Page:Rabelais - Gargantua et Pantagruel, Tome II (Texte transcrit et annoté par Clouzot).djvu/161

Cette page a été validée par deux contributeurs.

COMMENT PAR CHICANOUS SONT RENOUVELÉES LES ANTIQUES COUTUMES DES FIANÇAILLES.

« Chicanous, avoir dégouzillé[1] une grande tasse de vin breton, dit au seigneur : « Monsieur, comment l’entendez-vous ? L’on ne baille point ici des noces ? Sainsambreguoi ! toutes bonnes coutumes se perdent. Aussi ne trouve l’on plus de lièvres au gîte. Il n’est plus d’amis. Voyez comment en plusieurs églises l’on a désemparé[2] les antiques buvettes des benoîts saints Ô Ô de Noël ! Le monde ne fait plus que rêver. Il approche de sa fin. Or tenez : des noces, des noces, des noces ! » Ce disant, frappait sur Basché et sa femme, après sur les damoiselles et sur Oudart.

Adonc firent gantelets leur exploit, si qu’à chicanous fut rompue la tête en neuf endroits, à un des recors fut le bras droit défocillé[3], à l’autre fut démanchée la mandibule supérieure, de mode qu’elle lui couvrait le menton à demi avec dénudation de la luette et perte insigne des dents molaires, masticatoires et canines. Au son du tambourin, changeant son intonation, furent les gantelets mussés[4], sans être aucunement aperçus, et confitures multipliées de nouveau, avec liesse nouvelle. Buvants les bons compagnons uns aux autres, et tous à chicanous et à ses recors, Oudart reniait et dépitait[5] les noces, alléguant qu’un des recors lui avait desincornifistibulé toute l’autre épaule. Ce nonobstant, buvait à lui joyeusement. Le recors démantibulé joignait les mains et tacitement lui demandait pardon, car parler ne pouvait-il. Loyre se plaignait de ce que le recors débradé[6] lui avait donné si grand coup de poing sur l’autre coude qu’il en était devenu tout esperruquancluzelubelouzerirelu du talon.

« Mais, disait Trudon, cachant l’œil avec son mouchoir et montrant son tambourin défoncé d’un côté, quel mal leur avais-je fait ? Il ne leur a suffi m’avoir ainsi lourdement morrambouzevezengouzequoquemorguatasacbacguevezinemaffressé mon pauvre œil ; d’abondant[7] ils m’ont défoncé mon tambourin. Tambourins à noces sont ordinairement battus : tambourineurs bien festoyés, battus jamais. Le diable s’en

  1. Ingurgité.
  2. Rompu.
  3. Les os (radius et cubitus) cassés.
  4. Cachés.
  5. Maudissait.
  6. Privé d’un bras.
  7. Par surplus.