interrogées sur les causes de cetui pendage, répondirent qu’ils avaient dérobé les ferrements de la messe[1180] et les avaient mussés[1181] sous le manche de la paroisse[1182].

— Voilà, dit Épistémon, parlé en terrible allégorie. »


COMMENT PANTAGRUEL ÉVADA UNE FORTE TEMPÊTE EN MER.

Au lendemain, rencontrâmes à poge[1183] neuf orques[1184] chargées de moines, jacobins, jésuites, capucins, ermites, augustins, bernardins, célestins, théatins, égnatins, amadéans[1185], cordeliers, carmes, minimes, et autres saints religieux, lesquels allaient au concile de Chésil pour grabeler[1186] les articles de la foi contre les nouveaux hérétiques. Les voyant, Panurge entra en excès de joie, comme assuré d’avoir toute bonne fortune pour celui jour et autres subséquents en long ordre, et, ayant courtoisement salué les béats pères et recommandé le salut de son âme à leurs dévotes prières et menus suffrages, fit jeter en leurs nefs soixante et dix-huit douzaines de jambons, nombre de caviars[1187], dizaines de cervelas, centaines de boutargues[1188], et mille deux beaux angelots[1189] pour les âmes des trépassés.

Pantagruel restait tout pensif et mélancolique. Frère Jean l’aperçut, et demandait dont lui venait telle fâcherie non accoutumée, quand le pilote, considérant les voltigements du peneau[1190] sur la poupe et prévoyant un tyrannique grain et fortunal[1191] nouveau, commanda tous être à l’erte[1192], tant nochers, fadrins[1193] et mousses que nous autres voyagers, fit mettre voiles bas, méjane, contreméjane, triou, maistrale, épagon, civadière[1194], fit caler les boulingues[1195] trinquet de prore et trinquet de gabie[1196], descendre le grand artimon, et de toutes les antennes ne rester que les griselles et côtières[1197].

Soudain la mer commença s’enfler et tumultuer du bas abîme, les fortes vagues battre les flancs de nos vaisseaux ; le mistral, accompagné d’un cole[1198] effréné, de noires gruppades[1199], de terribles sions[1200], de mortelles bourrasques, siffler à travers nos antennes ; le ciel tonner du haut, foudroyer, éclairer, pleuvoir, grêler ; l’air perdre sa transparence, devenir opaque, ténébreux et obscurci, si que autre lumière ne nous apparaissait que des foudres, éclairs et infractions[1201] des flambantes nuées ; les catégides, thielles, lélapes et prestères[1202] enflamber tout autour de nous par les psoloentes, arges, élicies[1203] et autres éjaculations éthérées[1204] ; nos aspects[1205]tous être dissipés et perturbés ; les horrifiques typhones suspendre les monstrueuses vagues du courant. Croyez que ce nous semblait être l’antique chaos, onquel[1206] étaient feu, air, mer, terre, tous les éléments en réfrac taire confusion.

Panurge, ayant du contenu en son estomac bien repu les poissons scatophages, restait accroupi sur le tillac, tout affligé, tout meshaigné[1207], et à demi mort, invoqua tous les benoîts saints et saintes à son aide, protesta de soi confesser en temps et lieu, puis s’écria en grand effroi, disant : « Majordome, hau, mon ami, mon père, mon oncle, produisez[1208] un peu de salé ; nous ne boirons tantôt que trop à ce que je vois. À petit manger bien boire, sera désormais ma devise. Plût à Dieu et à la benoîte, digne et sacrée Vierge, que maintenant, je dis tout à cette heure, je fusse en terre ferme, bien à mon aise !

« Ô que trois et quatre fois heureux sont ceux qui plantent choux ! Ô Parques, que ne me filâtes-vous pour planteur de choux ! Ô que petit est le nombre de ceux à qui Jupiter a telle faveur porté qu’il les a destinés à planter choux, car ils ont toujours en terre un pied, l’autre n’en est pas loin ! Dispute de félicité et bien souverain qui voudra ; mais quiconque plante choux est présentement par mon décret déclaré bienheureux, à trop meilleure raison que Pyrrhon, étant en pareil danger que nous sommes et voyant un pourceau près le rivage qui mangeait de l’orge épandu, le déclara bienheureux en deux qualités, savoir est qu’il avait orge à foison, et d’abondant[1209] qu’il était en terre.

« Ha ! pour manoir déifique et seigneurial il n’est que le plancher des vaches. Cette vague nous emportera. Dieu servateur[1210] ! Ô mes amis ! un peu de vinaigre. Je tressue[1211] de grand ahan[1212]. Zalas ! les voiles sont rompues, le prodenou[1213] est en pièces, les cosses[1214] éclatent, l’arbre[1215] du haut de la gatte plonge[1216] en mer, la carène est au soleil, nos gumènes[1217] sont presque tous rompus. Zalas, zalas ! où sont nos boulingues[1218] ? Tout est frelore bigoth[1219] ! Notre trinquet est à vau-l’eau. Zalas ! à qui appartiendra ce bris ? Amis, prêtez[1220] ici derrière une de ces rambades[1221]. Enfants, votre landrivel[1222] est tombé. Hélas ! n’abandonnez l’orgeau[1223], ni aussi le tirados[1224]. J’ouïs l’agneuillot[1225] frémir. Est-il cassé ? Pour Dieu, sauvons la brague[1226] ; du fernel[1227] ne vous souciez. Bebebe, bous, bous, bous. Voyez à la calamite[1228] de votre boussole, de grâce, maître Astrophile, dont nous vient ce fortunal[1229] ? Par ma foi, j’ai belle peur. Bou, bou, bou, bous, bous. C’est fait de moi. Je me conchie de male[1230] rage de peur. Bou, bou, bou, bou ! Otto, to, to, to, to, ti ! Bou, bou, bou, ou, ou, ou, bou, bou, bous, bous ! Je noie, je noie, je noie, je meurs. Bonnes gens, je noie. »


QUELLES CONTENANCES EURENT PANURGE ET FRÈRE JEAN DURANT LA TEMPÊTE.

Pantagruel, préalablement avoir imploré l’aide du grand Dieu servateur, et fait oraison publique en fervente dévotion, par l’avis du pilote tenait l’arbre fort et ferme : frère Jean, s’était mis en pourpoint pour secourir les nochers. Aussi étaient Épistémon, Ponocrates et les autres. Panurge restait le cul sur le tillac, pleurant et lamentant. Frère Jean l’aperçut, passant sur la coursie[1231], et lui dit : « Par Dieu, Panurge le veau, Panurge le pleurard, Panurge le criard, tu ferais beaucoup mieux nous aidant ici que là pleurant comme une vache, assis sur tes couillons comme un magot.

— Be, be, be, bous, bous, bous, répondit Panurge, frère Jean, mon ami, mon bon père, je noie, je noie, je noie, mon ami, je noie. C’est fait de moi, mon père spirituel, mon ami, c’en est fait. Votre braquemard[1232] ne m’en saurait sauver. Zalas, zalas ! nous sommes au-dessus de éla[1233], hors toute la gamme. Be, be, be, bous, bous. Zalas ! à cette heure sommes nous au-dessous de gamma ut[1234]. Je noie. Ha ! mon père, mon oncle, mon tout. L’eau est entrée en mes souliers par le collet. Bous, bous, bous, paisch, hu, hu, hu, ha, ha, ha, ha, ha, je noie. Zalas, zalas ! hu, hu, hu, hu, hu, hu, hu. Be, be, bous, bous, bobous, ho, ho, ho, ho, ho. Zalas, zalas ! À cette heure, fais bien à point l’arbre fourchu, les pieds à mont[1235], la tête en bas. Plût à Dieu que présentement je fusse dedans la orque[1236] des bons et béats pères concilipètes[1237], lesquels ce matin nous rencontrâmes, tant dévots, tant gras, tant joyeux, tant douillets et de bonne grâce. Holos, holos, holos ! zalas, zalas ! cette vague de tous les diables (mea culpa, Deus), je dis cette vague de Dieu effondrera notre nef. Zalas ! frère Jean, mon père, mon ami, confession ! Me voyez ci à genoux. Confiteor, votre sainte bénédiction.

— Viens, pendu au diable, dit frère Jean, ici nous aider, de par trente légions de diables, viens. Viendra-t-il ?

— Ne jurons point, dit Panurge, mon père, mon ami, pour cette heure. Demain tant que voudrez. Holos, holos, zalas ! notre nef prend eau, je noie, zalas, zalas ! Be, be, be, be, be, bous, bous, bous, bous. Or sommes-nous au fond. Zalas, zalas ! Je donne dix-huit cent mille écus d’intrade[1238] à qui me mettra en terre, tout foireux et tout breneux comme je suis, si onques homme fut en ma patrie de bien. Confiteor. Zalas ! un petit mot de testament ou codicille pour le moins.

