Gargantua et Pantagruel (Texte transcrit et annoté par Clouzot)\TL24

Texte établi par Henri ClouzotLarousse (Tome IITexte sur une seule pagep. 66-67).

COMMENT PANURGE PREND CONSEIL DE FRÈRE JEAN DES ENTOMMEURES.

Panurge était fâché, et, avoir passé la bourgade Huimes, s’adressa à frère Jean et lui dit, becquetant[1] et soi grattant l’oreille gauche : « Tiens-moi un peu joyeux, mon bedon. Je me sens tout matagrabolisé[2] en mon esprit des propos de ce fol endiablé. Écoute, couillon mignon,  …couillon hacquebutant[3], couillon culletant, frère Jean mon ami. Je te porte révérence bien grande, et te réservais à bonne bouche. Je te prie, dis-moi ton avis. Me dois-je marier ou non ? »

Frère Jean lui répondit en allégresse d’esprit, disant : « Marie-toi, de par le diable, marie-toi, et carillonne à doubles carillons de couillons. Je dis et entends le plus tôt que faire pourras. Dès hui[4] au soir fais-en crier les bancs[5] et le châlit. Vertu Dieu, à quand te veux-tu réserver ? Sais-tu pas bien que la fin du monde approche ? Nous en sommes hui plus près de deux trabuts[6] et demie toise que n’étions avant-hier. L’Antéchrist est déjà né, ce m’a l’on dit. Vrai est qu’il ne fait encore qu’égratigner sa nourrice et ses gouvernantes, et ne montre encore les trésors, car il est encore petit. Crescite, nos qui vivimus. multiplicamini : il est écrit. C’est matière de bréviaire. Tant que le sac de blé ne vaille trois patacs[7] et le bussart de vin que six blancs. Voudrais-tu bien qu’on te trouvât les couilles pleines au jugement, dum venerit judicare ?

— Tu as, dit Panurge, l’esprit moult limpide et serein, frère Jean, couillon métropolitain, et parles pertinemment. C’est ce dont Léander d’Abyde en Asie, nageant par la mer Hellesponte pour visiter s’amie Héro, de Seste en Europe, priait Neptune et tous les dieux marins :

Si, en allant, je suis de vous choyé,
Peu au retour me chaut d’être noyé.

Il ne voulait point mourir les couilles pleines. Et suis d’avis que dorénavant, en tout mon Salmigondinois, quand on voudra par justice exécuter quelque malfaiteur, un jour ou deux devant on le fasse brisgoutter en onocrotale[8], si bien qu’en tous ses vases spermatiques ne reste de quoi protraire[9] un Y grégeois. Chose si précieuse ne doit être follement perdue. Par aventure engendrera-t-il un homme. Ainsi mourra il sans regret, laissant homme pour homme. »

  1. Hochant la tête.
  2. Fâché.
  3. Tirant de l’arquebuse.
  4. Aujourd’hui.
  5. (Jeu de mots sur banc, servant à monter sur le lit, et ban, publication de mariage).
  6. Perches.
  7. Patars (menue monnaie).
  8. Cormoran.
  9. Tracer.