— Mille diables, dit frère Jean, sautent on[1239] corps de ce cocu ! Vertu Dieu, parles-tu de testament à cette heure que sommes en danger, et qu’il nous convient évertuer ou jamais plus ? Viendras-tu, oh ! diable ? Comité[1240], mon mignon, ô le gentil algousan[1241] ! de çà ! Gymnaste, ici sur l’estanterol[1242]. Nous sommes, par la vertu Dieu, troussés à ce coup. Voilà notre fanal éteint. Ceci s’en va à tous les millions de diables.

— Zalas, zalas, dit Panurge, zalas ! Bou, bou, bou, bou, bous. Zalas, zalas ! était-ce ici que de périr nous était prédestiné ? Holos, bonnes gens, je noie, je meurs. Consummatum est. C’est fait de moi.

— Magna, gna, gna, dit frère Jean. Fi ! qu’il est laid, le pleurard de merde. Mousse ho ! de par tous les diables, garde l’escantoula[1243]. T’es-tu blessé ? Vertu Dieu, attache à l’un des bitous[1244]. Ici, de là, de par le diable, hé ! Ainsi, mon enfant.

— Ha ! frère Jean, dit Panurge, mon père spirituel, mon ami, ne jurons point. Vous péchez. Zalas, zalas ! Be, be, be, bous, bous, bous, je noie, je meurs, mes amis. Je pardonne à tout le monde. Adieu. In manus. Bous, bous, bouououous. Saint Michel d’Aure, saint Nicolas, à cette fois et jamais plus ! Je vous fais ici bon vœu et à Notre-Seigneur que, si à ce coup m’êtes aidant (j’entends que me mettez en terre hors ce danger ici), je vous édifierai une belle grande petite chapelle ou deux

Entre Cande et Monsoreau
Et n’y paîtra vache ni veau.

« Zalas, zalas ! il m’en est entré en la bouche plus de dix-huit seillaux[1245] ou deux. Bous, bous, bous, bous. Qu’elle est amère et salée !

— Par la vertu, dit frère Jean, du sang, de la chair, du ventre, de la tête, si encore je t’ouïs piauler, cocu au diable, je te galerai[1246] en loup marin. Vertu Dieu que ne le jetons-nous au fond de la mer ? Hespaillier[1247], ho gentil compagnon, ainsi mon ami. Tenez bien là sus[1248]. Vraiment, voici bien éclairé et bien tonné. Je crois que tous les diables sont déchaînés aujourd’hui ou que Proserpine est en travail d’enfant. Tous les diables dansent aux sonnettes. »


COMMENT LES NOCHERS ABANDONNENT LES NAVIRES AU FORT DE LA TEMPÊTE.

« Ha ! dit Fanurge, vous péchez, frère Jean, mon ami ancien. Ancien, dis-je, car de présent je suis nul, vous êtes nul. Il me fâche le vous dire, car je crois qu’ainsi jurer vous fasse grand bien à la râtelle, comme à un fendeur de bois fait grand soulagement celui qui, à chacun coup, près de lui crie : « Han ! » à haute voix, et comme un joueur de quilles est mirifiquement soulagé quand il n’a jeté la boule droit, si quelque homme d’esprit, près de lui, penche et contourne la tête et le corps à demi, du côté auquel la boule autrement bien jetée eût fait rencontre de quilles. Toutefois vous péchez, mon ami doux. Mais, si présentement nous mangeons quelque espèce de cabirotades[1249], serions-nous en sûreté de cetui orage ? J’ai lu que, sur mer, en temps de tempête, jamais n’avaient peur, toujours étaient en sûreté les ministres des dieux Cabires[1250], tant célébrés par Orphée, Apollonius, Phérécydes, Strabo, Pausanias, Hérodote.

— Il radote, dit frère Jean, le pauvre diable. À mille et millions et centaines de millions de diables soit le cocu cornard au diable ! Aide-nous ici, hau, tigre ! Viendra-t-il ? Ici à orche[1251]. Tête-Dieu pleine de reliques, quelle patenôtre de singe est-ce que tu marmottes là entre les dents ? Ce diable de fol marin est cause de la tempête, et il seul n’aide à la chiourme. Par Dieu, si je vais là, je vous châtierai en diable tempêtatif. Ici, fadrin[1252], mon mignon, tiens bien, que j’y fasse un nœud grégeois. Ô le gentil mousse ! Plût à Dieu que tu fusses abbé de Talemouze[1253], et celui qui de présent l’est fût gardien de Croulay ! Ponocrates, mon frère, vous blesserez là. Épistémon, gardez-vous de la jalousie[1254], j’y ai vu tomber un coup de foudre.

— Inse[1255] !

— C’est bien dit. Inse, inse, inse. Vienne esquif ! Inse. Vertu Dieu, qu’est cela ? Le cap[1256] est en pièces. Tonnez, diables, pétez, rotez, fientez. Bren[1257] pour la vague ! Elle a, par la vertu Dieu, failli à m’emporter sous le courant. Je crois que tous les millions de diables tiennent ici leur chapitre provincial, ou briguent pour élection de nouveau recteur.

— Orche[1258] !

— C’est bien dit. Gare la cavèche[1259], hé ! mousse, de par le diable ! Orche, orche.

— Bebebebous, bous, bous, dit Panurge, bous, bous, bebe, bous, bous, je noie. Je ne vois ni ciel ni terre. Zalas, zalas ! De quatre éléments ne nous reste ici que feu et eau. Bouboubous, bous, bous. Plût à la digne vertu de Dieu qu’à heure présente je fusse dedans le clos de Seuillé, ou chez Innocent le pâtissier, devant la Cave peinte à Chinon, sur peine de me mettre en pourpoint pour cuire les petits pâtés ! Notre homme, sauriez-vous me jeter en terre ? Vous savez tant de bien, comme l’on m’a dit. Je vous donne tout Salmigondinois et ma grande caquerollière[1260], si par votre industrie je trouve une fois terre ferme. Zalas, zalas ! je noie. Dea[1261], beaux amis, puisque surgir ne pouvons à bon port, mettons-nous à la rade, je ne sais où. Plongez toutes vos ancres. Soyons hors ce danger, je vous en prie. Notre amé, plongez le scandai et les bolides[1262], de grâce. Sachons la hauteur du profond. Sondez, notre amé, mon ami, de par Notre-Seigneur ! Sachons si l’on boirait ici aisément debout sans soi baisser. J’en crois quelque chose.

— Uretacque[1263], hau ! cria le pilote, uretacque ! La main à l’insain[1264]. Amène, uretacque ! Bressine[1265] uretacque, gare la pane ! Hau amure, amure bas. Hau uretacque, cap en houle[1266] ! Démanche le heaume[1267] ! Acapaye[1268].

— En sommes-nous là ? dit Pantagruel. Le bon Dieu servateur[1269] nous soit en aide !

— Acapaye, hau ! s’écria Jamet Brahier, maître pilote. Acapaye, chacun pense de son âme et se mette en dévotion, n’espérant aide que par miracle des cieux !

— Faisons, dit Panurge, quelque bon et beau vœu. Zalas, zalas, zalas ! bou, bou, bebebebous, bous, bous. Zalas, zalas ! faisons un pèlerin. Çà, çà, chacun boursille à beaux liards, çà !

— De çà, hau, dit frère Jean, de par tous les diables ! À poge[1270]. Acapaye, on nom de Dieu ! Démanche le heaume, hau ! Acapaye, acapaye. Buvons hau ! Je dis du meilleur et plus stomacal. Entendez-vous, hau, majordome, produisez, exhibez. Aussi bien s’en va ceci à tous les millions de diables. Apporte-ci, hau, page, mon tiroir (ainsi nommait-il son bréviaire). Attendez ! tire mon ami, ainsi ! Vertu Dieu, voici bien grêlé et foudroyé, vraiment. Tenez bien là haut, je vous en prie. Quand aurons-nous la fête de Tous Saints ! Je crois qu’aujourd’hui est l’infeste[1271] fête de tous les millions de diables.

— Hélas ! dit Panurge, frère Jean se damne bien à crédit. Ô ! que j’y perds un bon ami ! Zalas, zalas ! voici pis qu’antan. Nous allons de Scylle en Charybde, holos ! je noie. Confiteor. Un petit mot de testament, frère Jean, mon père ; monsieur l’abstracteur, mon ami, mon Achates, Xénomanes, mon tout. Hélas ! je noie, deux mots de testament. Tenez ici sur ce transpontin. »


CONTINUATION DE LA TEMPÊTE ET BREF DISCOURS SUR TESTAMENTS FAITS EN MER.

« Faire testament, dit Épistémon, à cette heure qu’il nous convient évertuer et secourir notre chiourme sur[1272] peine de faire naufrage, me semble acte autant importun et mal à propos comme celui des Lancespesades[1273] et mignons de César entrant en Gaule, lesquels s’amusaient à faire testaments et codicilles, lamentaient leur fortune, pleuraient l’absence de leurs femmes et amis romains, lorsque, par nécessité, leur convenait courir aux armes et soi évertuer contre Ariovistus, leur ennemi. C’est sottise telle que du charretier, lequel sa charrette versée par un retouble[1274], à genoux implorait l’aide d’Hercules et n’aiguillonnait ses bœufs et ne mettait la main pour soulever les roues. De quoi vous servira ici faire testament ? Car, ou nous évaderons[1275] ce danger, ou nous serons noyés. Si évadons, il ne vous servira de rien : testaments ne sont valables ni autorisés sinon par mort des testateurs. Si sommes noyés, ne noiera-t-il pas comme nous ? qui le portera aux exécuteurs ?

— Quelque bonne vague, répondit Panurge, le jettera à bord comme fit Ulyxes, et quelque fille de roi, allant à l’ébat sur le serein, le rencontrera, puis le fera très bien exécuter, et près le rivage me fera ériger quelque magnifique cénotaphe, comme fit Dido à son mari Sychée, Énéas à Déiphobus sur le rivage de Troie, près Rhoète, Andromaque à Hector en la cité de Butrot, Aristotèles à Hermias et Eubulus, les Athéniens au poète Euripides, les Romains à Drusus en Germanie et à Alexandre Sévère, leur empereur, en Gaule, Argentier à Callaischre, Xénocrite à Lysidices, Timares à son fils Théleutagores, Eupolices et Aristodice à leur fila Théotime, Oneste à Timocles, Callimache à Sopolis, fils de Dioclides, Catulle à son frère, Statius à son père, Germain de Brie à Hervé, le nocher breton.

— Rêves-tu ? dit frère Jean. Aide ici, de par cinq cents mille millions de charretées de diables, aide. Que le cancre te puisse venir aux moustaches et trois razes d’angonnages[1276] pour te faire un haut-de-chausses et nouvelle braguette ! Notre nef est-elle encarrée[1277] ? Vertu Dieu, comment la remorquerons-nous ? Que tous les diables de coup de mer voici ! Nous n’échapperons jamais, ou je me donne à tous les diables. »

Alors fut ouïe une piteuse[1278] exclamation de Pantagruel disant à haute voix : « Seigneur Dieu, sauve-nous, nous périssons. Non toutefois advienne selon nos affections[1279], mais ta sainte volonté soit faite.

— Dieu, dit Panurge, et la benoîte Vierge soient avec nous ! Holas, holas ! je noie. Bebebebous, bebe bous, bous. In manus. Vrai Dieu, envoie-moi quelque dauphin pour me sauver en terre, comme un beau petit Arion. Je sonnerai bien de la harpe, si elle n’est démanchée.

— Je me donne à tous les diables, dit frère Jean (Dieu soit avec nous, disait Panurge entre les dents), si je descends là, je te montrerai par évidence que tes couillons pendent au cul d’un veau coquart, cornard, écorné. Mgnan, mgnan, mgnan ! Viens ici nous aider, grand veau pleurard, de par trente millions de diables qui te sautent au corps ! Viendras-tu, ô veau marin ? Fi, qu’il est laid le pleurard !

— Vous ne dites autre chose.

— Çà, joyeux tiroir[1280] en avant, que je vous épluche à contrepoil. Beatus vir qui non abiit. Je sais tout ceci par cœur. Voyons la légende de monsieur saint Nicolas :

Horrida tempestas montem turbavit acutum.


Tempête fut un grand fouetteur d’écoliers au collège de Montaigu. Si, par fouetter pauvres petits enfants, écoliers innocents, les pédagogues sont damnés, il est, sur mon honneur, en la roue d’Ixion, fouettant le chien courtaud qui l’ébranlé : s’ils sont par enfants innocents fouetter sauvés, il doit être au-dessus des… »


FIN DE LA TEMPÊTE.

« Terre, terre, s’écria Pantagruel, je vois terre ! Enfants, courage de brebis ! Nous ne sommes pas loin de port. Je vois le ciel, du côté de la Transmontane[1281] qui commence s’éparer[1282]. Avisez à Siroch.

— Courage, enfants, dit le pilote, le courant est refoncé[1283]. Au trinquet de gabie[1284]. Inse, inse[1285]. Aux boulingues de contreméjane[1286]. Le câble au cabestan. Vire, vire, vire. La main à l’insail[1287]. Inse, inse, inse. Plante le heaume[1288]. Tiens fort à garant[1289]. Pare les couets[1290]. Pare les écoutes. Pare les bolines[1291]. Amure bâbord. Le heaume sous le vent. Casse[1292] écoute de tribord, fils de putain. (Tu es bien aise, homme de bien, dit frère Jean au matelot, d’entendre nouvelles de ta mère). Viens du lof ! Près et plein ! Haut la barre. (Haute est, répondaient les matelots). Taille vie[1293], le cap au seuil[1294]. Malettes[1295], hau ! que l’on coue bonnette[1296]. Inse, inse.

— C’est bien dit et avisé, disait frère Jean. Sus, sus, sus, enfants, diligentement. Bon. Inse, inse.

— À poge[1297].

— C’est bien dit et avisé. L’orage me semble critiquer[1298] et finir ès bonne heure. Loué soit Dieu pourtant. Nos diables commencent escamper dehinc[1299].

— Mole[1300] !

— C’est bien et doctement parlé. Mole, mole ! Ici, de par Dieu, gentil Ponocrates, puissant ribaud ! Il ne fera qu’enfants mâles, le paillard. Eusthènes, galant homme, au trinquet de prore[1301] !

— Inse, inse.

— C’est bien dit. Inse ! de par Dieu, inse, inse. Je n’en daignerais rien craindre.

Je n’en daignerais rien craindre,
Car le jour est fériau[1302],
Nau, Nau, Nau !

— Cetui celeume[1303], dit Épistémon, n’est hors de propos et me plaît, car le jour est fériau.

— Inse, inse, bon !

— Ô ! s’écria Épistémon, je vous commande tous bien espérer. Je vois ça Castor à dextre.

— Be, be, bous, bous, bous, dit Panurge, j’ai grand peur que soit Hélène la paillarde.

— C’est vraiment, répondit Épistémon, Mixarchagevas, si plus te plaît la dénomination des Argives. Haye, haye[1304], je vois terre, je vois port, je vois grand nombre de gens sur le havre. Je vois du feu sur un obéliscolychnie[1305].

— Haye, haye, dit le pilote, double le cap et les basses.

— Doublé est, répondaient les matelots.

— Elle s’en va, dit le pilote : aussi vont celles de convoi. Aide au bon temps.

— Saint Jean, dit Panurge, c’est parlé cela. Ô le beau mot.

— Mgna, mgna, mgna, dit frère Jean, si tu en tâtes goutte, que le diable me tâte. Entends-tu, couillu au diable ? Tenez, mon amé, plein tanquart[1306] du fin meilleur. Apporte les frizons[1307], hau, Gymnaste, et ce grand mâtin de pâté jambique ou jambonique, ce m’est tout un. Gardez de donner à travers.

— Courage, s’écria Pantagruel, courage, enfants. Soyons courtois. Voyez ci près notre nef deux luts, trois flouins, cinq chippes, huit volontaires[1308], quatre gondoles et six frégates, par les bonnes gens de cette prochaine île envoyés à notre secours. Mais qui est cetui Ucalegon là-bas qui ainsi crie et se déconforte ? Ne tenais-je l’arbre[1309] sûrement des mains et plus droit que ne feraient deux cents gumènes[1310] ?

— C’est, répondit frère Jean, le pauvre diable de Panurge, qui a fièvre de veau. Il tremble de peur quand il est saoul.

— Si, dit Pantagruel, peur il a eu durant ce colle[1311] horrible et périlleux fortunal[1312], pourvu qu’au reste il se fût évertué, je ne l’en estime un pelet[1313] moins. Car comme craindre en tout heurt est indice de gros et lâche cœur, ainsi comme faisait Agamemnon et pour cette cause le disait Achilles en ses reproches ignominieusement avoir œils de chien et cœur de cerf, aussi ne craindre quand le cas est évidemment redoutable, est signe de peu ou faute d’appréhension. Or, si chose est en cette vie à craindre, après l’offense de Dieu, je ne veux dire que soit la mort. Je ne veux entrer en la dispute de Socrates et des académiques, mort n’être de soi mauvaise, mort n’être de soi à craindre. Je dis cette espèce de mort par naufrage être ou rien n’être à craindre, car, comme est la sentence d’Homère, chose grave, abhorrente[1314] et dénaturée est périr en mer. De fait, Énéas, en la tempête de laquelle fut le convoi de ses navires, près Sicile surpris, regrettait n’être mort de la main du fort Diomèdes, et disait ceux être trois ou quatre fois heureux qui étaient morts en la conflagration de Troie. Il n’est céans mort personne : Dieu servateur[1315] en soit éternellement loué ! Mais vraiment voici un ménage assez mal en ordre. Bien. Il nous faudra réparer ce bris. Gardez que ne donnons par terre. »


COMMENT, LA TEMPÊTE FINIE, PANURGE FAIT LE BON COMPAGNON.

« Ha. ha, s’écria Panurge, tout va bien. L’orage est passé. Je vous prie, de grâce, que je descende le premier. Je voudrais fort aller un peu à mes aûaires. Vous aiderai-je encore là ? Baillez que je vrillonne[1316] cette corde. J’ai du courage prou[1317], voire, de peur bien peu. Baillez ça, mon ami. Non, non, pas maille de crainte. Vrai est que cette vague décumane[1318], laquelle donna de proue en poupe, m’a un peu l’artère altéré.

— Voile bas !

— C’est bien dit. Comment, vous ne faites rien, frère Jean ? Est-il bien temps de boire à cette heure ? Que savons-nous si l’estafîer de saint Martin nous brasse encore quelque nouvel orage ? Vous irai-je encore aider de là ? Vertu guoi ! je me repens bien, mais c’est à tard, que n’ai suivi la doctrine des bons philosophes, qui disent soi pourmener[1319] près la mer et naviguer près la terre être chose moult sûre et délectable, comme aller à pied quand l’on tient son cheval par la bride. Ha, ha, ha, par Dieu, tout va bien. Vous aiderai-je encore là ? Baillez-ça, je ferai bien cela, ou le diable y sera. »

Épistémon avait une main toute au dedans écorchée et sanglante, pour avoir en violence grande retenu une des gumènes[1320], et, entendant le discours de Pantagruel, dit : « Croyez, seigneur, que j’ai eu de peur et de frayeur non moins que Panurge. Mais quoi ? Je ne me suis épargné au secours. Je considère que si vraiment mourir est (comme est) de nécessité fatale et inévitable, en telle heure ou telle heure, en telle ou telle façon mourir est en la sainte volonté de Dieu. Pourtant[1321] icelui faut incessamment implorer, invoquer, prier, requérir, supplier. Mais là ne faut faire but et borne. De notre part, convient pareillement nous évertuer, et, comme dit le saint Envoyé, être coopéra teurs avec lui. Vous savez que dit C. Flaminius, consul, lorsque, par l’astuce d’Annibal, il fut resserré près le lac de Péruse, dit Thrasymène : « Enfants, dit-il à ses soudards, d’ici sortir ne vous faut espérer par vœux et imploration des dieux. Par force et vertu il nous convient évader et à fil d’épée chemin faire par le milieu des ennemis. » Pareillement, en Salluste, l’aide (dit M. Portius Cato) des dieux n’est impétrée[1322] par vœux ocieux[1323] par lamentations mulièbres[1324]. En veillant, travaillant, soi évertuant, toutes choses succèdent à souhait[1325] et bon port. Si, en nécessité et danger, est l’homme négligent, éviré[1326] et paresseux, sans propos il implore les dieux. Ils sont irrités et indignés.

— Je me donne au diable, dit frère Jean (j’en suis de moitié, dit Panurge), si le clos de Seuillé ne fût tout vendangé et détruit si je n’eusse que chanté Contra hostium insidias (matière de bréviaire), comme faisaient les autres diables de moines, sans secourir la vigne à coups de bâton de la croix contre les pillards de Lerné.

— Vogue la galère, dit Panurge, tout va bien. Frère Jean ne fait rien là. Il s’appelle frère Jean fait néant, et me regarde ici suant et travaillant pour aider cetui homme de bien, matelot premier de ce nom. Notre amé, ho ! Deux mots, mais que je ne vous fâche. De quante[1327] épaisseur sont les ais de cette nef ?

— Elles sont, répondit le pilote, de deux bons doigts épaisses, n’ayez peur.

— Vertu Dieu ! dit Panurge, nous sommes donc continuellement à deux doigts près de la mort. Est-ce ci une des neuf joies de mariage ? Ha ! notre amé, vous faites bien mesurant le péril à l’aune de peur. Je n’en ai point, quant est de moi, je m’appelle Guillaume sans peur. De courage, tant et plus. Je n’entends courage de brebis, je dis courage de loup, assurance de meurtrier, et ne crains rien que les dangers. »


COMMENT, PAR FRÈRE JEAN, PANURGE EST DÉCLARÉ AVOIR EU PEUR SANS CAUSE PENDANT L’ORAGE.

« Bonjour, messieurs, dit Panurge, bonjour trestous. Vous vous portez bien trestous ? Dieu merci, et vous ? Vous soyez les bien et à propos venus. Descendons. Hespailliers[1328], hau, jetez le pontal[1329], approche cetui esquif. Vous aiderai-je encore là ? Je suis allouvi[1330] et affamé de bien faire et travailler comme quatre bœufs. Vraiment voici un beau lieu et bonnes gens. Enfants, avez-vous encore affaire de mon aide ? N’épargnez la sueur de mon corps, pour l’amour de Dieu. Adam, c’est l’homme, naquit pour labourer et travailler, comme l’oiseau pour voler. Notre Seigneur veut, entendez-vous bien ? que nous mangeons notre pain en la sueur de nos corps, non pas rien ne faisant, comme ce penaillon[1331] de moine que voyez, frère Jean, qui boit et meurt de peur. Voici beau temps. À cette heure connais-je la réponse d’Anacharsis le noble philosophe être véritable et bien en raison fondée, quand il, interrogé quelle navire lui semblait la plus sûre, répondit : « Celle qui serait on[1332] port. »

— Encore mieux, dit Pantagruel, quand il, interrogé desquels plus grand était le nombre des morts ou des vivants, demanda : « Entre lesquels comptez-vous ceux qui naviguent sur mer ? » Subtilement signifiant que ceux qui sur mer naviguent tant près sont du continuel danger de mort qu’ils vivent mourants et meurent vivants.

« Ainsi Portius Cato disait de trois choses seulement soi repentir. Savoir est s’il avait jamais son secret à femme révélé, si en oisiveté jamais avait un jour passé, et si par mer il avait pérégriné en lieu autrement accessible par terre.

— Par le digne froc que je porte, dit frère Jean à Panurge, couillon mon ami, durant la tempête tu as eu peur sans cause et sans raison, car tes destinées fatales ne sont à périr en eau. Tu seras haut en l’air certainement pendu, ou brûlé gaillard[1333] comme un père. Seigneur, voulez-vous un bon gaban[1334] contre la pluie ? Laissez-moi ces manteaux de loup et de bedouau[1335]. Faites écorcher Panurge et de sa peau couvrez-vous. N’approchez pas du feu et ne passez par devant les forges des maréchaux. De par Dieu ! en un moment, vous la verriez en cendres. Mais à la pluie exposez-vous tant que voudrez, à la neige et à la grêle. Voire, par Dieu, jetez-vous au plonge dedans le profond de l’eau ; jà ne serez pourtant mouillé. Faites en bottes d’hiver, jamais ne prendront eau. Faites-en des nasses pour apprendre les jeunes gens à nager ; ils apprendront sans danger.

— Sa peau donc, dit Pantagruel, serait comme l’herbe dite cheveu de Vénus, laquelle jamais n’est mouillée ni remoitie[1336] toujours est sèche, encore qu’elle fût on[1337] profond de l’eau tant que voudrez ; pourtant[1338] est dite adiantos[1339].

— Panurge, mon ami, dit frère Jean, n’aie jamais peur de l’eau, je t’en prie. Par élément contraire sera ta vie terminée.

— Voire, répondit Panurge, mais les cuisiniers des diables rêvent quelquefois et errent en leur office, et mettent souvent bouillir ce qu’on destinait pour rôtir, comme en la cuisine de céans les maîtres queux souvent lardent perdrix, ramiers et bizets[1340], en intention (comme est vraisemblable) de les mettre rôtir. Advient toutefois que les perdrix aux choux, les ramiers aux pourreaux et les bizets ils mettent bouillir aux naveaux.

« Écoutez, beaux amis. Je proteste devant la noble compagnie que, de la chapelle vouée à monsieur saint Nicolas entre Cande et Montsoreau, j’entends que sera une chapelle d’eau rose, en laquelle ne paîtra vache ni veau, car je la jetterai au fond de l’eau.

— Voilà, dit Eusthènes, le galant. Voilà le galant, galant et demi ! C’est vérifié le proverbe lombardique :

Passato el pericolo, gabato el santo.

TABLE






  1. Monnaie d’or.
  2. Escargots.
  3. Monnaie d’or.
  4. Monnaie d’or arabe.
  5. Redevance.
  6. Dépensa.
  7. Luronnes.
  8. Banni.
  9. Fixé.
  10. Le (archaïsme).
  11. Au.
  12. Brodé.
  13. Chagrin.
  14. de bonne humeur.
  15. Réserve.
  16. Galantes.
  17. Surtout.
  18. De bon cœur.
  19. Au.
  20. Mais.
  21. Aplanissant.
  22. Landes.
  23. Estropiés.
  24. Rongeurs (?)
  25. Digestion.
  26. Épanouit.
  27. Fortifie.
  28. Vertèbres du cou.
  29. Réduit le muscle crémaster.
  30. Gland.
  31. Dépenser.
  32. Concernant les repas.
  33. Au.
  34. Après avoir
  35. Créanciers.
  36. Acquerra.
  37. Changement de créanciers.
  38. Obsèques.
  39. L’argent.
  40. Sabot (euphémisme pour vrai Dieu !).
  41. Vous me mettez au pied du mur (termes de jeu).
  42. Vraiment.
  43. Contre.
  44. Auteur.
  45. Les consonnes avec les voyelles.
  46. Croyez-vous.
  47. Son expédition.
  48. Aigu.
  49. Exquise.
  50. Enchaînement.
  51. Entretien.
  52. Auquel.
  53. Cessait.
  54. Géants fils d’Aloéus.
  55. Dénicher.
  56. Pleine d’anomalie.
  57. Modèle.
  58. Folie.
  59. Dévoyé.
  60. Auquel.
  61. Coupeur de lèches, grigou.
  62. Se retirent.
  63. (Euphémisme pour le bon vrai Dieu).
  64. Faiseurs des miracles.
  65. Ainsi.
  66. Marchandises.
  67. C’est pourquoi.
  68. Ce qui se mange avec le pain.
  69. Du mésentère.
  70. Secrétion aqueuse.
  71. Enflamme.
  72. Réseau.
  73. Raisonne.
  74. Vertu Dieu :
  75. Au.
  76. Détours.
  77. Circuits.
  78. Menacée.
  79. Récompense.
  80. Argumentateur.
  81. Plaidez.
  82. Dessins et figures.
  83. Tremblement.
  84. Découlement.
  85. Pâteuse.
  86. Écoulement.
  87. Créanciers.
  88. Le moins que je puisse.
  89. Excède.
  90. Fait service.
  91. Chagrine.
  92. Escargotière.
  93. Au.
  94. Entretien.
  95. Cours.
  96. Cogné à grands coups.
  97. Dévirilisés.
  98. Bellone.
  99. Choc.
  100. Frappé.
  101. Combien de.
  102. Ravitailler (équivoque libre).
  103. Licencia.
  104. Damasquinure.
  105. Au.
  106. Matavédis.
  107. (Grosse étoffe de laine).
  108. Se désista de.
  109. Chausses baissées.
  110. Descendant aux talons.
  111. Étrangères.
  112. Pur.
  113. (Jeu de mots entre bureau, étoffe, et bureau, table à compter l’argent).
  114. Fantôme légendaire.
  115. Bûcher.
  116. Au.
  117. Casaques.
  118. Paradoxale.
  119. Avec soin.
  120. Enveloppes.
  121. Petites calices.
  122. Duvets.
  123. Épines piquantes
  124. Mais.
  125. Animal.
  126. Végétaux.
  127. Buveur.
  128. Premièrement.
  129. Naturelles.
  130. Abattue.
  131. Fuient.
  132. Pimpant.
  133. Cruchon (la tête).
  134. Réservoir.
  135. Au.
  136. (Terme de jurisprudence).
  137. Plaisir.
  138. Pique.
  139. Moulinet.
  140. Tiers.
  141. Diable.
  142. Tracas.
  143. Mauvaise.
  144. Danger.
  145. En outre.
  146. Chagriné.
  147. Rencontres de mots.
  148. Répétitions.
  149. Entendant.
  150. Vers.
  151. (Diable).
  152. Bura.
  153. Bois gravés.
  154. Osselets.
  155. Je ne passe au blutoir (équivoque libre).
  156. Au sortir du juchoir.
  157. Fautifs.
  158. Étrille.
  159. Au.
  160. Conviennent.
  161. Par la tête.
  162. Aussi.
  163. Ribaudaille.
  164. Chauves-souris.
  165. Au.
  166. En vue (veduta figura, italianisme).
  167. Point
  168. Revêche.
  169. Accouplement
  170. Représenter.
  171. Patte velue.
  172. Lourdaud.
  173. Coucou.
  174. Magistalement.
  175. Agripperai.
  176. Croc.
  177. Poil.
  178. À défaut
  179. (Sorte de tric-trac).
  180. Troisième.
  181. Dérober.
  182. Noises.
  183. Petites disputes.
  184. Couteliers.
  185. Pierre à aiguiser.
  186. Nettoyés
  187. Autorisées.
  188. Berceau.
  189. Digestion.
  190. S’opposant.
  191. Interprètes des songes (synonymes).
  192. Bonheur.
  193. Au.
  194. Chassera.
  195. Mais.
  196. Naturelle.
  197. Étrangères.
  198. Boisson.
  199. Croient.
  200. À jeun.
  201. Exercer.
  202. Hurlent.
  203. Au.
  204. Exténués.
  205. Mets.
  206. Nébuleux.
  207. de Crustumène.
  208. Fruitage (vieilli).
  209. Depuis longtemps.
  210. Duvet.
  211. Visuels.
  212. Enfant dorloté.
  213. Coiffait.
  214. Folâtrant
  215. Au.
  216. Mais.
  217. Abondance.
  218. Viande.
  219. Adultérin.
  220. Assure.
  221. La chance.
  222. Agréable.
  223. Pernicieuse.
  224. Puissance digestive.
  225. Dissous.
  226. (Marais de Sicile).
  227. Au.
  228. Fourni de foin et de grain.
  229. Enlever
  230. Se retirer.
  231. Réjouir.
  232. Repu.
  233. Pâture.
  234. Digérer.
  235. Au.
  236. Mauvaise.
  237. De la première heure.
  238. (Livre de chant).
  239. Point.
  240. Deniers ou marchandises confiés pour le négoce.
  241. Remets.
  242. Au.
  243. Sont nés sous une bonne étoile.
  244. Sorcière.
  245. Devineresse (les deux termes dans Horace).
  246. Moïse.
  247. En rien.
  248. L’épluchage.
  249. Blutage.
  250. Bien que.
  251. Dommage.
  252. Fiole.
  253. Mitaine.
  254. D’arrêt (qui indiquent le gibier).
  255. Certaines.
  256. En même temps.
  257. Au.
  258. Exquise.
  259. Couverte de chaume.
  260. Disciple de Dun Scot.
  261. Pour rendre service.
  262. Os à moelle.
  263. Anneau.
  264. Monnaie d’or.
  265. Couscoussou.
  266. Bouteille de cuir.
  267. Au.
  268. (Faux diamant jaune).
  269. Un pilon.
  270. Tablier.
  271. Rayé.
  272. Bigarré.
  273. Branlement.
  274. S’échapper.
  275. Prit les devants.
  276. Secoua.
  277. (Gibraltar par allusion à Séville).
  278. Vers.
  279. Tirera de ta gousse.
  280. Moitié.
  281. Après avoir le lu le tout.
  282. Écossée.
  283. Combien de.
  284. La fonction.
  285. C’est à savoir.
  286. Affolé.
  287. Veau.
  288. Dissipe.
  289. Bénie.
  290. Régénarations.
  291. Pourvu de victuailles.
  292. Vol.
  293. Auteurs.
  294. À la dérobée.
  295. Portes.
  296. Escaliers.
  297. Délié.
  298. Rideaux.
  299. À gogo, tout à l’aise.
  300. Chasse-mouches.
  301. Arraché.
  302. De kermès (cochenille).
  303. Agrippe.
  304. Escamote.
  305. Paroles.
  306. Sacrée.
  307. À bout.
  308. (Boulettes de hachis.)
  309. Ainsi.
  310. Écorcer (latinisme).
  311. Plaît
  312. Circonsis.
  313. Juifs retaillés.
  314. Subtil.
  315. Au.
  316. Selon la logique.
  317. Hors de sens et paradoxale.
  318. Mots.
  319. Lèvres.
  320. En outre.
  321. Départ.
  322. Auxquels.
  323. Blutage (équivoque libre).
  324. C’est pourquoi.
  325. Méditait.
  326. Frère lai.
  327. (Raide y met).
  328. Grossesse.
  329. Au.
  330. Partit.
  331. Brûlé.
  332. Jamais.
  333. (Nez de chèvre, en languedocien).
  334. Tonneaux.
  335. Enlacés.
  336. L’index.
  337. Majordome.
  338. Officier de chiourme.
  339. Argousin.
  340. Capitaine de sbires.
  341. Fiancé.
  342. Mis en couple.
  343. De plus.
  344. Au.
  345. Ébranlement.
  346. Infortuné.
  347. Faire ce qu’on a délibéré et aller la part (à l’endroit où) on a délibéré.
  348. Troublez.
  349. Malotru.
  350. En remontant.
  351. Au.
  352. La région lombaire.
  353. Lèvres.
  354. De loisir.
  355. Lapins.
  356. Index.
  357. Là dessus.
  358. De vaurien.
  359. Museau.
  360. Se mouvoir.
  361. Majeur et index.
  362. Combien.
  363. S’accorde.
  364. Reste.
  365. Bonheur.
  366. Idées.
  367. Principalement.
  368. De plus.
  369. Sûreté.
  370. Déjà.
  371. Rappeler.
  372. Climatérique, (c’est-à-dire critique).
  373. En partie.
  374. Hors de sens.
  375. Au chaton.
  376. Bigarrées.
  377. Piqûres.
  378. Accrochements de harpies.
  379. Me faisaient sortir.
  380. Écartez-vous.
  381. Discourt.
  382. Sortant.
  383. Cette phrase burlesque peut se lire : « et par le mouvement circulaire desquels, ainsi qu’à l’aide de deux contrepoids célestes, tout le radotage de l’Église romaine se trémousse autour d’un même centre quand elle se sent embarrassée par les baragouinages des hérétiques ».
  384. Chagrinés.
  385. De salut.
  386. Serpent (le diable).
  387. Dommages et intérêts.
  388. Attentivement.
  389. Depuis que nous avons mis au four.
  390. Subtil.
  391. Pourvu d’ergots.
  392. Juif.
  393. Race.
  394. Assure.
  395. Cousins.
  396. Les unes.
  397. Tourmentantes.
  398. Vers.
  399. Piqûre.
  400. Incommodité.
  401. Prochain.
  402. Atteint de la contagion.
  403. Auquel.
  404. Au.
  405. Donner satisfaction.
  406. Bouteille de cuir.
  407. Tout de rang.
  408. Se gourmant.
  409. Bouche.
  410. Agripperaient.
  411. Banqueroutier.
  412. Mauvaise.
  413. Ripaille.
  414. Garniture.
  415. (La croix frappée sur les pièces de monnaie.)
  416. Chève.
  417. Profond.
  418. Conter fleurette.
  419. N’avaient pas coutume.
  420. Banqueroutier.
  421. En proie à la fièvre hectique.
  422. Épée.
  423. Au.
  424. Armure.
  425. Aujourd’hui Arpajon.
  426. Interprètes juifs.
  427. Flamme.
  428. Sensation.
  429. Choc.
  430. Armures.
  431. Armures de cheval.
  432. Fracas.
  433. Blessés.
  434. Hurlement.
  435. Souffrent.
  436. Hurlent.
  437. Serrure.
  438. Épuisée.
  439. Humeur peccante.
  440. C’est pourquoi.
  441. Invoqué.
  442. Convoitent.
  443. Ouverte.
  444. Recouvré.
  445. Le morceau de jambière.
  446. Enguerrand de Monstrelet.
  447. Récit.
  448. Attente.
  449. Tel se moque des boiteux qui cloche.
  450. Mot.
  451. Ouvertement.
  452. Quelques.
  453. Règle.
  454. Au.
  455. Sauveur.
  456. Esprits des ténèbres.
  457. De plus.
  458. Rappelle.
  459. Reporcha.
  460. Saint-Malo.
  461. Ouvertement.
  462. Médite.
  463. Hochant la tête.
  464. Fâché.
  465. Tirant de l’arquebuse.
  466. Aujourd’hui.
  467. (Jeu de mots sur banc, servant à monter sur le lit, et ban, publication de mariage).
  468. Perches.
  469. Patars (menue monnaie).
  470. Cormoran.
  471. Tracer.
  472. Cessent.
  473. Aussi.
  474. Certes.
  475. Ainsi.
  476. Qualité de sœur.
  477. En quelque façon.
  478. Lanières (qui retiennent le faucon).
  479. Gloutonne.
  480. Worcester (?).
  481. Ce que.
  482. Comparaison.
  483. Calfats.
  484. Cabane.
  485. Souffleur (protocole, porteur de papiers).
  486. Machinerie, cordages servant à taire les vols.
  487. Décampai.
  488. Cessa.
  489. Tes mauvais ulcères.
  490. Arguments logiques.
  491. La foudre (et aussi l’esquinanscie).
  492. L’ulcère.
  493. Au.
  494. N’avais coutume.
  495. Accuse.
  496. Couchant.
  497. Ce qui m’afflige.
  498. Macéré.
  499. Attaquer les pesons (de fuseau).
  500. Dévidoirs.
  501. Écheveaux.
  502. Feront défaut.
  503. Au.
  504. Ce que.
  505. Dépourvu.
  506. Aimant la plaisanterie.
  507. Quelque peu.
  508. Éveillée.
  509. Semaines.
  510. Tambouriner.
  511. Blâmant.
  512. Collier.
  513. (Emblème de fidelité).
  514. Résolue.
  515. Au.
  516. Doigt majeur.
  517. Le dire.
  518. Après l’avoir.
  519. Égoïsme.
  520. Au.
  521. Turlupiné.
  522. Employée.
  523. Défenses.
  524. Quatrième en sus.
  525. Positivement.
  526. Aléa.
  527. En outre.
  528. Aujourd’hui.
  529. Profonde.
  530. Résolu.
  531. Invitation.
  532. Premièrement.
  533. Danger.
  534. Brûler.
  535. Tournailler.
  536. Corps de poule.
  537. Rubans de noce.
  538. Non, certes.
  539. L’agitation.
  540. La tête (jeu de mots).
  541. Des rillons.
  542. Blasphématoire.
  543. Sauveur.
  544. Dispensateur.
  545. Cachée.
  546. Ouvertement.
  547. Règle de conduite.
  548. Présentées devant.
  549. Au.
  550. Parce qu’il lui infuse et présente.
  551. Pour.
  552. Tranche.
  553. Vêtus de bure.
  554. Frère chaude-oreille.
  555. Expédiez-moi.
  556. Solution.
  557. Dissolution.
  558. Affaiblissement.
  559. Impropriétés.
  560. Particulièrement.
  561. Obstruent.
  562. Rendent apte.
  563. Digestion.
  564. Castrats.
  565. Casti, chastes (latinisme).
  566. Oisif.
  567. Artifices.
  568. Frapperait.
  569. Point.
  570. Parmi.
  571. Allant et venant.
  572. De loisir.
  573. Débauche.
  574. Incroyable.
  575. Dissolution.
  576. Du raisonnement.
  577. Souvenir.
  578. Ventricule gauche.
  579. Pures.
  580. Ouvertement.
  581. Au.
  582. Tempérament.
  583. D’outre-mer.
  584. Sur la bannière.
  585. Inhabile.
  586. Arrangeur.
  587. (Sens du singulier).
  588. Côté.
  589. Découvete.
  590. Entre autres raisons parce qu’elles.
  591. Se cachent.
  592. Qualité de femme (mot forgé sur le modèle d’humanité).
  593. Interne.
  594. Dans lequel.
  595. Salées.
  596. Boraciques.
  597. Piqûre.
  598. Passions portées au comble.
  599. Pensées.
  600. Rapport.
  601. Contraction.
  602. Enlevé.
  603. Évanouissement.
  604. Discernement.
  605. Effet.
  606. Furieux désir.
  607. Aînés.
  608. C’est pourquoi.
  609. Astringence.
  610. Digestion.
  611. Coup.
  612. Esquinancie.
  613. (Sorte de jonc odorant).
  614. Cannelle.
  615. Le plant.
  616. À corneilles.
  617. Au.
  618. Aussi.
  619. Au.
  620. Autorisant.
  621. Mais.
  622. Décollé (décollation de saint Jean).
  623. Recherché.
  624. Boissons fraîches.
  625. Jonchées.
  626. Feuillées.
  627. Combien de.
  628. Se désista.
  629. Exclus.
  630. Avec instance.
  631. Mauvaise humeur.
  632. Espionnages.
  633. Menace.
  634. Mais.
  635. Concurrent.
  636. Écarterait.
  637. Se retireraient.
  638. Privés
  639. Tendent.
  640. Quelques-uns.
  641. Rappela.
  642. Ouvertement.
  643. Point.
  644. Célébrées.
  645. Auriez peine à le céler.
  646. Sous.
  647. Après avoir.
  648. Jamais vu depuis.
  649. Filet.
  650. Recouvrée.
  651. Au.
  652. Rillons.
  653. (Pièces d’or anglaises).
  654. (Terme de jeu).
  655. Fou.
  656. (Sous-entendu : le diable).
  657. Places.
  658. Chaise.
  659. Débarrassés.
  660. Opposées.
  661. Point.
  662. Division.
  663. Ouvertement.
  664. S’habituer à la mollesse.
  665. Qui suspend son jugement.
  666. Vous parlez d’or.
  667. Au.
  668. Ne mettez rien en bourse.
  669. Changeons de main (aux dés).
  670. Par le corps Dieu.
  671. Ainsi.
  672. Au.
  673. Embarrassé.
  674. Vraiment.
  675. Sous.
  676. Sauf.
  677. La cour basse (du château)
  678. Entrailles.
  679. Dos.
  680. Introduire.
  681. Embarrasse.
  682. Bref.
  683. Ainsi.
  684. (Comme : renie).
  685. Aujourd’hui.
  686. Cabinet d’études.
  687. Affectant le doute.
  688. Suspendant leur jugement.
  689. La crinière.
  690. Jamais.
  691. Sorti.
  692. Aussi
  693. Parti.
  694. Pendant ce temps.
  695. (Jeu de mots entre appeaux, pièges et appels)
  696. Lui
  697. Ce ne peut.
  698. Aujourd’hui.
  699. Suis décidé à.
  700. Après les avoir.
  701. Poissée.
  702. Sortir.
  703. Nœuds coulants.
  704. Combien de.
  705. Résolues.
  706. Rappeler.
  707. Adroitement.
  708. Sot.
  709. Négligence.
  710. Vulgaire ignorant.
  711. Habile.
  712. Signes astrologiques à la naissance.
  713. Portefaix.
  714. Bâton.
  715. Après avoir.
  716. Désaccord.
  717. Faisait sonner.
  718. Au.
  719. En peau de singe.
  720. Célébré.
  721. Fou.
  722. Bonjour.
  723. Bonne déesse.
  724. Les dépasserait.
  725. Attendre.
  726. J’expédierai.
  727. Jugeait.
  728. Aussi
  729. (Toute la défense de Bridoye est hérissée de brocards judiciaires de citations du Digeste, d’extraits de jurisconsultes, etc. Malgré notre règle de ne rien changer au texte de Rabelais, nous avons par exception allégé ces chapitres d’une bonne partie de ce latin dont le sel nous échappe aujourd’hui.)
  730. Actes de conservation.
  731. (Comme : confrontations).
  732. Le coup de dés.
  733. En même temps.
  734. Jugez-vous.
  735. En outre.
  736. Aussi.
  737. Bursale, ayant trait aux impôts.
  738. Trésoriers généraux.
  739. Repas.
  740. Retarde.
  741. Épluché.
  742. Supporté.
  743. Nuisible.
  744. Cuisson (maturité).
  745. En outre.
  746. Au.
  747. Vert bleuté.
  748. Jais.
  749. Conciliait.
  750. Avis.
  751. Grillons.
  752. Comprenez bien.
  753. Aussitôt.
  754. Chagrin.
  755. Sans retenue.
  756. Inconciliable.
  757. Faire des reproches à.
  758. Décroissance.
  759. Avait sa crise.
  760. Argent en poche(argot).
  761. Intermédiaire.
  762. Bonheur.
  763. Debout.
  764. Poursuites.
  765. Beaucoup de.
  766. Se rendre.
  767. La cotte de mailles.
  768. Intercalation.
  769. (Patois gascon).
  770. Lansquenets.
  771. (Allemand vulgaire).
  772. Fils.
  773. Gaillardement.
  774. Lame de Verdun.
  775. Épée espagnole.
  776. Se rapporte.
  777. Enfin.
  778. Sortir.
  779. Distributeur.
  780. Paradoxale.
  781. Ainsi.
  782. Juger.
  783. Simplicité.
  784. L’affaiblissement.
  785. Croyez avoir.
  786. Aide.
  787. Habile.
  788. Enfin.
  789. Distributeur.
  790. Au.
  791. Bonheur.
  792. Surtout.
  793. Pleines d’intrigues.
  794. Moi.
  795. J’avais coutume.
  796. Docteurs.
  797. Secouée.
  798. Faiblesse.
  799. Force.
  800. Secouait.
  801. À.
  802. Eunuques.
  803. Follement sage.
  804. Ouvertement.
  805. Pensant.
  806. Tout.
  807. Discernement.
  808. Chassera au vol.
  809. Rustique.
  810. Benjoin (équivoque entre bien joint et mau (mal) joint, désignant le sexe de la femme).
  811. De cour.
  812. Assure.
  813. Prennent la résolution de.
  814. Follement sage.
  815. Renvoie.
  816. Voyage lointain.
  817. S’écartent.
  818. Débarrasser.
  819. Interprète.
  820. D’ailleurs.
  821. Prenait la résolution de.
  822. Reconduire.
  823. (Jeu de mots sur good fellow et falot).
  824. Sortant.
  825. Récit.
  826. Suppliques.
  827. Je m’exemptais.
  828. Vivant.
  829. Soit.
  830. Incitant.
  831. Enlevée.
  832. Connaissance.
  833. Au.
  834. Pontifes.
  835. De la race des taupes.
  836. Éloignés.
  837. Lascivité.
  838. Diamétralement contraires.
  839. Ratifié.
  840. Matutinale.
  841. Initiés aux mystères, moines.
  842. Au.
  843. Vaurien.
  844. Attaquée.
  845. Élevées.
  846. Héritant.
  847. Le personnage de la race des taupes.
  848. Ne pouvant supporter.
  849. Confrères.
  850. Réclamant.
  851. Férocement.
  852. Prétendant.
  853. Donnée en menace.
  854. S’y opposant.
  855. Au.
  856. Pris de corps.
  857. Instigation.
  858. Pillage.
  859. Nourricière
  860. Respirant.
  861. Vous vous remettez.
  862. Matelots.
  863. Interprètes.
  864. Sauveur.
  865. Saint-Malo.
  866. Ceux.
  867. Rameurs.
  868. Vêtements.
  869. Au.
  870. Navigation.
  871. Escadre voguant de conserve.
  872. Navires anglais.
  873. Birèmes liburiennes.
  874. Chanvre.
  875. Interprètes.
  876. Novices.
  877. Chefs de nage.
  878. Transparente et translucide.
  879. Flacon.
  880. Orné.
  881. Damasquinure.
  882. Vase à vin.
  883. Affiné.
  884. Tasse.
  885. Parfilé.
  886. De Perse.
  887. Hotte de vendangeur.
  888. Baril.
  889. Indiennes.
  890. À dessins d’arbres taillés.
  891. Mets.
  892. Provisions de vin.
  893. Pendant la navigation.
  894. L’aimant.
  895. Inde.
  896. La zone torride.
  897. Au delà de.
  898. Essieu (pôle).
  899. Mais.
  900. Tourner.
  901. Conforme aux règles.
  902. Départ.
  903. Au.
  904. Silloné.
  905. De marbre.
  906. La périphérie de l’île.
  907. Au.
  908. Équipages (de rameurs).
  909. Provision d’eau.
  910. Étrangères.
  911. Qui se font chaque année.
  912. S’assemblaient.
  913. Sentiments.
  914. Copié.
  915. Brodée.
  916. Obsèques.
  917. Licornes.
  918. Brûlé.
  919. Chacals.
  920. Émotions.
  921. Successivement.
  922. Prêtres d’Isis.
  923. Refusées.
  924. Émotions.
  925. Étrangers.
  926. Canons.
  927. Vaisseau léger.
  928. L’Hirondelle (en grec).
  929. Écailles.
  930. Telles qu’elles.
  931. Comportement.
  932. Salut du bonnet.
  933. Colombe (en hébreu).
  934. Faisant éclore.
  935. Entraves.
  936. Au.
  937. Ardemment attendue.
  938. L’accommodement.
  939. Désiraient vivement.
  940. Tension d’esprit.
  941. Maisons de champs.
  942. Administration ménagère.
  943. Départ.
  944. Ôté.
  945. Soucieuse.
  946. Chagrin.
  947. Mot.
  948. Expédié.
  949. Renseigné d’une façon certaine.
  950. Comportement.
  951. Recouvré.
  952. Remis.
  953. Reposer.
  954. L’expédition.
  955. Prévus.
  956. Souffrent.
  957. Impuissantes (à supporter).
  958. Détachée.
  959. Méditées.
  960. M’abandonnais.
  961. Mémoire.
  962. Burinée et gravée.
  963. Naturelle.
  964. Mission de confiance.
  965. En même temps.
  966. Continuité.
  967. Impuissance.
  968. Gratitude.
  969. Détresse.
  970. À moins que.
  971. Bienfait.
  972. Dignes.
  973. Total.
  974. Manquerai.
  975. Navigation.
  976. Voisines.
  977. Licornes.
  978. S’y opposant.
  979. Au.
  980. Convenables.
  981. Petit blé.
  982. Légumes.
  983. Vivantes.
  984. Gentillesse.
  985. Serrement de bras.
  986. Après avoir.
  987. Perles.
  988. Matelots.
  989. Partirent.
  990. Navigation.
  991. La copie.
  992. Déjà
  993. Babord.
  994. Mer.
  995. Pouces.
  996. Donné la saccade (mot forgé par Rabelais).
  997. Hors de sujétion.
  998. Moutonnier.
  999. Armures.
  1000. D’où fut apaisé.
  1001. De bon cœur.
  1002. Lui fit raison.
  1003. Gaillardement.
  1004. Railler.
  1005. Point.
  1006. De par saint Nicolas, compagnon (en lorrain).
  1007. Couchant.
  1008. Vrai.
  1009. Fou.
  1010. Bifurquez.
  1011. Plateau.
  1012. La Tête de Buch.
  1013. Serges.
  1014. Drap fin de Ségovie.
  1015. Verrou.
  1016. Porte.
  1017. (Monnaie à l’effigie de Henri II.)
  1018. Auquel.
  1019. Fruits des Indes.
  1020. Vient.
  1021. Alchimistes.
  1022. Du côté que.
  1023. Beaucoup.
  1024. Antilopes.
  1025. Osselets.
  1026. Dépéchons.
  1027. Les boyaux.
  1028. Fienter.
  1029. Merde, merde.
  1030. Armure.
  1031. De quel côté.
  1032. Réjoui.
  1033. De la main gauche.
  1034. Empêcher.
  1035. Animal.
  1036. Croyant.
  1037. La cambuse.
  1038. Empêcher.
  1039. Échapper au.
  1040. Bonheur.
  1041. Souhaitant.
  1042. Doux comme du satin.
  1043. Avait coutume.
  1044. Largement.
  1045. Suisses du comté de Gruyère.
  1046. Niais.
  1047. Vent du Sud.
  1048. Employer.
  1049. Côté.
  1050. Avec.
  1051. Jupon (le ventre).
  1052. Corps de poule (italianisme).
  1053. Faire des chichis.
  1054. L’embrassade.
  1055. Vraiment.
  1056. À ma façon rustique.
  1057. Dispense.
  1058. Dans tous leurs atours.
  1059. Naturelles.
  1060. Chenets.
  1061. Naturellement.
  1062. D’exotismes.
  1063. Lutte.
  1064. Vanterait.
  1065. Dignes.
  1066. Révolté.
  1067. Soigneusement.
  1068. Au.
  1069. (Sorte de pâtisseries).
  1070. Cachée.
  1071. Piquer aux épiner.
  1072. Déplacée.
  1073. Damerai le pion (à votre histoire).
  1074. Superbement.
  1075. D’armures de jambes et de pieds.
  1076. Avec une monture assortie.
  1077. Mâchuré.
  1078. Procureurs.
  1079. Avec.
  1080. Interprètes.
  1081. Diamétralement.
  1082. Gens soumis à Rome.
  1083. Mauvaise.
  1084. Memento.
  1085. Larve de grenouille, tétard.
  1086. Jarretières, coups de fouets sur les jambes.
  1087. Naturelles.
  1088. Parfois.
  1089. En même temps.
  1090. Suis résolu.
  1091. Sultan.
  1092. Ne manquez.
  1093. De peau de chevreau.
  1094. Au.
  1095. Cloche.
  1096. Particulièrement.
  1097. Au.
  1098. Mine.
  1099. (Monnaie d’or.)
  1100. L’os de la poitrine.
  1101. Enfoncé.
  1102. D’acier.
  1103. Tigré de contusions.
  1104. Equa orba (latinisme).
  1105. Acteurs.
  1106. Ayant répété leur rôle.
  1107. Sacristain.
  1108. Acteurs.
  1109. Agrémentés.
  1110. Crochets.
  1111. Les uns.
  1112. Poix résine.
  1113. Après les avoir.
  1114. Maison de champs.
  1115. Au.
  1116. Coups de poitrail.
  1117. Ruades de deux pieds à la fois.
  1118. Renversa.
  1119. Bois.
  1120. Tailladé.
  1121. Écrasa.
  1122. Des Rameaux.
  1123. Pensé.
  1124. Je vous le confie.
  1125. Méprise.
  1126. Comparés.
  1127. Garde.
  1128. Panaches.
  1129. Papillottes.
  1130. Cuillères à soupes.
  1131. Cloche.
  1132. Osselets.
  1133. De quel côté.
  1134. Employer.
  1135. Premièrement.
  1136. Résolus.
  1137. Courbaturé.
  1138. Couvert de bleus.
  1139. Au.
  1140. À la main fermée.
  1141. Floc de rubans.
  1142. Médecins.
  1143. Ingurgité.
  1144. Rompu.
  1145. Les os (radius et cubitus) cassés.
  1146. Cachés.
  1147. Maudissait.
  1148. Privé d’un bras.
  1149. Par surplus.
  1150. Qui avait les mâchoires en Bavière (c.à.d. bavantes).
  1151. Souliers.
  1152. Jambes.
  1153. Singe.
  1154. En outre.
  1155. Phalanges.
  1156. Partent.
  1157. En même temps.
  1158. Combien de.
  1159. Depuis lors.
  1160. Dépensait.
  1161. Paré.
  1162. Aujourd’hui.
  1163. Qui rendent la justice debout.
  1164. Sortant.
  1165. Ribauds.
  1166. Distribuait.
  1167. Dépensait.
  1168. Assommerez
  1169. Au.
  1170. Chaton.
  1171. (Pierre fine d’un gris brunâtre).
  1172. Se plaignant.
  1173. Plaintes.
  1174. Croyais.
  1175. Fête-Dieu.
  1176. Calfats (hommes de rien).
  1177. De bon visage.
  1178. Équipage de rameurs.
  1179. (Jeu de mots avec Apocalypse).
  1180. Ornements sacrés.
  1181. Cachés.
  1182. Le clocher.
  1183. Droite.
  1184. Transports.
  1185. (Ordre fondé par Amédée de Savoie).
  1186. Éplucher.
  1187. Caviars.
  1188. Œufs de poisson séchés.
  1189. (Monnaie d’or).
  1190. La banderolle.
  1191. Tempête.
  1192. Au guet.
  1193. Novices.
  1194. Misaine, contremisaine, voile de fortune, grand’voile, voile d’artimont, voile de beaupré.
  1195. Boulines.
  1196. Trinquette de proue et trinquette de hune.
  1197. Les enfléchures et cordages.
  1198. Tourbillon.
  1199. Bourrasques.
  1200. Tourmentes.
  1201. Déchirements.
  1202. Orages, tempêtes, tourbillons de vent et de pluie, ouragans accompagnés de foudre et d’éclairs.
  1203. Foudres fumantes, foudres fulgurantes, éclairs en spirales.
  1204. Traits lancés par le ciel.
  1205. Notre orientation.
  1206. Auquel.
  1207. Chagriné.
  1208. Exhiber.
  1209. Par surplus.
  1210. Sauveur.
  1211. Je sue abondamment.
  1212. Grand’peine.
  1213. L’amarre de proue.
  1214. Les porte-haubans.
  1215. Le mât.
  1216. Hume.
  1217. Câbles.
  1218. Boulines.
  1219. Perdu, par Dieu ! (allemand corrompu).
  1220. Portez aide.
  1221. Châteaux d’avant.
  1222. Remorque.
  1223. La barre.
  1224. Trait.
  1225. Le gond de gouvernail.
  1226. Braie, le cordage.
  1227. De la drosse.
  1228. L’aimant.
  1229. Tempête.
  1230. Mauvaise
  1231. L’allée entre les bancs de rames.
  1232. Épée.
  1233. (Le plus haut ton).
  1234. (La plus basse note).
  1235. En haut.
  1236. Le transport.
  1237. Allant au concile.
  1238. Rente.
  1239. Au.
  1240. Chef de chiourme.
  1241. Argousin.
  1242. La chambre.
  1243. Le pilier de la poupe.
  1244. Bitons.
  1245. Seaux.
  1246. Donnerai de la réjouissance.
  1247. Chef de nage.
  1248. Là-dessus.
  1249. Grillades de chevreau.
  1250. (Dieux de l’île de Samothrace).
  1251. Gauche.
  1252. Novice.
  1253. Talmont (Vendée) ? jeu de mots entre mousse et talemouze (sorte de pâtisserie).
  1254. Balustrade.
  1255. Hisse !
  1256. L’avant.
  1257. Merde.
  1258. À gauche.
  1259. Tête du gouvernail.
  1260. Escargotière.
  1261. Vraiment.
  1262. Le plomb et les sondes.
  1263. À la poulie !
  1264. À la drisse.
  1265. Hale.
  1266. À la lame !
  1267. La barre.
  1268. Mets à la cape.
  1269. Sauveur.
  1270. À droite.
  1271. Impropice.
  1272. Sous.
  1273. Auspessades.
  1274. Dans un champ nouvellement moissoné.
  1275. Échapperons à.
  1276. Trois demi-aunes de bosses chancreuses (italianisme).
  1277. Échouée.
  1278. Pitoyable.
  1279. Désirs ardents.
  1280. Bréviaire.
  1281. La tramontane, le nord.
  1282. S’éclaircir.
  1283. Redescendu à fond.
  1284. Au mât de hune.
  1285. Hisse.
  1286. Aux boulines de contre-misaine.
  1287. À la drisse.
  1288. La barre.
  1289. Au bout.
  1290. Les écoutes.
  1291. Les boulines.
  1292. Serre.
  1293. Coupe la route.
  1294. Sur la terre.
  1295. Aux pochettes !
  1296. Qu’on amuse les bonnettes.
  1297. Droite.
  1298. Tendre à sa fin.
  1299. Décamper d’ici.
  1300. Mollis.
  1301. Proue.
  1302. Férié.
  1303. Chant de rameurs.
  1304. Arrête, arrête.
  1305. Phare.
  1306. (Mesure de deux pintes.)
  1307. Chopes.
  1308. Deux tartanes, trois chaloupes, cinq navires, huit barques.
  1309. Le mât.
  1310. Gros câbles.
  1311. Tourbillon.
  1312. Ouragan.
  1313. Poil.
  1314. Hors de sens.
  1315. Sauveur.
  1316. Enroule.
  1317. Beaucoup.
  1318. Violente (la dixième, plus forte que les autres).
  1319. Promener.
  1320. Gros câbles.
  1321. Aussi.
  1322. Obtenue.
  1323. Oiseux.
  1324. De femmes.
  1325. Réussissent.
  1326. Efféminé.
  1327. Combien d’.
  1328. Chefs de nage.
  1329. Pont volant.
  1330. Affamé comme un loup.
  1331. Cette guenille.
  1332. Au.
  1333. Gaillardement.
  1334. Caban.
  1335. Blaireau.
  1336. Humide.
  1337. Au.
  1338. Aussi.
  1339. Non humide.
  1340. Pigeons sauvages.